Librairie de L. Hachette et Cie (p. 271-275).

LXXI

MARTYRE DES SAINTS ÉVANGÉLISTES, SAINT LUC ET SAINT MARC.



Grand’mère. Ma tâche serait finie, chers enfants, si je ne voulais vous dire encore quelques mots sur les évangélistes saint Luc et saint Marc.

On croit, sans en être certain, que saint Luc, après avoir terminé le livre des Actes des Apôtres, pendant que saint Paul était en prison à Rome, quitta son cher maître pour continuer à prêcher la foi. On ne sait pas au juste dans quel lieu il se rendit ; d’après certaines traditions, il alla dans les Gaules après avoir parcouru le nord de l’Italie. On ne sait même rien de certain sur le lieu de sa mort, ni sur son genre de mort. Quelques auteurs assurent qu’il fut martyrisé, les uns en Grèce, les autres en Bythinie. D’autres auteurs grecs donnent comme certain qu’il mourut en Grèce, de fatigue et de vieillesse, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.

La vie et la mort de saint Marc sont plus connues. On sait qu’après avoir écrit l’Évangile à Rome, sous les yeux de saint Pierre, et après avoir passé quelques années à Rome avec ce grand Apôtre, il alla en Égypte, par ses ordres, pour annoncer l’Évangile à ces nations barbares ; il y fit de nombreuses conversions ; il fonda la célèbre Église d’Alexandrie, qui compta depuis tant d’illustres théologiens.

Cette Église d’Alexandrie avait tant de renommée, que même pendant les persécutions, elle demeura presque constamment paisible. Les païens n’osaient pas y toucher, par respect pour sa grande réputation d’éloquence et de savoir.

Les prédications et l’exemple de saint Marc inspirèrent à plusieurs fidèles le désir de se consacrer entièrement à Dieu, et de se retirer du monde pour aller vivre dans le calme et la solitude. Ces déserts de la Thébaïde, près du Nil, sont restés célèbres dans l’histoire des premières années du Christianisme. Les solitaires y vivaient seuls, ne voyant personne du dehors.

Valentine. Et où demeuraient-ils ? Est-ce qu’ils ont bâti des maisons ?

Grand’mère. Non. Ils vivaient dans des cavernes, dans des cabanes ou des grottes ; priant presque toujours, se visitant souvent pour réunir leurs prières, et pour s’exciter à l’amour de Notre-Seigneur.

Henriette. Mais de quoi vivaient-ils ? Il n’y avait dans ces déserts ni blé, ni fruits, ni rien de ce qui est nécessaire pour vivre ?

Grand’mère. Il est probable qu’en outre de ce que leur apportaient les fidèles, ils vivaient avec la plus grande sobriété, d’un peu de pain et d’eau, de racines crues et de quelques herbes qu’ils trouvaient dans les montagnes. Les plus faibles y ajoutaient de l’herbe d’hyssope.

Louis. Qu’est-ce que c’est : l’hyssope. Est-ce bon ?

Grand’mère. C’est une herbe très-fortifiante et d’un goût très-amer ; c’était très-mauvais, mais les Saints solitaires ne regardaient pas au bon ou au mauvais goût ; ils ne mangeaient que pour se soutenir, et l’hyssope leur donnait des forces. Plusieurs d’entre eux ne mangeaient que tous les trois jours ; d’autres restaient jusqu’à cinq ou six jours sans prendre aucune nourriture.

Henriette. Comment ? Est-ce possible ?

Grand’mère. Dans nos pays, il ne serait guère possible de vivre ainsi. Mais en Égypte, comme dans tous les pays chauds, on a besoin de très-peu de nourriture.

La réputation de sainteté de ces premiers solitaires excita la colère des païens. Voyant que leurs faux dieux étaient de plus en plus abandonnés, ils résolurent de tuer saint Marc, comme l’ennemi le plus dangereux de leurs idoles, et celui qui avait le plus d’influence sur les Chrétiens.

Saint Marc fut averti du projet des ennemis de Dieu et se prépara au martyre. Mais, pour ne pas laisser les Chrétiens sans secours, il désigna pour son successeur un homme de grande vertu nommé Anien ; il fit aussi trois prêtres et sept diacres. Il les laissa à Alexandrie et alla passer deux années encore dans la Pentapole, pour y consolider la foi qu’il y avait déjà prêchée.

Valentine. Qu’est-ce que c’est que la Pentapole ?

Grand’mère. C’est un mot qui veut dire cinq villes et qui vient du grec : Penté, cinq ; Polis, ville.

Il revint ensuite à Alexandrie, en Égypte ; il trouva le nombre des Chrétiens considérablement augmenté. Les païens, avertis de son retour, exécutèrent aussitôt le projet abominable qu’ils avaient formé avant son départ.

Le jour de Pâques tombait cette année sur le jour auquel les païens célébraient la grande fête du bœuf Apis, leur Dieu le plus honoré.

Pendant que saint Marc célébrait la sainte Messe, ils le saisirent, lui jetèrent une corde au cou et le traînèrent dans les rues jusqu’à la prison de la ville. Ils l’y enfermèrent tout meurtri dans un cachot infect, et l’y laissèrent jusqu’au lendemain. Il passa le reste du jour et la nuit à remercier Notre-Seigneur Jésus-Christ de l’avoir jugé digne du martyre. Ses souffrances étaient cruelles, car son corps était tout écorché, une soif ardente le dévorait, et la corde qu’on lui avait attachée au cou l’étranglait à moitié.

À minuit, la terre trembla, un Ange apparut à saint Marc et lui dit :

« Marc, serviteur de Jésus-Christ, ton nom est écrit sur le livre de la vie éternelle ; tu es compté au nombre des Apôtres, ta mémoire restera vénérée sur la terre. Les Anges recevront ton esprit ; tu n’as plus longtemps à souffrir en ce monde. »

Le Saint remercia le Seigneur des grâces dont il le comblait et le pria de recevoir son âme en paix. Alors Jésus lui-même lui apparut, et lui dit en le bénissant :

« Marc, mon Évangéliste, La paix soit avec toi ! »

Aussitôt que jour parut, les païens tirèrent Marc de sa prison avec autant de rage que le jour précédent ; ils saisirent la corde et le traînèrent de nouveau dans les sentiers raboteux, jusqu’à ce qu’il expirât.

Ils voulurent brûler son corps pour l’enlever plus sûrement à la vénération des Chrétiens, mais ils en furent empêchés par un épouvantable ouragan, accompagné de grêlons et de pierres énormes qui en tuèrent un grand nombre.

Les Chrétiens enlevèrent le saint corps, l’ensevelirent et le déposèrent en un lieu sûr. Depuis, ces reliques furent transportées à Venise, dans une église magnifique qui porte le nom du Saint. La ville prit pour emblème le lion de saint Marc, avec ces paroles que lui adressa Notre-Seigneur dans sa prison :

Pax tibi, Marce, evangelista mi !