Librairie de L. Hachette et Cie (p. 82-86).

XXI

VISION DU CENTURION CORNEILLE.



Grand’mère. Il y avait à Césarée un homme nommé Cornélius, ou Corneille, qui était centurion…

Armand. Qu’est-ce que c’est : centurion ?

Grand’mère. Un centurion était un officier qui commandait cent soldats.

Ce Cornélius était donc centurion dans ce qu’on appelait la légion italienne, laquelle faisait partie des armées romaines. Il était religieux et craignant Dieu ; il faisait beaucoup d’aumônes et priait Dieu sans cesse.

Jeanne. Il était donc Chrétien !

Grand’mère. Non, mais il désirait connaître la vérité, et il vivait aussi religieusement que pouvait le faire un honnête païen. Il vit un jour très-distinctement dans une vision miraculeuse…

Louis. Qu’est-ce que c’est : vision ?

Grand’mère. Une vision est une chose merveilleuse, que Dieu vous fait voir et que les autres ne voient pas. Il vit donc un Ange qui vint à lui et qui l’appela par son nom : « Corneille ! » Lui, regarda l’Ange, et saisi d’une respectueuse frayeur, répondit : « Que voulez-vous, Seigneur ? »

« Tes prières, répondit l’Ange, et tes aumônes sont montées vers le Seigneur et lui ont été agréables. — Envoie de suite à Joppé, et fais venir un certain Simon surnommé Pierre. Il est logé chez Simon le corroyeur, dont la maison est près de la mer. C’est lui qui te dira ce que tu dois faire. »

Et lorsque l’Ange qui lui parlait eut disparu, Cornélius appela deux de ses serviteurs et un de ses soldats, païens, mais comme lui craignant Dieu ; et après leur avoir tout raconté, il les envoya à Joppé.

Le lendemain, pendant que les hommes de Cornélius étaient en route et approchaient de la ville, Pierre monta sur le haut de la maison, vers la sixième, heure du jour, c’est-à-dire vers midi, pour prier.

Valentine. Pourquoi montait-il sur le toit pour prier ? C’est un peu drôle cela.

Grand’mère. Les toits des maisons de la Judée n’étaient pas faits comme les nôtres ; ils étaient plats avec une balustrade pour empêcher de tomber, et on les appelait des plates-formes ou terrasses. Dans ce pays si chaud on montait par un escalier intérieur sur la plate-forme après le coucher du soleil et on respirait mieux l’air frais de la nuit. Dans tout l’Orient cela se passe encore ainsi.

Pierre étant donc à prier sur la plate-forme, il eut faim et voulut manger. Pendant qu’on lui préparait son modeste repas, il eut une extase. Je vous ai expliqué l’autre jour ce que c’est qu’une extase.

Henriette. Oui, oui, Grand-mère, nous savons ; n’est-ce pas, Armand, que tu sais ?

Armand hésite, et après avoir vu l’air inquiet d’Henriette, il répond : « Oui, je sais. » Henriette l’embrasse et lui dit tout bas : « Je te l’expliquerai ce soir. » Armand est content ; et grand’mère, qui a vu et entendu, sourit et continue.

Saint Pierre eut donc une extase, c’est-à-dire, il vit des choses qu’on ne voit pas dans l’état ordinaire.

Armand. Ah ! grand’mère explique extase. J’en suis bien content, parce que j’avais un peu oublié.

Grand’mère. Je l’ai expliqué à ton intention, cher petit, pour récompenser ta douceur et ton désir de ne pas contrarier les autres. Henriette aussi a été très-gentille en faisant l’effort de te demander si tu savais.

Dans son extase, saint Pierre vit le Ciel ouvert, et une grande nappe suspendue aux quatre coins, qui descendait du Ciel sur la terre, et où il y avait toutes sortes de bêtes des champs, et des bêtes sauvages, des reptiles et des oiseaux. Et une voix lui dit :

« Lève-toi, Pierre, immole (c’est-à-dire tue) ces animaux et mange. »

Mais Pierre répondit : « Je n’ai garde, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé qui fût impur ou immonde. »

Et la voix lui dit une seconde fois :

« N’appelle pas impur ce que Dieu a purifié. »

Cela fut dit par trois fois, et aussitôt après, la nappe fut remontée dans le Ciel.

Madeleine. Grand’mère, pourquoi saint Pierre n’a-t-il pas voulu manger ?

Grand’mère. Parce qu’il ne voulait pas manger de ces bêtes que la loi Juive interdisait comme immondes. Pierre suivait encore les usages des Juifs pour les choses extérieures, afin de ne pas choquer ceux au milieu desquels il vivait.

Madeleine. Mais puisque c’était le bon Dieu qui les lui envoyait et qui lui disait d’en manger, il me semble qu’il n’y avait plus d’inquiétude à avoir.

Grand’mère. Non, sans doute, mais saint Pierre craignit que ce ne fût une tentation du démon, et comme il avait une très-grande et humble méfiance de lui-même, il préféra s’en tenir à la loi, plutôt que de croire à une vision contraire à cette même loi, et dont il ne comprenait pas encore le sens ; et il aima mieux souffrir de la faim que déplaire au bon Dieu.

Pierre. Mais que signifie cette vision ?

Grand’mère. Elle signifie d’abord, que la loi ancienne étant abolie, il ne fallait plus avoir égard à ces défenses que le bon Dieu lui-même détruisait ; elle signifiait surtout pour saint Pierre que les païens qu’il était défendu jadis aux Juifs de fréquenter, ayant été comme les Juifs rachetés de la puissance du démon par le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, devaient être instruits et considérés autant que les Juifs, par tous les Chrétiens et par les hommes que Notre-Seigneur avait chargés de faire connaître la vérité. De même qu’à l’avenir les hommes pouvaient manger toutes les bêtes considérées jusqu’alors comme immondes, de même cela signifiait que saint Pierre et les Apôtres, que le chef et les ministres de l’Église, devaient prêcher Jésus-Christ aux païens comme aux Juifs, afin de réunir les deux peuples en un seul, qui serait le peuple chrétien.

Louis. Quelles bêtes a vues saint Pierre ?

Grand’mère. Des pourceaux, des boucs, des lièvres, des lapins, des chiens, des chats, des serpents, des anguilles, des lézards, des grenouilles, des corbeaux, et d’autres bêtes qu’il serait trop long de nommer et dont j’oublie une partie, je dois l’avouer.