La Chimère (Gilkin)

Pour les autres utilisations de ce mot ou de ce titre, voir La Chimère.
La NuitLibrairie Fischbacher (Collection des poètes français de l’étranger) (p. 174-175).




LA CHIMÈRE



Nulle herbe sur le sol ; nul oiseau dans le ciel ;
Entre les rouges rocs de la gorge terrible
Où souffle, acre et brûlant un simoun éternel,
Seul, le sable en feu coule ainsi qu’un fleuve horrible.

La flamme du soleil a calciné l’azur.
L’air est tout poudroyant de cendre et de poussière.
Mais la roche écarlate est comme un corail dur
Qui sur ses flancs polis fait saigner la lumière.

Sous les blocs sombres s’ouvre un gouffre ténébreux,
Porche noir des flots noirs de la nuit souterraine ;
Des rugissements sourds et des chants amoureux
Y font naître et mourir une rumeur lointaine.

C’est là qu’aux soirs maudits appelé par l’enfer,
Je vais, dans la terreur des tortueux abîmes,
Abreuver de mon sang et nourrir de ma chair
L’épouvantable monstre enfanté par mes crimes.

Le corps squammeux entr’ouvre au fond de sa prison
Une âpre gueule rouge où mille dards phalliques
Mêlent hideusement leur bave et leur poison ;
Des yeux saignants il pleut des larmes faméliques.

Et tu n’es point venu de l’azur chaste et clair,
Ô purificateur des cavernes profondes,
Jeune homme éblouissant, lumière faite chair,
Beau saint Georges, tueur des chimères immondes !