Librairie de L. Hachette et Cie (p. 64-72).

XVII

CONVERSION DE SAÜL.



Grand-mère. Saül était toujours exaspéré contre les Chrétiens, disciples de Jésus. Il alla trouver le Prince des prêtres et lui demanda des lettres pour les synagogues de Damas.
St Paul

Armand. Qu’est-ce que c’est : synagogues ?

Henriette. Tu le sais bien, grand’mère nous l’a déjà dit en racontant L’Évangile.

Armand. Non, je ne sais pas, j’ai oublié.

Henriette. Ah bien ! si tu oublies tout, c’est ennuyeux à la fin.

Grand’mère. Ma petite Agnella, prends garde de perdre ce nom et de mériter celui de Lionette.

Henriette. Pardon, Grand’mère, je me suis un peu impatientée ; mais c’est la première fois, et Armand est si impatientant avec ses questions !

Grand’mère. Chère petite, pense qu’il a cinq ans.

Henriette. C’est vrai, Grand’mère, mais pourquoi oublie-t-il ce que vous avez dit ?

Grand’mère. Parce qu’il n’a que cinq ans comme le Petit-Louis.

Henriette. Je ne dirai plus rien, Grand’mère, je ne veux pas que vous m’appeliez Lionette.

Grand’mère. Très-bien, mon enfant ; reste la petite Agnella, le bon Dieu t’en aimera davantage et moi aussi.

Henriette embrasse sa grand’mère, qui l’embrasse aussi et continue son récit.

Je réponds d’abord à Armand que les synagogues étaient les lieux consacrés, chez les Juifs, à la prière et aux réunions religieuses. Saül demanda donc des lettres qu’il devait montrer aux magistrats et aux chefs de la synagogue de Damas, afin de pouvoir arrêter et faire mettre en prison tous ceux qui lui seraient signalés comme Chrétiens. Il avait le projet de les conduire enchaînés à Jérusalem.

Jacques. Quoi méchant homme ! J’espère que le bon Dieu l’en empêchera.

Grand’mère. Oui, tu vas voir comment le bon Dieu va l’en empêcher.

Il était en route, accompagné de beaucoup de soldats, et il approchait de Damas, quand tout à coup une éclatante lumière du ciel brilla autour de lui.

Jeanne. C’était un éclair ?

Grand’mère. Oui, mais un éclair comme le bon Dieu seul peut en faire et comme on n’en a jamais vu depuis. C’était une lumière miraculeuse, plus brillante que le soleil. Saül tomba par terre et entendit une voix qui lui disait en hébreu :

« Saül, Saül, pourquoi me persécutes-tu ? Il te sera dur de regimber contre l’aiguillon. » Ce qui veut dire : Il te sera difficile de lutter contre moi.

« Qui êtes-vous, Seigneur ? » dit Saül épouvanté.

La voix répondit :

« Je suis Jésus de Nazareth, que tu persécutes. »

Saül, tremblant et effrayé, dit :

« Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? »

Et le Seigneur lui répondit :

« Lève-toi, et va dans la ville ; je t’ai apparu afin de t’établir l’apôtre et le témoin des choses que tu as vues et de celles que tu verras lorsque je t’apparaîtrai de nouveau. Et je te délivrerai de ce peuple qui te persécutera, et des nations auxquelles je t’enverrai pour leur faire connaître la vérité, afin qu’elles se convertissent, qu’elles quittent le démon, qu’elles reviennent à moi. Par la foi qu’ils auront en moi, ils recevront le pardon de leurs péchés et seront dans le ciel avec les Saints. Lève-toi donc, va à Damas. On te dira ce que tu dois faire. »

Armand, tristement. Mon Dieu, mon Dieu, je ne comprends rien de ce que dit la voix.

Grand’mère, souriant. Mon pauvre petit, je vais te l’expliquer. La voix, qui était celle de Notre-Seigneur Jésus-Christ, dit à Saül qu’il va changer son cœur, qu’il fera de lui un grand Chrétien, un Apôtre ; qu’il lui donnera la mission de convertir beaucoup de peuples, et qu’il le protégera contre tous les méchants.

Armand, joyeux. Ah ! merci, Grand’mère, je comprends très-bien.

Madeleine. Mais comment Notre-Seigneur est-il si bon pour Saül, qui était si méchant pour les Chrétiens ?

Grand’mère. Parce que Notre-Seigneur, qui voit toutes les pensées des hommes, a vu que Saül, en persécutant les Chrétiens, ne le faisait par aucun mauvais sentiment.

Henri. Comment ? aucun mauvais sentiment. Ce n’est pas mauvais de mettre en prison et de faire souffrir de pauvres innocents ? de faire pleurer ceux qui restaient abandonnés ?

Grand’mère. Si fait, tout cela est mauvais, très-mauvais. Je veux dire seulement que Saül était un ignorant et pas un impie. Bien loin de là ! Saül était très-zélé pour la religion juive ; il croyait que c’était servir Dieu que d’empêcher une nouvelle religion de détruire l’ancienne. Il regardait les Chrétiens comme des sacrilèges, et c’est pour cela seulement qu’il les poursuivait. En le faisant, il croyait de bonne foi remplir un devoir sacré.

Ce Saül est le même que le grand Apôtre saint Paul. Vous verrez plus tard à quelle occasion il a changé de nom. Nous l’appellerons Paul à l’avenir. Maintenant, pourquoi le bon Dieu l’a-t-il choisi de préférence à tant d’autres pour en faire l’Apôtre des nations ? C’est le secret de sa Providence ; il choisit qui il veut, il est le maître de ses dons.

Les hommes qui accompagnaient Paul dans son voyage avaient entendu une voix, mais ils n’avaient pas compris ses paroles ; ils avaient vu la lumière, mais ils n’avaient distingué personne et ils restaient stupéfaits.

Paul se leva de terre, et, quoiqu’il eût les yeux ouverts, il ne voyait rien.

Jeanne. Pourquoi cela ?

Grand’mère. Parce qu’il était devenu subitement aveugle ; la lumière céleste l’avait ébloui, et Notre-Seigneur lui faisait ainsi sentir sa toute-puissance.

Les compagnons de Paul le prirent donc par la main et le conduisirent à Damas ; il y resta trois jours sans y voir, ne mangeant ni ne buvant.

Jeanne. Pauvre homme ! comme il devait être malheureux !

Grand’mère. Non, il était pénétré de repentir ; la foi en Jésus-Christ remplissait son cœur ; la douleur d’avoir persécuté les fidèles serviteurs du vrai Dieu, lui faisait accepter avec amour la punition que lui envoyait le Seigneur, et lui inspirait le désir de souffrir davantage encore pour être pardonné.

Or, il y avait à Damas un disciple nommé Ananie…

Marie-Thérèse. Comment, celui qui était tombé mort ?

Grand’mère. Non, celui-là était mort et enterré ; c’était un autre disciple du même nom. Le Seigneur lui apparut et
Conversion de St Paul
l’appela : « Ananie ! — Me voici, Seigneur, » répondit Ananie. « Lève-toi, lui dit le Seigneur, va dans une rue qui s’appelle la rue Droite, cherche dans la maison de Jude un homme nommé Saül, de la ville de Tarse, car il est là en prière. »

Et dans ce même moment, Paul voyait en esprit…

Louis. Comment, en esprit ?

Grand’mère. En esprit, c’est-à-dire intérieurement, par une vision surnaturelle, et non pas avec les yeux du corps. Paul vit donc en esprit un homme nommé Ananie qui entrait et lui imposait les mains, afin qu’il recouvrât la vue.

Ananie répondit au Seigneur :

« Seigneur, j’ai appris de plusieurs Chrétiens combien cet homme a fait de mal à vos fidèles de Jérusalem. Il a même reçu du Prince des prêtres le pouvoir d’enchaîner et d’emprisonner tous ceux qui invoquent votre nom. »

Le Seigneur lui répondit :

« Va, car cet homme portera partout la gloire de mon nom ; il est l’instrument que j’ai choisi pour me faire connaître et devant les peuples et devant les Rois et devant les enfants d’Israël… »

Valentine. Qu’est-ce que c’est : les enfants d’Israël ?

Grand’mère. Ce sont les Juifs, qu’on appelait aussi Israélites.

« Et je lui montrerai, ajouta le Seigneur, combien il faudra qu’il souffre pour la gloire de mon nom. »

Alors Ananie sortit et entra dans la maison où était Paul et, lui imposant les mains, il dit :

« Saül, mon frère, le Seigneur Jésus, qui t’a apparu dans le chemin par où tu venais, m’a envoyé vers toi, afin que tu voies et que tu sois rempli de l’Esprit-Saint. »

Et aussi tôt il tomba des yeux de Paul comme des écailles et il recouvra la vue.

Et Ananie lui dit que Jésus-Christ l’avait choisi entre tous pour connaître sa loi et la faire connaître à toutes les nations.

« Et maintenant, lui dit-il, qu’attends-tu ? Lève-toi, sois baptisé, et purifie-toi de tes péchés en invoquant le nom du Seigneur. »

Paul se leva, fut baptisé, et, ayant mangé, il reprit des forces.

Jeanne. Je crois bien ! Il devait mourir de faim ; trois jours sans boire ni manger !

Grand’mère. Le bon Dieu lui avait donné des forces pour supporter ce long jeûne. Il demeura quelques jours avec les disciples qui étaient à Damas ; aussitôt après, il se mit à parler dans les synagogues, disant hautement que Jésus-Christ était le Fils de Dieu. Tous ceux qui l’écoutaient étaient dans un grand étonnement et disaient : « N’est-ce pas là celui qui persécutait si cruellement, dans Jérusalem, ceux qui invoquaient le nom de Jésus ? et qui est venu à Damas pour les conduire, chargés de fers, au Prince des prêtres ? Comment ce même homme prêche-t-il comme ceux qu’il persécutait encore tout dernièrement ? »

Mais Paul ne faisait aucune attention à ces paroles, et réduisait au silence les Juifs qui étaient à Damas, leur démontrant que Jésus était le Christ, le Messie annoncé par les Prophètes.

Henriette. Comment les Juifs ne l’ont-ils pas arrêté et mis en prison, comme il voulait le faire lui-même pour les Chrétiens ?

Grand’mère. Parce que le bon Dieu n’a pas permis que dès le commencement de sa conversion Paul fût soumis à une si rude épreuve. Puis Paul se méfiait des Juifs plus qu’un autre ; il ne se laissait pas prendre.

Après avoir passé quelque temps encore à Damas, Paul alla dans les déserts de l’Arabie.

Louis. Qu’est-ce que c’est : l’Arabie ?

Grand’mère. L’Arabie est un pays voisin de la Judée.

Henri. Pourquoi a-t-il été dans le désert ?

Grand’mère. Pour y vivre dans une retraite plus profonde, pour y faire une pénitence plus parfaite et pour se préparer ainsi à son Apostolat. Après y avoir passé quelque temps, Paul revint à Damas et y fit un assez long séjour.

Valentine. Combien est-ce un long séjour ?

Grand’mère. On ne dit pas combien de temps au juste il y resta, mais je pense que c’est plusieurs années, car il est dit que trois ans après sa conversion, les Juifs ne pouvant plus le souffrir, à cause de sa hardiesse à prêcher la divinité de Notre-Seigneur, et aussi à cause des nombreuses conversions qu’il opérait, ils résolurent de le tuer.

Ils voulaient faire au disciple ce qu’ils avaient fait au Maître. De peur qu’il ne leur échappât, ils obtinrent du gouverneur qui gardait la ville pour Arétas, Roi des Arabes, de faire fermer les portes de Damas et d’y mettre des gardes.

Arétas, Roi des Arabes, était en guerre avec Hérode, Tétrarque ou gouverneur de la Galilée. Les Juifs de Damas allèrent donc dénoncer Paul comme un espion d’Hérode, et ils obtinrent facilement du gouverneur un ordre pour arrêter l’espion.

Mais Paul fut averti de leur mauvais dessein. Les disciples le prirent, le mirent dans un grand panier, attaché avec une longue corde, et le descendirent par une fenêtre pendant la nuit, en dehors des murs de la ville ; car Damas était entourée de hautes murailles. Ainsi il se sauva et alla à Jérusalem.

Louis. C’est bien fait d’avoir attrapé ces méchants Juifs. Mais pourquoi Paul alla-t-il à Jérusalem ? C’était là qu’étaient les plus grands ennemis des Chrétiens !

Grand’mère. Il y alla, comme il l’a dit lui-même, pour voir Pierre et pour conférer avec lui comme avec le Vicaire de Jésus-Christ. Il y alla pour lui rendre hommage comme au chef de l’Église, comme à celui auquel il devait respect et obéissance. Il n’avait pas besoin de s’instruire près de Pierre, car Dieu lui-même l’avait miraculeusement éclairé et instruit, mais pour donner aux siècles futurs l’exemple de la déférence, de la soumission que tous, même les plus savants, doivent au Pape, chef de l’Église.