Librairie de L. Hachette et Cie (p. 255-261).

LXVII

SAINT BARTHÉLEMY, APÔTRE ET MARTYR.



Lors de la dispersion des Apôtres à Jérusalem, saint Barthélemy se rendit dans l’Inde, en deçà du grand fleuve du Gange. Il évangélisa une grande portion des quarante royaumes de cette portion de l’Inde. Il y fit d’innombrables conversions, y bâtit une quantité d’églises, y sacra plusieurs Évêques, et y établit le Christianisme. On ne sait pas ce qui se passa dans ces chrétientés naissantes ; on sait seulement que quatre cents ans plus tard, quand Démétrius, patriarche d’Alexandrie, y envoya saint Pantène, il y trouva des restes nombreux de christianisme, et des traces du séjour de saint Barthélemy, entre autres, l’Évangile de saint Matthieu.

Saint Barthélemy passa en dernier lieu dans la grande Arménie.

Armand. Où est l’Arménie, Grand’mère ?

Grand’mère. Du côté de l’Asie Mineure, de l’Euphrate et des monts Caucases.

L’Apôtre entra dans le temple de la capitale, dans laquelle demeurait le Roi Polinius. Une idole habitée par un démon nommé Astaroth, qui rendait des oracles, se tut aussitôt ; on lui apporta des malades, il ne put les guérir.

Les prêtres arméniens, surpris devoir leur grand Astaroth devenu muet et impuissant à guérir les malades, consultèrent une autre idole célèbre pour en savoir la cause. Elle répondit : « C’est la présence de Barthélemy, Apôtre du vrai Dieu, qui force mon compagnon à se taire et qui lui enlève toute sa puissance. Tant que ce saint homme demeurera dans la ville, Astaroth ne pourra ni parler, ni guérir. Barthélemy fléchit les genoux cent fois par jour et cent fois par nuit ; il est toujours accompagné d’une troupe d’Anges ; ils sont invisibles pour les hommes, mais nous, esprits, nous les voyons. Barthélemy annonce le vrai Dieu, auquel seul appartiennent les honneurs du Ciel et de la terre. »

Henri. C’est singulier qu’un démon ait si bien parlé d’un saint ; c’est contre lui-même qu’il témoignait.

Grand’mère. Certainement ; aussi ne le faisait-il que forcé par Dieu, son maître tout-puissant.

Les prêtres d’Astaroth, entendant cette réponse, se mirent à chercher de tous côtés ce Barthélemy contre lequel ils étaient remplis de fureur.

Louis. Pourquoi cela ? Qu’est-ce que cela leur faisait que cet abominable Astaroth fût devenu muet ?

Grand’mère. Cela faisait du tort à leurs bourses, parce que ceux qui venaient consulter cette idole lui apportaient de riches présents en argent, en bijoux et en étoffes précieuses ; les prêtres s’emparaient de ces dons. Astaroth, ne pouvant plus rendre des oracles ni guérir les malades, ne recevait plus rien. C’est pourquoi ils cherchaient saint Barthélemy pour le tuer.

Mais ils eurent beau chercher, ils ne le trouvaient pas, parce que le bon Dieu rendait leurs recherches inutiles.

Ils ne l’auraient donc jamais trouvé, si Barthélemy n’eût révélé sa présence par la délivrance des possédés, la guérison des malades, et par d’autres prodiges qui remplirent les infidèles d’admiration. Les prêtres n’osèrent pas le maltraiter devant cette foule qui le protégeait.

Le Roi lui-même, ayant entendu parler de ces prodiges, le fit venir dans son palais et le supplia avec instance de guérir sa fille qui était possédée d’un démon furieux.

Barthélemy la guérit sur-le-champ. Le Roi en fut si heureux et si reconnaissant qu’il lui envoya quelque temps après plusieurs chameaux chargés d’or, d’argent, de pierreries précieuses, de vêtements magnifiques.

Le Saint, auquel Dieu fit connaître les intentions du Roi, se tint si bien caché, qu’on ne put le trouver. Les serviteurs chargés de remettre les présents du Roi au saint Apôtre, n’osant confier à des étrangers de si précieux trésors, les rapportèrent au palais. Aussitôt Barthélemy vint se présenter lui-même au Roi Polinius, qui se trouvait seul dans sa chambre ; il entra sans que les portes eussent été ouvertes, et il lui dit :

« Ce n’est ni l’amour de l’or, ni des pierres précieuses, ni d’aucune de tes richesses qui m’a amené dans ton pays, ô Roi ; c’est le zèle des âmes, le désir de te faire connaître la vérité, afin de te faire arriver à la vie éternelle. Je ne te demande que d’écouter mes paroles, de reconnaître le vrai Dieu, d’abandonner le culte de tes idoles qui sont des démons abominables. Viens au temple avec moi et je te ferai voir par toi-même la vérité de mes paroles. »

Polinius consentit à accompagner au temple le saint Apôtre. Ils arrivèrent devant l’idole.

« Dis ce que tu es et de quel lieu tu viens, Astaroth ! Dis si tu es le Dieu qu’on doit adorer, s’écria Saint Barthélemy.

— Ta puissance plus grande que la mienne m’oblige, saint homme, à te répondre, dit l’idole. Je ne suis pas un Dieu ; je ne suis qu’un misérable esprit condamné aux flammes éternelles pour m’être révolté contre Dieu, mon créateur. Les oracles que je prononce ne sont que des tromperies ; je ne prédis que le mal que je puis et que je veux faire, le bien que je ne veux pas empêcher exprès pour faire croire à mes prédictions. Les guérisons que j’ai opérées sont fausses, car je donnais moi-même par malice les maladies que j’avais la puissance de faire disparaître. »

Après cette confession, l’Apôtre lui dit :

« Je t’ordonne de briser toutes les idoles du temple et de te retirer pour jamais dans un lieu où tu ne pourras faire de mal à personne. »

Astaroth fut obligé d’obéir. Le brisement de toutes les idoles fit un tel effet sur l’esprit de Polinius et de tout son peuple, qu’ils se convertirent à Jésus-Christ et demandèrent instamment le baptême.

Douze villes de ce royaume suivirent l’exemple de leur Roi. Elles eurent le bonheur de recevoir l’explication de la doctrine de Jésus-Christ de la bouche même de saint Barthélemy ; il les baptisa tous ; l’Apôtre en choisit quelques-uns parmi les plus fervents pour en faire des prêtres et des diacres, afin qu’après lui les fidèles pussent continuer à recevoir les Sacrements et l’instruction nécessaires.

Les démons, ne pouvant souffrir la ruine de leur empire et l’établissement du Christianisme, excitèrent contre le saint Apôtre les prêtres des idoles. Le Roi Polinius était trop fervent chrétien pour écouter les rapports mensongers et les conseils perfides des idolâtres. Ils s’adressèrent donc à son frère Astyage, qui régnait sur une partie de l’Arménie. Les prêtres lui persuadèrent que le culte des idoles allait périr, si Barthélemy continuait ses prédications ; qu’il fallait à tout prix faire mourir ce sacrilège qui détruisait leurs dieux et pervertissait les peuples.

Astyage écouta leurs paroles ; il attira saint Barthélemy dans ses États sous prétexte de vouloir connaître la vérité. Dès que l’Apôtre fut arrivé, Astyage le fit saisir et amener devant lui.

Henriette. Comment saint Barthélemy a-t-il été chez ces méchants ? il devait bien prévoir le danger qu’il courait.

Grand’mère. Il le prévoyait certainement, chère enfant ; mais il avait fait le sacrifice de sa vie en la consacrant au service de Notre-Seigneur. La prédication chez les peuples barbares était la partie principale du ministère des Apôtres, et ils devaient tout risquer pour courir la chance d’arracher quelques âmes au démon.

Le Roi, le voyant devant lui, lui demanda :

« Est-ce toi qui as perverti mon frère Polinius et détruit les dieux de sa nation ?

— Il n’y a d’autre Dieu de toutes les nations, répondit le Saint, que le souverain Créateur qui règne dans les cieux avec son fils unique Jésus-Christ. Les dieux que tu adores sont des démons qui ne méritent que le mépris. Ainsi, je n’ai détruit le culte d’aucun dieu, mais j’ai seulement démontré l’imposture des démons. Je n’ai point perverti le Roi Polinius ; je lui ai montré le chemin de la vie éternelle, hors duquel personne ne peut être sauvé. »

Quand il eut fini de parler, une idole tomba par terre et se brisa en mille pièces.

Astyage, furieux de la perte de son idole et des paroles de saint Barthélemy, le fit fouetter rudement. Ensuite, par une barbarie qui surpasse tout ce que nous avons vu jusqu’ici, il le fit écorcher vif depuis le haut de la tête jusqu’à la plante des pieds ; de sorte que n’ayant plus de peau, le Saint n’était qu’une masse de chair sanglante percée de place en place par les os.

Valentine. Ah ! Quelle horreur !

Camille. Quelle abominable cruauté ! Comment des hommes peuvent-ils commettre de semblables atrocités !

Élisabeth. Pauvre saint Barthélemy ! Quel affreux martyre il a souffert !

Jacques. Comment le bon Dieu a-t-il pu supporter une si atroce méchanceté sans hacher ces monstres en mille millions de morceaux ?

Louis. Quels scélérats que ces gens-là !

Madeleine. Aussi je crois qu’ils sont bien sévèrement punis.

Grand’mère. Tu ne te trompes pas, et Jacques va être content. Aussitôt après l’exécution, les démons se saisirent d’Astyage et des prêtres complices de ce crime abominable. Ils les tourmentèrent pendant trente jours de la façon la plus cruelle ; après quoi ils les étranglèrent, pour continuer à les tourmenter dans les enfers pendant toute l’éternité.

Henriette. Je suis contente de la punition de ces scélérats.

Jeanne. C’est pourtant triste de penser qu’ils sont dans [’enfer pour toujours !

Grand’mère. Tu as raison, chère enfant ; mais ils avaient, comme nous l’avons tous, le choix entre le paradis et l’enfer. Saint Barthélemy le leur a assez de fois répété. — Ils ont choisi l’enfer. — Des pauvres païens ignorants ont mieux compris la vérité des prédications du saint Apôtre ; ils ont choisi le Ciel et ils y sont. Que de gens dans le monde font le choix déplorable de ces faux prêtres arméniens !

Le Roi Polinius fut plus sage que son frère ; il abandonna la couronne, et consacra sa vie au vrai Dieu ; il fut, dit-on, le premier évêque d’Arménie, et pendant vingt ans il travailla avec zèle à affermir et à étendre la religion chrétienne.

Il fit recueillir avec le plus grand respect le corps écorché du saint martyr et sa peau toute sanglante ; il les fit enterrer avec beaucoup d’honneurs dans Albane, ville de la Haute-Arménie, mais qui n’existe plus. Ces reliques, transportées d’abord à Bénévent par un saint religieux missionnaire, sont maintenant à Rome, sauf la peau qui est restée à Bénévent, et la tête qui est à Toulouse, dans l’église de Saint-Sernin.

Camille. Quelles belles reliques a cette église de Saint-Sernin !

Grand’mère. Oui, de toutes les églises de France, elle est peut-être la plus favorisée. Entre autres reliques précieuses, elle possède encore la tête entière de saint Thomas d’Aquin. Aussi est-elle très-visitée par les fidèles de Toulouse et par les étrangers qui visitent la ville.

Passons maintenant aux Apôtres Simon et Jude.