Les Adieux de Sapho (Gilkin)

La NuitLibrairie Fischbacher (Collection des poètes français de l’étranger) (p. 58-59).
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LES ADIEUX DE SAPHO


D’après Swinburne.


L’Amour frôlera-t-il encor ces lèvres molles
Que frôleront bientôt les lèvres de la Mort ?
Reste !… ou pars, si tu veux !… Mes lèvres étaient folles.
Aime où tu voudras, vis ta vie et suis ton sort !

Éloigne-toi !… Mais tes cheveux, tes yeux, ta bouche
Nourrissent mes désirs et calment mes douleurs.
Avant de me quitter, si le passé te touche,
Un plein baiser ! Tes yeux ne verront point mes pleurs.

Qu’importe que les doigts des filles étrangères,
Comme jadis les miens, passent dans tes cheveux ?
Ou sur ta bouche en feu que leurs lèvres légères
Mêlent, comme j’ai fait, leurs baisers et leurs vœux ?

Ô mon amante, fuis ou demeure, qu’importe ?
Avant tous ces amours le mien sut te lier,
Et, la nuit ou le jour, soit vivante, soit morte,
Seule, avec toi, sans toi, je ne puis oublier.

Notre amour fut trop doux pour que je me lamente.
Je te souris encore et cependant je meurs.
Quels que soient désormais ou l’amant ou l’amante
Qui cueille tes baisers comme de rouges fleurs,

Mords de tes pâles dents d’autres lèvres qui saignent,
Suce fiévreusement des seins plus savoureux,
Que d’autres bras plus doux te bercent ou t’étreignent,
Tu n’en trouveras pas qui soient plus amoureux !