LII

SAINT PAUL DEVANT LE ROI AGRIPPA.
BELLE DÉFENSE DE SAINT PAUL.



Grand’mère. Quelques jours après, le Roi Agrippa et sa femme Bérénice arrivèrent à Césarée pour saluer Faustus.

Henri. Est-ce que Faustus était plus qu’Agrippa ? Il me semble pourtant qu’un Roi est plus qu’un gouverneur.

Grand’mère. Tu as parfaitement raison. Mais dans cette circonstance, il ne faut pas oublier que la Judée était un pays conquis par les Romains, que les rois de Judée n’étaient nommés qu’avec le consentement de l’Empereur romain. Ils étaient donc dans la dépendance de Rome, et le gouverneur, qui représentait César, pouvait leur nuire s’il le voulait et leur faire perdre leur couronne. Le roi Agrippa était donc bien aise de venir le saluer le premier pour flatter sa vanité.

Pendant la visite d’Agrippa, Faustus lui parla de Paul que Félix avait laissé en prison ; il raconta ce qu’il savait de l’acharnement des Juifs contre saint Paul, à cause de sa doctrine et d’un certain Jésus que les Juifs disaient mort, et que Paul soutenait être vivant ; il lui parla de son innocence qui lui semblait évidente et de son appel à César.

« Et moi aussi, dit Agrippa, je serais curieux d’entendre cet homme.

— Demain, dit Faustus, tu l’entendras. »

Henri. Comment Faustus ose-t-il tutoyer un roi ?

Grand’mère. D’abord ce roi était un roi Juif, presque dépendant de Faustus. Ensuite, il était d’usage dans les temps anciens que tout le monde se tutoyât. Maintenant on ne tutoie plus que des inférieurs ou des gens qu’on aime beaucoup. Faustus ne risquait pas de mécontenter Agrippa en le tutoyant, puisqu’Agrippa le tutoyait aussi.

Le jour suivant, Agrippa et Bérénice vinrent en grande pompe et entrèrent dans le prétoire où se faisaient les jugements du gouverneur ; les tribuns et les principaux de la ville étant rassemblés, Faustus donna ordre qu’on amenât le prisonnier Paul.

Faustus dit alors : « Roi Agrippa et vous tous ici présents, vous voyez cet homme au sujet duquel tout le peuple juif s’est ému et m’a interpellé à Jérusalem, criant qu’il devait mourir. Moi, j’ai reconnu qu’il n’avait rien fait qui méritât la mort ; mais lui, en ayant appelé à César, j’ai décidé de l’y envoyer.

« Ne pouvant rien écrire de certain à l’Empereur, je l’ai fait venir devant vous, et surtout devant toi, roi Agrippa, afin que, l’ayant entendu, vous me disiez ce que je dois écrire ; car il me semble déraisonnable d’envoyer à Rome un homme chargé de liens, sans savoir de quoi on l’accuse. »

Agrippa dit à Paul : « On te permet de parler pour ta défense.

« Alors Paul, étendant la main, commença à plaider sa sainte cause. Ce discours est magnifique. Il est au chapitre vingt-sixième des Actes des Apôtres.

Il raconta sa vie, sa haine et ses persécutions contre les Chrétiens, le martyre de saint Étienne, la vision sur la route de Damas, sa conversion miraculeuse, ses enseignements ; il parla des prophéties accomplies en la personne de Jésus-Christ, par sa vie, sa Passion, sa mort et sa Résurrection.

Faustus l’interrompit alors, en disant :

« Tu t’égares, Paul ; ta grande science te fait perdre le sens.

— Je ne m’égare pas, très-puissant Faustus, répondit Paul. Je dis des paroles de sagesse et de vérité. Le Roi devant lequel je parle hardiment, le sait ; car je pense qu’il n’ignore rien de ce que je dis, aucune de ces choses ne s’étant passées dans le mystère. Crois-tu aux Prophètes, Roi Agrippa ?… Je sais que tu y crois. »

Agrippa dit à Paul : « Peu s’en faut que tu ne me persuades d’être chrétien.

— Plût à Dieu, s’écria Paul, que non-seulement toi, mais tous ceux qui m’entendent aujourd’hui fussent tout à fait tel que je suis…, sauf ces chaînes !… » ajouta-t-il avec une admirable douceur.

Le Roi se leva ; le gouverneur, Bérénice et tous ceux qui étaient assis avec lui, se levèrent aussi. Et s’étant retirés, ils se parlaient et disaient : « Cet homme n’a rien fait qui mérite la mort ni les chaînes. »

Agrippa dit à Faustus : « On aurait pu le mettre en liberté, s’il n’en avait appelé à César. »