La NuitLibrairie Fischbacher (Collection des poètes français de l’étranger) (p. 224-225).




LE MARTYR


À Francis de Croisset.


Lié brutalement au tronc noir d’un vieil arbre
Et laissant le sang frais rougir ses membres blancs,
Le fier jeune homme, nu, beau comme un dieu de marbre,
Aux flèches des bourreaux offre ses jeunes flancs.

Mais leurs regards troublés craignent son regard tendre
Et le rayonnement de sa chaste beauté.
Et, tremblants, ils voudraient fuir plutôt que d’entendre
Sa caressante voix braver leur cruauté :

« Pourquoi me frappez-vous ? Ma vie est innocente,
« Mon cœur adolescent n’est gonflé que d’amour ;
« Mon esprit pur et doux et ma chair frémissante
« Ne cherchaient qu’à fleurir à la grâce du jour.

« Ne baissez point les yeux ! Vous m’aimez ; je vous aime.
« Mon sang coule et pourtant j’ai cessé de souffrir :
« Il inonde ma chair d’un bien-être suprême
« Et je sens tout mon cœur se fondre et défaillir.

« Que le ciel est brillant ! Que la terre est splendide !
« Quels parfums caressants voltigent dans les airs !
« La brise fait vibrer une clarté candide ;
« La lumière ruisselle et dissout l’univers.

« Le monde entier n’est plus qu’une aveuglante flamme,
« Elle brûle mes yeux, ivres de volupté,
« Elle coule en mon corps… elle envahit mon âme…
« Ô Mort !… suprême extase !… éternelle clarté ! »

— Mais les jeunes bourreaux, que ce spectacle étonne,
Sentent sourdre en leur trouble un plaisir douloureux,
Car la beauté du sang qui jaillit et bouillonne
Suscite étrangement des frissons amoureux.