L’Habitude (Gilkin)

Pour les autres utilisations de ce mot ou de ce titre, voir L’Habitude.
La NuitLibrairie Fischbacher (Collection des poètes français de l’étranger) (p. 153-154).
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L’HABITUDE



Chez moi quand s’est-elle introduite,
L’Habitude au pas solennel,
Qui règle à présent ma conduite
Et m’impose son rituel ?

Ce fut comme une humble servante
Que je la pris dans ma maison :
Mégère sournoise et savante,
Elle en a chassé ma raison.

Son effroyable tyrannie
A séquestré ma liberté
Et change en honteuse manie
Tout ce qui fut ma volonté.

Elle me conduit par l’oreille
Au café traditionnel
Et choisit pour moi la bouteille
De rhum, d’absinthe ou de kummel.

Elle me ramène à la couche
Où, par d’identiques baisers,
Une quotidienne bouche
Tourmente en vain mes nerfs usés.

Chaque rose de ma pensée
Dans les ronces de mon travail
Sous son poing dur tombe cassée :
Mes vers ne sont que son bétail.

Vouée à la morne atrophie,
Ma cervelle est un polypier
Qui, fleur à fleur, se pétrifie
Sous l’eau lourde de son vivier.

Et dans la ville où je m’échine
À vivre, à dormir, à manger,
Je ne suis plus qu’une machine
Aux mains d’un pouvoir étranger.