Librairie de L. Hachette et Cie (p. 236-243).

LXIII

SAINT JEAN L’ÉVANGÉLISTE, APÔTRE.



Henriette. Grand’mère, pourquoi appelle-t-on saint Jean, l’Évangéliste ?

Grand’mère. Parce qu’il a écrit l’Évangile.

Pierre. Mais saint Matthieu, saint Marc, saint Luc ont aussi écrit l’Évangile, et on ne les appelle pas Évangélistes.

Grand’mère. D’abord, on les appelle Évangélistes aussi bien que saint Jean. On donne plus particulièrement le surnom d’Évangéliste à l’Apôtre saint Jean, pour le distinguer de l’autre saint Jean, surnommé Baptiste, c’est à-dire Baptiseur.

L’Évangile de saint Jean a un intérêt tout particulier parce qu’il rapporte certains faits de la vie du Divin Maître, lesquels avaient été omis par les autres Évangélistes. Saint Jean écrivit plus de cinquante ans après saint Matthieu, saint Marc et saint Luc, et il raconta ce qui prouvait plus clairement la Divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ et son amour pour les hommes. C’est à saint Jean que nous devons, entre autres, l’admirable discours relatif à la Sainte Eucharistie, ainsi que les paroles toutes divines de Notre-Seigneur avant la Sainte Cène C’est encore lui qui raconte le grand miracle de l’aveugle-né, la résurrection de Lazare et l’histoire de la Samaritaine.

Il rend compte des prédications de Jésus-Christ, plus que de ses actions, qui avaient déjà été racontées.

L’Évangile de saint Jean est tout pénétré de l’amour de Notre-Seigneur ; il fait ressortir merveilleusement la beauté des paroles de son Divin Maître.

Et puis, saint Jean a vécu près de la Sainte-Vierge. La présence de cette Mère admirable a dû certainement donner à son cœur et à son esprit ce je ne sais quoi de céleste, de sublime, de tendre, qui perce dans ses écrits.

Il est certain que saint Jean a emmené la Sainte-Vierge dans quelques-unes de ses missions en Asie-Mineure ; elle est restée longtemps avec lui à Éphèse.

Après la mort de la Sainte-Vierge, saint Jean continua ses prédications en Asie-Mineure ; il fut arrêté par l’ordre du pro-consul romain en l’année 86, et envoyé chargé de chaînes à Rome, sous l’Empereur Domitien, grand et cruel ennemi des Chrétiens.

Valentine. Est-ce que Domitien a régné après Néron ?

Grand’mère. Oui, mais plusieurs années après ; il fut le sixième Empereur après Néron. Il a succédé à son frère Titus, qui avait été très-bon. Domitien était au contraire très-méchant.

Quand on lui amena saint Jean, il lui donna le choix de sacrifier aux dieux ou de périr par les plus cruels supplices.

Saint Jean lui répondit qu’il accepterait tous les supplices du monde plutôt que de renier son Seigneur Jésus-Christ, seul vrai Dieu tout-puissant.

Domitien ordonna que Jean fût fouetté et jeté dans une chaudière d’huile bouillante.

Saint Jean fut dépouillé de ses vêtements, cruellement fouetté et précipité dans la chaudière. Mais aussitôt le feu perdit sa chaleur, l’huile bouillante reprit une douce fraîcheur, et au lieu de brûler le saint vieillard, elle guérit les plaies causées par les coups de fouet.

Henriette. Grand’mère, pourquoi dites-vous le saint vieillard ? Il n’était pas vieux, saint Jean.

Grand’mère. Il était jeune du temps de Notre-Seigneur, mais à l’époque dont je parle, il y avait cinquante-cinq ou cinquante-six ans que Jésus-Christ avait quitté le monde à l’âge de trente-trois ans. Saint Jean, qui était à peu près du même âge que Notre-Seigneur, devait donc avoir quatre-vingt-huit ou quatre-vingt-neuf ans.

Valentine. Ah ! mon Dieu ! Comme c’est vieux !

Grand’mère. Les bourreaux, voyant la merveille qui se passait sous leurs yeux à tous, ne voulurent pourtant pas y croire ; ils se mirent à attiser le feu en y jetant toutes sortes de matières combustibles, mais les flammes s’élancèrent sur les bourreaux qui furent couverts de brûlures.

Armand. Qu’est-ce que c’est, des matières combustibles ?

Grand’mère. Ce sont des choses qui s’allument très-facilement et qui donnent une grande flamme.

On voit encore à Rome, près d’une porte appelée Porte-Latine, la place où saint Jean subit son martyre et fut préservé miraculeusement de la mort. Quant à ses chaînes, on les vénère dans une petite chapelle souterraine creusée par les ordres du pape Pie IX, sous le maître-autel de la célèbre église de Saint-Jean de Latran.

Pendant que les Chrétiens se réjouissaient de cette miraculeuse protection de Dieu ; les païens et l’Empereur lui-même en furent tellement effrayés qu’ils n’osèrent plus toucher à l’Apôtre saint Jean.

Domitien commanda qu’il fut envoyé en exil dans l’île de Pathmos.

Louis, Où est cette île, Grand’mère ?

Grand’mère. Dans l’Archipel, cher enfant, pas loin des côtes de l’Asie-Mineure.

C’est dans l’île de Pathmos que Saint Jean écrivit son beau livre de l’Apocalypse.

Louis. Qu’est-ce que c’est que cette Pocalypse ? De quoi parle-t-elle ?

Pierre. On ne dit pas Pocalypse, mais Apocalypse.

Grand’mère. Le mot Apocalypse veut dire Révélation. C’est une grande prophétie de la seconde venue dans ce monde de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de la fin du monde. De plus, c’est un livre plein de mystères.

Henriette. Oh ! je voudrais bien le lire, Grand’mère.

Grand’mère. Tu n’y comprendrais rien, chère enfant ; cette partie de l’Écriture-Sainte n’est pas faite pour être lue par des enfants.

Saint Jean convertit, dit-on, presque tous les habitants de Pathmos. Il demeura avec eux jusqu’à la mort de Domitien. L’Empereur Nerva, qui n’était pas méchant, rappela les Chrétiens exilés et défendit qu’on les tourmentât.

Saint Jean voulut quitter Pathmos, mais les habitants lui ayant demandé d’écrire tout ce qu’il leur avait enseigné, le saint. Apôtre dicta son Évangile à saint Prochore, un des sept diacres qui l’avaient suivi dans son exil.

D’autres saints auteurs disent que saint Jean ne dicta son Évangile à saint Prochore qu’après avoir quitté Pathmos et à son retour dans Éphèse. Mais, ce qui est certain, c’est que saint Jean le dicta à saint Prochore à la fin de cet exil ; il avait près de cent ans.

Les habitants de l’Asie-Mineure, et particulièrement les Éphésiens, furent dans une grande joie quand ils vivent revenir leur saint Apôtre.

Il trouva à son retour quelques troubles excités par un abominable magicien nommé Apollonius de Thyane. Il s’était donné au démon comme Simon le Magicien, et, comme lui, il trompait les peuples par ses prétendus miracles et par la puissance qu’il tenait de Satan. Saint Jean triompha de cet imposteur comme saint Pierre avait triomphé à Rome de Simon le Magicien, par de vrais miracles accomplis en présence de tout le peuple. On ne sait pas au juste quels furent ces grands miracles ; on sait seulement qu’il ressuscita plusieurs morts.

Le seul fait certain des dernières années de saint Jean, est la conversion d’un jeune homme que saint Jean avait élevé, qu’il avait en grande affection, qu’il avait confié à un saint Évêque avant de partir pour Rome, et qui, s’étant corrompu, était devenu capitaine de voleurs. En revenant à Éphèse, il alla voir cet Évêque et lui redemanda le jeune homme.

« Je ne l’ai plus, je ne l’ai plus, répondit tristement l’Évêque. Il est mort.

— Mort ? répliqua saint Jean. Et de quelle manière ?

— C’est à Dieu qu’il est mort, dit l’Évêque, puisqu’il a abandonné sa foi pour se mettre à la tête d’une bande de brigands. »

La douleur de saint Jean fut grande, mais il ne perdit pas courage, Ne pouvant pas marcher à cause de son grand âge, il monta à cheval, et prenant un guide, il alla dans les montagnes à la recherche de son enfant perdu.

Il ne tarda pas à rencontrer les sentinelles des bandits, qui se saisirent de lui. « Je viens, leur dit saint Jean, pour parler à votre chef. Je vous supplie de me mener à lui, car j’ai une chose importante, à lui communiquer. »

Les bandits se sentirent saisis de respect devant le grand âge de l’Apôtre et son aspect majestueux. Ils le menèrent vers leur jeune chef.

Le capitaine reconnut tout de suite son ancien Maître, et ne pouvant supporter la honte de se trouver en face d’un si saint homme, qu’il aimait et vénérait encore, il se mit à fuir pour se cacher dans la montagne. Mais le Saint le poursuivit.

« Mon enfant, pourquoi fuis-tu devant ton Père ? Que crains-tu d’un vieillard désarmé ? Mon fils, vois mes cheveux blancs ; aie pitié de ta jeunesse. Arrête-toi, mon cher fils ; c’est Jésus-Christ lui-même qui m’envoie vers toi ! »

À ces paroles, le jeune homme s’arrêta. Il demeura quelques instants, les yeux baissés, sans oser même lever la tête. Puis, jetant à terre ses armes, il courut vers le Saint qui l’appelait. Il fondit en larmes, il jeta de grands cris de désespoir, et ne pouvant résister à la grâce qu’il sentait renaître dans son cœur, il se précipita dans les bras de saint Jean et osa l’embrasser. Seulement il eut soin de cacher sa main droite sous son vêtement, pour que cette main, souillée de sang et de vol, ne touchât pas cet homme vénérable. Saint Jean, de son côté, l’embrassa, le serra dans ses bras ; et prenant cette main qu’il cachait, il la baisa, la mouilla de ses larmes, lui promit le pardon de ses péchés, et le tirant de la société des bandits, il l’emmena à l’église.

Le jeune homme fit une pénitence sincère de ses crimes, et en témoigna un tel repentir que saint Jean le jugea digne du ministère sacerdotal.

Jeanne. Comme il était bon, saint Jean ! À son âge, se mettre à courir à cheval après un méchant voleur !

Grand’mère. Oui, chère enfant. Saint Jean a fait voir par là qu’il avait été digne d’appuyer sa tête sur le sein de Notre-Seigneur et d’avoir été chargé par lui de devenir le protecteur, le vrai Fils de la très-sainte Vierge. L’amour de Jésus-Christ pour les hommes avait passé dans son cœur. Aussi l’appelle-t-on souvent : l’Apôtre de l’Amour.

Voilà tout ce qu’on sait de bien certain sur saint Jean. On ne sait pas au juste quand, comment et dans quel lieu il mourut. Quelques auteurs sacrés disent qu’il revint à Rome sous le règne de l’Empereur Trajan, qu’il y fut martyrisé et qu’il mourut dans les tourments les plus cruels. D’autres pensent qu’il est mort paisiblement à Éphèse, le 27 décembre, l’année 101 ou 102, soixante-huit ans après la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; il devait avoir environ quatre-vingt-quinze ans.

Camille. Pauvre saint Jean ! Comme il a dû être heureux d’aller rejoindre Notre-Seigneur dans le Ciel !

Grand’mère. Oui certainement. Plus sa vie a été longue et plus sa récompense est grande. Et personne maintenant ne peut la lui enlever.

Marie-Thérèse. Quel est l’Apôtre dont vous nous parlerez maintenant, Grand’mère ?

Grand’mère. Je vous raconterai le martyre de saint Thomas, nommé l’Apôtre des Indes.