Le Pressoir (Gilkin)

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La NuitLibrairie Fischbacher (Collection des poètes français de l’étranger) (p. 162-163).
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LE PRESSOIR



Ma vigne au raisin noir mûrit sur une roche
Où les soleils salés et le vent de la mer
Cuisent, afin d’élire un vin seul sans reproche,
Ses beaux fruits monstrueux gonflés d’un suc amer.

Grain à grain j’ai cueilli maintes grappes farouches
Au jus essentiel, couleur d’encre et de soir,
Que j’écrase, à genoux, pour de royales bouches,
Méticuleux et lent, dans mon puissant pressoir.

Hélas ! de tous côtés les gouttes précieuses
Jaillissent et voilà que d’avides voleurs,
Les captivant dans leurs bouteilles spécieuses,
Les étendent d’eau claire et de lâches pâleurs.

Puis ils vont débiter à la foule stupide,
Qui pense se saouler du sang frais du soleil,
Ce clairet coloré d’un reflet insipide
Comme un vin de velours flamboyant et vermeil,

Tandis qu’obscurément, en ses flacons funèbres,
Au fond du caveau froid, méphitique et nitreux,
Sommeille dans l’effroi la liqueur des ténèbres,
— Ô future vigueur des cerveaux dangereux !