Hermaphrodite (Gilkin)

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La NuitLibrairie Fischbacher (Collection des poètes français de l’étranger) (p. 241-245).
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HERMAPHRODITE



Il dort, nu, rose et pur comme une fleur divine,
L’être mystérieux des rêves d’autrefois ;
Couché dans l’herbe comme un rameau d’églantine,
Il dort dans la clairière en fleurs au fond des bois.

Son bras est replié sous sa tête charmante ;
Sur son corps délicat les regards du soleil
Attardent longuement leur caresse dormante
Et glissent en tremblant de la nuque à l’orteil.

Près du jeune dormeur, avec de doux murmures,
Un ruisseau transparent court dans les gazons frais
À l’ombre des figuiers chargés de figues mûres
Et fuit dans les iris vers les sombres forêts.

Des lis roses, des lis faits de chairs amoureuses,
Tels qu’une joue en feu sous le feu des baisers,
Ouvrent pudiquement leurs corolles heureuses
À l’insecte qui boit leurs parfums framboises.

Mais ni le clair babil de l’onde ni l’abeille
Bourdonnant dans l’air tiède où la brise a frémi,
Ni les parfums ni la lumière, rien n’éveille
Le bel Hermaphrodite en son rêve endormi.

Doux être, éveille-toi ! Soulève tes paupières !
Tourne-toi vers l’amour qui s’approche de toi !
Pour tes charmes l’amour enflammerait les pierres,
Pour ton amour l’amour oubliera toute loi.

L’amour ? Ah ! deux amours luttent dans ta poitrine
Chaque fois que ton souffle en gonfle la beauté ;
Mais, tout en combattant, dans leur ardeur divine
Ils s’embrassent l’un l’autre, ivres de volupté.

Quel prodige a fondu dans ta double nature
La force féminine et la mâle douceur ?
Lorsque le blond soleil baise ta chevelure,
Apollon te prend-il pour son frère ou sa sœur ?

Les dieux ont marié dans ta chair sans pareille
La colombe au ramier, la rose avec le lis,
La candeur de la vierge et la grâce vermeille
Des fiers adolescents par l’amour embellis.

Ta main cherche à brandir le mâle acier d’un glaive,
Mais tes doigts allongés réclament des anneaux.
Quand ta gorge d’éphèbe en riant se soulève,
Elle fait palpiter deux globes virginaux.

Sous ton ventre viril, ta cuisse ferme et blanche
Vers ton genou poli s’arrondit mollement.
Vénus même apparaît dans ta croupe et ta hanche,
Mais tes reins plus nerveux lui donnent un amant.

Si la fleur du désir s’entr’ouvre sur ta bouche,
Vers quel sexe s’en vont tes rêves inconnus ?
Tes bras étreindront-ils sur les fleurs de ta couche
Une femme pâmée ou des jeunes gens nus ?

Quels baisers leur faut-il à ces humides lèvres ?
Des baisers longs et mous qui fondent en suçon ?
Des baisers à manger dans la fureur des fièvres ?
Des baisers de fillette ou de jeune garçon ?

Douce énigme de chair ! Ensorcelant problème
Qu’aux sens inquiets pose un sphynx voluptueux !
De honte et de frayeur tremble quiconque t’aime
Et quiconque t’a vu brûle de mille feux.

Femmes et jeunes gens en frémissant t’admirent,
Enviant les beautés de ton corps surhumain ;
Pâles, les yeux baissés, ils pleurent, ils soupirent,
Sur leur cœur affolé pressant parfois la main.

Quelles sont, disent-ils, les belles immortelles
Dont la grâce parfaite égale ces splendeurs ?
Quel jeune dieu, lumière et printemps, disent-elles,
Mêle à tant de fraîcheur d’aussi tendres ardeurs ?

Ah ! boire éperdument sur une même bouche
Les baisers d’Aphrodite avec ceux d’Adonis,
Et dans un même corps à nul amour farouche
Trouver en frissonnant tous les péchés unis !

Pour toi le Docteur Faust eût quitté Marguerite ;
Aux jardins de Téos le vieil Anacréon
Eût délaissé Bathylle ; et Sapho dans leur fuite
N’eût plus voulu poursuivre Erinna ni Phaon.

La terre sous tes pieds léchés de pâles flammes
Tremble et toutes les fleurs se meurent sous tes pas ;
Et l’homme n’étreint plus les femmes, et les femmes
Sur leurs jeunes amants ne ferment plus leurs bras.

Ô dernier idéal des races vieillissantes,
Mortel révélateur des suprêmes beautés,
Dans les poisons versés par tes mains caressantes
Tes yeux ont vu mourir les antiques cités.

Et voici que tu viens à nous et que tu poses
Sur nos autels tes pieds qui font pâlir le jour ;
Et nos poètes dans l’encens et dans les roses
T’offrent leurs chants de gloire et leurs hymnes d’amour.

Doux Être, accorde-nous tes plus douces caresses !
Vois-tu ? Nous nous traînons à tes genoux vainqueurs,
Tandis que tes baisers dans leurs molles ivresses
Recueillent les derniers battements de nos cœurs.