Châtiment (Gilkin)

La NuitLibrairie Fischbacher (Collection des poètes français de l’étranger) (p. 76-77).




CHÂTIMENT



Mes yeux tristes, mes yeux coupables,
Mes yeux qui violaient les yeux
Et sondaient les reins impalpables
De leurs longs regards vicieux ;

Mes yeux, ô convives sans joie
Des soirs où les toasts libertins
Font lever les jupes de soie
Au rire des flambeaux éteints ;

Mes yeux, lents visiteurs des salles
De la morgue, amis du grabat
Où, sous les couvertures sales,
La mort du pauvre se débat ;

Mes yeux, fiers des secrets farouches
Qu’ils tiraient des cœurs ténébreux
Malgré le mutisme des bouches ;
Mes yeux savants et malheureux,

Mes yeux, mélancoliques urnes,
Pleines de pleurs et de péchés,
L’archange des terreurs nocturnes
Les a méchamment arrachés ;

Et, dans les lugubres ténèbres,
Gonflés, monstrueux et pareils
À d’énormes lunes funèbres
Qui ne verront plus les soleils,

De ses mains jamais assoupies
Il les fouette, l’ange irrité,
— Ô pâles, souffrantes toupies,
Où tournent pour l’éternité

La fuite errante des nuages,
Le regret des étoiles d’or,
Et, — loin des calmes paysages
Où le cœur fatigué s’endort, —

Le désespoir des chairs fleuries,
Des chairs, ah ! trop avidement,
Trop douloureusement chéries
Dans leur extase et leur tourment !