Messe d’orgueil (Gilkin)

La NuitLibrairie Fischbacher (Collection des poètes français de l’étranger) (p. 197-198).
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MESSE D’ORGUEIL



Les stupides viveurs, l’imbécile vulgaire,
Les cœurs toujours vaincus par les tentations
Répandent sur la table ou boivent à plein verre
Le vin grossier de leurs banales passions.

Comme un prêtre à l’autel, séparé de la foule,
Seul dans la solitude effrayante du chœur,
Dans la musique sainte et dans l’encens qui roule
Un torrent de parfums où défaille le cœur,

Tandis que dans la nef tout un peuple en prière
Attend en frémissant l’holocauste sanglant,
En mes vêtements blancs ruisselants de lumière.
De mes mains où flamboie un calice aveuglant,

J’élève vers le ciel le vin de mes souffrances,
Le sang divin de ma divine passion,
J’élève en frissonnant sur les foules immenses
Mon cœur qui se déchire en son oblation.

Peuple, prosterne-toi ! C’est l’heure où Dieu se crée.
Ferme les yeux de peur de voir l’Esprit de feu !
Ma bouche a prononcé la parole sacrée
Et voici que mon sang et ma chair se font Dieu.

Et tandis que le monde épouvanté devine
Un mystère effrayant qui glace tous les cœurs,
Seul je mange ma chair de victime divine
Et seul je bois le sang de mes vastes douleurs.