La Nuit (Gilkin)
AVIS AU PUBLIC
Cette Collection est réservée aux poètes d’expression française de tous les pays de l’univers. Il existe, en effet, des écrivains qui, en Belgique, en Hollande, en Suisse, au Canada, à la Louisiane, aussi bien que dans notre ancienne Alsace-Lorraine et dans nos Colonies, se servent de préférence de notre langue pour donner un vêtement de beauté à leur pensée. Par cela même, ces contrées constituent comme une extension intellectuelle de la Patrie française. Elles forment un territoire littéraire appartenant à la France et auquel Paris, capitale cérébrale, doit ouvrir le débouché de ses esprits.
Dans cette Collection nouvelle, ornée du portrait des auteurs, peuvent prendre place tous ceux qu’on voit mettre au-dessus des préoccupations politiques et des controverses sociales, le principe de l’art pour l’art, le culte de la forme, pure et sereine, et qui, tout en professant un amour profond pour leur nation d’origine, proclament se rattacher à la France par leur activité littéraire. Ce sont ses fils intellectuels.
Nous débutons par une belle œuvre de M. Iwan Gilkin. Né à Bruxelles en 1858, l’auteur de la Nuit est devenu un des maîtres de la poésie d’expression française en Belgique. Il appartient à la glorieuse lignée des Parnassiens. S’il procède de Baudelaire par l’âpreté de l’inspiration, il se rapproche des grands représentants de cette famille par l’éclat et la sûreté de la facture. Il a publié successivement les Stances dorées, la Damnation de l’artiste et les Ténèbres. C’est l’un des fondateurs et l’un des directeurs de la Jeune Belgique, importante revue littéraire qui, depuis dix-huit ans bientôt, livre le bon combat, au delà de nos frontières du nord, pour le maintien de nos traditions et la prépondérance de notre langue. Ce sont là des titres sérieux à notre gratitude.
Nous convions donc nos amis et nos concitoyens à l’entreprise que nous inaugurons sous ces brillants auspices. En acquérant les œuvres des poètes français de cette Collection, ils donneront, tout en faisant preuve d’une culture délicate, l’exemple du patriotisme le plus élevé et le plus habile.
AVERTISSEMENT
Le volume que l’on présente ici au public est la première partie d’une composition dont les divisions suivantes seront intitulées : L’Aube et La Lumière.
L’auteur l’avoue en tremblant : il tente d’accomplir sur un plan lyrique le sublime pèlerinage de l’Enfer, du Purgatoire et du Paradis. Toutefois ce n’est pas un voyageur qui erre dans ces mondes augustes et redoutables et qui décrit ce qu’il y voit, c’est un acteur multiple et passif, qui les trouve dans l’intérieur de son âme, qui souffre tour à tour tous les supplices de l’Enfer, qui pleurera toutes les larmes du Purgatoire, qui chantera toutes les béatitudes du Paradis.
Quelques personnes critiqueront, peut-être, le satanisme du présent ouvrage. L’auteur les prie de considérer qu’il a dû décrire l’Enfer avant le Ciel et qu’il ne pouvait prêter à l’abîme le langage des régions célestes. Que si on lui reproche d’avoir peint le Mal sous des couleurs attrayantes, il répondra que, privé de séductions, le Mal n’existerait pas. Mais il existe ; il fascine les âmes et les enlace dans ses replis comme un reptile aux écailles chatoyantes ; il les broie et les brûle comme un serpent de feu. Cependant, au milieu des pires ivresses, cette âme collective, que l’auteur fait parler, ne perd pas un instant la notion claire du bien et du mal ; elle appelle péché ce qui est péché, mensonge ce qui est mensonge ; prisonnière du mal, elle souffre, elle pleure, elle crie en attendant la délivrance.
Ici donc c’est l’Enfer. Vous qui voulez entrer, vous êtes avertis.