Les plantes insectivores/Texte entier

Traduction par Edmond Barbier.
Précédé d’une Introduction biographique et augmenté de notes complémentaires par Charles Martins
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Texte établi par Francis Darwin Voir et modifier les données sur WikidataParis : C. Reinwald et C.ie, libreires-éditeurs, 15, rue des Saints-Pères, D. Appleton & Company Voir et modifier les données sur Wikidata (p. couv.-539).

LES
PLANTES INSECTIVORES
PAR
CHARLES DARWIN
OUVRAGE TRADUIT DE L’ANGLAIS
PAR ED. BARBIER
Précédé d’une Introduction biographique
ET AUGMENTÉ DE NOTES COMPLÉMENTAIRES
PAR CHARLES MARTINS
Professeur d’Histoire naturelle à la Faculté de médecine de Montpellier
Correspondant de l’Institut

AVEC TRENTE FIGURES DANS LE TEXTE

PARIS
C. REINWALD ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS
15, rue des saints-pères, 15

1877
Tous droits réservés

TABLE DES MATIÈRES


Pages.
Nombre des insectes capturés. — Description des feuilles ; leurs appendices ou tentacules. — Remarques préliminaires sur l’action des divers organes et sur le mode de capture des insectes. — Durée de l’inflexion des tentacules. — Nature de la sécrétion. — Procédé par lequel les insectes sont amenés au centre de la feuille. — Preuve que les glandes ont une puissance d’absorption. — Petitesse des racines.
Inflexion des tentacules extérieurs lorsque l’on excite les glandes du disque par des attouchements répétés ou qu’on laisse les objets en contact avec elles. — Différence de l’action des corps selon qu’ils contiennent ou non des matières azotées solubles. — Inflexion des tentacules extérieurs causée directement par des objets mis en contact avec leurs glandes. — Période du commencement de l’inflexion et du redressement subséquent. — Extrême petitesse des particules qui suffisent pour provoquer une inflexion. — Action sous l’eau. — Inflexion des tentacules extérieurs quand on excite leurs glandes par des attouchements répétés. — Les gouttes de pluie ne provoquent pas l’inflexion.
Nature du contenu des cellules avant l’agrégation. — Différentes causes qui excitent l’agrégation. — Cette agrégation commence à l’intérieur des glandes et se propage le long des tentacules. — Description des masses agrégées et de leurs mouvements spontanés. — Courants de protoplasma le long des parois des cellules. — Action du carbonate d’ammoniaque. — Les granules du protoplasma qui circulent le long des parois se confondent avec les masses centrales. — Une quantité extrêmement petite de carbonate d’ammoniaque suffit pour déterminer l’agrégation. — Action des autres sels d’ammoniaque. — Action d’autres substances, de liqueurs organiques, etc. — Action de l’eau, de la chaleur. — Redissolution des masses agrégées. — Causes immédiates de l’agrégation du protoplasma. — Résumé et conclusions. — Observations supplémentaires sur l’agrégation dans les racines des plantes.
Nature des expériences. — Effets de l’eau bouillante. — L’eau tiède provoque une inflexion rapide. — L’eau portée à une température plus élevée ne provoque pas une inflexion immédiate, mais ne tue pas les feuilles, ce que prouvent leur redressement subséquent et l’agrégation du protoplasma. — Une température encore plus élevée tue les feuilles et fait coaguler les parties albumineuses des glandes.
Liquides non azotés. — Solutions de gomme arabique, de sucre, d’amidon, d’alcool étendu, d’huile d’olive. — Infusion et décoction de thé. — Liquides azotés. — Lait. — Urine, albumine liquide. — Infusion de viande crue. — Mucosités impures. — Salive. — Solution de colle de poisson. — Différence de l’action exercée par ces deux séries de liquides. — Décoction de pois verts. — Décoction et infusion de brins d’herbe.
L’excitation directe ou indirecte des glandes rend la sécrétion acide. — Nature de l’acide. — Substances digestibles. — Albumine ; les alcalis arrêtent la digestion ; l’addition d’un acide la fait recommencer. — Viande. — Fibrine. — Syntonine. — Tissu aréolaire. — Cartilages. — Fibro-cartilage. — Os. — Émail et dentine. — Phosphate de chaux. — Base fibreuse des os. — Gélatine. — Chondrine. — Lait, caséine et fromage. — Gluten. — Légumine. — Pollen. — Globuline. — Hématine. — Substances indigestes — Productions épidermiques. — Tissu fibro-élastique. — Mucine. — Pepsine. — Urée. — Chitine. — Cellulose. — Fulmi-coton. — Chlorophylle. — Graisses et huiles. — Amidon. — Action de la sécrétion sur les graines vivantes. — Résumé et conclusions.
Manière dont ont été faites les expériences. — Action de l’eau distillée comparativement à l’action des solutions. — Les racines absorbent le carbonate d’ammoniaque. — Les glandes absorbent la vapeur d’une solution de carbonate. — Gouttes sur le disque. — Gouttes microscopiques appliquées à des glandes séparées. — Feuilles plongées dans des solutions faibles. — Petitesse de la dose qui provoque l’agrégation du protoplasma. — Azotate d’ammoniaque ; expériences analogues faites avec des solutions de ce sel. — Phosphate d’ammoniaque ; expériences analogues. — Autres sels d’ammoniaque. — Résumé et conclusions sur l’action des sels d’ammoniaque.
Sels de soude, de potasse et autres sels alcalins, terreux et métalliques. — Résumé de l’action produite par ces sels. — Acides divers. — Résumé de leur action.
Sels de strychnine. — Le sulfate de quinine n’arrête pas rapidement les mouvements du protoplasma. — Autres sels de quinine. — Digitaline. — Nicotine. — Atropine. — Vératrine. — Colchicine. — Théine. — Curare. — Morphine. — Hyoscyamine. — Le poison du Cobra capello semble accélérer les mouvements du protoplasma. — Le camphre est un stimulant puissant. — Sa vapeur agit comme narcotique. — Certaines huiles essentielles provoquent l’inflexion. — Glycérine. — L’eau et certaines solutions retardent ou empêchent l’action subséquente du phosphate d’ammoniaque. — L’alcool est inoffensif ; la valeur d’alcool agit comme narcotique et comme poison. — Chloroforme, Éther sulfurique et Éther azotique ; leur propriété stimulante, vénéneuse et narcotique. — L’acide carbonique est un narcotique, mais il n’agit pas comme poison rapide. — Conclusions.
Les glandes et le sommet des tentacules sont seuls sensibles. — Propagation de l’impulsion dans les pedicelles des tentacules et à travers le limbe de la feuille. — Agrégation du protoplasma ; c’est une action réflexe. — La première décharge de l’impulsion est soudaine. — Direction des mouvements des tentacules. — L’impulsion motrice se propage à travers le tissu cellulaire. — Mécanisme des mouvements. — Nature de l’impulsion motrice. — Redressement des tentacules.
Drosera anglica. — Drosera intermedia. — Drosera capensis. — Drosera spathulata. — Drosera filiformis. — Drosera binata. — Conclusions.
Structure des feuilles. — Sensibilité des filaments. — Mouvement rapide des lobes causé par l’irritation des filaments. — Les glandes, leur faculté de sécrétion. — Mouvements lents causés par l’absorption de matières animales. — Preuves de l’absorption tirées de l’agrégation dans les glandes. — Puissance digestive de la sécrétion. — Action du chloroforme, de l’éther et de l’acide cyanhydrique. — Mode de capture des insectes. — Utilité des poils marginaux. — Nature des insectes capturés. — Transmission de l’impulsion motrice et mécanisme des mouvements. — Redressement des lobes.
Capture des crustacés. — Conformation de ses feuilles comparativement à celles de la Dionée. — Absorption par les glandes, par les processus quadrifides et par des pointes sur les bords repliés. — Aldrovandia vesiculosa, var. australis. — Capture de certaines proies. — Absorption des matières animales. — Aldrovandia vesiculosa, variété verticillata. — Conclusions.
Drosophyllum. — Structure des feuilles. — Nature de la sécrétion. — Mode de capture des insectes. — Faculté d’absorption. — Digestion des substances animales. — Résumé sur le Drosophyllum. Roridula. — Byblis. — Poils glanduleux d’autres plantes ; leur faculté d’absorption. — Saxifrages. — Primula. — Pelargonium. — Erica. — Mirabilis. — Nicotiana. — Résumé sur les poils glanduleux. — Remarques finales sur les Droséracées
Pinguicula vulgaris. — Conformation des feuilles. — Nombre des insectes et des autres objets capturés. — Mouvement des bords des feuilles. — Utilité de ce mouvement — Sécrétion, digestion et absorption. — Action de la sécrétion sur diverses matières animales et végétales. — Effets sur les glandes des matières qui ne contiennent pas de substances azotées solubles. — Pinguicula grandiflora. — Pinguicula lusitanica, capture des insectes. — Mouvement des feuilles, sécrétion et digestion
Utricularia neglecta. — Conformation de la vessie. — Destination des différentes parties. — Nombre des animaux emprisonnés. — Mode de capture. — Les vessies ne peuvent pas digérer les matières animales, mais elles absorbent les produits de leur décomposition. — Expériences sur l’absorption de certains liquides par les processus quadrifides. — Absorption par les glandes. — Résumé des observations sur l’absorption. — Développement des vessies. — Utricularia vulgaris. — Utricularia minor. — Utricularia clandestina.
Utricularia mentana. — Description des vessies qui se trouvent sur les rhizomes souterrains. — Insectes capturés par les vessies des plantes à l’état cultivé et à l’état sauvage. — Absorption par les processus quadrifides et par les glandes. — Tubercules servant de réservoir pour l’eau. — Diverses autres espèces d’Utricularia. — Polypompholyx. — Genlisca ; nature différente de la trappe pour capturer les insectes. — Modes divers d’alimentation des plantes
FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.

INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE.



Les grands naturalistes se distinguent de la foule des savants estimables voués à l’étude des êtres organisés par un ensemble de qualités qui, toujours isolées et incomplètes chez le plus grand nombre, se trouvent réunies et concentrées dans le génie de ces grands hommes. Le talent d’observation, l’absence d’idées préconçues, la méfiance de soi-même, la patience, la sincérité, caractérisent le naturaliste ordinaire : les grandes vues, l’esprit de comparaison et de généralisation, le pouvoir de se dégager des conceptions dogmatiques antérieures, l’application de nouvelles méthodes d’investigation, lui font défaut ; ses travaux agrandissent les domaines de la Zoologie, de la Botanique ou de la Paléontologie, mais ils n’embrassent pas l’ensemble des êtres organisés et ne modifient en rien la philosophie de la science. Les heureux novateurs dont la mémoire se rattache à l’inauguration des grandes phases que l’histoire naturelle a traversées, résumaient au contraire en eux toutes les qualités dont la combinaison est seule capable de la transformer. Tels furent Aristote, Linnée, Lamarck, Cuvier, les Jussieu, Robert Brown, Jean Müller et Alexandre de Humboldt. Tous se montrèrent à la fois des observateurs exacts et de hardis généralisateurs, tous découvrirent et signalèrent des horizons lointains, à peine entrevus par leurs prédécesseurs.

Charles Darwin appartient à cette noble famille, et l’ère féconde dans laquelle entre l’histoire naturelle, préparée par Lamarck, Goethe, Geoffroy Saint-Hilaire, de Baer et Agassiz, porte et portera désormais son nom. L’idée d’évolution a éclairé la Zoologie, la Botanique, la Paléontologie et l’Embryologie d’un jour nouveau ; elle les a élevées du rang de sciences purement descriptives à celui de sciences dans laquelle l’observation et l’expérience sont fécondées par le raisonnement. Les ouvrages de M. Darwin portent cette double empreinte : tous sont des modèles d’observation attentive, minutieuse, d’expérimentation habile et patiente, de déductions sobres et rigoureuses ; tels sont, en Botanique : le livre sur la fécondation des Orchidées, les recherches sur les formes et les relations sexuelles des Linum, des Lythrum et des Primula, le volume sur les mouvements et les habitudes des plantes grimpantes, celui sur les fécondations croisées et enfin le présent ouvrage dont les végétaux insectivores sont l’objet. Il n’en est aucun, où l’auteur ait déployé plus de persévérance, de suite et de finesse d’observation pour analyser les phénomènes de mouvement et d’absorption des plantes carnivores. Un nombre considérable d’expériences instituées avec méthode comme celles des physiciens et des chimistes, se contrôlant réciproquement et répétées des centaines de fois, lui ont permis d’apprécier numériquement l’action des agents physiques et celle de doses infinitésimales d’une foule de substances azotées sur les organes impressionnables de ces végétaux. La capture et l’absorption de petits animaux vivants et de ces substances ont été mises hors de doute, par M. Clark (Journal of Botany, septembre 1875). Cet observateur a fait macérer des mouches dans une solution de citrate de lithium dont le spectre présente des raies très-caractéristiques. Il plaçait ces mouches sur des feuilles de Drosera et de Pinguicula, et examinait ensuite au spectroscope les tissus de la feuille. Toujours ils ont donné des signes de la présence du lithium. M. Ed. Morren a achevé la démonstration en montrant (note, p. 423) que la digestion végétale et la digestion animale sont des opérations chimiques analogues par lesquelles les substances alimentaires sont assimilées à l’économie.

La question du rôle utile et profitable à la plante de ces substances animales absorbées par les feuilles n’en reste pas moins indécise : elle doit être élucidée par des expériences subséquentes, celles publiées jusqu’ici étant contradictoires ou peu décisives. La solution de cette partie du problème incombe donc aux Botanistes et aux Chimistes qui compléteront ces recherches en suivant les méthodes inaugurées par l’auteur.

Les expériences contradictoires faites jusqu’ici soulèvent d’ailleurs une question préjudicielle. Tout le monde convient aujourd’hui qu’on observe chez les végétaux comme chez les animaux des organes rudimentaires et inutiles à l’être organisé qui les possède. On est, par conséquent, en droit de se demander s’il n’existe pas des fonctions dans le même cas ; si ces captures d’insectes, la dissolution et l’absorption de leurs parties molles par les feuilles de la plante ne seraient pas un mode d’assimilation sinon anormal, du moins accidentel, comparable à l’absorption de substances actives par la peau chez les animaux supérieurs. On peut écartant toute idée de finalité, aller encore plus loin ; en effet, cette absorption de matériaux qui, d’après certains observateurs, ne contribuent en rien à l’alimentation du végétal, ne serait-elle pas l’ébauche d’une fonction sans profit pour lui, mais qui déjà dans les animaux inférieurs les plus rapprochés des végétaux immobiles comme eux, tels que les Polypes, les Coraux, les Actinies, devient la fonction nutritive principale. Nulle chez les végétaux qui absorbent par leurs racines l’eau chargée de principes nutritifs et par leurs feuilles les gaz qui composent l’air atmosphérique, cette fonction devient le principal et le seul mode de nutrition chez les animaux inférieurs fixés sur des pierres, dépourvus de racines absorbantes, mais qui capturent aussi des animalcules vivants au moyen de tentacules mobiles, les digèrent, les absorbent, se les assimilent et s’en nourrissent exclusivement. L’avenir décidera cette question.

Jetons un rapide coup d’œil sur les publications de M. Darwin, pour montrer par quels travaux aussi nombreux que variés il s’était préparé aux grandes généralisations qui ont illustré son nom.

En Zoologie, les ouvrages spéciaux et descriptifs de M. Darwin sont la Monographie des Cirripèdes vivants et fossiles, l’Anatomie du Sagitta et la Description de quelques Planariées terrestres ou marines. En Géologie, je citerai le volume sur la structure et la distribution des récifs coralliens, les observations sur les îles volcaniques, les îles Falkland, les terrasses parallèles de Glen-Roy en Écosse, la distribution des blocs erratiques dans l’Amérique du Sud, la géologie de ce continent, l’origine des dépôts salifères de la Patagonie., etc., etc. Quoique tous ces ouvrages renferment les vues générales qui s’imposent nécessairement à un esprit supérieur embrassant les trois branches de l’histoire naturelle, ils sont néanmoins le résultat de travaux dont l’observation est le caractère dominant, mais qui n’auraient pas profondément modifié la philosophie des sciences de la nature. Ceux qui ont amené les progrès et la transformation dont nous sommes témoins sont les ouvrages sur l’Origine des espèces, sur les Variations des végétaux et des animaux sous l’influence de la domestication, sur la Descendance de l’homme et sur l’Expression des émotions : ils ont eu pour résultat de détruire ou de modifier les anciennes idées sur la création, la succession, les affinités des êtres organisés, la notion de l’espèce, du genre et de la famille, en Zoologie comme en Botanique.

M. Darwin ayant bien voulu m’autoriser à faire précéder son ouvrage d’une notice biographique et à le compléter de notes additionnelles résumant les principales observations faites sur les plantes insectivores depuis la publication de son ouvrage en anglais, je vais essayer de répondre à la confiance de l’auteur en lui consacrant une courte notice biographique. Les notes signées Ch. M., qu’on trouvera dans le cours du texte, contiennent l’analyse de toutes les recherches sur les plantes carnivores qui sont venues à ma connaissance. Les lacunes qu’elles peuvent présenter tiennent à l’impossibilité où je me trouvais d’être informé de tout ce qui a été publié sur ce sujet, non d’une omission volontaire. Quant aux critiques vagues résultant d’idées préconçues ou de préjugés religieux, elles ne m’ont pas paru devoir être mentionnées, la recherche scientifique basée sur l’observation et l’expérience ayant seule droit à l’attention du public compétent.

Voici la biographie de l’auteur telle qu’elle a paru dans le journal anglais Nature, du 4 juin 1874, avec le consentement de M. Darwin, qui a bien voulu me l’envoyer comme étant le récit abrégé, mais exact, de sa laborieuse vie.

Charles-Robert Darwin naquit à Shrewsbury, le 12 février 1809. Il est le fils du Dr Robert Waring Darwin, membre de la Société royale, et petit-fils du Dr Erasmus Darwin, également membre de la Société royale et auteur de la Zoonomia, ou lois de la vie organique, du Jardin botanique, poëme en deux chants, et de la Phytologie, ou philosophie de l’agriculture et de l’horticulture. Du côté de sa mère il est petit-fils du célèbre fabricant de faïences Josiah Wedgwood. Charles Darwin fut élevé à Shrewsbury dans une école dirigée par le Dr Butler depuis évêque de Lichfield. Dans l’hiver de 1825, il se rendit comme étudiant à l’université d’Édimbourg ; il y resta deux ans, s’appliqua à l’étude des animaux marins et lut à la Société Plinienne deux courtes notes sur les mouvements des œufs des Flustres. D’Édimbourg, M. Darwin se rendit au Christ-college de Cambridge où il obtint le grade de bachelier ès arts, en 1831. Dans l’automne de la même année le capitaine Fitzroy ayant offert de céder la moitié de sa cabine à un naturaliste qui voudrait raccompagner dans un voyage autour du monde, M. Darwin se présenta comme volontaire sans accepter aucune indemnité, mais à la condition de rester le maître de ses collections, dont il a disposé depuis en faveur de plusieurs établissements publics. Le Beagle, c’était le nom du navire, quitta l’Angleterre le 27 décembre 1831, et revint le 22 octobre 1836, après avoir accompli son voyage de circumnavigation.

M. Darwin épousa sa cousine, Marie Wedgwood, au commencement de 1839, et, depuis 1842, il habite Down-Beckenham, dans le canton de Kent dont il est l’un des magistrats. La Société royale lui accorda en 1853 la médaille royale et en 1864 celle de Copley. En 1859, la Société géologique de Londres lui décerna la médaille de Wollaston ; il est membre honoraire de plusieurs sociétés savantes étrangères et chevalier de l’ordre prussien du Mérite.

Depuis son retour de l’Amérique du Sud sur le Beagle, la vie de M. Darwin a été sans événements ; les seuls notables ont été la publication de ses ouvrages et de ses mémoires, beaucoup plus nombreux qu’on ne le suppose généralement ; en voici la liste complète :

PUBLICATIONS DE M. CH. DARWIN.

OUVRAGES GÉNÉRAUX.


A Naturalist’s Voyage round the world on board of H. M. S. Beagle, traduit en français par M. Edmond Barbier, sous le titre : Voyage d’un naturaliste autour du monde, de 1831 à 1836. Paris, 1875.

Journal of researches into the natural history and geology of countries visited by H. M. S. Beagle 1845. — Journal de recherches d’histoire naturelle et de géologie dans les contrées visitées par le Beagle.

The Variation of plants and animals under domestication, 2 vol., 1858. — De la variation des animaux et des plantes sous l’action de la domestication, traduction par J.-J. Moulinié, avec préface de Carl Vogt, 1868.

On the origin of species by means of the natural selection, 1 vol., 1859. — L’origine des espèces par la sélection naturelle, traduite en français sur la 6e édition anglaise par M. Ed. Barbier, 1876.

On the variation of organic beings in a state of nature (Journal of the Linnæan Society, t. III, Zoology, 1859, p. 46). — Sur les variations des êtres organisés dans l’état de nature (Journal de la Société Linnéenne, 1859).

The Descent of man and selection in relation to sex, 2 vol., 1871. — La Descendance de l’homme et la sélection sexuelle, traduction par J.-J. Moulinié avec préface de Carl Vogt, 2e édition, revue par M. Edmond Barbier, 1874.

The Expression of the emotions in man and animals, 1 vol. 1871. — L’Expression des émotions chez l’homme et les animaux. Traduction par Samuel Pozzi et René Benoît. Paris, 1874.

ZOOLOGIE.


The Zoology of the voyage of H. M. S. Beagle edited and superintended by Ch. Darwin, 1840, consisting in five parts. — La Zoologie du voyage du Beagle, éditée et dirigée par Ch. Darwin, 1840.

Observations on the structure of the genus Sagitta. Ann. nat. hist., vol. XIII, 1844. — Observations sur l’anatomie du genre Sagitta. Annales d’histoire naturelle, t. XIII.

Brief Description of several terrestrial Planariœ and of some marine species. Ann. nat. hist., vol. XIV, 1844. — Description abrégée de quelques Planariées terrestres et marines. Ann. d’hist. naturelle, t. XIV, p. 241.

A Monograph of the Cirripedia. Part. I, Lepadidœ Ray. Soc., 1851, pp. 400. — Monographie des Cirrhipèdes. 1re Partie, Lepadidœ, publiée par la Société de Ray.

A Monograph of the Cirripedia. Part, ii, Balanidœ, 1854, p. 684. — Monographie des Cirrhipèdes, Balanidœ, publiée par la Société de Ray.

A Monograph of the fossil Lepadidœ. Pal. Society, 1851, pp. 86. — Monographie des Lepadidées fossiles, publiée par la Société paléontologique.

Monograph of the fossil Balanidœ and Verrucidœ. Pal. Soc, 1854, pp. 44. — Monographie des Balanides et des Verrucides fossiles, publiée par la Société paléontologique, 44 pages.

BOTANIQUE.


On the action of sea-water on the germination of seeds. Journ. Linn. Soc., vol. I, 1857. Bot., p. 130. — Sur l’influence de l’eau de mer sur la germination des graines. Journ. de la Société Linnéenne, 1857.

On the agency of bees in the fertilisation of papilionaceous flowers. Ann. nat. hist., vol. II, 1858, p. 459. — Sur le rôle des abeilles dans la fécondation des fleurs papilionacées. Ann. d’histoire naturelle, t. II, p. 459. 1858.

On the two forms or dimorphic condition of the species of Primula. Journ. Linn. Soc, vol. VI, 1862. Bot., p. 77. — Sur les deux formes ou le dimorphisme des espèces de Primula. Journ. de la Soc. Linnéenne, t. VI, p. 77.

On the varions contrivances by which British and Foreign Orchids are fertilised, 1862. — Des différents modes suivant lesquels les Orchidées anglaises et exotiques sont fécondées., 1 vol. traduit par M. Rérolle avec le titre : De la fécondation des Orchidées par les insectes.

On the existence of two forms and their reciprocal sexual relations in the genus Linum. Journ. Linn. Soc, vol. VII, 1863. Bot., p. 69. — Sur l’existence de deux formes et leurs relations sexuelles réciproques dans le genre Linum, Journ. de la Soc. Linnéenne, t. VII, p. 69.

On the sexual relations of three forms of Lythrum. Jour. Linn. Soc., vol VIII, 1864, p. 169. — Sur les relations sexuelles des trois formes de Lythrum. Journ. de la Soc. Linnéenne, t. VIII, 1864, p. 169.

On the character and hybrid-like nature of the illegitimate offspring of dimorphic and trimorphic Plants. Jour. Linn. Soc., vol. X, 1867. Bot., p. 393. — Sur les caractères et la nature hybride des produits adultérins de plantes dimorphiques et trimorphiques. Journ. de la Soc Linnéenne, t. X, 1867.

On the specific difference between Primula veris and P. vulgaris and the hybrid nature of the common Oxslip. Journ. Linn. Soc., vol. X, 1867 Bot., p. 437. — Sur la différence spécifique entre les Primula vulgaris et P. veris et la nature hybride du Museau de bœuf (Primula grandiflora Jacq.). Journ. de la Soc. Linnéenne. Bot., X, p. 437.

Insectivorous Plants, 1 vol., 462 p., 1875. — Les Plantes insectivores, traduction par E. Barbier, avec préface et notes complémentaires par Ch. Martins, 1877.

On the movements and habits of climbing Plants. Journ. Linn. Soc., vol. IX, 1865. Bot., p. I. Ce mémoire a été publié avec additions, en 1875, en un volume avec le même titre et traduit en français par le Dr R. Gordon, sous celui de : Les Mouvements et les habitudes des Plantes grimpantes, 1877.

The Effects of cross and self fertilisation in the vegetal kingdom, un vol. in-12, 482 p., 1876. — Les Effets de la fécondation propre ou croisée dans le règne végétal, dont la traduction française par le professeur E. Heckel est sous presse.

GÉOLOGIE.


On the formation of mould. Trans. geolog. Soc, vol. V, p. 505, read Nov. 1837. — Sur la formation de la terre végétale. Mémoires de la Soc. géologique de Londres, t. V, p. 505, lu en novembre 1837.

Origin of the saliferous depots of Patagonia. Journ. Geol. Soc., vol. II, 1838, p. 127. — Origine des dépôts salifères de la Patagonie. Journ. de la Soc. géologique de Londres, 1838, p. 127.

On the connection of the volcanic phenomena in South America. Transact. Geolog. Soc., vol. V, read March 1838. — Sur la connexion des phénomènes volcaniques dans l’Amérique du Sud. Transactions de la Société géologique de Londres, t. V. Mémoire lu en mars 1838.

On the parallel roads of Glen-Roy. Trans. Phil. Soc., 1839, p. 39. — Sur les terrasses parallèles de Glen-Roy. Transactions philosophiques, 1839, p. 39.

On the distribution of the erratic boulders in South America. Trans. Geolog. Soc., vol. VI, read April 1841. — Sur la distribution des blocs erratiques dans l’Amérique du Sud. Mémoires de la Soc. géologique de Londres, t. VI. Mémoire lu en avril 1841.

On a remarkable bar of sandstone of Fernambuco. Phil. Mag., oct 1841, p. 257. — Sur un barrage remarquable de grès devant Fernambouc Magasin philosophique, 1841, p. 257.

Notes on the ancient glaciers of Caernarvonshire. Phil. Mag., vol. XXI, 1842, p. 180. — Notes sur les anciens glaciers du Caernarvonshire. Magasin philosophique, t. XXI, p. 180.

The Structure and Distribution of coral-reefs, 1844, pp. 214. Second edition, 1874. — La Structure et la distribution des récifs de coraux. 2e édition.

Geological Observations on volcanic islands, 1842, pp. 175. Second edition, 1875. — Observations géologiques sur les îles volcaniques, 2e édition, 1875.

An account of the fine dust which often falls on the vessels in the Atlantic Ocean. Proceed. Geolog. Soc., 1845, p. 26. — Note sur la fine poussière qui tombe parfois sur les navires dans l’océan Atlantique. Bulletin de la Société géologique de Londres, 1845, p. 26.

On the geology of the Falkland islands. Journ. Geol. Soc., 1846., p. 247. — Sur la géologie des îles Falkland (Malouines). Journal de la Soc. géologique de Londres, 1846, p. 247.

On the transportal of erratic boulders from a lower to a higher level. Journ. Geol. Soc., 1848, p. 315. — Sur le transport des blocs erratiques d’un niveau plus bas à un niveau plus élevé. Journal de la Soc. géologique de Londres, 1848, p. 315.

On the power of icebergs to make grooves on a submarine surface. Phil. Mag., Aug. 1855. — Sur le pouvoir des glaces flottantes de graver des stries sur des surfaces sous-marines, août 1855.

Geological Observations on South America, 1846, pp. 279. Second edition, 1875. — Observations géologiques sur l’Amérique méridionale, 2e édition, 1875.

Ch. Martins.

Jardin des plantes de Montpellier, mars 1877.


LES PLANTES INSECTIVORES


chapitre premier.

Le drosera rotundifolia.

Nombre des insectes capturés. — Description des feuilles ; leurs appendices ou tentacules. — Remarques préliminaires sur l’action des divers organes et sur le mode de capture des insectes. — Durée de l’inflexion des tentacules. — Nature de la sécrétion. — Procédé par lequel les insectes sont amenés au centre de la feuille. — Preuve que les glandes ont une puissance d’absorption. — Petitesse des racines.


Me trouvant pendant l’été de 1860 dans les landes du comté de Sussex, je remarquai, avec une grande surprise, le nombre considérable d’insectes saisis par les feuilles du Rossolis (Drosera rotundifolia). J’avais entendu dire que les feuilles de cette plante capturent les insectes ; mais là se bornait tout ce que je savais à ce sujet[1]. Je pris au hasard une douzaine de plantes portant cinquante-six feuilles bien ouvertes, sur trente et une desquelles se trouvaient des insectes morts ou des débris d’insectes. Sans aucun doute, ces mêmes feuilles auraient saisi encore un grand nombre d’insectes, et les feuilles qui
Fig. 1. — Drosera rotundifolia.[2]
Feuille vue de face ; grossie quatre fois.
n’étaient pas développées au moment où je les vis en auraient infailliblement pris un plus grand nombre encore. Les six feuilles que portait l’une des plantes avaient saisi chacune sa proie ; sur d’autres plantes, beaucoup de feuilles avaient attrapé plus d’un insecte. Je trouvai, en effet, sur une grande feuille, les restes de treize insectes différents. Les mouches (Diptera) sont capturées beaucoup plus souvent que les autres insectes. L’insecte le plus gros que j’aie vu saisir par une feuille est un petit papillon (Cœnonympha pamphilus) ; mais le Rév. H.-M. Wilkinson m’apprend qu’il a trouvé une grosse libellule vivante emprisonnée entre deux feuilles. Cette plante est extrêmement commune dans quelques districts ; aussi le nombre des insectes détruits par elle chaque année doit-il être prodigieux. Beaucoup de plantes causent la mort des insectes, les bourgeons visqueux du marron d’Inde (Æsculus hippocastanum), par exemple ; mais, autant toutefois que nous pouvons le savoir, sans en tirer aucun avantage. Il devint, au contraire, bientôt évident pour moi que le Drosera est tout particulièrement adapté à un but spécial, celui de saisir les insectes, et ce sujet me sembla digne de recherches attentives.

Ces recherches m’ont permis d’obtenir des résultats très-remarquables, dont les principaux sont : 1o la sensibilité extraordinaire des glandes quand on les soumet à une légère pression ou quand on les traite par des doses infinitésimales de certaines liqueurs azotées, sensibilité qui se traduit par les mouvements des poils ou tentacules ; 2o la faculté que possèdent les feuilles de rendre solubles ou de digérer les substances azotées, puis de les absorber ; 3o les changements qui se produisent à l’intérieur des cellules des tentacules, quand on excite les glandes de différentes façons.


Fig. 2. — Drosera rotundifolia.
Vieille feuille, vue de côté, grossie environ cinq fois.
Mais il est tout d’abord indispensable de décrire brièvement la plante. Le Rossolis porte deux ou trois, et quelquefois cinq ou six feuilles, étendues ordinairement dans une position plus ou moins horizontale, mais quelquefois aussi se dressant verticalement. La figure 1 représente la forme et l’aspect général d’une feuille vue de face, et la figure 2 une feuille vue de côté. Les feuilles sont ordinairement un peu plus larges que longues ; mais tel n’est pas le cas dans celle que représente la figure 1. Toute la face supérieure de la feuille est recouverte de filaments portant des glandes ; j’appellerai ces filaments des tentacules, à cause de leur mode d’action. J’ai compté les tentacules de trente et une feuilles, et le nombre moyen des glandes s’est trouvé être de 192 ; mais quelques-unes de ces feuilles étaient extraordinairement grandes. Le nombre le plus considérable de glandes trouvées sur une feuille est de 260 et le plus petit de 130. Chaque glande est entourée de larges gouttes d’une sécrétion extrêmement visqueuse : ces gouttes, brillant au soleil, ont valu à la plante son nom poétique de rossolis[3].

Les tentacules du disque ou partie centrale de la feuille sont courts, et droits ; leurs pédicelles sont verts. Ils deviennent de plus en plus longs à mesure qu’ils se rapprochent davantage du bord de la feuille, et s’inclinent de plus en plus en dehors ; les pédicelles de ces derniers sont pourpres. Les tentacules, placés sur le rebord même de la feuille, s’étendent dans le même plan que celle-ci, ou plus ordinairement ils sont considérablement réfléchis (voir fig. 2). Quelques tentacules s’élèvent de la base, de la queue ou pétiole ; ce sont les plus longs de tous, car ils atteignent quelquefois près d’un quart de pouce (6 millim.) de longueur. Sur une feuille portant 252 tentacules, le nombre des tentacules courts du disque, ayant des pédicelles verts, était au nombre des tentacules plus longs du bord et de l’extrême bord, ayant des pédicelles pourpres, comme 9 est à 16.

Un tentacule consiste en un pédicelle, droit, mince, ressemblant à un poil, et portant une glande à l’extrémité supérieure. Le pédicelle est quelque peu aplati et est formé par plusieurs rangées de cellules allongées, remplies d’un fluide pourpre ou de matières granuleuses[4]. On remarque cependant chez les longs tentacules, juste au-dessous de la glande, une zone étroite de couleur verte, et, près de la base, une zone plus large, verte aussi, Des vaisseaux spiraux, accompagnés de simples tissus vasculeux, partent des membranes vasculaires de la feuille et traversent les tentacules pour aboutir dans les glandes.

Plusieurs physiologistes éminents ont longuement discuté sur la nature homologique de ces appendices ou tentacules ; la question est, en effet, de savoir s’il faut les considérer comme des poils (trichomes) ou comme des prolongements de la feuille. Nitschke a démontré qu’on trouve dans ces appendices tous les éléments propres à la feuille, et le fait qu’ils contiennent des tissus vasculaires eût été autrefois une preuve suffisante que ce ne sont que de simples prolongements de la feuille ; mais on sait aujourd’hui que ces vaisseaux pénètrent quelquefois dans les vrais poils[5]. La faculté de se mouvoir que possèdent ces appendices est un fort argument pour ne pas les considérer comme des poils. Je donnerai, dans le chapitre xv, la conclusion qui me semble la plus probable, c’est-à-dire que ces appendices étaient, dans le principe, des poils glandulaires ou de simples formations de l’épiderme, et qu’il faut encore considérer ainsi leur partie supérieure ; mais que la partie inférieure, la seule qui soit douée de la faculté du mouvement, est un prolongement de la feuille, les vaisseaux en spirale s’étendant de cette partie jusqu’à l’extrémité supérieure. Nous verrons ci-après que les
Fig. 3. — Drosera rotundifolia.
Coupe longitudinale d’une glande grossie considérablement, d’après le Dr Warming.
tentacules terminaux des feuilles dentelées de la Roridula se trouvent encore dans une condition intermédiaire.

Les glandes, à l’exception de celles portées par les tentacules situés au bord extrême de la feuille, sont ovales et ont une grandeur presque uniforme, à peu près 4/500e de pouce de longueur (0,2 millim.). Leur conformation est remarquable et leurs fonctions complexes, car elles sécrètent et elles absorbent divers stimulants et sont affectées par eux. Ces glandes consistent en une couche extérieure de petites cellules polygonales, contenant des matières pourpres à l’état granuleux ou à l’état fluide ; les cloisons qui séparent ces cellules sont plus épaisses que celles des pédicelles. À l’intérieur de cette couche de cellules, il y a une seconde couche d’autres cellules qui ont une forme différente et qui sont aussi remplies d’un fluide pourpre ; mais cette liqueur a une teinte quelque peu différente et le chlorure d’or l’affecte différemment aussi. Parfois, on peut très-bien voir ces deux couches quand on a écrasé la glande ou qu’on l’a fait bouillir dans une solution de potasse caustique. Selon le Dr Warming, il y a encore une autre couche de cellules beaucoup plus allongées, ainsi qu’on le voit dans la coupe ci-dessus (fig. 3), que j’ai empruntée à son ouvrage. Toutefois, Nitschke n’a pas vu ces cellules et je ne les ai pas vues plus que lui. Au centre de la glande, se trouve un groupe de cellules cylindriques allongées, de longueur inégale, terminées en pointe grossière à leur extrémité supérieure, et tronquées ou arrondies à leur extrémité inférieure ; elles sont étroitement pressées les unes contre les autres. Il est à remarquer qu’elles sont entourées par une ligne en spirale que l’on peut isoler comme une fibre distincte.

Ces dernières cellules sont remplies d’une liqueur limpide, laquelle, après une longue immersion dans l’alcool, dépose une quantité considérable de matières brunes. Je suppose que ces cellules sont en relation immédiate avec les vaisseaux spiraux qui se prolongent jusqu’à l’extrémité des tentacules ; car, dans plusieurs occasions, j’ai vu ces derniers se diviser en deux ou trois branches extrêmement minces, dont on pouvait suivre la trace jusqu’aux cellules spirales. Le Dr Warming a décrit leur développement. Le Dr Hooker m’apprend qu’on a observé des cellules de la même espèce dans d’autres plantes ; j’en ai observé moi-même dans les bords de la feuille de la Pinguicula. Quelle que puisse être la fonction de ces cellules, elles ne sont nécessaires ni à la sécrétion de la liqueur digestive, ni à l’absorption, ni à la communication d’une impulsion motrice à d’autres parties de la feuille, comme la structure des glandes dans quelques autres genres de Droséracées nous autorise à le penser.

Les tentacules qui se trouvent sur le bord extrême de la feuille diffèrent légèrement des autres. Leur base est plus large, et, outre leurs propres vaisseaux, ils comprennent un prolongement très-mince de ceux qui pénètrent dans les tentacules qui les entourent. Leurs glandes sont très-allongées et se trouvent enfouies dans la surface supérieure du pédicelle au lieu de reposer sur le sommet. Sous les autres rapports, ces tentacules ne diffèrent pas essentiellement des tentacules ovales ; sur un échantillon, j’ai trouvé toutes les transitions possibles entre les deux états ; sur un autre spécimen je n’ai pas trouvé de glandes allongées. Ces tentacules du bord de la feuille perdent leur irritabilité plus tôt que les autres ; quand on applique un stimulant au centre de la feuille, ils se mettent en mouvement après les autres. Quand on plonge dans l’eau des feuilles coupées, ce sont souvent les seuls qui s’infléchissent.

La liqueur pourpre ou la matière granuleuse qui remplit les cellules des glandes diffère, jusqu’à un certain point, de celle qui remplit les cellules des pédicelles. En effet, quand on plonge une feuille dans l’eau chaude ou dans certains acides, les glandes deviennent entièrement blanches et opaques, tandis que les cellules des pédicelles tournent au rouge brillant, à l’exception de celles qui se trouvent immédiatement au-dessous des glandes. Ces dernières cellules perdent leur teinte rouge pâle ; les matières vertes qu’elles contiennent en commun avec les cellules de la base, prennent une teinte verte plus brillante. Les pétioles portent beaucoup de poils multicellulaires, dont quelques-uns, selon Nitschke, sont surmontés par quelques cellules arrondies qui paraissent être des glandes rudimentaires. Les deux surfaces de la feuille, les pédicelles des tentacules, surtout les côtés inférieurs des tentacules extérieurs et les pétioles, sont couverts de petites papilles (poils ou trichomes) ayant une base conique, et portant à leur sommet deux et parfois trois ou même quatre cellules arrondies, contenant beaucoup de protoplasma. Ces papilles sont ordinairement incolores ; quelquefois, cependant, elles renferment un peu de liqueur pourpre. Leur grandeur varie et, comme le constate Nitschke[6] et ainsi que je l’ai observé bien des fois, elles se transforment graduellement en longs poils multicellulaires. Ces derniers, aussi bien que les papilles, sont probablement les rudiments de tentacules qui existaient autrefois.

Je puis ajouter ici, afin de n’avoir plus à m’occuper des papilles, qu’elles ne sécrètent pas de liqueur, mais qu’elles se laissent facilement traverser par différents fluides ; ainsi, quand on plonge des feuilles mortes ou vivantes dans une solution composée d’une partie de chlorure d’or ou d’azotate d’argent et de 437 parties d’eau, les papilles noircissent rapidement, et la décoloration s’étend bien vite aux tissus environnants. Les longs poils multicellulaires ne sont pas affectés aussi rapidement. Après une immersion de dix heures dans une faible infusion de viande crue, les cellules des papilles avaient évidemment absorbé des matières animales ; car, au lieu de contenir une liqueur limpide, elles contenaient alors de petites masses agglutinées de protoplasma, qui changeaient constamment mais lentement de forme. On obtient le même résultat par une immersion de quinze minutes seulement, dans une solution d’une partie de carbonate d’ammoniaque et de 218 parties d’eau ; les cellules avoisinant les tentacules sur lesquels reposent les papilles, contiennent alors aussi des masses agglutinées de protoplasma. Nous pouvons conclure de ces faits que, lorsqu’une feuille s’est complètement refermée sur un insecte qu’elle vient de saisir de la façon que nous allons décrire, les papilles qui font saillie sur la surface supérieure de la feuille et des tentacules absorbent probablement quelques parties des substances animales dissoutes dans la sécrétion ; mais il n’en peut être de même pour les papilles placées à la surface inférieure des feuilles ou sur les pétioles.

Observations préliminaires sur l’action des diverses parties et sur le mode de capture des insectes.

Si on place un objet organique ou inorganique sur les glandes qui se trouvent au centre d’une feuille, ces glandes transmettent une impulsion aux tentacules marginaux. Les tentacules les plus rapprochés sont les premiers affectés et s’inclinent lentement vers le centre de la feuille ; ce mouvement se communique progressivement jusqu’à ce qu’enfin tous les tentacules de la feuille s’infléchissent pour reposer sur l’objet. Ce résultat final se produit en un temps très-variable, c’est-à-dire en une heure, ou bien en quatre ou cinq heures, ou même plus. Cette différence de temps dépend de beaucoup de circonstances : d’abord de la grosseur de l’objet et de sa nature, c’est-à-dire s’il contient des matières solubles qui conviennent à la plante ; de la vigueur et de l’âge de la feuille ; du laps de temps qui s’est écoulé depuis qu’elle a agi ; et, enfin, selon Nitschke[7], de la température, observation que j’ai été à même de confirmer. Un insecte vivant fait infléchir les tentacules plus rapidement qu’un insecte mort, parce qu’en se débattant il appuie sur les glandes de beaucoup d’entre eux. Un insecte tel qu’une mouche, dont les téguments sont minces et à travers lesquels, par conséquent, les substances animales en solution passent facilement pour se mêler à la sécrétion épaisse qui les environne, cause une inflexion plus prolongée qu’un insecte à l’armure épaisse, tel qu’un scarabée. Les tentacules s’infléchissent indifféremment à la lumière et dans l’obscurité, la plante n’étant pas sujette au mouvement nocturne qu’on désigne ordinairement sous le nom de sommeil.

Si l’on touche plusieurs fois, ou si l’on chatouille les glandes qui se trouvent sur le disque, bien qu’on n’y laisse aucun objet, les tentacules marginaux s’infléchissent vers le centre. Si l’on place sur les glandes centrales des gouttes de différents liquides, par exemple quelques gouttes de salive ou d’une solution d’un sel d’ammoniaque, le même résultat se produit rapidement, quelquefois même en moins d’une demi-heure.


Fig. 4. — Drosera rotundifolia.
Feuille (grossie) dont tous les tentacules sont complètement infléchis par suite d’une immersion dans une solution de phosphate d’ammoniaque (une partie de phosphate pour 87,500 parties d’eau).
Les tentacules, quand ils s’infléchissent, traversent un large espace ; ainsi, un tentacule marginal s’étendant dans le même plan que la feuille décrit un angle de 180° ; j’ai vu les tentacules très-réfléchis d’une feuille qui, à l’état naturel, se tenaient parfaitement droits, décrire un angle de 270°. La partie apte à se courber est confinée à un court espace auprès de la base ; toutefois, une portion un peu plus grande des tentacules extérieurs plus longs se courbe légèrement ; la moitié libre restant droite. Les tentacules courts, placés au centre du disque, ne s’infléchissent pas quand on les excite directement, mais ils peuvent s’infléchir s’ils sont excités par un mouvement qui leur a été communiqué par d’autres glandes placées à une certaine distance. Ainsi, si on plonge une feuille dans une infusion de viande crue, ou dans une faible solution d’ammoniaque (si la solution est un peu forte, la feuille est paralysée), tous les tentacules extérieurs s’infléchissent vers le centre de la feuille (voir fig. 4), excepté, toutefois, ceux situés près du centre qui restent droits ; mais ces derniers se courbent vers un objet placé sur un des côtés du disque comme on peut le voir dans la figure 5. On peut remarquer, dans la figure 4, que les glandes forment un véritable anneau autour du centre ; cela provient de ce que les tentacules extérieurs augmentent en longueur, proportionnellement à leur éloignement du centre.


Fig. 5. — Drosera rotundifolia.
Feuille (grossie) dont une partie des tentacules sont infléchis sur un morceau de viande placé le disque.
On peut étudier avec plus de fruit le mode d’inflexion des tentacules si l’on excite la glande de l’un des longs tentacules extérieurs, parce que, dans ce cas, ceux qui l’environnent ne sont pas affectés. La figure 6 représente un tentacule sur lequel on a placé une parcelle de viande ; il s’incline vers le centre de la feuille tandis que les deux autres conservent leur position originelle. On peut exciter une glande en la touchant simplement 3 ou 4 fois, ou en la mettant en contact prolongé avec des objets organiques ou inorganiques et avec différents liquides. Au moyen d’un verre grossissant, j’ai pu observer distinctement qu’un tentacule commence à s’infléchir dix secondes après qu’un objet a été placé sur la glande ; j’ai remarqué souvent une inflexion fortement prononcée en moins d’une minute. Il est à remarquer qu’un morceau fort petit d’une substance quelconque, tel qu’un fil, un cheveu, ou un éclat de verre, placé en contact immédiat avec la surface d’une glande, suffit pour faire infléchir le tentacule. Si l’objet que ce mouvement a transporté au centre de la feuille n’est pas très-petit, ou s’il contient des substances azotées solubles, il agit sur les glandes centrales ; celles-ci transmettent à leur tour une impulsion aux tentacules extérieurs et les font s’infléchir vers le centre. Quand une substance très-excitante ou qu’un liquide est placé sur le disque, les tentacules ne sont pas les seuls à s’infléchir ; la feuille elle-même se recourbe
Fig. 6. — Drosera rotundifolia.
Diagramme montrant un des tentacules extérierieurs complètement infléchi ;. les deux tentacules adjacents ont conservé leur position ordinaire.
souvent, mais pas toujours. Une goutte de lait ou une goutte d’une solution d’azotate d’ammoniaque ou de soude sont particulièrement aptes à produire cet effet. La feuille se transforme alors en une sorte de petite coupe. Le mode d’incurvation varie beaucoup. Quelquefois le sommet seul de la feuille, quelquefois un des cotés, quelquefois même les deux côtés s’infléchissent vers l’intérieur. Par exemple, j’ai placé quelques parcelles d’œuf dur sur trois feuilles ; chez l’une d’elles, le sommet s’est incliné vers la base ; chez la seconde les deux bords se sont considérablement infléchis, de telle sorte que la feuille était presque devenue triangulaire, c’est là, d’ailleurs, le cas le plus commun ; la troisième n’a pas été affectée, bien que les tentacules se soient aussi complètement infléchis que dans les cas précédents. D’ordinaire aussi, la feuille entière se soulève ou se redresse, et forme avec la tige un angle plus petit qu’auparavant. À première vue, on pourrait prendre ce mouvement pour un mouvement distinct, mais il provient de l’inflexion de cette partie de la feuille qui est attachée à la tige, inflexion qui amène la feuille entière à éprouver un mouvement de bas en haut.

Le laps de temps pendant lequel les tentacules, aussi bien que la feuille elle-même, restent infléchis sur un objet placé sur le disque dépend de diverses circonstances ; c’est-à-dire de la vigueur et de l’âge de la feuille, et, selon le docteur Nitschke, de la température ; en effet, pendant le froid, alors que les feuilles sont inactives, elles reprennent leur position normale beaucoup plus rapidement que lorsque le temps est chaud. Toutefois, la nature de l’objet est de beaucoup la circonstance la plus importante ; de nombreuses observations m’autorisent à conclure que les tentacules restent fixés beaucoup plus longtemps sur des objets qui fournissent des matières azotées solubles que sur ceux, organiques ou inorganiques, qui ne fournissent pas de matières semblables. Après une période variant de un à sept jours, les tentacules et la feuille reprennent leur position normale et sont prêts à agir une seconde fois. J’ai vu la même feuille s’infléchir trois fois de suite sur des insectes placés sur le disque, et il est probable qu’elle aurait pu agir un bien plus grand nombre de fois.

La sécrétion des glandes est si visqueuse qu’elle peut s’étirer en longs fils. Elle paraît incolore, cependant elle tache le papier en rose pâle. Dès qu’un objet, quel qu’il soit, est placé sur une glande, celle-ci, je crois pouvoir l’affirmer, émet toujours des sécrétions plus abondantes ; mais la présence même de l’objet rend la preuve de cette assertion très-difficile. Dans quelques cas, cependant, l’effet est très-marqué, quand on met, par exemple, sur la glande une parcelle de sucre ; il est vrai que, dans ce cas, l’abondance de la sécrétion est probablement due à l’exosmose.

La présence de parcelles de carbonate et de phosphate d’ammoniaque et de quelques autres sels comme, par exemple, le sulfate de zinc, augmente aussi la sécrétion. L’immersion dans une solution contenant une partie de chlorure d’or ou de quelques autres sels pour 437 parties d’eau augmente aussi considérablement la sécrétion des glandes ; d’autre part, le tartrate d’antimoine ne produit aucun effet semblable. L’immersion dans beaucoup d’acides (dilués dans la proportion d’une partie d’acide pour 437 parties d’eau) cause aussi une sécrétion si abondante que, quand on sort la feuille du liquide, on y voit pendre de longs fils de liqueur très-visqueuse. D’autre part, quelques acides n’agissent pas de cette façon. L’augmentation de la sécrétion ne dépend pas nécessairement de l’inflexion des tentacules, car les particules de sucre et de sulfate de zinc ne provoquent aucun mouvement.

Il est beaucoup plus à remarquer que, quand on place sur le disque d’une feuille un objet tel qu’un morceau de viande ou un insecte, les glandes des tentacules environnants produisent une sécrétion beaucoup plus abondante dès qu’ils sont très-infléchis. J’ai observé ce fait en choisissant des feuilles dont les gouttes de sécrétion étaient égales de chaque côté et en plaçant des morceaux de viande sur un des côtés du disque ; dès que les tentacules de ce côté étaient très-infléchis, mais avant que les glandes ne touchassent la viande, les gouttes sécrétées devenaient beaucoup plus grosses. J’ai répété cette observation bien des fois, mais je n’ai enregistré que les résultats de treize expériences, sur lesquelles la sécrétion s’est augmentée visiblement neuf fois ; dans les quatre autres cas, j’ai attribué le défaut d’augmentation, soit à ce que les feuilles étaient peu actives, soit à ce que les morceaux de viande étaient trop petits pour causer une grande inflexion. Il faut donc conclure de ces faits que les glandes centrales, quand elles sont fortement excitées, transmettent quelque influence aux glandes des tentacules de la circonférence et provoquent chez elles des sécrétions plus abondantes.

Un fait encore plus important, comme nous le verrons avec plus de détails quand nous traiterons de la puissance digestive de la sécrétion, c’est la sécrétion des tentacules qui s’infléchissent, non-seulement devient plus abondante, mais change de nature et devient acide, soit parce que les glandes centrales ont été stimulées mécaniquement, ou qu’elles se trouvent en contact avec des matières animales ; ce changement se produit avant que les glandes aient touché l’objet placé au centre de la feuille. Cet acide a une nature différente de celui qui est contenu dans le tissu des feuilles. Aussi longtemps que les tentacules restent fortement infléchis, les glandes continuent à sécréter, et la sécrétion est acide ; de telle sorte que, si on neutralise cette acidité au moyen du carbonate de soude, la sécrétion redevient acide au bout de quelques heures. J’ai observé sur une feuille dont les tentacules étaient étroitement infléchis sur des substances assez indigestes, telles que de la caséine préparée chimiquement, que ces tentacules ont déversé sur ces matières leurs sécrétions acides pendant huit jours consécutifs et pendant dix jours sur des morceaux d’os.

Cette sécrétion, comme les sucs gastriques des animaux plus élevés, semble posséder quelque puissance antiseptique. J’ai placé, tout auprès l’un de l’autre, par un temps très-chaud, deux morceaux d’égale grosseur de viande crue, l’un sur une feuille de Drosera, l’autre sur de la mousse humide. Je les ai examinés au bout de quarante-huit heures ; le morceau placé sur la mousse grouillait d’infusoires et était si putréfié qu’on ne pouvait plus distinguer les stries transversales des fibres musculaires ; au contraire, le morceau placé sur la feuille et qui baignait dans les sécrétions ne contenait pas un seul infusoire et les stries étaient parfaitement distinctes dans les parties centrales non encore dissoutes. J’ai expérimenté de la même façon sur des petits cubes d’albumine et de fromage ; ceux que j’ai placés sur de la mousse humide ont présenté bientôt des signes de moisissure et leur surface décolorée semblait sur le point de se désagréger ; tandis que ceux placés sur les feuilles de Drosera ont conservé leur couleur sans montrer aucun signe de moisissure, l’albumine se transformant en un liquide transparent.

Dès que les tentacules, après être restés étroitement infléchis pendant plusieurs jours sur un objet, commencent à se redresser, la sécrétion diminue ou cesse même complètement et les glandes restent sèches. Dans cet état, elles sont recouvertes d’une couche de substance blanchâtre demi-fibreuse qui se trouvait en solution dans la sécrétion. Le dessèchement des glandes pendant l’acte du redressement rend quelques petits services à la plante ; j’ai remarqué souvent, en effet, que le moindre souffle d’air suffit alors pour enlever les objets qui adhèrent aux feuilles ; elles sont ainsi débarrassées et libres de recommencer leurs fonctions. Néanmoins, il arrive souvent que toutes les glandes ne se sèchent pas complètement ; dans ce cas, les objets délicats, tels que les petits insectes, sont quelquefois déchirés en morceaux par le redressement des tentacules, et ces morceaux sont répandus sur toute la feuille. Dès que le redressement est complet, les glandes se remettent immédiatement à sécréter, et du moment que les gouttes de sécrétion ont atteint leur grosseur normale, les tentacules sont prêts à saisir un nouvel objet.

Quand un insecte se pose sur le disque central il est immédiatement englué par la sécrétion visqueuse ; quelques moments après, les tentacules environnants commencent à s’infléchir et finissent par l’enserrer de tous côtés. D’après le docteur Nitschke, un quart d’heure suffit ordinairement pour tuer un insecte, parce que les trachées sont fermées par la sécrétion. Si un insecte se pose sur quelques glandes des tentacules extérieurs, ceux-ci s’infléchissent bientôt et portent leur proie aux tentacules situés plus près de l’intérieur de la feuille ; ceux-ci, à leur tour, s’inclinent et font passer l’insecte, par une sorte de curieux mouvement de rotation, jusqu’au centre de la feuille. Puis, après un certain intervalle, tous les tentacules s’infléchissent et viennent baigner leur proie dans leurs sécrétions, comme si l’insecte s’était posé d’abord sur le disque central. Un insecte très-petit, et c’est là un fait fort curieux, suffit pour provoquer cette action ; par exemple, j’ai vu un jour un cousin, appartenant à une des plus petites espèces (Culex), qui venait de poser délicatement ses pattes sur les glandes des tentacules les plus extrêmes ; ceux-ci commençaient déjà à s’infléchir quoique pas une glande n’eût encore touché le corps de l’insecte. Si je n’étais pas intervenu, ce petit cousin aurait été certainement porté au centre de la feuille et saisi de tous côtés. Nous verrons, ci-après, quelle dose excessivement petite de certains liquides organiques et de certaines solutions salines suffisent pour causer de fortes inflexions.

Je ne saurais dire si les insectes se posent sur les feuilles par pur hasard et pour se reposer, ou s’ils sont attirés par l’odeur de la sécrétion. J’ai lieu de penser que l’odeur les attire d’après le nombre des insectes capturés par quelques espèces anglaises de Drosera, et d’après ce que j’ai pu observer sur quelques espèces exotiques que je cultive dans mon orangerie. Dans ce dernier cas, on pourrait comparer les feuilles à un piège amorcé ; dans le premier cas, on pourrait les comparer à un piège placé sur une route fréquentée par beaucoup de gibier, mais sans amorce.

Les glandes changent presque immédiatement de couleur et prennent une teinte plus foncée quand on leur donne une petite quantité de carbonate d’ammoniaque, ce qui prouve qu’elles possèdent la faculté d’absorption ; ce changement de couleur est principalement ou exclusivement dû à l’agrégation rapide de leur contenu. Quand on ajoute certains autres liquides, elles deviennent roses. Ce qui prouve le mieux, d’ailleurs, cette faculté d’absorption, ce sont les résultats si divers que l’on obtient quand on place des gouttes de divers liquides azotés ou non azotés, ayant la même densité, sur les glandes du disque ou sur une seule glande marginale ; ce sont aussi les longueurs de temps si différentes pendant lesquelles les tentacules restent repliés sur des objets selon qu’ils contiennent ou non des substances azotées solubles. On aurait pu, d’ailleurs, tirer cette même conclusion de la conformation et des mouvements des feuilles qui sont si admirablement adaptées pour capturer les insectes.

L’absorption des substances animales fournies par les insectes qu’elles capturent, explique comment il se fait que le Drosera puisse vivre dans les terrains tourbeux très-pauvres, dans les endroits même où rien ne pousse à l’exception des mousses, et on sait que les mousses tirent absolument toute leur nourriture de l’atmosphère. Bien qu’au premier abord les feuilles du Drosera ne paraissent pas vertes à cause de la couleur pourpre des tentacules, un examen plus attentif révèle, cependant, que les surfaces supérieures et inférieures du limbe de la feuille, les pédicelles, les tentacules du centre et les pétioles contiennent de la chlorophylle, de telle sorte que, sans aucun doute, la plante se procure et s’assimile l’acide carbonique contenu dans l’air. Néanmoins, si l’on considère la nature du sol où elle pousse, la plante ne pourrait se procurer qu’une fort petite quantité d’azote, en admettant même qu’elle pût s’en procurer si elle n’avait pas la faculté de trouver cet important élément dans les insectes qu’elle capture. Cela nous explique comment il se fait que les racines du Drosera sont si peu développées ; ces racines, en effet, ne consistent d’ordinaire qu’en deux ou trois radicelles peu divisées, ayant de 12 à 25 millimètres de longueur et garnies de filaments absorbants. Il semble donc que les racines ne servent qu’à absorber l’humidité, bien que, sans aucun doute, elles absorberaient d’autres substances nutritives si elles en trouvaient dans le sol, car nous verrons ci-après qu’elles absorbent une faible solution de carbonate d’ammoniaque. On peut dire qu’un pied de Drosera, avec ses feuilles recourbées de façon à former un estomac temporaire, dans lequel les glandes des tentacules étroitement infléchis déchargent leurs sécrétions acides qui dissolvent les substances animales pour les absorber ensuite, se nourrit exactement comme un animal. Mais, au contraire d’un animal, il boit par ses racines et il doit boire beaucoup pour pouvoir former tant de gouttes de liquide visqueux autour des glandes ; or, j’en ai compté quelquefois plus de deux cent soixante, exposées toute la journée aux rayons brûlants du soleil.


chapitre II.

mouvements des tentacules au contact des corps solides.

Inflexion des tentacules extérieurs lorsque l’on excite les glandes du disque par des attouchements répétés ou qu’on laisse les objets en contact avec elles. — Différence de l’action des corps selon qu’ils contiennent ou non des matières azotées solubles. — Inflexion des tentacules extérieurs causée directement par des objets mis en contact avec leurs glandes. — Période du commencement de l’inflexion et du redressement subséquent. — Extrême petitesse des particules qui suffisent pour provoquer une inflexion. — Action sous l’eau. — Inflexion des tentacules extérieurs quand on excite leurs glandes par des attouchements répétés. — Les gouttes de pluie ne provoquent pas l’inflexion.


Dans ce chapitre et dans les chapitres suivants, je relaterai quelques-unes de nombreuses expériences qui servent le mieux à indiquer le mode et l’étendue des mouvements des tentacules quand on les excite de différentes façons. Les glandes seules, dans tous les cas ordinaires, sont susceptibles d’être excitées. Quand on les excite elles ne bougent pas elles-mêmes et ne changent pas de forme, mais elles transmettent une impulsion à la partie mobile de leurs propres tentacules et des tentacules adjacents qui les transportent alors vers le centre de la feuille. À proprement parler, on devrait appliquer aux glandes le terme irritable ; car le terme sensitif implique ordinairement la conscience de l’acte accompli ; personne ne suppose, cependant, que la sensitive ait conscience de ses mouvements ; aussi, comme je trouve le terme sensitif plus commode, je l’emploierai sans aucune espèce de scrupule. Je commencerai par étudier les mouvements des tentacules extérieurs quand on les excite indirectement par des stimulants appliqués aux glandes des tentacules courts qui se trouvent sur le disque. Je dis indirectement, dans ce cas, parce qu’on n’agit pas directement sur les glandes des tentacules extérieurs. L’impulsion partant des glandes du disque agit directement sur la partie mobile des tentacules extérieurs, partie située auprès de leur base ; elle ne se propage pas d’abord, comme nous le prouverons plus tard, à travers les pédicelles jusqu’aux glandes qui renverraient ensuite cette impulsion à la partie mobile. Néanmoins, une certaine influence parvient jusqu’aux glandes, leur fait produire des sécrétions plus abondantes et les rend acides. Je crois que ce dernier fait est tout nouveau dans la physiologie des plantes ; on n’a même démontré que tout récemment que, dans le règne animal, une impulsion peut se transmettre le long des nerfs jusqu’aux glandes et modifier leur puissance de sécrétion indépendamment de l’état des vaisseaux sanguins.

Inflexion des tentacules extérieurs lorsque l’on excite les glandes du disque par des attouchements répétés ou qu’on laisse des objets en contact avec elles.

J’ai excité les glandes centrales d’une feuille avec un petit pinceau de poils de chameau un peu durs : au bout de soixante-dix minutes, plusieurs tentacules extérieurs étaient infléchis ; au bout cinq heures tous les tentacules marginaux étaient infléchis ; le lendemain matin, après un intervalle d’environ vingt-deux heures, ils s’étaient complétement redressés. Dans tous les cas suivants je compte le temps à partir de la première excitation. Chez une autre feuille traitée de la même façon, quelques tentacules s’infléchirent au bout de vingt minutes ; au bout de quatre heures tous les tentacules, marginaux et quelques-uns des tentacules du bord extrême s’étaient infléchis, aussi bien que les bords eux-mêmes de la feuille ; au bout de dix-sept heures ils étaient complétement redressés. Je plaçai alors une mouche morte au centre de cette dernière feuille ; le lendemain matin, tous les tentacules s’étaient fermés sur elle ; cinq jours après, la feuille s’était redressée et les glandes des tentacules couvertes de sécrétions étaient toutes prêtes à agir de nouveau.

J’ai placé bien des fois sur des feuilles des morceaux de viande, des mouches mortes, des parcelles de papier, de bois, de mousse desséchée, d’éponge, de cendre, de verre, etc. ; tous ces objets sont embrassés par les tentacules dans des périodes de temps qui varient entre une heure et vingt-quatre heures, puis la feuille et les tentacules reprennent leur position normale dans des périodes variant de un, à deux, à sept, ou même à dix jours, selon la nature de l’objet. Je plaçai un jour une mouche sur une feuille qui avait déjà capturé naturellement deux mouches et qui s’était déjà fermée et ouverte une, ou plus probablement deux fois ; au bout de sept heures, cette mouche fut modérément embrassée, ou bout de vingt et une heures elle l’était complètement et les bords de la feuille étaient infléchis. Deux jours et demi après, la feuille avait presque repris sa position normale ; l’objet excitant étant un insecte, cette période extraordinairement courte d’inflexion était probablement due à ce que la feuille avait été récemment mise en action. Je laissai cette même feuille se reposer pendant un seul jour, puis je plaçai sur elle une autre mouche ; les tentacules s’infléchirent de nouveau, mais très-lentement. Cependant, en moins de deux jours, ils avaient complètement embrassé la mouche.

Quand on place un petit objet sur les glandes du disque, d’un côté de la feuille, aussi près que possible de la circonférence, les tentacules placés de ce côté sont les premiers affectés ; ceux placés du côté opposé de la feuille s’infléchissent beaucoup plus tard et souvent même ils ne s’infléchissent pas du tout. J’ai fait à ce sujet de nombreuses expériences en me servant de morceaux de viande. Je me contenterai, toutefois, de citer ici un seul exemple : une mouche très-petite vint se poser naturellement sur le bord gauche du disque central d’une feuille et ses pattes adhérèrent aux glandes. Les tentacules marginaux de ce côté de la feuille s’infléchirent et tuèrent la mouche. Quelque temps après, le bord même de la feuille, de ce même côté, s’infléchit aussi et resta en cet état pendant plusieurs jours ; mais, ni les tentacules situés de l’autre côté de la feuille, ni le bord de la feuille à l’extrémité opposée ne furent affectés le moins du monde.

Quand on expérimente sur des feuilles jeunes et actives, une parcelle d’un corps inorganique, à peine grosse comme la tête d’une petite épingle, placée sur les glandes centrales suffit parfois pour faire infléchir les tentacules extérieurs. Mais ce résultat s’obtient plus sûrement et plus rapidement si l’objet contient des matières azotées qui peuvent être dissoutes par les sécrétions. J’observai une fois la circonstance extraordinaire suivante. Je plaçai sur plusieurs feuilles des petits morceaux de viande crue (substance qui agit plus énergiquement que toutes les autres), de papier, de mousse desséchée, une barbe de plume, et tous ces objets furent également embrassés dans un délai d’environ deux heures. D’autres fois, j’employai les substances que je viens d’indiquer, ou, plus ordinairement, des éclats de verre, des parcelles de charbon prises dans le foyer, des petites pierres, de la feuille d’or, de l’herbe desséchée, du liège, du papier buvard, du coton, des cheveux roulés en petites pelotes ; or, bien que ces substances fussent quelquefois complétement embrassées, il arrivait souvent qu’elles ne provoquaient aucun mouvement dans les tentacules extérieurs, ou seulement un mouvement très-faible et très-lent. Cependant, ces feuilles étaient en pleine activité, ce dont je m’assurai en les excitant au moyen de substances contenant des matières azotées solubles, telles que des morceaux de viande crue ou rôtie, le blanc ou le jaune d’un œuf cuit, des fragments d’insectes de toute espèce, araignées, etc. Je ne citerai que deux exemples. Je plaçai des mouches très-petites sur les disques de plusieurs feuilles et, sur d’autres, des boulettes de papier, de mousse, de barbes de plume, ayant à peu près la même grosseur que les mouches ; ces dernières furent toutes embrassées par les tentacules au bout de quelques heures ; tandis qu’après avoir séjourné vingt-cinq heures sur les feuilles, les autres objets n’avaient produit l’inflexion que d’un petit nombre de tentacules. J’enlevai alors les boulettes de papier, de mousse, de barbes de plume et je les remplaçai par des morceaux de viande crue ; presque immédiatement après tous les tentacules s’infléchirent énergiquement.

Derechef je plaçai sur le centre de trois feuilles des petits morceaux de charbon pesant un peu plus que les mouches employées dans la dernière expérience ; après un intervalle de dix-neuf heures, l’un de ces morceaux était assez bien embrassé ; un second, par quelques tentacules seulement ; le troisième n’avait provoqué aucun mouvement dans la feuille. J’enlevai alors les deux morceaux placés sur ces deux dernières feuilles et je les remplaçai par des mouches récemment tuées. Ces mouches furent assez bien embrassées au bout de sept heures et demie et complètement au bout de vingt heures et demie ; les tentacules restèrent infléchis pendant plusieurs jours. D’autre part, la feuille qui avait, en dix-neuf heures, embrassé dans une certaine mesure, le morceau de charbon, et à laquelle je n’avais pas donné de mouches, avait repris sa position normale et était, par conséquent, prête à agir de nouveau trente-trois heures après, c’est-à-dire cinquante-deux heures à partir du moment où le morceau de charbon avait été placé sur elle.

Il résulte de ces expériences, ainsi que d’une foule d’autres qu’il est inutile de rapporter ici, que les substances inorganiques ou certaines substances organiques qui ne sont pas attaquées par la sécrétion, agissent sur la feuille beaucoup moins rapidement et beaucoup moins efficacement que les substances organiques contenant des matières solubles que la plante peut absorber. En outre, j’ai observé fort peu d’exceptions à la règle suivante : les tentacules restent infléchis sur les corps organiques de la nature de ceux que nous venons d’indiquer beaucoup plus longtemps que sur ceux sur lesquels la sécrétion n’a aucun effet ou que sur les objets inorganiques ; et encore ces exceptions semblent s’expliquer naturellement par le fait

que la feuille avait été récemment en action[8].

Inflexion des tentacules extérieurs causée directement par des objets mis en contact avec leurs glandes.


J’ai fait un grand nombre d’expériences en plaçant, au moyen d’une aiguille très-fine, humectée d’eau distillée, et en me servant d’une loupe, des parcelles de diverses substances sur les sécrétions visqueuses qui entourent les glandes des tentacules extérieurs. J’ai répété ces expériences sur les glandes ovales et sur les glandes allongées. Quand on place ainsi une parcelle d’une substance quelconque sur une seule glande, on peut facilement observer les mouvements du tentacule, d’autant mieux que tous ceux qui l’environnent restent immobiles (voir, p. 13, la fig. 6). Dans quatre expériences, des petites parcelles de viande crue ont fait considérablement infléchir les tentacules au bout de cinq ou six minutes. J’ai observé avec beaucoup de soin un tentacule traité de la même façon, et j’ai pu m’assurer qu’il changeait de position au bout de dix secondes ; c’est, d’ailleurs, le mouvement le plus rapide que j’aie jamais observé. Au bout de deux minutes trente secondes, ce tentacule avait décrit un angle d’environ 45° ; ces mouvements, observés au moyen d’une loupe, ressemblent à ceux d’une aiguille sur une horloge. Au bout de cinq minutes, il avait décrit un angle de 90°, et, dix minutes plus tard, la parcelle de viande avait été transportée au centre de la feuille ; ce tentacule avait donc exécuté son mouvement d’inflexion complet en moins de dix-sept minutes trente secondes. Au bout de quelques heures, ce petit morceau de viande, mis en contact avec quelques glandes du disque central, avait agi sur tous les tentacules extérieurs, qui tous s’étaient complètement infléchis. Des fragments de mouches placés sur les glandes de quatre tentacules extérieurs, projetés dans le même plan que la feuille, causèrent aussi l’inflexion de ces tentacules ; trois d’entre eux décrivirent en trente-cinq minutes un angle de 180° pour porter ces fragments au centre de la feuille. Le fragment posé sur le quatrième tentacule était très-petit, et il ne fut amené au centre qu’au bout de trois heures. Dans trois autres cas, des petites mouches ou des parties de grosses mouches furent portées au centre de la feuille au bout d’une heure trente secondes. Dans ces sept expériences, les petites mouches ou les fragments de mouches, qui avaient été amenés aux glandes centrales par un seul tentacule, causèrent l’inflexion de tous les autres tentacules dans un espace de temps qui a varié de quatre à dix heures.

J’ai placé, de la même façon, sur les glandes de six tentacules extérieurs de feuilles différentes, six petites boulettes de papier roulées à l’aide de pinces de façon à ne pas les toucher avec les doigts. Trois de ces boulettes furent amenées au centre au bout d’une heure environ ; les trois autres, au bout d’un peu plus de quatre heures. Mais ce n’est que vingt-quatre heures après que deux des six boulettes furent embrassées par tous les autres tentacules de la feuille. Il est possible que la sécrétion ait dissous une trace de colle ou de matière animalisée dans ces boulettes de papier. Je plaçai alors quatre parcelles de cendre de charbon sur les glandes de quatre tentacules extérieurs ; l’un de ces tentacules atteignit le centre de la feuille au bout de trois heures quarante minutes ; le second, au bout de neuf heures ; le troisième, au bout de vingt-quatre heures, mais ce dernier n’avait décrit qu’un angle fort petit au bout de neuf heures ; quant au quatrième, il n’avait, en vingt-quatre heures, parcouru qu’une faible partie de la distance et était alors resté stationnaire. Sur les trois morceaux de cendre de charbon qui avaient été portés au centre, un seul causa l’inflexion de la plupart des autres tentacules. Il est donc évident que des corps tels que des parcelles de cendres ou des petites boulettes de papier, après avoir été amenés par les tentacules extérieurs jusqu’aux glandes centrales, agissent sur les autres tentacules de toute autre façon que ne le font les mouches.

J’ai fait, sans noter avec beaucoup de soin le laps de temps employé par les mouvements, beaucoup d’essais analogues avec d’autres substances, telles que des éclats de verre blanc ou bleu, des parcelles de liège, des petits morceaux de feuille d’or, etc. Le nombre proportionnel des cas où les tentacules portèrent leur fardeau jusqu’au centre de la feuille ou ne parcoururent qu’une petite partie de la distance, ou ne bougèrent pas du tout, a beaucoup varié. Un soir, je plaçai, sur douze glandes environ, des parcelles de verre et de liège un peu plus grosses que celles que j’employais ordinairement ; le lendemain matin, c’est-à-dire environ treize heures après, chaque tentacule avait transporté son petit fardeau jusqu’au centre ; il est probable que la grosseur extraordinaire des morceaux employés explique ce résultat. Dans un autre cas, les 6/7es des particules de cendre, de verre et de fil, placés sur des glandes séparées, provoquèrent une inflexion ou furent portées jusqu’au centre ; dans un autre cas, j’obtins le même résultat pour les 7/9es ; dans un autre, pour les 7/12es ; et, enfin, dans un dernier cas, pour les 7/26es ; il est probable que cette dernière proportion, si minime, était due, au moins en partie, à ce que les feuilles étaient assez vieilles et inactives. Quelquefois, en me servant d’une loupe puissante, j’ai pu voir une glande chargée de son petit fardeau parcourir une très-petite distance, puis s’arrêter ; cela arrivait surtout quand j’employais des parcelles extrêmement petites, c’est-à-dire beaucoup plus petites que celles dont je vais indiquer ci-après les dimensions. On peut donc atteindre ainsi les limites de l’action sur les tentacules.

J’ai été tellement surpris de la petitesse des parcelles qui causent une inflexion considérable des tentacules, qu’il m’a paru utile de m’assurer avec soin jusqu’à quel point on pourrait réduire ces parcelles, à condition toutefois qu’elles causent un mouvement. J’ai donc demandé à M. Trenham Reeks de peser avec soin, dans l’excellente balance qui se trouve dans le laboratoire de Jermyn Street, des longueurs déterminées d’une bande fort étroite de papier buvard, de fil de coton fin et de cheveux de femme. On a commencé par mesurer et par couper, à l’aide d’un micromètre, des morceaux extrêmement petits de papier, de fils et de cheveux, de façon à ce que le poids de ces différents objets puisse être facilement calculé. Je plaçai ces petits morceaux sur la sécrétion visqueuse entourant les glandes des tentacules extérieurs, en prenant toutes sortes de précautions afin de ne pas toucher la glande elle-même ; un simple attouchement n’aurait d’ailleurs produit aucun effet. Je plaçai une parcelle de papier buvard, pesant 1/465e de grain (0,14 de milligr.), de façon à ce qu’il reposât sur trois glandes en même temps ; or, les trois tentacules se mirent lentement en mouvement ; en supposant que le poids ait été distribué également, chaque glande n’avait à supporter que le 1/1395e de grain, ou 0,0464 de milligramme. J’employai alors cinq morceaux à peu près égaux de fils de coton et tous provoquèrent l’inflexion. Le plus court de ces morceaux avait 1/50e de pouce (0,508 de millim.) de longueur et pesait 1/8197es de grain (0,00793 de milligr.) Le tentacule, dans ce cas, s’infléchit considérablement en une heure trente minutes, et le morceau de fil fut porté au centre de la feuille en une heure quarante minutes. Je plaçai sur deux glandes, aux côtés opposés d’une même feuille, deux morceaux coupés à l’extrémité la plus mince d’un cheveu de femme ; l’un de ces morceaux avait 18/1000es de pouce (0,457 de millim.) de longueur, et pesait 1/35714es de grain (0,00181 de milligr.) ; l’autre avait 19/1000es de pouce (0,482 de millim.) de longueur, et pesait, bien entendu, un peu plus. Ces deux tentacules décrivirent en une heure dix minutes la moitié de la distance vers le centre de la feuille ; tous les autres tentacules de la feuille restèrent immobiles. L’aspect de cette feuille prouvait, de la façon la plus évidente, qu’une parcelle aussi petite suffit pour provoquer l’inflexion des tentacules. En résumé, j’ai placé dix parcelles de cheveux semblables sur dix glandes appartenant à autant de feuilles, et sept d’entre elles provoquèrent un mouvement apparent des tentacules ; le plus petit morceau que j’aie essayé, et qui causa une action évidente, avait seulement 8/1000e de pouce (0,203 de millim.) de longueur, et pesait 1/78740 de grain ou 0,000822 de milligramme. Dans ces divers cas, non-seulement l’inflexion des tentacules était apparente, mais encore le liquide pourpre contenu dans leurs cellules s’agrégea en petites masses de protoplasma, ainsi qu’il sera décrit dans le prochain chapitre ; cette agrégation était si évidente que j’aurais pu, par ce moyen seul, indiquer facilement, en me servant du microscope, tous les tentacules qui s’étaient infléchis vers le centre, au milieu des centaines d’autres appartenant aux mêmes feuilles, qui n’avaient pas été mis en mouvement.

La petitesse des parcelles qui suffisent pour provoquer l’inflexion m’a considérablement surpris ; mais je l’ai été plus encore quand je me suis demandé comment il était possible que ces parcelles eussent une action sur les glandes ; il faut se rappeler, en effet, que ces parcelles avaient été placées avec le plus grand soin sur la surface convexe de la sécrétion. Je pensai d’abord, mais je sais aujourd’hui que je me trompais, que des parcelles de substances ayant une densité aussi minime que le liège, le fil et le papier ne devaient pas pouvoir arriver au contact de la surface des glandes. Ces parcelles ne peuvent agir simplement en raison de ce que leur poids s’ajoute à celui de la sécrétion, car j’ai placé bien des fois sur cette sécrétion des petites gouttes d’eau beaucoup plus lourdes que ces parcelles, et aucun effet n’a jamais été produit. On ne peut pas attribuer non plus l’inflexion au trouble apporté dans la sécrétion, car, au moyen d’une aiguille, j’en ai souvent étiré de longs filaments, et je les ai fixés à quelque objet voisin, laissant les choses en cet état pendant des heures ; or, les tentacules restaient immobiles.

J’ai aussi enlevé avec soin la sécrétion de quatre glandes, en me servant d’un morceau de papier buvard roulé en pointe fine, de façon à ce que ces glandes nues restassent pendant quelque temps exposées à l’air ; cela ne provoqua aucun mouvement. Cependant, ces glandes étaient en parfait état, car, au bout de vingt-quatre heures, je plaçai sur elles des petits morceaux de viande, et elles s’infléchirent toutes très-rapidement. Il me vint alors à la pensée que des parcelles suspendues au-dessus de la surface sécrétante projettent une ombre sur les glandes, et que celles-ci pouvaient être très-sensibles à l’interception de la lumière. Bien que cela fût très-improbable, car des éclats de verre incolore très-petits et très-minces ont une action puissante, je n’en résolus pas moins de tenter un essai. Dès qu’il fit nuit, je plaçai aussi rapidement que possible, en m’éclairant d’une seule bougie, des parcelles de liège sur les glandes d’une douzaine de tentacules, et des morceaux de viande sur d’autres glandes, puis je les recouvris de façon à ce que pas un rayon de lumière ne pût parvenir jusqu’à la feuille. Le lendemain matin, après un intervalle de treize heures, toutes ces particules avaient été transportées au centre des différentes feuilles.

Ces résultats négatifs me conduisirent à tenter beaucoup d’autres expériences. Je plaçai des parcelles à la surface des gouttes de sécrétion, en observant avec beaucoup de soin si elles pénétraient dans la sécrétion pour toucher la surface des glandes. La sécrétion, grâce à son poids, forme généralement une couche plus épaisse sur le côté inférieur des glandes que sur leur côté supérieur, quelle que puisse être d’ailleurs la position des tentacules. J’expérimentai donc avec des morceaux extrêmement petits, tels que ceux que j’avais employés déjà, de liège desséché, de fil, de papier buvard et de charbon ; j’observai qu’ils absorbent en quelques minutes une quantité beaucoup plus considérable de la sécrétion que je ne l’aurais cru possible. Placées à la surface supérieure de la sécrétion à l’endroit où elle est le plus mince, ces parcelles sont souvent entraînées quelques minutes après, de façon à se trouver en contact au moins avec un point de la glande. Quant aux éclats de verre très-petits et aux parcelles de cheveux, j’observai que la sécrétion les recouvre lentement et qu’ils sont aussi attirés du haut en bas ou de côté, et qu’ainsi une de leurs extrémités arrive à toucher la glande plus ou moins vite.

Dans les cas que je viens d’indiquer et dans les cas qui suivent, il est probable que les vibrations auxquelles on est exposé dans toutes les chambres, contribuent beaucoup à amener les parcelles en contact avec les glandes. Or, comme il est quelquefois difficile, à cause de la réfraction produite par la sécrétion, de s’assurer si la parcelle est réellement en contact avec la glande, j’essayai l’expérience suivante. Je plaçai, avec beaucoup de soin, sur les gouttelettes entourant diverses glandes, des morceaux extraordinairement petits de verre, de cheveux et de liège ; peu de glandes furent affectées. J’agitai alors, au bout d’une demi-heure environ, avec une aiguille très-fine, et en me servant du microscope, les parcelles qui se trouvaient sur les tentacules qui n’avaient donné aucun signe d’action, tout en ayant soin de ne pas toucher les glandes. Or, au bout de quelques minutes, presque tous les tentacules jusqu’alors immobiles commencèrent à s’infléchir, mouvement causé sans doute parce qu’une extrémité des parcelles avait été placée en contact avec la surface des glandes. Toutefois, comme les molécules étaient extrêmement petites, le mouvement fut peu considérable.

J’employai enfin du verre bleu foncé réduit dans le mortier en éclats très-petits, afin de pouvoir mieux distinguer les extrémités des parcelles plongées dans la sécrétion ; je plaçai treize de ces parcelles en contact avec les parties pendantes et, par conséquent, plus épaisses, des gouttes autour de treize glandes. Cinq tentacules se mirent en mouvement après un intervalle de quelques minutes, et je pus m’assurer, dans ces cas, que les parcelles étaient en contact avec la surface inférieure de la glande. Un sixième tentacule se mit en mouvement au bout d’une heure quarante-cinq minutes ; la parcelle de verre se trouvait alors en contact avec la glande, contact qui ne s’était pas produit jusque-là ; il en fut de même pour un septième tentacule, mais il ne commença à s’infléchir qu’au bout de trois heures quarante-cinq minutes. Les six autres tentacules restèrent immobiles pendant tout le temps que je les observai ; il est probable que, chez eux, les parcelles ne se trouvèrent jamais en contact avec la surface des glandes.

Ces expériences nous enseignent que les parcelles de substances ne contenant aucune matière soluble, causent souvent l’inflexion des tentacules dans un laps de temps variant de une à cinq minutes ; mais il faut, dans ce cas, que les parcelles se soient trouvées tout d’abord en contact avec la surface des glandes. Quand les tentacules ne commencent à se mouvoir qu’au bout d’un temps beaucoup plus long, c’est-à-dire d’une demi-heure à trois ou quatre heures, c’est que les parcelles ont été lentement amenées au contact des glandes, soit parce qu’elles ont absorbé la sécrétion, soit parce que celle-ci les a graduellement recouvertes, et qu’il s’y est joint une évaporation plus rapide. Quand les tentacules restent immobiles, c’est que les parcelles ne se sont pas trouvées en contact avec les glandes, ou que les tentacules ne sont pas à l’état actif. En tout cas, il est indispensable pour provoquer un mouvement des tentacules qu’une molécule d’un corps, quel qu’il soit, repose immédiatement sur les glandes, car un attouchement répété une, deux, ou même trois fois, avec un corps dur ne suffit pas pour provoquer un mouvement.

Je puis citer ici une autre expérience qui prouve que des parcelles extrêmement petites suspendues dans l’eau agissent sur les glandes. J’ai fait dissoudre un grain (0,065 de gramme) de sulfate de quinine dans une once d’eau (31,091 grammes) sans filtrer la solution. Je plongeai trois feuilles dans quatre-vingt-dix minimes de ce liquide, et je fus tout étonné de voir que les trois feuilles s’infléchissaient considérablement au bout de vingt-cinq minutes ; je savais, en effet, à la suite d’essais précédents, que la solution n’agit pas aussi rapidement. Il me vint immédiatement à la pensée que des parcelles de sulfate de quinine non dissous, parcelles assez légères pour se trouver en suspension dans l’eau, avaient pu se trouver en contact avec les glandes, et causer ce mouvement rapide. Pour m’en assurer, j’ajoutai à de l’eau distillée une pincée d’une substance très-innocente, c’est-à-dire un précipité de carbonate de chaux qui, comme on le sait, consiste en une poudre impalpable ; j’agitai le mélange et j’obtins ainsi un liquide ressemblant à du lait très-étendu d’eau. Je plongeai deux feuilles dans ce liquide, et, au bout de six minutes, presque tous les tentacules étaient infléchis. Je plaçai une de ces feuilles sous le microscope, et je pus m’assurer que d’innombrables atomes de chaux adhéraient à la surface extérieure de la sécrétion. Quelques autres l’avaient traversée et reposaient sur la surface des glandes ; c’étaient sans doute ces dernières parcelles qui avaient provoqué l’inflexion des tentacules. Quand on plonge une feuille dans l’eau, la sécrétion se gonfle beaucoup ; je suppose qu’il se produit ça et là une fissure, et que, de cette façon, l’eau peut pénétrer jusqu’à la glande. S’il en est ainsi, il est facile de s’expliquer que les atomes de chaux qui reposaient à la surface des glandes aient pu traverser la sécrétion. Quiconque a écrasé entre ses doigts de la chaux précipitée a pu se rendre compte de l’excessive finesse de cette poudre. Sans doute, il doit y avoir une limite au delà de laquelle une molécule serait trop petite pour agir sur la glande ; mais je ne saurais dire quelle est cette limite. J’ai souvent vu des fibres et de la poussière tomber de l’atmosphère sur les glandes des plantes que je cultive dans ma chambre, mais cette poussière n’a jamais provoqué le moindre mouvement ; il est vrai d’ajouter que ces parcelles reposaient à la surface du liquide sécrété, et ne pénétraient jamais jusqu’aux glandes.

Enfin, n’est-ce pas un fait extraordinaire qu’un petit morceau de fil ayant 1/50e de pouce (0,508 de millim.) de longueur, et pesant 1/8197e de grain (0,00793 de milligr.), qu’un cheveu humain ayant 8/1000e de pouce (0,203 de millim.) de longueur, et ne pesant que 1/78740e de grain (0,000822 de milligr.), ou que des molécules d’un précipité de chaux, après avoir reposé quelque temps sur une glande, amènent quelque changement dans ses cellules, et les provoquent à transmettre une impulsion à travers toute la longueur du pédicelle, qui comprend environ vingt cellules, jusque vers la base, fassent fléchir cette base et fassent décrire aux tentacules un angle de plus de 180e ? Nous pourrons citer, en traitant de l’agrégation du protoplasma, des preuves nombreuses qui prouvent que le contenu des cellules des glandes, et ensuite le contenu des cellules des pédicelles, sont évidemment affectés par la pression de parcelles extrêmement petites. Le cas, d’ailleurs, est encore bien plus remarquable que je ne l’ai indiqué jusqu’à présent, car les parcelles reposent sur une sécrétion dense et visqueuse ; néanmoins, des molécules encore plus petites que celles dont j’ai pu donner la mesure, amenées au contact de la surface d’une glande par un des moyens que je viens d’indiquer et par un mouvement insensible, agissent sur cette glande et causent l’inflexion du tentacule.

Il est impossible d’exprimer combien doit être minime la pression exercée par un morceau de cheveu, ne pesant que 1/78740e de grain (0,00082 de milligr.), supporté qu’il est en outre par un liquide dense. Nous pouvons supposer que cette pression peut à peine égaler un millionième de grain ; nous verrons d’ailleurs bientôt que moins d’un millionième de grain de phosphate d’ammoniaque en solution, absorbé par une glande, agit sur elle et provoque un mouvement du tentacule. J’ai placé sur ma langue un morceau de cheveu ayant l/50e de pouce de longueur, morceau par conséquent beaucoup plus gros que ceux employés dans les expériences précédentes ; or, il m’a été impossible de m’apercevoir de sa présence. Il est très-douteux, je crois, que le nerf le plus sensible du corps humain, en admettant même que ce nerf soit le siège d’une inflammation, puisse être affecté par une substance aussi petite, supportée par un liquide dense qui l’amène lentement en contact avec lui. Cependant, ces parcelles suffisent à irriter les glandes du Drosera et à provoquer une impulsion qui se transmet à un point éloigné et qui se traduit par un mouvement apparent. Il me semble que c’est là un des faits les plus remarquables qu’on ait observés jusqu’à présent dans le règne végétal.

Inflexion des tentacules extérieurs quand on excite leurs glandes par des attouchements répétés.

Nous avons déjà vu que si on excite les glandes centrales en les frottant légèrement, ces glandes transmettent une impulsion aux tentacules extérieurs et déterminent leur inflexion. Nous avons actuellement à examiner l’effet produit par des attouchements opérés sur les glandes des tentacules extérieurs. Il m’est arrivé bien souvent de toucher une fois seulement, avec une aiguille ou avec un pinceau, un grand nombre de glandes assez fortement pour incliner tout le tentacule flexible ; or, bien que la pression ainsi opérée ait dû être mille fois plus grande que celle opérée par le poids des parcelles ci-dessus décrites, pas un seul tentacule ne s’est infléchi. Dans une autre occasion, j’ai touché quarante-cinq glandes sur onze feuilles, une, deux et même trois fois avec une aiguille ou avec un pinceau assez rude. Cet attouchement a été fait aussi rapidement que possible, mais avec assez de force pour incliner les tentacules ; cependant, six seulement s’infléchirent, trois d’une façon apparente et trois très-légèrement. Afin de m’assurer si les tentacules qui n’avaient pas été affectés se trouvaient à l’état actif, je plaçai sur dix d’entre eux des petits morceaux de viande, et tous s’infléchirent bientôt de façon très-apparente. D’autre part, quand on répète sur un grand nombre de glandes quatre, cinq ou six fois de suite l’attouchement que je viens d’indiquer, avec une aiguille ou un éclat aigu de verre, une proportion beaucoup plus grande des tentacules s’infléchissent ; mais le résultat est si incertain, qu’on pourrait presque l’appeler capricieux. Par exemple, je touchai, ainsi que je viens de le dire, trois glandes qui se trouvaient extrêmement sensibles, et les trois tentacules s’infléchirent presque aussi rapidement que si j’avais placé des morceaux de viande sur les glandes. Dans une autre occasion, j’exerçai une seule pression très-vive sur un nombre considérable de glandes, et pas un tentacule ne se mit en mouvement ; mais, en exerçant, quelques heures après, quatre ou cinq attouchements sur ces mêmes glandes avec une aiguille, plusieurs tentacules s’infléchirent aussitôt.

Le fait qu’un, deux ou même trois attouchements ne causent pas d’inflexion doit être fort utile à la plante. En effet, pendant le mauvais temps, il est à peu près certain que les glandes doivent être touchées par les herbes ou par les plantes qui croissent auprès d’elles ; or, ce serait un grand malheur pour elles si ces attouchements suffisaient pour faire infléchir les tentacules ; car il leur faut beaucoup de temps pour reprendre leur position normale, et il leur est impossible de saisir une proie jusqu’à ce qu’ils se soient redressés. D’autre part, une sensibilité extrême pour une pression, quelque légère qu’elle soit, rend les plus grands services à la plante ; car, ainsi que nous l’avons vu, si les pattes fines d’un insecte très-petit pressent légèrement deux ou trois glandes au moment où il se débat, les tentacules portant ces glandes s’infléchissent et portent l’insecte vers le centre de la feuille ; le mouvement se communique au bout de quelques instants à tous les tentacules de la circonférence, qui viennent à leur tour embrasser la proie commune. Néanmoins, les mouvements de la plante ne sont pas parfaitement adaptés à ses besoins ; car si un morceau de mousse desséchée, si une parcelle d’une feuille ou d’un autre objet est porté par le vent au centre de la feuille, comme cela arrive souvent, les tentacules s’infléchissent inutilement pour le saisir. Il est vrai qu’ils reconnaissent bientôt leur erreur et relâchent ces objets, qui ne leur fournissent aucun aliment.

Il est aussi un fait remarquable, c’est que les gouttes d’eau, tombant d’en haut sous forme de pluie naturelle ou artificielle, ne provoquent pas de mouvement dans les tentacules ; cependant, les gouttes d’eau doivent frapper les glandes avec une force considérable, surtout quand une pluie abondante a enlevé toute la sécrétion ; or, ceci arrive souvent, bien que la sécrétion soit si visqueuse, qu’il est difficile de l’enlever en agitant les feuilles dans l’eau. Si les gouttes d’eau sont petites, elles adhèrent à la sécrétion, dont le poids doit être ainsi beaucoup plus augmenté, comme nous l’avons déjà fait remarquer, que dans le cas où on place sur elles des morceaux extrêmement petits de matières solides ; cependant les gouttes d’eau ne provoquent jamais l’inflexion des tentacules. Il est évident que c’eût été un grand malheur pour la plante si, comme nous l’avons déjà dit pour les attouchements accidentels, une ondée avait provoqué l’inflexion des tentacules ; mais ce malheur a été évité, soit parce que les glandes, en raison d’une longue habitude, sont devenues insensibles aux coups et à la pression prolongée des gouttes d’eau, soit parce que, dès le principe, elles ont été sensibles seulement au contact des corps durs. Nous verrons ci-après que les filaments des feuilles de la Dionée sont aussi insensibles au choc des liquides, bien qu’elles soient très-sensibles au moindre attouchement d’un corps solide quel qu’il soit.

Quand on coupe avec des ciseaux bien affilés le pédicelle d’un tentacule juste au-dessous de la glande, le tentacule s’infléchit ordinairement. J’ai répété bien des fois cette expérience, ce fait m’ayant beaucoup surpris ; car toutes les autres parties du pédicelle sont insensibles, de quelque façon qu’on veuille les exciter. Ces tentacules décapités reprennent au bout de quelque temps leur position normale ; mais j’aurai à revenir sur ce point. D’autre part, j’ai quelquefois réussi à écraser une glande avec des pinces ; mais cela ne produit aucune inflexion. Dans ce dernier cas, le tentacule semble paralysé, de même qu’il l’est par l’action d’une solution trop forte de certains sels et par une trop grande chaleur ; tandis que les solutions plus faibles du même sel et qu’une chaleur plus douce provoquent chez lui un mouvement. Nous verrons aussi, dans les chapitres suivants, que divers autres liquides, que quelques vapeurs et que l’oxygène (après que la plante a été pendant quelque temps soustraite à l’action de ce gaz) provoquent des inflexions ; on peut en provoquer aussi en se

servant d’un courant électrique induit[9].

CHAPITRE III.

agrégation du protoplasma à l’intérieur des cellules des tentacules.

Nature du contenu des cellules avant l’agrégation. — Différentes causes qui excitent l’agrégation. — Cette agrégation commence à l’intérieur des glandes et se propage le long des tentacules. — Description des masses agrégées et de leurs mouvements spontanés. — Courants de protoplasma le long des parois des cellules. — Action du carbonate d’ammoniaque. — Les granules du protoplasma qui circulent le long des parois se confondent avec les masses centrales. — Une quantité extrêmement petite de carbonate d’ammoniaque suffit pour déterminer l’agrégation. — Action des autres sels d’ammoniaque. — Action d’autres substances, de liqueurs organiques, etc. — Action de l’eau, de la chaleur. — Redissolution des masses agrégées. — Causes immédiates de l’agrégation du protoplasma. — Résumé et conclusions. — Observations supplémentaires sur l’agrégation dans les racines des plantes.


J’interromprai ici la description des mouvements des feuilles pour étudier les phénomènes d’agrégation auxquels j’ai déjà fait allusion. Si l’on examine les tentacules d’une plante jeune, bien que complètement développée, mais qui n’a jamais été excitée, ou dont les tentacules ne se sont jamais infléchis, on voit que les cellules composant les pédicelles sont remplies d’une liqueur pourpre homogène. Les parois sont garnies d’une couche de protoplasma incolore douée d’un certain mouvement de circulation ; mais on aperçoit ce protoplasma beaucoup plus distinctement quand l’agrégation a été provoquée en partie. La liqueur pourpre qui sort d’un tentacule écrasé est quelque peu adhésive et ne se mélange pas avec l’eau ; elle contient beaucoup de matière floconneuse ou granuleuse. Mais il se peut que ces matières aient été engendrées par l’écrasement des cellules, car une certaine agrégation a dû se produire instantanément pendant cet écrasement.

Si l’on examine un tentacule quelques heures après que la glande a été excitée par des attouchements répétés ou parce qu’on a placé sur elle des particules organiques ou inorganiques, ou qu’on lui a fait absorber différents liquides, son aspect est tout autre. Les cellules, au lieu d’être remplies d’un liquide pourpre homogène, contiennent alors des masses de matières pourpres affectant différentes formes, suspendues dans un liquide incolore ou presque incolore. Ce changement est si évident qu’on peut l’observer en se servant d’une loupe très-faible ou quelquefois même à l’œil nu ; les tentacules ont alors une sorte d’apparence bigarrée qui permet de les distinguer facilement de tous les autres. On obtient le même résultat si, par un moyen quelconque, on excite les glandes du disque de façon à ce que les tentacules extérieurs s’infléchissent ; leur contenu, en effet, s’agrège alors, bien que leurs glandes n’aient été en contact avec aucun objet. Toutefois, comme nous allons le voir tout à l’heure, l’agrégation peut se produire indépendamment de l’inflexion. Quelle que soit la cause qui produise l’agrégation, elle commence dans les glandes et se propage ensuite le long des tentacules. On peut observer cette agrégation beaucoup plus distinctement dans les cellules supérieures des pédicelles que dans les glandes elles-mêmes, car celles-ci sont quelque peu opaques. Peu de temps après que les tentacules ont repris leur position naturelle à la suite d’une inflexion, les petites masses de protoplasma se dissolvent toutes et le liquide pourpre contenu dans les cellules devient aussi homogène et aussi transparent qu’il l’était auparavant. Cette dissolution commence à la base des tentacules pour se diriger vers les glandes et suit, par conséquent, une direction contraire à celle de l’agrégation. J’ai soumis au professeur Huxley, au docteur Hooker et au docteur Burdon Sanderson des tentacules agrégés ; ils en ont observé les changements au microscope et ont été très-frappés de ce phénomène.

Les petites masses de matières agrégées affectent les formes les plus diverses ; elles sont souvent sphériques ou ovales, quelquefois très-allongées ou tout à fait irrégulières avec des projections qui ressemblent à des fils, à des colliers ou à des bâtons. Elles consistent en une matière épaisse, évidemment visqueuse, qui, dans les tentacules extérieurs, revêt une couleur pourprée et, dans les courts
Fig. 7. — Drosera rotundifolia.
Dessins faits d’après une même cellule d’un tentacule indiquant les formes que revêtent successivement les masses agrégées de protoplasma.
tentacules du disque, une couleur verdâtre. Ces petites masses ne restent jamais au repos, elles changent incessamment de forme et de position. Une seule masse se sépare souvent en deux parties qui se réunissent ensuite. Leurs mouvements sont assez lents et ressemblent à ceux des corpuscules blancs du sang. Nous pouvons donc conclure que ces masses sont composées de protoplasma. Si on les dessine à l’intervalle de quelques minutes, on observe invariablement que ces masses ont considérablement changé de forme ; or, j’ai observé les mêmes cellules pendant plusieurs heures. J’en ai fait huit dessins à des intervalles de deux ou trois minutes ; ces dessins sont représentés par la fig. 7 ; ils indiquent les changements les plus simples et les plus ordinaires.

Quand je dessinai pour la première fois la cellule A elle renfermait deux masses ovales de protoplasma pourpre en contact l’une avec l’autre. Ces deux masses se séparèrent, comme il est indiqué en B, puis se réunirent comme l’indique la fig. C. Après un court intervalle, le protoplasma prit un aspect très-habituel D, c’est-à-dire qu’il se forma une boule très-petite à l’extrémité d’une masse allongée. Cette boule augmenta rapidement, comme il est indiqué en E, puis fut réabsorbée ainsi qu’il est indiqué en F ; en même temps une autre boule se formait à l’autre extrémité.

La cellule que je viens de représenter faisait partie d’un tentacule surmontant une feuille d’un rouge foncé, lequel
Fig. 8. — Drosera rotundifolia.
Dessins faits d’après une même cellule d’un tentacule indiquant les formes que revêtent successivement les masses agrégées de protoplasma.
tentacule avait saisi un petit insecte et fut examiné sous l’eau. Je pensai d’abord que les mouvements du protoplasma pouvaient être dus à l’absorption de l’eau ; je plaçai donc une mouche sur une feuille, et quand, au bout de dix-huit heures, tous les tentacules se furent infléchis, je les examinai sans les plonger dans l’eau. La cellule que représente la fig. 8 appartenait à cette feuille, et les huit formes différentes qu’elle affecte ont été dessinées dans l’espace de quinze minutes.

Ces dessins indiquent les changements les plus remarquables que subit le protoplasma. Tout d’abord, j’observai à la base de la fig. n° 1 une petite masse surmontant une petite tige et une plus grosse masse à l’extrémité supérieure ; ces deux masses semblaient absolument isolées. Il se peut, néanmoins, qu’elles aient été réunies par un filament de protoplasma assez fin pour être invisible, car, dans deux autres occasions, tandis qu’une des masses augmentait rapidement et qu’une autre masse de la même cellule diminuait non moins rapidement, j’ai pu, en variant l’illumination et en employant un grossissement plus fort, observer un filament extrêmement ténu qui servait évidemment de moyen de communication entre les deux masses. D’autre part, ce filament se brise quelquefois, et alors ses extrémités revêtent promptement la forme de boules. La fig. 8 représente les formes qu’a revêtues successivement le protoplasma.

Dès que le liquide pourpre qui remplit les cellules s’est agrégé, les petites masses flottent dans un liquide incolore ou presque incolore. On peut alors observer beaucoup plus distinctement la couche de protoplasma blanc granuleux qui se meut le long des parois. Le courant circule avec une vitesse irrégulière, s’élevant le long d’une des parois, et descendant le long de la paroi opposée ; il traverse d’ordinaire plus lentement les extrémités étroites des cellules allongées, mais il décrit toujours un mouvement circulaire. Toutefois, le courant s’arrête quelquefois. Le mouvement affecte parfois la forme de vagues dont la crête s’étend alors à travers toute la cellule, puis se calme presque immédiatement. Souvent aussi de petites boules de protoplasma qui semblent tout à fait isolées sont entraînées par le courant autour des cellules ; les filaments attachés aux masses centrales s’agitent de toutes parts comme s’ils essayaient de s’échapper. En un mot, ces cellules avec leurs masses centrales changeant constamment de forme et le courant de protoplasma circulant le long des parois, présentent une scène étonnante d’activité vitale.

J’ai fait de nombreuses observations sur le contenu des cellules pendant l’agrégation du protoplasma ; mais je me contenterai d’indiquer quelques cas sous différents chefs. J’ai coupé une petite partie d’une feuille, puis j’ai comprimé lentement les glandes tout en les examinant avec un fort grossissement. Au bout de quinze minutes, j’ai vu distinctement des boules extrêmement petites de protoplasma s’agréger dans le liquide pourpre ; ces boules augmentaient rapidement en grosseur à l’intérieur des cellules des glandes et des cellules de l’extrémité supérieure des pédicelles. J’ai placé des parcelles de verre, de liège et de charbon sur les glandes de nombreux tentacules : au bout d’une heure, plusieurs étaient infléchis, mais, au bout d’une heure trente-cinq minutes, je n’ai pu apercevoir aucune agrégation. J’ai examiné, au bout de huit heures, des tentacules portant des parcelles analogues ; toutes les cellules présentaient alors des phénomènes d’agrégation. Il en était de même des cellules des tentacules extérieurs qui s’étaient infléchis par suite de l’impulsion qui leur avait été transmise par les glandes du disque sur lesquelles reposaient les parcelles. J’ai observé le même phénomène à l’intérieur des cellules des tentacules courts, qui entourent le disque, bien qu’aucun d’eux ne se fût encore infléchi. Ce dernier fait prouve que les phénomènes d’agrégation se produisent indépendamment de l’inflexion des tentacules ; nous en avons, d’ailleurs, de nombreuses preuves. Dans une autre expérience, j’ai examiné avec beaucoup de soin les tentacules extérieurs de trois feuilles et j’ai pu m’assurer qu’ils ne contenaient que du liquide pourpre homogène ; je plaçai alors des petits morceaux de fil sur les glandes de trois de ces tentacules ; au bout de vingt-deux heures, le fluide pourpre de leurs cellules jusqu’à la base des pédicelles s’était transformé en innombrables masses sphériques allongées ou filamenteuses de protoplasma. Les morceaux de fil avaient été, depuis quelque temps, transportés jusqu’au disque central, ce qui avait causé l’inflexion plus ou moins prononcée de tous les autres tentacules ; les cellules de ces derniers présentaient aussi quelques traces d’agrégation, mais j’ai pu observer que cette agrégation ne s’étendait pas jusqu’à la base des pédicelles et était restreinte aux cellules placées immédiatement au-dessous des glandes.

Non-seulement les attouchements répétés opérés sur les glandes et le contact de parcelles extrêmement petites produisent l’agrégation[10], mais, si on coupe, sans les blesser, les glandes qui surmontent les pédicelles, on provoque par ce fait une certaine agrégation dans les tentacules décapités qui commencent par s’infléchir. D’autre part, si on écrase soudainement les glandes avec des pinces, comme je l’ai essayé dans six cas différents, une blessure aussi subite semble paralyser les tentacules, car ils ne s’infléchissent pas et ne présentent aucun signe d’agrégation.

Carbonate d’ammoniaque. — De toutes les causes qui provoquent l’agrégation, celle qui agit le plus rapidement et qui est la plus énergique, autant toutefois que j’ai pu en juger, est une solution de carbonate d’ammoniaque. Quelle que puisse être la force de cette solution elle agit immédiatement sur les glandes qui deviennent assez opaques pour paraître noires. Par exemple, j’ai placé une feuille dans quelques gouttes d’une forte solution, c’est-à-dire contenant une partie de carbonate pour cent quarante-six parties d’eau (ou trois grains de carbonate pour une once d’eau, 195 milligr. de carbonate pour 31 grammes d’eau) et j’ai observé la feuille au microscope avec un fort grossissement. Au bout de dix secondes, toutes les glandes commencèrent à noircir ; au bout de treize secondes, elles étaient noires. Au bout d’une minute, j’ai pu voir se former des petites masses sphériques de protoplasma dans les cellules placées immédiatement au-dessous des glandes, aussi bien que dans les renflements sur lesquels reposent les longues glandes marginales. Dans quelques cas l’agrégation s’est propagée, en dix minutes environ, le long des pédicelles sur une longueur deux ou trois fois aussi grande que celle des glandes. Il est intéressant d’observer que le phénomène s’arrête momentanément à chaque cloison transversale qui sépare deux cellules ; puis le contenu transparent de la cellule inférieure se transforme presque immédiatement en une masse nuageuse. Cette action se propage plus lentement dans la partie inférieure des pédicelles, de telle sorte qu’il s’écoule environ vingt minutes avant que les cellules situées à moitié de la longueur des tentacules marginaux et sous-marginaux présentent des traces d’agrégation.

Nous pouvons conclure de ces faits que les glandes absorbent le carbonate d’ammoniaque, non-seulement parce que son action est très-rapide, mais encore parce que les effets qu’il produit sont quelque peu différents de ceux produits par les autres sels. Comme les glandes quand on les excite, sécrètent un acide appartenant à la série acétique, il est probable que le carbonate est immédiatement transformé en un sel de cette série ; nous verrons, d’ailleurs, tout à l’heure, que l’acétate d’ammoniaque provoque l’agrégation aussi énergiquement que le fait le carbonate. Si on ajoute quelques gouttes d’une solution contenant une partie de carbonate pour quatre cent trente-sept parties d’eau (ou un grain de carbonate pour une once d’eau, 65 milligr. pour 34 grammes d’eau) au liquide pourpre qui découle des tentacules écrasés, ou sur du papier qu’on a teinté en le frottant sur ces tentacules, le liquide et le papier prennent une teinte vert-pâle sale. Cependant, j’ai pu encore distinguer, au bout d’une heure trente minutes, quelque coloration pourpre dans les glandes d’une feuille plongée dans une solution ayant le double de la force de celle dont je viens de parler (c’est-à-dire deux grains de carbonate pour une once d’eau) ; et, vingt-quatre heures après, les cellules situées immédiatement au-dessous des glandes contenaient encore des boules de protoplasma ayant une belle teinte pourpre. Ces fails prouvent que l’ammoniaque n’avait pas pénétré dans les cellules sous forme de carbonate, car autrement la couleur aurait disparu. Toutefois, j’ai observé quelquefois, et surtout sur les tentacules à tête allongée situés sur le bord de feuilles peu colorées, plongées dans une solution, que les glandes aussi bien que les cellules supérieures des pédicelles perdent leur couleur ; je présume, dans ce cas, que le carbonate a été absorbé sans modification. J’ai indiqué tout à l’heure que la propagation de l’agrégation subit un court temps d’arrêt à chaque cloison transversale ; cela imprime à l’esprit l’idée de matières transportées de cellule à cellule. Mais comme l’agrégation se propage dans les cellules superposées les unes aux autres quand on place sur les glandes des parcelles inorganiques et insolubles, cette agrégation doit provenir, au moins dans ces cas, d’une modification moléculaire transmise par les glandes, indépendamment de l’absorption d’une matière quelle qu’elle soit. Il peut en être de même pour le carbonate d’ammoniaque. Toutefois, comme l’agrégation provoquée par ce sel se propage beaucoup plus rapidement dans les tentacules que lorsqu’on place des parcelles insolubles sur les glandes, il est probable que l’ammoniaque, sous une forme quelconque, n’est pas seulement absorbée par les glandes, mais qu’elle pénètre dans les tentacules.

Ayant examiné une feuille dans l’eau, et trouvé le contenu des cellules parfaitement homogène, je la plongeai dans quelques gouttes d’une solution contenant une partie de carbonate pour quatre cent trente-sept parties d’eau, puis j’examinai les cellules placées immédiatement au-dessous des glandes, mais sans employer un fort grossissement. Au bout de trois minutes, je ne remarquai aucun signe d’agrégation ; au bout de quinze minutes, des petites boules de protoplasma se formèrent, plus particulièrement au-dessous des glandes allongées de la marge, mais la transformation dans ce cas s’opéra avec une lenteur extraordinaire. Au bout de vingt-cinq minutes, il y avait des masses sphériques dans les cellules des pédicelles sur une longueur à peu près égale à celle des glandes, au bout de trois heures, l’agrégation s’était étendue à un tiers, ou même à une moitié, des tentacules entiers.

Si l’on place dans quelques gouttes d’une faible solution, contenant une partie de carbonate pour quatre mille trois cent soixante-quinze parties d’eau (un grain de carbonate pour dix onces d’eau) des tentacules dont les cellules ne contiennent qu’un liquide rose très-pâle et apparemment peu de protoplasma, et que l’on examine avec soin, en se servant d’un grossissement considérable, les cellules très-transparentes qui se trouvent au-dessous des glandes, on observe bientôt qu’elles deviennent légèrement nuageuses par suite de la formation de granules innombrables : ceux-ci sont d’abord à peine perceptibles, puis s’accroissent rapidement, soit en raison d’une agrégation, soit parce qu’ils attirent le protoplasma qui peut se trouver dans le liquide environnant. Dans une expérience, je choisis une feuille particulièrement pâle et je plaçai sur elle, pendant que je l’examinais au microscope, une seule goutte d’une solution plus forte, c’est-à-dire contenant une partie de carbonate pour quatre cent trente-sept parties d’eau ; dans ce cas, le contenu des cellules ne devint pas nuageux, mais, au bout de dix minutes, je pus observer des granules irréguliers de protoplasma qui, se développant rapidement, se transformèrent en masses irrégulières et en globules affectant une coloration verdâtre ou pourpre très-pâle ; toutefois, ces globules ne se transformèrent jamais en boules parfaites bien qu’ils changeassent incessamment de forme et de position.

Le premier effet d’une solution de carbonate sur les feuilles modérément rouges est ordinairement la formation de deux, trois ou plusieurs boules pourpres très-petites, dont la grosseur augmente rapidement. Pour donner une idée de la rapidité avec laquelle ces boules augmentent en grosseur, je puis relater que je plaçai une goutte d’une solution contenant une partie de carbonate pour 292 parties d’eau, sur une feuille pourpre pâle, que j’avais disposée sous une plaque de verre ; au bout de treize minutes, quelques petites boules de protoplasma s’étaient formées ; au bout de deux heures et demie une de ces boules occupait environ les 2/3 du diamètre de la cellule. Au bout de quatre heures vingt-cinq minutes, elle occupait presque le diamètre de la cellule, et une seconde boule s’était formée ayant à peu près la moitié de la grosseur de la première et quelques autres petites boules commençaient à paraître. Au bout de six heures, le liquide dans lequel flottaient ces boules était devenu presque incolore ; au bout de huit heures trente-cinq minutes (en comptant toujours du moment où j’avais placé la solution sur la feuille), 4 nouvelles petites boules s’étaient formées. Le lendemain matin, au bout de vingt-deux heures, je pus observer outre les 2 grosses boules, 7 autres plus petites flottant dans un liquide absolument incolore, qui tenait en suspension quelques matières floconneuses verdâtres.

Au commencement de l’agrégation, plus particulièrement dans les feuilles rouge foncé, le contenu des cellules présente souvent un aspect différent, comme si la couche de protoplasma (utricules primordiaux) qui garnit les cellules s’était séparée de la paroi en se ratatinant, ce qui provoque la formation d’un petit sac pourpre à forme irrégulière. La solution de carbonate n’est pas la seule qui produise cet effet ; d’autres solutions agissent de même, une infusion de viande crue, par exemple. Mais il y a certainement erreur quand on se figure que l’utricule primordial se ratatine et se sépare de la paroi[11] ; en effet, avant d’ajouter la solution j’observai, dans plusieurs occasions, que les parois sont recouvertes d’une couche de protoplasma incolore en circulation et, après la formation des masses ressemblant à un sac, le protoplasma circulait encore le long des parois d’une façon très-apparente plus même qu’auparavant. Il semble même que le courant de protoplasma est augmenté par l’action du carbonate, mais il m’a été impossible de déterminer si tel est réellement le cas. Les masses en forme de sac se mettent à circuler lentement autour des cellules dans lesquelles elles se sont formées ; quelquefois il se forme sur elles des petites projections qui se séparent et constituent des petites boules ; d’autres boules paraissent dans le liquide qui enveloppe les sacs et ces dernières ont un mouvement de translation beaucoup plus rapide. Le fait que, parfois, une boule, puis une autre, avance plus rapidement, et que, parfois, elles tournent l’une autour de l’autre, prouve que les petites boules sont absolument indépendantes les unes des autres. J’ai observé quelquefois des boules de cette espèce montant et descendant le long de la même paroi d’une cellule au lieu de tourner autour d’elle. Les masses en forme de sac se divisent ordinairement, au bout d’un certain temps, en deux masses ovales ou arrondies et ces dernières subissent les transformations indiquées dans les fig. 7 et 8. D’autres fois, des boules se forment à l’intérieur des sacs, se réunissent et se séparent et subissent ainsi des transformations perpétuelles.

Quand les feuilles ont plongé pendant quelques heures dans une solution de carbonate et que l’agrégation est complète, on cesse d’apercevoir le courant de protoplasma le long des parois des cellules ; j’ai observé ce fait bien des fois, je me contenterai toutefois de citer un seul exemple. Je plaçai une feuille pourpre pâle dans quelques gouttes d’une solution contenant une partie de carbonate pour 292 parties d’eau ; au bout de deux heures, quelques belles boules pourpres s’étaient formées dans les cellules supérieures des pédicelles et le courant de protoplasma autour des parois était encore parfaitement distinct ; mais, quatre heures après ces deux premières heures, pendant lequel laps de temps beaucoup d’autres boules s’étaient formées, l’examen le plus attentif ne me permit plus de distinguer le courant ; cela provenait sans doute de ce que les granules s’étaient unis aux boules, de telle sorte que le protoplasma étant devenu parfaitement limpide, il ne restait plus rien qui pût faire apercevoir les mouvements, qui l’agitaient. Toutefois, des petites boules isolées circulaient toujours dans les cellules, ce qui prouve qu’il y avait encore un courant. Le lendemain matin, au bout de vingt-deux heures, les choses étaient encore dans le même état, bien qu’il se fût formé de nouvelles petites boules qui oscillaient de place en place et qui changeaient de position ; donc le courant n’avait pas cessé bien qu’il fût impossible de distinguer la circulation du protoplasma. Dans une autre expérience, j’ai pu, cependant, observer le courant circulant autour des parois des cellules d’une vigoureuse feuille de couleur foncée après une immersion de vingt-quatre heures dans une solution un peu plus forte, c’est-à-dire une partie de carbonate pour 218 parties d’eau. Cette feuille n’avait donc pas été attaquée ou l’avait été très-peu par une immersion aussi prolongée dans une solution de 2 grains de carbonate par once d’eau (13 centigrammes pour 34 grammes d’eau) ; je plongeai ensuite cette feuille dans de l’eau pure et l’y laissai pendant vingt-quatre heures ; au bout de ce temps, les masses agrégées dans la plupart des cellules s’étaient dissoutes et elles présentaient le même aspect que présentent les feuilles à l’état de nature, quand elles se redressent après avoir capturé des insectes.

Je pressai légèrement avec une plaque de verre, puis j’examinai sous un grossissement considérable des boules de protoplasma (formées par la division naturelle d’une masse en forme de sac) appartenant à une feuille qui était restée pendant vingt-deux heures dans une solution d’une partie de carbonate pour 292 parties d’eau. Ces boules étaient alors distinctement séparées par des fissures rayonnantes bien définies, ou se trouvaient brisées en fragments séparés ayant des bords très-nets ; elles étaient solides jusqu’au centre. La partie centrale des plus grosses boules brisées était plus opaque, plus foncée et moins cassante que les parties extérieures ; dans quelques cas, les fissures n’avaient pénétré qu’à une petite distance à l’intérieur. Dans beaucoup de boules la ligne de séparation entre la partie intérieure et la partie extérieure était assez bien définie. Les parties extérieures affectaient exactement la même teinte pourpre pâle que revêtent les petites boules formées en dernier lieu ; ces dernières n’ont aucun noyau central plus foncé.

Nous pouvons conclure de ces divers faits que, lorsqu’on soumet des feuilles foncées vigoureuses à l’action du carbonate d’ammoniaque, le liquide contenu dans les cellules des tentacules s’agrège souvent extérieurement en une matière cohérente visqueuse formant une sorte de sac. Des petites boules apparaissent quelquefois à l’intérieur de ce sac et le tout se divise ordinairement bientôt en deux ou plusieurs boules qui se réunissent et se séparent incessamment. Après un laps de temps plus ou moins long, les granules en suspension dans la couche de protoplasma incolore qui coule le long des parois, se trouvent attirés vers les masses plus grosses et s’unissent avec elles, ou forment des petites boules indépendantes ; ces dernières ont une couleur beaucoup plus pâle et sont plus cassantes que les masses primitivement agrégées. Après que les granules contenus dans le protoplasma ont été ainsi attirés, on ne peut plus apercevoir la couche de protoplasma en circulation, bien qu’un courant de liquide limpide circule encore le long des parois.

Si l’on plonge une feuille dans une solution très-forte, presque concentrée, de carbonate d’ammoniaque, les glandes noircissent immédiatement et produisent d’abondantes sécrétions, mais il ne se produit aucun mouvement des tentacules. Deux feuilles traitées ainsi devinrent flasques au bout d’une heure et me semblèrent mortes ; toutes les cellules de leurs tentacules contenaient des petites sphères incolores de protoplasma. Deux autres feuilles plongées dans une solution un peu moins forte présentèrent des signes d’agrégation bien distincts au bout de trente minutes. Au bout de vingt-quatre heures, les masses de protoplasma sphériques, ou plus communément oblongues, devinrent opaques et granuleuses au lieu d’être translucides comme à l’ordinaire ; les cellules inférieures ne contenaient que d’innombrables granules sphériques très-petits. Il est évident que la force de la solution s’était opposée à la marche naturelle du phénomène, et nous verrons que l’application d’une trop grande chaleur produit le même effet.

Toutes les observations précédentes s’appliquent aux tentacules extérieurs qui ont une couleur pourpre ; toutefois, le carbonate d’ammoniaque ou une infusion de viande crue agissent exactement de la même façon sur les pédicelles verts des tentacules courts du centre de la feuille, avec cette seule différence que les masses agrégées affectent une couleur verdâtre. On peut donc conclure que cette transformation ne dépend aucunement de la couleur des liquides contenus dans les cellules.

Enfin, le fait le plus remarquable relativement à ce sel est la quantité extrêmement petite qui suffit pour causer l’agrégation. Nous entrerons à ce sujet, dans le VIIe chapitre, dans des détails complets ; il suffira de dire ici que, si on emploie une feuille active, l’absorption par une glande de 1/134400e de grain (0,000482 de milligr.) suffit pour causer, au bout d’une heure, une agrégation bien marquée dans les cellules situées immédiatement au-dessous de la glande.

Effets de certains autres sels et d’autres liquides. — J’ai placé deux feuilles dans une solution contenant une partie d’acétate d’ammoniaque pour 146 parties d’eau environ ; cette solution agit sur les feuilles aussi énergiquement que le carbonate, mais peut-être pas aussi rapidement. Au bout de dix minutes, les glandes étaient noires et on pouvait distinguer des signes d’agrégation dans les cellules situées au-dessous d’elles ; au bout de 15 minutes, cette agrégation était très-prononcée et elle s’étendait dans les tentacules sur une longueur égale à celle des glandes. Au bout de deux heures, le contenu de presque toutes les cellules, dans tous les tentacules, s’était transformé en masses de protoplasma. J’ai plongé une feuille dans une solution contenant une partie d’oxalate d’ammoniaque pour 146 parties d’eau ; au bout de vingt-quatre minutes, j’ai pu observer un changement très-minime dans les cellules situées au-dessous des glandes. Au bout de quarante-sept minutes, beaucoup de masses sphériques de protoplasma s’étaient formées et elles s’étendaient le long des tentacules sur une longueur égale à peu près à celle des glandes. Ce sel n’agit donc pas aussi rapidement que le carbonate. Quant au citrate d’ammoniaque, une feuille plongée dans une solution, au même degré que celui que je viens d’indiquer, ne présenta une trace d’agrégation dans les cellules situées au-dessous des glandes qu’au bout de cinquante-six minutes ; mais l’agrégation était bien marquée au bout de deux heures vingt minutes. Dans une autre expérience, je plongeai une feuille dans une solution plus forte, c’est-à-dire contenant une partie de citrate pour 109 parties d’eau (4 grains pour 1 once), et, en même temps, une autre feuille dans une solution de carbonate préparée au même degré. Les glandes de cette dernière étaient devenues noires en moins de deux minutes et au bout d’une heure quarante-sept minutes des masses agrégées sphériques et très-foncées de protoplasma s’étendaient dans tous les tentacules sur la moitié ou les 2/3 de leur longueur ; au contraire, au bout de trente minutes, les glandes de la feuille plongée dans la solution de citrate étaient encore rouge foncé et les masses, dans les cellules inférieures, roses et allongées. Au bout d’une heure quarante-cinq minutes, ces masses s’étendaient seulement sur le 1/5e, ou tout au plus sur le 1/4 de la longueur des tentacules.

J’ai plongé deux feuilles, chacune dans 10 minimes d’une solution composée d’une partie d’azotate d’ammoniaque pour 5250 parties d’eau (1 grain d’azotate pour 12 onces d’eau), de façon que chaque feuille reçut 1/576 de grain (0,1124 de millig.) du sel. Cette quantité suffit pour faire infléchir tous les tentacules, mais au bout de vingt-quatre heures on ne pouvait apercevoir qu’une légère trace d’agrégation. Une de ces mêmes feuilles fut alors plongée dans une faible solution de carbonate et, au bout d’une heure quarante-cinq minutes, les tentacules présentaient un degré extraordinaire d’agrégation sur la moitié de leur longueur. Deux autres feuilles furent alors plongées dans une solution beaucoup plus forte d’azotate d’ammoniaque composée d’une partie d’azotate pour 146 parties d’eau (3 grains d’azotate pour 1 once d’eau). Une de ces feuilles ne présenta aucune trace de changement au bout de trois heures ; dans l’autre feuille, j’observai quelques signes d’agrégation au bout de cinquante-deux minutes et ces signes devinrent parfaitement distincts au bout d’une heure vingt-deux minutes ; toutefois, au bout même de deux heures douze minutes il n’y avait certainement pas plus d’agrégation dans cette feuille qu’il n’y en aurait eu après une immersion de cinq à dix minutes dans une solution également forte de carbonate.

Enfin, une feuille fut plongée dans 80 minimes d’une solution contenant une partie de phosphate d’ammoniaque pour 43750 parties d’eau (1 grain de phosphate pour 100 onces d’eau), de telle sorte qu’elle reçoive 1/1600 de grain (0,04079 de milligr.) de phosphate. Sous l’action de ce sel les tentacules s’infléchirent bientôt fortement et, au bout de vingt-quatre heures, le contenu des cellules était agrégé en masses ovales ou en globules irréguliers et un courant de protoplasma très-distinct circulait le long des parois. Toutefois, je dois faire remarquer qu’après un laps de temps aussi considérable l’agrégation devait se faire, quelle qu’ait été d’ailleurs la cause qui ait fait infléchir les tentacules.

Outre les sels d’ammoniaque, je n’ai expérimenté qu’avec fort peu d’autres sels au point de vue des phénomènes d’agrégation. Au bout d’une heure d’immersion dans une solution contenant une partie de chlorure de sodium pour 218 parties d’eau, le contenu des cellules d’une feuille se trouvait agrégé en petites masses brunâtres affectant la forme de globules irréguliers ; au bout de deux heures, ces masses avaient presque disparu pour faire place à une sorte de matière pulpeuse. Il était évident que le protoplasma avait été profondément affecté ; bientôt après, quelques cellules semblèrent se vider complètement. Ces effets diffèrent absolument de ceux produits par les divers sels d’ammoniaque, ainsi que de ceux causés par différents liquides organiques et par des parcelles inorganiques placées sur les glandes. Des solutions de la même force de carbonate de soude et de carbonate de potasse agirent à peu près de la même façon que la solution de chlorure de sodium ; je remarquai encore qu’au bout de deux heures et demie les cellules extérieures de quelques-unes des glandes s’étaient vidées. Nous verrons, dans le VIIIe chapitre, que les solutions de plusieurs sels de soude, ayant la moitié de la force de celles dont nous venons de parler, causent l’inflexion des tentacules, mais n’attaquent pas les feuilles. De faibles solutions de sulfate de quinine, de nicotine, de camphre, de poison du cobra, etc., produisent bientôt une agrégation bien marquée ; certaines autres substances, au contraire, une solution de curare, par exemple, n’ont aucun effet semblable.

Beaucoup d’acides, bien que très-étendus d’eau, font l’effet de poisons. Comme on le verra dans le VIIIe chapitre ils produisent l’inflexion des tentacules, mais ne causent pas une véritable agrégation. Ainsi, j’ai plongé les feuilles dans une solution contenant une partie d’acide benzoïque pour 437 parties d’eau ; au bout de quinze minutes, le liquide pourpre contenu dans les cellules s’était un peu séparé des parois ; cependant, malgré l’examen le plus attentif, au bout d’une heure vingt minutes, je ne pus découvrir aucune trace de véritable agrégation ; au bout de vingt-quatre heures, la feuille était évidemment morte. D’autres feuilles plongées dans l’acide iodique, étendu d’eau dans les mêmes proportions, présentèrent, au bout de deux heures quinze minutes, le même aspect de séparation du liquide pourpre que dans le cas précédent ; en examinant les cellules avec un fort grossissement, au bout de six heures quinze minutes, je vis qu’elles étaient remplies de boules extrêmement petites de protoplasma rougeâtre terne ; le lendemain matin, c’est-à-dire, au bout de vingt-quatre heures, ces boules avaient presque disparu, la feuille étant évidemment morte. Je ne distinguai aucune agrégation véritable dans des feuilles plongées dans l’acide propionique étendu d’eau dans les mêmes proportions ; toutefois, dans ce cas, le protoplasma se réunit en masses irrégulières vers la base des cellules inférieures des tentacules.

Une infusion filtrée de viande crue provoque une forte agrégation, mais non pas très-rapide. Une petite agrégation se produisit chez une feuille plongée chez une infusion semblable après un délai d’une heure vingt minutes et dans une autre feuille après un délai d’une heure cinquante minutes. Chez d’autres feuilles, le délai nécessaire pour la production de l’agrégation est beaucoup plus considérable ; par exemple, une feuille plongée pendant cinq heures dans une infusion de viande ne présenta aucun signe d’agrégation et cette même feuille fut attaquée, au bout de cinq minutes, par quelques gouttes d’une solution contenant une partie de carbonate d’ammoniaque pour 146 parties d’eau. J’ai laissé quelques feuilles dans une infusion de viande pendant vingt-quatre heures ; l’agrégation est alors extrême, car les tentacules infléchis, vus à l’œil nu, semblent tachetés. Dans ce cas, les petites masses de protoplasma pourpre sont ordinairement ovales et affectent rarement la forme sphérique que l’on remarque chez les feuilles soumises à l’action du carbonate d’ammoniaque ; en outre, ces masses subissent des changements de forme incessants et le courant de protoplasma incolore le long des parois de la cellule est encore parfaitement visible après une immersion de vingt-cinq heures. La viande crue est un stimulant trop puissant ; des morceaux très-petits suffisent pour blesser et même quelquefois pour tuer les feuilles sur lesquelles on les place. Dans ce cas, les masses agrégées de protoplasma deviennent ternes, presque incolores, et présentent un aspect granuleux extraordinaire qui rappelle l’aspect d’une feuille qui a été plongée dans une solution très-forte de carbonate d’ammoniaque. Le liquide contenu dans les cellules d’une feuille plongée dans du lait s’est quelque peu agrégé au bout d’une heure. Une feuille plongée dans la salive humaine pendant deux heures et demie, et une autre, plongée dans un blanc d’œuf cru pendant une heure et demie, ne présentèrent aucune trace d’agrégation ; mais il est plus que probable que cet effet se serait produit si je les avais laissées plus longtemps dans ces liquides. Ces deux mêmes feuilles furent plongées ensuite dans une solution de carbonate d’ammoniaque (3 grains de carbonate pour 1 once d’eau) ; le liquide de leurs cellules s’agrégea, chez l’une, au bout de dix minutes, chez l’autre, au bout de cinq minutes.

Je plongeai plusieurs feuilles dans une solution contenant une partie de sucre blanc pour 146 parties d’eau, et je les y laissai quatre heures et demie sans qu’il se produisît aucune agrégation ; une solution de carbonate d’ammoniaque faite dans les mêmes proportions a agi sur ces feuilles au bout de cinq minutes ; il en a été de même pour une feuille que j’avais laissée pendant une heure quarante-cinq minutes dans une solution assez épaisse de gomme arabique. Je plongeai plusieurs autres feuilles dans des solutions plus denses de sucre, de gomme et d’amidon, et, au bout de quelques heures, le contenu de leurs cellules s’était complètement agrégé. On peut attribuer cet effet à l’exosmose ; car les feuilles plongées dans un sirop deviennent tout à fait flasques ; celles qui sont plongées dans la gomme et dans l’amidon deviennent aussi un peu flasques et leurs tentacules se contournent de la façon la plus irrégulière, les plus longs affectant absolument la forme de tire-bouchons. Nous verrons, ci-après, que ces solutions placées sur le disque des feuilles ne causent pas l’inflexion des tentacules. Des parcelles de cassonade placées sur la sécrétion qui entoure les glandes se dissolvent bientôt et la sécrétion augmente dans une proportion considérable, sans doute par suite de l’exosmose ; au bout de vingt-quatre heures, on remarque un certain degré d’agrégation dans les cellules, bien que les tentacules ne s’infléchissent pas. La glycérine provoque, au bout de quelques minutes, une agrégation bien prononcée qui commence, comme à l’ordinaire, à l’intérieur des glandes et qui se propage le long des tentacules ; on peut, je crois, attribuer cet effet à la grande attraction que la glycérine exerce sur l’eau. L’immersion dans l’eau, prolongée pendant plusieurs heures, produit un certain degré d’agrégation. J’ai examiné 20 feuilles avec beaucoup de soin, puis je les ai étudiées de nouveau après les avoir laissées dans l’eau distillée pendant des espaces de temps différents ; j’ai obtenu les résultats suivants : il est rare de trouver des traces d’agrégation à moins que les feuilles n’aient été plongées dans l’eau pendant quatre ou cinq heures et même ordinairement pendant plus longtemps. Toutefois, quand une feuille s’est rapidement infléchie après l’immersion, ce qui arrive quelquefois, surtout quand il fait très-chaud, l’agrégation peut se produire au bout d’une heure à peu près. Dans tous les cas, les glandes des feuilles plongées dans l’eau pendant plus de vingt-quatre heures sont complètement noircies, ce qui prouve que le liquide qu’elles contiennent est complètement agrégé ; dans les spécimens dont je viens de parler et qui ont été examinés avec soin, j’ai pu remarquer des traces d’agrégation bien marquées dans les cellules supérieures des pédicelles. Ces essais, ayant été faits avec des feuilles coupées, il me parut que cette circonstance était de nature à influencer les résultats, car les tiges ne pouvaient peut-être pas absorber l’eau assez rapidement pour subvenir aux besoins des glandes qui continuent à sécréter. Toutefois, cette hypothèse ne se vérifia pas ; j’expérimentai, en effet, sur une plante portant 4 feuilles et dont les racines étaient en parfait état ; je la plongeai dans l’eau distillée pendant quarante-sept heures ; au bout de ce temps, les glandes avaient noirci bien que les tentacules ne fussent que fort peu infléchis. Chez l’une de ces feuilles, je ne remarquai que quelques traces d’agrégation dans les tentacules ; chez la seconde, l’agrégation était un peu plus marquée et le liquide pourpre des cellules s’était un peu séparé des parois ; chez la troisième et chez la quatrième, qui étaient des feuilles pâles, l’agrégation des parties supérieures des pédicelles fut marquée. Les petites masses de protoplasma contenues dans les cellules étaient pour la plupart ovales et changeaient lentement de forme et de position ; une immersion de quarante-sept heures n’avait donc pas tué le protoplasma. Dans une expérience précédente faite sur une plante submergée, les tentacules ne présentèrent aucune trace d’inflexion.

La chaleur provoque l’agrégation. Une feuille dont les cellules des tentacules ne contenaient que du liquide homogène fut agitée, pendant une minute environ, dans de l’eau portée à 130° F (54°,4 centig.) et examinée ensuite au microscope aussi rapidement que possible, c’est-à-dire au bout de deux ou trois minutes ; le contenu des cellules présentait alors quelques traces d’agrégation. Une seconde feuille agitée pendant deux minutes dans de l’eau portée à 125° F. (51°,6 centig.) fut examinée aussi rapidement que dans le cas précédent ; le liquide pourpre de toutes les cellules s’était un peu écarté des parois et contenait plusieurs masses ovales et allongées de protoplasma avec quelques petites boules. Une troisième feuille fut plongée dans de l’eau portée à 125° F. (51°,6 centig.) et y fut laissée jusqu’à ce que l’eau se fût refroidie ; examinés au bout d’une heure quarante-cinq minutes les tentacules infléchis présentaient quelques traces d’agrégation ; au bout de trois heures, elle était beaucoup plus marquée, mais elle n’augmenta pas davantage. Enfin, j’agitai une feuille pendant une minute dans de l’eau portée à 120° F. (48°,8 centig.), puis je la plongeai pendant une heure vingt-six minutes dans de l’eau froide ; les tentacules n’étaient que peu infléchis et on ne remarquait que ça et là quelques traces d’agrégation. Dans tous ces essais avec l’eau chaude, le protoplasma a montré beaucoup moins de tendance à s’agréger en masses sphériques que lorsqu’on l’excite avec du carbonate d’ammoniaque.

Redissolution des masses agrégées de protoplasma. — Dès que les tentacules qui ont saisi un insecte ou un objet inorganique, ou qui ont été excités de quelque façon que ce soit, se sont complètement redressés, les masses agrégées de protoplasma se dissolvent et disparaissent ; les cellules sont alors de nouveau remplies d’un liquide pourpre homogène de même qu’elles l’étaient avant l’inflexion des tentacules. Dans tous les cas, la dissolution commence à la base des tentacules et se propage jusque dans les glandes. Toutefois, dans les vieilles feuilles, et surtout dans celles qui ont agi plusieurs fois, le protoplasma des cellules supérieures des pédicelles reste plus ou moins agrégé de façon permanente. J’ai fait les observations suivantes pour observer la marche de la dissolution : je laissai une feuille pendant vingt-quatre heures dans une faible solution contenant une partie de carbonate d’ammoniaque pour 218 parties d’eau ; comme d’ordinaire, le protoplasma s’était agrégé en innombrables globules pourpres qui changeaient incessamment de forme. Je lavai alors la feuille et je la plaçai dans de l’eau distillée ; au bout de trois heures quinze minutes, quelques globules perdirent leurs contours bien définis, indice certain que la dissolution allait commencer. Au bout de neuf heures, la plupart des globules s’étaient allongés et le liquide des cellules avait repris quelque peu sa coloration, ce qui indiquait évidemment que la dissolution avait commencé. Au bout de vingt-quatre heures, bien que beaucoup de cellules continssent encore des globules, on pouvait en observer quelques-unes qui ne contenaient plus que du liquide pourpre sans trace de protoplasma agrégé ; tout le protoplasma s’était dissous. Une feuille contenant des masses agrégées par suite de son immersion, pendant deux minutes, dans de l’eau portée à la température de 125° F. (54°,6 centig.), fut plongée dans de l’eau froide, et, au bout de onze heures, le protoplasma commença à se dissoudre. Examinée trois jours après son immersion dans l’eau chaude, cette feuille présentait un aspect tout différent, bien que le protoplasma fût encore quelque peu agrégé. Je plongeai, pendant trois ou quatre jours, dans un mélange que je sais être inoffensif, contenant un drachme (1,771 gram.) d’alcool pour 8 drachmes d’eau, une feuille dont tout le liquide des cellules était fortement agrégé par suite de l’action d’une faible solution de phosphate d’ammoniaque ; au bout de ce temps, toute trace d’agrégation avait disparu et les cellules étaient de nouveau remplies de liquide homogène.

Nous avons vu que, lorsque l’on plonge les feuilles pendant quelques heures dans une épaisse solution de sucre, de gomme ou d’amidon, le contenu des cellules s’agrège fortement, que les feuilles deviennent plus ou moins flasques et que les tentacules se contournent irrégulièrement. Après une immersion de quatre jours dans l’eau distillée ces feuilles deviennent moins flasques, leurs tentacules reprennent en partie leur position naturelle, et les masses agrégées de protoplasma sont dissoutes en partie. Je plongeai, dans un peu de vin de Xérès, une feuille dont les tentacules étaient étroitement refermés sur une mouche et dont les cellules étaient fortement agrégées. Au bout de deux heures, la plupart des tentacules s’étaient redressés, et ceux qui ne l’étaient pas encore, pouvaient l’être avec le doigt : toute trace d’agrégation avait disparu, les cellules étant remplies de liquide rose parfaitement homogène. Dans ce cas la dissolution est due probablement à l’endosmose.

Des causes immédiates de l’agrégation.


La plupart des stimulants qui déterminent l’inflexion des tentacules produisant aussi l’agrégation du liquide contenu dans les cellules, on pourrait supposer que l’agrégation est le résultat direct de l’inflexion ; il n’en est cependant pas ainsi. Si on plonge les feuilles dans des solutions assez fortes de carbonate d’ammoniaque, contenant 3 ou 4 grains de carbonate ou même quelquefois 2 grains seulement par once d’eau (c’est-à-dire une partie de carbonate pour 109, pour 146 ou pour 218 parties d’eau), les tentacules sont paralysés et ne s’infléchissent pas ; cependant, il se produit bientôt une agrégation très-marquée. En outre, les tentacules courts de la partie centrale d’une feuille qui a été plongée dans une faible solution d’un sel quelconque d’ammoniaque, ou dans un liquide quelconque contenant des matières azotées organiques, ne s’infléchissent en aucune façon ; toutefois, ces tentacules présentent tous les phénomènes de l’agrégation. D’autre part, on connaît plusieurs acides qui causent une inflexion très-marquée, mais qui ne donnent lieu à aucune agrégation.

Il est un fait important qu’il faut remarquer tout d’abord, c’est que si l’on place une substance organique ou inorganique sur les glandes du disque et que l’on provoque ainsi l’inflexion des tentacules extérieurs, non-seulement les sécrétions des glandes de ces derniers augmentent en quantité et deviennent acides, mais encore le liquide contenu dans les cellules de leurs pédicelles s’agrège. Ce phénomène commence toujours dans la glande, bien qu’elle n’ait encore touché aucun objet. Il faut donc admettre que les glandes centrales transmettent aux tentacules extérieurs quelque force ou quelque impulsion qui, agissant d’abord sur un point rapproché de la base, fait infléchir cette partie et qui, agissant ensuite sur les glandes les fait sécréter plus abondamment. Au bout de quelques instants les glandes excitées indirectement de cette façon transmettent ou réfléchissent cette impulsion à leurs propres pédicelles, ce qui produit une agrégation qui se propage de cellule en cellule jusqu’à la base.

Il semble probable, à première vue, que l’agrégation provient de ce que l’irritation provoquant des sécrétions plus abondantes chez les glandes, il ne reste plus dans leurs cellules et dans les cellules des pédicelles une quantité suffisante de liquide pour dissoudre le protoplasma. À l’appui de cette hypothèse on peut citer le fait que l’agrégation suit l’inflexion des tentacules et que, pendant ce mouvement d’inflexion, les glandes sécrètent ordinairement ou toujours même, je le crois, plus abondamment qu’elles ne le faisaient auparavant. En outre, pendant le redressement des tentacules les glandes sécrètent moins abondamment ou cessent complètement de sécréter ; or, c’est à ce moment que les masses agrégées de protoplasma se dissolvent. Enfin, quand on plonge les feuilles dans des solutions végétales assez épaisses, ou dans la glycérine, le fluide contenu dans les cellules des glandes s’échappe et il se produit une agrégation ; quand les feuilles sont ensuite plongées dans l’eau ou dans un liquide inoffensif, ayant une densité moindre que celle de l’eau, le protoplasma se redissout, phénomène qui est dû sans doute à l’endosmose.

On peut opposer à l’hypothèse que l’agrégation est causée par l’exosmose du liquide des cellules, les quelques faits suivants. Il ne semble y avoir aucun rapport entre le degré de l’augmentation des sécrétions et celui de l’agrégation. Ainsi, une parcelle de sucre placée sur le liquide sécrété qui entoure une glande cause une bien plus grande augmentation de sécrétion et beaucoup moins d’agrégation que ne le fait une parcelle de carbonate d’ammoniaque placée dans les mêmes conditions. Il ne paraît pas probable que l’eau pure provoque une exosmose considérable ; cependant l’agrégation résulte souvent d’une immersion dans l’eau prolongée de seize à vingt-quatre heures et toujours d’une immersion prolongée de vingt-quatre à quarante-huit heures. Il est encore moins probable que de l’eau portée à une température de 125° à 130° F. (51°,6 à 54°,4 centig.) fasse sortir le liquide non-seulement des glandes, mais encore de toutes les cellules des tentacules jusqu’à la base, assez rapidement pour que l’agrégation se produise en deux ou trois minutes. Il est un autre argument puissant contre cette hypothèse, c’est que, après l’agrégation complète, les sphères et les masses ovales de protoplasma flottent dans un liquide incolore, peu dense, et qui se trouve en quantité considérable ; la dernière partie du phénomène, tout au moins, ne peut donc pas être causée par l’absence d’une quantité suffisante de liquide pour tenir le protoplasma en solution. Toutefois, on peut citer une preuve encore plus forte que l’agrégation se produit indépendamment de la sécrétion ; en effet, les papilles décrites dans le premier chapitre et qui recouvrent toute la feuille ne portent pas de glandes, elles ne sont donc le siège d’aucune sécrétion ; cependant, elles absorbent rapidement le carbonate d’ammoniaque ou une infusion de viande crue, et leur contenu subit rapidement une agrégation qui se propage ensuite dans les cellules des tissus environnants. Nous verrons bientôt que le liquide pourpre contenu dans les filaments sensitifs de la Dionée, filaments qui ne sont le siège d’aucune sécrétion, s’agrège aussi sous l’action d’une faible solution de carbonate d’ammoniaque.

L’agrégation est un phénomène vital. J’entends par là que le contenu des cellules doit être vivant et bien portant pour être affecté ainsi et qu’il doit être, en outre, à l’état oxygéné pour pouvoir transmettre assez rapidement cette agrégation. Je pressai, sous un morceau de verre, quelques tentacules plongés dans une goutte d’eau ; plusieurs cellules se rompirent et des matières pulpeuses de couleur pourpre s’échappèrent, en même temps que des granules ayant toutes les grosseurs et toutes les formes ; cependant, aucune des cellules ne se vida complètement. J’ajoutai alors une petite goutte d’une solution contenant une partie de carbonate d’ammoniaque pour 109 parties d’eau et, une heure après, j’examinai les spécimens. Çà et là, quelques cellules des glandes et des pédicelles avaient échappé à la rupture ; leur contenu s’était parfaitement agrégé en sphères qui changeaient constamment de forme et de position et on pouvait voir encore un courant circuler le long des parois ; le protoplasma était donc vivant. D’autre part, les matières expulsées, devenues presque incolores au lieu d’être pourpres, ne présentaient pas la moindre trace d’agrégation. On n’en trouvait pas non plus une trace dans les nombreuses cellules rompues, mais qui ne s’étaient pas complètement vidées. Malgré un examen attentif, je n’ai pu observer aucun signe de courant à l’intérieur de ces cellules rompues. Évidemment, la pression les avait tuées et les matières qu’elles contenaient encore ne s’agrégèrent pas plus que les matières qui en étaient sorties. Je puis ajouter que, dans ces spécimens, je fus à même d’observer l’individualité de la vie de chaque cellule.

Je donnerai, dans le chapitre suivant, des détails complets relativement à l’action de la chaleur sur les feuilles ; je me contenterai donc de dire ici que des feuilles plongées d’abord pendant quelques instants dans de l’eau portée à une température de 120° F. (48°,8 centigr.), température qui, comme nous l’avons vu, ne cause pas une agrégation immédiate, furent ensuite plongées dans quelques gouttes d’une forte solution de carbonate d’ammoniaque, contenant une partie de carbonate pour 109 parties d’eau ; une belle agrégation se produisit bientôt. D’autre part, des feuilles plongées dans cette même solution, après une immersion dans de l’eau portée à 150° F. (65°,5 centigr.) ne présentèrent aucune trace d’agrégation ; les cellules se remplirent de matières brunâtres, pulpeuses ou boueuses. On peut, d’ailleurs, observer chez des feuilles soumises à des températures variant entre ces deux extrêmes, 120° et 150° F. (48°,8 et 65°,5 centigr.), des gradations complètes dans la marche de l’agrégation ; température plus basse n’empêche pas l’agrégation causée par l’action subséquente du carbonate d’ammoniaque, la température plus élevée s’y oppose au contraire absolument. Ainsi, des feuilles plongées dans de l’eau portée à 130° F. (54°,4 centig.), puis, dans la solution, présentèrent des boules parfaitement définies, mais certainement plus petites que dans les cas ordinaires. D’autres feuilles plongées dans de l’eau portée à 140° F. (60° centigr.) présentèrent des sphères très-petites quoique bien définies ; toutefois, beaucoup de cellules contenaient, en outre, des matières pulpeuses brunâtres. Dans deux expériences où les feuilles furent plongées dans de l’eau portée à 145° F. (62°,7 cent.), quelques tentacules présentaient, dans quelques-unes de leurs cellules, des sphères très-petites, tandis que les autres cellules et des tentacules entiers ne contenaient plus que des matières brunâtres ou pulpeuses.

Il est nécessaire que le liquide contenu dans les cellules des tentacules soit à l’état oxygéné pour que la force ou l’influence qui cause l’agrégation se transmette assez rapidement d’une cellule à l’autre. J’ai placé, pendant quarante-cinq minutes, un plant dont les racines plongeaient dans l’eau sous une cloche contenant 122 onces d’acide carbonique (1729 cent. cubes.) Je plongeai ensuite, pendant une heure, dans une solution assez forte de carbonate d’ammoniaque, une feuille détachée de ce plant et une autre feuille d’un plant qui n’avait pas été exposé à l’acide et dont je me servais comme terme de comparaison. Je comparai les deux feuilles au bout d’une heure ; or, il s’était produit certainement beaucoup moins d’agrégation dans la feuille soumise à l’action de l’acide carbonique. J’exposai un autre plant, pendant deux heures, à l’action de l’acide carbonique, puis je plongeai une de ses feuilles dans une solution contenant une partie de carbonate pour 437 parties d’eau ; les glandes noircirent immédiatement, ce qui indique qu’elles avaient absorbé le carbonate et que leur contenu s’était agrégé ; toutefois, je ne pus distinguer aucune trace d’agrégation dans les cellules situées immédiatement au-dessous des glandes, même après un intervalle de trois heures. Au bout de quatre heures quinze minutes, quelques petites boules de protoplasma se formèrent dans ces cellules, mais, au bout de cinq heures trente minutes, l’agrégation ne s’était pas propagée le long des pédicelles sur une longueur égale à celle des glandes. Dans mes innombrables essais sur des feuilles fraîches plongées dans une solution de cette force, je n’ai jamais vu l’agrégation se propager aussi lentement. Une autre plante plongée pendant deux heures dans l’acide carbonique fut ensuite exposée pendant vingt minutes à l’action de l’air ; pendant ce temps les feuilles avaient rougi, ce qui indique qu’elles avaient absorbé de l’oxygène. Je détachai l’une d’elles et je la plongeai en même temps qu’une feuille fraîche dans la solution que je viens d’indiquer. J’observai très-fréquemment la feuille qui avait été soumise à l’action de l’acide carbonique ; au bout de soixante-cinq minutes, j’aperçus quelques sphères de protoplasma dans les cellules situées immédiatement au-dessous des glandes, mais seulement dans 2 ou 3 des plus longs tentacules. Au bout de trois heures, l’agrégation s’était propagée le long des pédicelles de quelques-uns des tentacules sur une longueur égale à celle des glandes. D’autre part, dans la feuille fraîche soumise au même traitement, l’agrégation était parfaitement distincte dans beaucoup de tentacules au bout de quinze minutes ; au bout de soixante-cinq minutes, elle s’était propagée dans les pédicelles, sur 4 ou 5 fois la longueur des glandes ou même plus, et, au bout de trois heures, les cellules de tous les tentacules étaient affectées sur 1/3 ou sur 1/2 de leur longueur totale. Il est donc évident que l’exposition des feuilles à l’acide carbonique arrête pour un temps la marche de l’agrégation, ou empêche la transmission de l’impulsion nécessaire quand les glandes sont subséquemment soumises à l’action du carbonate d’ammoniaque ; or, on sait que cette substance agit plus promptement et plus énergiquement qu’aucune autre. On sait que le protoplasma des plantes continue ses mouvements spontanés aussi longtemps seulement qu’il est à l’état oxygéné ; il en est de même pour les globules blancs du sang, ils n’agissent qu’aussi longtemps qu’ils reçoivent de l’oxygène des globules rouges[12] ; mais les exemples ci-dessus rapportés sont quelque peu différents, car ils ont trait au retard apporté dans la formation ou l’agrégation des masses de protoplasma par suite de l’exclusion de l’oxygène.

Résumé et conclusions.

Le phénomène de l’agrégation est indépendant de l’inflexion des tentacules et de la sécrétion plus considérable des glandes. L’agrégation commence dans les glandes, soit qu’elles aient été directement excitées, ou qu’elles soient soumises à l’influence indirecte des autres glandes. Dans les deux cas, l’agrégation se propage de haut en bas, passant d’une cellule à l’autre, tout le long des tentacules, avec un court temps d’arrêt à chaque cloison transversale. Chez les feuilles à couleur pâle, le premier changement perceptible, et cela seulement avec un grossissement très-considérable, est l’apparition de granules très-petits dans le liquide contenu dans les cellules, ce qui rend ce liquide quelque peu nuageux. Ces granules s’agrègent bientôt en petits globules. J’ai vu un nuage de cette sorte apparaître dix secondes après qu’une goutte d’une solution de carbonate d’ammoniaque avait été posée sur une glande. Chez les feuilles rouge foncé, le premier changement visible consiste souvent dans la conversion de la couche extérieure du liquide contenu dans les cellules en masses ressemblant à un sac. Toutefois, quel qu’ait pu être le mode de développement des masses agrégées, elles changent incessamment de forme et de position. Ces masses ne sont pas remplies de liquide, mais sont solides jusqu’au centre. Enfin, les granules incolores, en suspension dans le protoplasma qui circule le long des parois, se réunissent aux sphères ou aux masses centrales, mais un courant de liquide limpide continue encore à circuler dans les cellules. Aussitôt que les tentacules se sont complètement redressés, les masses agrégées se dissolvent et les cellules se remplissent d’un liquide pourpre homogène, comme elles l’étaient précédemment. La dissolution commence à la base des tentacules et se propage de bas en haut jusqu’aux glandes ; elle marche donc en direction inverse de celle de l’agrégation.

Les causes les plus diverses produisent l’agrégation ; ainsi, par exemple : les attouchements répétés sur les glandes ; la pression de parcelles de quelques matières que ce soit, et comme ces parcelles reposent sur la sécrétion visqueuse, c’est à peine si la pression qu’elles exercent sur la glande peut s’évaluer à un millionième de grain[13] ; la section des tentacules immédiatement audessous des glandes ; l’absorption par les glandes de différents liquides ou de diverses substances extraites de certains corps ; l’exosmose ; un certain degré de chaleur. D’autre part, une température d’environ 150° F. (65°,5 centigr.) ne provoque pas l’agrégation ; l’écrasement soudain d’une glande ne la cause pas non plus. Si on rompt une cellule, ni les matières qui en sortent, ni celles qui restent dans la cellule ne s’agrègent quand on les soumet à l’action du carbonate d’ammoniaque. Une solution très-forte de ce sel et des morceaux de viande crue assez gros empêchent les masses agrégées de se bien-développer. Nous pouvons conclure de ces faits que le liquide protoplasmique contenu dans une cellule ne s’agrège qu’autant qu’il est en pleine santé, et qu’il ne s’agrège qu’imparfaitement si la cellule a été blessée. Nous avons vu aussi que le liquide doit être oxygéné pour que l’agrégation se propage assez rapidement de cellule à cellule.

Divers liquides organiques azotés et plusieurs sels d’ammoniaque causent l’agrégation, mais à divers degrés et avec une rapidité différente. De toutes les substances connues, le carbonate d’ammoniaque est la plus puissante ; l’absorption de 1/134400e de grain (0,000482 de millig.) par une glande, suffit pour faire agréger toutes les cellules d’un même tentacule. Le premier effet du carbonate et de certains autres sels d’ammoniaque, aussi bien que de quelques autres liquides, est de faire prendre un ton plus foncé aux glandes ou de les noircir. Cet effet accompagne même une longue immersion dans l’eau distillée froide. Il semble provenir en grande partie de la forte agrégation du contenu de leurs cellules, qui deviennent opaques et ne réfléchissent plus la lumière. Quelques autres liquides donnent aux glandes une couleur rouge brillant ; tandis que certains acides, bien que très-étendus d’eau, le poison du cobra, etc., rendent les glandes parfaitement blanches et opaques ; cela semble résulter de la coagulation de leur contenu sans aucune agrégation. Néanmoins, avant d’être ainsi affectées, les glandes, dans quelques cas tout au moins, peuvent transmettre à leurs tentacules l’impulsion qui les fait s’agréger.

Le plus intéressant peut-être de tous les faits cités dans ce chapitre, c’est que les glandes centrales, à la suite d’une irritation, communiquent aux glandes extérieures une impulsion qui s’étend du centre à la circonférence, impulsion qui les excite à provoquer une autre impulsion centripète qui détermine l’agrégation. Toutefois, la marche de l’agrégation constitue en elle-même un phénomène remarquable. Quand on touche ou que l’on presse l’extrémité périphérique d’un nerf et qu’il en résulte une sensation, on admet qu’un changement moléculaire invisible se propage d’une extrémité du nerf à l’autre ; or, quand on touche plusieurs fois ou qu’on presse doucement une glande du Drosera, on peut voir distinctement un changement moléculaire se propager de la glande jusqu’à la base du tentacule, bien que ce changement soit probablement d’une nature toute différente de celui qui affecte le nerf. Enfin, comme tant de causes si complètement différentes excitent l’agrégation, il semblerait que la matière vivante contenue dans les cellules de la glande se trouve dans une condition si peu stable que le moindre trouble peut suffire pour modifier sa nature moléculaire, comme on le voit chez certains composés chimiques. Or, ce changement dans les glandes, qu’elles soient excitées directement, ou indirectement par une impulsion reçue d’autres glandes, se transmet d’une cellule à l’autre, produisant la formation de granules de protoplasma dans le liquide précédemment limpide, ou l’agrégation de ces granules qui deviennent alors visibles.

Observations supplémentaires sur le phénomène de l’agrégation dans les racines des plantes.


Nous verrons bientôt qu’une faible solution de carbonate d’ammoniaque provoque l’agrégation dans les cellules des racines du Drosera. Cette observation me conduisit à faire quelques essais sur les racines d’autres plantes. Dans la dernière partie d’octobre je déterrai la première plante qui me tomba sous la main, c’était une Euphorbia Peplus ; je fis grande attention à ne pas endommager les racines, je les lavai avec soin, puis je les plongeai dans une solution contenant une partie de carbonate d’ammoniaque pour 146 parties d’eau. En moins d’une minute, je vis un nuage se propager avec une rapidité étonnante d’une cellule à l’autre dans toute l’étendue des racines. Au bout de huit ou neuf minutes, les petits granules qui produisaient cette apparence nuageuse s’agrégèrent vers les extrémités des racines en masses quadrangulaires de matière brune ; quelques-unes de ces masses changèrent bientôt de forme et devinrent, sphériques. Quelques cellules cependant ne furent pas affectées. Je répétai l’expérience sur une autre plante de la même espèce : mais, avant d’avoir pu disposer le microscope pour mettre la racine au foyer, des nuages de granules et des masses quadrangulaires de substances brunes et rougeâtres s’étaient formés et s’étaient propagés tout le long des racines. Je plongeai une autre racine dans un drachme (18 centigr.) d’une solution contenant une partie de carbonate d’ammoniaque pour 437 parties d’eau, de telle façon que 1/8 de grain ou 2,024 millig. de carbonate agissaient sur la racine ; je la laissai dix-huit heures dans cette solution. Au bout de ce temps, les cellules de toutes les racines, dans toute la longueur de ces dernières, contenaient des masses agrégées de matières brunes et rougeâtres. Avant de faire ces expériences, j’avais examiné avec soin plusieurs racines et je n’avais pu découvrir dans aucune d’elles la moindre trace d’apparence nuageuse ou de granules. Je plongeai aussi des racines dans une solution contenant une partie de carbonate de potasse pour 218 parties d’eau et je les y laissai pendant trente-cinq minutes ; mais ce sel ne produisit aucun effet.

Je puis ajouter ici que des sections très-minces de la tige de l’Euphorbia placées dans la même solution subissent une modification ; les cellules vertes deviennent immédiatement nuageuses, tandis que d’autres, précédemment incolores, se nuancent de brun, grâce à la formation de nombreux granules de cette couleur. J’ai observé aussi sur plusieurs espèces de feuilles, plongées pendant quelque temps dans une solution de carbonate d’ammoniaque, que les grains de chlorophylle se précipitent les uns sur les autres et se confondent en partie, ce qui semble une autre forme d’agrégation.

Je plongeai des plants de lentilles d’eau (Lemna) dans une solution de carbonate d’ammoniaque contenant une partie de carbonate pour 446 parties d’eau et je les y laissai séjourner de trente à quarante-cinq minutes ; j’examinai alors trois de leurs racines. Chez deux de ces racines, dont les cellules ne contenaient précédemment qu’un liquide limpide, je trouvai alors des petits globules verts. Au bout d’une heure et demie ou deux heures, des globules semblables apparurent dans les cellules sur le bord des feuilles ; mais je ne saurais dire si l’ammoniaque s’était propagée le long des racines ou si elle avait été absorbée directement par les feuilles. Comme une espèce, la Lemna arrhiza n’a pas déracines, cette dernière hypothèse est sans doute la plus probable. Au bout de deux heures et demie, quelques-uns des petits globules verts contenus dans les racines se brisèrent en petits granules animés du mouvement brownien. Je plongeai aussi quelques plants de Lemna pendant une heure trente minutes dans une solution contenant une partie de carbonate de potasse pour 218 parties d’eau, mais je ne pus discerner aucun changement dans les cellules des racines ; toutefois, ces mêmes racines plongées pendant vingt-cinq minutes dans une solution de carbonate d’ammoniaque, faite dans les mêmes proportions, contenaient des petits globules verts.

Je laissai, pendant quelque temps, dans cette même solution, une algue marine verte ; l’effet produit fut très-douteux. D’autre part, une algue marine rouge, aux frondes admirablement pennées, fut très-fortement affectée. Les matières contenues dans les cellules s’agrégèrent en anneaux irréguliers, conservant une teinte rouge, et qui changeaient très-lentement et très-légèrement de forme ; l’espace contenu dans ces anneaux devenait nuageux par suite de la formation de granules rouges. Je ne sais si les faits que je viens d’indiquer sont nouveaux ; en tout cas, ils prouvent qu’on pourrait obtenir sans doute d’intéressants résultats en observant l’action de diverses solutions salines et d’autres liquides sur les racines des plantes.


CHAPITRE IV.

effets de la chaleur sur les feuilles.

Nature des expériences. — Effets de l’eau bouillante. — L’eau tiède provoque une inflexion rapide. — L’eau portée à une température plus élevée ne provoque pas une inflexion immédiate, mais ne tue pas les feuilles, ce que prouvent leur redressement subséquent et l’agrégation du protoplasma. — Une température encore plus élevée tue les feuilles et fait coaguler les parties albumineuses des glandes.


Dans le cours de mes observations sur le Drosera rotundifolia je m’aperçus que les feuilles semblaient s’infléchir plus rapidement sur les substances animales et restaient infléchies pendant un laps de temps plus long quand la température était élevée que pendant un temps froid. Ceci me conduisit à rechercher si la chaleur seule cause l’inflexion, et quelle température est la plus efficace. Il se présentait, en outre, un autre point intéressant à élucider : à quel degré de température la vie s’éteint-elle ? Le Drosera, en effet, offre des facilités extraordinaires pour des recherches de cette nature, non pas tant parce que les tentacules perdent la faculté de s’infléchir, mais parce qu’ils perdent la faculté de reprendre subséquemment leur position naturelle et, surtout, parce que le protoplasma ne s’agrège plus quand les feuilles, après avoir été soumises à l’action de la chaleur, sont plongées dans une solution de carbonate d’ammoniaque[14].

Voici quelles furent mes expériences et la façon dont je procède. Je coupe des feuilles, et je dois faire remarquer tout d’abord que cela n’a pas la moindre influence sur leur puissance d’action ; par exemple, j’ai placé des petits morceaux de viande sur 3 feuilles coupées, placées dans un endroit humide ; au bout de vingt-trois heures les tentacules et la feuille elle-même s’étaient complètement infléchis pour embrasser la viande et le protoplasma des cellules était complètement agrégé. Je place dans une capsule de porcelaine 3 onces (93 grammes) d’eau, provenant d’une double distillation, et je plonge obliquement dans cette eau un thermomètre très-sensible ayant un long réservoir. L’eau est portée graduellement à la température requise au moyen d’une lampe à alcool dont je dirige la flamme alternativement sur toutes les parties de la capsule ; dans tous les cas, j’agite les feuilles pendant quelques minutes tout auprès du réservoir du thermomètre. Je plonge ensuite les feuilles dans l’eau froide ou dans une solution de carbonate d’ammoniaque. Dans d’autres cas, je laisse les feuilles dans l’eau, portée à une certaine température, jusqu’à ce que cette eau se soit refroidie. Dans d’autres cas encore, je plonge brusquement les feuilles dans de l’eau portée à une certaine température et je les y laisse pendant un laps de temps déterminé. Si l’on considère que les tentacules sont extrêmement délicats et qu’ils ont des parois très-minces, il n’est guère possible que le liquide contenu dans les cellules ne soit pas porté à la même température que l’eau environnante, ou qu’il y ait tout au plus 4 degré ou 2 de différence. Il m’aurait semblé, d’ailleurs, parfaitement superflu de prendre d’autres précautions, car les feuilles présentent quelques légères différences dans leur sensibilité à la chaleur, selon qu’elles sont plus ou moins âgées, ou qu’elles ont une constitution un peu différente.


Il est indispensable de décrire d’abord les effets d’une immersion pendant trente secondes dans l’eau bouillante. Les feuilles deviennent flasques, les tentacules s’inclinent en arrière, ce qui est probablement dû, comme nous le verrons dans un autre chapitre, à ce que les surfaces extérieures conservent leur élasticité pendant plus longtemps que les surfaces intérieures ne conservent la faculté de se contracter. Le liquide pourpre contenu dans les cellules des pédicelles se transforme en granules très-petits, mais il ne se produit aucune agrégation véritable. Cette agrégation ne se produit d’ailleurs pas davantage quand on plonge subséquemment les feuilles dans une solution de carbonate d’ammoniaque. Toutefois, la modification la plus remarquable est que les glandes deviennent opaques et uniformément blanches ; on peut attribuer ce fait à la coagulation des matières albumineuses qu’elles contiennent.

Ma première expérience, expérience toute préliminaire, consista à placer 7 feuilles dans une même capsule et à porter lentement l’eau qu’elle contenait à la température de 110° F. (43°,3 centig.). Je retirai une feuille dès que la température se fut élevée à 80⁰ F (26°,6 centig.), une autre à 85° F., une autre à 90° F. et ainsi de suite. Chaque feuille, dès qu’elle était retirée de l’eau chaude, était placée dans de l’eau à la température ambiante ; tous les tentacules de toutes les feuilles s’infléchirent bientôt légèrement, mais irrégulièrement. Je retirai alors les feuilles de l’eau froide et je les disposai dans un endroit humide en plaçant un petit morceau de viande sur le disque de chacune d’elles. Au bout de quinze minutes, la feuille qui avait été exposée à une température de 110° F. s’était infléchie dans de fortes proportions ; au bout de deux heures, tous les tentacules de cette feuille s’étaient complétement recourbés sur la viande. Il en fut de même des 6 autres feuilles, mais après un intervalle un peu plus long. Il semble donc que le bain chaud augmente la sensibilité de la feuille au point de vue de l’excitation par la viande.

J’observai ensuite le degré d’inflexion que subissent les feuilles, pendant une période de temps déterminée, quand on les laisse dans l’eau chaude conservée autant que possible à la même température ; mais je ne relaterai ici que quelques-unes des nombreuses expériences que j’ai faites. Je laissai une feuille pendant dix minutes, dans de l’eau portée à 100° F. (37°,8 centig.) ; aucune inflexion ne se produisit. Toutefois, chez une seconde feuille traitée de la même façon, quelques tentacules extérieurs s’infléchirent très-légèrement au bout de six minutes et plusieurs autres irrégulièrement au bout de dix minutes, mais sans qu’ils fussent fortement infléchis. Une troisième feuille, maintenue. dans de l’eau portée de 105⁰ à 106° F. (40°,5 à 41°,1 centig.), présenta de légères traces d’inflexion au bout de six minutes. Une quatrième feuille, maintenue dans de l’eau à 110° F. (43°,3 centig.) s’infléchit quelque peu au bout de quatre minutes et considérablement au bout de six à sept minutes.

Je plaçai alors 3 feuilles dans de l’eau chauffée assez rapidement ; au moment où la température s’élevait à 115° ou 116° F. (46°,1 à 46°,6 centig.), les tentacules de ces 3 feuilles s’étaient infléchis. J’enlevai alors la lampe et, au bout de quelques minutes, tous les tentacules étaient fortement infléchis. Le protoplasma, à l’intérieur des cellules, n’avait pas été tué, car on le voyait distinctement en mouvement ; d’ailleurs, après une immersion de vingt heures dans l’eau froide, les tentacules de ces trois feuilles se redressèrent. Je plongeai une autre feuille dans de l’eau portée à 100° F. (37°,8 centig.) que je portai ensuite à 120° F. (48°,8 centig.) ; tous les tentacules, sauf ceux du bord extrême, s’infléchirent bientôt fortement. Je plongeai alors la feuille dans l’eau froide et, au bout de sept heures et demie, les tentacules étaient en partie redressés : au bout de dix heures, ils étaient complètement redressés. Le lendemain matin, je plongeai cette feuille dans une faible solution de carbonate d’ammoniaque ; les glandes noircirent rapidement et j’observai une forte agrégation dans les tentacules, preuve que le protoplasma était vivant et que les glandes n’avaient pas perdu leur puissance d’action. Je plongeai une autre feuille dans de l’eau à 110° F. (43°,3 centig.) que je portai à 120° F. (48°,8 centig.) ; tous les tentacules, sauf un seul, s’infléchirent fortement au bout de quelques instants. Je plongeai alors cette feuille dans quelques gouttes d’une forte solution de carbonate d’ammoniaque (1 partie de carbonate pour 109 parties d’eau) ; au bout de dix minutes toutes les glandes étaient devenues noir foncé, et au bout de deux heures le protoplasma des cellules des pédicelles était complètement agrégé. Je plongeai soudainement une autre feuille et je l’agitai, comme à l’ordinaire, dans de l’eau portée à 120° F. ; tous les tentacules étaient infléchis au bout de deux ou trois minutes, mais seulement de façon à faire un angle droit avec le disque. Je plongeai alors la feuille dans la même solution (c’est-à-dire une partie de carbonate d’ammoniaque pour 109 parties d’eau ou 4 grains à l’once, ce que je désignerai à l’avenir sous le nom de forte solution) ; quand j’examinai la feuille au bout d’une heure, les glandes étaient noircies et l’agrégation très-prononcée. Après un autre intervalle de quatre heures, les tentacules étaient beaucoup plus infléchis. Il est bon de remarquer qu’une solution aussi forte que celle que je viens d’indiquer ne cause jamais d’inflexion dans les cas ordinaires. Enfin, je plongeai, brusquement une feuille dans de l’eau portée à 125° F. (51°,6 centig.) et je l’y laissai jusqu’à ce que l’eau fût refroidie ; les tentacules devenus rouge brillant s’infléchirent bientôt. Le liquide des cellules présenta quelque degré d’agrégation qui augmenta pendant trois heures ; toutefois, les masses de protoplasma ne devinrent pas sphériques, contrairement à ce qui arrive presque toujours quand on plonge les feuilles dans une solution de carbonate d’ammoniaque.

Ces différentes expériences nous prouvent qu’une température de 120° à 125° F. (48°,8 à 51°,6 centig.) provoquent chez les tentacules des mouvements rapides, mais ne tuent pas les feuilles, ce que prouve le redressement ultérieur des tentacules et l’agrégation du protoplasma. Nous allons voir actuellement qu’une température de 130° F. (54°,4 centig.) est trop élevée pour causer une inflexion immédiate, mais que, cependant, elle ne tue pas les feuilles.

Première expérience. — Je plongeai une feuille, et, comme dans toutes les expériences qui vont suivre, je l’agitai pendant quelques minutes, dans de l’eau portée à 130° F. (55°,5 centig.) ; aucune trace d’inflexion ne se produisit. Je plongeai alors la feuille dans l’eau froide et, au bout de quinze minutes, j’observai un mouvement distinct, mais très-lent dans une petite masse de protoplasma renfermée dans une des cellules d’un tentacule[15]. Au bout de quelques heures tous les tentacules et la feuille elle-même étaient infléchis.

Deuxième expérience. — Je plongeai une autre feuille dans de l’eau portée de 130° à 131° F. (55°,5 à 56°,4 cent.) ; comme dans l’expérience précédente, aucune inflexion ne se produisit. Après avoir maintenu la feuille dans l’eau froide pendant une heure, je la plongeai dans la forte solution de carbonate d’ammoniaque ; au bout de cinquante-cinq minutes les tentacules s’étaient considérablement infléchis. Les glandes, qui avaient d’abord pris une teinte rouge brillant, étaient devenues noires. Le protoplasma des cellules des tentacules s’était nettement agrégé, mais les globules étaient beaucoup plus petits que ceux produits ordinairement par l’action du carbonate d’ammoniaque chez les feuilles qui n’ont pas été soumises à la chaleur. Au bout d’un autre intervalle de deux heures tous les tentacules, sauf 6 ou 7, s’étaient complètement infléchis.

Troisième expérience. — Expérience faite dans les mêmes conditions que la précédente avec des résultats absolument analogues.

Quatrième expérience. — Je plongeai une belle feuille dans de l’eau à 100° F ; (37°,7 centig.) que je portai ensuite à 145° F. (62°,7 centig.). Peu après l’immersion il se produisit, comme on devait s’y attendre, une forte inflexion. J’enlevai alors la feuille et je la plongeai dans l’eau froide ; mais, en raison de la haute température à laquelle elle avait été exposée, les tentacules ne se redressèrent pas.

Cinquième expérience. — Je plongeai une feuille dans de l’eau à 130° F. (55°,5 centig.), puis je portai l’eau à 145° F. (62°,7 centig.) ; l’inflexion ne se produisit pas immédiatement ; je plongeai alors la feuille dans l’eau froide et, au bout d’une heure vingt minutes, quelques tentacules d’un côté de la feuille s’infléchirent. Je mis alors cette feuille dans la forte solution de carbonate d’ammoniaque ; au bout de quarante minutes tous les tentacules sous-marginaux s’étaient bien infléchis et les glandes s’étaient noircies. Après un autre intervalle de deux heures quarante-cinq minutes tous les tentacules sauf 8 ou 10 étaient fortement infléchis et les cellules présentaient quelques traces d’agrégation ; toutefois, les globules de protoplasma étaient très-petits et les cellules des tentacules extérieurs contenaient quelques matières brunâtres pulpeuses ou désagrégées.

Sixième et septième expérience. — Je plongeai deux feuilles dans de l’eau à 135° F. (57°,2 centig.) que je portai à 145° F. (62°,7 centig.) ; ni l’une ni l’autre ne présenta aucun signe d’inflexion. Toutefois, l’une de ces feuilles, après avoir été maintenue pendant trente et une minutes dans l’eau froide, présenta quelques traces d’inflexion ; celle-ci s’accrut pendant un autre intervalle d’une heure quarante-cinq minutes au bout duquel temps tous les tentacules, sauf 16 ou 17, étaient plus ou moins infléchis ; mais la feuille avait été si complètement atteinte que les tentacules ne se redressèrent plus. L’autre feuille, après avoir séjourné pendant une demi-heure dans l’eau froide, fut plongée dans la forte solution de carbonate d’ammoniaque, mais aucune inflexion ne se produisit ; toutefois, les glandes noircirent et je remarquai quelques traces d’agrégation dans quelques cellules, mais les globules de protoplasma restèrent extrêmement petits ; dans d’autres cellules, surtout dans celles des tentacules extérieurs, j’observai beaucoup de matière pulpeuse brun-verdâtre.


Huitième expérience. — Je plongeai une feuille et je l’agitai pendant quelques minutes dans de l’eau portée à 140° F. (60° centig.) ; je la plongeai ensuite dans de l’eau froide et je l’y laissai pendant une demi-heure sans qu’il se produisît aucune inflexion ; je la plongeai enfin dans la forte solution de carbonate d’ammoniaque ; au bout de deux heures trente minutes, les tentacules sous-marginaux intérieurs étaient bien infléchis, leurs glandes s’étaient noircies, et je pus observer des traces d’agrégation imparfaite dans les cellules des pédicelles. 3 ou 4 glandes portaient des taches blanches ayant l’aspect de la porcelaine et semblables à celles que produit l’eau bouillante. C’est la seule fois que j’aie observé ce résultat après une immersion de quelques minutes, dans de l’eau portée seulement à 140° F. ; j’ai vu le même résultat, se produire chez une feuille sur quatre après une immersion semblable à une température de 145° F. D’autre part, je plongeai deux feuilles, l’une dans de l’eau portée à 145° F. (62°,7 centig.) et l’autre dans de l’eau à 140° F. (60° centig.) ; je les y laissai jusqu’à ce que l’eau se fût refroidie ; les glandes des deux feuilles blanchirent et prirent l’aspect de la porcelaine. Cette expérience prouve que la durée de l’immersion constitue un élément important.

Neuvième expérience. — Je plongeai une feuille dans de l’eau à 140° F. (60° centig.) que je portai à 150° F. (65°,5 centig.) ; aucune inflexion ne se produisit ; au contraire, les tentacules extérieurs étaient quelque peu inclinés en arrière. Les glandes ressemblaient à de la porcelaine, toutefois, quelques-unes étaient légèrement tachetées de pourpre. La base des glandes était souvent plus affectée que le sommet. Je plongeai cette feuille dans la forte solution de carbonate d’ammoniaque, mais il ne se produisit ni inflexion ni agrégation.

Dixième expérience. — Je plongeai une feuille dans de l’eau portée de 150° à 150°,5 F. (65°,5 centig.) ; elle devint quelque peu flasque ; les tentacules extérieurs s’inclinèrent légèrement vers l’extérieur ; les tentacules intérieurs, mais seulement vers le sommet, s’infléchirent un peu vers l’intérieur ; ce fait prouve que ce n’était pas un mouvement de véritable inflexion, car, dans ce dernier cas, c’est seulement la base qui se courbe. Comme à l’ordinaire, les tentacules prirent une teinte d’un rouge très-brillant ; les glandes étaient presque aussi blanches que de la porcelaine bien que légèrement teintées de rose. Après l’immersion de cette feuille dans la forte solution de carbonate d’ammoniaque, le liquide contenu dans les cellules des tentacules se transforma en une sorte de boue brune, mais sans présenter aucune trace d’agrégation.

Onzième expérience. — Je plongeai une feuille dans de l’eau à 145° F. (62°,7 centig.) que je portai à 156° F. (68°,8 centig.) : Les tentacules devinrent rouge brillant et s’inclinèrent quelque peu vers l’extérieur, presque toutes les glandes ressemblaient à de la porcelaine ; les glandes surmontant les tentacules du disque avaient conservé une teinte rosée, celles surmontant les tentacules extérieurs étaient absolument blanches. Je plongeai cette feuille, comme à l’ordinaire, d’abord dans l’eau froide, puis dans la forte solution de carbonate d’ammoniaque ; le liquide des cellules des tentacules se transforma en une boue brun-verdâtre sans que le protoplasma s’agrégeât. Néanmoins, 4 glandes ne prirent pas cette apparence de porcelaine et leurs pédicelles se courbèrent en spirale vers leur extrémité supérieure ; mais on ne peut, en aucune façon, considérer ce mouvement comme un cas de véritable inflexion. Le protoplasma contenu dans les cellules des parties contournées s’était agrégé en globules pourpres distincts, mais très-petits. Cette expérience prouve clairement que le protoplasma, après avoir été exposé pendant quelques minutes à une haute température, conserve encore la faculté de s’agréger quand on le soumet à l’action du carbonate d’ammoniaque, à moins que la chaleur n’ait été suffisante pour causer la coagulation.

Conclusions. — Comme les tentacules piliformes sont très-minces et ont des parois très-délicates, comme les feuilles ont été, dans toutes mes expériences, agitées pendant quelques minutes tout auprès du réservoir du thermomètre, il n’est guère possible que la température des tentacules n’ait pas été presque exactement la même que celle indiquée par l’instrument. Les onze observations précédentes nous enseignent qu’une température de 130° F. (55°,5 centig.) ne produit jamais l’inflexion immédiate des tentacules, bien qu’une température de 120° à 125° F. (48°,8 à 51°,6 centig.) produise rapidement cet effet. Mais la température de 130° F. ne paralyse les feuilles que pendant quelques instants ; car, soit qu’on les plonge ensuite dans l’eau pure ou dans une solution de carbonate d’ammoniaque, les tentacules s’infléchissent et le protoplasma s’agrège. On peut comparer cette grande différence résultant d’une température plus haute ou plus basse, avec les effets produits sur la feuille par l’immersion dans une solution forte ou faible des sels d’ammoniaque ; les solutions fortes, en effet, ne causent aucun mouvement, tandis que les solutions faibles agissent très énergiquement. Sachs[16] appelle rigidité calorifique la suspension temporaire de la faculté du mouvement causée par la chaleur ; chez la sensitive (Mimosa) cette suspension est produite par l’exposition de la plante, pendant quelques minutes, à un courant d’air humide porté à 120° ou 122° F., soit 49° à 50° centig. Il faut remarquer que les feuilles du Drosera, après avoir été plongées dans de l’eau portée à 130° F., se mettent en mouvement sous l’action d’une solution de carbonate d’ammoniaque si forte qu’elle paralyserait des feuilles ordinaires et ne causerait aucune inflexion.

L’exposition des feuilles, pendant quelques minutes, même à une température de 145° F. (62°,7 centig.) ne les tue pas toujours ; en effet, quand on les plonge ensuite dans l’eau froide, ou dans une forte solution de carbonate d’ammoniaque, les tentacules s’infléchissent ordinairement et le protoplasma des cellules s’agrège, bien que les globules formés soient très-petits et que beaucoup de cellules soient remplies en partie de matière trouble brunâtre. Dans deux cas où les feuilles ont été plongées dans de l’eau à une température inférieure à 130° F. (55°,5 centig.) ; portée ensuite à 145° F. (62°,7 centig.), ces feuilles s’infléchirent pendant la première partie de l’immersion, mais, malgré un séjour subséquent très-prolongé dans l’eau froide, les tentacules ne purent pas se redresser. Une exposition de quelques minutes à une température de 145° F. produit quelquefois sur les glandes les plus sensibles des taches ayant tout l’aspect de la porcelaine ; dans un cas, ce phénomène se produisit à une température de 140° F. (60° centig.). Dans une autre occasion, toutes les glandes d’une feuille plongée dans l’eau à cette température peu élevée de 140° F., mais laissée dans cette eau jusqu’à ce qu’elle se soit refroidie, prirent l’aspect de la porcelaine. L’exposition, pendant quelques minutes, à une température de 150° F. (65°,5 centig.) produit ordinairement cet effet ; cependant, beaucoup de glandes conservent une teinte rosée et beaucoup deviennent tachetées. Cette haute température ne cause jamais une véritable inflexion ; les tentacules, au contraire, s’inclinent ordinairement en sens inverse, mais à un degré moindre que quand on plonge la feuille dans l’eau bouillante, effet qui semble dû à leur faculté élastique passive. Après l’exposition à une température de 150° F. le protoplasma soumis à l’action du carbonate d’ammoniaque se désagrège au lieu de s’agréger et se transforme en matières pulpeuses incolores. En un mot, ce degré de chaleur tue ordinairement les feuilles ; mais, grâce à des différences d’âge et de constitution elles varient quelque peu sous ce rapport. Dans un cas anormal, quatre des innombrables glandes d’une feuille qui avait été plongée dans de l’eau portée à 156° F. (68°,8 centig.) ne prirent pas l’aspect de la porcelaine et le protoplasma contenu dans les cellules situées immédiatement au-dessous de ces glandes présenta quelques légères traces d’agrégation imparfaite[17].

Enfin, il est très-remarquable que les feuilles du Drosera rotundifolia, qui fleurit sur les landes élevées et froides de toute la Grande-Bretagne, et qui existe, d’après Hooker dans le cercle arctique, puissent supporter, même pendant très-peu de temps, une immersion dans de l’eau portée à une température de 145° F[18].

Il est utile d’ajouter que l’immersion dans l’eau froide ne cause aucune inflexion : j’ai plongé brusquement quatre feuilles, coupées sur des plantes qui avaient été maintenues pendant plusieurs jours à une haute température d’environ 75° F. (23°,8 centig.), dans de l’eau à 45° F. (7°,2 centig.), mais c’est à peine si elles furent affectées ; en tout cas, elles le furent beaucoup moins que d’autres feuilles prises sur les mêmes plantes qui furent au même moment plongées dans de l’eau à 75° F. Ces dernières, en effet, s’infléchirent quelque peu.


chapitre V.

effets produits sur les feuilles par les liquides non azotés et les liquides organiques azotés.

Liquides non azotés. — Solutions de gomme arabique, de sucre, d’amidon, d’alcool étendu, d’huile d’olive. — Infusion et décoction de thé. — Liquides azotés. — Lait. — Urine, albumine liquide. — Infusion de viande crue. — Mucosités impures. — Salive. — Solution de colle de poisson. — Différence de l’action exercée par ces deux séries de liquides. — Décoction de pois verts. — Décoction et infusion de choux. — Décoction de brins d’herbe.


Quand j’observai le Drosera pour la première fois, en 1860, et que je fus porté à croire que les feuilles absorbent les matières nutritives contenues dans les insectes qu’elles capturent, je pensai immédiatement qu’il était utile de faire des essais préliminaires avec quelques liquides ordinaires contenant ou ne contenant pas des substances azotées. Il est bon, je crois, d’indiquer les résultats que j’ai obtenus.

Dans toutes les expériences suivantes, je me suis servi d’un même instrument pointu pour laisser tomber une goutte de liquide sur le centre de la feuille ; après de nombreux essais je m’assurai que ces gouttes contiennent en moyenne un demi-minime ou 1/960 d’once de liquide ou 0,0295 de millig. Je ne prétends pas, toutefois, indiquer par là des mesures absolument exactes ; en effet, les gouttes formées par les liquides visqueux sont évidemment plus grosses que les gouttes d’eau. Je n’expérimentai jamais que sur une seule feuille de la même plante et je me procurai des plantes de deux endroits fort éloignés l’un de l’autre. Mes expériences ont été faites pendant les mois d’août et de septembre. Une remarque est nécessaire quand il s’agit de juger les résultats ; si on laisse tomber une goutte d’un liquide adhésif sur une feuille vieille ou affaiblie, dont les glandes ont cessé de produire des sécrétions abondantes, la goutte se dessèche quelquefois, surtout si l’on conserve la plante dans une chambre : par suite, quelques-uns des tentacules centraux et des tentacules extérieurs se trouvent attirés l’un vers l’autre, ce qui pourrait faire croire qu’ils se sont infléchis. Cet effet se produit même quelquefois avec de l’eau rendue adhésive par son mélange avec les sécrétions visqueuses. Aussi, la seule preuve évidente, et c’est celle sur laquelle je me suis toujours reposé, est l’inflexion des tentacules extérieurs qui n’ont pas été placés en contact avec le liquide, ou qui n’ont été touchés par lui qu’à la base. Dans ce cas, le mouvement que font les tentacules extérieurs est entièrement dû à ce que les glandes centrales stimulées par le fluide leur ont transmis une impulsion. La feuille elle-même se recourbe quelquefois de manière à former une sorte de coupe, de même que lorsqu’on place sur le disque un insecte ou un morceau de viande. Mais, autant que j’ai pu m’en assurer, ce dernier mouvement ne provient jamais du simple dessèchement d’un liquide adhésif et du retrait des tentacules qui en est la conséquence.

Occupons-nous d’abord des liquides non azotés. Comme essai préliminaire, j’ai placé une goutte d’eau distillée sur 30 ou 40 feuilles et il n’en est résulté aucun effet ; toutefois, mais c’est la grande exception, quelques tentacules se sont infléchis pendant quelques instants ; je serais même disposé à attribuer ce résultat à un attouchement accidentel opéré sur les glandes au moment où je disposais la feuille pour l’expérience. Il est facile de comprendre que l’eau ne produise aucun effet, car, autrement, les feuilles se trouveraient excitées dès qu’il tombe quelques gouttes de pluie.

Gomme arabique. — Je préparai 4 solutions à des degrés différents : l’une contenant 6 grains de gomme par once d’eau (1 partie de gomme pour 73 parties d’eau) ; une seconde un peu plus forte tout en étant très-liquide ; une troisième assez épaisse et une quatrième si épaisse que la goutte tombait à peine d’un instrument pointu. J’expérimentai ces solutions sur 14 feuilles, en laissant les gouttes sur le disque de vingt-quatre à quarante-quatre heures, mais, en moyenne, pendant trente heures. Ces solutions ne causèrent jamais la moindre inflexion. Il est indispensable de se procurer, pour répéter ces expériences, de la gomme arabique parfaitement pure ; en effet, un de mes amis a expérimenté avec une solution qu’il avait achetée toute faite et il vit les tentacules s’infléchir ; mais il découvrit ensuite que cette solution contenait beaucoup de matières animales probablement de la gélatine.

Sucre. — Des gouttes contenant une solution de sucre raffiné à 3 degrés différents (la plus faible contenant 1 partie de sucre pour 73 parties d’eau), laissées sur les feuilles pendant un espace de temps variant de trente-deux à quarante-huit heures, n’ont produit aucun effet.

Amidon. — Un mélange d’amidon ayant à peu près la consistance de la crème fut placé sur 6 feuilles et y fut laissé pendant environ trente heures sans produire aucun effet. Je suis fort surpris de ce fait, car je crois que l’amidon du commerce contient ordinairement une trace de gluten et, comme nous le verrons dans le chapitre suivant, cette substance azotée provoque l’inflexion des tentacules.

Alcool étendu. — Je préparai une solution contenant 1 partie d’alcool pour 7 parties d’eau et je laissai tomber une goutte sur le disque de 3 feuilles. Aucun effet ne s’était produit au bout de quarante-huit heures. Désirant savoir si l’alcool avait attaqué les feuilles, je plaçai sur elles des petits morceaux de viande et, au bout de vingt-quatre heures, tous les tentacules étaient complètement infléchis. Je plaçai aussi des gouttes de vin de Xérès sur 3 autres feuilles ; les tentacules ne s’infléchirent pas, mais 2 feuilles me parurent quelque peu attaquées. Nous verrons bientôt que les feuilles coupées, plongées dans de l’alcool étendu dans les proportions que je viens d’indiquer, ne s’infléchissent pas.

Huile d’olive. — Je plaçai des gouttes d’huile sur le disque de 11 feuilles et aucun effet ne fut produit dans un espace de temps variant de vingt-quatre à quarante-huit heures. Je plaçai ensuite des morceaux de viande sur le disque de ces feuilles ; tous les tentacules de 3 d’entre elles s’étaient complètement infléchis au bout de vingt-quatre heures ; quelques tentacules seulement d’une 4e feuille s’étaient infléchis. Toutefois, on verra bientôt que les feuilles coupées plongées dans l’huile d’olive sont puissamment affectées.

Infusion et décoction de thé. — Je plaçai sur 10 feuilles des gouttes d’une forte infusion de thé ainsi que des gouttes d’une forte décoction et d’une faible décoction ; aucune d’elles ne s’infléchit. Je plaçai ensuite sur 3 de ces feuilles des petits morceaux de viande sur les gouttes encore présentes sur le disque : au bout de vingt-quatre heures les tentacules étaient complètement infléchis. J’expérimentai ensuite avec le principe chimique du thé, la théine, qui ne produisit aucun effet. Les substances albumineuses que feuilles de thé contiennent très-certainement avaient été sans doute rendues insolubles par leur dessèchement complet.

Nous voyons donc qu’à l’exclusion des expériences faites avec l’eau, j’ai expérimenté avec les liquides non azotés, ci-dessus mentionnés, sur 61 feuilles, et que, dans aucun cas, les tentacules ne se sont infléchis.

Quant aux liquides azotés, j’ai expérimenté avec les premiers qui me sont tombés sous la main. Les expériences ont été faites à la même époque et exactement de la même façon que les expériences précédentes. Je remarquai immédiatement que ces liquides produisent un grand effet ; je négligeai donc, dans la plupart des cas, de tenir compte du laps de temps au bout duquel les tentacules s’infléchissent ; toutefois, l’inflexion se produit toujours en moins de vingt-quatre heures. Je dois faire observer que, dans Tous les cas, les gouttes de liquide non azoté qui ne produisirent aucun effet reposèrent beaucoup plus longtemps sur les feuilles.

Lait. — Je plaçai une goutte de lait sur 16 feuilles, les tentacules de toutes ces feuilles, aussi bien que le limbe de la feuille elle-même dans plusieurs cas, s’infléchirent rapidement. Je n’ai noté le laps de temps que dans trois cas seulement, c’est-à-dire pour les feuilles sur lesquelles j’avais placé une goutte extraordinairement petite. Les tentacules de ces feuilles présentaient des traces d’inflexion au bout de quarante-cinq minutes ; au bout de sept heures quarante-cinq minutes, le limbe de 2 feuilles s’était si complètement recourbé qu’il formait une petite coupe renfermant la goutte de lait. Ces feuilles se redressèrent le troisième jour. Dans une autre expérience, le limbe d’une feuille se recourba cinq heures après qu’une goutte de lait avait été placée sur elle.

Urine humaine : — Je plaçai des gouttes d’urine sur 12 feuilles, et, avec une seule exception, les tentacules de toutes s’infléchirent beaucoup. En raison, je pense, de différences dans la nature chimique de l’urine dans diverses occasions, le temps nécessaire au mouvement des tentacules varie beaucoup, mais ces mouvements s’accomplissent toujours en moins de vingt-quatre heures. Je notai, dans deux expériences, que tous les tentacules extérieurs s’étaient infléchis complètement au bout de dix-sept heures, mais la feuille elle-même n’avait pas bougé. Dans un autre cas, les bords d’une feuille s’étaient si complètement infléchis au bout de vingt-cinq heures trente minutes qu’elle se trouvait transformée en une coupe. L’action de l’urine ne provient pas de l’urée qui, comme nous le verrons plus tard, ne produit aucun effet.

Albumine (empruntée à un œuf de poule frais). — Des gouttes placées sur sept feuilles produisirent l’inflexion des tentacules de six d’entre elles. Dans un cas, le bord de la feuille se recourba considérablement au bout de vingt heures. Je laissai la goutte d’albumine pendant vingt-six heures sur la feuille chez laquelle ne s’était produit aucun mouvement ; je remplaçai alors la goutte d’albumine par une goutte de lait et tous les tentacules s’infléchirent au bout de douze heures.

Infusion à froid filtrée de viande crue. — J’expérimentai cette infusion sur une seule feuille ; au bout de dix-neuf heures presque tous les tentacules extérieurs et la feuille elle-même étaient infléchis. Pendant les années suivantes, j’employai très-souvent cette infusion pour expérimenter sur des feuilles que j’avais déjà traitées avec d’autres substances ; je trouvai que l’infusion de viande crue agit très-énergiquement, mais comme je n’ai pas gardé de note précise sur ces expériences, je n’en parle pas ici.

Mucosités. — Des mucosités épaisses ou fluides provenant des bronches placées sur trois feuilles produisirent une inflexion. Les tentacules marginaux, d’une feuille traitée avec des mucosités fluides, ainsi que la feuille elle-même, se recourbèrent quelque peu au bout de cinq heures trente minutes et beaucoup au bout de vingt heures. L’action des mucosités est due, sans aucun doute, soit à la salive, soit à quelques substances albumineuses qui y sont mélangées, et non pas, comme nous le verrons dans le prochain chapitre, à la mucine principe chimique des mucosités[19].

Salive. — La salive humaine évaporée produit de 1,14 à 1,19 p. 100 de résidus[20] ; ce résidu produit 0,25 p. 100 de cendres, de telle sorte que la proportion de matières azotées que contient la salive doit être très-petite. Néanmoins, des gouttes de salive placées sur le disque de huit feuilles provoquèrent une action chez chacune d’elles. Dans un cas, tous les tentacules extérieurs, sauf neuf, étaient infléchis au bout de dix-neuf heures trente minutes ; dans un autre cas, quelques-uns étaient infléchis au bout de deux heures, et, au bout de sept heures trente minutes tous ceux situés dans le voisinage de la goutte aussi bien que la feuille elle-même, présentaient des signes d’activité. Depuis que j’ai fait ces expériences, il m’est arrivé souvent de toucher légèrement les glandes avec le manche de mon scalpel imprégné de salive pour m’assurer si une feuille est à l’état actif ; en effet, les tentacules s’infléchissent dans ce cas au bout de quelques minutes. Les nids comestibles faits par les hirondelles de Chine sont composés de matières sécrétées par les glandes salivaires ; j’ajoutai 2 grains provenant d’un de ces nids à une once d’eau distillée (c’est-à-dire une partie pour 218 parties d’eau), je fis bouillir pendant quelques minutes, ce qui ne suffit pas pour dissoudre toute la substance solide. Je plaçai sur 3 feuilles des gouttes du liquide ainsi obtenu ; au bout d’une heure trente minutes, ces feuilles étaient bien infléchies ; au bout de deux heures quinze minutes, elles l’étaient complètement.

Colle de poisson. — Je plaçai sur 8 feuilles des gouttes d’une solution ayant la consistance du lait et, sur quelques autres, des gouttes d’une solution un peu plus épaisse ; les tentacules de toutes ces feuilles s’infléchirent. Dans un cas, les tentacules extérieurs étaient bien infléchis au bout de six heures trente minutes et la feuille elle-même s’était recourbée dans une certaine mesure au bout de vingt-quatre heures. Comme la salive qui contient une si petite proportion de matières azotées agit si puissamment, je cherchai à me rendre compte de la plus petite quantité de colle de poisson qui agirait sur les feuilles. Je fis donc dissoudre une partie de colle dans 218 parties d’eau distillée et je plaçai des gouttes du liquide ainsi obtenu sur 4 feuilles. Au bout de cinq heures, 2 de ces feuilles s’étaient considérablement infléchies et les 2 autres modérément ; au bout de vingt-deux heures les premières étaient complètement infléchies et les dernières beaucoup plus qu’auparavant. Quarante-huit heures après que les gouttes avaient été placées sur les feuilles toutes quatre s’étaient presque complètement redressées. Je plaçai alors sur elles des petits morceaux de viande qui agirent plus puissamment que la solution. Je fis ensuite dissoudre une partie de colle de poisson dans 437 parties d’eau ; le liquide ainsi obtenu ne pouvait pas se distinguer de l’eau pure. Je plaçai, comme à l’ordinaire, une goutte sur 7 feuilles, dont chacune reçut ainsi 4/960 de grain (0,0295 de milligr.) de colle de poisson. J’observai 3 de ces feuilles pendant quarante et une heures mais elles ne montrèrent pas le moindre signe d’excitation ; 2 ou 3 tentacules extérieurs de la quatrième et de la cinquième s’infléchirent au bout de dix-huit heures ; un nombre un peu plus grand de tentacules s’infléchirent chez la sixième ; chez la septième, le bord de la feuille s’était en outre quelque peu recourbé. Les tentacules des 4 dernières feuilles se redressèrent huit heures après. Ainsi donc, 1/960 d’un grain de colle de poisson suffit pour affecter très-légèrement les feuilles les plus sensibles ou les plus actives. Je plaçai des gouttes de la solution ayant la consistance du lait sur une des feuilles chez laquelle la solution faible n’avait produit aucune action, et sur une seconde, dont deux tentacules seulement s’étaient infléchis ; le lendemain matin, c’est-à-dire après un intervalle de seize heures, tous les tentacules de ces deux feuilles s’étaient fortement infléchis.

En somme, j’ai expérimenté sur 64 feuilles avec les liquides azotés dont je viens de parler ; je ne compte pas les 5 feuilles que j’ai traitées avec la solution très-faible de colle de poisson ; je ne parle pas non plus des nombreux essais que j’ai faits ultérieurement à leur égard, n’ayant gardé aucune note bien précise : 63 de ces feuilles présentèrent des phénomènes bien marqués d’inflexion, tant chez les tentacules que chez la feuille elle-même. Celles chez lesquelles ne se produisit aucun mouvement étaient probablement vieilles et inertes. Je dois faire remarquer que pour obtenir une proportion aussi considérable de résultats satisfaisants, il faut avoir soin de choisir des feuilles jeunes et actives. J’avais choisi tout particulièrement des feuilles dans cet état pour les 61 expériences faites avec les liquides non azotés, sans compter l’eau ; or, nous avons vu que pas une de ces feuilles ne présenta trace d’excitation. Nous sommes donc autorisés à conclure que, chez les 64 feuilles soumises à l’action des liquides azotés, l’inflexion des tentacules extérieurs est due à l’absorption de matières azotées par les glandes des tentacules du disque.

Comme je l’ai déjà dit, plusieurs feuilles qui n’avaient pas été excitées par les liquides non azotés ont reçu immédiatement après des morceaux de viande de façon à prouver qu’elles étaient à l’état actif. Outre ces essais avec la viande, 23 feuilles sur le disque desquelles reposaient encore des gouttes de gomme, de sirop ou d’amidon, qui n’avaient produit aucun effet au bout d’un laps de temps variant de vingt-quatre à quarante-huit heures, ont été soumises à l’action de gouttes de lait, d’urine ou d’albumine. Les tentacules et quelquefois le limbe même de 17 feuilles, des 23 ainsi traitées, s’infléchirent considérablement ; toutefois, elles avaient perdu une certaine partie de leur activité, car les mouvements qui les animaient étaient certainement plus lents que ceux que l’on pouvait observer chez des feuilles fraîches traitées avec ces mêmes liquides azotés. On peut attribuer cette lenteur de mouvements, ainsi que l’insensibilité absolue de 6 feuilles, à des effets d’exosmose causés par la densité des liquides placés sur le disque.

Il n’est pas inutile d’indiquer ici les résultats de quelques autres expériences faites avec les liquides azotés. J’ai préparé des décoctions de quelques légumes riches en azote ; ces décoctions agissent comme les liquides provenant de substances animales. Ainsi, j’ai fait bouillir pendant quelque temps des pois verts dans de l’eau distillée, puis j’ai laissé reposer la décoction légèrement épaisse que j’avais ainsi obtenue. Je plaçai sur 4 feuilles une goutte du liquide clarifié ; au bout de seize heures, tous les tentacules et les feuilles elles-mêmes s’étaient considérablement infléchis. Je conclus d’après une remarque de Gerhardt[21] que les pois contiennent de la légumine « combinée avec un alcali formant une solution qui ne se coagule pas » et que cette solution se mêle à l’eau bouillante. Je puis ajouter, relativement aux expériences qui précèdent et à celles qui vont suivre, que, selon Schiff[22], il existe certaines formes d’albumine qui ne se coagulent pas dans l’eau bouillante, mais qui se convertissent en matières solubles.

Dans trois occasions, je fis bouillir dans de l’eau distillée, pendant une heure et un quart, des feuilles de chou hachées[23] ; en décantant la décoction après l’avoir laissé reposer, j’ai obtenu un liquide vert pâle sale. Je plaçai sur 13 feuilles des gouttes ayant le volume de toutes celles dont je me suis servi dans ces expériences. Les tentacules et les feuilles elles-mêmes s’infléchirent d’une façon extraordinaire au bout de quatre heures. Le lendemain le protoplasma des cellules des tentacules était complètement agrégé. Je posai aussi des gouttes très-petites de la décoction sur la sécrétion visqueuse qui entoure les glandes des tentacules ; ces tentacules s’infléchirent au bout de quelques minutes. Ce liquide exerçant une action si énergique, je retendis de 3 parties d’eau et je plaçai une goutte du liquide étendu sur le disque de 5 feuilles ; l’action fut si violente que, le lendemain matin, ces feuilles s’étaient complètement repliées sur elles-mêmes. Nous sommes donc autorisés à conclure qu’une décoction de feuilles de chou est tout aussi énergique qu’une infusion de viande crue.

Je plaçai une quantité égale de feuilles de chou hachées et d’eau distillée dans un endroit chaud et je laissai infuser pendant vingt heures, mais sans porter le liquide au point d’ébullition. Je plaçai des gouttes de cette infusion sur 4 feuilles. Au bout de vingt-trois heures, l’une de ces feuilles s’était considérablement infléchie ; une seconde légèrement ; chez la troisième je n’observai que l’inflexion de quelques tentacules sous-marginaux et la quatrième ne fut affectée en aucune façon. La puissance de l’infusion est donc beaucoup moins considérable que celle de la décoction : il est évident, en effet, que l’immersion, pendant une heure, des feuilles de chou dans de l’eau bouillante doit amener l’extraction beaucoup plus efficace des substances qui excitent le Drosera, qu’une immersion dans de l’eau tiède prolongée pendant plusieurs heures. Cela tient peut-être, ainsi que l’a fait remarquer Schiff pour la légumine, à ce que le contenu des cellules est protégé par des parois formées de cellulose et qu’une très-faible quantité des matières albumineuses peut seule se dissoudre jusqu’à ce que ces parois soient rompues par l’action de l’eau bouillante. La forte odeur que répandent les feuilles de chou bouillies indique que l’ébullition produit chez elles quelques changements chimiques qui les rend beaucoup plus nutritives et beaucoup plus digestibles pour l’homme. Or, il est intéressant de noter que l’eau bouillante extrait des feuilles du chou des matières qui excitent le Drosera à un degré extraordinaire.

Les graminées contiennent beaucoup moins de matières azotées que les pois ou les choux. J’ai haché les tiges et les feuilles de trois espèces communes de graminées, et je les ai fait bouillir pendant quelque temps dans de l’eau distillée. Je plaçai des gouttes de la décoction, que j’avais laissé reposer pendant vingt-quatre heures, sur 6 feuilles ; cette décoction agit de façon assez singulière ; j’en donnerai quelques exemples dans le chapitre VII, lorsque je traiterai des effets des sels d’ammoniaque. Au bout de deux heures et demie, quatre feuilles s’étaient recourbées, mais leurs tentacules extérieurs n’avaient pas bougé ; il en fut de même pour les 6 feuilles au bout de vingt-quatre heures. Deux jours après, les feuilles, aussi bien que les quelques tentacules sous-marginaux qui s’étaient infléchis, se redressèrent ; d’ailleurs, la plus grande quantité du liquide qui se trouvait sur le disque était alors absorbée. Il résulte de ces expériences que cette décoction agit puissamment sur les glandes du disque et force la feuille elle-même à se recourber très-rapidement, mais l’impulsion, contrairement à ce qui arrive dans les cas ordinaires, ne se communique qu’à un degré très-faible aux tentacules extérieurs.

Je puis ajouter ici que je fis dissoudre dans 437 parties d’eau une partie d’extrait de belladone achetée chez un pharmacien et que j’en plaçai une goutte sur 6 feuilles. Le lendemain, ces 6 feuilles s’étaient un peu infléchies et, quarante-six heures après, elles s’étaient complètement redressées. Ce n’est pas l’atropine que contient l’extrait de belladone qui produit cet effet, car je m’assurai par des expériences ultérieures que cette substance est absolument impuissante. J’achetai aussi, chez trois pharmaciens différents, de l’extrait de jusquiame et je préparai des infusions dans la même proportion que celle que je viens d’indiquer, une seule de ces infusions agit sur quelques feuilles. Bien que les pharmaciens prétendent que toute l’albumine est précipitée lors de la préparation de ces médicaments, je ne doute pas qu’il n’en reste quelques traces qui sont suffisantes pour exciter les feuilles les plus actives du Drosera.

CHAPITRE VI.

puissance digestive de la sécrétion du drosera.

L’excitation directe ou indirecte des glandes rend la sécrétion acide. — Nature de l’acide. — Substances digestibles. — Albumine ; les alcalis arrêtent la digestion ; l’addition d’un acide la fait recommencer. — Viande. — Fibrine. — Syntonine. — Tissu aréolaire. — Cartilages. — Fibro-cartilage. — Os. — Émail et dentine. — Phosphate de chaux. — Base fibreuse des os. — Gélatine. — Chondrine. — Lait, caséine et fromage. — Gluten. — Légumine. — Pollen. — Globuline. — Hématine. — Substances indigestes. — Productions épidermiques. Tissu fibro-élastique. — Mucine. — Pepsine. — Urée. — Chitine. — Cellulose. — Fulmi-coton. — Chlorophylle. — Graisses et huiles. — Amidon. — Action de la sécrétion sur les graines vivantes. — Résumé et conclusions.


Nous avons vu que les liquides azotés exercent sur les feuilles du Drosera une action toute différente de celle exercée par les liquides non azotés ; nous avons vu aussi que les tentacules restent recourbés sur diverses substances organiques pendant beaucoup plus longtemps que sur les corps inorganiques, tels que des morceaux de verre, de charbon, de bois, etc. ; il devient donc fort intéressant de rechercher si les feuilles peuvent seulement absorber des substances déjà en solution, ou si elles peuvent les rendre solubles, c’est-à-dire, si elles peuvent digérer. Nous verrons tout à l’heure qu’elles possèdent très-certainement cette faculté de la digestion et qu’elles agissent sur les composés albumineux exactement de la même façon que le font les sucs gastriques des mammifères ; elles absorbent ensuite les matières ainsi préparées. Ce fait que nous allons clairement établir, est très-extraordinaire dans la physiologie des plantes. On me permettra d’ajouter ici que le docteur Burdon Sanderson a bien voulu m’aider de ses conseils et de ses indications dans mes dernières expériences.

Peut-être sera-t-il utile de rappeler tout d’abord, pour ceux de mes lecteurs qui ignorent complétement comment se fait la digestion des composés albumineux chez les animaux, que cette digestion s’effectue au moyen d’un ferment, la pepsine, combiné à de l’acide chlorhydrique très-faible, ou à quelque autre acide que ce soit. Cependant, ni la pepsine, ni aucun acide n’ont par eux-mêmes une semblable faculté[24]. Nous avons vu que, lorsqu’on excite les glandes du disque en les mettant en contact avec une substance quelconque, et surtout avec une substance contenant des matières azotées, les tentacules extérieurs et, souvent même, la feuille elle-même s’infléchissent ; la feuille se transforme ainsi en une coupe ou estomac temporaire. En même temps, les glandes du disque produisent des sécrétions plus abondantes et ces sécrétions deviennent acides. En outre, ces glandes transmettent une impulsion aux glandes des tentacules extérieurs, ce qui provoque chez elles des sécrétions plus abondantes qui deviennent aussi acides ou plus acides qu’elles n’étaient auparavant.

Comme ce résultat est fort important, j’en donnerai quelques preuves. J’essayai, avec du papier de tournesol, la sécrétion de beaucoup de glandes appartenant à 30 feuilles qui n’avaient été excitées en aucune façon ; la sécrétion produite par 22 de ces feuilles n’affecta en rien la couleur du papier ; 8 autres produisirent une teinte rouge très-faible et parfois même très-douteuse. Toutefois, 2 autres vieilles feuilles, qui semblaient s’être infléchies plusieurs fois, agirent beaucoup plus vivement sur le papier. Je plaçai alors des parcelles de verre bien propre sur 5 feuilles, des cubes d’albumine sur 6, des petits morceaux de viande sur 3, en ayant soin de disposer ces substances sur des glandes dont la sécrétion n’avait pas la moindre trace d’acidité. Au bout de vingt-quatre heures, alors que tous les tentacules de ces 14 feuilles étaient plus ou moins infléchis, j’essayai de nouveau la sécrétion en ayant soin de choisir des glandes qui n’avaient pas encore atteint le centre ou touché un objet quel qu’il soit ; les sécrétions étaient alors nettement acides. Le degré d’acidité de la sécrétion varie quelque peu sur les glandes de la même feuille. Chez quelques feuilles, certains tentacules, comme il arrive souvent, ne s’infléchirent pas en raison de quelque cause inconnue ; dans cinq cas différents, la sécrétion des tentacules qui n’étaient pas infléchis ne présentait pas la moindre trace d’acidité, tandis que la sécrétion des tentacules de la même feuille placés dans leur voisinage immédiat, mais infléchis, était nettement acide. Chez les feuilles excitées par des parcelles de verre, placées sur les glandes centrales, la sécrétion qui se réunit sur le disque était beaucoup plus acide que celle des tentacules extérieurs qui ne s’étaient encore que modérément infléchis. Quand on place sur le disque des morceaux d’albumine, substance naturellement alcaline, ou des morceaux de viande, la sécrétion qui se rassemble sous ces morceaux est fortement acide. Comme la viande crue humectée d’eau est légèrement acide, j’observai son action sur le papier de tournesol avant de placer les morceaux sur les feuilles, puis j’observai de nouveau cette action quand le morceau fut baigné dans la sécrétion ; on ne peut avoir le moindre doute que le morceau, dans ce dernier cas, est beaucoup plus acide. En un mot, j’ai contrôlé des centaines de fois l’état de la sécrétion du disque des feuilles infléchies sur divers objets et, dans tous les cas, je l’ai trouvée acide. Nous sommes donc autorisés à conclure que la sécrétion de feuilles non excitées, bien que très-visqueuse, n’est pas acide ou ne l’est que très-légèrement, mais qu’elle le devient ou que l’acidité se développe beaucoup dès que les tentacules commencent à s’infléchir pour embrasser une substance organique ou inorganique ; et, en outre, que la sécrétion devient beaucoup plus acide quand les tentacules sont restés infléchis quelque temps pour embrasser un objet quelconque.

Je puis rappeler ici que la sécrétion paraît posséder, jusqu’à un certain point, des propriétés antiseptiques, car elle empêche le développement de la moisissure et des infusoires ; elle empêche ainsi, pendant quelque temps, la décoloration et la pourriture de substances telles que le blanc d’œuf, le fromage, etc. La sécrétion agit donc comme le suc gastrique des animaux supérieurs qui, ainsi qu’on le sait, empêche la putréfaction en détruisant les germes.

Désireux de savoir quel acide contient la sécrétion visqueuse, je fis laver 445 feuilles avec de l’eau distillée que m’avait donnée le professeur Frankland ; toutefois, la sécrétion est si visqueuse qu’il est presque impossible de l’enlever tout entière. En outre, les conditions étaient quelque peu défavorables, en ce sens que la saison était avancée et les feuilles petites. Le professeur Frankland voulut bien analyser les liquides ainsi recueillis. Les feuilles avaient été excitées en plaçant sur elles pendant vingt-quatre heures des parcelles de verre parfaitement nettoyé ; sans doute, j’aurais obtenu beaucoup plus d’acide dans la sécrétion en excitant les feuilles avec des matières animales, mais l’analyse serait alors devenue beaucoup plus difficile. Le professeur Frankland s’assura d’abord que le liquide ne contenait aucune trace d’acide muriatique, sulfurique, tartrique, oxalique ou formique. Ce premier point obtenu, il évapora le liquide jusqu’à siccité et le traita par l’acide sulfurique ; il se produisit alors des vapeurs acides que l’on condensa et que l’on traita par le carbonate d’argent. « Le poids du sel d’argent ainsi produit, m’écrit le professeur Frankland, s’élevait seulement à 37 grains, quantité beaucoup trop petite pour déterminer exactement le poids moléculaire de l’acide. Toutefois, l’équivalent obtenu correspond presque exactement à celui de l’acide propionique ; je crois que cet acide ou un mélange d’acide acétique et d’acide butyrique est présent dans le liquide. En tout cas, cet acide appartient à la série acétique ou à la série des acides gras. »

Le professeur Frankland, aussi bien que son préparateur, a observé, et c’est là un fait important, que le liquide, « acidulé avec de l’acide sulfurique, émet une forte odeur ressemblant à celle de la pepsine. » J’envoyai aussi au professeur Frankland les feuilles dont j’avais enlevé les sécrétions ; il les fit macérer pendant quelques heures, ajouta au liquide une certaine quantité d’acide sulfurique et fît distiller ; mais il n’obtint aucun acide. En conséquence, l’acide que contiennent les feuilles fraîches, acide qui décolore le papier tournesol quand on écrase les feuilles, doit avoir une nature différente de l’acide présent dans la sécrétion. En outre, la décoction des feuilles n’émet aucune odeur de pepsine.

Bien qu’on sache depuis longtemps que la pepsine en combinaison avec l’acide acétique a le pouvoir d’opérer la digestion des composés albumineux, il me sembla utile de déterminer si l’on peut, sans qu’il y ait diminution de la faculté digestive, remplacer l’acide acétique par les acides alliés que l’on croit être présents dans la sécrétion du Drosera, c’est-à-dire l’acide propionique, l’acide butyrique ou l’acide valérianique. Le docteur Burdon Sanderson fut assez bon pour faire les expériences suivantes dont les résultats sont fort importants, indépendamment de la recherche qui nous occupe. Le professeur Frankland a bien voulu fournir les acides.

« 1. Le but des expériences suivantes est de déterminer l’activité digestive de liquides contenant de la pepsine quand on les acidule avec certains acides volatils, appartenant à la série acétique, comparativement à des liquides acidulés avec de l’acide muriatique employé dans les mêmes proportions que celles dans lesquelles ce dernier acide se trouve dans le suc gastrique.

« 2. On a déterminé empiriquement que l’on obtient les meilleurs résultats de digestion artificielle quand on emploie un liquide qui contient 2 pour 1000 en poids de gaz acide hydrochlorique. Cela correspond à environ 6,25 centimètres cubes par litre d’acide hydrochlorique concentré. Les quantités respectives d’acide propionique, d’acide butyrique et d’acide valérianique nécessaires pour neutraliser une base équivalente à 6,25 centimètres cubes de HCl s’élèvent, en grammes, à 4,04 d’acide propionique, à 4,82 d’acide butyrique et à 5,68 d’acide valérianique. J’ai donc jugé utile pour comparer les pouvoirs digestifs de ces acides avec le pouvoir digestif de l’acide chlorhydrique, de les employer dans ces proportions.

« 3. J’ai préparé 500 centimètres cubes d’un liquide, contenant environ 8 centimètres cubes de glycérine extraite des membranes muqueuses de l’estomac d’un chien tué pendant la digestion ; j’en ai fait évaporer 10 centimètres cubes et je les ai laissés sécher à la température de 110° centig. Cette quantité a produit 0,0031 de résidu.

4. Je pris quatre quantités égales de ce liquide que j’acidulai avec de l’acide chlorhydrique, de l’acide propionique, de l’acide butyrique et de l’acide valérianique dans les proportions indiquées ci-dessus. Je plaçai alors chaque liquide dans un tube que je laissai flotter dans un bain-marie contenant un thermomètre qui indiquait une température de 38° à 40° centig. J’introduisis dans chaque tube de la fibrine non coagulée et je laissai reposer le tout pendant quatre heures, en ayant soin de maintenir la température au même degré pendant tout le temps et en m’assurant que chaque tube contenait toujours un excès de fibrine. Au bout de ce laps de temps, je filtrai tous les liquides. Je mesurai ensuite et je fis évaporer et sécher à la température de 110° centig., comme auparavant, 10 centimètres cubes de la liqueur filtrée qui contenait, bien entendu, la quantité de fibrine digérée pendant les quatre heures. Les résidus ont été respectivement :

Dans le liquide contenant l’acide chlorhydrique
0,4079
Dans le liquide contenant l’acide propionique
0,0601
Dans le liquide contenant l’acide butyrique
0,1468
Dans le liquide contenant l’acide valérianique
0,1254

Par conséquent, si on déduit de chacune de ces liqueurs les résidus, ci-dessus mentionnés, restant quand le liquide digestif lui-même a été évaporé, c’est-à-dire 0,0031, on obtient :

Pour l’acide propionique
0,0570
Pour l’acide butyrique
0,1437
Pour l’acide valérianique
0,1223


contre 0,4048 pour l’acide chlorhydrique ; ces divers nombres expriment les quantités, en poids, de fibrine digérée en présence de quantités équivalentes des acides respectifs placés dans des conditions identiques.

« On peut donc résumer ainsi les résultats de l’expérience : si l’on représente par 100 le pouvoir digestif d’un liquide contenant de la pepsine additionnée de la proportion ordinaire d’acide chlorhydrique, il faudra représenter respectivement par 14,0, par 35,4 et par 30,2 les puissances digestives des trois acides dont nous nous occupons.

« 5. Dans une seconde expérience faite exactement dans les mêmes conditions, sauf toutefois que tous les tubes étaient plongés dans un même bain-marie et que les résidus ont été desséchés à 115° centig. j’ai obtenu les résultats suivants :

« Quantités de fibrine dissoute en quatre heures par 10 centimètres cubes de liquide :

Acide propionique
0,0563
Acide butyrique
0,0835
Acide valérianique
0,0615

« La quantité digérée par un liquide semblable contenant de l’acide chlorhydrique s’élevait à 0,3376. Si l’on considère cette quantité comme équivalente à 100, les nombres suivants représenteront les quantités relatives digérées par les autres acides :

Acide propionique
16,5
Acide butyrique
24,7
Acide valérianique
16,1

« 6. Une troisième expérience a donné les résultats suivants :

« Quantités de fibrine digérée en quatre heures par 10 centimètres cubes de liquide.

Acide chlorhydrique
0,2915
Acide propionique
0,1490
Acide butyrique
0,1044
Acide valérianique
0,0520

« Si l’on compare, comme auparavant, les trois derniers nombres avec le premier considéré comme 100, la puissance digestive de l’acide propionique est représentée par 16,8 ; celle de l’acide butyrique par 35,8 ; et celle de l’acide valérianique par 17,8.

« La moyenne de ces trois expériences, considérant toujours l’acide chlorhydrique comme 100, donne pour :

Acide propionique
15,8
Acide butyrique
32,0
Acide valérianique
21,4

« 7. J’ai fait une autre expérience pour déterminer si l’activité digestive de l’acide butyrique, que j’ai choisi parce qu’il semble le plus puissant, est relativement plus grande à la température ordinaire qu’à la température du corps. Or, j’ai trouvé que, tandis que 10 centimètres cubes d’un liquide, contenant la proportion ordinaire d’acide chlorhydrique, digère 0,1311 gramme de fibrine, un liquide semblable préparé avec de l’acide butyrique en digère 0,0455.

« En conséquence, si l’on considère comme 100 la quantité digérée par l’acide chlorhydrique à la température du corps, il faudra représenter par 44,9 la puissance digestive de l’acide chlorhydrique à la température de 16° à 18° centigr., et celle de l’acide butyrique, à la même température, par 15°,6. »

Nous voyons par cette dernière expérience qu’à la température la moins élevée, l’acide chlorhydrique mélangé à la pepsine digère, pendant un même laps de temps, un peu moins de la moitié de la quantité de fibrine qu’elle digère à une température plus élevée ; en outre, la puissance de l’acide butyrique, placé dans les mêmes conditions et à la même température, se trouve réduite dans la même proportion. Nous avons vu aussi que l’acide butyrique, qui est beaucoup plus puissant que l’acide propionique ou l’acide valérianique, digère, quand il est mélangé à la pepsine à la température la plus élevée, un peu moins du tiers de la quantité de fibrine que digère à la même température l’acide chlorhydrique.

Je vais actuellement donner le détail de mes expériences sur la puissance digestive de la sécrétion du Drosera, en divisant les substances sur lesquelles j’ai expérimenté en deux séries, c’est-à-dire celles qui sont digérées plus ou moins complètement et celles qui ne le sont pas du tout. Nous verrons tout à l’heure que le suc gastrique des animaux les plus élevés agit exactement de la même façon sur ces substances. J’appelle tout particulièrement l’attention sur les expériences faites avec l’albumine, parce qu’elles prouvent que les sécrétions perdent leur puissance digestive quand on les neutralise avec un alcali, et qu’elles recouvrent cette puissance quand on les additionne d’acide.

Substances qui sont digérées en totalité ou en partie par la sécrétion du Drosera.

Albumine. — Après avoir essayé diverses substances, le docteur Burdon Sanderson me conseilla l’emploi des cubes d’albumine coagulée ou d’œufs durs. Je puis indiquer tout d’abord que, dans le but d’avoir un terme de comparaison, j’ai placé sur de la mousse humide, située auprès des plants de Drosera, 5 cubes ayant exactement la même grosseur que ceux que j’ai employés dans les expériences suivantes. Il faisait chaud ; au bout de quatre jours, quelques-uns de ces cubes présentèrent quelques traces de décoloration et de moisissure et leurs angles s’étaient quelque peu arrondis, mais ils n’étaient pas entourés d’une zone de liquide transparent comme ceux qui sont soumis à l’acte de la digestion. D’autres cubes conservèrent leurs angles et leur couleur blanche. Au bout de huit jours, ils avaient tous diminué dans une certaine mesure, ils s’étaient décolorés et leurs angles s’étaient considérablement arrondis. Néanmoins, sur ces cinq spécimens, la partie centrale de quatre était encore blanche et opaque. Nous allons voir que leur condition différait donc considérablement de celle des cubes soumis à l’action de la sécrétion.

Première expérience. — J’employai d’abord des cubes d’albumine assez gros ; les tentacules étaient tous infléchis au bout de vingt-quatre heures ; le lendemain, les angles des cubes s’étaient dissous et arrondis[25] ; mais les cubes dont je me servais étaient trop gros, de telle sorte que les feuilles souffrirent ; au bout de sept jours, l’une mourut et les autres étaient mourantes. L’albumine conservée pendant quatre ou cinq jours, et qui, on peut le présumer, a commencé à se désagréger quelque peu, semble agir plus rapidement que celle provenant d’œufs nouvellement cuits. Comme j’employais ordinairement cette dernière, j’avais l’habitude de l’humecter avec un peu de salive, pour que les tentacules s’infléchissent plus rapidement.

Deuxième expérience. — Je plaçai sur une feuille un cube ayant 1/10e de pouce, c’est-à-dire que chaque côté avait 1/10e de pouce ou 2mm,54 de longueur ; au bout de cinquante heures, ce cube s’était transformé en une sphère ayant environ 3/40e de pouce (1mm,905) de diamètre, environnée par un liquide parfaitement transparent. Au bout de dix jours, la feuille se redressa, mais il restait encore sur le limbe un morceau très-petit d’albumine complétement transparent. J’avais donné à cette feuille plus d’albumine qu’elle n’en pouvait dissoudre ou digérer.

Troisième expérience. — Je plaçai, sur deux feuilles, 2 cubes d’albumine ayant 4/20° de pouce 1mm,27) de côté. Au bout de quarante-six heures, un de ces cubes était complétement dissous et la plus grande partie de la matière liquéfiée était absorbée ; le liquide qui restait encore, dans ce cas comme dans tous les autres, était très-acide et très-visqueux. L’autre cube disparut plus lentement.

Quatrième expérience. — Je plaçai sur deux feuilles des cubes d’albumine ayant la même grosseur que dans l’expérience précédente ; au bout de cinquante heures, ils s’étaient transformés en deux grosses gouttes de liquide transparent. J’enlevai ces gouttes de dessous les tentacules infléchis et je les observai au microscope au moyen de la lumière réfléchie ; je pus observer, dans l’un, des filaments très-fins de matières blanches opaques, et, dans l’autre, des traces de filaments semblables. Je replaçai alors les gouttes sur les feuilles ; celles-ci se redressèrent au bout de dix jours ; il ne restait alors sur elles qu’un peu de liquide transparent acide.

Cinquième expérience. — Cette expérience a été faite dans des conditions un peu différentes, de façon que l’albumine fût plus rapidement exposée à l’action de la sécrétion. Je plaçai sur une même feuille deux cubes avant chacun 1/40e de pouce (0mm,635) de diamètre et deux cubes semblables sur une autre feuille. J’examinai ces cubes au bout de vingt et une heure trente minutes, et tous quatre s’étaient arrondis. Au bout de quarante-six heures, les deux cubes placés sur une feuille s’étaient complétement liquéfiés, le liquide étant parfaitement transparent ; sur l’autre feuille, on pouvait encore voir au milieu du liquide quelques filaments blancs opaques. Au bout de soixante-douze heures, ces filaments avaient disparu, mais il restait encore un peu de liquide visqueux sur le limbe de la feuille ; l’autre feuille, au contraire, avait absorbé presque tout le liquide. Les deux feuilles commencèrent alors à se redresser.

Le meilleur et presque le seul moyen de déterminer la présence dans la sécrétion de quelque ferment analogue à la pepsine me sembla être de neutraliser par un alcali l’acide contenu dans la sécrétion et de m’assurer si la digestion cesse, puis d’ajouter un peu d’acide et d’observer si elle recommence. C’est ce que je fis et, comme nous le verrons bientôt, avec beaucoup de succès ; mais il était nécessaire d’abord de faire deux expériences qui devaient me servir à contrôler toutes les autres, c’est-à-dire de m’assurer si l’addition de petites gouttes d’eau, ayant le même volume que celles de la solution d’alcali que j’allais employer, arrêterait la digestion et si de petites gouttes d’acide chlorhydrique étendu, ayant le même degré et le même volume que celles que j’allais employer, attaqueraient les feuilles. Je fis donc les deux expériences suivantes :

Sixième expérience. — Je plaçai sur trois feuilles des petits cubes d’albumine et j’ajoutai deux ou trois fois par jour des petites gouttes d’eau distillée soulevée sur la tête d’une épingle. Cette addition d’eau ne retarda en aucune façon la marche du phénomène, car, au bout de quarante-huit heures, les cubes s’étaient complètement dissous sur chacune de ces trois feuilles. Le troisième jour, les feuilles commencèrent à se redresser et le quatrième jour tout le liquide était absorbé.

Septième expérience. — Je plaçai des petits cubes d’albumine sur deux feuilles et j’ajoutai, à deux ou trois reprises différentes, des petites gouttes d’acide chlorhydrique dilué dans la proportion d’une partie d’acide pour 437 parties d’eau. Cette addition ne parut en aucune façon retarder la marche de la digestion ; tout au contraire, elle sembla l’accélérer, car toute trace d’albumine avait disparu au bout de vingt-quatre heures trente minutes. Au bout de trois jours, les feuilles s’étaient en partie redressées et presque tout le liquide visqueux reposant sur le limbe était absorbé. Il est presque superflu de constater que des cubes d’albumine, ayant le même volume que ceux employés dans cette expérience, plongés pendant sept jours dans un peu d’acide chlorhydrique au même degré, conservèrent tous leurs angles à l’état parfait.

Huitième expérience. — Je plaçai sur cinq feuilles des cubes d’albumine ayant 4/20e de pouce (2mm,54) de côté ; puis, j’ajoutai à intervalles sur trois d’entre elles des petites gouttes d’une solution de carbonate de soude contenant une partie de carbonate pour 437 parties d’eau, et sur les deux autres des gouttes d’une solution de carbonate de potasse préparée dans les mêmes conditions. Les gouttes étaient transportées sur la tête d’une épingle assez grosse et je calculai que chacune d’elles équivalait environ à 1/10e de minime (0,0059 millimètre), de telle sorte que chaque goutte contenait seulement 1/4800e de grain (0,0135 milligrammes) d’alcali. Cela ne fut pas suffisant, car au bout de quarante-six heures, les cinq cubes étaient dissous.

Neuvième expérience. — Je répétai la dernière expérience sur quatre feuilles, avec cette différence que j’ajoutai beaucoup plus souvent des gouttes de la même solution de carbonate de soude, aussi souvent en un mot que la sécrétion devint acide, de telle sorte qu’elle fût efficacement neutralisée. Or, au bout de vingt-quatre heures, les angles de trois des cubes n’étaient en aucune façon arrondis et ceux du quatrième ne l’étaient que fort peu. J’ajoutai alors des gouttes d’acide chlorhydrique très-étendu, c’est-à-dire une partie d’acide pour 847 parties d’eau, mais j’en ajoutai juste assez pour neutraliser l’alcali encore présent ; la digestion recommença immédiatement, de telle sorte qu’au bout de vingt-trois heures trente minutes, trois des cubes étaient complètement dissous, tandis que le quatrième s’était transformé en une petite sphère entourée par un liquide transparent : cette sphère disparut le lendemain.

Dixième expérience. — J’employai ensuite des solutions plus fortes de carbonate de soude et de potasse, c’est-à-dire contenant une partie de carbonate pour 109 parties d’eau ; comme les gouttes avaient, à peu près le même volume que celles que j’ai employées dans les expériences précédentes, chacune d’elles contenait environ 1/1200e d’un grain (0,0539 milligr.) de l’un ou l’autre sel. Je plaçai sur une même feuille deux cubes d’albumine, ayant environ 1/40e de pouce ou 0,635 millimètres de côté, et deux cubes semblables sur une autre feuille. Dès que les sécrétions devenaient légèrement acides, ce qui se présenta quatre fois dans le délai de vingt-quatre heures, j’ajoutai sur chaque feuille des gouttes de la solution de soude ou de potasse pour neutraliser complètement l’acide. L’expérience réussit complètement, en ce sens qu’au bout de vingt-deux heures les angles des cubes étaient aussi définis qu’ils l’étaient dans le principe et nous savons, d’après l’expérience 5, qu’au bout de ce laps de temps les angles de cubes aussi petits auraient dû être complètement arrondis, si l’on avait permis à la sécrétion d’agir dans son état naturel. J’enlevai alors avec du papier buvard une partie du liquide qui reposait sur le limbe des feuilles et j’ajoutai quelques gouttes d’acide chlorhydrique dilué dans la proportion d’une partie d’acide pour 200 parties d’eau. J’employai de l’acide mélangé dans ces fortes proportions parce que les solutions d’alcali étaient elles-mêmes très-fortes. La digestion commença immédiatement de telle sorte que, quarante-huit heures après l’addition de l’acide, les 4 cubes d’albumine étaient non-seulement complètement dissous, mais la plus grande partie de l’albumine liquéfiée était absorbée.

Onzième expérience. — Je plaçai sur deux feuilles deux cubes d’albumine ayant 1/40e de pouce, soit 0,635 millimètres de côté, et je les traitai avec l’alcali de la même façon que dans l’expérience précédente. J’obtins exactement les mêmes résultats ; en effet, au bout de vingt-deux heures, les angles de ces cubes étaient encore parfaitement aigus, ce qui prouve que la digestion avait été complètement arrêtée. Je voulus alors déterminer quel serait l’effet d’une solution plus puissante d’acide chlorhydrique ; en conséquence, je plaçai sur la feuille quelques gouttes d’acide à 1 p. 100. Cette solution était sans doute trop forte, car, quarante-huit heures après l’addition de l’acide, l’un des cubes avait conservé sa forme presque parfaite et l’autre n’était que très-légèrement arrondi ; tous deux, en outre, s’étaient teintés de rose. Ce dernier fait prouve que les feuilles avaient été attaquées[26], car, pendant la digestion normale, l’albumine ne se colore pas et nous comprenons, par conséquent, pourquoi les cubes ne s’étaient pas dissous.

Ces expériences nous prouvent clairement que la sécrétion a le pouvoir de dissoudre l’albumine ; elles nous prouvent, en outre, que l’addition d’un alcali arrête la digestion qui recommence immédiatement dès qu’on neutralise l’alcali au moyen d’une faible solution d’acide chlorhydrique. En admettant même que mes expériences se fussent bornées là, j’aurais presque acquis la preuve suffisante que les glandes du Drosera sécrètent un ferment analogue à la pepsine qui, en présence d’un acide, communique à la sécrétion la faculté de dissoudre les composés albumineux.

Je saupoudrai un grand nombre de feuilles avec des éclats de verre parfaitement propres ; les tentacules de ces feuilles s’infléchirent modérément. Je coupai ces feuilles et je les divisai en 3 lots ; je plongeai 2 de ces lots dans de l’eau distillée, je les lavai bien et me procurai ainsi un liquide incolore, visqueux et légèrement acide. Je fis tremper le 3e lot dans quelques gouttes de glycérine qui, comme l’on sait, dissout, la pepsine. Je plongeai alors des cubes d’albumine ayant 1/20 de pouce de côté dans chacun de ces trois liquides, en maintenant les uns pendant quelques jours à une température d’environ 90° F. (32°,2 centig.) et les autres à la température ambiante ; aucun des cubes ne fut dissous, les angles restant parfaits de toutes parts. Ce fait semble indiquer que le ferment n’est sécrété qu’après que les glandes ont été excitées par l’absorption d’une quantité très-petite de matières animales déjà solubles, conclusion que confirme, comme nous le verrons bientôt, quelques expériences faites sur la Dionée. Le docteur Hooker a remarqué aussi que les liquides contenus dans les urnes des Nepenthes possèdent une puissance digestive extraordinaire ; cependant ces liquides, bien que déjà acides, perdent cette puissance si on les enlève des urnes avant d’avoir été excitées, pour les verser dans un vase. La seule explication que l’on puisse donner de ce fait c’est que le ferment convenable n’est sécrété qu’autant que quelque matière excitante a été précédemment absorbée.

Dans trois autres occasions j’excitai vivement 8 feuilles avec de l’albumine humectée de salive ; je coupai alors ces feuilles et je les plongeai pendant plusieurs heures ou même pendant un jour entier dans quelques gouttes de glycérine. J’additionnai cet extrait d’un peu d’acide chlorhydrique dilué dans des proportions différentes, tout en employant ordinairement des solutions d’acide contenant une partie d’acide pour 400 parties d’eau, et je plongeai des petits cubes d’albumine dans ce mélange[27]. Dans deux de ces essais, le liquide n’exerça pas la moindre action sur les cubes d’albumine ; mais dans le troisième, l’expérience eut un résultat tout différent. En effet, 2 cubes contenus dans un même vase diminuèrent considérablement en trois heures et, au bout de vingt-quatre heures, il ne restait plus que quelques fibres d’albumine non dissoutes ; deux petits morceaux d’albumine contenus dans un second vase diminuèrent aussi beaucoup au bout de vingt-quatre heures. J’ajoutai alors une petite quantité d’acide chlorhydrique étendu d’eau au liquide contenu dans les deux vases et je plongeai dans ce liquide de nouveaux cubes d’albumine ; ces derniers restèrent intacts. Ce dernier fait se comprend parfaitement si l’on adopte l’opinion de Schiff[28], qui a démontré, croit-il, contrairement à ce que soutiennent la plupart des physiologistes, qu’une minime quantité de pepsine est détruite pendant l’acte de la digestion. Si la solution dont je me servais contenait, comme il est probable, une quantité extrêmement petite de ferment, il eût été absorbé, selon l’autorité que nous venons de citer, par la dissolution des cubes d’albumine plongés d’abord dans le liquide ; il n’en serait donc pas resté trace après l’addition de l’acide chlorhydrique. La destruction du ferment pendant la digestion, ou son absorption après la transformation de l’albumine, explique aussi qu’une seule de ces expériences ait réussi.

Digestion de la viande rôtie. — Je plaçai sur 5 feuilles des cubes ayant environ 1/20 de pouce (1mm,27) de viande modérément rôtie ; au bout de douze heures, les feuilles étaient complètement infléchies. Au bout de quarante-huit heures, j’ouvris une feuille avec beaucoup de soin ; le morceau de viande consistait alors en une petite sphère centrale, en partie digérée, et entourée par une épaisse enveloppe de liquide visqueux transparent. Je plaçai le tout sous un microscope en ayant soin de ne rien déranger. Dans la partie centrale, les stries transversales des fibres musculaires étaient tout à fait distinctes et il était fort intéressant d’observer leur disparition graduelle à l’endroit où la fibre était entraînée dans le liquide environnant. Les stries de ces fibres étaient remplacées par des lignes transversales, consistant en points noirs extrêmement petits, que l’on ne pouvait observer vers l’extérieur qu’en se servant d’un grossissement considérable ; ces points finissaient ensuite par disparaître. À l’époque où j’ai fait ces observations, je n’avais pas lu le récit des expériences de Schiff[29] sur la digestion de la viande par le suc gastrique, et je ne comprenais pas la signification des points noirs. Cette signification devient évidente quand on a lu le passage suivant, qui nous permet en outre de juger combien la digestion par le suc gastrique se rapproche de la digestion opérée par la sécrétion du Drosera :

« On a dit que le suc gastrique faisait perdre à la fibre musculaire ses stries transversales. Ainsi énoncée, cette proposition pourrait donner lieu à une équivoque, car ce qui se perd ce n’est que l’aspect extérieur de la striature et non les éléments anatomiques qui la composent. On sait que les stries qui donnent un aspect si caractéristique à la fibre musculaire, sont le résultat de la juxtaposition et du parallélisme des corpuscules élémentaires, placés, à distances égales, dans l’intérieur des fibrilles contiguës. Or, dès que le tissu connectif qui relie entre elles les fibrilles élémentaires vient à se gonfler et à se dissoudre, et que les fibrilles elles-mêmes se dissocient, ce parallélisme est détruit et avec lui l’aspect, le phénomène optique des stries. Si, après la désagrégation des fibres, on examine au microscope les fibrilles élémentaires, on distingue encore très-nettement à leur intérieur les corpuscules, et on continue à les voir, de plus en plus pâles, jusqu’au moment où les fibrilles elles-mêmes se liquéfient et disparaissent dans le suc gastrique. Ce qui constitue la striature, à proprement parler, n’est donc pas détruit, avant la liquéfaction de la fibre charnue elle-même. »

Dans le fluide visqueux entourant la sphère centrale de viande non digérée se trouvaient des globules de graisse et des petits morceaux de tissu fibro-élastique qui ne présentaient, ni les uns, ni les autres, la moindre trace de digestion. J’ai remarqué aussi des petits parallélogrammes composés de matières jaunâtres très-translucides. Schiff, en parlant de la digestion de la viande par le suc gastrique, fait allusion à ces parallélogrammes et dit :

« Le gonflement par lequel commence la digestion de la viande, résulte de l’action du suc gastrique acide sur le tissu connectif qui se dissout d’abord, et qui, par sa liquéfaction, désagrège les fibres. Celles-ci se dissolvent ensuite en grande partie, mais, avant de passer à l’état liquide, elles tendent à se briser en petits fragments transversaux. Les « sarcous elements » de Bowman, qui ne sont autre chose que les produits de cette division transversale des fibres élémentaires, peuvent être préparés et isolés à l’aide du suc gastrique, pourvu qu’on n’attende pas jusqu’à la liquéfaction complète du muscle. »

J’ouvris les 4 autres feuilles soixante-douze heures après que les 5 cubes de viande avaient été déposés. Sur 2 de ces feuilles il ne restait rien que des petites masses de liquide visqueux transparent ; au moyen d’un fort grossissement je pus distinguer dans ces masses des globules de graisse, des fragments de tissu fibro-élastique et quelques parallélogrammes de sarcous elements, mais sans une trace de stries transversales. Sur les 2 autres feuilles se trouvaient des petites sphères de viande digérées en partie, au milieu d’une quantité considérable de liquide transparent.

Fibrine. — Je laissai dans l’eau, pendant quatre jours, des fragments de fibrine qui ne subirent aucune modification pendant que je faisais les expériences suivantes. La fibrine dont je me suis servi n’était pas parfaitement pure, elle comprenait des parcelles foncées ; elle n’avait pas été bien préparée ou avait subi subséquemment quelques modifications.

Je plaçai sur plusieurs feuilles des petits morceaux ayant environ le 1/10 d’un pouce carré (2mm,5 carrés) ; bien que la fibrine se liquéfiât bientôt, la dissolution ne fut jamais complète. Je plaçai alors des morceaux plus petits sur 4 feuilles et j’ajoutai quelques gouttes d’acide chlorhydrique (1 partie d’acide pour 437 parties d’eau) ; cette addition sembla hâter la digestion, car le morceau placé sur une des feuilles était liquéfié et absorbé au bout de vingt heures ; toutefois, il restait encore sur les 3 autres feuilles des résidus non dissous au bout de quarante-huit heures. Il est un fait remarquable, c’est que, dans les expériences dont je viens de parler et dans beaucoup d’autres, aussi bien que dans celles où j’employai des morceaux de fibrine beaucoup plus considérables, les feuilles furent très-peu excitées, et qu’il fut même quelquefois nécessaire d’ajouter un peu de salive pour produire une inflexion complète. En outre, les feuilles commencèrent à se redresser au bout de quarante-huit heures seulement, alors qu’elles seraient restées infléchies beaucoup plus longtemps si j’avais placé sur elles des insectes, de la viande, du cartilage, de l’albumine, etc.

J’essayai alors de la fibrine blanche pure que m’a envoyée le docteur Sanderson :

Première expérience. Je plaçai, sur les côtés opposés d’une même feuille, deux parcelles de fibrine ayant à peine 1/20e de pouce carré (1mm,25). L’une de ces parcelles n’excita point les tentacules environnants, et la glande sur laquelle je l’avais placée se dessécha bientôt. L’autre parcelle causa l’inflexion des tentacules courts adjacents. Au bout de 24 heures, les deux morceaux étaient presque dissous ; au bout de 72 heures ils l’étaient complètement.

Deuxième expérience. — Je répétai la même expérience avec le même résultat. Un seul des deux morceaux de fibrine excita les tentacules courts adjacents. Ce morceau fut attaqué si lentement qu’au bout d’un jour je le plaçai sur de nouvelles glandes. Trois jours après avoir été mis sur la feuille, il était complètement dissous.

Troisième expérience. — Je plaçai des morceaux de fibrine ayant à peu près le même volume que ceux dont je me servis dans les expériences précédentes sur la partie centrale de deux feuilles ; l’inflexion produite au bout de 23 heures était très-minime ; au bout de 48 heures, les tentacules courts environnants s’étaient tous repliés sur ces morceaux, et, 24 heures après, ils étaient complètement dissous. Il restait sur le limbe d’une de ces feuilles une assez grande quantité de liquide acide transparent.

Quatrième expérience. — Je plaçai sur la partie centrale de deux feuilles des morceaux semblables de fibrine ; les glandes, au bout de 2 heures, paraissant se dessécher, je les humectai avec une quantité assez considérable de salive ; cette addition produisit bientôt une inflexion considérable des tentacules et des feuilles elles-mêmes et une abondante sécrétion des glandes. Au bout de 18 heures, la fibrine s’était complètement liquéfiée, mais des atomes non digérés flottaient encore sur le liquide ; toutefois ces atomes disparurent au bout de deux jours.

Ces expériences prouvent clairement que la sécrétion dissout complètement la fibrine pure. La dissolution se fait assez lentement, mais cela provient de ce que cette substance n’excite pas suffisamment les feuilles, de telle sorte que les tentacules adjacents s’infléchissent seuls et que, par conséquent, la quantité de sécrétion est peu considérable.

Syntonine. — Le docteur Moore a bien voulu préparer pour moi cette substance que l’on extrait des muscles. Contrairement à ce qui se passe pour la fibrine, elle agit énergiquement et vite. Des petites parcelles placées sur le limbe de 3 feuilles firent infléchir fortement les tentacules et la feuille elle-même dans l’espace de huit heures ; je n’ai toutefois pas poussé les observations plus loin. C’est probablement à cause de la présence de cette substance que la viande crue est un stimulant trop puissant et qu’elle attaque ou qu’elle tue même souvent les feuilles.

Tissu aréolaire. — Je plaçai sur le limbe de 3 feuilles des petites parties de ce tissu provenant d’un mouton. Ces 3 feuilles s’infléchirent modérément en vingt-quatre heures, mais elles commencèrent à se redresser au bout de quarante-huit heures et avaient repris leur position naturelle au bout de soixante-douze heures, en comptant toujours depuis le moment où les morceaux avaient été placés sur les feuilles. On peut conclure de là que cette substance, comme la fibrine, excite les feuilles pendant peu de temps. J’ai examiné avec un fort grossissement le résidu laissé sur les feuilles après qu’elles furent complètement redressées ; le tissu aréolaire avait subi de profondes altérations, mais on ne peut pas dire qu’il se soit liquéfié, probablement à cause de la présence d’une grande quantité de tissu élastique sur lequel la sécrétion n’a aucune action.

Je me procurai alors du tissu aréolaire ne contenant aucun tissu élastique et, pour cela, je le pris dans les intestins d’un crapaud. J’en plaçai des morceaux assez gros et d’autres plus petits sur 5 feuilles. Au bout de vingt-quatre heures, 2 des morceaux s’étaient complètement liquéfiés ; 2 autres étaient devenus transparents, mais ne s’étaient pas tout à fait liquéfiés ; le 5e avait à peine subi quelques altérations. J’humectai alors avec un peu de salive plusieurs glandes de ces 3 dernières feuilles, ce qui les fit s’infléchir bientôt et provoqua d’abondantes sécrétions ; au bout de douze heures après cette opération, une feuille seulement portait encore des traces de tissu non digéré. Rien ne restait, sauf toutefois un peu de liquide visqueux et transparent sur les limbes des 4 autres feuilles, et cependant un morceau assez gros avait été placé sur l’une d’elles. Je puis ajouter que quelques parties de ce tissu comprenaient des points de pigment noir qui ne furent affectés en aucune façon. Pour contrôler cette expérience, je plongeai dans l’eau, ou j’exposai sur la mousse humide, des petits morceaux de ce tissu pendant un laps de temps égal ; le tissu resta blanc et opaque. Il ressort clairement de ces faits que le liquide sécrété digère facilement et rapidement le tissu aréolaire, mais que ce tissu a peu d’action au point de vue de l’excitation des feuilles.

Cartilage. — Je coupai, à l’extrémité d’un os de la patte d’un mouton que j’avais fait légèrement rôtir, 3 cubes, ayant 1/20 de pouce (1mm,27) de côté, de cartilage blanc, translucide, extrêmement dur. Je plaçai ces cubes sur 3 feuilles appartenant à de pauvres petites plantes cultivées dans une serre pendant le mois de novembre ; il me semblait extrêmement improbable que des plantes placées dans des conditions si défavorables pussent digérer une substance aussi dure. Toutefois, au bout de quarante-huit heures, les cubes étaient dissous en partie et transformés en sphères très-petites environnées d’un liquide transparent très-acide. Deux de ces sphères étaient complètement ramollies jusqu’au centre ; la 3e contenait encore un petit noyau de cartilage solide affectant une forme régulière. Examinées au microscope, ces sphères présentaient des surfaces curieusement dentelées, ce qui prouvait que la sécrétion avait inégalement attaqué le cartilage. Il est à peine utile d’ajouter que des cubes du même cartilage, plongés dans l’eau pendant le même laps de temps, ne présentèrent aucune trace d’altération.

Je plaçai sur 3 feuilles, pendant une saison plus favorable, des morceaux assez gros de l’oreille d’un chat dont la peau avait été enlevée ; elle contient du cartilage, du tissu aréolaire et du tissu élastique. J’humectai quelques glandes avec de la salive, ce qui provoqua une inflexion rapide. Deux feuilles commencèrent à se redresser au bout de trois jours, et la 3e feuille le cinquième jour. J’examinai au microscope le résidu liquide restant sur les limbes ; dans un cas, ce résidu consistait en matières visqueuses parfaitement transparentes : dans les deux autres cas, il contenait du tissu élastique, et probablement des traces de tissu aréolaire à moitié digéré.

Fibro-cartilage (pris entre les vertèbres de la queue d’un mouton). — Je plaçai sur 9 feuilles des morceaux modérément gros et des petits morceaux (ces derniers ayant environ 1/20 de pouce de côté) de fibro-cartilage ; quelques feuilles s’infléchirent beaucoup, d’autres très-peu. Dans ce dernier cas, je frottai les morceaux sur les limbes de façon à les pénétrer de sécrétion et à irriter plusieurs glandes. Toutes les feuilles se redressèrent au bout de deux jours ; on peut en conclure que cette substance excite peu les feuilles. Aucun morceau ne se liquéfia, mais tous subirent certainement une altération, car ils devinrent beaucoup plus transparents, et si tendres qu’on pouvait les désagréger très-facilement. Mon fils Francis prépara du suc gastrique artificiel dont l’efficacité fut bien vite prouvée par la dissolution de morceaux de fibrine et suspendit dans ce suc des morceaux de fibro-cartilage. Ces morceaux se gonflèrent et devinrent hyalins, exactement comme ceux qui avaient été exposés à la sécrétion du Drosera, mais ils ne furent pas dissous. Ce résultat me causa beaucoup de surprise, car deux physiologistes affirment que le suc gastrique digère facilement le fibro-cartilage. Je demandai donc au Dr Klein d’examiner les produits.

Après cet examen, il m’apprit que les deux morceaux qui avaient été soumis à l’action du suc gastrique artificiel se trouvaient « en cet état de digestion dans lequel se trouvent les tissus connectifs quand ils sont traités par un acide, c’est-à-dire qu’ils sont gonflés, plus ou moins hyalins, et que les faisceaux de fibres sont devenus plus homogènes et ont perdu leur structure fibrillaire. » Les fragments qui étaient restés sur les feuilles du Drosera jusqu’à ce que celles-ci se redressent « étaient altérés en partie, mais très-légèrement, de la même façon que ceux qui avaient été soumis à l’action du suc gastrique, en ce sens qu’ils étaient devenus plus transparents, presque hyalins, et que la structure des faisceaux de fibres était devenue indistincte. » La sécrétion du Drosera agit donc sur le fibro-cartilage à peu près de la même façon que le suc gastrique.

Os. — Je plaçai sur deux feuilles des petits morceaux polis de l’os hyoïde desséché d’un poulet, humecté avec de la salive, et, sur une troisième feuille, un éclat d’os de côtelette de mouton extrêmement dur, que j’avais fait griller et que j’humectai également avec de la salive. Ces feuilles s’infléchirent bientôt complètement et restèrent infléchies pendant un laps de temps extraordinaire ; une feuille, en effet, resta infléchie durant dix jours, et les deux autres pendant neuf jours. Pendant tout ce temps, les morceaux d’os furent enveloppés de sécrétions acides. Je les examinai alors avec un faible grossissement et j’observai qu’ils étaient devenus tout à fait tendres, de telle sorte qu’on pouvait les transpercer avec une aiguille peu pointue, les tordre ou les comprimer. Le Dr Klein voulut bien faire des sections de ces os et les examiner. Il m’apprend qu’ils présentaient l’apparence normale d’os qui auraient perdu leur chaux, mais dans lesquels resteraient encore quelques traces de sels minéraux. Les corpuscules avec leurs saillies étaient très-distincts dans presque toute la masse ; toutefois, dans quelques parties, et surtout auprès de la périphérie de l’os hyoïde, on ne pouvait en découvrir aucun. D’autres parties paraissaient amorphes et l’on ne pouvait plus même distinguer les stries longitudinales de l’os. Le Dr Klein pense que cette structure amorphe provient probablement de ce que la digestion des éléments fibreux avait commencé, ou de ce que toutes les matières animales avaient été enlevées, ce qui aurait pour résultat de rendre les corpuscules invisibles. Une substance dure, cassante et jaunâtre avait remplacé la moëlle dans les fragments de l’os hyoïde.

Comme les angles et les projections des éléments fibreux n’étaient ni arrondis, ni corrodés, je plaçai deux de ces fragments sur de nouvelles feuilles. Ces deux feuilles s’étaient complètement infléchies le lendemain matin, et elles restèrent dans cet état, l’une pendant six jours, l’autre pendant sept, pendant moins longtemps, par conséquent, que dans l’expérience précédente, mais beaucoup plus longtemps qu’il n’arrive jamais quand on place sur les feuilles des corps inorganiques. Pendant tout ce temps, la sécrétion colora en rouge vif le papier de tournesol ; il est vrai que cela était peut-être dû à la présence d’un superphosphate de chaux acide. Quand les feuilles se redressèrent, les angles et les saillies des éléments fibreux étaient aussi prononcés qu’auparavant. J’en conclus donc, à tort, comme nous allons le voir tout à l’heure, que la sécrétion n’a aucune action sur les éléments fibreux des os. L’explication la plus probable est que tout l’acide servit à décomposer le phosphate de chaux qui restait encore dans l’os, de telle sorte qu’il n’y avait aucun acide libre qui pût se combiner avec le ferment pour attaquer la base fibreuse.

Émail et dentine. — La sécrétion attaquant les os ordinaires, je résolus d’essayer si elle aurait une action sur l’émail et sur la dentine ; je ne m’attendais en aucune façon, d’ailleurs, à ce qu’elle attaquât une substance aussi dure que l’émail. Le Dr Klein me donna des tranches minces, coupées transversalement dans la dent canine d’un chien ; je rompis ces tranches en petits fragments anguleux que je plaçai sur quatre feuilles, et je les examinai tous les jours à la même heure. Il est utile, je crois, de donner en détail le résultat de ces expériences.

Première expérience. — Je place un fragment sur une feuille le 1er mai ; le 3, les tentacules ne s’étant que fort peu infléchis, j’ajoute un peu de salive ; le 6, les tentacules ne s’étant pas complètement infléchis, je transporte le fragment sur une autre feuille qui agit d’abord assez lentement, mais dont tous les tentacules embrassaient étroitement le fragment le 9. Le 11, cette seconde feuille commence à se redresser ; le fragment s’était certainement amolli, et le docteur Klein, qui l’a examiné, m’apprend « qu’une grande partie de l’émail et que presque toute la dentine avaient perdu la chaux qu’ils contenaient. »

Deuxième expérience. — Fragments placés sur une feuille le 1er mai ; le 2, les tentacules étaient assez bien infléchis, les sécrétions du disque étaient abondantes et continuèrent jusqu’au 7, époque où la feuille se redressa. Je transportai alors le fragment sur une autre feuille, qui, le lendemain 8, était complètement infléchie et resta en cet état jusqu’au 11, époque où elle commença à se redresser. D’après le rapport du Dr Klein « une grande partie de l’émail et presque toute la dentine avaient perdu leur chaux. »

Troisième expérience. — Je plaçai, le 1er mai, un fragment humecté avec de la salive sur une feuille qui resta complètement infléchie jusqu’au 5 et qui commença alors à se redresser. L’émail ne s’était pas du tout ramolli et la dentine ne l’était que fort peu. Je transportai alors le fragment sur une autre feuille qui, le lendemain 6, était complètement infléchie, et resta en cet élat jusqu’au 11. L’émail et la dentine s’étaient alors un peu ramollis ; après avoir examiné ce fragment, le Dr Klein m’apprend que « la moitié à peine de l’émail, ainsi que la plus grande partie de la dentine, ont perdu leur chaux. »

Quatrième expérience. — Je plaçai, le 1er mai, un morceau très-petit et très-mince de dentine humecté avec de la salive sur une feuille qui s’infléchit rapidement et qui commença à se redresser le 5. La dentine était alors devenue aussi flexible qu’une feuille de papier mince. Je transportai ensuite ce morceau sur une nouvelle feuille qui, le lendemain 6, s’était complètement infléchie et qui se redressa le 10. La dentine était alors devenue si molle, que les tentacules, en prenant leur position naturelle, en enlevaient des morceaux.

Il résulte de ces expériences que la sécrétion a moins d’action sur l’émail que sur la dentine, ce à quoi il fallait d’ailleurs s’attendre, à cause de l’extrême dureté de l’émail ; en outre, elle exerce une action moins puissante sur ces deux substances que sur les os ordinaires. Dès que la dissolution a commencé elle se continue avec beaucoup plus de facilité, ce que l’on peut conclure du fait que les feuilles sur lesquelles les fragments ont été transportés en second lieu se sont, dans les quatre cas, fortement infléchies en un seul jour, tandis que les premières feuilles ont agi beaucoup moins rapidement et beaucoup moins énergiquement. Les angles ou projections de la base fibreuse de l’émail et de la dentine, excepté peut-être dans la quatrième expérience, où les fragments n’ont pas pu être examinés avec soin, n’ont pas été du tout arrondis ; le Dr Klein a observé, au microscope, que leur structure n’avait subi aucune altération. Il devait, d’ailleurs, en être ainsi, car, dans les trois spécimens qui ont été examinés avec soin, toute la chaux n’avait pas été absorbée.

Base fibreuse des os. — La conclusion à laquelle j’arrivai tout d’abord, comme je l’ai déjà dit, est que le liquide sécrété ne peut pas digérer cette substance. Je demandai donc au Dr Burdon Sanderson d’expérimenter sur des os, sur de l’émail et sur de la dentine, avec du suc gastrique artificiel ; le résultat de ses expériences fut que ces substances se dissolvaient complètement au bout d’un temps considérable. Le Dr Klein examina quelques-unes des petites lamelles faisant partie du crâne d’un chat qui s’était brisé après une immersion d’une semaine environ dans le liquide, et il trouva que, vers les bords, « la matière paraissait raréfiée, comme si les canalicules des corpuscules des os étaient devenus plus grands. Autrement, les corpuscules et leurs canalicules étaient restés très-distincts. » Il semble donc que, chez les os soumis à l’action du suc gastrique artificiel l’absorption complète de la chaux précède la dissolution de la base fibreuse. Le Dr Burdon Sanderson me suggéra l’idée que l’incapacité du Drosera pour digérer la base fibreuse des os, de l’émail et de la dentine, pouvait provenir de ce que l’acide est employé à la décomposition des sels minéraux, de telle sorte qu’il ne reste plus d’acide pour opérer la digestion. En conséquence, mon fils absorba tout le phosphate de chaux de l’os d’un mouton au moyen d’acide chlorhydrique étendu d’eau, et je plaçai sur sept feuilles des petits fragments de la base fibreuse, en ayant soin d’en humecter quatre avec de la salive pour provoquer une inflexion rapide. Les sept feuilles s’infléchirent, modérément il est vrai, au bout d’un jour. Elles commencèrent à se redresser rapidement, cinq le second jour, et les deux autres le troisième jour. Sur ces sept feuilles les fragments de tissu fibreux se transformèrent en petites masses visqueuses plus ou moins liquéfiées et parfaitement diaphanes. Toutefois mon fils, en se servant d’un fort grossissement, découvrit au centre d’une de ces masses quelques corpuscules avec des traces de fibres dans les matières transparentes environnantes. Ces faits prouvent clairement que la base fibreuse des os excite peu les feuilles, mais que la sécrétion liquéfie facilement et rapidement cette base, à condition qu’elle soit complètement débarrassée de son phosphate de chaux. Les glandes qui étaient restées en contact pendant deux ou trois jours avec les masses visqueuses, ne s’étaient pas décolorées et semblaient n’avoir absorbé qu’une petite quantité du tissu liquéfié ; en tout cas, ces masses visqueuses avaient eu peu d’action sur les glandes.

Phosphate de chaux. — Nous avons vu que les tentacules de certaines feuilles restèrent infléchis pendant neuf ou dix jours, et les tentacules d’autres feuilles pendant six ou sept jours, sur des petits fragments d’os ; je fus amené à conclure que c’était le phosphate de chaux et non pas les matières animales de l’os qui causaient une inflexion aussi prolongée. Il est certain tout au moins, d’après les expériences que je viens de rapporter dans le paragraphe précédent, que cette inflexion ne pouvait pas être due à la présence de la base fibreuse. Les tentacules de deux feuilles restèrent en somme infléchis pendant onze jours sur de l’émail et de la dentine, et le premier de ces corps ne contient que 4% de matières organiques. Afin d’expérimenter l’action du phosphate de chaux, je demandai au professeur Frankland de m’en procurer qui fût absolument débarrassé de substances animales ou d’acides. J’en plaçai une petite quantité, humectée avec de l’eau, sur le limbe de deux feuilles. L’une de ces feuilles ne fut que peu affectée ; l’autre s’infléchit et resta dans cet état pendant dix jours ; au bout de ce temps, quelques tentacules commencèrent à se redresser, tous les autres étant fortement attaqués ou même tués. Je répétai l’expérience, mais en ayant soin d’humecter le phosphate avec de la salive pour assurer une prompte inflexion ; une feuille resta infléchie pendant six jours, et je dois faire remarquer que la petite quantité de salive employée n’aurait pas pu causer une inflexion aussi prolongée : au bout de ce temps, la feuille mourut ; l’autre feuille essaya de se redresser le sixième jour, mais elle n’y était pas encore parvenue le neuvième, et elle finit par mourir aussi. Je plaçai alors sur le limbe de trois feuilles une quantité plus considérable de phosphate humecté avec de l’eau ; ces feuilles étaient très-fortement infléchies au bout de vingt-quatre heures. Elles ne se redressèrent jamais ; le quatrième jour elles paraissaient malades, le sixième jour elles étaient presque mortes. Pendant ces six jours, de grosses gouttes de liquide peu visqueux pendaient sur les bords. J’essayai ce liquide tous les jours avec du papier de tournesol, mais il ne le colora jamais ; c’est là une circonstance que je ne peux comprendre, car le biphosphate de chaux est acide. Je suppose que l’acide de la sécrétion agissant sur le phosphate a dû former du biphosphate, et que ce biphosphate étant absorbé complètement tua les feuilles ; les grosses gouttes qui pendaient le long des bords étant tout simplement une sécrétion anormale. Quoi qu’il en soit, il est évident que le phosphate de chaux est un stimulant très-énergique. De très-petites doses sont même plus ou moins vénéneuses, et cela probablement en vertu du même principe qui veut que la viande crue et d’autres substances alimentaires données en excès amènent la mort des feuilles. Il suit de là qu’on peut, sans doute, conclure correctement que l’inflexion longtemps continuée des tentacules sur des fragments d’os, d’émail et de dentine provient de la présence du phosphate de chaux et non pas de la présence de matières animales.

Gélatine. — J’employai de la gélatine en feuilles minces qui m’a été donnée par le professeur Hoffmann : comme terme de comparaison, je plaçai sur de la mousse humide des morceaux ayant le même volume que ceux que j’ai placés sur les feuilles. Les morceaux placés sur la mousse se gonflèrent et gardèrent leurs angles pendant trois jours ; au bout de cinq jours ils formaient des masses molles arrondies, mais le huitième jour même on pouvait encore distinguer dans la masse des traces de gélatine. Je plongeai d’autres morceaux dans l’eau ; bien que très-gonflés, les angles de ces morceaux restèrent nets pendant six jours. Je plaçai sur deux feuilles des morceaux ayant 1/10e de pouce carré, ou 2,54 millimètres, qui avaient été humectés avec de l’eau ; au bout de deux ou trois jours, il ne restait sur les feuilles qu’un peu de liquide visqueux acide qui ne montra aucune tendance à se transformer de nouveau en gélatine, ce qui prouve que la sécrétion doit exercer sur la gélatine une action différente de celle de l’eau et probablement la même que celle qu’exerce le suc gastrique[30]. Je plongeai dans l’eau pendant trois jours des morceaux de gélatine ayant le même volume que les précédents, puis je les plaçai sur deux grandes feuilles ; au bout de deux jours, la gélatine s’était liquéfiée et était devenue acide, mais l’inflexion était peu considérable. Les feuilles commencèrent à se redresser au bout de quatre ou cinq jours ; beaucoup de liquide restait alors sur le disque, ce qui prouve qu’il y en avait eu fort peu d’absorbé. Dès qu’elle eut repris sa position naturelle une de ces feuilles captura une petite mouche, et, au bout de vingt-quatre heures, elle était complétement infléchie, ce qui prouve que les matières animales provenant d’un insecte exercent une action beaucoup plus énergique que la gélatine. Je plaçai ensuite sur trois feuilles des morceaux de gélatine beaucoup plus gros, qui avaient séjourné dans l’eau pendant cinq jours ; les feuilles ne s’infléchirent guère que vers le troisième jour et la gélatine ne fut complétement liquéfiée que le quatrième. L’une des feuilles commença à se redresser ce même jour ; la seconde le cinquième jour, et la troisième le sixième jour. Ces divers faits prouvent que la gélatine est loin d’exercer une action énergique sur le Drosera.

J’ai constaté, dans le chapitre précédent, qu’une solution de colle de poisson du commerce, aussi épaisse que l’est la crème, provoque une forte inflexion. Je désirai donc comparer son action avec celle de la gélatine pure. Je préparai des solutions contenant une partie de chacune de ces substances pour 218 parties d’eau, et je plaçai sur le limbe de huit feuilles des gouttes ayant un volume d’un demi-minime (0,0296 de milligr.), de telle sorte que chaque feuille reçoive 1/420e de grain ou 0,135 de millig. de colle de poisson ou de gélatine. Les quatre feuilles traitées avec la colle de poisson s’infléchirent beaucoup plus fortement que les quatre autres. J’en conclus donc que la colle de poisson contient quelques substances albumineuses solubles, quoique probablement en très-petite quantité. Aussitôt que ces huit feuilles eurent repris leur position naturelle, je plaçai sur elles des petits morceaux de viande rôtie, et, au bout de quelques heures, tous les tentacules étaient considérablement infléchis, ce qui prouve de nouveau que la viande exerce sur le Drosera une action beaucoup plus énergique que la gélatine ou que la colle de poisson. C’est là un fait intéressant, car on sait que la gélatine en elle-même n’est guère nutritive pour les animaux[31].

Chondrine. — Le Dr Moore m’envoya de la chondrine à l’état gélatineux. J’en fis lentement dessécher une partie et j’en plaçai un petit morceau sur une feuille et un morceau beaucoup plus gros sur une seconde feuille. Au bout d’un jour le premier morceau s’était liquéfié ; au bout du même laps de temps, le gros morceau s’était gonflé et amolli considérablement, mais il ne se liquéfia complètement que le troisième jour. J’expérimentai ensuite sur la gelée non desséchée, et, pour contrôler cette expérience, je plongeai dans l’eau, pendant quatre jours, des petits cubes taillés dans cette gelée ; ils conservèrent leurs angles bien définis. Je plaçai alors sur deux feuilles des cubes de même volume et des cubes plus gros sur deux autres feuilles. Les tentacules et le limbe de ces dernières feuilles s’infléchirent complètement au bout de vingt-deux heures ; au contraire, les tentacules des feuilles supportant les cubes plus petits ne s’infléchirent que modérément. En tout cas, au bout de vingt-deux heures, la gelée placée sur les quatre feuilles s’était liquéfiée et était devenue très-acide. Les glandes s’étaient noircies par suite de l’agrégation du protoplasma. Quarante-six heures après que la gelée eut été placée sur les feuilles elles commencèrent à se redresser ; elles l’étaient complétement au bout de soixante-dix heures ; il ne restait alors sur le limbe qu’une petite quantité de liquide légèrement visqueux qui n’avait pas été absorbé.

Je fis dissoudre une partie de cette chondrine en gelée dans 218 parties d’eau bouillante, et je plaçai sur quatre feuilles des gouttes ayant un volume d’un demi-minime, de telle sorte que chacune d’elles reçut 1/480e de grain, soit 0,135 de millig. de la gelée, ce qui est loin d’être équivalent à un poids égal de chondrine desséchée. Toutefois, cette quantité si minime exerça une action très-énergique, car, dans le court espace de trois heures trente minutes, les quatre feuilles s’étaient fortement infléchies. Trois d’entre elles commencèrent à se redresser au bout de vingt-quatre heures ; au bout de quarante-huit heures elles avaient complétement repris leur position naturelle ; néanmoins la quatrième ne s’était encore redressée qu’en partie. Toute la chondrine liquéfiée était alors complètement absorbée. Il ressort de ces expériences qu’une solution de chondrine agit beaucoup plus rapidement et beaucoup. plus énergiquement que la gélatine ou que la colle de poisson pure ; toutefois, de hautes autorités m’affirment qu’il est très-difficile, pour ne pas dire impossible, de savoir si la chondrine est pure ou si elle contient des composés albumineux ; dans ce dernier cas, on aurait l’explication facile des résultats que je viens d’indiquer. Quoi qu’il en soit, j’ai pensé qu’il était bon d’indiquer ces faits, car il règne beaucoup de doutes sur la valeur nutritive de la gélatine, et le Dr Lauder Brunton ne connaît aucune expérience sur la valeur relative de la gélatine et de la chondrine au point de vue de l’alimentation des animaux.

Lait. — Nous avons vu, dans le dernier chapitre, que le lait exerce une action très-énergique sur les feuilles, mais je ne saurais dire si ce résultat est dû à la caséine ou à l’albumine que contient le lait. Des gouttes de lait assez grosses excitent une sécrétion très-acide si abondante, qu’elle coule quelquefois le long des feuilles ; on obtient le même résultat avec de la caséine préparée chimiquement. Des petites gouttes de lait placées sur les feuilles se coagulent au bout de dix minutes environ. Schiff[32] nie que la coagulation du lait par le suc gastrique soit due exclusivement à l’acide présent, il est au contraire disposé à l’attribuer en partie à la pepsine ; or, quand il s’agit de gouttes placées sur les feuilles du Drosera, il est douteux que la coagulation soit due entièrement à l’acide, car nous avons vu que la sécrétion n’affecte pas ordinairement la couleur du papier de tournesol jusqu’à ce que les tentacules se soient considérablement infléchis ; or, comme nous venons de le voir, la coagulation commence au bout de dix minutes environ. Je plaçai sur le limbe de cinq feuilles des petites gouttes de lait écrémé ; une grande partie de la substance coagulée ou lait caillé fut dissoute au bout de six heures, et la totalité au bout de huit heures. Ces feuilles se redressèrent au bout de deux jours ; j’enlevai alors avec soin, pour l’examiner, le liquide visqueux restant sur le disque. Il me sembla, à première vue, que toute la caséine n’avait pas été dissoute, car il restait quelques substances qui, observées à la lumière réfléchie, paraissaient blanchâtres. Toutefois, quand j’ai observé ces substances avec un fort grossissement et que je les ai comparées à une petite goutte de lait écrémé coagulé au moyen de l’acide acétique, je me suis aperçu qu’elles consistent exclusivement en globules huileux plus ou moins agrégés les uns avec les autres, mais sans qu’il y ait la moindre trace de caséine. Peu familier avec l’aspect microscopique du lait, je demandai au Dr Lauder Brunton d’examiner ces résidus ; il expérimenta sur les globules avec de l’éther et obtint une dissolution presque immédiate. Nous pouvons donc conclure que la sécrétion dissout rapidement la caséine dans l’état où elle se trouve dans le lait.

Caséine préparée chimiquement. Beaucoup de chimistes supposent que cette substance, insoluble dans l’eau, diffère de la caséine qui se trouve dans le lait frais. Je me procurai, chez MM. Hopkins et Williams, des globules très-durs de caséine préparée chimiquement, et je m’en servis pour de nombreuses expériences. Des petites parcelles de ces globules, ou ces globules réduits en poudre, à l’état sec ou humectés d’eau font infléchir très-lentement, le plus ordinairement au bout de deux jours seulement, les feuilles sur lesquelles on les place. D’autres parcelles humectées d’acide chlorhydrique étendu (1 partie d’acide pour 437 parties d’eau) aussi bien que de la caséine préparée par le Dr Moore immédiatement avant mes expériences, agirent au bout d’un seul jour. Les tentacules restent ordinairement infléchis sept à neuf jours, et, pendant tout ce temps, la sécrétion est fortement acide. Un peu de sécrétion restant sur le limbe d’une feuille qui s’était complétement redressée était encore fortement acide au bout de onze jours. L’acide semble se produire rapidement, car, dans un cas, la sécrétion des glandes du disque saupoudrée avec un peu de caséine affecta la couleur du papier de tournesol avant qu’aucun des tentacules extérieurs ne se fût infléchi.

Je plaçai sur deux feuilles des petits cubes de caséine dure humectés d’eau ; au bout de trois jours les angles d’un de ces cubes s’étaient un peu arrondis, et, au bout de sept jours, tous deux ne consistaient plus qu’en masses rondes amollies, plongeant dans une grande quantité de sécrétion visqueuse et acide ; il ne faut toutefois pas conclure de ce fait à la dissolution des angles, car l’eau produisit le même effet sur d’autres cubes. Ces feuilles commencèrent à se redresser au bout de neuf jours, mais, autant qu’on en pouvait juger à la vue, la caséine, dans cette expérience et dans beaucoup d’autres, ne paraissait guère réduite en volume, en admettant même qu’elle le fût du tout. Selon Hoppe-Seyler et Lubavin[33], la caséine consiste en substances albumineuses et non albumineuses ; or, l’absorption d’une quantité très-minime des premières suffirait pour exciter les feuilles sans que le volume de la caséine fût perceptiblement réduit. Schiff[34] affirme, et c’est là un fait très-important pour nous, que « la caséine purifiée des chimistes est un corps presque complètement inattaquable par le suc gastrique. » De telle sorte que nous trouvons là un autre point de rapport entre la sécrétion du Drosera et le suc gastrique, en ce que tous deux agissent différemment sur la caséine fraîche du lait et sur la caséine préparée par les chimistes.

Je fis quelques expériences avec du fromage ; je plaçai sur quatre feuilles des cubes ayant 1/20e de pouce, soit 1,27 millimètre de côté ; au bout de un ou deux jours ces feuilles s’étaient considérablement infléchies, et leurs glandes déversaient beaucoup de sécrétions acides. Au bout de cinq jours, elles commencèrent à se redresser, mais l’une d’elles mourut et quelques glandes des autres feuilles étaient attaquées. À en juger à la vue, les masses de fromage amollies et affaissées restant sur les limbes avaient peu diminué en volume ou n’avaient même pas diminué du tout. Toutefois, nous pouvons conclure du laps de temps pendant lequel les tentacules étaient restés infléchis, du changement de couleur qui s’était produit dans quelques glandes, de l’état maladif de quelques autres, qu’elles avaient absorbé certaines substances constitutives du fromage.

Légumine. — Je ne pus me procurer cette substance à l’état isolé ; toutefois, on ne peut guère douter qu’elle se digérerait facilement si l’on en juge par l’effet puissant produit par des gouttes d’une décoction de pois verts, comme nous l’avons indiqué dans le chapitre précédent. Je plaçai sur deux feuilles des tranches minces de pois secs que j’avais fait baigner dans l’eau ; ces feuilles s’infléchirent quelque peu au bout d’une heure et très-fortement au bout de 21 heures. Elles se redressèrent au bout de trois ou quatre jours. Les tranches ne furent pas liquéfiées, car la sécrétion n’a pas la moindre action sur les parois des cellules composées de cellulose.

Pollen. — Je plaçai sur le limbe de cinq feuilles un peu de pollen frais pris sur des pois communs ; ces feuilles s’infléchirent bientôt complètement et restèrent en cet état pendant deux ou trois jours.

Au bout de ce temps j’enlevai les grains de pollen et je les examinai au microscope ; ils avaient perdu leur couleur et les globules huileux qu’ils contiennent s’étaient remarquablement agglutinés ; le contenu de beaucoup de ces grains s’était considérablement affaissé et quelques-uns étaient presque vides. Dans quelques cas seulement les tubes de pollen s’étaient vidés. On ne peut douter que la sécrétion n’ait pénétré à travers le revêtement extérieur des grains et digéré une partie de leur contenu. Le même phénomène doit se produire avec le suc gastrique des insectes qui se nourrissent de pollen sans le mâcher[35]. Le Drosera à l’état naturel ne peut certes pas manquer de profiter, dans une certaine mesure, de cette faculté de digérer le pollen, car les innombrables grains de pollen provenant des Carex, des Graminées, des Rumex, des pins et d’autres plantes fécondées par le vent, qui croissent ordinairement dans son voisinage, sont arrêtés au passage par la sécrétion visqueuse qui entoure les nombreuses glandes de la plante.

Gluten. — Cette substance est composée de deux albuminoïdes, l’un soluble dans l’alcool, l’autre qui ne l’est pas[36]. Je préparai du gluten en lavant simplement dans l’eau de la farine de froment. Je fis un premier essai en plaçant des morceaux assez gros de cette substance sur deux feuilles qui, au bout de 21 heures, s’étaient complètement infléchies et restèrent dans cet état pendant quatre jours ; au bout de ce temps l’une mourut et les glandes de l’autre noircirent entièrement, mais je ne l’observai pas davantage. Je plaçai des morceaux plus petits sur deux feuilles qui s’infléchirent quelque peu au bout de deux jours, mais dont l’infléchissement augmenta considérablement plus tard. Les sécrétions ne furent pas aussi acides que celles des feuilles excitées avec de la caséine. Les morceaux de gluten, après avoir reposé pendant trois jours sur les feuilles, étaient beaucoup plus transparents que d’autres plongés dans l’eau pendant le même laps de temps. Au bout de sept jours, les deux feuilles se redressèrent, mais le gluten ne paraissait pas avoir diminué de volume. Les glandes qui s’étaient trouvées en contact avec les morceaux étaient très-noires. Je plaçai alors sur deux feuilles des morceaux de gluten plus petits et à moitié putréfiés ; ces feuilles étaient considérablement infléchies au bout de 24 heures et complètement au bout de quatre jours ; les glandes en contact avec le gluten étaient devenues noires. Au bout de cinq jours, une des feuilles commença à se redresser et, au bout de huit jours, toutes deux avaient repris leur position naturelle au repos ; il restait encore une très-petite quantité de gluten sur le limbe. J’essayai ensuite quatre morceaux très-petits de gluten desséché humecté d’eau ; son action fut quelque peu différente de celle du gluten frais. Une feuille s’était presque complètement redressée au bout de trois jours et les trois autres feuilles au bout de quatre jours. Les parcelles de gluten s’étaient très-amollies, presque liquéfiées, mais elles étaient loin d’être complètement dissoutes. Les glandes qui s’étaient trouvées en contact avec ces parcelles au lieu d’être devenues complètement noires affectaient une couleur très-pâle et la plupart d’entre elles avaient évidemment été tuées.

Dans aucune des dix expériences que je viens de rapporter, la totalité du gluten n’avait été dissoute, même quand j’avais placé sur des feuilles des morceaux extrêmement petits ; je demandai donc au docteur Burdon Sanderson d’essayer le gluten dans un liquide digestif artificiel composé de pepsine et d’acide chlorhydrique ; la totalité du gluten plongé dans ce liquide fut dissoute. Toutefois, cette solution agit beaucoup plus lentement sur le gluten que sur la fibrine ; 40,8 parties de gluten s’étant dissoutes en 4 heures contre 100 parties de fibrine pendant le même temps. On expérimenta aussi sur le gluten dans deux autres liquides digestifs où l’acide chlorhydrique était remplacé par de l’acide propionique et de l’acide butyrique ; le gluten fut complètement dissous par ces liquides à la température ambiante. Nous nous trouvons donc enfin en présence d’un cas où une différence essentielle semble exister, au point de vue de la faculté digestive, entre la sécrétion du Drosera et le suc gastrique ; mais cette différence se limite au ferment, car, ainsi que nous venons de le voir, la pepsine combinée aux acides de la série acétique agit parfaitement sur le gluten. Je crois que l’explication réside simplement dans ce fait que le gluten est un stimulant trop puissant, comme la viande crue, le phosphate de chaux ou même un morceau trop gros d’albumine, et qu’il attaque ou tue les glandes avant qu’elles aient eu le temps de déverser une quantité suffisante de la sécrétion nécessaire. Le laps de temps pendant lequel les tentacules restent infléchis, et l’importante modification de couleur que subissent les glandes, prouvent évidemment que la feuille absorbe quelques matières empruntées au gluten.

Le docteur Sanderson me conseilla de plonger du gluten pendant 15 heures dans de l’acide chlorhydrique étendu (0,02 p. 100 d’acide) afin d’enlever l’amidon. Le gluten ainsi traité se gonfla, devint incolore et plus transparent. J’en lavai quelques parcelles que je plaçai sur cinq feuilles : ces feuilles s’infléchirent bientôt fortement mais, à ma grande surprise, elles étaient complètement redressées au bout de 48 heures. Il ne restait plus, sur deux des feuilles, que quelques parcelles de gluten et pas une trace sur les trois autres. Je recueillis avec soin la sécrétion visqueuse et acide qui restait encore sur le limbe de ces deux dernières feuilles et mon fils l’examina au microscope avec un fort grossissement ; il ne put rien découvrir sauf un peu de saleté et une assez grande quantité de grains d’amidon qui n’avaient pas été dissous par l’acide chlorhydrique. Quelques glandes des feuilles étaient devenues assez pâles. Cette expérience nous apprend que le gluten traité avec de l’acide chlorhydrique étendu d’eau n’exerce pas sur les feuilles une action aussi énergique ou aussi longuement continuée que le gluten frais, et qu’en outre il n’attaque pas les glandes ; elle nous apprend, en outre, que la sécrétion digère rapidement et complètement le gluten ainsi traité

Globuline ou cristalline. — Le docteur Moore voulut bien préparer pour mes expériences cette substance provenant de la lentille de l’œil ; la globuline se présente sous forme de fragments durs, incolores et transparents. On dit[37] que la globuline doit « gonfler dans l’eau et se dissoudre en formant un liquide gommeux ; » mais, bien que j’aie laissé dans l’eau, pendant quatre jours, les fragments dont je viens de parler, ils ne présentèrent aucune trace de dissolution. Je plaçai sur dix-neuf feuilles des fragments de globuline dont les uns avaient été humectés d’eau, les autres d’acide chlorhydrique étendu, d’autres enfin plongés dans l’eau pendant un ou deux jours. La plupart de ces feuilles, surtout celles qui reçurent les fragments qui avaient plongé dans l’eau pendant longtemps, s’infléchirent fortement au bout de quelques heures. La plupart d’entre elles se redressèrent au bout de trois ou quatre jours ; toutefois, trois feuilles restèrent infléchies pendant un, deux ou trois jours de plus. Cette inflexion prolongée prouve que les feuilles ont dû absorber quelques substances de nature à les exciter ; toutefois, les fragments bien qu’un peu plus amollis peut-être que ceux qui étaient restés dans l’eau pendant le même laps de temps, avaient conservé des angles aussi nets que ceux qui n’avaient pas été placés sur les feuilles. Ce résultat m’étonna quelque peu, car la globuline est une substance albumineuse ; or, comme je me proposais dans ces expériences de comparer l’action de la sécrétion avec celle du suc gastrique, je demandai au docteur Burdon Sanderson d’expérimenter sur la même globuline que celle dont j’avais fait usage. Il me dit que des fragments « ont été plongés dans un liquide contenant 0,2 % d’acide chlorhydrique et environ 1 % de glycérine extraite de l’estomac d’un chien. Il reconnut que ce liquide peut digérer 1,31 de son poids de fibrine non bouillie en une heure ; tandis que ce même liquide n’a dissous, pendant le même laps de temps, que 0,141 des fragments de globuline que je lui avais donnés. Dans les deux cas il avait placé dans le liquide un excès de la substance à digérer[38] ». Nous voyons donc que, pendant un laps de temps égal, le même liquide a dissous moins de 1/9e en poids de globuline que de fibrine ; or, si nous nous rappelons que la pepsine combinée aux acides de la série acétique ne possède qu’environ 1/3 de la puissance digestive de la pepsine combinée à l’acide chlorhydrique, il n’est pas surprenant que la sécrétion du Drosera n’ait pas rongé les fragments de globuline ou arrondi leurs angles, bien que les glandes aient certainement extrait de ces fragments quelques matières solubles et les aient absorbées.

Hématine. — On m’a donné quelques granules rouge foncé extraits du sang de bœuf ; le docteur Sanderson, qui examina ces granules, observa qu’ils étaient insolubles dans l’eau, dans les acides et dans l’alcool ; ces granules étaient donc probablement composés d’hématine combinée à d’autres corps provenant du sang. Je plaçai sur quatre feuilles de petits fragments de ces granules au milieu d’une petite goutte d’eau ; au bout de deux jours, trois de ces feuilles s’étaient considérablement infléchies, mais la quatrième très-modérément. Le troisième jour, les glandes qui se trouvaient en contact avec l’hématine s’étaient noircies et quelques tentacules étaient attaqués. Au bout de cinq jours, deux feuilles étaient mortes, et une troisième était mourante ; la quatrième commençait à se redresser, mais la plupart de ses glandes étaient noircies et très-malades. Il est donc évident que les glandes avaient absorbé des matières qui constituaient pour elles un poison, ou dont la nature était trop excitante. Les fragments étaient beaucoup plus amollis que des fragments semblables plongés dans l’eau pendant le même laps de temps ; mais, à en juger à la vue, leur volume s’était fort peu réduit. Le docteur Sanderson expérimenta sur cette substance avec du suc gastrique artificiel, comme il l’avait fait pour la globuline ; pour 1,31 parties de fibrine, dissoute en 1 heure, 0,456 parties seulement d’hématine avaient été dissoutes ; toutefois, la solution par la sécrétion d’une quantité moindre suffirait à expliquer son action sur le Drosera. Pendant plusieurs jours, le résidu qui se trouvait dans le suc gastrique artificiel ne subit aucune autre diminution nouvelle.

Substances qui ne sont pas digérées par la sécrétion.

Toutes les substances dont nous avons parlé jusqu’à présent provoquent l’inflexion prolongée des tentacules et sont dissoutes en totalité ou en partie par la sécrétion. Mais il y a une foule d’autres substances dont quelques-unes contiennent de l’azote, sur lesquelles la sécrétion n’agit en aucune espèce de façon et qui ne provoquent pas une inflexion plus longue que les substances inorganiques et insolubles. Ces substances neutres et indigestes sont, autant que j’ai pu l’observer, les productions épidermiques telles que les ongles humains, les cheveux, les plumes, les tissus fibro-élastiques, la mucine, la pepsine, l’urée, la chitine, la chlorophylle, la cellulose, le coton-poudre, les graisses, les huiles et l’amidon.

On pourrait ajouter à ces substances, le sucre et la gomme en dissolution, l’alcool étendu, les infusions végétales qui ne contiennent pas d’albumine, car, ainsi que nous l’avons démontré dans le chapitre précédent, aucune de ces substances ne provoque l’inflexion. Je dois faire remarquer ici, et c’est un fait remarquable qui vient à l’appui de ce que nous avons déjà avancé, c’est-à-dire que le ferment du Drosera est très-semblable, pour ne pas dire absolument identique, à la pepsine, que le suc gastrique des animaux, autant qu’on peut le savoir toutefois, n’agit sur aucune de ces substances, bien que les autres sécrétions du canal alimentaire aient une action sur certaines d’entre elles. Quelques-unes des substances dont je viens de parler ont été placées à de nombreuses reprises sur les feuilles du Drosera, sans que la sécrétion ait agi en aucune façon sur elles ; il est donc inutile de nous en occuper davantage. Quant à quelques autres, je crois devoir donner les résultats des expériences que j’ai faites sur elles.

Tissu fibro-élastique. — Nous avons déjà vu que, quand on place sur les feuilles des petits cubes de viande, etc., les muscles, le tissu aréolaire et le cartilage sont complétement dissous, mais que le tissu fibro-élastique, et même les fils les plus délicats dont il se compose, ne sont en aucune façon attaqués. Or on sait que le suc gastrique des animaux ne peut pas digérer ce tissu[39].

Mucine. — Cette substance contenant environ 7 % d’azote, je m’attendais à ce qu’elle excitât beaucoup les feuilles et à ce qu’elle fût digérée par la sécrétion ; je me trompais absolument. D’après les traités de chimie, il paraît très-douteux que l’on puisse préparer la mucine à l’état pur. Celle que j’ai employée (préparée par le docteur Moore) était sèche et dure. Je mis sur quatre feuilles des fragments de cette mucine humectée d’eau ; au bout de deux jours je ne pouvais observer qu’une légère trace d’inflexion dans les tentacules entourant immédiatement les fragments. Je mis alors des morceaux de viande sur ces feuilles et toutes quatre s’infléchirent bientôt considérablement. Plongeant ensuite des morceaux de mucine desséchée dans l’eau et les y laissant séjourner pendant deux jours, je plaçai ces petits cubes sur trois feuilles. Au bout de quatre jours les tentacules entourant les bords du disque s’étaient quelque peu infléchis et la sécrétion, réunie sur le disque, était acide, mais les tentacules extérieurs n’avaient pas été affectés. Une feuille commença à se redresser le quatrième jour ; le sixième jour toutes les feuilles avaient repris leur état naturel au repos. Les glandes, qui s’étaient trouvées en contact immédiat avec la mucine, s’étaient un peu noircies. Nous pouvons donc conclure de cette expérience que ces glandes avaient absorbé une petite quantité de quelques impuretés de nature à les exciter modérément. Une expérience du docteur Sanderson prouve que la mucine, que j’avais employée contenait quelques matières solubles ; il la soumit, en effet, à l’action du suc gastrique artificiel et trouva qu’au bout d’une heure une certaine quantité s’était dissoute, mais seulement dans la proportion de 23 % de la quantité de fibrine dissoute pendant le même laps de temps. Les cubes placés sur les feuilles, bien que peut-être un peu plus amollis que ceux plongés dans l’eau pendant un laps de temps égal, conservaient encore des angles parfaitement nets. Nous pouvons donc conclure que la mucine elle-même n’a été ni dissoute, ni digérée. Or, le suc gastrique des animaux vivants ne digère pas non plus cette substance et, selon Schiff[40], c’est une couche de mucine qui protège les parois de l’estomac et qui les empêche d’être corrodés pendant la digestion.

Pepsine. — Je crois à peine utile de détailler mes expériences, car il est presque impossible de préparer de la pepsine exempte de tout autre principe albuminoïde. Toutefois, j’étais curieux de déterminer, autant que possible, si le ferment contenu dans la sécrétion du Drosera aurait une action quelconque sur le ferment du suc gastrique des animaux. J’employai d’abord la pepsine commune que l’on prescrit communément comme médicament, puis ensuite des échantillons beaucoup plus purs que le docteur Moore voulut bien préparer pour moi. Je plaçai sur cinq feuilles une quantité considérable de la pepsine commune ; elles restèrent infléchies pendant cinq jours, et, au bout de ce temps, quatre d’entre elles moururent, par suite probablement d’une stimulation excessive. J’expérimentai alors la pepsine du docteur Moore ; j’en fis une sorte de pâte avec de l’eau et je plaçai sur le limbe de cinq feuilles des morceaux assez petits pour se dissoudre rapidement s’ils eussent été de la viande ou de l’albumine. Les feuilles s’infléchirent promptement, deux commencèrent à se redresser au bout de 20 heures et les trois autres étaient presque complètement redressées au bout de 44 heures. Quelques-unes des glandes qui s’étaient trouvées en contact avec les fragments de pepsine, ou avec la sécrétion acide qui les entourait, étaient devenues singulièrement pâles, tandis que d’autres avaient pris une teinte foncée singulière. Je recueillis avec soin une partie de la sécrétion et je l’examinai avec un fort grossissement ; j’y remarquai un grand nombre de granules absolument semblables à ceux de la pepsine plongée dans l’eau pendant le même laps de temps. Nous pouvons donc conclure, ou tout au moins soupçonner, eu égard aux petites quantités placées sur les feuilles, que le ferment du Drosera n’agit pas sur la pepsine et ne la digère pas, mais qu’il absorbe les substances albumineuses qui se trouvent dans la pepsine, impuretés qui provoquent l’inflexion et qui, en quantité assez considérable, attaquent vivement la feuille. À ma demande, le docteur Lauder Brunton essaya de déterminer si la pepsine combinée avec l’acide chlorhydrique digère la pepsine pure ; autant qu’il a pu en juger il n’en est rien. Par conséquent le suc gastrique paraît, sous ce rapport, agir de la même façon que la sécrétion du Drosera.

Urée. — Il me sembla intéressant de déterminer si cette substance, expulsée par les corps vivants et qui contient tant d’azote, provoquerait l’inflexion des tentacules et serait absorbée par les glandes du Drosera, comme tant d’autres substances animales liquides ou solides. Je fis tomber sur le limbe de quatre feuilles des gouttes ayant 1/2 minime de volume d’une solution contenant 1 partie d’urée pour 437 parties d’eau, chaque goutte contenant par conséquent la quantité que j’emploie ordinairement soit 1/960e de grain ou 0,0674 de millig., mais cette quantité affecta à peine les feuilles. Je plaçai alors sur elles des petits fragments de viande et elles s’infléchirent bientôt complètement. Je répétai la même expérience sur quatre feuilles avec de l’urée préparée expressément par le docteur Moore ; au bout de deux jours aucune inflexion ne s’était produite ; je répétai alors la dose mais sans plus de succès. Je traitai ensuite ces feuilles par des gouttes égales d’une infusion de viande crue ; au bout de 6 heures l’inflexion était considérable et excessive au bout de 24 heures. Toutefois, l’urée que j’employais n’était pas absolument pure, car lorsque je plongeai quatre feuilles dans 2 drachmes (7,1 millil.) de la solution de façon que toutes les glandes au lieu de celles du disque seulement pussent absorber les petites quantités d’impuretés qui pouvaient s’y trouver, il se produisit une inflexion considérable au bout de 24 heures, inflexion certainement plus forte que celle qui aurait suivi une immersion semblable dans l’eau pure. Il n’y a pas lieu d’être surpris que l’urée, qui n’était pas parfaitement blanche, ait contenu une quantité suffisante de matières albumineuses ou de sels d’ammoniaque pour causer l’effet que je viens d’indiquer, car nous verrons, dans le prochain chapitre, quelles doses extraordinairement petites d’ammoniaque suffisent pour provoquer l’inflexion. Nous pouvons donc conclure que l’urée en elle-même n’excite pas le Drosera et qu’elle ne peut lui servir d’aliment ; nous pouvons conclure aussi que la sécrétion ne modifie pas l’urée de façon à la rendre nutritive, car, s’il en avait été ainsi, les feuilles dont le limbe supportait quelques gouttes d’une solution de cette substance, se seraient assurément infléchies. Le docteur Lauder Brunton a fait, à ma demande, quelques expériences dans le laboratoire de l’un des hôpitaux de Londres, et il semble en résulter que le suc gastrique artificiel, c’est-à-dire la pepsine, combinée avec l’acide chlorhydrique, n’a aucune action sur l’urée.

Chitine. — Les téguments chitineux des insectes, capturés naturellement par les feuilles, ne paraissent attaqués en aucune manière. J’ai placé sur quelques feuilles des petits morceaux carrés de l’aile délicate et de l’élytre d’un Staphylimus ; j’examinai avec soin ces morceaux quand les feuilles se furent redressées. Les angles étaient parfaitement nets et les morceaux ne différaient en aucune façon de l’autre aile et de l’autre élytre du même insecte qui étaient restés plongés dans l’eau pendant le même laps de temps. Toutefois, l’élytre avait évidemment dû fournir à la feuille quelques substances nutritives, car les tentacules étaient restés infléchis pendant quatre jours entiers, tandis que les feuilles qui supportaient des morceaux d’ailes s’étaient redressées le second jour. Quiconque a examiné les excréments des animaux qui se nourrissent d’insectes sait que le suc gastrique de ces animaux n’exerce pas la moindre action sur la chitine.

Cellulose. — Ne pouvant me procurer cette substance à l’état isolé, j’expérimentai sur des fragments angulaires de bois sec, de liège, de lichens et de fil de lin ou de coton. La sécrétion n’attaqua pas ces corps qui ne provoquèrent que l’inflexion très-modérée que causent ordinairement les substances inorganiques. J’essayai avec le même résultat le coton-poudre, qui consiste en cellulose dont l’hydrogène est remplacé par de l’azote. Nous avons vu qu’une décoction de feuilles de chou provoque une inflexion très-considérable. Je plaçai donc sur deux feuilles de Drosera des petits morceaux carrés découpés dans une feuille de chou et, sur quatre autres feuilles, des petits cubes découpés dans la côte centrale de la feuille. Ces feuilles de Drosera s’infléchirent considérablement au bout de 12 heures et restèrent en cet état de deux à quatre jours ; pendant tout ce temps, les morceaux de chou baignaient dans la sécrétion acide. Cela prouve que quelque substance excitante dont je m’occuperai bientôt avait été absorbée ; toutefois, les angles des carrés et des cubes restèrent parfaitement nets, ce qui prouve que la cellulose n’avait pas été attaquée. J’essayai avec le même résultat des petits morceaux de feuille d’épinards : les glandes déversèrent une quantité assez considérable de sécrétion acide, et les tentacules restèrent infléchis pendant trois jours. Nous avons déjà vu que la sécrétion n’a aucune action sur les parois délicates des grains de pollen. On sait, en outre, que le suc gastrique des animaux n’a aucune action sur la cellulose.

Chlorophylle. — Cette substance contenant de l’azote, je voulus l’essayer. Le docteur Moore m’envoya de la chlorophylle conservée dans l’alcool ; je la fis sécher, mais elle devint bientôt déliquescente. J’en plaçai des parcelles sur quatre feuilles ; au bout de 3 heures, la sécrétion était devenue acide ; 8 heures après, je remarquai quelques traces d’inflexion et, au bout de 24 heures, l’inflexion était bien prononcée. Au bout de quatre jours deux feuilles commencèrent à se redresser ; les deux autres avaient alors presque complètement repris leur position naturelle. Il est donc évident que cette chlorophylle contenait une substance de nature à exciter modérément les feuilles ; toutefois, à en juger à la vue, aucune partie ne s’était dissoute ; il est donc probable que la sécrétion n’aurait aucune action sur de la chlorophylle pure. Le docteur Sanderson expérimenta avec du suc gastrique artificiel la chlorophylle que j’avais employée et un autre échantillon préparé exprès ; elle ne fut pas digérée. Le docteur Lauder Brunton essaya aussi de la chlorophylle préparée d’après la formule indiquée dans le codex anglais et l’exposa, pendant cinq jours, à la température de 37° centig., à l’action du suc gastrique artificiel. La chlorophylle ne diminua pas de volume, bien que le liquide ait pris une teinte légèrement brune. On essaya aussi cette substance avec de la glycérine extraite du pancréas ; mais le résultat fut tout à fait négatif. D’ailleurs, la chlorophylle ne semble pas être affectée non plus par les sécrétions intestinales des différents animaux, à en juger par la couleur de leurs excréments.

Il ne faudrait toutefois pas conclure de ces faits que la sécrétion n’exerce aucune action sur les grains de chlorophylle, tels qu’ils existent dans les plantes vivantes ; ces grains, en effet, se composent de protoplasma coloré simplement par la chlorophylle. Mon fils Francis plaça sur une feuille de Drosera une tranche mince de feuille d’épinards humectée avec de la salive et d’autres tranches de la même feuille sur de la ouate humide, en ayant soin d’exposer le tout à la même température. Au bout de 19 heures, la tranche placée sur la feuille de Drosera baignait dans d’abondantes sécrétions provenant des tentacules infléchis ; il la retira alors pour l’examiner au microscope. Il ne put observer aucun grain parfait de chlorophylle ; les uns étaient ratatinés, affectant une couleur vert jaunâtre et rassemblés au centre des cellules ; les autres étaient désagrégés et formaient une masse jaunâtre, rassemblée aussi au milieu des cellules. D’autre part les grains de chlorophylle des tranches placées sur la ouate humide étaient aussi verts et aussi intacts qu’auparavant. Mon fils plaça aussi quelques tranches de la même feuille d’épinard dans du suc gastrique artificiel, qui exerça sur elles à peu près la même action qu’avait fait la sécrétion. Nous avons vu que des morceaux de feuilles fraîches de chou et d’épinards provoquent l’inflexion des tentacules et causent chez les glandes d’abondantes sécrétions acides ; or, il est très-probable que c’est le protoplasma constituant les grains de chlorophylle ainsi que le revêtement des parois des cellules qui excite les feuilles.

Graisses et huiles. — Les angles de cubes de graisses crues presque pures, placés sur plusieurs feuilles, ne furent arrondis en aucune façon. Nous avons vu aussi que les globules huileux du lait ne sont pas digérés. Des gouttes d’huile d’olive placées sur le limbe des feuilles ne provoquent aucune inflexion ; toutefois, l’inflexion est considérable chez les feuilles plongées dans l’huile d’olive ; mais j’aurai à revenir sur ce point. Le suc gastrique des animaux ne digère pas les matières huileuses.

Amidon. — Des morceaux assez gros d’amidon sec provoquèrent une inflexion bien prononcée et les feuilles ne se redressèrent que le quatrième jour ; je pense, toutefois, que cet effet est dû à une irritation prolongée des glandes, l’amidon absorbant les sécrétions à mesure qu’elles se produisaient. Les fragments d’amidon ne furent pas réduits ; nous savons, en outre, que les feuilles plongées dans une émulsion d’amidon ne sont pas affectées. Il est inutile que j’ajoute que le suc gastrique des animaux n’a aucune action sur l’amidon.

Action de la sécrétion sur les graines vivantes.

Je puis indiquer ici les résultats de quelques expériences sur des graines vivantes prises au hasard, bien que ces expériences portent seulement de façon indirecte sur le sujet que nous discutons actuellement.

Je plaçai sur sept feuilles sept graines de chou récoltées l’année précédente. Quelques-unes de ces feuilles s’infléchirent modérément, mais le plus grand nombre très-légèrement, et la plupart se redressèrent le troisième jour. L’une d’elles, cependant, resta infléchie jusqu’au quatrième jour et une autre jusqu’au cinquième. Ces feuilles furent donc excitées un peu plus par des graines que par des objets inorganiques ayant le même volume. Après le redressement des feuilles les graines furent placées dans des conditions favorables sur du sable humide, en même temps que d’autres graines provenant des mêmes plantes qui germèrent très-facilement. Sur les sept graines exposées à l’action de la sécrétion, trois seulement germèrent ; une des petites plantes produites par l’une d’elles périt bientôt ; l’extrémité des radicelles commençant à pourrir et les bords des cotylédons affectant une couleur brun-foncé ; en résumé donc, sur les sept graines essayées, cinq périrent.

Je plaçai sur trois feuilles des graines de radis (Raphanus sativus), récoltées l’année précédente ; ces trois feuilles s’infléchirent modérément et se redressèrent le troisième et le quatrième jour. Deux de ces graines furent placées sur du sable humide ; une seulement germa et cela très-lentement. La plante produite n’avait que des radicelles extrêmement courtes, tordues et maladives, sans poils d’absorption ; les cotylédons étaient singulièrement tachetés de couleur pourpre et les bords noircis et fanés en partie.

Je plaçai sur quatre feuilles des graines de cresson (Lepidium sativum) de la récolte précédente ; le lendemain matin, deux de ces feuilles s’étaient modérément infléchies et les deux autres fortement ; elles restèrent dans cet état pendant quatre, cinq et même six jours. Peu de temps après que les graines avaient été placées sur les feuilles et qu’elles étaient devenues humides, elles sécrétèrent, comme à l’ordinaire, une couche de mucus visqueux ; afin de déterminer si l’inflexion provenait de l’absorption par les glandes de cette substance visqueuse, je plongeai deux graines dans l’eau et j’enlevai le mucus autant que possible. Je les replaçai ensuite sur les feuilles qui, au bout de 3 heures, étaient fortement infléchies et qui, au bout de trois jours, l’étaient complètement. Il est donc évident que ce n’est pas le mucus qui provoque l’inflexion ; il semble, au contraire, dans une certaine mesure, servir à protéger la graine. Sur les six graines, deux germèrent pendant qu’elles étaient encore sur les feuilles, mais les plants transportés dans du sol humide moururent bientôt ; sur les quatre autres graines, une seule germa.

Deux graines de moutarde (Sinapis nigra), deux graines de céleri (Apium graveolens), provenant toutes de la dernière récolte, deux graines bien mouillées de carvi (Carum carvi) et deux grains de blé, n’excitèrent pas plus les feuilles que ne le font d’ordinaire les objets inorganiques. Cinq graines à peine mûres d’un bouton d’or (Ranunculus) et deux graines toutes nouvelles d’Anemone nemorosa ne produisirent guère plus d’effet. D’autre part, quatre graines à peine mûres de Carex sylvalica provoquèrent une forte inflexion sur les feuilles où elles furent placées ; ces feuilles ne commencèrent à se redresser que le troisième jour, l’une d’elles resta même infléchie pendant sept jours.

Il résulte de ces quelques expériences que divers sortes de graines excitent les feuilles à un degré très-différent ; il n’est pas parfaitement démontré que cette différence provienne uniquement de la nature de l’enveloppe. L’enlèvement partiel de la couche de mucus sur les graines de cresson hâta l’inflexion des tentacules. Quand les feuilles restent infléchies pendant plusieurs jours sur des graines, il est évident qu’elles absorbent quelques-unes des matières que contiennent ces dernières. La grande proportion des graines de chou, de radis et de cresson qui furent tuées par le séjour sur les feuilles, et le fait que la plus grande partie des plants produits par celles qui germèrent ensuite étaient très-maladifs, prouve que la sécrétion pénètre l’enveloppe des graines. Il est vrai que cet effet produit sur les graines et sur les plants peut être dû uniquement à l’acide contenu dans la sécrétion et non pas à une digestion quelconque ; en effet, M. Traherne Moggridge a démontré que les acides très-faibles de la série acétique attaquent fortement les graines. Je n’ai jamais eu l’idée d’observer si les graines sont souvent portées sur le vent par les feuilles visqueuses du Drosera croissant à l’état sauvage ; toutefois, il est probable que cela arrive souvent, comme nous le verrons bientôt, en nous occupant de la Pinguicula. S’il en est ainsi le Drosera doit profiter fort peu de l’absorption des substances contenues dans les graines.

Résumé et conclusions sur la puissance digestive du Drosera.

Quand les glandes du disque de la feuille sont excitées soit par l’absorption de matières azotées, soit par des attouchements mécaniques, leurs sécrétions augmentent et deviennent acides. Elles transmettent en même temps aux glandes des tentacules extérieurs une impulsion qui provoque chez elles des sécrétions plus abondantes devenues aussi acides. Chez les animaux, selon Schiff[41], une irritation mécanique provoque chez les glandes de l’estomac la sécrétion d’un acide, mais non pas la sécrétion de pepsine. Or j’ai toute raison de croire, bien que le fait ne soit pas complètement démontré, que les glandes du Drosera, tout en sécrétant continuellement des liquides visqueux, pour remplacer ceux qui disparaissent par évaporation, ne sécrètent cependant pas, sous l’influence d’une irritation mécanique, le ferment propre à faciliter la digestion, mais qu’elles attendent pour le faire, d’avoir absorbé certaines substances probablement de nature azotée. J’ai lieu de conclure qu’il en est ainsi parce que la sécrétion d’un grand nombre de feuilles irritées par des fragments de verre, placés sur le limbe, ne digéra pas de l’albumine, et surtout à cause de ce qui se passe chez la Dionée et les Népenthes. En outre Schiff affirme que les glandes de l’estomac des animaux ne sécrètent de la pepsine qu’après avoir absorbé certaines substances solubles qu’il désigne sous le nom de peptogènes. Il existe donc un parallélisme remarquable entre les glandes du Drosera et celles de l’estomac au point de vue de la sécrétion des acides et des ferments convenables.

La sécrétion, comme nous l’avons vu, dissout complément l’albumine, les muscles, la fibrine, le tissu aréolaire, le cartilage, la base fibreuse des os, la gélatine, la chondrine, la caséine dans l’état où elle se présente dans le lait, et le gluten traité par de l’acide chlorhydrique très-étendu. La syntonine et la légumine exercent sur les feuilles une action si puissante et si rapide que toutes deux, sans aucun doute, seraient dissoutes par la sécrétion. La sécrétion ne peut digérer le gluten frais, probablement parce que celui-ci attaque les glandes ; mais une partie est certainement absorbée. La viande crue, sauf en morceaux très-petits, et les gros morceaux d’albumine, etc., sont aptes à attaquer aussi les feuilles qui semblent, comme les animaux, exposées à souffrir d’indigestion. Je ne sais s’il faut voir une analogie réelle dans le fait suivant, mais il n’en est pas moins digne de remarque, qu’une décoction de feuilles de chou est bien plus excitante et probablement bien plus nutritive pour le Drosera qu’une infusion faite dans l’eau tiède ; or on sait que, pour l’homme tout au moins, les feuilles de chou bouillies forment un aliment bien plus nutritif que les feuilles crues. Le fait qui frappe le plus au milieu de tous ces résultats, bien qu’il ne soit réellement pas plus remarquable que tant d’autres, c’est la digestion d’une substance aussi dure et aussi résistante que le cartilage. La dissolution du phosphate de chaux pur, des os, de la dentine et surtout de l’émail semble étonnante ; mais cette dissolution dépend uniquement de la sécrétion longtemps continuée d’un acide, et, dans ces circonstances, l’acide est sécrété pendant plus longtemps que dans aucun autre cas. Il est intéressant d’observer qu’aussi longtemps que l’acide est employé à la dissolution du phosphate de chaux aucune digestion vraie ne se produit ; mais, dès que l’os est complètement débarrassé du phosphate qu’il contient, la base fibreuse est attaquée et liquéfiée avec la plus grande facilité. Les douze substances que nous venons d’énumérer, qui sont dissoutes complétement par la sécrétion, sont aussi dissoutes par le suc gastrique des animaux plus élevés ; l’action produite est la même, ce que prouvent la disparition des angles de l’albumine et plus particulièrement la manière dont disparaissent les stries transversales des fibres musculaires.

La sécrétion du Drosera et le suc gastrique ont pu tous deux dissoudre quelque élément, ou quelque impureté, qui se trouvait dans la globuline et dans l’hématine que j’ai employées. La sécrétion a aussi dissous quelques matières dans de la caséine préparée chimiquement, et que l’on dit formée de deux substances ; or, bien que Schiff affirme que le suc gastrique n’attaque pas la caséine préparée dans ces conditions, il a pu facilement négliger une quantité extrêmement petite de matières albumineuses que le Drosera a trouvées et absorbées. Bien que le fibro-cartilage ne soit pas dissous à proprement parler, la sécrétion du Drosera et le suc gastrique agissent sur lui de la même façon. Toutefois, j’aurais peut-être dû classer cette substance ainsi que la prétendue hématine dont je me suis servi au nombre des matières indigestes.

Il est complétement démontré que le suc gastrique agit au moyen d’un ferment, la pepsine, seulement en présence d’un acide ; or, nous avons d’excellentes preuves que la sécrétion du Drosera contient un ferment qui, lui aussi, n’agit qu’en présence d’un acide. Nous avons vu, en effet, que lorsqu’on neutralise la sécrétion au moyen de petites gouttes d’une solution d’alcali, la digestion de l’albumine s’arrête complétement pour recommencer immédiatement, dès qu’on ajoute une petite dose d’acide chlorhydrique.

Les neuf substances suivantes, ou classes de substances, c’est-à-dire les productions épidermiques, les tissus fibro-élastiques, la mucine, la pepsine, l’urée, la chitine, la cellulose, le coton-poudre, la chlorophylle, l’amidon, les graisses et les huiles sont insensibles à l’action de la sécrétion du Drosera, et, autant que nous pouvons le savoir, à celle du suc gastrique des animaux. Toutefois, la sécrétion ainsi que le suc gastrique artificiel ont extrait quelques matières solubles de la mucine, de la pepsine et de la chlorophylle que j’ai employées.

Les diverses substances qui sont complètement dissoutes par la sécrétion, et qui sont ensuite absorbées par les glandes, affectent les feuilles de façon très-différente. Elles provoquent l’inflexion à différents degrés et avec une rapidité différente ; en outre, les tentacules restent infléchis pendant un laps de temps très-différent. L’inflexion rapide dépend en partie du volume de la substance placée sur la feuille, et, en conséquence, du nombre de glandes simultanément affectées ; en partie, de la facilité avec laquelle la substance se laisse pénétrer et liquéfier par la solution ; en partie de sa nature, mais principalement de la présence d’une matière excitante dans la solution. Ainsi, la salive ou une solution faible de viande crue, agit beaucoup plus rapidement qu’une forte solution de gélatine. Ainsi encore, les feuilles qui se sont redressées après avoir absorbé des gouttes d’une solution de gélatine pure ou de colle de poisson (cette dernière est de beaucoup la plus puissante des deux), s’infléchissent beaucoup plus énergiquement et beaucoup plus rapidement qu’auparavant, si on leur donne des petits fragments de viande, bien que, d’ordinaire, il faille une période de repos entre deux actes d’inflexion. Le fait que la gélatine et la globuline, amollies par un long séjour dans l’eau, agissent plus rapidement que lorsque l’on se contente de les humecter, provient probablement d’une différence de contexture. Le fait que l’albumine, conservée pendant quelque temps, et que le gluten, qui a été traité par de l’acide chlorhydrique étendu, agissent plus rapidement que ces substances à l’état frais, provient sans doute aussi en partie d’un changement de contexture, et en partie d’un changement dans la nature chimique de la substance.

Le laps de temps pendant lequel les tentacules restent infléchis dépend beaucoup du volume de la substance placée sur la feuille, en partie de la facilité avec laquelle cette substance se laisse pénétrer par la sécrétion, et en partie aussi de sa nature essentielle. Les tentacules restent toujours infléchis beaucoup plus longtemps sur de gros morceaux ou sur de grosses gouttes que sur des petits morceaux ou des petites gouttes. La contexture joue probablement un rôle pour déterminer le laps de temps extraordinaire pendant lequel les tentacules restent infléchis sur les grains si durs de la caséine préparée chimiquement. Toutefois, les tentacules restent infléchis pendant un laps de temps aussi considérable sur du phosphate de chaux en poudre fine, obtenu par précipitation ; dans ce dernier cas, le phosphore est évidemment la substance qui cause l’attraction, de même que dans la caséine ce sont les substances animales. Les feuilles restent très-longtemps infléchies sur les insectes, mais il est douteux que cela soit dû à la protection dont les entourent leurs téguments chitineux ; en effet, les substances animales sont promptement extraites du corps des insectes (probablement à cause d’un phénomène d’exosmose qui se produit entre leur corps et la sécrétion visqueuse qui les entoure), ce que prouve l’inflexion rapide des feuilles. Les morceaux de viande, d’albumine, de gluten nouvellement préparé, qui agissent tout différemment des morceaux de gélatine, de tissu aréolaire et de bases fibreuses des os, ayant un volume égal, nous prouvent l’influence exercée par la nature de différentes substances. Les substances que nous avons énumérées d’abord provoquent non-seulement une inflexion plus prompte et plus énergique, mais aussi une inflexion plus prolongée que les dernières. Nous sommes donc, je crois, autorisés à conclure que la gélatine, le tissu aréolaire et la base fibreuse des os offrent moins d’aliments au Drosera que les insectes, la viande, l’albumine, etc. C’est là une conclusion intéressante, car on sait que la gélatine n’est qu’un aliment bien pauvre pour les animaux, et il en serait probablement ainsi du tissu aréolaire et de la base fibreuse des os. La chondrine que j’ai employée a agi plus puissamment que la gélatine, mais il me serait impossible d’affirmer que cette substance était pure. Il est un fait plus remarquable encore, c’est que la fibrine, qui appartient à la grande classe des protéïdes[42], qui comprend l’albumine, dans un des sous-groupes, n’excite pas plus les tentacules, ou ne les fait pas rester infléchis plus longtemps que la gélatine, que le tissu aréolaire, ou que la base fibreuse des os. On ne sait pas combien de temps survivrait un animal si on le nourrissait uniquement de fibrine ; toutefois, le docteur Sanderson croit qu’il vivrait plus longtemps que si on le nourrissait de gélatine ; or, on pourrait presque prédire, à en juger d’après les effets produits sur le Drosera) que l’albumine est plus nutritive que la fibrine. La globuline appartient aussi aux protéïdes et forme un autre sous-groupe ; cette substance, bien que contenant quelques matières qui ont excité assez vivement le Drosera, a été à peine attaquée par la sécrétion et ne l’a été que très-peu et très-lentement par le suc gastrique. On ne sait pas si la globuline pourrait servir d’aliment aux animaux. Nous voyons donc que les diverses substances digestives dont nous avons parlé agissent très-différemment sur le Drosera, et nous pouvons très-probablement conclure qu’il existe entre elles des degrés très-différents au point de vue nutritif, et pour le Drosera, et pour les animaux.

Les glandes du Drosera absorbent certaines matières contenues dans les graines vivantes qui sont attaquées ou tuées par la sécrétion. Elles absorbent aussi certaines matières contenues dans le pollen et dans les feuilles fraîches ; or, on sait, à n’en pas douter, que le même phénomène se présente dans l’estomac des animaux herbivores. Le Drosera est à proprement parler une plante insectivore ; mais comme le vent doit souvent projeter sur ses glandes le pollen, les graines et les feuilles des plantes environnantes, le Drosera est, dans une certaine mesure, une plante herbivore.

En résumé, les expériences détaillées dans ce chapitre nous prouvent qu’il y a une analogie remarquable au point de vue de la digestion entre le suc gastrique des animaux avec sa pepsine et son acide chlorhydrique, et la sécrétion du Drosera avec son ferment et son acide appartenant à la série acétique. Nous ne pouvons donc guère douter que le ferment, dans les deux cas, est très-semblable, pour ne pas dire absolument identique. Qu’une plante et un animal sécrètent le même ou presque le même liquide complexe, adapté à un même but, la digestion ; voilà sans contredit un fait nouveau et étonnant dans la physiologie. J’aurai d’ailleurs occasion de revenir sur ce sujet dans le quinzième chapitre en faisant mes dernières remarques sur les Droséracées.


chapitre VII.

effets produits par les sels d’ammoniaque.

Manière dont ont été faites les expériences. — Action de l’eau distillée comparativement à l’action des solutions. — Les racines absorbent le carbonate d’ammoniaque. — Les glandes absorbent la vapeur d’une solution de carbonate. — Gouttes sur le disque. — Gouttes microscopiques appliquées à des glandes séparées. — Feuilles plongées dans des solutions faibles. — Petitesse de la dose qui provoque l’agrégation du protoplasma. — Azotate d’ammoniaque ; expériences analogues faites avec des solutions de ce sel. — Phosphate d’ammoniaque, expériences analogues. — Autres sels d’ammoniaque. — Résumé et conclusions sur l’action des sels d’ammoniaque.


Je me propose dans ce chapitre de démontrer l’action énergique que les sels d’ammoniaque exercent sur les feuilles du Drosera, et plus particulièrement de démontrer quelle quantité extraordinairement petite suffit pour provoquer l’inflexion. Je serai donc obligé d’entrer dans des détails très-minutieux. J’ai toujours employé de l’eau distillée deux fois, et, pour les expériences les plus délicates, de l’eau préparée avec le plus grand soin par le professeur Frankland. J’ai dosé avec soin les éprouvettes, et je me suis servi de celles qui présentaient des mesures aussi exactes que possible. Les sels ont été pesés avec la plus grande précaution, et dans toutes les expériences délicates soumises à une double pesée d’après la méthode de Borda. Toutefois, une exactitude poussée à l’extrême est quelque peu superflue, car les feuilles présentent de grandes différences au point de vue de l’irritabilité selon leur âge, leur état et leur constitution. Les tentacules d’une même feuille sont même plus ou moins irritables, et cela à un degré très-prononcé. J’ai conduit mes expériences de la manière suivante :

Première expérience. J’ai placé au moyen d’un même instrument pointu, sur le disque des feuilles, des gouttes qu’au moyen d’essais répétés je savais avoir un volume d’environ un demi-minime, soit le 1/960e d’une once liquide, ou 0,0296 millilitres, et j’ai observé à certains intervalles de temps l’inflexion des rangées extérieures de tentacules. Je m’assurai d’abord, au moyen de trente ou quarante expériences, que l’eau distillée placée de cette façon sur la feuille ne produit aucun effet, sauf toutefois, bien que très-rarement, l’inflexion de deux ou trois tentacules. En un mot, les nombreux essais que j’ai faits avec des solutions assez faibles pour ne produire aucun effet, conduisent toutes à cette même conclusion que l’eau est inefficace.

Deuxième expérience. Je plonge dans la solution à examiner la tête d’une petite épingle fixée à un manche. Je place, à l’aide d’une lentille, la petite goutte qui adhère à la tête de l’épingle et qui est beaucoup trop petite pour tomber d’elle-même, en contact avec la sécrétion entourant les glandes d’un, de deux, de trois ou de quatre tentacules extérieurs de la même feuille. J’ai bien soin de ne pas toucher les glandes elles-mêmes. J’avais supposé que les gouttes avaient presque toutes le même volume ; mais de nombreux essais m’apprirent que c’est là une grosse erreur. Je mesurai donc de l’eau, et j’enlevai 300 gouttes, en ayant soin d’essuyer la tête de l’épingle, chaque fois que je l’avais plongée dans l’eau, sur un morceau de papier buvard ; en mesurant de nouveau le liquide après cette opération, je dus conclure que chaque goutte comporte, en moyenne, un volume de 1/60e de minime. Je pesai de l’eau dans un petit vase, méthode d’ailleurs bien plus rigoureuse, et j’enlevai 300 gouttes comme je l’avais fait dans l’expérience précédente ; une nouvelle pesée du liquide m’indiqua que chaque goutte équivaut en moyenne à 1/89e de minime. Je répétai cette opération ; mais j’essayai cette fois, en sortant la tête d’épingle de l’eau obliquement et assez rapidement, d’enlever des gouttes aussi grosses que possible ; le résultat obtenu m’indiqua que j’avais réussi, car chaque goutte en moyenne équivalait à 1/19.4 de minime. Je répétai l’opération exactement de la même façon, et j’obtins pour résultat des gouttes ayant en moyenne 1/23.5 de minime. Si l’on se rappelle que, dans ces deux dernières expériences, j’essayai autant que possible de soulever des grosses gouttes, on peut conclure, en toute sûreté, que les gouttes employées dans mes expériences équivalaient en moyenne à 1/20e de minime, soit 0.0029 de millilitre. Je puis distribuer une seule de ces gouttes entre trois et même quatre glandes ; si les tentacules s’infléchissent c’est qu’ils ont absorbé une certaine partie de la solution, car les gouttes d’eau pure appliquées de la même façon n’ont jamais produit aucun effet. Je ne peux laisser la goutte en contact avec la sécrétion que pendant dix ou quinze secondes ; or, ce n’est pas là un temps suffisant pour la diffusion de tout le sel contenu dans la solution, car trois ou quatre tentacules traités successivement avec la même goutte s’infléchissent souvent ; il est même probable que la solution n’est pas alors épuisée.

Troisième expérience. — Je coupe des feuilles et je les plonge dans une quantité mesurée de la solution à expérimenter, en ayant soin de plonger en même temps un nombre égal de feuilles dans une même quantité de l’eau distillée qui a servi à faire la solution. Pendant vingt-quatre heures, et quelquefois même pendant quarante-huit heures, je compare à de courts intervalles les feuilles plongées dans la solution à celles plongées dans l’eau distillée. J’adopte le même système pour plonger toutes les feuilles dans le liquide, c’est-à-dire que je les place aussi doucement que possible dans des verres à montre portant chacun un numéro, et que je verse sur chacune d’elles 30 minimes (1,775 millilitre) de solution ou d’eau distillée.

Quelques solutions, celles de carbonate d’ammoniaque, par exemple, décolorent rapidement les glandes ; or, comme toutes les glandes d’une même feuille sont décolorées simultanément, toutes doivent absorber une certaine quantité de sel pendant le même laps de temps. L’inflexion simultanée des diverses rangées des tentacules extérieurs est une autre preuve à l’appui de ce que j’avance. Sans ces preuves, on pourrait supposer que les glandes seules des tentacules extérieurs qui s’infléchissent absorbent le sel, ou qu’il est absorbé par les glandes seules du disque qui transmettent une impulsion aux tentacules extérieurs ; mais, dans ce dernier cas, les tentacules extérieurs ne s’infléchiraient qu’au bout d’un certain laps de temps, au lieu de s’infléchir au bout d’une demi-heure ou même au bout de quelques minutes, comme cela arrive ordinairement. Toutes les glandes d’une même feuille ont à peu près la même grosseur ; on peut s’en assurer en coupant une bande transversale étroite et en l’examinant de côté ; les surfaces d’absorption sont donc presque égales chez toutes. Il faut en excepter les glandes à longue tête placées sur le bord extérieur de la feuille, car elles sont beaucoup plus longues que les autres ; toutefois l’absorption ne se produit que sur la surface supérieure. Outre les glandes, la surface des feuilles et les pédicelles des tentacules portent de nombreuses petites papilles qui absorbent le carbonate d’ammoniaque, l’infusion de viande crue, les sels métalliques et probablement beaucoup d’autres substances ; mais l’absorption d’une substance quelle qu’elle soit, par ces papilles, ne provoque jamais l’inflexion. Il faut se rappeler que le mouvement de chacun des tentacules dépend d’une excitation de la glande de ce tentacule, sauf, toutefois, quand l’impulsion lui est transmise par les glandes du disque, et, dans ce cas, comme nous venons de le dire, le mouvement ne se produit qu’au bout d’un certain laps de temps. J’ai fait ces remarques parce qu’elles prouvent que lorsqu’une feuille est plongée dans une solution et que tous les tentacules s’infléchissent, on peut évaluer avec quelque degré de certitude la quantité de sel absorbée par chaque glande. Par exemple, si l’on plonge un feuille portant 212 glandes dans une quantité mesurée d’une solution contenant 1/10e de grain de sel et que tous les tentacules extérieurs, sauf 12, s’infléchissent, on peut être sûr que chacune des 200 glandes peut en moyenne avoir absorbé au plus 1/2000e de grain du sel. Je dis au plus, car les papilles en auront absorbé un petite quantité, et les 12 tentacules qui ne se sont pas infléchis auront pu aussi en absorber un peu. L’application de ce principe conduit à quelques conclusions remarquables relativement à la petitesse des doses qui causent l’inflexion.

De l’action de l’eau distillée au point de vue de l’inflexion.

Bien que, dans toutes les expériences importantes, je doive décrire la différence existant chez les feuilles plongées simultanément dans l’eau distillée et dans les différentes solutions, il est bon de donner tout d’abord un résumé des effets de l’eau. En outre, le fait que l’eau pure agit sur les glandes mérite en lui-même quelque attention. Je plongeai dans l’eau 141 feuilles, en même temps que d’autres dans les solutions, et je notai l’état de ces feuilles à de courts intervalles de temps. J’observai séparément dans l’eau 32 autres feuilles, ce qui fait un total de 173 expériences. Je plongeai aussi, à d’autres époques, de grandes quantités de feuilles dans l’eau, mais sans garder des notes exactes sur les effets produits ; cependant, ces différentes observations tendent à confirmer les conclusions auxquelles j’arrive dans ce chapitre. Quelques-uns des tentacules à longue tête, c’est-à-dire de 1 à 6 environ, s’infléchissent ordinairement une demi-heure après l’immersion ; il en est de même parfois pour quelques tentacules extérieurs à tête ronde, et rarement pour un nombre considérable de ces tentacules. Après une immersion de cinq à huit heures, les tentacules courts environnant les parties extérieures du disque s’infléchissent ordinairement, de telle sorte que leurs glandes forment un petit anneau noir sur le disque ; les tentacules extérieurs ne participent pas à ce mouvement. En conséquence, sauf dans quelques cas que nous mentionnerons tout à l’heure, on peut juger si une solution produit un effet quelconque en se contentant d’observer les tentacules extérieurs dans les trois ou quatre heures qui suivent l’immersion.

Résumons actuellement l’état des 173 feuilles après une immersion de trois ou quatre heures dans l’eau pure. Presque tous les tentacules d’une feuille s’étaient infléchis ; presque tous les tentacules de 3 feuilles étaient infléchis à moitié ; chez 13 autres, 36,5 tentacules étaient infléchis en moyenne. Ainsi, l’eau avait provoqué une action bien marquée chez 17 feuilles sur 173. Chez 18 feuilles, de 7 à 19 tentacules s’étaient infléchis, c’est-à-dire, en moyenne, 9,3 tentacules par feuille. Chez 44 feuilles, de 1 à 6 tentacules s’étaient infléchis, ordinairement les tentacules à longue tête. En résumé donc, sur 173 feuilles observées avec soin, 79 avaient été affectées par l’eau jusqu’à un certain point, mais en somme très-légèrement, et 94 n’avaient pas été affectées du tout. Ces résultats sont complètement insignifiants, comme nous le verrons bientôt, quand on les compare à ceux produits par des solutions très-faibles de divers sels d’ammoniaque.

Les plantes qui ont vécu pendant quelque temps dans un milieu ayant une température assez élevée, sont beaucoup plus sensibles à l’action de l’eau que celles qui poussent en plein air ou qui n’ont séjourné que peu de temps dans une serre. Ainsi, dans les dix-sept cas rapportés ci-dessus, dans lesquels un nombre considérable des tentacules des feuilles s’étaient infléchis, les plantes avaient passé l’hiver dans une serre très-chaude, et elles portaient, au commencement du printemps, des feuilles remarquablement belles de couleur rouge clair. Si j’avais su alors que le séjour dans une serre augmente la sensibilité des plantes, je n’aurais peut-être pas employé ces feuilles pour mes expériences avec les solutions très-faibles de phosphate d’ammoniaque ; toutefois, mes expériences ne se trouvent pas viciées par ce fait, car j’ai invariablement employé des feuilles cueillies sur la même plante pour une immersion simultanée dans l’eau. Il est arrivé souvent que quelques feuilles d’une même plante et quelques tentacules d’une même feuille sont beaucoup plus sensibles que d’autres ; mais je ne saurais expliquer pourquoi.

Outre les différences que je viens d’indiquer entre les feuilles plongées dans l’eau et celles plongées dans de faibles solutions d’ammoniaque, les tentacules de ces dernières, dans la plupart des cas, s’infléchissent beaucoup plus étroitement. La figure 9 représente
Fig. 9. (Drosera rotundifolia.)
Feuille (grossie) avec tous les tentacules fortement infléchis après une immersion dans une solution de phosphate d’ammoniaque (1 partie de phosphate pour 87,500 parties d’eau).
l’aspect d’une feuille après une immersion dans quelques gouttes d’une solution contenant un grain de phosphate d’ammoniaque pour deux cents onces d’eau, c’est-à-dire une partie d’ammoniaque pour 87,500 parties d’eau ; l’eau seule ne cause jamais une inflexion aussi énergique. Chez les feuilles plongées dans les faibles solutions d’ammoniaque, le limbe s’infléchit souvent ; c’est là une circonstance si rare chez les feuilles plongées dans l’eau que je ne l’ai observée que deux fois, et, dans ces deux cas, l’inflexion était presque insensible. En outre, chez les feuilles plongées dans les faibles solutions, l’inflexion des tentacules et du limbe se continue souvent pendant plusieurs heures, augmentant continuellement, bien que lentement ; c’est encore là une circonstance si rare chez les feuilles plongées dans l’eau, que je n’ai observé que trois cas où une semblable augmentation de l’inflexion s’est produite après les huit ou douze premières heures, et, dans ces trois cas, les deux rangées extérieures de tentacules n’étaient pas du tout affectées. En conséquence, il se produit une différence beaucoup plus sensible entre les feuilles plongées dans l’eau et celles plongées dans les solutions faibles dans le laps de temps qui s’écoule de huit heures à vingt-quatre heures après l’immersion, qu’il n’y en a pendant les trois premières heures ; toutefois, en règle générale, il vaut mieux se fier aux différences observées pendant les premières heures.

Rien de plus variable que la période de redressement des feuilles quand on les laisse plongées soit dans l’eau, soit dans les solutions faibles. Dans les deux cas, les tentacules extérieurs commencent à se redresser après un intervalle de six à huit heures seulement, c’est-à-dire juste au moment où les tentacules courts qui entourent les bords du disque commencent à s’infléchir. D’autre part, les tentacules restent quelquefois infléchis pendant un jour entier ou même pendant deux jours ; en règle générale, ils restent infléchis plus longtemps dans les solutions très-faibles que dans l’eau. Dans les solutions qui ne sont pas extrêmement faibles, les tentacules ne se redressent jamais dans un laps de temps aussi court que six ou huit heures. D’après ce que nous venons de dire, il peut paraître difficile de distinguer les effets de l’eau de ceux des solutions très-faibles ; toutefois, dans la pratique, on n’éprouve pas la moindre difficulté tant qu’on n’emploie pas des solutions excessivement faibles ; mais alors, comme on peut s’y attendre, la distinction devient très-douteuse et disparaît enfin complétement. Mais, comme dans tous les cas, sauf dans les plus simples, je décrirai l’état des feuilles plongées simultanément, pendant un même laps de temps, dans l’eau et dans les solutions, le lecteur sera à même de juger.

Carbonate d’ammoniaque.

Ce sel, absorbé par les racines, ne provoque pas l’inflexion des tentacules. J’ai placé une plante dans une solution de 1 partie de carbonate d’ammoniaque pour 146 parties d’eau, de façon à pouvoir observer les jeunes racines parfaitement saines. Les cellules terminales qui étaient de couleur rose devinrent immédiatement incolores, et leur contenu limpide devint nuageux, comme une gravure à la manière noire ; une certaine agrégation s’était donc instantanément produite, mais aucun autre changement ne se produisit, et les poils servant à l’absorption ne furent pas visiblement affectés. Les tentacules de la plante ne s’infléchirent pas. Je plaçai deux autres plantes, dont les racines étaient entourées de mousse humide, dans 1/2 once (14,198 millilitres) d’une solution contenant 1 partie de carbonate pour 218 parties d’eau, et je les observai pendant vingt-quatre heures ; aucun tentacule ne s’infléchit. Pour produire l’inflexion, il faut que le carbonate soit absorbé par les glandes.

La vapeur d’une solution d’ammoniaque produit un effet puissant sur les glandes et provoque l’inflexion. Je plaçai sous une cloche de verre d’une contenance de 122 onces liquides, trois plantes dont les racines plongeaient dans des bouteilles, de façon que l’air environnant ne puisse pas devenir très-humide, et je mis sous la cloche quatre grains de carbonate d’ammoniaque dans un verre de montre. Au bout de six heures quinze minutes, les feuilles ne paraissaient pas affectées ; mais, le lendemain matin, c’est-à-dire vingt heures après, les glandes noircies étaient entourées de sécrétions abondantes, et la plupart des tentacules étaient fortement infléchis. Ces plantes moururent bientôt. Je plaçai sous la même cloche deux autres plantes en même temps qu’un demi-grain de carbonate, mais en ayant soin de rendre l’air aussi humide que possible ; au bout de deux heures, la plupart des feuilles étaient affectées, beaucoup de glandes noircies, et les tentacules infléchis. Mais, fait curieux, quelques tentacules, immédiatement voisins sur une même feuille, sur le disque et sur les bords de la feuille, étaient les uns très-affectés, tandis que les autres ne semblaient pas l’être du tout. Je laissai les plantes sous la cloche pendant vingt-quatre heures, mais il ne se produisit pas d’autre changement. Une feuille très-saine paraissait fort peu affectée, bien que d’autres feuilles, sur la même plante, le fussent beaucoup. Sur quelques feuilles, tous les tentacules d’un côté étaient infléchis, tandis que les tentacules de l’autre côté ne l’étaient pas. Je doute que l’on puisse expliquer cette action si inégale par la supposition que les glandes les plus actives absorbent la vapeur aussi rapidement qu’elle se produit, de telle sorte qu’il n’en reste pas pour les autres, car nous observons des cas analogues dans l’air complétement saturé avec des vapeurs d’éther ou de chloroforme.

J’ajoutai des petites parcelles de carbonate à la sécrétion entourant plusieurs glandes. Elles noircirent immédiatement et sécrétèrent abondamment ; mais, sauf dans deux cas, où les parcelles étaient extrêmement petites, il ne se produisit pas d’inflexion. Ce résultat est analogue à celui qu’on obtient par l’immersion des feuilles dans une forte solution contenant 1 partie de carbonate pour 109, pour 146, ou même pour 218 parties d’eau, car les feuilles sont alors paralysées, et il ne se produit aucune inflexion, bien que les glandes soient noircies, et que le protoplasma des cellules des tentacules s’agrège considérablement.

Examinons actuellement les effets des solutions du carbonate d’ammoniaque. Je plaçai sur le disque de 12 feuilles un demi-minime d’une solution contenant 1 partie de carbonate pour 437 parties d’eau, de façon que chaque feuille reçoive 1/460 de grain, ou 0,0675 de milligr. Les tentacules extérieurs de 10 de ces feuilles s’infléchirent considérablement ; les limbes de quelques-unes d’entre elles s’infléchirent aussi. Dans deux cas, plusieurs tentacules extérieurs étaient infléchis au bout de trente-cinq minutes ; toutefois, le mouvement est ordinairement plus lent. Ces 10 feuilles se redressèrent dans un laps de temps variant entre vingt et une heures et quarante-cinq heures, et, dans un cas, après soixante-sept heures ; elles se redressèrent donc beaucoup plus rapidement que les feuilles qui ont capturé des insectes.

Je plaçai sur le disque de 11 feuilles une même quantité d’une solution contenant 1 partie de carbonate pour 875 parties d’eau ; 6 de ces feuilles ne furent pas affectées ; chez les 5 autres, de 3 à 6 ou même 8 tentacules extérieurs s’infléchirent, mais c’est à peine si l’on peut se fier à des mouvements de cette nature. Chacune de ces feuilles avait reçu 1/1920 de grain (0,0337 de milligr.) sur les glandes du disque ; mais c’était là, sans doute, une quantité trop minime pour produire un effet sensible sur les tentacules extérieurs dont les glandes n’avaient reçu aucune partie du sel.

J’essayai alors d’employer, suivant le mode que j’ai déjà décrit, une petite goutte, formée sur la tête d’une petite épingle, d’une solution contenant 1 partie de carbonate pour 218 parties d’eau. Une semblable goutte équivaut en moyenne à 1/20 de minime, et contient par conséquent 1/4800 de grain (0,0135 de milligr.) de carbonate. Je touchai avec une goutte les sécrétions visqueuses entourant 3 glandes, de façon que chaque glande reçoive seulement 1/14400 de grain (0,00445 de milligr.) de carbonate. Néanmoins, 2 de ces glandes noircirent immédiatement ; dans un cas, les trois tentacules s’infléchirent après un intervalle de deux heures quarante minutes ; dans un autre cas, deux tentacules sur trois s’infléchirent. J’essayai alors des gouttes d’une solution plus faible, contenant 1 partie de carbonate pour 292 parties d’eau ; j’expérimentai sur 24 glandes, en ayant toujours soin de partager la même petite goutte entre la sécrétion visqueuse entourant trois glandes. Chaque glande ne recevait ainsi que 1/19200 de grain (0,00337 de milligr.) ; cependant, quelques-unes des glandes noircirent un peu, mais, dans aucun cas, les tentacules ne s’infléchirent, quoique je les aie surveillés avec soin pendant douze heures. J’essayai ensuite sur six glandes une solution encore plus faible, c’est-à-dire une solution contenant 1 partie de carbonate pour 437 parties d’eau, mais sans obtenir aucun résultat perceptible. Ces expériences nous enseignent que le 1/14400 de grain (0,00445 de milligr.) de carbonate d’ammoniaque absorbé par une glande suffit pour provoquer l’inflexion de la base du tentacule. Comme je l’ai déjà dit, une longue habitude me permet de laisser ces petites gouttes en contact avec la sécrétion pendant quelques secondes seulement : or, je ne doute pas que si on laissait plus de temps pour la diffusion et l’absorption, une solution beaucoup plus faible suffirait pour déterminer une action bien marquée.

Je plongeai alors des feuilles coupées dans des solutions de différente force. Ainsi, je laissai quatre feuilles pendant trois heures plongées chacune dans un drachme (3,549 millil.) d’une solution contenant 1 partie de carbonate pour 5,250 parties d’eau ; presque tous les tentacules de deux de ces feuilles s’infléchirent, une moitié environ des tentacules de la troisième feuille et environ un tiers de ceux de la quatrième s’infléchirent aussi ; chez les quatre feuilles toutes les glandes noircirent. Je plaçai une autre feuille dans la même quantité d’une solution contenant 1 partie de carbonate pour 7,000 parties d’eau. Au bout d’une heure seize minutes, tous les tentacules de cette feuille s’étaient infléchis, et toutes les glandes s’étaient noircies. Je plongeai six feuilles, chacune dans 30 minimes (1,774 millil.) d’une solution contenant 1 partie de carbonate pour 4,375 parties d’eau ; toutes les glandes étaient devenues noires au bout de trente et une minutes. Ces six feuilles présentaient quelques traces d’inflexion, une même s’était considérablement infléchie. Je plongeai alors quatre feuilles dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie de carbonate pour 8,750 parties d’eau, de façon que chaque feuille reçoive le 1/320e de grain (0,2025 de milligr.). L’une de ces feuilles s’infléchit considérablement ; au bout d’une heure, les glandes de toutes étaient devenues d’un rouge si foncé qu’on pourrait dire qu’elles étaient complètement noires. Or, cet effet ne s’est pas produit sur des feuilles plongées en même temps dans l’eau ; jamais, d’ailleurs, l’eau n’a produit cet effet en un temps aussi court, Ces exemples du noircissement simultané des glandes sous l’influence de solutions faibles sont très-importants, en ce qu’ils démontrent que toutes les glandes absorbent le carbonate pendant le même laps de temps, ce qui est d’ailleurs un fait que l’on n’avait aucune raison de mettre en doute. En outre, quand tous les tentacules s’infléchissent pendant un même laps de temps, nous en pouvons conclure, comme nous l’avons déjà fait remarquer, qu’il se produit une absorption simultanée. Je n’ai pas compté le nombre des glandes qui se trouvaient sur ces quatre feuilles, mais comme elles étaient fort belles et que, comme nous l’avons déjà dit, le nombre moyen des glandes calculé sur trente et une feuilles est de 192, nous pouvons conclure, sans crainte de nous tromper, que chacune de ces feuilles portait en moyenne au moins 170 glandes ; dans ce cas, chaque glande noircie n’avait pu absorber que le 1/54400e de grain (0,00149 de milligr.) de carbonate.

J’avais fait précédemment un grand nombre d’essais avec des solutions contenant 1 partie d’azotate ou de phosphate d’ammoniaque pour 43,750 parties d’eau, c’est-à-dire un grain du sel pour 100 onces d’eau, et ces solutions s’étaient montrées parfaitement efficaces. Je plongeai donc quatorze feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie de carbonate pour la quantité d’eau que je viens d’indiquer, de façon que chaque feuille reçoive 1/1600e de grain (0,0405 de milligr.). Les glandes ne noircirent pas beaucoup ; dix feuilles ne furent pas affectées ou ne le furent que très-légèrement. Quatre autres, toutefois, furent très-fortement affectées ; tous les tentacules de la première feuille, excepté quarante, s’étaient infléchis au bout de quarante-sept minutes ; tous les tentacules, sauf huit, étaient infléchis au bout de six heures trente minutes, et quatre heures après, le limbe de la feuille lui-même s’était infléchi. Au bout de neuf minutes, tous les tentacules de la deuxième feuille, sauf neuf, s’étaient infléchis ; au bout de six heures trente minutes, ces neuf tentacules s’étaient infléchis à leur tour, et quatre heures après, la feuille elle-même s’était recourbée. Au bout d’une heure six minutes, tous les tentacules, sauf quarante, de la troisième feuille s’étaient infléchis. Au bout de deux heures cinq minutes, à peu près la moitié des tentacules de la quatrième feuille s’étaient infléchis, et au bout de quatre heures il n’en restait que cinq qui n’avaient pas bougé. Des feuilles plongées en même temps dans l’eau ne furent pas du tout affectées, à l’exception d’une seule, et cette dernière, au bout de huit heures seulement. Il résulte évidemment de ces expériences que le 1/1600e de grain de carbonate agit sur une feuille très-sensible plongée dans la solution, de façon que toutes ses glandes puissent absorber le sel. Si l’on suppose que la grande feuille dont tous les tentacules, sauf huit, s’étaient infléchis, portait 170 glandes, chaque glande n’aurait pu absorber que le 1/268800e de grain (0,00024 de milligr.) de carbonate ; cependant, cette quantité a suffi pour agir sur chacun des cent-soixante-deux tentacules qui se sont infléchis. Toutefois, comme sur quatorze feuilles quatre seulement ont été visiblement affectées, on peut conclure que cette dose est à peu près la plus petite qui ait quelque efficacité.

Agrégation du protoplasma sous l’action du carbonate d’ammoniaque. — J’ai décrit complètement, dans le troisième chapitre, les effets remarquables d’agrégation du protoplasma que produisent, dans les cellules des glandes et des tentacules, des doses modérément fortes de ce sel ; je me propose de démontrer ici quelle petite dose suffit pour provoquer ces effets. J’ai plongé une feuille dans 20 minimes (1,183 millil.) d’une solution contenant 1 partie de carbonate pour 1750 parties d’eau, et une autre feuille dans une même quantité d’une solution contenant 1 partie de carbonate pour 3062 parties d’eau ; dans le premier cas, l’agrégation se produisit au bout de quatre minutes, et dans le second au bout de onze minutes. Je plongeai alors une feuille dans 20 minimes d’une solution contenant 1 partie de carbonate pour 4375 parties d’eau, de façon que la feuille se trouve en présence de 1/240e de grain (0,27 de milligr.) du sel ; au bout de cinq minutes, il se produisit dans les glandes un léger changement de couleur, et, au bout de quinze minutes, des petites sphères de protoplasma s’étaient formées dans les cellules qui se trouvent au-dessous des glandes chez tous les tentacules. Dans ces cas, on ne peut douter de l’action exercée par la solution.

Je préparai alors une solution, contenant 1 partie de carbonate pour 5250 parties d’eau, que j’expérimentai sur quatorze feuilles ; je me contenterai d’indiquer quelques-uns des résultats obtenus. Je choisis huit jeunes feuilles que j’examinai avec soin et chez lesquelles je ne découvris aucun signe d’agrégation. Je plaçai quatre de ces feuilles dans un drachme (3,549 millil.) d’eau distillée ; les quatre autres dans un vase semblable contenant un drachme de la solution. Au bout d’un certain laps de temps, j’examinai ces feuilles au microscope en me servant d’un fort grossissement et en ayant soin de retirer alternativement une feuille du vase contenant la solution, et une autre du vase contenant l’eau distillée. Je retirai la première feuille de la solution après une immersion de deux heures quarante minutes, et la dernière feuille de l’eau distillée après une immersion de trois heures cinquante minutes ; l’observation de ces feuilles ayant duré une heure quarante minutes. Je ne remarquai, dans les quatre feuilles que j’avais plongées dans l’eau, aucun signe d’agrégation, sauf toutefois dans un spécimen où des sphères très-petites et peu nombreuses de protoplasma s’étaient formées dans les cellules situées au-dessous de quelques-unes des glandes arrondies. Toutes les glandes de ces feuilles étaient restées rouges et transparentes. Les quatre feuilles plongées dans la solution, outre qu’elles étaient infléchies, présentaient un aspect tout différent ; en effet, le contenu des cellules de chacun des tentacules des quatre feuilles s’était complètement agrégé, les sphères et les masses allongées du protoplasma occupant, dans bien des cas, la moitié de la longueur des tentacules. Toutes les glandes, aussi bien celles des tentacules du centre que des tentacules extérieurs, étaient devenues noires et opaques, ce qui prouve que toutes avaient absorbé une certaine quantité de carbonate. Ces quatre feuilles avaient à peu près toutes la même grandeur ; je comptai les glandes de l’une d’elles et j’en trouvai cent soixante-sept. Or, les quatre feuilles ayant été plongées dans un seul drachme de la solution, chacune des glandes n’avait pu absorber en moyenne que le 1/64128 de grain (0,001009 de millig.) du sel. Cette quantité a suffi pour provoquer en peu de temps l’agrégation évidente des cellules placées au-dessous de toutes les glandes.

Je plaçai une feuille rouge, assez petite mais vigoureuse, dans 6 minimes de la même solution, contenant 1 partie de carbonate pour 5250 parties d’eau, de façon à la mettre en présence de 1/960e de grain (0,0675 de milligr.) du sel. Au bout de quarante minutes, les glandes prirent une teinte plus foncée ; au bout d’une heure, de quatre à six sphères de protoplasma s’étaient formées dans les cellules placées au-dessous des glandes de tous les tentacules. Je ne comptai pas les tentacules de cette feuille, mais on peut supposer, sans crainte de se tromper, qu’il y en avait au moins cent quarante ; s’il en est ainsi, chaque glande n’a pu absorber que 1/134400e de grain ou 0,00048 de milligr. de sel.

Je préparai alors une solution plus faible contenant 1 partie de carbonate pour 7000 parties d’eau, dans laquelle je plongeai quatre feuilles ; je me contenterai d’indiquer un seul des résultats obtenus. Je plaçai une feuille dans 10 minimes de cette solution ; au bout d’une heure 37 minutes les glandes avaient pris une teinte un peu plus foncée et les cellules situées au-dessous de chacune d’elles contenaient un grand nombre de sphères de protoplasma agrégé. Cette feuille ne s’était trouvée en présence que de 1/768e de grain (0,09 de millig.) de sel et portait 166 glandes. Chaque glande n’avait donc pu absorber que le 1/127488e de grain (0,000507 de milligr.) de carbonate.

Je citerai encore deux autres expériences assez remarquables. Je laissai, pendant quatre heures quinze minutes, une feuille dans de l’eau distillée, sans qu’il se produisît aucune agrégation ; je la plaçai alors pendant une heure quinze minutes dans une petite quantité d’une solution contenant 1 partie de carbonate pour 5250 parties d’eau ; cette immersion suffit pour exciter une inflexion et une agrégation bien marquées. Une autre feuille, après avoir séjourné pendant vingt et une heures quinze minutes dans de l’eau distillée, avait toutes ses glandes noircies, mais il n’y avait aucun signe d’agrégation dans les cellules situées au-dessous de ces glandes ; je la plongeai alors dans 6 minimes de la solution que je viens d’indiquer ; au bout d’une heure, une agrégation marquée s’était produite dans beaucoup de tentacules, et au bout de deux heures tous les tentacules, au nombre de cent quarante-six, étaient affectés, l’agrégation s’étendant le long des pédicelles, sur une longueur égale à la moitié ou à la longueur totale des glandes. Il est très-improbable que l’agrégation se serait produite dans ces deux feuilles, si je les avais laissées un peu plus longtemps dans l’eau, c’est-à-dire pendant une heure ou une heure quinze minutes de plus, laps de temps pendant lequel elles séjournèrent dans la solution, car l’agrégation se produit toujours très-lentement et très-graduellement dans l’eau.

Résumé des résultats obtenus avec le carbonate d’ammoniaque.

Les racines, ainsi que le prouvent leur changement de couleur et l’agrégation du contenu de leurs cellules, absorbent la solution. Les glandes absorbent la vapeur du sel, elles noircissent et les tentacules s’infléchissent. Les glandes du disque, excitées par une goutte ayant 1/2 minime (0,0296 de millil.) de volume, et contenant 1/960e de grain (0,0675 de mill.), transmettent une impulsion aux tentacules extérieurs qui les fait s’incliner vers le centre. Une petite goutte contenant 1/14400e de grain (0,00445 de milligr.), placée en contact pendant quelques secondes avec une glande, provoque rapidement l’inflexion du tentacule qui la porte. Si on laisse séjourner une feuille pendant quelques heures dans une solution et qu’une glande absorbe le 1/13400e de grain (0,00048 de milligr.) de sel, elle prend une teinte plus foncée, quoiqu’elle ne devienne pas absolument noire, et le contenu des cellules situées au-dessous de la glande s’agrège de façon évidente. Enfin, dans les mêmes circonstances, l’absorption par une glande du 1/268800e de grain (0,00024 de milligr.) suffit pour provoquer un mouvement dans le tentacule qui porte cette glande[43]

Azotate d’ammoniaque.

Dans mes expériences avec ce sel, je me suis occupé uniquement de l’inflexion des feuilles, car, bien que beaucoup plus efficace que le carbonate d’ammoniaque pour provoquer l’inflexion, il l’est beaucoup moins pour provoquer l’agrégation. J’ai expérimenté avec un volume uniforme 1/2 minime (0,0296 de millil.) sur les disques de cinquante-deux feuilles ; je me contenterai toutefois de citer quelques cas. Une solution contenant 1 partie de sel pour 109 parties d’eau est trop violente ; elle provoque peu d’inflexion ; au bout de vingt-quatre heures cette solution a tué ou presque tué quatre des six feuilles sur lesquelles je l’avais expérimentée ; chacune d’elles avait reçu 1/240e de grain ou (0,27 de milligr.) du sel. Une solution contenant 1 partie d’azotate pour 218 parties d’eau agit très-énergiquement, elle provoque l’inflexion complète non-seulement de tous les tentacules de toutes les feuilles, mais encore du limbe de quelques feuilles. J’expérimentai sur quatorze feuilles avec des gouttes d’une solution contenant 1 partie d’azotate pour 875 parties d’eau, de façon que le disque de

chacune d’elles reçoive 1/1920e de grain (0,0337 de milligr.) de sel. Sur ces 14 feuilles, sept furent vivement affectées, leurs bords s’étant pour la plupart infléchis ; deux furent modérément affectées et cinq ne le furent pas du tout. J’expérimentai subséquemment sur trois de ces dernières feuilles avec de l’urine, de la salive et du mucus, mais ces substances ne produisirent sur elles qu’un effet très-léger, ce qui prouve qu’elles ne se trouvaient pas à l’état actif. Je mentionne ce fait pour prouver combien il est nécessaire d’expérimenter en même temps sur beaucoup de feuilles. Deux des feuilles qui s’étaient bien infléchies se redressèrent au bout de cinquante et une heures.

Dans l’expérience suivante, je me trouvai avoir choisi des feuilles très-sensibles. Je plaçai sur le disque de neuf feuilles 1/2 minime d’une solution contenant 1 partie d’azotate pour 1094 parties d’eau (c’est-à-dire 1 grain pour 2 onces et 1/2 de liquide) de façon que chaque feuille reçoive le 1/2400e de grain (0,027 de milligr.) de sel. Les tentacules de trois de ces feuilles s’infléchirent fortement et le limbe se recourba ; cinq ne furent que légèrement affectées, de trois à huit seulement de leurs tentacules extérieurs s’étant infléchis ; une feuille ne fut pas affectée du tout, et cependant un peu de salive produisit plus tard sur elle un effet marqué. Dans six de ces cas, un commencement d’action fut perceptible au bout de sept heures, mais

l’effet complet ne se produisit qu’au bout de vingt-quatre ou de trente heures. Deux des feuilles qui ne s’étaient infléchies que légèrement se redressèrent au bout d’un nouvel intervalle de dix-neuf heures.

J’essayai sur quatorze feuilles un demi-minime d’une solution un peu plus faible contenant 1 partie d’azotate pour 312 parties d’eau (soit 1 grain de sel pour 3 onces d’eau), de façon que chaque feuille reçoive le 1/2880e de grain (0,0225 de milligr.) au lieu de 1/2400e de grain comme dans l’expérience précédente. Le limbe d’une de ces feuilles s’infléchit de façon évidente, aussi bien que six de ses tentacules extérieurs ; le limbe d’une seconde s’infléchit légèrement, ainsi que deux de ses tentacules extérieurs, tous les autres tentacules s’étant recourbés de façon à former un angle droit avec le disque ; chez trois autres feuilles, de cinq à huit tentacules s’infléchirent ; chez cinq autres feuilles, deux ou trois tentacules seulement s’infléchirent ; or parfois, bien que très-rarement, des gouttes d’eau pure suffisent pour provoquer une action semblable ; les quatre autres feuilles ne furent affectées en aucune façon ; cependant trois d’entre elles, sur lesquelles j’expérimentai ultérieurement avec de l’urine, s’infléchirent considérablement. Dans la plupart de ces cas, un léger effet se produisit au bout de six ou sept heures, mais l’effet complet ne se produisit qu’au bout de vingt-quatre ou trente heures. Il est évident que nous avons atteint là à peu près la quantité minimum qui, distribuée entre les glandes du disque, peut provoquer une action chez les tentacules extérieurs, ces tentacules eux-mêmes n’ayant pas été touchés par la solution.

Je touchai ensuite la sécrétion visqueuse entourant trois glandes extérieures avec une petite goutte (1/20e de minime) d’une solution contenant 1 partie d’azotate pour quatre cent trente-sept parties d’eau ; au bout de deux heures cinquante minutes, ces trois tentacules s’étaient bien infléchis. Or chacune de ces glandes n’avait pu absorber que 1/28800e de grain (0,00225 de milligr.) de sel. J’appliquai à quatre autres glandes une goutte de la même solution ayant le même volume ; au bout d’une heure, deux de ces tentacules s’étaient infléchis, mais les deux autres ne bougèrent pas. Ces dernières expériences, comme celles que nous venons de rapporter dans le paragraphe précédent, prouvent que l’azotate d’ammoniaque est plus efficace que le carbonate d’ammoniaque pour provoquer l’inflexion ; en effet, des gouttes égales d’une solution de ce dernier sel ayant une force semblable à celle que nous venons d’employer ne produisent aucun effet. J’essayai ensuite des gouttes d’une solution encore plus faible d’azotate, c’est-à-dire d’une solution contenant 1 partie de sel pour 875 parties d’eau, sur vingt et une glandes, mais je n’obtins aucun résultat, sauf peut-être dans un seul cas.

Je plongeai soixante-trois feuilles dans des solutions à divers titres, en ayant soin de plonger en même temps d’autres feuilles dans la même eau que celle employée pour faire les solutions. Les résultats obtenus sont si remarquables, bien qu’ils le soient moins que ceux obtenus avec le phosphate d’ammoniaque, que je dois décrire les expériences en détail, en me contentant toutefois d’en citer quelques-unes. En parlant des périodes successives où l’inflexion se produit, je compte toujours du moment de la première immersion.

Après avoir fait quelques essais préliminaires comme terme de comparaison, je plaçai cinq feuilles dans un même vase contenant 30 minimes d’une solution de 1 partie d’azotate pour 7875 parties d’eau (1 grain de sel pour 18 onces d’eau) ; le liquide suffisait juste pour recouvrir les feuilles. Au bout de deux heures dix minutes, trois feuilles s’étaient considérablement infléchies, et les deux autres modérément. Les glandes de toutes les feuilles avaient pris une teinte rouge si foncée qu’on pourrait dire qu’elles étaient devenues noires. Au bout de huit heures, tous les tentacules de quatre des feuilles s’étaient plus ou moins infléchis, tandis que, sur la cinquième, je m’aperçus alors que c’était une vieille feuille, une trentaine de tentacules seulement s’étaient infléchis. Le lendemain matin, au bout de vingt-trois heures quarante minutes, toutes les feuilles se trouvaient dans le même état, excepté la vieille feuille sur laquelle quelques autres tentacules s’étaient infléchis. J’observai à différents intervalles 5 autres feuilles qui avaient été placées en même temps dans l’eau ; au bout de deux heures dix minutes, sur 2 de ces feuilles 4 tentacules marginaux à longue tête s’étaient infléchis, sur une autre sept, sur une autre dix, et sur la cinquième, quatre tentacules à tête ronde s’étaient infléchis. Au bout de huit heures, il ne s’était produit aucun changement dans ces feuilles, et, au bout de vingt-quatre heures, tous les tentacules marginaux s’étaient redressés ; toutefois, douze tentacules sous-marginaux sur une feuille et six sur une seconde feuille s’étaient infléchis. Comme toutes les glandes des cinq feuilles plongées dans la solution avaient pris simultanément une teinte plus foncée, il n’est pas douteux qu’elles avaient absorbé toutes une quantité à peu près égale de sel. Or, comme 1/288e de grain avait été donné aux cinq feuilles, chacune d’elles avait reçu 1/1440e de grain (0,045 de milligr.). Je ne comptai pas les tentacules de ces feuilles qui étaient assez belles, mais comme la moyenne prise sur 31 feuilles est de 192 tentacules par feuille, je n’exagère pas en disant que chacune d’elles portait en moyenne au moins 160 tentacules. S’il en est ainsi, chacune des glandes noircies n’a pu absorber que le 1/230400e de grain d’azotate, ce qui a suffi pour provoquer l’inflexion de la grande majorité des tentacules.

Le système qui consiste à plonger plusieurs feuilles dans un même vase est mauvais, car il est impossible de s’assurer que les feuilles plus vigoureuses n’enlèvent pas aux feuilles plus faibles leur part du sel. En outre, les glandes doivent souvent se trouver en contact les unes avec les autres ou avec les parois du vase, ce qui peut suffire à provoquer un mouvement ; il est vrai que les feuilles placées en même temps dans l’eau et chez lesquelles il se produisit si peu d’inflexion, bien qu’il s’en soit produit un peu plus qu’il n’arrive d’ordinaire, étaient exposées à un même degré aux mêmes sources d’erreur. Toutefois, bien que j’aie fait un grand nombre d’expériences d’après ce système, qui toutes ont confirmé les résultats que je viens d’indiquer et ceux qui vont suivre, je n’en citerai plus qu’une seule. Je plaçai quatre feuilles dans 40 minimes d’une solution contenant 1 partie d’azotate pour 10500 parties d’eau ; en supposant que le sel ait été également réparti entre toutes, chaque feuille pouvait absorber le 1/1152e de grain (0,0562 de milligr.) de sel. Au bout d’une heure vingt minutes, beaucoup de tentacules sur les quatre feuilles s’étaient quelque peu infléchis. Au bout de cinq heures trente minutes, tous les tentacules de deux feuilles s’étaient infléchis ; tous ceux d’une troisième, qui paraissait vieille et peu active, sauf les tentacules marginaux extrêmes ; et, enfin, la plus grande partie de ceux de la quatrième. Au bout de vingt et une heures tous les tentacules, sans exception, des quatre feuilles étaient fortement infléchis. Quatre autres feuilles avaient été placées en même temps dans l’eau pure ; au bout de cinq heures quarante-cinq minutes, cinq tentacules marginaux de la première, dix de la deuxième, neuf tentacules marginaux et sous-marginaux de la troisième, et douze tentacules principalement sous-marginaux de la quatrième s’étaient infléchis. Au bout de vingt et une heures, tous les tentacules marginaux se redressèrent, mais quelques tentacules sous-marginaux sur deux des feuilles restèrent encore légèrement infléchis. Le contraste présenté par les quatre feuilles plongées dans la solution et par celles plongées dans l’eau était réellement étonnant, tous les tentacules des premières étant étroitement infléchis. En supposant, ce qui est loin d’être exagéré, que chacune des feuilles plongées dans la solution portait cent soixante tentacules, chaque glande n’avait pu absorber que 1/184320e de grain (0,000351 de milligr.) de sel. Je répétai cette expérience sur trois autres feuilles avec les mêmes quantités relatives de la solution ; au bout de six heures quinze minutes tous les tentacules, sauf neuf, s’étaient fortement infléchis. Dans cet essai, je comptai les tentacules de chaque feuille, et j’ai trouvé une moyenne de cent soixante-deux par feuille.

Je fis les expériences suivantes pendant l’été de 1873 : je plaçai alors les feuilles chacune séparément dans un verre de montre et je versai sur chacune 30 minimes (1,775 millil.) de la solution, en ayant soin de traiter exactement de la même façon d’autres feuilles avec l’eau, deux fois distillée, employée pour faire les solutions. Les expériences que j’ai relatées dans le paragraphe précédent dataient de plusieurs années, et, lorsque je consultai mes notes, je ne pus croire aux résultats obtenus ; je me résolus donc à recommencer ces expériences en me servant d’abord de solutions modérément fortes. Je plongeai d’abord six feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie d’azotate pour 8750 parties d’eau (1 grain d’azotate pour 20 onces d’eau), de sorte que chaque feuille reçoive 1/320e de grain (0,2025 de milligr.) de sel. En moins de trente minutes, quatre de ces feuilles étaient considérablement infléchies et les deux autres modérément. Les glandes avaient pris une teinte rouge foncé. Les quatre feuilles placées en même temps dans l’eau ne furent affectées qu’au bout de six heures, et encore l’action ne porta-t-elle que sur les tentacules placés sur le bord du disque, inflexion qui, comme nous l’avons déjà expliqué, n’a jamais une grande signification.

Je plongeai quatre feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie d’azotate pour 17500 parties d’eau (1 grain d’azotate pour 40 onces d’eau), de façon que chacune d’elles reçoive 1/640e de grain (0,101 de milligr.) de sel ; en moins de quarante-cinq minutes, tous les tentacules, sauf de quatre à dix, sur trois de ces feuilles, s’étaient infléchis ; le limbe de l’une s’infléchit au bout de six heures, et le limbe d’une deuxième au bout de vingt et une heures. La quatrième feuille ne fut pas du tout affectée. Les glandes d’aucune d’elles ne s’étaient noircies. Quant aux feuilles placées en même temps dans l’eau, chez une seulement cinq tentacules extérieurs s’étaient infléchis ; au bout de six heures, dans un cas, et de vingt et une heures dans les deux autres, les tentacules courts bordant le disque formèrent un anneau comme à l’ordinaire.

Je plongeai quatre feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie d’azotate pour 43750 parties d’eau (1 grain d’azotate pour 100 onces d’eau), de façon que chaque feuille reçoive le 1/1600e de grain (0,0405 de milligr.) de sel. L’une de ces feuilles était très-infléchie au bout de huit heures, et, au bout d’un nouveau laps de temps de deux heures sept minutes, tous ses tentacules, sauf treize, s’étaient infléchis. Au bout de dix minutes, tous les tentacules de la seconde feuille, sauf trois, s’étaient infléchis. La troisième et la quatrième feuille furent à peine affectées, guère plus, en un mot, que les feuilles plongées en même temps dans l’eau comme terme de comparaison. Quant à ces dernières, une seulement fut affectée, deux de ses tentacules s’infléchirent outre ceux bordant le disque qui formèrent un anneau comme à l’ordinaire. Si l’on suppose que la feuille, dont tous les tentacules, sauf trois, s’infléchirent en dix minutes, portait cent soixante tentacules, chacune des glandes n’a pu absorber que le 1/251200e de grain, ou 0,000258 de milligr. de sel.

Je plongeai séparément quatre feuilles dans une solution contenant 1 partie d’azotate pour 131250 parties d’eau (1 grain de sel pour 300 onces d’eau), de façon que chacune d’elles se trouve en présence de 1/4800e de grain, ou 0,0135 de mill. de sel. Au bout de cinquante minutes, tous les tentacules d’une de ces feuilles, sauf seize, et au bout de huit heures vingt minutes tous les tentacules, sauf quatorze, s’étaient infléchis. Au bout de quarante minutes tous les tentacules, sauf vingt, de la deuxième feuille l’étaient également ; au bout de huit heures dix minutes ils reprirent leur position naturelle. Au bout de trois heures, la moitié environ des tentacules de la troisième feuille s’étaient infléchis, ils commencèrent à se redresser au bout de huit heures quinze minutes. La quatrième feuille, au bout de trois heures sept minutes, n’avait que vingt-neuf tentacules plus ou moins infléchis. Il ressort de cette expérience que cette solution a agi vivement sur trois de ces quatre feuilles. Il est évident que j’avais choisi accidentellement des feuilles très-sensibles, en outre, la température était très-chaude. Les quatre feuilles correspondantes plongées dans l’eau furent aussi affectées plus qu’à l’ordinaire ; en effet, chez une, neuf tentacules, chez une autre quatre, chez une autre deux s’étaient infléchis au bout de trois heures, la quatrième n’avait-pas été affectée. Si l’on suppose que la feuille, dont tous les tentacules, sauf seize, s’étaient infléchis au bout de cinquante minutes, portait cent soixante tentacules, chaque glande n’avait pu absorber que le 1/691200e de grain (0,0000937 de milligr.) de sel, ce qui paraît d’ailleurs être la quantité la plus faible d’azotate nécessaire pour provoquer l’inflexion d’un seul tentacule.

Comme les résultats négatifs sont fort importants pour confirmer les résultats positifs que je viens d’indiquer, je pris huit nouvelles feuilles que je plongeai, comme il vient d’être dit, chacune dans trente minimes d’une solution contenant 1 partie d’azotate pour 175000 parties d’eau (1 grain d’azotate pour 400 onces d’eau), de façon que chaque feuille se trouve en présence du 1/6400e de grain (0,0101 de milligr.) de sel seulement. Cette quantité microscopique ne provoqua un léger effet que sur quatre feuilles. Chez l’une, cinquante-six tentacules s’étaient infléchis au bout de deux heures treize minutes ; chez une deuxième, vingt-six tentacules s’étaient infléchis totalement ou à moitié au bout de trente-huit minutes ; chez la troisième, dix-huit s’étaient infléchis au bout d’une heure, et, chez la quatrième, dix au bout de trente-cinq minutes. Les quatre autres feuilles ne furent pas du tout affectées. Quant aux huit feuilles correspondantes plongées dans l’eau, neuf tentacules s’étaient infléchis au bout de deux heures dix minutes, et chez quatre autres, de un à quatre tentacules à longue tête s’étaient infléchis pendant le même laps de temps ; les trois autres feuilles ne furent pas affectées. En conséquence, le 1/6400e de grain, mis en présence d’une feuille sensible, pendant un temps chaud, suffit peut-être pour produire un léger effet ; il faut toutefois se rappeler qu’il arrive parfois que l’eau pure provoque une inflexion aussi grande que celle qui s’est produite dans cette dernière expérience.

Résumé des résultats obtenus avec l’azotate d’ammoniaque.

Les glandes du disque, excitées par des gouttes ayant un volume d’un demi-minime (0,0296 de millil.) d’une solution contenant 1/2400e de grain (0,027 de millig.) d’azotate d’ammoniaque, transmettent une impulsion aux tentacules extérieurs qui fait s’infléchir ceux-ci vers le centre de la feuille. Une petite goutte contenant 1/28800e de grain (0,00225 de millig.) d’azotate, mise pendant quelques secondes en contact avec une glande, fait infléchir le tentacule qui porte cette glande. Si l’on plonge une feuille pendant quelques heures, et parfois pendant quelques secondes seulement, dans une solution dosée de façon que chaque glande ne puisse absorber que le 1/691200e de grain (0,0000937 de millig.) d’azotate, cette petite quantité suffit pour provoquer un mouvement dans chaque tentacule, et chacun d’eux s’infléchit fortement.

Phosphate d’ammoniaque.

Ce sel exerce une action bien plus énergique que l’azotate et est, comparativement à ce dernier, beaucoup plus énergique que n’est l’azotate comparativement au carbonate. La preuve, c’est que des solutions bien plus faibles de phosphate provoquent un mouvement chez la feuille quand on en place une goutte sur le disque, quand on applique la solution aux glandes, ou que l’on plonge les feuilles dans ces solutions. La différence dans l’énergie de ces trois sels, essayés de trois façons différentes, est bien démontrée dans les résultats que nous allons indiquer, résultats si surprenants qu’il est indispensable de citer toutes les preuves à l’appui. En 1872, j’expérimentai sur 12 feuilles en les plongeant dans une solution et en ne donnant à chacune d’elles que 10 minimes ; mais c’était là un système défectueux, car une si petite quantité suffisait à peine pour recouvrir les feuilles. Je ne citerai donc aucune de ces expériences, bien qu’elles indiquent que des quantités extrêmement faibles suffisent pour provoquer une action. En relisant mes notes, en 1873, il me fut impossible d’y ajouter foi ; je me décidai donc à faire de nouvelles expériences en prenant des précautions scrupuleuses, et j’adoptai le plan que j’avais suivi pour celles faites avec l’azotate, c’est-à-dire que je plaçai les feuilles dans des verres de montre et que je versai sur chacune d’elles 30 minimes de la solution à expérimenter, en traitant de la même façon d’autres feuilles avec l’eau distillée employée pour préparer la solution. Dans le courant de 1873, j’expérimentai ainsi sur 71 feuilles avec des solutions de différente force et sur le même nombre de feuilles dans l’eau. Malgré les précautions dont je m’étais entouré et le grand nombre des expériences que j’avais faites, quand j’examinai l’année suivante les résultats obtenus sans relire tout le détail des observations, je pensai de nouveau qu’il devait y avoir quelque erreur, et je refis trente-cinq nouveaux essais avec la solution la plus faible ; mais les résultats furent aussi évidents que ceux que j’avais obtenus l’année précédente. En somme, j’ai expérimenté sur 106 feuilles, choisies avec soin, dans l’eau et dans les solutions de phosphate. En conséquence, après les recherches les plus minutieuses, il ne me reste aucun doute sur la certitude des résultats que j’ai obtenus.

Avant d’indiquer le résultat de mes expériences, je dois constater que le phosphate d’ammoniaque cristallisé que j’ai employé contient 35,33 pour 100 d’eau de cristallisation ; de telle sorte que, dans tous les essais subséquents, les éléments efficaces ont formé seulement 64,67 pour 100 du sel employé.

Je plaçai avec la pointe d’une aiguille des parcelles très-petites de phosphate sec sur la sécrétion entourant diverses glandes. La sécrétion augmenta beaucoup, les glandes noircirent et finirent par mourir, mais les tentacules bougèrent à peine. Quelque petite que fût la dose, elle était évidemment trop forte, et le phosphate produisait les mêmes résultats que les parcelles de carbonate d’ammoniaque employé de la même façon.

Je plaçai sur le disque de trois feuilles un demi-minime d’une solution contenant 1 partie d’ammoniaque pour 437 parties d’eau. Ces gouttes agirent très-énergiquement ; les tentacules de l’une des feuilles s’infléchirent au bout de quinze minutes et le limbe de toutes les trois s’était considérablement recourbé au bout de deux heures quinze minutes. Je plaçai alors sur le disque de cinq feuilles des gouttes semblables d’une solution contenant une partie de phosphate pour 1312 parties d’eau (1 grain de sel pour 3 onces d’eau), de façon que chaque feuille reçoive 1/2880e de grain (0,0225 de milligr.) de sel. Au bout de huit heures, les tentacules de quatre de ces feuilles s’étaient considérablement infléchis, et au bout de vingt-quatre heures, le limbe de trois d’entre elles s’était incurvé. Au bout de quarante-huit heures, les cinq feuilles s’étaient presque complètement redressées. Je puis ajouter, relativement à une de ces feuilles, que, pendant les vingt-quatre heures qui ont précédé l’expérience, j’avais laissé sur son disque une goutte d’eau, sans qu’il se produisît aucun effet, et cette eau ne s’était pas encore évaporée tout à fait quand j’ajoutai la solution.

Je plaçai ensuite sur le disque de six feuilles des gouttes semblables d’une solution contenant 1 partie de phosphate pour 1750 parties d’eau (1 grain de phosphate pour 4 onces d’eau), de façon que chaque feuille reçoive 1/3840 de grain (0,0169 de milligr.) du sel. Au bout de huit heures, beaucoup de tentacules et le limbe de trois de ces feuilles s’étaient infléchis ; quelques tentacules seulement sur deux autres feuilles s’étaient légèrement infléchis, et la sixième n’avait pas été affectée. Au bout de vingt-quatre heures, quelques tentacules de plus s’étaient infléchis sur presque toutes les feuilles, mais une d’elles avait déjà commencé à se redresser. Il résulte de ces expériences que chez les feuilles les plus sensibles 1/3840 de grain de phosphate, absorbé par les glandes centrales, suffit pour provoquer l’inflexion du limbe et d’une grande partie des tentacules extérieurs ; or nous avons vu que le 1/1920 de grain de carbonate d’ammoniaque employé dans les mêmes conditions ne produisit aucun effet, et que le 1/2880 de grain d’azotate est juste suffisant pour provoquer une inflexion bien marquée.

Je touchai la sécrétion de trois glandes avec une petite goutte équivalant en volume à 1/20 de minime environ ; cette goutte était prise dans une solution contenant 1 partie de phosphate pour 875 parties d’eau ; chacune des glandes reçut donc seulement 1/57600 de grain (0,00112 de milligr.) de sel, et les trois tentacules s’infléchirent. J’essayai ensuite sur trois feuilles des gouttes semblables d’une solution contenant 1 partie de phosphate pour 1312 parties d’eau (1 grain de sel pour 3 onces d’eau), en ayant soin de partager la goutte entre quatre glandes de la même feuille. Trois tentacules de la première feuille s’infléchirent légèrement au bout de six minutes, et se redressèrent au bout de huit heures quarante-cinq minutes. Deux tentacules de la deuxième s’infléchirent en douze minutes. Les quatre tentacules touchés de la troisième s’infléchirent au bout de douze minutes ; ils restèrent en cet état pendant huit heures trente minutes, mais le lendemain matin ils s’étaient complètement redressés. Dans ce dernier cas, chaque glande n’avait pu absorber que le 1/115200 de grain (0,000563 de milligr.) de sel. J’essayai enfin sur cinq feuilles des gouttes semblables d’une solution contenant 1 partie de phosphate pour 1750 parties d’eau (1 grain de sel pour 4 onces d’eau), en ayant soin de partager chaque goutte entre quatre glandes de la même feuille. Les tentacules de trois de ces feuilles ne furent pas du tout affectés ; deux tentacules de la quatrième s’infléchirent ; sur la cinquième, qui se trouva être une feuille très-sensible, les quatre tentacules s’étaient évidemment infléchis au bout de six heures quinze minutes, mais un seul restait encore infléchi après un laps de temps de vingt-quatre heures. Je dois toutefois constater que, dans cette dernière expérience, une goutte un peu plus grosse qu’à l’ordinaire avait adhéré à la tête de l’épingle. Chacune de ces glandes n’avait guère pu absorber que le 1/153600 de grain (0,000423 de milligr.) de sel ; cependant cette petite quantité avait suffi pour provoquer l’inflexion. Il faut se rappeler que ces gouttes restent en contact avec la sécrétion visqueuse pendant dix ou quinze secondes seulement, et j’ai d’excellentes raisons de croire que tout le phosphate contenu dans la solution n’est pas disséminé et absorbé pendant ce laps de temps. Nous avons vu que, dans les mêmes conditions, l’absorption par une glande du 1/19200e de grain de carbonate d’ammoniaque et de 1/57600e de grain d’azotate d’ammoniaque n’ont pas provoqué l’inflexion du tentacule portant la glande. Le phosphate d’ammoniaque, dans ce cas encore, est donc beaucoup plus énergique que les deux autres sels.

Occupons-nous actuellement des cent-six expériences faites avec les feuilles plongées dans la solution. Ayant reconnu par des essais répétés que les solutions modérément fortes agissent énergiquement, je commençai mes expériences sur seize feuilles en plaçant chacune d’elles dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie de phosphate pour 43750 parties d’eau (1 grain de sel pour 100 onces d’eau), de telle sorte que chaque feuille se trouvait en présence de 1/1600e de grain (0,04058 de milligr.) de sel. Tous ou presque tous les tentacules de onze de ces feuilles étaient infléchis au bout d’une heure, et ceux de la douzième au bout de trois heures. Tous les tentacules de l’une de ces onze feuilles étaient étroitement infléchis au bout de dix minutes. Deux autres feuilles ne furent que modérément affectées, elles le furent plus cependant qu’aucune de celles que j’avais plongées en même temps dans l’eau ; enfin les deux dernières, qui étaient très-pâles, ne furent pas affectées du tout. Sur les seize feuilles plongées dans l’eau, neuf tentacules chez l’une, six chez une seconde, deux chez deux autres, s’infléchirent au bout de cinq heures. Aussi le contraste présenté par ces deux lots de feuilles était-il considérable.

Je plongeai dix-huit feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie de phosphate pour 87500 parties d’eau (1 grain de sel pour 200 onces d’eau), de façon que chaque feuille reçoive 1/3200e de grain (0,0202 de milligr.) de sel. Quatorze de ces feuilles s’étaient fortement infléchies au bout de deux heures, et quelques-unes au bout de quinze minutes ; trois autres ne furent que légèrement affectées ayant respectivement vingt et un, dix-neuf et douze tentacules infléchis ; la dix-huitième feuille ne fut pas affectée du tout. En raison d’un accident, je ne plongeai en même temps dans l’eau que quinze feuilles au lieu de dix-huit ; j’observai ces quinze feuilles pendant vingt-quatre heures ; chez l’une, six tentacules extérieurs ; chez une deuxième, quatre, et chez une troisième, deux tentacules s’étaient infléchis ; toutes les autres n’avaient pas été affectées.

L’expérience suivante se fit dans des circonstances très-favorables, car la journée (8 juillet) était très-chaude, et je me trouvais avoir des feuilles très-belles. J’en plongeai cinq, comme il a été déjà indiqué, dans une solution contenant 1 partie de phosphate pour 131250 parties d’eau (1 grain de sel pour 300 onces d’eau), de façon que chacune reçoive 1/4800e de grain (0,0135 de milligr.) de sel. Les cinq feuilles s’étaient considérablement infléchies au bout de vingt-cinq minutes. Au bout d’une heure vingt-cinq minutes, tous les tentacules de la première feuille, sauf huit, s’étaient infléchis ; chez la deuxième, tous les tentacules, sauf trois ; chez la troisième, tous les tentacules, sauf cinq ; chez la quatrième, tous les tentacules, sauf vingt-trois ; sur la cinquième feuille, d’autre part, jamais plus de vingt-quatre tentacules ne s’infléchirent. Quant aux feuilles plongées en même temps dans l’eau, l’une avait sept tentacules, la seconde deux, la troisième dix, la quatrième un tentacule infléchis ; la cinquième ne fut pas affectée du tout. On ne manquera pas d’observer le contraste qui existe entre ces dernières feuilles plongées dans l’eau et celles plongées dans la solution. Je comptai les glandes sur la seconde feuille plongée dans la solution, il y en avait 217 ; si nous supposons que les trois tentacules qui ne se sont pas infléchis n’ont absorbé aucune partie du sel, nous trouvons que chacune des 214 glandes restantes n’ont pu absorber que le 1/1027200e de grain, soit 0,0000631 de milligr. de sel. La troisième feuille portait 236 glandes ; si l’on retranche de ce nombre les 5 tentacules qui ne se sont pas infléchis, chacune des 231 glandes restantes n’a pu absorber que le 1/1108800e de grain, soit 0,0000384 de milligr. de sel, quantité qui a suffi pour provoquer l’inflexion des tentacules.

J’expérimentai sur 12 feuilles dans les conditions qui viennent d’être indiquées avec une solution contenant 1 partie de phosphate pour 175000 parties d’eau (1 grain de phosphate pour 400 onces d’eau), de façon que chaque feuille reçoive 1/6400e de grain (0,0101 de milligr.) de sel. Mes plantes n’étaient pas alors dans un état très-florissant, et beaucoup de feuilles étaient jaunes et pâles. Toutefois, tous les tentacules, sauf trois ou quatre, de deux d’entre elles s’infléchirent étroitement en moins d’une heure. Sept autres furent considérablement affectées, les unes au bout d’une heure, mais les autres au bout de trois heures, de quatre heures trente minutes, et de huit heures seulement ; on peut attribuer à la jeunesse et à la pâleur des feuilles cette action si lente, Sur ces 9 feuilles, le limbe de 4 se recourba dans des proportions considérables, et le limbe d’une cinquième assez légèrement. Les trois autres feuilles ne furent pas affectées. Quant aux 12 feuilles que je plongeai en même temps dans l’eau pure, le limbe d’aucune d’elles ne se recourba ; 13 tentacules extérieurs de l’une de ces feuilles s’infléchirent au bout d’une ou deux heures ; 6 tentacules chez une deuxième, et 1 ou 2 chez 4 autres s’infléchirent aussi. Au bout de huit heures, les tentacules extérieurs de ces feuilles ne s’étaient pas infléchis davantage, ce qui, au contraire, s’était produit chez les feuilles plongées dans la solution. Je trouve dans mes notes qu’au bout de huit heures il était devenu impossible de comparer les deux lots de feuilles et de douter un seul instant de la puissance de la solution.

Tous les tentacules de deux des feuilles plongées dans la solution dont nous venons de parler, sauf trois ou quatre, s’étaient infléchis en moins d’une heure. Je comptai les glandes de ces feuilles, et en me basant sur les principes que j’ai déjà indiqués, je reconnus que chaque glande d’une de ces feuilles n’avait pu absorber que le 1/1164800e de grain, soit 0,0000555 de milligr. de sel, et l’autre feuille seulement 1/1472000e de grain, soit 0,0000439 de milligr. de phosphate.

Je plongeai de la façon ordinaire vingt feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie de phosphate pour 218750 parties d’eau (1 grain de sel pour 500 onces d’eau). J’essayai cette solution sur un aussi grand nombre de feuilles, parce que j’étais alors sous la fausse impression qu’une solution plus faible que celle-là ne produirait aucun effet. Chaque feuille, dans ces expériences, se trouvait en présence de 1/8000e de grain, soit 0,0081 de milligr. de sel. Les huit premières feuilles sur lesquelles j’expérimentai dans la solution et dans l’eau, étaient les unes jeunes et pâles, les autres trop vieilles ; en outre, il ne faisait pas chaud. Ces feuilles furent à peine affectées, il serait toutefois peu raisonnable de négliger les résultats obtenus dans ces conditions. J’attendis jusqu’à ce que je pusse me procurer huit paires de belles feuilles, et que le temps fût favorable ; la température de la chambre dans laquelle se fit l’expérience variait de 75° à 81° F. (23°,8 à 27°,2 centigr.) Dans une autre expérience faite sur quatre paires comprises dans les vingt paires dont j’ai parlé ci-dessus, la température de ma chambre était assez basse, c’est-à-dire environ 60° F. (15°,5 centigr.), mais les plantes étaient restées pendant quelques jours dans une serre très-chaude, ce qui les avait rendues très-sensibles. Je pris des précautions toutes spéciales pour cette expérience : un de nos meilleurs chimistes se chargea de me peser un grain de phosphate dans d’excellentes balances ; le professeur Frankland me donna de l’eau nouvellement distillée qui fut mesurée avec le plus grand soin. Les feuilles furent choisies de la façon suivante sur un grand nombre de plantes : les quatre plus belles furent plongées dans l’eau, les quatre plus belles venant après, plongées dans la solution, et ainsi de suite, jusqu’à ce que j’aie complété les vingt paires. Les spécimens plongés dans l’eau étaient donc un peu favorisés, toutefois ces feuilles ne s’infléchirent pas plus que dans les cas précédents, comparativement à celles plongées dans la solution.

Sur les vingt feuilles plongées dans la solution, onze s’infléchirent en moins de quarante minutes : huit très-certainement, trois d’une façon assez douteuse ; toutefois, au moins vingt des tentacules extérieurs de ces dernières s’étaient infléchis. L’inflexion se produisit, sauf toutefois dans le numéro 1, beaucoup plus lentement que dans les essais précédents, à cause de la faiblesse de la solution. Je vais indiquer actuellement la condition des onze feuilles qui s’infléchirent considérablement, à des intervalles constatés, en comptant toujours depuis le moment de l’immersion :

1. — Au bout de huit minutes seulement, un grand nombre de tentacules s’infléchirent ; au bout de dix-sept minutes, tous, sauf 15, s’étaient infléchis ; au bout de deux heures, Tous, sauf 8, s’étaient infléchis ou certainement à moitié infléchis. Au bout de quatre heures les tentacules commencèrent à se redresser, et il faut remarquer qu’un redressement si prompt est extraordinaire ; au bout de sept heures trente minutes, les tentacules s’étaient presque complètement redressés.

2. — Au bout de trente-neuf minutes, un grand nombre de tentacules infléchis ; au bout de deux heures dix-huit minutes, tous les tentacules, sauf 25, infléchis ; au bout de quatre heures dix-sept minutes, tous les tentacules infléchis, sauf 16. La feuille resta dans cet état pendant plusieurs heures.

3. — Au bout de douze minutes, un degré considérable d’inflexion ; au bout de quatre heures tous les tentacules infléchis, sauf ceux des deux rangées extérieures ; la feuille resta dans cet état pendant quelque temps ; au bout de vingt-trois heures, les tentacules commencèrent à se redresser.

4. — Au bout de quarante minutes, beaucoup d’inflexion ; au bout de quatre heures treize minutes, une bonne moitié des tentacules infléchis ; au bout de vingt-trois heures, les tentacules encore légèrement infléchis.

5. — Au bout de quarante minutes, beaucoup d’inflexion ; au bout de quatre heures vingt-deux minutes, une bonne moitié des tentacules infléchis ; au bout de vingt-trois heures, les tentacules encore légèrement infléchis.

6. — Au bout de quarante minutes, un certain degré d’inflexion ; au bout de deux heures dix-huit minutes, environ 28 tentacules extérieurs infléchis ; au bout de cinq heures vingt minutes, 1/3 environ des tentacules infléchis ; au bout de huit heures un redressement considérable s’est produit.

7. — Au bout de vingt minutes, un certain degré d’inflexion ; au bout de deux heures, un nombre considérable de tentacules infléchis ; au bout de sept heures quarante-cinq minutes, les tentacules commencent à se redresser.

8. — Au bout de trente-huit minutes, 28 tentacules infléchis ; au bout de trois heures quarante-cinq minutes, 33 tentacules infléchis et la plupart des tentacules sous-marginaux à moitié infléchis ; la feuille resta en cet état pendant deux jours et se redressa alors en partie.

9. — Au bout de trente-huit minutes, 42 tentacules infléchis ; au bout de trois heures douze minutes, 66 tentacules infléchis ou à moitié infléchis ; au bout de six heures quarante minutes, tous les tentacules, sauf 24, infléchis ou à moitié infléchis ; au bout de neuf heures quarante minutes, tous les tentacules, sauf 17, infléchis ; au bout de vingt-quatre heures, tous les tentacules, sauf 4, infléchis ou à moitié infléchis, quelques-uns seulement étant étroitement infléchis ; au bout de vingt-sept heures quarante minutes, le limbe s’infléchit. La feuille resta dans cet état pendant deux jours, puis commença à se redresser.

10. — Au bout de trente-huit minutes, 21 tentacules infléchis ; au bout de trois heures douze minutes, 46 tentacules infléchis ou à moitié infléchis ; au bout de six heures quarante minutes, tous les tentacules infléchis, sauf 17, bien qu’aucun ne le fût étroitement ; au bout de vingt-quatre heures, tous les tentacules légèrement recourbés vers le centre de la feuille ; au bout de vingt-sept heures quarante minutes, le limbe est fortement infléchi et reste en cet état pendant deux jours, puis les tentacules et le limbe se redressèrent très-lentement.

11. — Une belle feuille rouge foncé assez vieille portant, bien qu’elle ne fût pas très-grande, un nombre extraordinaire de tentacules, c’est-à-dire 252 ; elle se conduit d’une façon très-anormale. Au bout de six heures quarante minutes, les tentacules courts seulement qui se trouvent autour de la partie extérieure du disque s’étaient infléchis en formant un anneau, comme il arrive si souvent dans un laps de temps variant de huit à vingt-quatre heures, chez les feuilles plongées dans l’eau ou dans les solutions très-faibles. Toutefois, au bout de neuf heures quarante minutes, tous les tentacules extérieurs, sauf 25, s’étaient infléchis aussi bien que le limbe de la façon la plus évidente. Au bout de vingt-quatre heures, tous les tentacules, sauf 1, s’étaient étroitement infléchis et le limbe s’était complètement replié en deux. La feuille resta en cet état pendant deux jours et commença alors à se redresser. Je puis ajouter que les trois dernières feuilles (nos 9, 10 et 11) étaient encore quelque peu infléchies au bout de trois jours. Les tentacules, dans quelques-unes seulement de ces 11 feuilles, s’infléchirent étroitement dans un temps aussi court que dans les expériences précédentes faites avec des solutions plus fortes.

Examinons maintenant les 20 feuilles plongées en même temps dans l’eau. Chez 9 d’entre elles, aucun des tentacules extérieurs ne s’infléchit ; chez 9 autres, 2 ou 3 de ces tentacules s’infléchirent et se redressèrent au bout de huit heures. Les deux autres feuilles furent modérément affectées ; chez l’une, 6 tentacules s’infléchirent au bout de trente-quatre minutes ; chez l’autre, 23 tentacules s’infléchirent au bout de deux heures quinze minutes ; toutes deux restèrent en cet état pendant vingt-quatre heures. Chez aucune de ces feuilles le limbe ne s’infléchit. En conséquence, la différence entre les 20 feuilles plongées dans l’eau et les 20 feuilles plongées dans la solution fut très-considérable pendant la première heure et alors que huit ou douze heures s’étaient écoulées.

J’en reviens aux feuilles plongées dans la solution. Je comptai les glandes que portait la feuille no 1, dont tous les tentacules, sauf 8, s’étaient infléchis au bout de deux heures ; cette feuille portait 202 tentacules. Or, si l’on retranche les 8 tentacules non affectés, chaque glande n’a pu absorber que le 1/1552000e de grain (0,0000411 de milligramme) de phosphate. La feuille no 9 portait 213 tentacules qui, à l’exception de 4, s’étaient tous infléchis au bout de vingt-quatre heures. Aucun d’eux, il est vrai, très-fortement, mais le limbe s’était aussi infléchi ; or chaque glande n’avait pu absorber que le 1/1672000e de grain ou 0,0000387 de milligramme de phosphate. Enfin la feuille no 11 dont tous les tentacules, sauf un, ainsi que le limbe s’étaient étroitement infléchis au bout, de vingt-quatre heures portait le nombre extraordinaire de 252 tentacules ; or en calculant comme nous l’avons fait précédemment, on arrive à la conclusion que chaque glande n’a pu absorber que le 1/2008000e de grain, soit 0,0000322 de milligramme de phosphate.

Avant d’aller plus loin, je dois faire remarquer que les feuilles plongées dans les solutions, ainsi que celles plongées dans l’eau pendant les expériences suivantes, provenaient de plantes qui avaient passé l’hiver dans une serre très-chaude, ce qui les avait rendues extrêmement sensibles, comme le prouve l’excitation provoquée chez elles par l’immersion dans l’eau, excitation beaucoup plus considérable que celle qui s’est produite dans les expériences précédentes. Avant de transcrire mes notes, il est bon de rappeler que la moyenne des tentacules sur chaque feuille, moyenne calculée d’après le nombre de tentacules se trouvant sur 31 feuilles, est de 192, et que les tentacules extérieurs, les seuls dont les mouvements soient absolument significatifs, sont aux tentacules courts du disque dans la même proportion que 16 est à 9.

Je plongeai quatre feuilles dans les mêmes conditions que celles indiquées précédemment, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie de phosphate pour 328,125 parties d’eau (1 grain de sel pour 750 onces d’eau). Chaque feuille reçut ainsi le 1/12000e de grain (0,0034 de milligramme) de sel ; les tentacules de ces quatre feuilles s’infléchirent considérablement.

1. — Au bout d’une heure, tous les tentacules extérieurs, sauf 1, sont infléchis et le limbe très-recourbé ; au bout de sept heures, les tentacules commencent à se redresser.

2. — Au bout d’une heure, tous les tentacules extérieurs, sauf 8, sont infléchis ; au bout de douze heures, ils se sont tous redressés.

3. — Au bout d’une heure, l’inflexion est considérable ; au bout de deux heures trente minutes, tous les tentacules, sauf 36, sont infléchis ; au bout de six heures, ils sont tous infléchis, sauf 22 ; au bout de douze heures, ils se sont redressés en partie.

4. — Au bout d’une heure, tous les tentacules, sauf 32, sont infléchis ; au bout de deux heures trente minutes, il n’en reste que 21 qui ne soient pas infléchis ; au bout de six heures, ils sont presque tous redressée.

Examinons actuellement les feuilles plongées dans l’eau :

1. — Au bout d’une heure, 45 tentacules se sont infléchis, mais au bout de sept heures, un si grand nombre s’est redressé que 10 seulement restent très-infléchis.

2. — Au bout d’une heure, 7 tentacules sont infléchis ; au bout de six heures, ils se sont presque complètement redressés.

3 et 4. — Ces feuilles ne sont pas affectées ; toutefois, comme il arrive d’ordinaire, les tentacules courts situés sur les bords du disque forment un anneau après onze heures d’immersion dans l’eau.

On ne peut donc pas mettre en doute l’efficacité de la solution que nous venons d’indiquer. En calculant comme nous l’avons fait précédemment, chaque glande de la feuille no 1 n’a pu absorber que le 1/2412000e de grain (0,0000268 de milligramme) et la feuille no 2 que le 1/2460000e de grain (0,0000263 de milligrammes) de phosphate.

Je plongeai 7 feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie de phosphate pour 437500 parties d’eau (1 grain de sel pour 1000 onces d’eau). Chaque feuille ne reçut ainsi que le 1/16000e de grain (0,00405 de milligramme) de phosphate. La journée était chaude et les feuilles très-belles, de sorte que toutes les circonstances étaient favorables.

1. — Au bout de trente minutes, tous les tentacules extérieurs, sauf 5, s’étaient infléchis, et la plupart très-étroitement ; au bout d’une heure, le limbe s’était légèrement infléchi ; au bout de neuf heures trente minutes, les tentacules commencèrent à se redresser.

2. — Au bout de trente-trois minutes, tous les tentacules extérieurs, sauf 25, s’étaient infléchis et je pus remarquer une légère inflexion du limbe ; au bout d’une heure trente minutes, le limbe s’était fortement infléchi et il resta dans cet état pendant vingt-quatre heures ; cependant quelques tentacules s’étaient redressés avant ce temps.

3. — Au bout d’une heure, tous les tentacules, sauf 12, s’étaient infléchis ; au bout de deux heures trente minutes, 9 seulement n’avaient pas été affectés et tous les autres, sauf 4, étaient fortement infléchis ; au bout de ce même laps de temps, le limbe était légèrement infléchi. Au bout de huit heures, le limbe s’était complétement recourbé et tous les tentacules, sauf 8, étaient fortement infléchis. La feuille resta dans cet état pendant deux jours.

4. Au bout de deux heures vingt minutes, 59 tentacules seulement s’étaient infléchis, mais, au bout de cinq heures, tous les tentacules s’étaient étroitement infléchis, sauf 2, qui ne furent pas affectés et qui étaient seulement un peu infléchis ; au bout de sept heures, le limbe s’était très-recourbé ; au bout de douze heures, j’ai pu observer un redressement considérable.

5. Au bout de quatre heures, tous les tentacules, sauf 14, s’étaient infléchis ; au bout de neuf heures trente minutes, ils commencèrent à se redresser.

6. Au bout d’une heure, 30 tentacules s’étaient infléchis ; au bout de cinq heures, ils l’étaient tous, sauf 54 ; au bout de douze heures, redressement considérable.

7. — Au bout de quatre heures trente minutes, 35 tentacules seulement s’étaient infléchis ou à moitié infléchis, et aucun nouvel effet ne se produisit.

Examinons maintenant les 7 feuilles plongées en même temps dans l’eau pure :

1. — Au bout de quatre heures, 38 tentacules étaient infléchis, mais, au bout de sept heures, ils s’étaient tous redressés à l’exception de 6.

2. — Au bout de quatre heures vingt minutes, 20 tentacules étaient infléchis ; au bout de neuf heures, ils étaient tous redressés en partie.

3. — Au bout de quatre heures, 5 tentacules étaient infléchis ; ils commencèrent à se redresser au bout de sept heures.

4. — Au bout de vingt-quatre heures, un seul tentacule était infléchi.

5, 6 et 7. — Aucune de ces feuilles ne fut affectée, bien que je les aie observées pendant vingt-quatre heures ; toutefois, comme à l’ordinaire, les tentacules courts placés sur les bords du disque formaient un anneau.

Si l’on compare les feuilles plongées dans la solution, surtout les 5 ou mieux les 6 premières, avec celles qui ont été plongées dans l’eau, après un laps de temps d’une heure ou de quatre heures, ou même, et la différence est plus grande encore au bout de sept ou huit heures, on ne peut conserver aucun doute sur l’effet considérable produit par la solution. Le nombre beaucoup plus grand des tentacules infléchis, le degré de leur inflexion et le degré de l’inflexion du limbe démontrent clairement cet effet. Cependant chaque glande de la feuille no 4, feuille qui portait 255 tentacules qui étaient tous infléchis, sauf 5, au bout de trente minutes, n’avait pu absorber plus de 1/4000000e de grain (0,0000162 de milligramme) du sel. De même, chaque glande de la feuille no 3, feuille qui portait 233 tentacules qui tous, sauf 9, étaient infléchis au bout de deux heures trente minutes, n’avait pu absorber au maximum que le 1/3584000 de grain (0,0000181 de milligramme) de phosphate.

Je plongeai 4 feuilles dans une solution contenant une partie de phosphate pour 656,250 parties d’eau (1 grain de sel pour 1500 onces d’eau). Dans cette expérience je tombai sur des feuilles très-peu actives de même que dans d’autres expériences, j’avais choisi par hasard des feuilles extraordinairement sensibles. Au bout de douze heures ces feuilles ne furent pas plus affectées que celles plongées en même temps dans l’eau ; au bout de vingt-quatre heures elles étaient un peu plus infléchies, mais il ne faut pas s’en fier à un degré si minime d’inflexion.

Je plongeai 12 feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant une partie de phosphate pour 1,312,500 parties d’eau (1 grain de sel pour 3000 onces d’eau), de façon à ce que chaque feuille reçoive un 1/48000e de grain (0,00135 de milligr.) de phosphate. Les feuilles n’étaient pas en très-bonne condition ; 4 d’entre elles étaient trop vieilles et de couleur rouge foncé ; 4 étaient trop pâles : cependant l’une de ces dernières se mouvait parfaitement ; les autres, autant qu’on pouvait en juger à l’apparence, semblaient dans d’excellentes conditions. Voici les résultats obtenus :

1. — Feuille pâle ; au bout de quarante minutes, 38 tentacules environ étaient infléchis ; au bout de trois heures trente minutes le limbe et la plupart des tentacules extérieurs l’étaient également ; au bout de dix heures quinze minutes tous les tentacules, sauf 17, étaient infléchis et le limbe absolument courbé en deux ; au bout de vingt-quatre heures tous les tentacules, sauf 10, étaient plus ou moins infléchis. La plupart des tentacules étaient fortement infléchis, toutefois 25 étaient seulement à moitié infléchis.

2. — Au bout d’une heure quarante minutes, 25 tentacules étaient infléchis ; au bout de six heures ils l’étaient tous, sauf 21 ; au bout de dix heures ils l’étaient tous plus ou moins, sauf 16 ; au bout de vingt-quatre heures les tentacules commencèrent à se redresser.

3. — Au bout d’une heure quarante minutes, 35 tentacules étaient infléchis ; au bout de six heures « un grand nombre de tentacules », pour citer les termes mêmes de la note prise pendant l’expérience, étaient infléchis, mais le manque de temps m’empêcha de les compter ; au bout de vingt-quatre heures ils commencèrent à se redresser.

4. — Au bout d’une heure quarante minutes, 30 tentacules environ étaient infléchis ; au bout de six heures un grand nombre de tentacules tout autour de la feuille étaient infléchis, mais je ne les comptai pas ; au bout de dix heures, ils commencèrent à se redresser.

5 à 12. — Ces feuilles ne furent pas plus affectées que les feuilles ne le sont ordinairement dans l’eau ; elles eurent respectivement 16, 8, 10, 8, 4, 9, 14 et 0 tentacules infléchis. Deux de ces feuilles présentèrent cependant cette particularité que leur limbe s’infléchit légèrement au bout de six heures.

Quant aux 12 feuilles plongées en même temps dans l’eau pure, voici les résultats obtenus :

1. — Au bout d’une heure trente-cinq minutes, 50 tentacules infléchis, mais au bout de onze heures, il n’en reste que 22 dans cette position ; ils forment un groupe avec le limbe légèrement infléchi en cet endroit. Je suppose, d’après l’aspect de cette feuille, qu’elle a dû être excitée de façon accidentelle au moyen, par exemple, d’une parcelle de matière animale dissoute dans l’eau.

2. — Au bout d’une heure quarante-cinq minutes, 32 tentacules infléchis, mais au bout de cinq heures, il n’en reste que 25 et au bout de dix heures ils se sont tous redressés.

3. — Au bout d’une heure, 25 tentacules infléchis ; ils se sont tous redressés au bout de dix heures vingt minutes.

4 et 5. — Au bout d’une heure trente-cinq minutes, 6 et 7 tentacules infléchis qui se redressèrent au bout de onze heures.

6, 7 et 8. — De 1 à 3 tentacules infléchis qui se redressèrent bientôt.

9, 10, 11 et 12. — Aucun tentacule infléchi, bien que les feuilles aient été observées pendant vingt-quatre heures.

Si l’on compare les 12 feuilles plongées dans l’eau avec les feuilles plongées dans la solution, on ne peut douter que, chez ces dernières, un plus grand nombre de tentacules se sont infléchis et que l’inflexion a été plus considérable ; toutefois les preuves sont loin d’être aussi évidentes que dans les expériences faites avec des solutions plus fortes. Il faut remarquer que l’inflexion, chez 4 feuilles plongées dans la solution, a augmenté pendant les six premières heures et chez quelques-unes pendant plus longtemps, tandis que, chez les feuilles plongées dans l’eau, l’inflexion des 3 feuilles qui ont été le plus affectées ainsi que celle de toutes les autres a commencé à diminuer pendant le même laps de temps. Il faut remarquer que le limbe de 3 feuilles plongées dans la solution s’est légèrement recourbé, ce qui arrive très-rarement chez les feuilles plongées dans l’eau, bien que nous ayons remarqué chez la feuille no 1 une légère incurvation qui semblait due à quelque cause accidentelle. Tout ceci prouve que la solution a produit un certain effet, bien que cet effet ait été moindre et se soit produit plus lentement que dans les cas précédents. Toutefois on pourrait attribuer cette lenteur et le petit effet produit à ce que la grande majorité des feuilles sur lesquelles j’ai expérimenté se trouvaient dans un état peu satisfaisant.

La feuille no 4, plongée dans la solution, portait 200 tentacules ; elle a reçu, comme nous l’avons dit, 1/48000 de grain (0,00135 de milligr.) de sel. Si l’on retranche 17 tentacules qui ne sont pas infléchis, on arrive à ce résultat que chaque glande n’a pu absorber que le 1/8784000e de grain (0,00000738 de milligr.) de phosphate. Or cette quantité a suffi pour causer l’inflexion de presque tous les tentacules ainsi que celle du limbe.

Enfin je plongeai 8 feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant une partie de phosphate pour 2187500 parties d’eau (1 grain de sel pour 5,000 onces d’eau) ; chaque feuille reçut ainsi le 1/80000 de grain, soit 0,00081 de milligr. de sel. Je m’appliquai tout particulièrement à choisir pour cette expérience, pour l’immersion dans la solution et dans l’eau, les feuilles les plus belles qui se trouvaient dans ma serre et toutes me donnèrent d’excellents résultats. Je vais commencer, comme à l’ordinaire, par les feuilles plongées dans la solution.

1. — Au bout de deux heures trente minutes, tous les tentacules, sauf 22, étaient infléchis, quelques-uns toutefois n’étaient qu’à moitié infléchis ; le limbe était très-infléchi ; au bout de six heures trente minutes, tous les tentacules, sauf 13, étaient infléchis et le limbe considérablement infléchi ; la feuille resta en cet état pendant quarante-huit heures.

2. — Aucun changement produit pendant les douze premières heures, mais, au bout de vingt-quatre heures, tous les tentacules s’étaient infléchis, excepté ceux de la rangée extérieure qui ne présentait que 11 tentacules infléchis. L’inflexion continua à augmenter et, au bout de quarante-huit heures, tous les tentacules, sauf 3, étaient infléchis et la plupart très fortement, 4 ou 5 seulement n’étant qu’à moitié infléchis.

3. — Aucun changement pendant les douze premières heures ; au bout de vingt-quatre heures tous les tentacules, sauf ceux de la rangée extérieure, étaient à moitié infléchis et le limbe recourbé. Au bout de trente-six heures, le limbe était fortement recourbé et tous les tentacules, sauf 3, infléchis ou à moitié infléchis. Au bout de quarante-huit heures, la feuille se trouvait encore dans le même état.

4 à 8. — Au bout de deux heures trente minutes, ces feuilles avaient respectivement 32, 17, 7, 4 et 0 tentacules infléchis ; la plupart se redressèrent au bout de quelques heures, sauf la feuille 4, dont les 32 tentacules restèrent infléchis pendant quarante-huit heures.

Examinons actuellement les huit feuilles plongées dans l’eau :

1. — Au bout de deux heures quarante minutes, 20 tentacules extérieurs de cette feuille étaient infléchis ; 5 se redressèrent au bout de six heures 30 minutes. Au bout de dix heures quinze minutes, il se passa un fait très-singulier : le limbe tout entier s’inclina légèrement sur la lige et resta en cet état pendant quarante-huit heures. Les tentacules extérieurs, à l’exception de ceux appartenant aux trois ou quatre dernières rangées, étaient alors infléchis à un degré extraordinaire.

2 à 8. — Au bout de deux heures quarante minutes, ces feuilles avaient respectivement 42, 12, 9, 8, 2, 1 et 0 tentacules infléchis ; tous se redressèrent dans les vingt-quatre heures et la plupart d’entre eux beaucoup plus tôt.

Quand on compare les 2 lots de feuilles, c’est-à-dire les 8 feuilles plongées dans la solution et les 8 feuilles plongées dans l’eau, vingt-quatre heures après l’immersion, on observe sans contredit entre elles un contraste très-apparent. Les quelques tentacules qui s’étaient infléchis chez les feuilles plongées dans l’eau, s’étaient redressés au bout de ce laps de temps, sauf toutefois chez une feuille qui présentait cette exception extraordinaire que son limbe s’était infléchi quoiqu’à un degré infiniment moindre que celui de 2 feuilles plongées dans la solution. Si l’on examine ces dernières feuilles, presque tous les tentacules de la feuille no 1, ainsi que le limbe, étaient infléchis après une immersion de deux heures trente minutes. Les feuilles nos 2 et 3 furent affectées beaucoup plus lentement ; toutefois, au bout de vingt-quatre heures, et avant que quarante-huit heures ne se fussent écoulées, presque tous leurs tentacules étaient étroitement infléchis et le limbe de l’une d’elles était absolument plié en deux. Il faut donc admettre, quelque incroyable que ce fait puisse paraître tout d’abord, que cette solution extrêmement faible agit sur les feuilles les plus sensibles, bien que chacune d’elles n’ait reçu que le 1/80000e de grain (0,00081 de milligr.) de phosphate. Or la feuille no 3 portait 178 tentacules ; si l’on déduit de ce nombre les 3 qui ne furent pas infléchis, chaque glande n’a pu absorber que le 1/14000000e de grain (0,00000463 de milligr.) de phosphate. La feuille no 1 sur laquelle la solution agit si fortement en moins de deux heures trente minutes, et dont tous les tentacules extérieurs, sauf 13, étaient infléchis au bout de six heures trente minutes, portait 260 tentacules ; or en calculant comme précédemment chaque glande de cette feuille n’a pu absorber que le 1/19760000 de grain (0,00000328 de milligr.) de phosphate. Or cette quantité excessivement minime a suffi pour provoquer l’inflexion complète, non-seulement de tous les tentacules portant ces glandes, mais aussi du limbe de la feuille.

Résumé des résultats obtenus avec le phosphate d’ammoniaque.

Si l’on excite les glandes du disque avec des gouttes ayant un volume d’un demi-minime (0,0296 de millil.) et contenant 1/3840e de grain (0,0169 demillig.) de phosphate d’ammoniaque, ces glandes transmettent une impulsion aux tentacules extérieurs et provoquent leur inflexion. Une petite goutte contenant 1/153600 de grain (0,000423 de millig.) de phosphate, tenue pendant quelques secondes en contact avec une glande, fait infléchir le tentacule qui porte cette glande. Si l’on plonge pendant quelques heures, parfois même pendant un temps plus court, une feuille dans une solution si faible que chacune des glandes ne puisse absorber que le 1/19760000 de grain (0,00000328 de millig.) de phosphate, cette quantité suffit pour provoquer un mouvement chez le tentacule, pour le faire s’infléchir fortement et parfois même pour faire courber le limbe. Dans le résumé de ce chapitre nous ajouterons quelques remarques tendant à démontrer que l’efficacité de doses aussi minimes n’est pas aussi incroyable qu’elle peut le paraître tout d’abord.

Sulfate d’ammoniaque. — J’ai fait quelques expériences avec ce sel et quelques autres sels d’ammoniaque, uniquement dans le but de savoir s’ils provoquent l’inflexion. Je plaçai sur le disque de 7 feuilles un demi-minime d’une solution contenant 1 partie de sulfate d’ammoniaque pour 437 parties d’eau, de façon à ce que chaque feuille reçoive le 1/960e de grain (0,0675 de milligr.) de sulfate. Au bout d’une heure, les tentacules de 5 de ces feuilles, aussi bien que le limbe de l’une d’elles, étaient fortement infléchis. Je ne continuai pas d’observer ces feuilles.

Citrate d’ammoniaque. — Je plaçai sur le disque de 6 feuilles un demi-minime d’une solution contenant 1 partie de citrate pour 437 parties d’eau. Au bout d’une heure, les tentacules courts de la périphérie du disque étaient un peu infléchis, et les glandes du disque noircies. Au bout de trois heures vingt-cinq minutes, le limbe d’une feuille s’était infléchi sans qu’aucun des tentacules extérieurs ait bougé. Les 6 feuilles restèrent à peu près dans le même état pendant toute la journée ; toutefois les tentacules sous-marginaux s’infléchirent davantage. Au bout de vingt-trois heures, le limbe de 3 feuilles s’était quelque peu infléchi, et les tentacules sous-marginaux de toutes étaient considérablement infléchis, mais, chez aucune, les deux, trois ou quatre rangées extérieures n’avaient été affectées. J’ai rarement vu un effet semblable à celui-ci, sauf par suite de l’action d’une décoction d’herbe. Les glandes du disque de ces feuilles, au lieu d’être presque noires, comme après la première heure, devinrent très-pâles au bout de vingt-trois heures. J’expérimentai ensuite sur 4 feuilles avec un demi-minime d’une solution plus faible contenant 1 partie de citrate pour 1312 parties d’eau (1 grain de sel pour 3 onces d’eau), de façon à ce que chaque feuille reçoive 1/2880e de grain (0,0225 de milligr.) de citrate. Au bout de deux heures dix-huit minutes, les glandes du disque avaient pris une couleur très-foncée ; au bout de vingt-quatre heures, 2 feuilles étaient affectées légèrement, mais les deux autres ne l’étaient pas du tout.

Acétate d’ammoniaque. — Je plaçai sur le disque de 2 feuilles un demi-minime d’une solution contenant environ 1 partie d’acétate pour 109 parties d’eau ; au bout de cinq heures trente minutes, j’observai quelques mouvements dans les tentacules, et, au bout de vingt-trois heures, tous s’étaient étroitement infléchis.

Oxalate d’ammoniaque. — Je plaçai sur 2 feuilles un demi-minime d’une solution contenant 1 partie d’oxalate pour 218 parties d’eau ; au bout de sept heures, les tentacules de ces feuilles étaient modérément infléchis, et, au bout de vingt-trois heures, ils l’étaient complètement.

J’expérimentai sur deux autres feuilles avec une solution plus faible contenant 1 partie d’oxalate pour 437 parties d’eau ; au bout de sept heures, une de ces feuilles s’était considérablement infléchie, mais l’autre ne s’infléchit qu’au bout de trente heures.

Tartrate d’ammoniaque. — Je plaçai sur le disque de 5 feuilles un demi-minime d’une solution contenant 1 partie de tartrate d’ammoniaque pour 437 parties d’eau. Au bout de trente et une minutes, j’observai des signes d’inflexion chez les tentacules extérieurs de quelques-unes des feuilles ; au bout d’une heure, l’inflexion avait augmenté chez toutes les feuilles, mais les tentacules ne s’infléchirent jamais fortement. Au bout de huit heures trente minutes, les tentacules commencèrent à se redresser. Le lendemain matin, au bout de vingt-trois heures, toutes les feuilles s’étaient redressées, sauf une, qui était encore légèrement infléchie. Le peu de durée de la période d’inflexion, dans ce cas et dans le cas suivant, est fort remarquable.

Chlorure d’ammonium. — Je plaçai sur le disque de 6 feuilles

un demi-minime d’une solution contenant 1 partie de chlorure pour 437 parties d’eau. J’observai, au bout de vingt-cinq minutes, une inflexion prononcée chez les tentacules extérieurs et sous-marginaux ; cette inflexion augmenta pendant trois ou quatre heures, mais n’atteignit jamais un degré très-considérable. Au bout de huit heures trente minutes, les tentacules commencèrent à se redresser, et, le lendemain matin, c’est-à-dire au bout de vingt-quatre heures, ils s’étaient tous redressés sur 4 feuilles, mais étaient encore quelque peu infléchis sur les deux autres.

Résumé général et conclusions sur les résultats obtenus avec les sels d’ammoniaque.

Nous venons de voir que les neuf sels d’ammoniaque dont je me suis servi dans mes expériences provoquent l’inflexion des tentacules et souvent celle du limbe lui-même.

Autant que j’ai pu m’en assurer par les essais incomplets faits avec les six derniers sels, le citrate d’ammoniaque est celui dont l’action est la moins énergique, et le phosphate d’ammoniaque est de beaucoup celui qui agit le plus puissamment. Il est bon de remarquer que le tartrate d’ammoniaque et le chlorure d’ammonium exercent une action qui se prolonge pendant fort peu de temps. Le tableau suivant indique l’efficacité relative du carbonate, de l’azotate et du phosphate d’ammoniaque ; nous avons indiqué, dans ce tableau, la dose la plus petite qui suffit à provoquer l’inflexion des tentacules.

D’après les expériences faites de ces trois façons différentes, nous voyons que le carbonate qui contient 23,7 pour 100 d’azote est moins énergique que l’azotate, qui contient 35 pour 100 d’azote. Le phosphate contient moins d’azote que l’un ou l’autre de ces deux sels, c’est-à-dire 21,2 pour 100 seulement, et il est cependant beaucoup plus énergique que l’un ou l’autre ; cette énergie dépend sans doute tout autant du phosphore que de l’azote qu’il contient. La façon énergique avec laquelle les morceaux d’os et de phosphate de chaux agissent sur les feuilles, nous permet d’en arriver à cette conclusion. L’inflexion provoquée par les autres sels d’ammoniaque est probablement due entièrement à l’azote qu’ils contiennent ; car, ainsi que nous l’avons vu, les liquides organiques azotés agisent

MODE D’APPLICATION
des solutions.
CARBONATE
d’ammoniaque.
AZOTATE
d’ammoniaque.
PHOSPHATE
d’ammoniaque.
Solutions placées sur les glandes du disque, de façon à agir indirectement sur les tentacules extérieurs.
1/960e de grain
ou
0,0675 de millig.
1/2400e de grain
ou
0,027 de millig.
1/3840e de grain
ou
0,0169 de millig.
Solutions appliquées directement, pendant quelques secondes à la glande d’un tentacule extérieur.
1/14400e de grain
ou
0,00445 de millig.
1/228800e de grain
ou
0,0025 de millig.
1/153600e de grain
ou
0,000423 de millig.
Feuilles plongées dans la solution pendant un temps suffisant pour que la glande puisse absorber la plus grande quantité possible de sel.
1/268800e de grain
ou
0,00024 de millig.
1/691200e de grain
ou
0,0000937 de mil.
1/19760000e de grain
ou
0,000000328 de mil.
Quantité absorbée par une glande, suffisante pour provoquer l’agrégation du protoplasma dans les cellules adjacentes du tentacule.
1/134400e de grain
ou
0,00048 de millig.


puissamment, tandis que les liquides organiques non azotés sont impuissants. Des doses aussi minimes de sels d’ammoniaque affectant les feuilles, nous sommes autorisé à conclure que le Drosera absorbe et met à profit la quantité, quelque minime qu’elle soit, d’ammoniaque contenue dans l’eau de pluie, de même que les autres plantes absorbent ces mêmes sels par la racine.

La petitesse des doses d’azotate et plus particulièrement de phosphate d’ammoniaque qui provoquent l’inflexion des tentacules, chez les feuilles plongées dans une solution de ces sels, est peut-être le fait le plus remarquable relaté dans ce volume. Quand on voit que moins d’un millionième[44] de grain de phosphate d’ammoniaque, absorbé par la glande de l’un des tentacules extérieurs, provoque l’inflexion de ce tentacule, on peut penser qu’on a négligé de prendre en considération l’effet de la solution sur les glandes du disque, c’est-à-dire l’impulsion que transmettent ces glandes aux tentacules extérieurs. Sans doute ce mouvement doit contribuer à l’inflexion des tentacules extérieurs, mais, sans contredit, dans une proportion très-insignifiante ; car nous savons qu’une goutte contenant 1/3840e de grain (0,0169 de millig.) de phosphate, placée sur le disque d’une feuille, suffit à peine pour provoquer l’inflexion d’un tentacule extérieur d’une feuille très-sensible. Il est certainement très-surprenant que le 1/19760000e de grain, ou en nombres ronds, un vingt-millionième de grain (0,0000033 de millig.) de phosphate puisse affecter une plante ou un animal ; en outre, comme ce sel contient 35,33 pour 100 d’eau de cristallisation, les éléments efficaces sont réduits à 1/30555126e de grain, ou, en chiffres ronds, à un trente-millionième de grain (0,00000216 de millig.) de phosphate. En outre, le sel, dans ces expériences, a été dissous dans l’eau dans la proportion d’une partie de sel pour 2,187,500 parties d’eau, c’est-à-dire un grain de sel pour 5000 onces d’eau. On se rendra peut-être mieux compte d’une dilution de cette nature si l’on se rappelle que 5000 onces d’eau rempliraient plus d’un tonneau d’une contenance de 31 gallons (140,74 litres) ; or c’est à cette énorme quantité d’eau que j’ai ajouté un grain de phosphate, puis j’en ai puisé un demi-drachme ou 30 minimes, pour y plonger la feuille. Et, cependant, cette quantité a suffi pour provoquer l’inflexion de presque tous les tentacules et souvent du limbe même de la feuille.

Je comprends parfaitement que beaucoup de mes lecteurs souriront d’incrédulité. Le Drosera, sans doute, est loin d’égaler la puissance du spectroscope ; mais les mouvements de ses feuilles n’en indiquent pas moins une quantité beaucoup plus petite de phosphate d’ammoniaque que ne peut en découvrir le chimiste le plus habile dans une substance quelle qu’elle soit[45]. Pendant longtemps je me suis refusé moi-même à croire aux résultats que j’obtenais, et j’ai fait de nombreuses expériences pour rechercher toutes les causes d’erreur possible. Le sel a été presque toujours pesé par un chimiste dans d’excellentes balances ; je me suis toujours servi d’eau nouvellement distillée et mesurée plusieurs fois avec le plus grand soin ; enfin j’ai répété ces expériences pendant plusieurs années. Deux de mes fils, aussi incrédules que je l’étais moi-même, ont à maintes reprises comparé plusieurs lots de feuilles plongées simultanément dans les solutions les plus faibles et dans l’eau pure, et sont restés convaincus qu’on ne pouvait pas élever le moindre doute quant à la différence de leur aspect. J’espère que quelques naturalistes voudront bien répéter mes expériences ; pour ce faire, ils doivent choisir des feuilles jeunes et vigoureuses, dont les glandes sont entourées par une abondante sécrétion. Il faut couper les feuilles avec soin, les déposer doucement dans des verres de montre et verser sur elles une certaine quantité de la solution ou de l’eau. L’eau distillée qu’on emploie doit être aussi pure qu’il est possible. Il faut remarquer tout particulièrement que les expériences avec les solutions faibles doivent se faire après quelques jours de temps très-chaud. Les expériences avec les solutions les plus faibles doivent se faire sur des plantes qui sont restées pendant longtemps dans une serre chaude ; mais cela n’est pas nécessaire quand il s’agit d’expériences avec les solutions de force modérée.

Je désire faire observer que je me suis rendu compte de la sensibilité ou de l’irritabilité des tentacules par trois méthodes différentes : indirectement, en plaçant des gouttes sur le disque ; directement, en appliquant des gouttes aux glandes des tentacules extérieurs, ou en plongeant les feuilles entières dans la solution. Ces trois méthodes ont donné pour résultat que l’azotate d’ammoniaque est plus puissant que le carbonate, et le phosphate beaucoup plus puissant que l’azotate ; on s’explique facilement ce résultat par la différence de quantités d’azote contenues dans les deux premiers sels et par la présence du phosphore dans le troisième. J’engage le lecteur, pour se convaincre, à essayer quelques expériences avec une solution contenant un grain de phosphate pour 1000 onces d’eau, et il s’assurera ainsi que le quatre-millionième d’un grain suffit pour provoquer l’inflexion d’un seul tentacule. Il n’y a donc rien de très-improbable à ce que le cinquième de ce poids, soit un vingt-millionième de grain, agisse sur les tentacules d’une feuille très-sensible. Je puis affirmer, d’ailleurs, que deux des feuilles plongées dans la solution contenant un grain de phosphate pour 3000 onces d’eau, et que trois des feuilles plongées dans la solution contenant un grain de phosphate pour 5000 onces d’eau, ont été affectées non-seulement incomparablement plus que les feuilles plongées en même temps dans l’eau pure, mais incomparablement plus aussi qu’aucune des cinq feuilles que l’on pourrait choisir dans les 173 sur lesquelles j’ai expérimenté avec de l’eau à différentes époques.

Il n’y a rien d’extraordinaire dans le simple fait qu’une glande absorbe 1/20000000e de grain de phosphate dissous dans plus de deux millions de fois son poids d’eau. Tous les physiologistes admettent que les racines des plantes absorbent les sels d’ammoniaque qui leur sont apportés par les eaux pluviales ; or 14 gallons (63,6 litres) d’eau de pluie contiennent un grain d’ammoniaque[46], par conséquent, un peu plus de la quantité qui se trouve dans la solution la plus faible que j’ai employée. Le fait véritablement extraordinaire, c’est que 1/20000000e de grain de phosphate d’ammoniaque, c’est-à-dire moins de 1/30000000e, si l’on déduit l’eau de cristallisation, absorbé par une glande, provoque chez cette glande des changements tels, qu’elle transmet une impulsion qui se propage dans toute la longueur du tentacule pour arriver jusqu’à la base, ployer cette base et lui faire souvent décrire un angle de plus de 180°.

Quelque étonnant que soit ce résultat, il n’y a pas de raison valable pour que nous le rejetions comme incroyable. Le professeur Donders d’Utrecht m’apprend qu’à la suite d’expériences faites par lui de concert avec le docteur de Ruyter, il en est arrivé à conclure que moins de un millionième de grain de sulfate d’atropine dilué dans une grande quantité d’eau, appliqué directement à l’iris de l’œil d’un chien, paralyse les muscles de cet organe. D’ailleurs, chaque fois que nous percevons une odeur, nous avons la preuve que des parcelles infiniment plus petites peuvent agir sur nos nerfs. Quand un chien se trouve à un quart de mille sous le vent d’un cerf ou d’un autre animal, et que son odorat lui révèle sa présence, les parcelles odorantes provoquent quelque changement dans les nerfs olfactifs du chien ; cependant ces parcelles doivent être infiniment plus petites que celles du phosphate d’ammoniaque, pesant le 1/20000000e d’un grain[47]. Ces nerfs transmettent une certaine impulsion au cerveau du chien, impulsion qui le pousse à l’action. Ce qu’il y a de réellement merveilleux chez le Drosera, c’est qu’une plante ne possédant aucun système nerveux spécial, soit affectée par des parcelles aussi petites ; mais nous n’avons aucun droit de supposer que d’autres tissus ne puissent pas devenir aussi admirablement aptes à recevoir les impressions du dehors que l’est le système nerveux des animaux élevés, s’il doit en résulter un bénéfice pour l’organisme.



CHAPITRE VIII.

effets produits sur les feuilles par divers sels et par divers acides..

Sels de soude, de potasse et autres sels alcalins, terreux et métalliques. — Résumé de l’action produite par ces sels. — Acides divers. — Résumé de leur action.


Les résultats si extraordinaires que j’avais obtenus avec les sels d’ammoniaque m’encouragèrent à étudier l’action de quelques autres sels. Je pense qu’il vaut mieux donner tout d’abord la liste des substances sur lesquelles j’ai expérimenté ; elles comprennent 49 sels et 2 acides métalliques ; je divise cette liste en deux colonnes, et je place d’un côté ceux des sels qui provoquent l’inflexion chez les feuilles, et de l’autre ceux qui ne provoquent aucune inflexion ou seulement une inflexion douteuse. J’ai fait mes expériences en plaçant des gouttes de chaque substance sur le disque des feuilles, ou, plus ordinairement, en plongeant les feuilles dans les solutions ; quelquefois j’ai employé les deux méthodes. À la suite de cette liste, on trouvera un résumé des résultats obtenus et quelques remarques sur l’action des sels. Je décrirai ensuite l’action de divers acides.


sels provoquant l’inflexion [48]. sels ne provoquant pas l’inflexion.
Sodium, carbonate de soude, inflexion rapide.
Potassium, carbonate de potasse, faiblement vénéneux.
Sodium, azotate de soude, inflexion rapide.
Potassium, azotate de potasse, poison très-faible.
Sodium, sulfate de soude, inflexion modérément rapide.
Potassium, sulfate de potasse.

Sodium, phosphate de soude, inflexion très-rapide.
Potassium, phosphate de potasse.
Sodium, citrate de soude, inflexion rapide.
Potassium, citrate de potasse.
Sodium, oxalate de soude, inflexion rapide.
Sodium (chlorure de), inflexion modérément rapide.
Potassium (chlorure de).
Sodium (iodure de), inflexion assez lente.
Potassium (iodure de), inflexion légère et douteuse.
Sodium (bromure de), inflexion modérément rapide.
Potassium (bromure de).
Potassium, oxalate de potasse, inflexion lente et douteuse.
Lithium, azotate de lithine, inflexion modérément rapide.
Lithium, acétate de lithine.
Cæsium (chlorure de), inflexion assez lente.
Rubidium (chlorure de).
Argent (azotate de), inflexion rapide ; poison violent.
Cadmium (chlorure de), inflexion lente.
Calcium, acétate de chaux.
Mercure (perchlorure de), inflexion rapide ; poison violent.
Calcium, azotate de chaux.
Magnésium, acétate de magnésie.
Magnésium, azotate de magnésie.
Magnésium, sulfate de magnésie.
Baryum, acétate de baryte.
Baryum, azotate de baryte.
Strontium, acétate de strontiane.
Strontium, azotate de strontiane.
Zinc (chlorure de).
Aluminium (chlorure de), inflexion lente et douteuse.
Aluminium, azotate d’alumine, traces d’inflexion.
Or (chlorure d’), inflexion rapide ; poison violent.
Aluminium et potassium, sulfate d’alumine et de potasse.
Étain (chlorure d’), inflexion lente ; poison.
Plomb (chlorure de).
Antimoine (tartrate d’), inflexion lente ; probablement un poison.
Arsenic, acide arsénieux, inflexion rapide ; poison.
Fer (chlorure de), inflexion lente ; probablement un poison.
Manganèse (chlorure de).
Chrome, acide chromique, inflexion rapide ; poison violent.
Cuivre (chlorure de), inflexion assez lente ; poison.
Cobalt (chlorure de).
Nickel (chlorure de), inflexion rapide ; probablement un poison.
Platine (chlorure de), inflexion rapide ; poison.


Sodium. — Carbonate de soude pur (donné par le professeur Hoffmann). Je plaçai sur le disque de 12 feuilles un demi-minime (0,0296 millil.) d’une solution contenant 1 partie de carbonate de soude pour 218 parties d’eau (2 grains de sel pour 1 once d’eau). Sept de ces feuilles s’infléchirent bien ; chez 3 autres, 2 ou 3 tentacules extérieurs s’infléchirent, et les 2 autres feuilles ne furent pas affectées. Toutefois cette dose, bien qu’elle ne fût que de 4/480e de grain (0,135 demilligr.), était évidemment trop forte, car sur les sept feuilles dont les tentacules s’infléchirent bien, 3 furent tuées. D’autre part, une des feuilles dont quelques tentacules seulement s’étaient infléchis, se redressa au bout de quarante-huit heures, puis reprit tout l’aspect d’une santé parfaite. En employant une solution plus faible, c’est-à-dire contenant 1 partie de sel pour 437 parties d’eau, ou 1 grain de sel pour 1 once d’eau, je pus placer sur 6 feuilles des doses équivalant à 1/960e de grain (0,0675 de milligr.) de sel. Quelques-unes de ces feuilles furent affectées au bout de trente-sept minutes ; au bout de huit heures, les tentacules extérieurs de toutes les feuilles, aussi bien que le limbe de deux d’entre elles, s’étaient considérablement infléchis. Au bout de vingt-trois heures quinze minutes, les tentacules s’étaient presque redressés ; toutefois le limbe de 2 feuilles était encore perceptiblement recourbé. Au bout de quarante-huit heures, les six feuilles s’étaient complètement redressées et paraissaient en parfaite santé.

Je plongeai 3 feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie de carbonate de soude pour 875 parties d’eau (1 grain de sel pour 2 onces d’eau), de façon à ce que chacune d’elles reçoive 1/32e de grain (2,02 milligr.) de sel ; au bout de quarante minutes, ces 3 feuilles étaient très-affectées, et au bout de six heures quarante-cinq minutes, les tentacules de toutes trois et le limbe de l’une d’elles étaient étroitement infléchis.

Sodium ; azotate de soude pur. — Je plaçai sur le disque de 5 feuilles un demi-minime d’une solution contenant 1 partie d’azotate de soude pour 437 parties d’eau, de façon à ce que chaque feuille reçoive le 1/960e de grain (0,0675 milligr.) d’azotate. Au bout d’une heure vingt-cinq minutes, les tentacules de presque toutes les feuilles et le limbe de l’une d’elles étaient quelque peu infléchis. L’inflexion continua à augmenter, et, au bout de vingt et une heures vingt-cinq minutes, les tentacules et le limbe de 4 feuilles étaient considérablement affectés ; le limbe de la cinquième l’était dans une certaine mesure, Au bout d’un nouvel intervalle de vingt-quatre heures les 4 feuilles étaient encore étroitement infléchies, tandis que la cinquième commençait à se redresser. Quatre jours après l’application de la solution, 2 feuilles s’étaient complètement redressées, la troisième s’était redressée en partie et les 2 autres, encore étroitement infléchies, paraissaient malades.

Je plongeai 3 feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie d’azotate de soude pour 875 parties d’eau. Au bout d’une heure cette solution avait produit une inflexion considérable ; au bout de huit heures quinze minutes, tous les tentacules et le limbe de chacune des 3 feuilles étaient étroitement infléchis.

Sodium ; sulfate de soude. — Je plaçai sur le disque de 6 feuilles un demi-minime d’une solution contenant 1 partie de sulfate de soude pour 437 parties d’eau. Au bout de cinq heures trente minutes, les tentacules de 3 de ces feuilles, ainsi que le limbe de l’une d’elles, étaient considérablement infléchis ; les 3 autres ne l’étaient que légèrement. Au bout de vingt et une heures, l’inflexion avait un peu diminué et, au bout de quarante-cinq heures, les feuilles s’étaient complètement redressées et paraissaient en excellente santé.

Je plongeai 3 feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie de sulfate de soude pour 875 parties d’eau ; au bout d’une heure trente minutes, j’observai une légère inflexion qui s’accrut si considérablement qu’au bout de huit heures dix minutes, tous les tentacules et le limbe de chacune des 3 feuilles étaient étroitement infléchis.

Sodium ; phosphate de soude. — Je plaçai sur le disque de 6 feuilles un demi-minime d’une solution contenant 1 partie de phosphate de soude pour 437 parties d’eau. Cette solution agit avec une rapidité extraordinaire, car, au bout de huit minutes, les tentacules extérieurs de la plupart des feuilles étaient considérablement infléchis. Au bout de six heures, les tentacules de chacune des 6 feuilles et le limbe de 2 d’entre elles étaient étroitement infléchis. Les feuilles restèrent dans cet état pendant vingt-quatre heures, sauf toutefois que le limbe d’une troisième feuille s’était infléchi pendant ce laps de temps. Au bout de quarante-huit heures, toutes les feuilles commencèrent à se redresser. Il est donc évident que le 1/960e de grain (0.0675 de millig.) de phosphate de soude suffit à provoquer une inflexion considérable.

Sodium ; citrate de soude. — Je plaçai sur le disque de 6 feuilles un demi-minime d’une solution contenant 1 partie de citrate de soude pour 437 parties d’eau ; je n’observai ces feuilles qu’au bout de vingt-deux heures. Je trouvai alors que les tentacules sous-marginaux de 5 d’entre elles et le limbe de 4 étaient infléchis ; mais les rangées extérieures des tentacules n’avaient pas bougé. La sixième feuille, qui paraissait plus vieille que les autres, semblait fort peu affectée. Au bout de quarante-six heures, 4 feuilles, y compris le limbe, s’étaient complètement redressées. Je plongeai aussi 3 feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie de citrate pour 875 parties d’eau ; une action fort vive se manifesta au bout de vingt-cinq minutes ; au bout de six heures trente-cinq minutes, presque tous les tentacules de ces feuilles, y compris ceux des rangées extérieures, étaient infléchis, mais le limbe d’aucune d’elles n’avait éprouvé le moindre mouvement.

Sodium ; oxalate de soude. — Je plaçai sur le disque de 7 feuilles un demi-minime d’une solution contenant 1 partie d’oxalate de soude pour 437 parties d’eau ; au bout de cinq heures trente minutes, les tentacules de toutes les feuilles et le limbe de la plupart d’entre elles étaient considérablement affectés. Au bout de vingt-deux heures, outre l’inflexion des tentacules, le limbe de chacune des 7 feuilles s’était si bien replié que l’extrémité touchait presque la base ; c’est la seule occasion où j’aie vu le limbe si vivement affecté. Je plongeai aussi 3 feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie d’oxalate de soude pour 875 parties d’eau ; au bout de six heures trente-cinq minutes, le limbe de 2 feuilles et les tentacules de toutes 3 étaient étroitement infléchis.

Sodium (chlorure de), le meilleur sel de cuisine ordinaire. — Je plaçai sur le disque de 4 feuilles un demi-minime d’une solution contenant 1 partie de chlorure de sodium pour 218 parties d’eau. Au bout de quarante-huit heures, 2 de ces feuilles ne semblaient pas du tout affectées ; les tentacules de la troisième étaient légèrement infléchis ; presque tous les tentacules de la quatrième, au contraire, étaient complètement infléchis au bout de vingt-quatre heures, et ils ne commencèrent à se redresser que le quatrième jour ; ils n’étaient même pas complètement redressés le septième jour. Je supposai que cette feuille avait été attaquée par le sel. Je plaçai donc sur le disque de 6 feuilles un demi-minime d’une solution plus faible, c’est-à-dire contenant 1 partie de chlorure de sodium pour 437 parties d’eau, de façon à ce que chaque feuille reçoive le 1/960e de grain (0.0675 de millig.) de sel. Au bout d’une heure trente-trois minutes, j’observai une légère inflexion ; au bout de cinq heures trente minutes, les tentacules des 6 feuilles étaient considérablement mais non pas complètement infléchis. Au bout de vingt-trois heures quinze minutes, les tentacules s’étaient complètement redressés et les feuilles ne semblaient pas avoir souffert.

Je plongeai 3 feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie de chlorure de sodium pour 875 parties d’eau, de façon à ce que chaque feuille reçoive le 1/32e de grain (2,02 milligr.) de sel. Au bout d’une heure, j’observai une inflexion considérable : au bout de huit heures trente minutes, tous les tentacules et le limbe de chacune des 3 feuilles étaient étroitement infléchis. Je plongeai encore 4 autres feuilles dans la solution, de façon à ce que chacune reçoive la même quantité de sel que dans l’expérience précédente, c’est-à-dire 1/32e de grain. Ces 4 feuilles s’infléchirent bientôt ; au bout de quarante-huit heures elles commencèrent à se redresser, sans qu’elles semblassent attaquées, bien que la solution fût assez forte pour qu’au goût on sentît parfaitement le sel.

Sodium (iodure de). — Je plaçai sur le disque de 6 feuilles un demi-minime d’une solution contenante 1 partie d’iodure de sodium pour 437 parties d’eau. Au bout de vingt-quatre heures, le disque de 4 de ces feuilles et la plupart des tentacules étaient infléchis. Chez les 2 autres, les tentacules sous-marginaux seuls s’étaient infléchis, les tentacules extérieurs chez la plupart des feuilles n’étant que peu affectés. Au bout de quarante-six heures, les feuilles s’étaient presque redressées. Je plongeai aussi 3 feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie d’iodure de sodium pour 875 parties d’eau. Au bout de six heures trente minutes, presque tous les tentacules et le limbe d’une de ces feuilles étaient étroitement infléchis.

Sodium (bromure de). — Je plaçai sur le disque de 6 feuilles un demi-minime d’une solution contenant 1 partie de bromure de sodium pour 437 parties d’eau. Au bout de sept heures, j’observai une légère inflexion ; au bout de vingt-deux heures, le limbe de 3 de ces feuilles et presque tous les tentacules étaient infléchis ; la quatrième feuille était légèrement affectée, la cinquième et la sixième ne l’étaient presque pas. Je plongeai aussi 3 feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie de bromure pour 875 parties d’eau ; au bout de quarante minutes, j’observai une légère inflexion ; au bout de quatre heures, les tentacules de ces trois feuilles et le limbe de deux d’entre elles étaient infléchis. Je plaçai alors ces feuilles dans l’eau, et au bout de dix-sept heures trente minutes, deux d’entre elles s’étaient complètement redressées et la troisième en partie, d’où je conclus qu’elles n’avaient pas été endommagées par la solution.

Potassium ; carbonate de potasse pur. — Je plaçai sur le disque de 6 feuilles un demi-minime d’une solution contenant 1 partie de carbonate de potasse pour 437 parties d’eau. Au bout de vingt-quatre heures, aucun effet ne s’était produit ; mais, au bout de quarante-huit heures, les tentacules de quelques feuilles et le limbe de l’une d’elles étaient considérablement infléchis. Toutefois ce résultat semble provenir de ce qu’elles avaient été endommagées, car, trois jours après que la solution avait été posée sur les feuilles, trois d’entre elles étaient mortes et une quatrième très-malade ; les deux autres feuilles recouvraient la santé ; cependant plusieurs de leurs tentacules semblaient avoir souffert, car ils restèrent infléchis de façon permanente. Il est évident que le 1/960e de grain (0,0675 de millig.) de ce sel agit comme poison. Je plongeai aussi trois feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie de carbonate de potasse pour 875 parties d’eau ; je les laissai pendant neuf heures dans le liquide, or, contrairement à ce qui se passe pour les sels de soude, il ne se produisit aucune inflexion.

Potassium ; azotate de potasse. — Je plaçai sur le disque de 4 feuilles une forte solution contenant 1 partie d’azotate de potasse pour 109 parties d’eau (4 grains de sel pour 1 once d’eau) ; 2 feuilles furent vivement attaquées, mais il ne se produisit aucune inflexion. Je traitai de la même façon 8 autres feuilles avec une solution plus faible, c’est-à-dire contenant 1 partie d’azotate de potasse pour 218 parties d’eau. Au bout de cinquante heures, aucune inflexion ne s’était produite, et 2 feuilles semblaient avoir été attaquées. J’expérimentai ensuite sur 5 de ces feuilles, en plaçant sur leur disque des gouttes de lait et une solution de gélatine ; or une seule s’infléchit ; de telle sorte que nous sommes autorisés à conclure qu’une solution d’azotate de potasse au degré que nous venons d’indiquer, agissant pendant cinquante heures, attaque ou paralyse les feuilles. Je traitai de la même façon 6 autres feuilles avec une solution encore plus faible, c’est-à-dire contenant 1 partie d’azotate de potasse pour 437 parties d’eau ; au bout de quarante-huit heures, ces feuilles ne semblaient aucunement affectées, sauf peut-être une seule feuille. Je plongeai ensuite 3 feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenante 1 partie d’azotate de potasse pour 875 parties d’eau ; au bout de vingt-cinq heures, aucun effet apparent ne s’était produit. Je plongeai alors ces feuilles dans une solution contenant 1 partie de carbonate d’ammoniaque pour 218 parties d’eau ; les glandes noircirent immédiatement, et, au bout d’une heure, je pus observer des traces d’inflexion ; en outre, le protoplasma contenu dans les cellules s’agrégea. Ceci prouve que les feuilles n’avaient pas beaucoup souffert d’une immersion de vingt-cinq heures dans l’azotate de potasse.

Potassium ; sulfate de potasse. — Je plaçai sur le disque de 6 feuilles un demi minime d’une solution contenant 1 partie de sulfate de potasse pour 437 parties d’eau. Au bout de vingt heures trente minutes, aucun effet n’avait été produit ; au bout d’un nouveau laps de temps de vingt-quatre heures, 3 feuilles n’avaient pas été affectées, 2 autres semblaient attaquées, et la troisième paraissait morte, avec ses tentacules infléchis. Toutefois, au bout de deux jours, les 6 feuilles recouvrèrent la santé. Aucun effet apparent ne fut produit par l’immersion de 3 feuilles, pendant vingt-quatre heures, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie de sulfate de potasse pour 875 parties d’eau. Je traitai alors ces 3 feuilles avec une solution de carbonate d’ammoniaque, et j’obtins le même résultat que dans le cas de l’azotate de potasse.

Potassium ; phosphate de potasse. — Je plaçai sur le disque de 6 feuilles un demi-minime d’une solution contenant 1 partie de phosphate de potasse pour 437 parties d’eau, et j’observai ces feuilles pendant trois jours ; aucun effet ne fut produit. L’évaporation partielle du liquide sur le disque fit quelque peu infléchir les tentacules, comme cela arrive souvent dans les expériences de cette nature. Le troisième jour, les feuilles paraissaient en excellente santé.

Potassium ; citrate de potasse. — Je plaçai sur le disque de 6 feuilles une solution contenant 1 partie de citrate de potasse pour 437 parties d’eau ; je plongeai ensuite 3 feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie de citrate de potasse pour 875 parties d’eau, mais je n’obtins aucun résultat dans l’un ou l’autre cas.

Potassium ; oxalate de potasse. — Je plaçai dans différentes occasions sur le disque de 17 feuilles un demi-minime d’une solution de ce sel ; les résultats obtenus m’ont beaucoup surpris et me surprennent encore. L’inflexion se produit très-lentement. Au bout de vingt-quatre heures, les tentacules de 4 feuilles, sur les 17 employées, étaient bien infléchis, ainsi que le limbe de 2 ; 6 autres feuilles étaient légèrement affectées, et les 7 autres pas du tout. J’observai 3 feuilles pendant cinq jours ; toutes moururent ; dans un autre lot de 6 feuilles, toutes, sauf une, semblaient en bonne santé au bout de quatre jours. Je plongeai 3 feuilles, pendant neuf heures, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie d’oxalate de potasse pour 875 parties d’eau ; ces feuilles ne présentèrent aucun signe d’inflexion, mais j’aurais dû les observer pendant plus longtemps.

Potassium (chlorure de). — Je plaçai sur le disque de 6 feuilles un demi-minime d’une solution contenant 1 partie de chlorure de potassium pour 437 parties d’eau, et je laissai les feuilles en cet état pendant trois jours ; j’en plongeai 3 autres dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie de chlorure de potassium pour 875 parties d’eau et je les y laissai pendant vingt-cinq heures ; mais je n’obtins aucun résultat dans l’un ou l’autre cas. J’expérimentai alors avec du carbonate d’ammoniaque sur les feuilles qui avaient été plongées dans la solution, comme je l’ai indiqué dans le paragraphe relatif à l’azotate de potasse, j’obtins les mêmes résultats.

Potassium (iodure de). — Je plaçai sur le disque de 7 feuilles un demi-minime d’une solution contenant 1 partie d’iodure de potassium pour 437 parties d’eau. Au bout de trente minutes, le limbe d’une feuille était infléchi ; au bout de quelques heures, presque tous les tentacules sous-marginaux de 3 feuilles étaient modérément infléchis ; les 3 autres feuilles n’étaient que légèrement affectées. À peine quelques tentacules extérieurs de ces feuilles s’infléchirent. Au bout de vingt et une heures, toutes ces feuilles se redressèrent, à l’exception de 2, chez lesquelles quelques tentacules sous-marginaux étaient encore infléchis. Je plongeai ensuite 3 feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie d’iodure de potassium pour 875 parties d’eau ; au bout de huit heures quarante minutes, aucune n’était affectée. Je ne sais que conclure de ces résultats si différents ; mais il est évident que l’iodure de potassium ne produit pas ordinairement une action bien vive.

Potassium (bromure de). — Je plaçai sur le disque de 6 feuilles un demi-minime d’une solution contenant 1 partie de bromure de potassium pour 437 parties d’eau. ; au bout de vingt-deux heures, beaucoup de tentacules aussi bien que le limbe d’une de ces feuilles étaient infléchis, mais je crois qu’un insecte aurait pu se poser sur cette feuille et s’échapper ; les 5 autres feuilles ne furent aucunement affectées. Je plaçai des parcelles de viande sur 3 de ces feuilles, et, au bout de vingt-quatre heures, elles étaient étroitement infléchies. Je plongeai aussi 3 feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie de bromure de potassium pour 875 parties d’eau ; je les y laissai pendant vingt et une heures, mais aucune feuille ne fut affectée ; toutefois les glandes paraissaient un peu plus pâles.

Lithium, acétate de lithine. — Je plongeai 4 feuilles dans un même vase contenant 120 minimes d’une solution d’une partie d’acétate de lithine pour 437 parties d’eau, de façon à ce que chaque feuille reçoive, en admettant que l’absorption fût égale chez toutes, 1/16e de grain de sel. Au bout de vingt-quatre heures, aucune inflexion ne s’était produite. Dans le but d’essayer les feuilles, je les plongeai alors dans une forte solution de phosphate d’ammoniaque contenant 1 grain de phosphate pour 20 onces d’eau, ou 1 partie de sel pour 8,750 parties d’eau ; au bout de trente minutes, les 4 feuilles s’étaient étroitement infléchies.

Lithium ; azotate de lithine. — Je plongeai 4 feuilles, comme dans le cas précédent, dans 120 minimes d’une solution contenant 1 partie d’azotate de lithine pour 437 parties d’eau ; au bout d’une heure trente minutes, les tentacules de ces 4 feuilles étaient un peu infléchis ; au bout de vingt-quatre heures, ils l’étaient considérablement. J’ajoutai alors de l’eau à la solution, mais le troisième jour les tentacules restaient encore un peu infléchis.

Cæsium (chlorure de). — Je plongeai 4 feuilles, comme il vient d’être indiqué, dans 120 minimes d’une solution contenant 1 partie de chlorure de cæsium pour 437 parties d’eau. Au bout d’une heure cinq minutes, les glandes avaient noirci ; au bout de quatre heures vingt minutes, j’observai quelques traces d’inflexion ; au bout de six heures quarante minutes, 2 feuilles étaient considérablement, mais non pas étroitement infléchies, et les 2 autres l’étaient aussi beaucoup. Au bout de vingt-deux heures, l’inflexion était extrêmement grande et le limbe de 2 feuilles s’était recourbé. Je transportai alors les feuilles dans l’eau, et quarante-six heures après le moment de leur première immersion, elles s’étaient presque complètement redressées.

Rubidium (chlorure de). — Je plongeai 4 feuilles, comme il est dit ci-dessus, dans 120 minimes d’une solution contenant 1 partie de chlorure de rubidium pour 437 parties d’eau ; je n’avais obtenu aucun résultat au bout de vingt-deux heures. J’ajoutai alors au liquide une partie de la forte solution de phosphate d’ammoniaque (1 grain de phosphate pour 20 onces d’eau), et, au bout de 30 minutes, les 4 feuilles étaient considérablement infléchies.

Argent (azotate d’). — Je plongeai 3 feuilles dans 90 minimes d’une solution contenant 1 partie d’azotate d’argent pour 437 parties d’eau, de façon à ce que chacune d’elles reçût, comme je l’ai déjà dit, 1/16e de grain du sel. Au bout de cinq minutes, j’observai une légère inflexion ; au bout de onze minutes, une très-forte inflexion, les glandes devinrent très-noires, et, au bout de quarante minutes, tous les tentacules étaient étroitement infléchis. Au bout de six heures, je sortis les feuilles de la solution, je les lavai et je les plongeai dans l’eau, mais le lendemain matin toutes étaient évidemment mortes.

Calcium, acétate de chaux. — Je plongeai 4 feuilles dans 120 minimes d’une solution contenant 1 partie d’acétate de chaux pour 437 parties d’eau ; au bout de vingt-quatre heures, aucun tentacule n’était infléchi, sauf toutefois quelques-uns, là où le limbe de la feuille se réunit au pétiole ; cette inflexion a pu être provoquée par l’absorption du sel par l’extrémité coupée du pétiole. J’ajoutai alors une certaine quantité de la solution de phosphate d’ammoniaque (1 grain de phosphate pour 20 onces d’eau), mais, à ma grande surprise, cette solution ne provoqua qu’une légère inflexion, même au bout de vingt-quatre heures. Cela semble prouver que l’acétate de chaux avait paralysé les feuilles.

Calcium ; azotate de chaux. — Je plongeai 4 feuilles dans 120 minimes d’une solution, contenant 1 partie d’azotate de chaux pour 437 parties d’eau ; je n’avais obtenu aucun résultat au bout de vingt-quatre heures. J’ajoutai alors une certaine quantité de la solution de phosphate d’ammoniaque (1 grain de phosphate pour 20 onces d’eau), mais cette solution ne provoqua qu’une légère inflexion au bout de vingt-quatre heures. Je plongeai alors une nouvelle feuille dans un mélange des solutions d’azotate de chaux et de phosphate d’ammoniaque, de la force que je viens d’indiquer, et les tentacules de cette feuille s’infléchirent étroitement en cinq ou dix minutes. Je plaçai sur le disque de 3 feuilles un demi-minime d’une solution contenant 1 partie d’azotate de chaux pour 218 parties d’eau, mais sans aucun résultat.

Magnésium ; acétate et azotate de magnésie et chlorure de magnésium. — Je plongeai 4 feuilles dans 120 minimes de solutions de chacun de ces 3 sels, contenant chacune 1 partie de sel pour 437 parties d’eau. Au bout de six heures, je n’observai aucune inflexion ; toutefois, au bout de vingt-deux heures, les tentacules de l’une des feuilles plongées dans l’acétate de magnésie étaient un peu plus infléchis qu’il n’arrive d’ordinaire après une immersion dans l’eau pendant ce même laps de temps. J’ajoutai alors à chacune des 3 solutions une certaine quantité de la solution de phosphate d’ammoniaque (1 grain de phosphate pour 20 onces d’eau). Les feuilles plongées dans le mélange d’acétate de magnésie et de phosphate d’ammoniaque s’infléchirent un peu, et cette inflexion se dessina fortement au bout de vingt-quatre heures. Les feuilles plongées dans le mélange d’azotate de magnésie et de phosphate d’ammoniaque étaient bien infléchies au bout de quatre heures trente minutes, mais le degré d’inflexion n’augmenta pas beaucoup ensuite. Au contraire, les 4 feuilles plongées dans le mélange de chlorure de magnésium et phosphate d’ammoniaque étaient considérablement infléchies au bout de quelques minutes, et, au bout de quatre heures, presque tous leurs tentacules l’étaient étroitement. Ces expériences prouvent que l’acétate et l’azotate de magnésie attaquent les feuilles ou tout au moins empêchent l’action subséquente du phosphate d’ammoniaque, tandis que le chlorure n’a pas cet effet.

Magnésium; sulfate de magnésie. Un demi-minime d’une solution contenant 1 partie de ce sel pour 218 parties d’eau placée sur le disque de 40 feuilles ne produisit aucun effet.

Baryum ; acétate de baryte. — Je plongeai 4 feuilles dans 120 minimes d’une solution contenant 1 partie de ce sel pour 437 parties d’eau ; au bout de vingt-deux heures, aucune inflexion ne s’était produite, mais les glandes étaient noircies. Je plongeai alors ces feuilles dans une solution de phosphate d’ammoniaque (1 grain de phosphate pour 20 onces d’eau) ; au bout de vingt-six heures seulement, j’observai une légère inflexion chez deux des feuilles.

Baryum ; azotate de baryte. Je plongeai 4 feuilles dans 120 minimes d’une solution contenant 1 partie de ce sel pour 437 parties d’eau ; au bout de vingt-deux heures, je n’observai guère que cette légère inflexion que provoque souvent une immersion dans l’eau pure pendant ce laps de temps. J’ajoutai alors une certaine quantité de la solution de phosphate d’ammoniaque dont je me suis déjà servi dans les expériences précédentes ; au bout de trente minutes, une feuille s’était considérablement infléchie, deux autres modérément et la quatrième pas du tout. Les feuilles restèrent en cet état pendant vingt-quatre heures.

Strontium ; acétate de strontiane. — Je plongeai 4 feuilles dans 120 minimes d’une solution contenant 1 partie de ce sel pour 437 parties d’eau ; au bout de vingt-deux heures, aucun résultat ne s’était produit. Je plongeai alors ces feuilles dans la solution de phosphate d’ammoniaque ; au bout de vingt-cinq minutes, 2 feuilles étaient très-infléchies ; au bout de huit heures, une troisième feuille l’était considérablement, mais la quatrième ne l’était pas du tout. Le lendemain matin, ces feuilles étaient encore dans le même état.

Strontium ; azotate de strontiane. — Je plongeai 5 feuilles dans 120 minimes d’une solution contenant 1 partie de ce sel pour 437 parties d’eau. Au bout de vingt-deux heures, j’observai une légère inflexion, mais pas plus considérable que celle qui se produit parfois chez les feuilles plongées dans l’eau. Je plaçai alors ces feuilles dans une solution de phosphate d’ammoniaque ; au bout de huit heures, 3 de ces feuilles étaient modérément infléchies et les 5 feuilles l’étaient au bout de vingt-quatre heures ; mais aucune d’elles n’était étroitement infléchie. Il résulte de cette expérience que l’azotate de strontiane paralyse à moitié les feuilles.

Cadmium (chlorure de). — Je plongeai 3 feuilles dans 90 minimes d’une solution contenant 1 partie de ce sel pour 437 parties d’eau ; au bout de cinq heures vingt minutes, j’observai une légère inflexion qui augmenta pendant les 3 heures suivantes. Au bout de vingt-quatre heures, les tentacules des 3 feuilles étaient bien infléchis et ils restèrent dans cet état pendant un autre laps de temps de vingt-quatre heures ; les glandes n’avaient pas changé de couleur.

Mercure (perchlorure de). — Je plongeai 3 feuilles dans 90 minimes d’une solution contenant 1 partie de ce sel pour 437 parties d’eau ; au bout de vingt-deux minutes, j’observai une légère inflexion qui avait considérablement augmenté au bout de quarante-huit minutes ; en même temps, les glandes s’étaient noircies. Au bout de cinq heures trente-cinq minutes, tous les tentacules étaient étroitement infléchis ; au bout de vingt-quatre heures, l’inflexion et la coloration persistaient. J’enlevai alors les feuilles et je les plongeai dans l’eau où je les laissai pendant deux jours, mais elles ne se redressèrent jamais ; évidemment elles étaient mortes.

Zinc (chlorure de). — 3 feuilles plongées dans 90 minimes d’une solution contenant 1 partie de ce sel pour 437 parties d’eau n’ont pas été affectées en vingt-cinq heures trente minutes.

Aluminium (chlorure d’). — Je plongeai 4 feuilles dans 120 minimes d’une solution contenant 1 partie de ce sel pour 437 parties d’eau ; au bout de sept heures quarante-cinq minutes, je n’observai aucune inflexion ; au bout de vingt-quatre heures, les tentacules d’une feuille étaient infléchis assez fortement, ceux d’une deuxième modérément, ceux de la troisième et de la quatrième l’étaient à peine. Le résultat obtenu est donc douteux, je crois cependant que ce sel provoque une certaine inflexion fort lente chez les feuilles. Je plongeai ensuite ces feuilles dans la solution de phosphate d’ammoniaque (1 grain de phosphate pour 20 onces d’eau) ; au bout de sept heures trente minutes, les 3 feuilles que le chlorure d’aluminium avait peu affectées s’infléchirent assez fortement.

Aluminium ; azotate d’alumine. — Je plongeai 4 feuilles dans 120 minimes d’une solution contenant 1 partie de ce sel pour 437 parties d’eau ; au bout de sept heures quarante-cinq minutes, j’observai quelques signes d’inflexion ; au bout de vingt-quatre heures, les tentacules d’une feuille étaient modérément infléchis. Ici encore on peut concevoir les mêmes doutes que pour le chlorure d’aluminium. Je plongeai alors les feuilles dans la solution de phosphate d’ammoniaque qui, au bout de sept heures trente minutes, n’avait produit qu’un effet très-insignifiant ; toutefois, au bout de vingt-cinq heures, une feuille était assez fortement infléchie, mais les 3 autres ne l’étaient guère plus que quand on les plonge dans l’eau.

Aluminium et potassium ; sulfate d’alumine et de potasse (alun ordinaire). — Un demi-minime d’une solution de la force ordinairement employée placée sur le disque de 9 feuilles ne produisit aucun effet.

Or (chlorure d’). — Je plongeai 7 feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie de chlorure d’or pour 437 parties d’eau, de façon à ce que chacune reçoive 1/16e de grain (4,048 milligr.) de chlorure. Au bout de huit minutes il se produisit une légère inflexion qui devint considérable au bout de quarante-cinq minutes. Au bout de trois heures, le liquide était devenu pourpre et les glandes noires. Au bout de six heures, j’enlevai les feuilles de la solution pour les plonger dans l’eau ; le lendemain matin elles avaient perdu toute trace de couleur et évidemment elles étaient mortes. La sécrétion décompose très-facilement le chlorure d’or et les glandes sont recouvertes d’une couche très-mince d’or métallique ; en outre, des parcelles d’or flottent à la surface du liquide environnant.

Plomb (chlorure de). — Je plongeai 3 feuilles dans 90 minimes d’une solution contenant 1 partie de ce sel pour 437 parties d’eau. Au bout de vingt-trois heures je n’observai aucune trace d’inflexion ; les glandes n’étaient pas noircies, et les feuilles ne paraissaient pas attaquées. Je transportai alors ces feuilles dans la solution de phosphate d’ammoniaque (1 grain de phosphate pour 20 onces d’eau) ; au bout de vingt-quatre heures, les tentacules de 2 de ces feuilles étaient quelque peu infléchis, ceux de la troisième l’étaient très-peu ; les feuilles restèrent dans cet état pendant un autre laps de temps de vingt-quatre heures.

Étain (chlorure d’). — Je plongeai 4 feuilles dans 120 minimes contenant environ 1 partie de ce sel, car il ne fut pas entièrement dissous, pour 437 parties d’eau. Au bout de quatre heures, aucun effet n’avait été produit ; au bout de six heures trente minutes, les tentacules sous-marginaux des 4 feuilles étaient infléchis ; au bout de vingt-deux heures, tous les tentacules et le limbe des feuilles étaient fortement infléchis. Le liquide avait alors pris une teinte rose. Je lavai ensuite les feuilles et je les plongeai dans l’eau ; le lendemain matin elles étaient mortes. Le chlorure d’étain est un poison violent pour les feuilles, mais il agit très-lentement.

Antimoine (tartrate d’). — Je plongeai 3 feuilles dans 90 minimes d’une solution contenant 1 partie de ce sel pour 437 parties d’eau. Au bout de huit heures trente minutes, j’observai une légère inflexion ; au bout de vingt-quatre heures, les tentacules de 2 feuilles étaient fortement infléchis, et ceux de la troisième l’étaient modérément ; les glandes n’étaient pas très-noircies. Je lavai alors les feuilles et je les plongeai dans l’eau ; elles restèrent dans le même état pendant un autre laps de temps de quarante-huit heures. Ce sel est probablement un poison, mais il agit très-lentement.

Arsenic ; acide arsénieux. — Une partie d’acide pour 437 partie d’eau ; je plongeai 3 feuilles dans 90 minimes ; au bout de vingt-cinq minutes, j’observai une inflexion considérable, et, au bout d’une heure, une inflexion presque complète ; les glandes n’étaient pas décolorées. Au bout de six heures, je plongeai ces mêmes feuilles dans l’eau ; le lendemain matin elles paraissaient très-fraîches, mais au bout de quatre jours elles étaient plus pâles et ne s’étaient pas redressées, évidemment elles étaient mortes.

Fer (chlorure de). — Je plongeai 3 feuilles dans 90 minimes d’une solution contenant 1 partie de ce sel pour 437 parties d’eau ; au bout de huit heures, aucune inflexion ; au bout de vingt-quatre heures, inflexion considérable ; les glandes sont devenues noires ; le liquide a pris une teinte jaune avec des parcelles floconneuses d’oxyde de fer flottant à la surface. Je plaçai alors les feuilles dans l’eau ; au bout de quarante-huit heures, elles s’étaient redressées un peu, mais je crois qu’elles étaient mortes ; les glandes étaient excessivement noires.

Chrome ; acide chromique. — Une partie d’acide pour 437 parties d’eau ; 3 feuilles plongées dans 90 minimes ; au bout de trente minutes, une légère inflexion ; au bout d’une heure, une inflexion considérable ; au bout de deux heures, tous les tentacules fortement infléchis et les glandes décolorées. Je plongeai alors les feuilles dans l’eau ; le lendemain, les feuilles étaient complètement décolorées et étaient évidemment mortes.

Manganèse (chlorure de). — 3 feuilles plongées dans 90 minimes d’une solution contenant 1 partie de ce sel pour 437 parties d’eau ; au bout de vingt-deux heures, pas plus d’inflexion qu’il ne s’en présente souvent chez les feuilles plongées dans l’eau pure ; les glandes ne sont pas noircies. Je plonge alors les feuilles dans la solution ordinaire de phosphate d’ammoniaque qui ne provoque aucune inflexion, même au bout de quarante-huit heures.

Cuivre (chlorure de). — 3 feuilles plongées dans 90 minimes d’une solution contenant 1 partie de ce sel pour 437 parties d’eau ; au bout de deux heures, légère inflexion ; au bout de trois heures quarante-cinq minutes, les tentacules sont étroitement infléchis et les glandes noircies. Au bout de vingt-deux heures, les glandes sont encore étroitement infléchies et les feuilles devenues flasques. Je plongeai les feuilles dans l’eau pure, le lendemain elles étaient évidemment mortes. Poison rapide.

Nickel (chlorure de). — 3 feuilles plongées dans 90 minimes d’une solution contenant 1 partie de ce sel pour 437 parties d’eau ; au bout de vingt-cinq minutes, inflexion considérable, et au bout de trois heures, tous les tentacules complètement infléchis. Au bout de vingt-deux heures, la feuille reste dans le même état ; la plupart des glandes, mais pas toutes, sont noircies. Les feuilles sont alors placées dans l’eau ; au bout de vingt-quatre heures, l’inflexion persiste ; les feuilles sont quelque peu décolorées, les glandes et les tentacules ont pris une teinte rouge sale. Feuilles probablement tuées.

Cobalt (chlorure de). — 3 feuilles plongées dans 90 minimes d’une solution contenant 1 partie de ce sel pour 437 parties d’eau ; au bout de vingt-trois heures, aucune trace d’inflexion et les glandes ne sont pas plus noircies qu’il n’arrive souvent après une immersion également longue dans l’eau.

Platine (chlorure de). — 3 feuilles plongées dans 90 minimes d’une solution contenant une partie de ce sel pour 437 parties d’eau ; au bout de six minutes une légère inflexion qui devient considérable au bout de quarante-huit minutes. Au bout de trois heures, les glandes étaient assez pâles. Au bout de vingt-quatre heures, tous les tentacules étaient encore étroitement infléchis et les glandes étaient incolores ; les feuilles restèrent dans cet état pendant quatre jours, évidemment elles étaient mortes.

Conclusions relatives à l’action des sels précédents. — Sur les 51 sels et acides métalliques dont je me suis servi dans ces expériences, 25 ont provoqué l’inflexion des tentacules, et 26 n’ont eu aucun effet analogue ; en outre, il s’est présenté deux cas assez douteux dans chaque série. Dans la table que j’ai placée au commencement de ces remarques, j’ai classé les sels selon leurs affinités chimiques ; mais cette classification semble peu importante au point de vue de leur action sur le Drosera. Autant qu’on peut en juger par les quelques expériences que je viens de relater, la nature de la base est beaucoup plus importante que celle de l’acide ; or, c’est là la conclusion à laquelle les physiologistes en sont arrivés relativement aux animaux. La preuve de ce fait c’est que 9 sels différents de soude provoquent l’inflexion, et qu’aucun d’eux n’agit comme poison, à moins d’être donné à haute dose, tandis que 7 sels correspondants de potasse ne provoquent pas l’inflexion, et que quelques-uns agissent comme poison. Toutefois, 2 d’entre eux, c’est-à-dire l’oxalate de potasse et l’iodure de potassium, provoquent une inflexion légère, et en somme assez douteuse. Cette différence entre les deux séries est d’autant plus intéressante que le Dr Burdon Sanderson m’apprend que l’on peut introduire les sels de soude à large dose dans la circulation des mammifères, sans qu’il en résulte pour eux aucun mauvais effet, tandis que des petites doses des sels de potasse causent la mort en arrêtant soudain les mouvements du cœur. Le phosphate de soude qui provoque rapidement une inflexion vigoureuse, tandis que le phosphate de potasse est absolument inefficace, offrent un excellent exemple de l’action différente des deux séries. La grande énergie du premier est probablement due à la présence du phosphore, comme dans le cas du phosphate de chaux et du phosphate d’ammoniaque. Nous pouvons donc en conclure que le Drosera ne peut pas extraire de phosphore du phosphate de potasse. Ce fait est remarquable, car, selon le Dr Burdon Sanderson, le phosphate de potasse est certainement décomposé dans le corps des animaux. La plupart des sels de soude agissent très-rapidement ; l’iodure de sodium est celui qui agit le plus lentement. L’oxalate, l’azotate et le citrate de soude semblent avoir une tendance spéciale à provoquer l’inflexion du limbe de la feuille. Après avoir absorbé le citrate, les glandes du disque transmettent à peine une impulsion aux tentacules extérieurs ; sous ce rapport, le citrate de soude ressemble au citrate d’ammoniaque ou à une décoction de feuilles d’herbe ; ces trois liquides, en effet, agissent principalement sur le limbe.

Il semble contraire à la règle de l’influence prépondérante de la base que l’azotate de lithine provoque une inflexion modérément rapide, alors que l’acétate de lithine n’en produit aucune ; mais ce métal est étroitement allié au sodium et au potassium[49] qui agissent si différemment l’un de l’autre ; on peut donc s’attendre à ce que l’action du lithium ressemble, dans une certaine mesure, à l’action de ces deux métaux. On peut faire la même observation relativement au cæsium, qui provoque l’inflexion, et au rubidium qui n’en provoque aucune ; car ces deux métaux sont également alliés au sodium et au potassium. La plupart des sels terreux sont inefficaces. 2 sels de chaux, 4 de magnésie, 2 de baryte et 2 de strontiane n’ont provoqué aucune inflexion, et rentrent ainsi dans la règle de la puissance prépondérante de la base. Sur 3 sels d’alumine, l’un n’a provoqué aucune action, le second une action très-légère, et le troisième une action lente et douteuse, de telle sorte que leurs effets ont été à peu près les mêmes.

Sur les 17 sels de métaux ordinaires employés dans ces expériences, 4 seulement, c’est-à-dire ceux de zinc, de plomb, de manganèse et de cobalt, n’ont provoqué aucune inflexion. Les sels de cadmium, d’étain, d’antimoine et de fer agissent lentement ; les 3 derniers semblent être des poisons plus ou moins violents. Les sels d’argent, de mercure, d’or, de cuivre, de nickel et de platine, l’acide chromique et l’acide arsénieux provoquent l’inflexion avec une rapidité extrême, et sont des poisons violents. Il est surprenant, à en juger par ce qui se passe chez les animaux, que les sels de plomb et de baryte ne soient pas des poisons. La plupart des poisons rendent les glandes noires ; le chlorure de platine, au contraire, les rend très-pâles. J’aurai occasion, dans le prochain chapitre, d’ajouter quelques remarques sur les effets différents duits par le phosphate d’ammoniaque sur des feuilles plongées précédemment dans diverses solutions,


ACIDES.


Comme je l’ai fait pour les sels, je vais d’abord donner la liste des 24 acides avec lesquels j’ai expérimenté, en les divisant en deux séries, selon qu’ils causent ou non l’inflexion. Après avoir décrit les expériences, j’ajouterai quelques remarques.


acides très-dilués qui provoquent l’inflexion. acides dilués dans les mêmes proportions, qui ne provoquent pas l’inflexion.
1. — Acide azotique, forte inflexion, poison.
1. — Acide gallique, n’est pas un poison.
2. — Acide chlorhydrique, inflexion lente et modérée ; n’est pas un poison.
2. — Acide tannique, n’est pas un poison.
3. — Acide iodhydrique, forte, inflexion, poison.
3. — Acide tartrique, n’est pas un poison.
4. — Acide iodique, forte inflexion, poison.
4. — Acide citrique, n’est pas un poison.
5. — Acide sulfurique, forte inflexion, poison dans une certaine mesure.
5. — Acide urique (?), n’est pas un poison.
6. — Acide phosphorique, forte inflexion, poison.
7. — Acide borique, inflexion modérée et assez lente, n’est pas un poison.
8. — Acide formique, inflexion très-légère, n’est pas un poison.
9. — Acide acétique, inflexion forte et rapide, poison.
10. — Acide propionique, inflexion forte, mais pas très-rapide, poison.
11. — Acide oléique, inflexion rapide, poison violent.
12. — Acide carbolique, inflexion très-lente, poison.

acide très dilués qui provoquent l’inflexion
13. — Acide lactique, inflexion lente et modérée, poison.
17. — Acide succinique, inflexion modérément rapide ; poison dans une certaine mesure.
14. — Acide oxalique, inflexion assez rapide, poison violent.
18. — Acide hippurique, inflexion assez lente, poison.
15. — Acide malique, inflexion très lente, mais considérable, n’est pas un poison.
19. — Acide cyanhydrique, inflexion assez rapide, poison violent.
16. — Acide benzoïque, inflexion rapide, poison violent.


Acide azotique. — Je plaçai 4 feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie en poids d’acide pour 437 parties d’eau, de façon à ce que chaque feuille reçoive 1/16e de grain (4, 048 milligr.) d’acide. J’ai choisi cette dilution pour cet acide et pour la plupart de ceux qui vont suivre afin d’avoir une solution au même degré que pour les sels avec lesquels j’ai expérimenté. Au bout de deux heures trente minutes, les tentacules de quelques feuilles étaient considérablement infléchis ; au bout de six heures trente minutes tous les tentacules étaient presque complètement infléchis, ainsi que le limbe des feuilles. Le liquide avait pris une légère teinte rose, ce qui prouve toujours que les feuilles ont été attaquées. Je les plongeai alors dans l’eau pure pendant 3 jours, mais les tentacules restèrent infléchis et les feuilles étaient évidemment mortes. La plupart des glandes étaient devenues incolores. Je plongeai alors 2 feuilles chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie d’acide pour 1000 parties d’eau ; au bout de quelques heures j’observai une légère inflexion ; au bout de vingt-quatre heures presque tous les tentacules et le limbe des deux feuilles étaient infléchis ; je plongeai alors ces 2 feuilles dans l’eau pure et je les y laissai pendant trois jours : l’une d’elles se redressa en partie et finit par se remettre. Je plongeai alors 2 feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie d’acide pour 2000 parties d’eau ; cette solution produisit peu d’effet ; toutefois, la plupart des tentacules se trouvant près du sommet du pétiole s’infléchirent comme si l’acide avait été absorbé par l’extrémité coupée.

Acide chlorhydrique. — Une partie pour 437 parties d’eau. Je plongeai 4 feuilles, comme auparavant, chacune dans 30 minimes. Au bout de six heures, les tentacules d’une seule feuille étaient considérablement infléchis. Au bout de huit heures quinze minutes, les tentacules et le limbe d’une feuille étaient bien infléchis ; les 3 autres feuilles l’étaient modérément et le limbe de l’une de ces dernières légèrement. Le liquide ne prit aucune teinte rose. Au bout de vingt-cinq heures, 3 de ces feuilles commencèrent à se redresser, mais leurs glandes étaient roses au lieu d’être rouges ; la quatrième feuille resta infléchie, elle semblait très-malade ou même morte, ses glandes étaient devenues blanches. J’essayai alors, sur 4 feuilles, 30 minimes d’une solution contenant 1 partie d’acide pour 875 parties d’eau : au bout de vingt et une heures elles étaient modérément infléchies ; je les plongeai ensuite dans l’eau et, au bout de deux jours, elles étaient redressées complètement et semblaient en parfaite santé.

Acide iodhydrique. — 1 partie pour 437 parties d’eau ; 3 feuilles plongées, comme il a été dit précédemment, chacune dans 30 minimes de la dilution. Au bout de quarante-cinq minutes, les glandes avaient perdu leur couleur et le liquide était devenu rosé, mais aucune inflexion ne s’était produite. Au bout de cinq heures, tous les tentacules étaient étroitement infléchis ; en outre, les glandes avaient, pendant ce laps de temps, sécrété une si grande quantité de mucus qu’on pouvait l’étirer en longs filaments. Je plaçai ensuite ces feuilles dans l’eau, mais elles ne se redressèrent jamais, évidemment elles étaient mortes. Je plongeai alors 4 feuilles dans une dilution contenant 1 partie d’acide pour 875 parties d’eau ; l’action fut plus lente ; toutefois, au bout de vingt-deux heures, les 4 feuilles étaient fortement infléchies et furent affectées sous tous les autres rapports comme celles employées dans l’expérience précédente. Ces feuilles ne se redressèrent pas quoique je les aie laissées quatre jours dans l’eau. Cet acide a une action beaucoup plus puissante que l’acide chlorhydrique et, en outre, il agit comme poison.

Acide iodique. — 1 partie pour 437 parties d’eau ; 3 feuilles plongées chacune dans 30 minimes ; au bout de trois heures forte inflexion ; au bout de quatre heures, les glandes deviennent brun foncé ; au bout de huit heures trente minutes, inflexion complète et les feuilles sont devenues flasques ; le liquide ne s’est pas coloré en rose. Je plongeai alors ces feuilles dans l’eau et je vis le lendemain qu’elles étaient mortes.

Acide sulfurique. — 1 partie pour 437 parties d’eau ; 4 feuilles plongées chacune dans 30 minimes ; au bout de quatre heures forte inflexion ; au bout de six heures le liquide commence à se colorer en rose. Je plongeai alors ces feuilles dans l’eau ; au bout de quarante-six heures, 2 étaient encore fortement infléchies et les 2 autres commençaient à se redresser ; beaucoup de glandes étaient incolores. Cet acide n’est pas un poison aussi violent que l’acide iodhydrique ou que l’acide iodique.

Acide phosphorique. — 1 partie pour 437 parties d’eau ; 3 feuilles plongées ensemble dans 90 minimes de la solution ; au bout de cinq heures trente minutes, une légère inflexion et quelques glandes deviennent incolores ; au bout de huit heures, tous les tentacules fortement infléchis et beaucoup de glandes incolores ; le liquide est devenu rose. Je plongeai alors ces feuilles dans l’eau et je les y laissai pendant deux jours et demi ; elles restent dans le même état et paraissent mortes.

Acide borique. — 1 partie pour 437 parties d’eau ; 4 feuilles plongées ensemble dans 120 minimes de la dilution ; au bout de six heures, inflexion très-légère ; au bout de huit heures quinze minutes, les tentacules de 2 feuilles sont considérablement infléchis ; ceux des 2 autres légèrement. Au bout de vingt-quatre heures, les tentacules d’une feuille sont assez fortement infléchis, ceux de la deuxième moins étroitement, ceux de la troisième et de la quatrième modérément. Je lavai alors les feuilles et je les plongeai dans l’eau ; au bout de vingt-quatre heures, elles étaient presque complètement, redressées et paraissaient en bonne santé. Cet acide se rapproche beaucoup par ses effets de l’acide chlorhydrique dilué au même degré ; comme lui, il provoque l’inflexion et n’agit pas comme poison.

Acide formique. — 1 partie pour 437 parties d’eau ; 4 feuilles plongées ensemble dans 120 minimes de la dilution ; au bout de quarante minutes, inflexion légère, et, au bout de six heures trente minutes, inflexion très-modérée ; au bout de vingt-deux heures, l’inflexion n’est pas beaucoup plus considérable que celle qui se produit ordinairement dans l’eau. Je lavai alors 2 feuilles et je les plongeai dans une solution de phosphate d’ammoniaque (1 grain de phosphate. pour 20 onces d’eau) ; au bout de vingt-quatre heures, les tentacules étaient considérablement infléchis et le contenu de leurs cellules agrégé, ce qui indique que le phosphate avait exercé son action, mais non pas dans les proportions où il l’exerce ordinairement.

Acide acétique. — 1 partie pour 437 parties d’eau ; 4 feuilles plongées ensemble dans 120 minimes de la dilution. Au bout d’une heure vingt minutes, les tentacules des 4 feuilles et le limbe de 2 d’entre elles étaient considérablement infléchis. Au bout de huit heures, les feuilles étaient devenues flasques, les tentacules étaient fortement infléchis et le liquide s’était coloré en rose. Je lavai alors les feuilles et je les plongeai dans l’eau ; le lendemain matin l’inflexion persistait et les feuilles avaient pris une couleur rouge très-foncé, bien que les glandes fussent incolores. Le lendemain elles avaient pris une teinte sale et elles étaient évidemment mortes. Cet acide est bien plus puissant que l’acide formique ; c’est, en outre, un poison violent. Je plaçai ensuite sur le disque de 5 feuilles un demi-minime d’une solution plus concentrée, c’est-à-dire contenant 1 partie en volume pour 320 parties d’eau ; aucun des tentacules extérieurs ne s’infléchit, ceux entourant le disque qui avaient pu directement absorber l’acide s’infléchirent. Probablement la dose était trop forte et avait paralysé les feuilles, car une goutte d’une dilution plus faible provoqua une forte inflexion ; quoi qu’il en soit, les feuilles sur lesquelles j’ai expérimenté avec cet acide moururent toutes au bout de 2 jours.

Acide propionique. — 1 partie pour 437 parties d’eau ; 3 feuilles plongées ensemble dans 90 minimes de la dilution ; au bout d’une heure cinquante minutes, aucune inflexion ; au bout de trois heures quarante minutes, une feuille est considérablement infléchie et les deux autres légèrement. L’inflexion continue à augmenter, de telle sorte qu’au bout de huit heures les trois feuilles étaient fortement infléchies. Le lendemain matin, c’est-à-dire au bout de vingt heures, la plupart des glandes étaient devenues très-pâles, mais quelques-unes, au contraire, étaient presque noires. Les glandes n’avaient pas sécrété de mucus et le liquide avait pris une teinte rosée extrêmement légère. Au bout de quarante-six heures, les feuilles devinrent quelque peu flasques ; évidemment elles étaient mortes, comme le prouva ensuite un long séjour dans l’eau. Le protoplasma des tentacules fortement infléchis n’était aucunement agrégé, mais vers la base des tentacules il s’était réuni en petites masses brunâtres au fond des cellules. Ce protoplasma était inerte, car l’immersion de la feuille dans une solution de carbonate d’ammoniaque ne provoqua aucune agrégation. L’acide propionique, tout comme son allié, l’acide acétique, est un poison violent pour le Drosera, mais il provoque l’inflexion beaucoup plus lentement que ce dernier acide.

Acide oléique donné par le professeur Frankland. — Je plongeai 3 feuilles dans cet acide ; un certain degré d’inflexion se manifesta presque immédiatement ; il augmenta légèrement, puis cessa, et les feuilles semblèrent mortes. Le lendemain matin les feuilles étaient ridées et beaucoup de glandes s’étaient détachées des tentacules. Je plaçai des gouttes de cet acide sur le disque de 4 feuilles ; au bout de quarante minutes, tous les tentacules étaient considérablement infléchis, sauf les tentacules marginaux, et, au bout de trois heures, quelques-uns de ceux-ci commencèrent à s’infléchir. J’expérimentai avec cet acide parce que je croyais, ce qui semble erroné[50], qu’il est présent dans l’huile d’olive qui exerce sur les feuilles une action analogue. Ainsi, si l’on place une goutte de cette huile sur le disque d’une feuille, elle ne provoque pas l’inflexion des tentacules extérieurs ; toutefois, quand on place une goutte microscopique d’huile sur la sécrétion qui entoure les glandes des tentacules extérieurs, ceux-ci s’infléchissent parfois, mais pas toujours. Je plongeai aussi 2 feuilles dans l’huile d’olive, et, pendant les douze premières heures, aucune inflexion ne se produisit ; mais, au bout de vingt-trois heures, presque tous les tentacules étaient infléchis. Je plongeai aussi 3 feuilles dans l’huile de lin non bouillie ; bientôt après l’immersion, les tentacules s’infléchirent quelque peu, et l’inflexion devint considérable au bout de trois heures. Au bout d’une heure, la sécrétion qui entoure les glandes s’était colorée en rose. Je conclus de ce dernier fait qu’on ne saurait attribuer à l’albumine, que l’huile de lin contient dit-on, la faculté qu’a cette huile de provoquer l’inflexion.

Acide carbolique. — 1 grain d’acide pour 437 parties d’eau ; 2 feuilles plongées ensemble dans 60 minimes de la solution ; au bout de 7 heures, l’une était légèrement infléchie, et, au bout de vingt-quatre heures, toutes d’eux l’étaient étroitement ; pendant ce laps de temps, les glandes avaient sécrété une quantité extraordinaire de mucus. Je lavai ces feuilles et je les laissai deux jours dans l’eau ; elles restèrent infléchies ; la plupart de leurs glandes étaient devenues pâles et semblaient mortes. Cet acide est un poison, mais il est loin d’agir aussi énergiquement ou aussi rapidement sur les feuilles qu’on aurait pu s’y attendre, en raison de la puissance destructive qu’il possède vis-à-vis des organismes inférieurs. Je plaçai une goutte de la même solution sur le disque de 3 feuilles ; au bout de vingt-quatre heures, les tentacules extérieurs ne s’étaient pas infléchis ; je plaçai alors sur ces feuilles des petits morceaux de viande et les tentacules s’infléchirent bien. J’essayai ensuite de placer sur le disque de 3 feuilles un demi-minime d’une solution plus concentrée, c’est-à-dire contenant 1 partie d’acide pour 218 parties d’eau ; aucune inflexion des tentacules extérieurs ne se produisit ; je plaçai alors, comme dans l’expérience précédente, un petit morceau de viande sur chacune des feuilles ; les tentacules d’une seule feuille s’infléchirent convenablement, les glandes du disque des 2 autres s’étaient desséchées et paraissaient très-malades. Nous voyons par ces expériences que les glandes du disque après avoir absorbé cet acide transmettent rarement une impulsion aux tentacules extérieurs, bien que ces derniers agissent vigoureusement quand leurs glandes absorbent directement l’acide.

Acide lactique. — 1 partie pour 437 parties d’eau ; 3 feuilles plongées ensemble dans 90 minimes de la solution. Au bout de quarante-huit minutes aucune inflexion, mais le liquide prend une teinte rose ; au bout de huit heures trente minutes, une feuille seule est légèrement infléchie, et presque toutes les glandes des 3 feuilles sont devenues très-pâles. Je lavai alors les feuilles et je les plongeai dans une solution de phosphate d’ammoniaque (1 grain de phosphate pour 20 onces d’eau) ; au bout de seize heures environ, j’observai seulement une trace d’inflexion. Je laissai les feuilles dans la solution de phosphate pendant quarante-huit heures ; elles restèrent dans le même état, presque toutes leurs glandes étant décolorées. Le protoplasma contenu dans les cellules ne s’était pas agrégé, sauf dans les cellules de quelques tentacules dont les glandes n’étaient pas très-décolorées. Je suppose donc que presque toutes les glandes et presque tous les tentacules ont été tués si soudainement par l’acide, qu’a peine une légère inflexion a pu se produire. Je plongeai alors 4 feuilles dans 120 minimes d’une solution plus faible, c’est-à-dire contenant 1 partie d’acide pour 875 parties d’eau. Deux heures trente minutes après, le liquide était devenu tout rose et les glandes très-pâles, mais aucune inflexion ne s’était produite ; au bout de sept heures trente minutes, les tentacules de 2 feuilles étaient quelque peu infléchis et les glandes étaient presque toutes blanches. Au bout de vingt-deux heures, ceux de 2 feuilles étaient considérablement infléchis et ceux de la troisième l’étaient légèrement ; la plupart des glandes étaient blanches, les autres d’un rouge foncé. Au bout de quarante-cinq heures, presque tous les tentacules d’une feuille étaient infléchis ; un grand nombre chez la seconde ; quelques-uns chez la troisième et chez la quatrième ; presque toutes les glandes étaient devenues blanches à l’exception de celles du disque de deux feuilles dont la plupart étaient d’un rouge très-foncé. Les feuilles paraissaient mortes. L’acide lactique agit donc de façon toute particulière, il provoque l’inflexion de façon très-lente et c’est un poison violent. L’immersion dans des solutions encore plus faibles, c’est-à-dire contenant 1 partie d’acide pour 1,312 parties et même pour 1,750 parties d’eau, semble tuer les feuilles sans provoquer d’inflexion, car les tentacules, s’inclinent en sens opposé ; de plus, les glandes deviennent complètement blanches.

Acides gallique, tannique, tartrique et citrique. — 1 partie de chacun d’eux pour 437 parties d’eau. Je plongeai 3 ou 4 feuilles, chacune dans 30 minimes de ces 4 solutions, de façon à ce que chaque feuille reçoive 1/16e de grain (4,048 milligr.) d’acide. Au bout de vingt-quatre heures, aucune inflexion ne s’était produite et les feuilles ne paraissaient pas du tout attaquées. Je plongeai dans une solution de phosphate d’ammoniaque (1 grain de phosphate pour 20 onces d’eau) les feuilles qui avaient séjourné déjà dans l’acide tannique et dans l’acide tartrique, mais aucune inflexion ne se produisit au bout de vingt-quatre heures. D’autre part, les 4 feuilles qui avaient été traitées par l’acide citrique s’infléchirent sensiblement après cinquante minutes d’immersion dans la solution de phosphate d’ammoniaque ; au bout de cinq heures, elles étaient fortement infléchies et elles restèrent dans cet état pendant vingt-quatre heures.

Acide malique. — 1 partie pour 437 parties d’eau ; 3 feuilles plongées ensemble dans 90 minimes de la solution ; au bout de huit heures vingt minutes, aucune feuille n’était infléchie, mais au bout de vingt-quatre heures, 2 d’entre elles l’étaient considérablement et la troisième légèrement, plus cependant que cela n’a lieu par l’action de l’eau. Les glandes n’avaient pas sécrété beaucoup de mucus. Je plongeai alors les feuilles dans l’eau, et, au bout de deux jours, les tentacules étaient redressés en partie. Il résulte de cette expérience que cet acide n’est pas un poison.

Acide oxalique. — 1 grain d’acide pour 437 parties d’eau ; 3 feuilles plongées ensemble dans 90 minimes de la solution ; au bout de deux heures dix minutes, inflexion considérable ; glandes pâles ; le liquide a pris une couleur rouge foncé ; au bout de huit heures, inflexion excessive. Je plaçai alors les feuilles dans l’eau ; six heures environ après, les tentacules étaient devenus rouge très-foncé, comme ceux des feuilles plongées dans l’acide acétique. Au bout d’un nouveau laps de temps de vingt-quatre heures, les 3 feuilles étaient mortes et les glandes incolores.

Acide benzoïque. — 1 grain d’acide pour 437 parties d’eau ; 5 feuilles plongées chacune dans 30 minimes de la solution. Cette solution est si faible que c’est à peine si l’on peut distinguer le goût de l’acide, et cependant, comme nous allons le voir, elle constitue un poison violent pour le Drosera. Au bout de cinquante-deux minutes, les tentacules sous-marginaux étaient quelque peu infléchis et toutes les glandes étaient très-pâles ; le liquide s’était coloré en rose. Dans une autre expérience, le liquide était devenu rose au bout de douze minutes seulement, et les glandes aussi blanches que si l’on avait plongé la feuille dans l’eau bouillante. Au bout de quatre heures, inflexion considérable, mais aucun des tentacules n’était étroitement infléchi, ce qui provient, je crois, de ce qu’ils avaient été paralysés avant d’avoir eu le temps d’achever leur mouvement. Les glandes avaient sécrété une quantité extraordinaire de mucus. Je laissai quelques feuilles dans la solution : je retirai les autres après une immersion de six heures trente minutes pour les plonger dans l’eau. Le lendemain matin, les unes et les autres étaient mortes ; les feuilles restées dans la solution paraissaient flasques, celles plongées dans l’eau, qui avait pris une teinte jaune, étaient devenues brun pâle avec les glandes toutes blanches.

Acide succinique. — 1 grain d’acide pour 437 parties d’eau ; 3 feuilles plongées ensemble dans 90 minimes de la solution ; au bout de quatre heures quinze minutes, inflexion marquée, et, au bout de vingt-trois heures, inflexion considérable ; la plupart des glandes pâles et le liquide coloré en rose. Je lavai alors les feuilles et je les plongeai dans l’eau ; au bout de deux jours quelques signes de redressement, mais beaucoup de glandes étaient encore blanches. Cet acide est loin d’être un poison aussi violent que l’acide oxalique ou que l’acide benzoïque.

Acide urique. — Je plongeai 3 feuilles dans 180 minimes d’une dilution contenant 1 grain d’acide pour 875 parties d’eau chaude, ce qui ne suffit pas cependant pour dissoudre tout l’acide, mais, en somme, chaque feuille reçut environ 1/16e de grain (4,048 millig.) d’acide. Au bout de vingt-cinq minutes, j’observai une légère inflexion qui n’augmenta jamais ; au bout de neuf heures, les glandes n’étaient pas décolorées et la solution n’avait pas pris une teinte rose ; néanmoins, les glandes avaient sécrété beaucoup de mucus. Je plaçai alors les feuilles dans l’eau, et le lendemain matin elles étaient complètement redressées. Je doute que cet acide provoque réellement l’inflexion, car on peut attribuer à la présence de quelques traces de matières albumineuses le léger mouvement que j’ai remarqué tout d’abord. Toutefois, la sécrétion si abondante des glandes prouve que cet acide doit produire quelque effet.

Acide hippurique. — 1 grain d’acide pour 437 parties d’eau ; 4 feuilles plongées ensemble dans 120 minimes de la solution. Au bout de deux heures, le liquide s’était coloré en rose, les glandes étaient devenues pâles, mais aucune inflexion ne s’était produite. Au bout de six heures une légère inflexion ; au bout de neuf heures, tous les tentacules des 4 feuilles étaient considérablement infléchis ; les glandes devenues très-pâles avaient sécrété beaucoup de mucus. Je plongeai alors les feuilles dans l’eau et je les y laissai pendant deux jours ; elles restèrent étroitement infléchies avec les glandes incolores et je ne doute pas qu’elles ne fussent mortes.

Acide cyanhydrique. — 1 partie pour 437 parties d’eau ; 4 feuilles plongées chacune dans 30 minimes de la solution ; au bout de deux heures quarante-cinq minutes, tous les tentacules étaient considérablement infléchis et beaucoup de glandes avaient pâli ; au bout de trois heures quarante-cinq minutes tous les tentacules étaient fortement infléchis et le liquide devenu rose ; au bout de six heures, tous les tentacules fortement infléchis. Après une-immersion de huit heures vingt minutes, je lavai les feuilles et je les plongeai dans l’eau ; le lendemain matin, au bout d’environ seize heures, elles restaient encore infléchies et décolorées ; le lendemain, elles étaient évidemment mortes. Je plongeai alors 2 feuilles dans une solution plus concentrée contenant 1 partie d’acide pour 50 parties d’eau ; au bout de une heure quinze minutes, les glandes devinrent aussi blanches que de la porcelaine, tout comme si on les avait plongées dans l’eau bouillante ; quelques tentacules seulement étaient infléchis, mais, au bout de quatre heures, ils l’étaient presque tous. Je plongeai alors ces feuilles dans l’eau et je vis le lendemain qu’elles étaient mortes. Je plaçai ensuite sur le disque de 5 feuilles un demi-minime d’une solution de la même force, c’est-à-dire contenant 1 partie d’acide pour 50 parties d’eau ; au bout de vingt et une heures, tous les tentacules extérieurs étaient infléchis et les feuilles semblaient avoir été vivement attaquées. Je touchai aussi la sécrétion visqueuse sur un grand nombre de glandes avec des gouttes microscopiques ayant un volume d’environ 1/20e de minime, soit 0,00296 de milligr. du mélange de Scheele (6 % d’acide) ; les glandes devinrent d’abord rouge brillant, et, au bout de trois heures quinze minutes environ, les 2/3 des tentacules portant ces glandes étaient infléchis ; ils restèrent en cet état pendant les deux jours suivants, mais alors ils me parurent morts.

Conclusions sur l’action exercée par les acides. — Il est évident que les acides ont une forte tendance à provoquer l’inflexion des tentacules ; car, sur 24 acides avec lesquels j’ai expérimenté, 19 provoquent l’inflexion soit rapidement et énergiquement, soit lentement et légèrement[51]. Ce fait est d’autant plus remarquable que le suc d’un grand nombre de plantes, à en juger par le goût, contient beaucoup plus d’acide que les solutions employées dans mes expériences. Les effets énergiques exercés par tant d’acides sur le Drosera nous autorisent à penser que les acides naturels que contiennent les tissus de cette plante et de beaucoup d’autres doivent jouer un rôle important dans leur économie. Sur les cinq cas dans lesquels les acides n’ont pas provoqué l’inflexion des tentacules, un cas, tout au moins, est douteux : l’acide urique, en effet, a agi légèrement et a provoqué d’abondantes sécrétions de mucus. La simple acidité au goût n’est pas un critérium de l’influence d’un acide sur le Drosera ; en effet, l’acide citrique et l’acide tartrique ont un goût très-acide, et cependant ni l’un ni l’autre n’amènent l’inflexion des tentacules. Il est à remarquer aussi combien les acides diffèrent de puissance. Ainsi, l’acide chlorhydrique agit beaucoup moins énergiquement que l’acide iodhydrique et que beaucoup d’autres acides de la même force et, en outre, il n’est pas un poison. C’est là un fait intéressant, car l’acide chlorhydrique joue un rôle très-important dans la digestion des animaux. L’acide formique provoque une inflexion très-légère, tandis que son allié l’acide acétique exerce une action rapide, énergique et est un poison. L’acide malique exerce une action légère, tandis que l’acide citrique et l’acide tartrique ne produisent aucun effet. L’acide lactique est un poison ; il est un autre fait remarquable à constater à son sujet, c’est le laps de temps considérable qui s’écoule avant qu’il ne provoque l’inflexion. Toutefois, ce qui m’a le plus surpris, c’est qu’une dilution d’acide benzoïque, faible au point qu’il est difficile de reconnaître au goût une trace d’acidité, agisse avec une si grande rapidité et constitue un poison si violent ; on m’apprend, en effet, que cet acide ne provoque aucun effet marqué sur l’économie des animaux. En jetant un coup d’œil sur la liste qui se trouve au commencement de cette discussion on peut voir que la plupart, des acides constituent des poisons et souvent des poisons violents. On sait que les acides dilués provoquent une osmose négative[52] ; or, l’action vénéneuse exercée par tant d’acides sur le Drosera se relie peut-être à cette propriété, car nous avons vu que le liquide, dans lequel plongent les feuilles, prend souvent une teinte rose et que les glandes deviennent pâles ou blanches. Beaucoup d’acides vénéneux, tels que l’acide iodhydrique, l’acide benzoïque, l’acide hippurique et l’acide carbolique (je ne cite que ceux-là, car j’ai négligé de noter tous les exemples) provoquent la sécrétion d’une quantité si extraordinaire de mucus que de longs filaments de cette substance pendent aux feuilles quand on les retire des solutions. D’autres acides, tels que l’acide chlorhydrique et l’acide malique, n’ont pas cet effet ; avec ces deux derniers, le liquide n’a pas été coloré en rose et les feuilles n’ont pas été empoisonnées. D’autre part, l’acide propionique, qui est un poison, ne provoque pas la sécrétion d’une grande quantité de mucus, et cependant le liquide se teinte légèrement en rose. Enfin, de même que nous l’avons vu pour certaines solutions salines, les feuilles, après une immersion dans certains acides, obéissent rapidement à l’action du phosphate d’ammoniaque ; d’autre part, le phosphate d’ammoniaque n’a aucune action sur elles quand elles ont été plongées dans certains autres acides. J’aurai ailleurs l’occasion de revenir sur ce point.


chapitre IX.

effets produits par certains poisons alcaloïdes, par d’autres substances et par des vapeurs.

Sels de strychnine. — Le sulfate de quinine n’arrête pas rapidement les mouvements du protoplasma. — Autres sels de quinine. — Digitaline. — Nicotine. — Atropine. — Vératrine. — Colchicine. — Théine. — Curare. — Morphine. — Hyoscyamine. — Le poison du Cobra capello semble accélérer les mouvements du protoplasma. — Le camphre est un stimulant puissant. — Sa vapeur agit comme narcotique. — Certaines huiles essentielles provoquent l’inflexion. — Glycérine. — L’eau et certaines solutions retardent ou empêchent l’action subséquente du phosphate d’ammoniaque. — L’alcool est inoffensif ; la vapeur d’alcool agit comme narcotique et comme poison. — Chloroforme, Éther sulfurique et Éther azotique, leur propriété stimulante, vénéneuse et narcotique. — L’acide carbonique est un narcotique, mais il n’agit pas comme poison rapide. — Conclusions.


De même que je l’ai fait dans le dernier chapitre, je donnerai d’abord le détail de mes expériences, puis je ferai un bref résumé des résultats et j’en tirerai quelques conclusions.


Acétate de Strychnine. — Je plaçai sur le disque de 6 feuilles un demi-minime d’une solution contenant 1 partie d’acétate de strychnine pour 437 parties d’eau, de façon à ce que chaque feuille reçoive 1/960e de grain (0,0296 de milligr.) d’acétate. Au bout de deux heures trente minutes, les tentacules extérieurs de quelques-unes de ces feuilles étaient infléchis, mais de façon irrégulière, car quelquefois les tentacules situés d’un côté seulement de la feuille s’étaient mis en mouvement. Le lendemain matin, au bout de vingt-deux heures trente minutes, l’inflexion n’avait pas augmenté. Les glandes du disque étaient devenues noires et avaient cessé de produire des sécrétions. Au bout d’un nouveau laps de temps de vingt-quatre heures, toutes les glandes centrales paraissaient mortes, bien que les tentacules extérieurs qui s’étaient infléchis se fussent redressés et parussent en très-bonne santé. Il semble résulter de cette expérience que l’action vénéneuse de la strychnine est limitée aux glandes qui l’ont absorbée ; toutefois ces glandes transmettent une impulsion aux tentacules extérieurs. Des gouttes microscopiques (environ 1/20e de minime) de la même solution appliquées aux glandes des tentacules extérieurs provoquent quelquefois une inflexion. Ce poison ne paraît pas agir rapidement, car j’ai appliqué à plusieurs glandes des gouttes ayant un volume semblable d’une solution plus concentrée, c’est-à-dire contenant 1 partie d’acétate pour 292 parties d’eau, ce qui n’a pas empêché les tentacules de s’incliner quand, au bout d’un laps de temps variant entre un quart d’heure et trois quarts d’heure, après l’application de la solution, je les ai excités par des attouchements répétés ou en plaçant sur eux des parcelles de viande. Des gouttes semblables d’une solution contenant 2 parties d’acétate pour 218 parties d’eau (2 grains pour 1 once d’eau) font noircir rapidement les glandes : quelques tentacules traités par cette solution se mirent en mouvement tandis que les autres restèrent immobiles. Toutefois, si l’on humecte ensuite ces dernières avec un peu de salive ou qu’on place sur elles une parcelle de viande, les tentacules s’infléchissent avec une extrême lenteur, ce qui prouve que les glandes ont été attaquées. Des solutions plus concentrées, dont je n’ai pas calculé le degré exact, paralysent quelquefois très-rapidement chez les tentacules la faculté du mouvement ; ainsi, j’ai placé des parcelles de viande sur les glandes de plusieurs tentacules extérieurs et dès qu’ils se mettaient en mouvement j’ajoutais une goutte microscopique de la solution. Ces tentacules continuaient pendant quelques instants leur mouvement d’inflexion, puis s’arrêtaient soudain, tandis que d’autres tentacules sur la même feuille, chargés d’une parcelle de viande, mais qui n’étaient pas humectés avec la strychnine continuaient leur mouvement d’inflexion et atteignaient bientôt le centre de la feuille.

Citrate de strychnine. — Je plaçai sur le disque de 6 feuilles un demi-minime d’une solution contenant 1 partie de citrate de strychnine pour 437 parties d’eau. Au bout de vingt-quatre heures, j’observai à peine une trace d’inflexion chez les tentacules extérieurs. Je plaçai alors des parcelles de viande sur 3 de ces feuilles, mais au bout de vingt-quatre heures il ne s’était produit qu’une inflexion très-légère et très-irrégulière, ce qui prouve que les feuilles avaient été vivement attaquées. Les glandes du disque de 2 feuilles sur lesquelles je n’avais pas placé de viande s’étaient desséchées et étaient très-malades. J’humectai la sécrétion de plusieurs glandes avec des gouttes microscopiques d’une forte solution contenant 1 partie de citrate pour 109 parties d’eau (4 grains pour 1 once d’eau), mais cette solution ne produisit pas un effet aussi apparent que les gouttes d’une solution beaucoup plus faible d’acétate. Je plaçai sur 6 glandes des parcelles de citrate sec ; deux de ces glandes commencèrent leur mouvement d’inflexion sur le centre de la feuille, puis s’arrêtèrent tout à coup, probablement elles étaient tuées ; 3 autres se rapprochèrent du centre, mais restèrent immobiles avant d’y arriver ; une seule décrivit son mouvement d’inflexion jusqu’au centre. Je plongeai 5 feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie de citrate pour 437 parties d’eau, de façon à ce que chacune reçoive 1/16e de grain de citrate ; au bout d’une heure environ, quelques tentacules extérieurs s’infléchirent et les glandes se bigarrèrent singulièrement de noir et de blanc. Au bout de quatre ou cinq heures, ces glandes devinrent blanchâtres et opaques ; le protoplasma contenu dans les cellules des tentacules était bien agrégé. Au bout de ce temps, les tentacules de 2 feuilles étaient considérablement infléchis, mais ceux des 3 autres ne l’étaient pas plus qu’auparavant. Toutefois, 2 nouvelles feuilles plongées respectivement pendant deux heures et pendant quatre heures dans la solution, ne furent point tuées ; car, au bout d’une immersion d’une heure trente minutes dans une solution contenant 1 partie de carbonate d’ammoniaque pour 218 parties d’eau, leurs tentacules s’infléchirent considérablement et je remarquai une forte agrégation dans les cellules. Les glandes de 2 autres feuilles, après une immersion de deux heures dans une solution plus forte, c’est-à-dire contenant 1 partie de citrate pour 218 parties d’eau, devinrent opaques et se colorèrent en rose pâle. Cette teinte disparut bientôt et elles restèrent blanches. Les tentacules et le limbe d’une de ces 2 feuilles étaient considérablement infléchis ; chez l’autre, ils l’étaient à peine ; toutefois, chez toutes deux, le protoplasma s’était agrégé dans toutes les cellules des tentacules jusqu’à la base et les masses sphériques de protoplasma dans les cellules situées immédiatement au-dessus des glandes s’étaient noircies. Au bout de vingt-quatre heures, une de ces feuilles était incolore et était évidemment morte.

Sulfate de quinine. — J’ajoutai une petite quantité de ce sel à de l’eau qui en dissout, dit-on, 1/1000e environ de son poids. Je plongeai 5 feuilles, chacune dans 30 minimes de cette solution qui avait un goût amer. En moins d’une heure, quelques tentacules d’une partie de ces feuilles étaient infléchis. Au bout de trois heures, la plupart des glandes prirent une teinte blanchâtre, d’autres une teinte foncée, beaucoup d’autres se marbrèrent singulièrement. Au bout de six heures, un bon nombre des tentacules de 2 feuilles étaient infléchis, mais ce degré très-modéré d’inflexion n’augmenta pas. Je sortis une des feuilles de la solution au bout de quatre heures et je la plongeai dans l’eau, le lendemain matin quelques-uns des tentacules infléchis s’étaient redressés, ce qui prouve qu’ils n’étaient pas morts, mais les glandes étaient encore très-décolorées. J’examinai avec beaucoup de soin, dans une autre expérience, une feuille que j’avais laissée dans la solution pendant trois heures quinze minutes ; le protoplasma contenu dans les cellules des tentacules extérieurs, ainsi que celui des cellules des tentacules courts du disque, s’était considérablement agrégé jusqu’à la base des tentacules ; je vis distinctement les petites masses de protoplasma changer assez rapidement de position et de forme ; elles se réunissaient et se séparaient de nouveau. Ce fait me surprit beaucoup, car on dit que la quinine arrête tous les mouvements des corpuscules blancs du sang ; mais comme, selon Binz[53], cela provient de ce que les corpuscules rouges ne leur fournissent plus d’oxygène, on ne pouvait guère s’attendre à observer un tel arrêt de mouvement chez le Drosera. Le changement de couleur des glandes suffisait à prouver qu’elles avaient absorbé une certaine quantité de sel, mais je pensai d’abord que la solution n’avait pas pénétré jusqu’aux cellules des tentacules où le protoplasma était entraîné par des mouvements très-actifs. Je pense toutefois que cette hypothèse est erronée, car, après avoir laissé pendant trois heures une feuille dans la solution de quinine, je la plongeai dans une solution contenant 1 partie de carbonate d’ammoniaque pour 218 parties d’eau ; au bout de trente minutes les glandes et les cellules supérieures des tentacules étaient devenues noir foncé et le protoplasma présentait un aspect très-extraordinaire ; il s’était, en effet, agrégé en masses réticulées de couleur sale laissant entre elles des espaces arrondis et angulaires. Or, comme le carbonate d’ammoniaque seul ne produit jamais semblable effet, il faut l’attribuer à l’action de la quinine. J’observai pendant quelques temps ces masses réticulées, mais elles ne changèrent pas de forme ; il faut donc en conclure que le protoplasma avait été tué par l’action combinée des deux sels, bien qu’il n’ait été exposé que fort peu de temps à cette action.

Une autre feuille, après une immersion de vingt-quatre heures dans la solution de quinine, devint quelque peu flasque et le protoplasma de toutes les cellules s’agrégea. La plupart des masses agrégées étaient devenues incolores et présentaient une apparence granuleuse ; ces masses étaient sphériques ou allongées, ou, plus ordinairement encore, consistaient en petites chaînes recourbées composées de petits globules. Aucune de ces masses n’était en mouvement, et, sans aucun doute, le protoplasma était mort.

Je plaçai sur le disque de 6 feuilles un demi-minime de la solution ; au bout de vingt-trois heures, tous les tentacules chez l’une des feuilles, quelques-uns chez 2 autres, étaient infléchis, chez les 3 autres aucun tentacule n’avait bougé ; il résulte de cette expérience que les glandes du disque, irritées par ce sel, ne transmettent aucune forte impulsion aux tentacules extérieurs. Au bout de quarante-huit heures, les glandes du disque des 6 feuilles étaient évidemment très-malades ou étaient mortes. Il est évident que ce sel est un poison violent[54].

Acétate de quinine. — Je plongeai 4 feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie d’acétate pour 437 parties d’eau. J’essayai la solution avec du papier de tournesol et elle ne présenta aucune trace d’acidité. Au bout de dix minutes, les tentacules des 4 feuilles s’étaient infléchis, et, au bout de six heures, cette inflexion était devenue considérable. Je laissai alors les feuilles dans l’eau pendant soixante heures, mais les tentacules ne se redressèrent pas ; les glandes étaient blanches et les feuilles évidemment mortes. Ce sel provoque l’inflexion beaucoup plus rapidement que le sulfate de quinine, et, comme ce dernier, est un poison violent.

Azotate de quinine. — Je plongeai 4 feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution contenant 1 partie d’azotate pour 437 parties d’eau. Au bout de six heures, c’est à peine si je pus observer une trace d’inflexion ; au bout de vingt-deux heures, les tentacules de 3 feuilles étaient modérément infléchis, et ceux de la quatrième légèrement. Il résulte donc de cette expérience que ce sel provoque une inflexion lente, mais bien prononcée. Après un séjour de quarante-huit heures dans l’eau, presque tous les tentacules se redressèrent, bien que les glandes fussent très-décolorées. Ce sel n’est donc pas un poison. On ne manquera pas de remarquer l’action si différente qu’exercent les trois sels de quinine dont nous venons de nous occuper.

Digitaline. — Je plaçai sur le disque de 5 feuilles un demi-minime d’une solution contenant 1 partie de digitaline pour 437 parties d’eau. Au bout de trois heures quarante-cinq minutes, les tentacules de quelques-unes de ces feuilles et le limbe de l’une d’elles étaient modérément infléchis. Au bout de huit heures, les tentacules de 3 feuilles étaient bien infléchis ; chez la quatrième, quelques tentacules seulement s’étaient mis en mouvement, et la cinquième, une vieille feuille, n’avait pas été affectée. Ces feuilles restèrent dans le même état, ou à peu près, pendant deux jours : toutefois, les glandes du disque étaient devenues pâles. Le troisième jour, les feuilles me semblèrent très-malades. Néanmoins, je plaçai sur deux d’entre elles des parcelles de viande, et les tentacules extérieurs s’infléchirent. J’appliquai à 3 glandes une goutte microscopique (environ 1/20e de minime) de la solution ; au bout de six heures, les 3 tentacules étaient infléchis, mais le lendemain ils s’étaient presque complètement redressés ; on peut conclure de cette expérience qu’une dose de digitaline s’élevant à 1/28800e de grain (0,00225 demilligr.) agit sur le tentacule sans constituer un poison. Il résulte de ces divers faits que la digitaline provoque l’inflexion et empoisonne les glandes qui en absorbent une certaine quantité.

Nicotine. — Je touchai avec une goutte microscopique de nicotine pure la sécrétion de plusieurs glandes ; ces glandes noircirent instantanément, et les tentacules s’infléchirent au bout de quelques minutes. Je plongeai 2 feuilles dans une faible solution contenant 2 gouttes de nicotine pour une once ou 437 grains d’eau. Au bout de trois heures vingt minutes, 21 tentacules seulement sur une feuille étaient étroitement infléchis, et 6 l’étaient légèrement sur l’autre ; mais toutes les glandes étaient devenues noires ou avaient pris tout au moins une couleur très-foncée, et le protoplasma dans toutes les cellules de tous les tentacules s’était agrégé et avait pris une teinte foncée. Les feuilles n’étaient pas tout à fait mortes, car, plongées dans une solution de carbonate d’ammoniaque (2 grains pour une once d’eau), quelques autres tentacules s’infléchirent sans que le reste se soit mis en action pendant un laps de temps de vingt-quatre heures.

Je plaçai sur le disque de 6 feuilles un demi-minime d’une solution plus forte (2 gouttes de nicotine pour 1/2 once d’eau) ; au bout de trente minutes, tous les tentacules dont les glandes s’étaient trouvées en contact immédiat avec la solution, ce qui était indiqué par leur teinte noire, s’étaient infléchis ; mais aucune impulsion n’avait été transmise aux tentacules extérieurs. Au bout de vingt-deux heures, la plupart des glandes du disque semblaient mortes ; il ne pouvait toutefois en être ainsi, car je plaçai sur 3 d’entre elles des parcelles de viande, et quelques tentacules extérieurs s’infléchiront au bout de vingt-quatre heures. Il résulte de ces expériences que la nicotine a une grande tendance à noircir les glandes et à provoquer l’agrégation du protoplasma ; mais, à moins qu’elle ne soit pure, elle ne provoque qu’une inflexion très-modérée et elle n’exerce qu’une action plus faible encore au point de vue de la transmission d’une impulsion des glandes du disque aux tentacules extérieurs. La nicotine n’est pas un poison violent.

Atropine. — J’ajoutai 1 grain d’atropine à 437 grains d’eau, mais cette quantité d’eau ne suffit pas a dissoudre l’alcaloïde ; j’ajoutai un autre grain à 437 grains d’un mélange contenant 1 partie d’alcool pour 7 parties d’eau ; je préparai une troisième solution en ajoutant 1 partie de valérianate d’atropine à 437 parties d’eau. Je plaçai un demi-minime de chacune de ces 3 solutions sur le disque de 6 feuilles, mais sans obtenir aucun effet, si ce n’est toutefois que les glandes qui reçurent la solution de valérianate furent légèrement décolorées. Les 6 feuilles sur lesquelles j’avais laissé, pendant vingt et une heures, une goutte de la solution d’atropine dans de l’alcool étendu d’eau s’infléchirent bien vingt-quatre heures après avoir reçu des parcelles de viande ; de sorte que l’on peut conclure que l’atropine ne provoque aucun mouvement des tentacules et n’est pas un poison. J’expérimentai aussi de la même façon avec l’alcaloïde qui se vend sous le nom de daturine, mais qui, croit-on, ne diffère pas de l’atropine ; cet alcaloïde ne produisit aucun effet. Je plaçai aussi des parcelles de viande sur 3 feuilles qui, pendant vingt-quatre heures, avaient supporté une goutte de cette dernière solution ; au bout de vingt-quatre heures, un assez grand nombre des tentacules sous-marginaux de ces feuilles étaient infléchis.

Vératrine, colchicine, théine. — Je préparai des solutions de ces 3 alcaloïdes en ajoutant 1 partie de chacun d’eux à 437 parties d’eau. Je plaçai dans chaque cas un demi-minime de la solution sur le disque d’au moins 6 feuilles, mais aucune d’elles ne provoqua l’inflexion, sauf peut-être la solution de théine. Comme nous l’avons déjà dit, un demi-minime d’une forte infusion de thé ne produit aucun effet. J’expérimentai aussi avec des gouttes semblables d’une infusion contenant 1 partie d’extrait de colchique, vendu par le pharmacien, pour 218 parties d’eau ; je surveillai les feuilles pendant quarante-huit heures, mais il ne se produisit aucune inflexion. Je plaçai des parcelles de viande sur les 7 feuilles qui avaient été pendant vingt-six heures en contact avec des gouttes de vératrine ; au bout de vingt et une heures, les tentacules étaient bien infléchis. Il résulte de ces expériences que ces trois alcaloïdes sont absolument inoffensifs.

Curare. — J’ajoutai 1 partie de ce fameux poison à 218 parties d’eau et je plongeai 3 feuilles dans 90 minimes de la solution. Au bout de trois heures trente minutes, quelques tentacules étaient un peu infléchis et le limbe d’une feuille au bout de quatre heures. Au bout de sept heures, les glandes étaient devenues très-noires, ce qui prouve qu’elles avaient absorbé certaines matières. Au bout de neuf heures, presque tous les tentacules de 2 feuilles étaient infléchis à moitié, toutefois l’inflexion n’augmenta pas dans le cours des vingt-quatre heures qui suivirent. Je plongeai dans l’eau une des feuilles qui était restée pendant neuf heures dans la solution, et, le lendemain matin, les tentacules s’étaient presque complètement redressés. Je plongeai aussi les 2 autres feuilles dans l’eau après une immersion de vingt-quatre heures dans la solution, et, au bout de vingt-quatre heures, elles se redressèrent, bien que leurs glandes restassent très-noires. Je plaçai un demi-minime de la solution sur le disque de 6 feuilles sans qu’il se produisît aucune inflexion : au bout de trois jours, les glandes du disque me parurent assez sèches, mais, à ma grande surprise, elles n’étaient pas noircies. Dans une autre expérience, je plaçai une quantité semblable de la solution sur le disque de 6 feuilles et j’observai bientôt une inflexion considérable, mais dans ce cas je n’avais pas filtré cette solution, et il se peut que des parcelles solides en suspension aient exercé une action sur les glandes. Au bout de vingt-quatre heures, je plaçai des parcelles de viande sur le disque de 3 de ces feuilles dont les tentacules s’infléchirent fortement le lendemain. Je pensai d’abord que peut-être le poison ne s’était pas dissous dans l’eau pure, aussi je préparai une nouvelle solution en ajoutant 1 grain de curare à 437 grains d’un mélange contenant 1 partie d’alcool pour 7 parties d’eau, et je plaçai un demi-minime de cette solution sur le disque de 6 feuilles. Elles ne furent affectées en aucune façon et, quand un jour après je plaçai sur elles des parcelles de viande, les tentacules s’infléchirent légèrement au bout de cinq heures et fortement au bout de vingt-quatre heures. Il résulte de ces diverses expériences qu’une solution de curare provoque une inflexion très-minime qu’il faut peut-être attribuer à la présence d’une petite quantité d’albumine. En tout cas, le curare n’agit pas comme poison. Chez une des feuilles qui était restée plongée pendant vingt-quatre heures dans la solution et dont les tentacules s’étaient légèrement infléchis, le protoplasma s’était agrégé dans une faible mesure, mais pas plus qu’il n’arrive quelquefois à la suite d’une immersion aussi prolongée dans l’eau.

Acétate de morphine. Je fis un grand nombre d’expériences avec cette substance, mais sans obtenir des résultats bien certains. Je plongeai un nombre considérable de feuilles dans une solution contenant 1 partie d’acétate de morphine pour 218 parties d’eau et je les y laissai de deux à six heures, sans que les tentacules d’aucune d’elles s’infléchissent. Elles ne furent pas non plus empoisonnées, car lavées et plongées dans de faibles solutions de phosphate et de carbonate d’ammoniaque elles s’infléchirent bientôt fortement et le protoplasma des cellules s’agrégea complétement. Toutefois, si l’on ajoute du phosphate d’ammoniaque à la solution de morphine dans laquelle plongent les feuilles, l’inflexion ne se produit pas rapidement. J’appliquai de la façon ordinaire des gouttes microscopiques de la solution à la sécrétion de 30 ou 40 glandes ; cette application sembla considérablement retarder l’inflexion des tentacules sur les glandes desquels j’avais placé six minutes après des parcelles de viande, un peu de salive ou des éclats microscopiques de verre ; dans d’autres expériences, au contraire, aucun retard semblable ne se produisit. Des gouttes d’eau appliquées dans les mêmes conditions ne retardent jamais l’inflexion des tentacules ; des gouttes d’une solution de sucre de la même force, c’est-à-dire contenant 1 partie de sucre pour 218 parties d’eau retardent quelquefois l’action subséquente de la viande et des parcelles de verre, mais quelquefois aussi n’ont aucun effet. Je pensai un moment que la morphine agit comme narcotique sur le Drosera, mais j’ai dû renoncer à cette hypothèse quand de nombreuses expériences m’eurent démontré de quelle façon singulière l’immersion dans certains sels et dans certains acides non vénéneux empêchent l’action subséquente du phosphate d’ammoniaque.

Extrait de jusquiame. Je plongeai plusieurs feuilles, chacune dans 30 minimes d’une infusion contenant pour 1 once d’eau 3 grains de l’extrait tel qu’il est vendu par les pharmaciens. Après être resté pendant cinq heures quinze minutes dans la solution, l’une de ces feuilles n’était pas infléchie ; je la plongeai alors dans une solution de carbonate d’ammoniaque (1 grain pour 1 once d’eau) ; au bout de deux heures quarante minutes, les tentacules étaient considérablement infléchis et les glandes très-noircies. Je plongeai dans 120 minimes d’une solution de phosphate d’ammoniaque (1 grain de phosphate pour 20 onces d’eau) 4 feuilles, qui étaient restées pendant deux heures quatorze minutes dans la solution d’hyoscyamine ; cette dernière avait déjà provoqué chez elle une légère inflexion due probablement à la présence de quelques matières albumineuses, mais cette inflexion augmenta immédiatement, et au bout d’une heure elle était fortement marquée. L’hyoscyamine n’agit donc ni comme narcotique ni comme poison.

Poison provenant du crochet d’une vipère vivante. — Je plaçai des gouttes microscopiques de ce poison sur les glandes de beaucoup de tentacules ; ces tentacules s’infléchirent rapidement tout comme si on les avait touchés avec de la salive. Le lendemain matin, au bout de dix-sept heures trente minutes, ils se redressèrent tous et ne parurent avoir été attaqués en aucune façon.

Poison du cobra. — Le docteur Fayrer, bien connu pour ses recherches sur le poison de ce terrible serpent, a été assez bon pour m’en donner une certaine quantité desséchée. Ce poison est une substance albumineuse analogue, pense-t-on, a la ptyaline de la salive[55]. J’appliquai à la sécrétion de 4 glandes une goutte microscopique (environ 1/20e de minime) d’une solution contenant 1 partie de poison pour 437 parties d’eau, de façon à ce que chaque glande reçût 1/38400e de grain (0,0016 de milligr.) de poison. Je répétai l’opération sur 4 autres glandes ; au bout de quinze minutes, quelques-uns de ces 8 tentacules étaient bien infléchis et tous l’étaient au bout de deux heures. Le lendemain matin, c’est-à-dire au bout de vingt-quatre heures, les tentacules étaient encore infléchis et les glandes avaient pris une teinte rose très-pâle. Au bout d’un nouveau laps de temps de vingt-quatre heures, les tentacules s’étaient presque redressés et ils l’étaient complètement le lendemain, mais la plupart des glandes étaient restées presque blanches.

Je plaçai sur le disque de 3 feuilles un demi-minime de la même solution, de façon à ce que chacune reçoive 1/960e de grain (0,0675 de milligr.) de poison. Au bout de quatre heures quinze minutes, les tentacules extérieurs étaient très-infléchis ; au bout de six heures trente minutes, les tentacules de 2 de ces feuilles et le limbe de l’une d’elles étaient fortement infléchis ; la troisième feuille n’avait été que modérément affectée. Les feuilles restèrent dans le même état pendant un jour et se redressèrent au bout de quarante-huit heures.

Je plongeai alors 3 feuilles, chacune dans 30 minimes de la solution, de façon à ce que chacune d’elles se trouve en présence de 1/16e de grain (4,048 milligr.) de poison. Au bout de six minutes, j’observai une légère inflexion qui augmenta régulièrement, de sorte qu’au bout de deux heures trente minutes, tous les tentacules des 3 feuilles étaient étroitement infléchis ; les glandes prirent d’abord une teinte un peu plus foncée, puis elles devinrent pâles ; le protoplasma des cellules des tentacules s’agrégea en partie. J’examinai les petites masses de protoplasma au bout de trois heures d’immersion, puis au bout de sept heures ; dans aucune autre occasion je n’ai vu le protoplasma subir des changements de forme aussi rapides. Au bout de huit heures trente minutes, les glandes étaient devenues complètement blanches ; elles n’avaient pas sécrété une quantité considérable de mucus. Je plongeai alors les feuilles dans l’eau ; après quarante heures d’immersion, les tentacules se redressèrent, ce qui prouve que les feuilles n’avaient pas souffert. Pendant cette immersion dans l’eau, j’examinai, à plusieurs reprises, le protoplasma contenu dans les cellules des tentacules et je pus m’assurer que des mouvements violents l’agitaient encore.

Je plongeai alors 2 feuilles, chacune dans 30 minimes d’une solution beaucoup plus forte contenant 1 partie de poison pour 109 parties d’eau, de façon que, chaque feuille reçoive 1/4 de grain ou 16,2 milligr. de poison. Au bout d’une heure quarante-cinq minutes, les tentacules sous-marginaux étaient fortement infléchis et les glandes étaient un peu pâles ; au bout de trois heures trente minutes, tous les tentacules des 2 feuilles étaient étroitement infléchis et les glandes étaient devenues blanches. Il résulte de cette expérience, comme nous l’avons vu déjà dans tant d’autres cas, que la solution plus faible a provoqué une inflexion plus rapide que la solution plus forte ; toutefois cette dernière a blanchi les glandes beaucoup plus rapidement que la première. J’examinai quelques tentacules après une immersion de vingt-quatre heures ; le protoplasma, qui conservait encore une belle couleur pourpre, s’était agrégé en petites masses globulaires. Ces masses changeaient de forme avec une rapidité remarquable. Je les examinai de nouveau après une immersion de quarante-huit heures ; les mouvements du protoplasma étaient alors si évidents qu’on pouvait les étudier facilement avec un faible grossissement. Je plongeai alors les feuilles dans l’eau et, au bout de vingt-quatre heures, c’est-à-dire soixante-douze heures, à partir du moment de leur première immersion, les petites masses de protoplasma qui avaient pris une teinte pourpre sale étaient encore agitées de mouvements rapides ; elles changeaient constamment de forme se réunissant et se séparant à chaque instant.

Huit heures après l’immersion de ces 2 feuilles dans l’eau, c’est-à-dire cinquante-six heures après leur première immersion dans la solution, les tentacules commencèrent à se redresser et le lendemain matin ce redressement avait fait quelques progrès. Le surlendemain, c’est-à-dire le quatrième jour après leur immersion dans la solution, les tentacules étaient considérablement, mais non pas complètement redressés. J’examinai alors le contenu des tentacules : les masses agrégées de protoplasma s’étaient presque complètement dissoutes, et les cellules étaient remplies d’un liquide homogène, à l’exception çà et là d’une petite masse globulaire. Nous voyons donc que le protoplasma n’avait été en aucune façon attaqué par le poison. Comme les glandes étaient devenues si rapidement blanches, il me vint à la pensée que leur tissu avait pu se modifier de façon à empêcher le poison de passer dans les cellules situées au-dessous d’elles, et qu’en conséquence le protoplasma de ces cellules n’avait pu être attaqué par le poison. Pour m’en assurer je plongeai une autre feuille qui avait séjourné pendant quarante-huit heures dans la solution de poison et ensuite vingt-quatre heures dans l’eau, dans une faible quantité d’une solution contenant 1 partie de carbonate d’ammoniaque pour 218 parties d’eau : au bout de trente minutes, le protoplasma des cellules situées au-dessous des glandes prit une teinte plus foncée et au bout de vingt-quatre heures, les tentacules étaient remplis jusqu’à la base de masses sphériques de protoplasma de couleur foncée. Il résulte de cette expérience que les glandes n’avaient pas perdu leurs facultés d’absorption, tout au moins en ce qui concerne le carbonate d’ammoniaque.

Ces divers faits prouvent que le poison du cobra, bien que terrible pour les animaux, n’agit pas comme poison sur le Drosera : cependant ce poison provoque une inflexion rapide et considérable des tentacules, et fait disparaître bientôt la couleur des glandes. Il semble même agir comme un stimulant sur le protoplasma, car avec l’expérience considérable que j’ai acquise sur les mouvements de cette substance dans le Drosera, je ne me rappelle cependant pas l’avoir vu dans un état aussi actif sous l’influence d’une autre matière quelle qu’elle soit. J’étais, par conséquent, très-désireux de savoir quelle est l’action de ce poison sur le protoplasma des animaux. Le docteur Fayrer fut assez bon pour faire, à ma demande, quelques expériences qu’il a publiées depuis[56]. Il plongea dans une solution contenant 0,03 grammes de poison de cobra pour 4.6 centimètres cubes d’eau, l’épithélium ciliaire de la bouche d’une grenouille : en même temps, il en plongeait d’autres dans l’eau pure pour avoir un terme de comparaison. Les mouvements des cils plongés dans la solution semblèrent augmenter d’abord, mais ils diminuèrent bientôt et, au bout de quinze ou vingt minutes, ils cessèrent complètement ; tandis que ceux plongés dans l’eau agissaient encore vigoureusement. Les corpuscules blancs du sang d’une grenouille et les cils de 2 infusoires, un Paramœcium et un Volvox furent semblablement affectés par le poison. Le docteur Fayrer a trouvé aussi que le muscle d’une grenouille perd son irritabilité après une immersion de vingt minutes dans la solution, car il devient alors insensible à l’action d’un fort courant électrique. D’autre part, les mouvements des cils de l’enveloppe d’un Unio ne furent point arrêtés, même après avoir séjourné pendant un temps considérable dans une solution très-concentrée. En résumé, il semble prouvé que le poison du cobra attaque beaucoup plus vivement le protoplasma des animaux élevés qu’il n’attaque celui du Drosera.

Il y a encore un point qu’il est bon de mentionner. J’ai observé parfois que certaines solutions, et surtout certains acides, rendent quelque peu troubles les gouttes de sécrétions qui entourent les glandes, une espèce de couche se formant à la surface des gouttes ; mais je n’ai jamais vu cet effet produit de façon aussi évidente que par le poison du cobra. Chaque fois que j’ai employé la solution la plus forte, les gouttes, au bout de dix minutes, avaient tout l’aspect de petits nuages arrondis. Au bout de quarante-huit heures, la sécrétion se transformait en fils et en lames de substances membraneuses comprenant des petits granules de différentes grosseurs.

Camphre. — Je grattai du camphre et je plaçai la poudre ainsi obtenue dans une bouteille contenant de l’eau distillée ; je l’y laissai un jour, puis je filtrai. Une solution faite dans ces conditions contient, dit-on, 1/1000e de son poids de camphre ; en tout cas, cette solution avait l’odeur et le goût du camphre. Je plongeai 10 feuilles dans cette solution ; au bout de quinze minutes, les tentacules de 5 feuilles étaient bien infléchis ; ceux des deux autres avaient commencé à s’infléchir au bout de 11 et de 12 minutes ; ceux de la sixième feuille ne commencèrent à se mettre en mouvement qu’au bout de quinze minutes, mais ils étaient bien infléchis au bout de dix-sept minutes, et ils l’étaient fortement au bout de vingt-quatre minutes ; ceux de la septième feuille commencèrent leur mouvement au bout de dix-sept minutes et étaient fortement infléchis au bout de vingt-six minutes. La huitième, la neuvième et la dixième feuille étaient vieilles et d’un rouge très-foncé ; les tentacules de ces feuilles ne s’infléchirent pas après une immersion de vingt-quatre heures ; il faut donc éviter d’employer des feuilles semblables à celles-là quand on veut faire des expériences avec le camphre. Quelques-unes de ces feuilles laissées pendant quatre heures dans la solution prirent une teinte rose assez sale et sécrétèrent beaucoup de mucus ; bien que leurs tentacules fussent fortement infléchis, le protoplasma des cellules ne s’était pas du tout agrégé. Toutefois, dans une autre expérience, après une immersion de vingt-quatre heures, j’observai une agrégation bien marquée. Une solution faite en ajoutant 2 gouttes d’alcool camphré à 1 once d’eau n’exerça aucune action sur une feuille ; d’autre part, une autre solution faite par l’addition de 30 minimes d’alcool camphré à 1 once d’eau a exercé une action sur 2 feuilles plongées ensemble dans la solution.

M. Vogel a démontré[57] que les fleurs de diverses plantes se fanent moins vite quand on plonge la tige dans une solution de camphre que lorsqu’on la plonge dans l’eau ; il a démontré, en outre, que si les fleurs sont déjà un peu fanées elles reprennent plus vite leur fraîcheur dans la solution de camphre.

La solution de camphre accélère aussi la germination de certaines graines. Le camphre agit donc comme stimulant vis-à-vis des plantes et c’est le seul que l’on connaisse. Cela m’a conduit à faire de nombreuses expériences pour m’assurer si le camphre rend les feuilles du Drosera plus sensibles à une irritation mécanique qu’elles ne le sont ordinairement. Je plongeai 6 feuilles dans de l’eau distillée et les y laissai pendant cinq ou six minutes, puis je passai légèrement sur elles, à deux ou trois reprises différentes, pendant qu’elles étaient encore sous l’eau, un pinceau très-doux en poils de chameau ; il ne se produisit aucun mouvement. Ensuite, je passai une fois seulement le même pinceau, de la même façon qu’auparavant, sur neuf feuilles plongées dans une solution de camphre et que j’y ai laissées le temps indiqué dans le tableau suivant. Dans mes premiers essais je passai le pinceau sur les feuilles quand elles étaient encore dans la solution ; mais il me vint à la pensée que je pouvais enlever, en le faisant, la sécrétion visqueuse qui entoure les glandes et que, par conséquent, la solution de camphre pouvait agir plus efficacement sur elles. En conséquence, dans tous les essais subséquents, je sortais les feuilles de la solution de camphre, je les agitais pendant quinze secondes environ dans l’eau, je les plongeais alors dans de l’eau pure et je passais le pinceau sur elles, de façon à ce que cette irritation mécanique ne permette pas au camphre d’agir plus librement sur les glandes ; toutefois, cette différence de traitement ne modifie en rien les résultats.


numéro des
feuilles.
durée
de immersion dans la solution de camphre.
laps de temps écoulé
entre le moment, de l’irritation par le pinceau et l’inflexion des tentacules.
laps de temps écoulé
entre l’immersion des feuilles dans la solution et les premiers signes d’inflexion des tentacules.
1 5 minutes
3 minutes, inflexion considérable ; 4 minutes, tous les tentacules infléchis, sauf 3 ou 4.
8 minutes
2 5 minutes
6 minutes, premiers signes d’inflexion.
11 minutes
3 5 minutes
6 minutes 30 secondes, légère inflexion ; 7 minutes 30 secondes, inflexion prononcée.
11 minutes 30 sec.
4 4 minutes 30 s.
2 minutes 30 secondes, traces d’inflexion ; 3 minutes, inflexion prononcée ; 4 minutes, inflexion fortement marquée.
7 minutes
5 4 minutes
2 minutes, 30 secondes, traces d’inflexion ; 3 minutes, inflexion prononcée.
6 minutes 30 sec.
6 4 minutes
2 minutes 30 secondes, inflexion prononcée ; 3 minutes 30 secondes, inflexion fortement marquée.
6 minutes 30 sec.
7 4 minutes
2 minutes 30 secondes, légère inflexion ; 3 minutes, inflexion marquée ; 4 minutes, inflexion très-prononcée.
6 minutes 30 sec.
8 3 minutes
2 minutes traces d’inflexion ; 3 minutes, inflexion considérable ; 6 minutes, inflexion très-considérable.
5 minutes
9 3 minutes
2 minutes, traces d’inflexion ; 3 minutes, inflexion considérable ; 6 minutes, inflexion très-considérable.
5 minutes


Je laissai d’autres feuilles dans la solution sans les irriter avec le pinceau ; une trace d’inflexion se montra chez une de ces feuilles au bout de onze minutes ; chez une deuxième, au bout de douze minutes ; 5 autres ne commencèrent à s’infléchir qu’au bout de quinze minutes, et 2 autres enfin que quelques minutes plus tard. On verra, en jetant les yeux sur la colonne de droite du tableau ci-dessus, que la plupart des feuilles plongées dans la solution et irritées ensuite avec le pinceau, s’infléchissent beaucoup plus rapidement. En outre, les mouvements des tentacules chez quelques-unes de ces feuilles étaient si rapides qu’on pouvait le suivre en se servant d’une loupe très-faible.

Il est bon de relater deux ou trois autres expériences. Une vieille feuille, très-grande, qui était restée plongée pendant dix minutes dans la solution de camphre, ne semblait pas disposée à s’infléchir de longtemps ; je passai donc le pinceau sur elle, et, au bout de deux minutes, les tentacules se mettaient en mouvement et étaient totalement infléchis au bout de trois minutes. Une autre feuille, après une immersion de quinze minutes, ne présentait aucune trace d’inflexion ; je passai le pinceau sur elle, et, au bout de quatre minutes, les tentacules étaient considérablement infléchis. Après une immersion de dix-sept minutes, une troisième feuille ne présentait non plus aucune trace d’inflexion ; je passai le pinceau sur elle, mais au bout d’une heure, les tentacules n’avaient pas encore bougé ; c’était donc là une exception. Je passai de nouveau le pinceau sur cette feuille, et cette fois, neuf minutes après, quelques tentacules s’infléchirent ; l’exception n’était donc pas absolue.

On peut conclure de ces expériences qu’une petite dose de camphre en solution constitue pour le Drosera un stimulant énergique. Elle excite non-seulement l’inflexion des tentacules, mais elle semble aussi rendre les glandes sensibles à un attouchement qui, par lui-même, ne provoque aucun mouvement. Il se peut qu’une légère irritation mécanique, qui n’est pas suffisante en elle-même pour provoquer l’inflexion, donne cependant à la feuille une légère tendance au mouvement et que cette irritation vienne ainsi s’ajouter à l’action du camphre. Cette dernière hypothèse m’aurait paru la plus probable s’il n’avait été démontré par M. Vogel que le camphre, sous d’autres rapports, constitue un stimulant pour diverses plantes et pour diverses graines.

J’exposai 2 plants, portant chacun 4 ou 5 feuilles, et dont les racines reposaient dans une soucoupe pleine d’eau, à la vapeur de quelques morceaux de camphre, gros environ comme une noisette, en plaçant le tout sous une cloche ayant une capacité de 10 onces fluides. Au bout de dix heures, aucune inflexion ne s’était produite, mais les glandes semblaient émettre des sécrétions plus abondantes. Les feuilles étaient narcotisées, car je plaçai sur 2 d’entre elles des petits morceaux de viande, et, au bout de trois heures quinze minutes, aucune inflexion ne s’était produite ; au bout même de treize heures quinze minutes, quelques tentacules extérieurs seulement étaient légèrement infléchis ; toutefois, ce degré de mouvement prouve qu’une exposition de dix heures aux vapeurs du camphre n’avait pas tué les feuilles.

Huile de carvi. — On dit que l’eau dissout 1/1000e environ de son poids de cette huile. Je mis une goutte d’huile dans une once d’eau, et j’eus soin de secouer maintes fois la bouteille pendant la journée ; toutefois, beaucoup de petits globules ne furent pas dissous. Je plongeai cinq feuilles dans ce mélange ; au bout de quatre ou cinq minutes, j’observai une légère inflexion qui, après deux ou trois autres minutes, augmenta dans des proportions assez considérables. Au bout de quatorze minutes, tous les tentacules des cinq feuilles étaient bien infléchis, et quelques-uns l’étaient même fortement. Au bout de six heures, les glandes qui avaient sécrété beaucoup de mucus étaient devenues blanches, les feuilles flasques affectaient une couleur rouge sombre toute particulière ; évidemment elles étaient mortes. Après une immersion de quatre minutes, j’excitai une des feuilles avec le pinceau, de même que j’avais fait pour celles plongées dans la solution de camphre ; mais cette excitation ne produisit aucun effet ; je plaçai un plant, dont les racines reposaient dans l’eau, sous une cloche d’une capacité de 10 onces pour l’exposer à la vapeur de cette huile ; au bout d’une heure vingt minutes, une feuille présenta quelques traces d’inflexion. Au bout de cinq heures vingt minutes, j’enlevai la cloche pour examiner les feuilles ; tous les tentacules de l’une d’elles étaient fortement infléchis ; chez une seconde, la moitié environ des tentacules était infléchie ; chez une troisième, tous les tentacules étaient à moitié infléchis. J’exposai alors la plante à l’air libre pendant quarante-deux heures, mais pas un seul tentacule ne se redressa ; toutes les glandes semblaient mortes, sauf çà et là, une ou deux, qui sécrétaient encore du mucus. Il est évident que cette huile est en même temps un stimulant et un poison violent pour le Drosera.

Essence de girofle. — Je préparai un mélange de la même façon que dans le cas précédent, j’y plongeai 3 feuilles. Au bout de trente minutes, j’observai quelques signes d’inflexion qui n’augmentèrent jamais. Au bout d’une heure trente minutes, les glandes étaient devenues pâles, et blanches au bout de six heures. Sans aucun doute, les feuilles avaient été vivement attaquées, ou même elles avaient été tuées.

Essence de térébenthine. — Quelques gouttes placées sur le disque de plusieurs feuilles les tuèrent, comme le fait la créosote. Je laissai un plant pendant quinze minutes sous une cloche d’une capacité de 12 onces, après avoir humecté la surface intérieure de cette cloche avec 12 gouttes d’essence de térébenthine ; aucun mouvement ne se produisit chez les tentacules. Au bout de vingt-quatre heures, la plante était morte.

Glycérine. — Je plaçai 1/2 minime de glycérine sur le disque de 3 feuilles ; au bout de deux heures, quelques tentacules extérieurs de ces feuilles étaient irrégulièrement infléchis ; au bout de dix-neuf heures, les feuilles étaient devenues flasques et semblaient mortes ; les glandes qui s’étaient trouvées en contact avec la glycérine étaient incolores. J’appliquai des gouttes microscopiques (environ 1/20e de minime) aux glandes de plusieurs tentacules ; au bout de quelques minutes, ces glandes se mirent en mouvement et atteignirent bientôt le centre de la feuille. J’appliquai de la même façon, à plusieurs glandes, des gouttes semblables d’un mélange contenant 4 gouttes de glycérine pour une once d’eau ; quelques tentacules se mirent en mouvement, et encore ce mouvement fut-il très-lent et très-peu prononcé. Je plaçai 1/2 minime de ce même mélange sur le disque de plusieurs feuilles ; à ma grande surprise, aucune inflexion ne s’était produite au bout de quarante-huit heures. Je plaçai alors sur ces mêmes feuilles des petits morceaux de viande ; le lendemain, les tentacules étaient bien infléchis, quoique quelques-unes des glandes du disque fussent presque incolores. Je plongeai 2 feuilles dans le même mélange, mais je ne les y laissai séjourner que quatre heures ; leurs tentacules ne s’infléchirent pas ; je les plongeai ensuite dans une solution de carbonate d’ammoniaque (1 grain de carbonate pour une once d’eau) ; au bout de deux heures trente minutes, les glandes s’étaient noircies, les tentacules infléchis, et le protoplasma des cellules était agrégé. Il résulte de ces expériences qu’un mélange de 4 gouttes de glycérine pour une once d’eau n’est pas un poison et ne provoque qu’une inflexion très-insignifiante ; d’autre part, la glycérine pure est un poison, et, si on l’applique en quantité très-minime aux glandes des tentacules extérieurs, elle provoque leur inflexion.

Effets de l’immersion dans l’eau et dans diverses solutions, relativement à l’action subséquente du phosphate et du carbonate d’ammoniaque. — Nous avons vu dans le troisième et le septième chapitre, que l’immersion dans l’eau distillée provoque, au bout de quelque temps, un certain degré d’agrégation du protoplasma et une inflexion modérée, surtout chez les plantes que l’on a cultivées dans un milieu ambiant ayant une température assez élevée. L’eau ne provoque pas des sécrétions abondantes. Il nous faut considérer actuellement les effets de l’immersion dans divers liquides relativement à l’action subséquente des sels d’ammoniaque et d’autres stimulants. J’ai placé sur 4 feuilles, que j’avais laissées dans l’eau pendant vingt-quatre heures, des petits morceaux de viande, mais les tentacules ne se refermèrent pas sur eux. Je plongeai 10 feuilles, après une immersion semblable, dans une forte solution de phosphate d’ammoniaque (1 grain de phosphate, pour 20 onces d’eau) ; je les y laissai pendant vingt-quatre heures, et au bout de ce temps, j’observai, chez une seulement, une légère trace d’inflexion. Je laissai 3 de ces feuilles un jour de plus dans cette solution, et aucune d’elles ne fut affectée. Toutefois, quand quelques-unes de ces feuilles qui avaient été plongées d’abord dans l’eau pendant vingt-quatre heures, puis dans une solution de phosphate pendant vingt-quatre heures, furent plongées dans une solution de carbonate d’ammoniaque (1 partie de carbonate pour 218 parties d’eau), le protoplasma des cellules des tentacules s’agrégea fortement au bout de vingt-quatre heures, ce qui prouve que les glandes avaient absorbé ce sel, et qu’un effet avait été produit.

Une courte immersion de vingt minutes dans l’eau ne retarde pas l’action subséquente du phosphate d’ammoniaque ou des éclats de verre placés sur les glandes ; toutefois, dans deux cas différents, une immersion de cinquante minutes dans l’eau a empêché tout effet d’une solution de camphre. Plusieurs feuilles que j’avais laissées pendant vingt minutes dans une solution d’une partie de sucre blanc pour 218 parties d’eau, furent plongées dans la solution de phosphate dont l’action fut retardée ; tandis qu’une solution de sucre et de phosphate mélangées ensemble, n’a aucune influence sur les effets de ce dernier. Je plongeai dans une solution de carbonate d’ammoniaque (1 partie pour 218 parties d’eau) 3 feuilles que j’avais laissées pendant vingt minutes dans la solution de sucre ; au bout de deux ou trois minutes, les glandes étaient noires, et, au bout de sept minutes, les tentacules étaient considérablement infléchis, de sorte que bien que la solution de sucre retarde l’action du phosphate, elle ne retarde pas celle du carbonate. L’immersion pendant vingt minutes dans une solution semblable de gomme arabique ne retarde en aucune façon l’action du phosphate. Je laissai 3 feuilles pendant vingt minutes dans un mélange d’une partie d’alcool pour 7 parties d’eau, puis je les plongeai dans la solution de phosphate ; au bout de deux heures quinze minutes, j’observai chez une feuille une trace d’inflexion ; au bout de cinq heures trente minutes, une seconde feuille fut légèrement affectée ; l’inflexion augmenta subséquemment, mais très-lentement. Il résulte de cette expérience que l’alcool étendu d’eau qui, comme nous le verrons, est à peine un poison, retarde très-certainement l’action subséquente du phosphate d’ammoniaque.

J’ai démontré, dans le dernier chapitre, que des feuilles dont les tentacules ne s’infléchissent pas après un jour d’immersion dans les solutions de différents sels et de différents acides, se conduisent de façon toute différente les unes des autres quand on les plonge ensuite dans la solution de phosphate. Le tableau suivant résume les résultats obtenus.


nom des sels
et des acides contenus dans la solution.
durée
de l’immersion des feuilles dans la solution d’acide ou de sel contenant 1 partie pour 437 parties d’eau
effets produits sur les feuilles
par leur immersion subséquente pendant un laps de temps indiqué dans une solution contenant 1 partie de phosphate d’ammoniaque pour 8,750 parties d’eau ou 1 grain pour 20 onces.
Chlorure de rubidium
22 heures
Au bout de 30 m., forte inflexion des tentacules.
Carbonate de potasse
20 minutes.
Au bout de 5 h. seulement, une légère inflexion.
Acétate de chaux
24 heures.
Au bout de 24 h., inflexion très-légère.
Azotate de chaux
24 heures.
Au bout de 24 h., inflexion très-légère.
Acétate de magnésie
22 heures.
Inflexion légère qui devint très-marquée au bout de 24 h.
Azotate de magnésie
22 heures.
Au bout de 4 h. 30 m., inflexion assez prononcée, qui n’augmenta plus.
Chlorure de magnésium
22 heures.
Au bout de quelques minutes, forte inflexion ; au bout de 4 h., presque tous les tentacules étroitement infléchis.
Acétate de baryte
22 heures.
Au bout de 24 h les tentacules de 2 feuilles sur 4 sont légèrement infléchis.
Azotate de baryte
22 heures.
Au bout de 30 m., les tentacules d’une feuille considérablement infléchis, ceux de 2 autres modérément ; ils restent en cet état pendant 24 h.
Acétate de strontiane
22 heures
Au bout de 25 m., les tentacules de 2 feuilles considérablement infléchis ; au bout de 8 h., ceux d’une 3e modérément, et ceux d’une 4e très-légèrement. Les 4 feuilles restent en cet état, pendant 24 h.
Azotate de strontiane.
22 heures
Au bout de 8 h., les tentacules de 3 feuilles sur 5 modérément infléchis ; au bout de 24 h., les tentacules des 5 feuilles sont dans ce même état, mais aucun n’est étroitement infléchi.
Chlorure d’aluminium.
24 heures
3 feuilles dont les tentacules n’avaient pas été affectés ou ne l’avaient été que très-légèrement par le chlorure, s’infléchissent assez étroitement au bout de 7 h. 30 m.
Azotate d’alumine.
24 heures
Au bout de 25 h., effet léger et douteux.
Chlorure de plomb.
23 heures
Au bout de 24 h., les tentacules de 2 feuilles quelque peu infléchis, ceux de la 3e très-peu ; les feuilles restent dans cet état.
Chlorure de manganèse.
22 heures
Au bout de 48 h., pas la moindre inflexion.
Acide lactique
48 heures
Au bout de 24 h., trace d’inflexion chez quelques tentacules dont les glandes n’avaient pas été tuées par l’acide.
Acide tannique
24 heures
Au bout de 24 h., aucune inflexion.
Acide tartrique
24 heures
Au bout de 24 h., aucune inflexion.
Acide citrique
24 heures
Au bout de 50 m., les tentacules certainement infléchis ; au bout de 5 h. ils le sont fortement et restent dans cet état pendant 24 h.
Acide formique
22 heures
Je n’ai observé cette feuille qu’au bout de 24 h. ; les tentacules étaient alors considérablement infléchis, et le protoplasma agrégé.


Dans une grande majorité des vingt cas que nous venons de citer, la solution de phosphate d’ammoniaque a lentement causé un certain degré d’inflexion. Toutefois, dans quatre cas, l’inflexion a été rapide, car elle s’est produite en moins d’une demi-heure, ou tout au plus en cinquante minutes. Par contre, dans trois cas, la solution de phosphate n’a produit aucun effet. Or, que conclure de ces faits ? Dix essais différents nous ont prouvé que l’immersion dans l’eau distillée suffit pour prévenir l’action subséquente de la solution de phosphate d’ammoniaque. On pourrait donc conclure que les solutions de chlorure de manganèse, d’acide tannique et d’acide tartrique qui ne sont pas des poisons, agissent exactement comme l’eau, car le phosphate d’ammoniaque n’a provoqué aucun effet chez les feuilles qui avaient été précédemment plongées dans ces trois solutions. La plus grande partie des autres solutions a exercé, dans une certaine mesure, une action semblable à celle de l’eau, car le phosphate d’ammoniaque n’a produit, après un laps de temps considérable, qu’un effet très-léger sur les feuilles plongées dans ces solutions. D’autre part, le phosphate d’ammoniaque a produit un effet rapide sur les feuilles plongées dans des solutions de chlorure de rubidium et de magnésium, d’acétate de strontiane, d’azotate de baryte et d’acide citrique. Or, faut-il conclure que les feuilles ont absorbé l’eau de ces cinq faibles solutions, et que, cependant, grâce à la présence des sels, l’action subséquente du phosphate n’a pas été empêchée ? Ou bien, ne pouvons-nous pas supposer que les interstices des parois des glandes ont été bouchés par les molécules de ces cinq substances, de sorte qu’elles sont devenues imperméables ? Ne savons-nous pas, en effet, d’après les dix expériences dont nous avons parlé plus haut, que si l’eau avait pénétré dans les glandes, le phosphate n’aurait ensuite produit aucun effet[58] ? Il paraît, en outre, que les molécules du carbonate d’ammoniaque peuvent pénétrer facilement dans les glandes qui, par suite d’une immersion de vingt minutes dans une faible solution de sucre, absorbent très-lentement le phosphate d’ammoniaque, ou chez lesquelles ce dernier sel ne produit qu’une action très-lente. D’autre part, quel que soit le traitement qu’on ait fait subir aux glandes, elles semblent toujours pénétrées facilement par les molécules de carbonate d’ammoniaque. Ainsi, des feuilles qui avaient été plongées dans une solution d’azotate de potasse (1 partie d’azotate pour 437 parties d’eau), pendant quarante-huit heures, dans une solution de sulfate de potasse pendant vingt-quatre heures, et dans une solution de chlorure de potassium pendant vingt-cinq heures, furent plongées dans une solution contenant 1 partie de carbonate d’ammoniaque pour 218 parties d’eau ; les glandes noircirent immédiatement, et au bout d’une heure les tentacules étaient quelque peu infléchis, et le protoplasma agrégé. Il serait d’ailleurs impossible d’essayer de déterminer les effets étonnamment divers de différentes solutions sur le Drosera.

Alcool (1 partie pour 7 parties d’eau). — Nous avons déjà dit qu’un demi-minime d’alcool dilué dans ces proportions, placé sur le disque des feuilles, ne provoque aucune inflexion, et que si, deux jours après, on place sur les feuilles des petits morceaux de viande, les tentacules s’infléchissent considérablement. J’ai plongé 4 feuilles dans un mélange tel que celui que je viens d’indiquer, et, au bout de trente minutes, j’ai passé sur elles le pinceau dont je m’étais déjà servi pour les feuilles plongées dans la solution de camphre ; cette excitation ne produisit aucun effet. Je laissai ces 4 feuilles dans le mélange d’alcool pendant vingt-quatre heures sans qu’il se produise aucune inflexion. Je plongeai alors l’une d’elles dans une infusion de viande crue, et je plaçai des petits morceaux de viande sur le disque des 3 autres, dont la tige plongeait dans l’eau. Le lendemain, une de ces feuilles semblait un peu malade, et je n’observai chez les 2 autres que de légères traces d’inflexion. Il faut toutefois se rappeler qu’une immersion de vingt-quatre heures dans l’eau empêche les tentacules de saisir des morceaux de viande. Il faut en conclure que l’alcool dilué dans les proportions que je viens d’indiquer n’est pas un poison, et qu’il ne stimule pas les feuilles comme le fait le camphre.

La vapeur de l’alcool agit différemment. J’ai placé sous une cloche d’une capacité de 19 onces, 60 minimes d’alcool dans un verre de montre, auprès d’un plant portant 3 belles feuilles. Au bout de vingt-cinq minutes, aucun mouvement ne s’était produit, mais quelques glandes s’étaient noircies et ridées, tandis que d’autres étaient devenues tout à fait pâles. Ces glandes pâles étaient distribuées de la manière la plus irrégulière sur toute la surface des feuilles, ce qui me rappela la façon dont la vapeur du carbonate d’ammoniaque affecte les glandes. Je plaçai des petits morceaux de viande crue sur beaucoup de glandes de ces feuilles, en choisissant particulièrement celles qui avaient conservé leur couleur, immédiatement après avoir retiré le plant de dessous la cloche. Au bout de quatre heures, pas un seul tentacule ne s’était encore infléchi. Au bout de deux heures, les glandes de tous les tentacules commencèrent à se dessécher, et le lendemain matin, au bout de vingt-deux heures, toutes les glandes étaient sèches, et les 3 feuilles semblaient mortes ; seuls, les tentacules d’une feuille étaient infléchis en partie.

Je plaçai un second plant auprès d’un peu d’alcool sous une cloche d’une capacité de 12 onces, mais je l’y laissai pendant cinq minutes seulement ; puis je plaçai des parcelles de viande sur les glandes de plusieurs tentacules. Au bout de dix minutes, quelques-uns des tentacules commencèrent à s’infléchir, et, au bout de cinquante-cinq minutes, ils étaient presque tous considérablement infléchis ; toutefois, quelques-uns ne bougèrent pas. Il est probable, mais il n’est pas certain qu’il se produit quelque effet anesthésique. Je laissai aussi pendant cinq minutes un troisième plant sous la même cloche, après avoir répandu une douzaine de gouttes environ d’alcool à l’intérieur du verre. Je plaçai ensuite des parcelles de viande sur les glandes de plusieurs tentacules, et quelques-uns se mirent en mouvement au bout de vingt-cinq minutes ; au bout de quarante minutes, un grand nombre de tentacules étaient quelque peu infléchis, et au bout d’une heure dix minutes, presque tous l’étaient considérablement. La lenteur des mouvements des tentacules prouve indubitablement que leurs glandes avaient été rendues insensibles pendant quelque temps, par une exposition de cinq minutes à la vapeur de l’alcool.

Vapeur du chloroforme. — L’action de cette vapeur sur le Drosera varie beaucoup ; cette action dépend, je crois, de la constitution ou de l’âge de la plante, ou de quelque condition inconnue. La vapeur du chloroforme provoque quelquefois chez les tentacules des mouvements extrêmement rapides, mais parfois aussi cette vapeur ne produit aucun effet semblable. Quelquefois, les glandes, à la suite de l’exposition à la vapeur, deviennent insensibles pendant un certain temps à l’action de la viande crue, mais parfois aussi elles ne sont pas affectées ou elles ne le sont que très-légèrement. Enfin, la plante se remet bientôt quand elle a été exposée à une petite dose de vapeur, mais une dose plus considérable la tue facilement.

J’ai laissé pendant trente minutes un plant de Drosera sous une cloche d’une capacité de 49 onces fluides (539 millil. 6) dans laquelle j’avais placé 8 gouttes de chloroforme ; avant que la cloche ne fût enlevée, la plupart des tentacules s’étaient considérablement infléchis, bien qu’ils n’aient pas atteint le centre de la feuille. Après l’enlèvement de la cloche, je plaçai des morceaux de viande sur les glandes de plusieurs tentacules qui s’étaient quelque peu infléchis. Au bout de six heures trente minutes, ces glandes étaient devenues noires, mais le mouvement d’inflexion ne s’était pas commué. Au bout de vingt-quatre heures, les feuilles paraissaient presque mortes.

J’employai ensuite une cloche plus petite d’une capacité de 12 onces fluides (340,8 millil.), et j’y laissai une plante pendant 90 secondes avec 2 gouttes de chloroforme seulement. Dès que la cloche fut retirée, tous les tentacules s’infléchirent de façon à se tenir droits sur la feuille, et j’ai pu observer que quelques-uns s’avançaient rapidement par bonds, c’est-à-dire de la façon la plus extraordinaire ; aucun d’eux, toutefois, n’atteignit le centre. Au bout de vingt-deux heures, les tentacules se redressèrent complètement, et ils s’infléchirent rapidement quand je plaçai ensuite sur les glandes des morceaux de viande, ou que je les chatouillai avec une aiguille ; ces feuilles n’avaient donc pas été attaquées par la vapeur du chloroforme.

Je plaçai un autre plant sous la même cloche avec 3 gouttes de chloroforme ; avant que deux minutes ne se fussent écoulées, les tentacules commencèrent à s’infléchir en avançant par une série de petits bonds. J’enlevai alors la cloche et, au bout de deux ou trois minutes à partir de ce moment, les tentacules atteignirent le centre de la feuille. Dans plusieurs autres essais, la vapeur de chloroforme ne produisit aucun mouvement de cette nature.

On remarque aussi une grande variabilité quant au degré d’insensibilité que le chloroforme provoque chez les glandes au point de vue de l’action subséquente de la viande. Dans la plante dont je viens de parler, qui avait été exposée deux minutes à l’action de 3 gouttes de chloroforme, quelques tentacules s’infléchirent, mais de façon seulement à se mettre dans une position perpendiculaire relativement à la feuille ; je plaçai des morceaux de viande sur les glandes ; au bout de cinq minutes les tentacules se mirent en mouvement, mais ce mouvement fut si lent qu’il se passa une heure trente minutes avant qu’ils n’aient atteint le centre de la feuille. Je plaçai un autre plant dans les mêmes conditions, c’est-à-dire que je l’exposai pendant deux minutes à l’action de 3 gouttes de chloroforme et que je plaçai ensuite des morceaux de viande sur les glandes de plusieurs tentacules qui avaient pris la position perpendiculaire ; un de ces tentacules se remit en mouvement au bout de huit minutes, mais ses mouvements furent ensuite très-lents ; aucun des autres tentacules ne bougea pendant quarante minutes. Toutefois, au bout d’une heure quarante-cinq minutes, à partir du moment où j’avais placé sur les glandes des petits morceaux de viande, tous les tentacules avaient atteint le centre de la feuille. Il est probable que, dans ce cas, un léger effet anesthésique avait été produit. Le lendemain, la plante était en parfait état.

Je soumis un autre plant portant 2 feuilles, pendant deux minutes, à l’action de 2 gouttes de chloroforme sous une cloche ayant une capacité de 19 onces ; je le sortis alors de la cloche pour l’examiner ; puis je l’exposai de nouveau pendant deux minutes à l’action de 2 gouttes de chloroforme, puis je le sortis de nouveau et je le réexposai une troisième fois, pendant trois minutes, à l’action de 3 gouttes de chloroforme ; de sorte que ce plant avait été exposé alternativement à l’air libre et pendant sept minutes à la vapeur de 7 gouttes de chloroforme. Je plaçai alors des morceaux de viande sur 43 glandes sur les 2 feuilles. Un seul tentacule sur la première se mit en mouvement au bout de quarante minutes, et deux autres au bout de cinquante-quatre minutes. Sur la deuxième feuille, quelques tentacules commencèrent à se mettre en mouvement au bout d’une heure onze minutes. Au bout de deux heures, beaucoup de tentacules des 2 feuilles étaient infléchis, mais aucun n’avait atteint le centre pendant ce laps de temps. On ne peut douter, dans ce cas, que le chloroforme ait exercé sur les feuilles un effet anesthésique.

D’autre part, j’exposai une autre plante sous la même cloche pendant beaucoup plus longtemps, c’est-à-dire pendant vingt minutes, à une quantité deux fois plus considérable de chloroforme. Je plaçai alors des morceaux de viande sur les glandes de beaucoup de tentacules, et tous, sauf un seul, atteignirent le centre de la feuille au bout de treize ou quatorze minutes. Dans ce cas, aucun effet anesthésique n’avait été produit, et je ne sais vraiment comment concilier ces résultats si différents.

Vapeur de l’éther sulfurique. — J’exposai un plant pendant trente minutes à l’action de 30 minimes d’éther sulfurique sous une cloche ayant une capacité de 19 onces, puis je plaçai des morceaux de viande crue sur beaucoup de glandes qui avaient pâli ; aucun des tentacules ne se mit en mouvement. Au bout de six heures trente minutes, les feuilles semblaient malades, et les glandes du disque étaient presque sèches. Le lendemain matin, beaucoup de tentacules étaient morts, et, dans ce nombre, tous ceux sur lesquels avait été placée la viande ; ce qui prouve que les glandes avaient emprunté à la viande des substances qui avaient augmenté les effets désastreux de la vapeur. Au bout de quatre jours, la plante elle-même mourut. J’exposai une autre plante sous la même cloche pendant quinze minutes à l’action de 40 minimes d’éther. Tous les tentacules d’une jeune feuille toute petite s’infléchirent, et la feuille semblait considérablement attaquée. Je plaçai des parcelles de viande crue sur plusieurs glandes des 2 autres feuilles qui étaient plus vieilles. Au bout de six heures, ces glandes se desséchèrent et me semblèrent très-malades ; les tentacules ne bougèrent pas, sauf un toutefois qui finit par s’infléchir un peu. Les glandes des autres tentacules continuèrent à sécréter et ne semblèrent pas avoir été attaquées, mais au bout de trois jours, toute la plante devint très-malade.

Dans les deux expériences précédentes, les doses étaient évidemment trop fortes et agirent comme poison. Avec des doses plus faibles, les effets anesthésiques obtenus ressemblent à ceux produits par le chloroforme. J’exposai une plante pendant cinq minutes à dix gouttes d’éther sous une cloche ayant une capacité de 12 onces, et je plaçai ensuite des morceaux de viande sur beaucoup de glandes. Aucun des tentacules ainsi traités ne se mit en mouvement qu’au bout de quarante minutes ; mais alors quelques-uns d’entre eux s’infléchirent très-rapidement, de sorte que 2 avaient atteint le centre de la feuille au bout de dix minutes seulement. Au bout de deux heures douze minutes, à partir du moment où la viande avait été placée sur les glandes, tous les tentacules atteignirent le centre de la feuille. J’exposai, pendant cinq minutes, une autre plante portant 2 feuilles dans le même réceptacle, à une dose un peu plus considérable d’éther, et je plaçai des morceaux de viande sur plusieurs glandes. Dans ce cas, un tentacule sur chaque feuille commença au bout de cinq minutes son mouvement d’inflexion ; au bout de douze minutes, 2 tentacules sur une feuille et un sur la seconde avaient atteint le centre. Au bout de trente minutes, à partir du moment où la viande avait été placée sur les glandes, tous les tentacules, ceux qui portaient de la viande et ceux qui n’en portaient pas, étaient étroitement infléchis ; on pourrait donc penser que la vapeur d’éther avait stimulé ces feuilles, et qu’elle avait provoqué l’inflexion de tous les tentacules.

Vapeur de l’éther azotique. — Cette vapeur semble avoir des effets plus nuisibles que la vapeur de l’éther sulfurique. J’exposai une plante, pendant cinq minutes, sous une cloche ayant une capacité de 12 onces, à la vapeur de huit gouttes d’éther azotique, et j’observai distinctement que quelques tentacules se recourbèrent avant que la cloche ne fût enlevée. Immédiatement après, je plaçai des morceaux de viande sur trois glandes, mais aucun mouvement ne se produisit dans un laps de temps de dix-huit minutes. Je replaçai la même plante sous la même cloche et je j’y laissai pendant seize minutes avec 10 gouttes d’éther. Aucun des tentacules ne bougea, et le lendemain matin ceux qui portaient la viande étaient encore dans la même position. Au bout de quarante-huit heures, une feuille paraissait être en bonne santé, mais les autres étaient très-malades.

J’exposai, pendant six minutes, une autre plante portant 2 belles feuilles sous une cloche ayant une capacité de 19 onces à la vapeur de 10 minimes d’éther ; je plaçai ensuite des morceaux de viande sur les glandes de beaucoup de tentacules des 2 feuilles. Au bout de trente-six minutes, plusieurs tentacules d’une feuille s’infléchirent, et, au bout d’une heure, presque tous les tentacules, ceux qui portaient de la viande et ceux qui n’en portaient pas, avaient presque atteint le centre. Chez l’autre feuille, les glandes commencèrent à se dessécher au bout d’une heure quarante minutes, et, au bout de plusieurs heures, aucun tentacule n’était infléchi ; toutefois, le lendemain matin, au bout de vingt et une heures, beaucoup de tentacules étaient infléchis, bien qu’ils semblassent très-malades. Dans cette expérience, comme dans la précédente, les feuilles avaient été si vivement attaquées qu’il est difficile de dire s’il s’était produit un effet anesthésique.

J’exposai, pendant quatre minutes seulement, sous la cloche ayant une capacité de 19 onces, un troisième plant portant 2 belles feuilles à la vapeur de 6 gouttes d’éther azotique. Je plaçai ensuite des morceaux de viande sur les glandes de 7 tentacules d’une même feuille. Au bout d’une heure vingt-trois minutes, un seul tentacule se mit en mouvement ; au bout de deux heures trois minutes, plusieurs tentacules étaient infléchis, et, au bout de trois heures trois minutes, les 7 tentacules qui portaient des morceaux de viande étaient bien infléchis. La lenteur de ces mouvements prouve que cette feuille avait été rendue insensible pendant un certain temps à l’action de la viande. La seconde feuille fut affectée d’une façon assez différente je plaçai des morceaux de viande sur les glandes de 5 tentacules ; au bout de vingt-huit minutes, 3 s’étaient légèrement infléchis ; au bout d’une heure vingt et une minutes, un de ces tentacules atteignit le centre de la feuille, mais les 2 autres n’étaient encore que légèrement infléchis ; au bout de trois heures, ils l’étaient beaucoup plus, mais même au bout de cinq heures seize minutes, les 5 tentacules n’avaient pas encore atteint le centre de la feuille. Ainsi donc, quelques-uns de ces tentacules commencèrent à se mouvoir dans un délai assez court, mais ensuite leur mouvement s’accomplit avec une extrême lenteur. Le lendemain matin, au bout de vingt heures, la plupart des tentacules des 2 feuilles étaient fortement infléchis, mais ils ne l’étaient pas régulièrement. Au bout de quarante-huit heures, ni l’une ni l’autre de ces feuilles ne semblait attaquée, bien que les tentacules restassent encore, infléchis ; au bout de soixante-douze heures, une de ces feuilles était presque morte, tandis que l’autre se redressait et reprenait son aspect ordinaire.

Acide carbonique. — Je plaçai une plante sous une cloche d’une capacité de 122 onces remplie de gaz acide carbonique, et reposant sur l’eau ; toutefois, je ne fis pas entrer dans mes calculs l’absorption du gaz par l’eau, de sorte que, dans la dernière partie de l’expérience, un peu d’air a dû pénétrer. Au bout de deux heures, je retirai la plante de la cloche et je plaçai des parcelles de viande crue sur les glandes de 3 feuilles. Une de ces feuilles était devenue un peu flasque et fut bientôt complètement recouverte par l’eau qui s’élevait dans la cloche à mesure que le gaz était absorbé. Les tentacules de la feuille sur lesquels j’avais placé des parcelles de viande s’infléchirent considérablement en deux minutes trente secondes, c’est-à-dire à peu près le temps normal. Aussi, j’en arrivai à la conclusion erronée que l’acide carbonique ne produit aucun effet ; toutefois, je pensai ensuite que la feuille avait été protégée contre l’action du gaz, et qu’elle avait sans doute emprunté de l’oxygène à l’eau qui la recouvrait de plus en plus. Les tentacules chargés de viande sur les 2 autres feuilles se conduisirent de façon toute différente ; 2 de ces tentacules commencèrent à se mettre en mouvement au bout d’une heure cinquante minutes, en comptant toujours à partir du moment où j’avais placé les parcelles de viande sur les glandes ; au bout de deux heures vingt-deux minutes, ces tentacules étaient bien infléchis, et, au bout de trois heures vingt-deux minutes, ils avaient atteint le centre de la feuille. Trois autres tentacules ne commencèrent leur mouvement qu’au bout de deux heures vingt minutes, mais ils atteignirent le centre de la feuille à peu près en même temps que les autres, c’est-à-dire au bout de trois heures vingt-deux minutes.

Je répétai plusieurs fois cette expérience et j’obtins presque toujours les mêmes résultats, sauf toutefois que l’intervalle qui s’écoule jusqu’au moment où les tentacules se mettent en mouvement, varie quelque peu. Je ne citerai qu’un seul autre exemple : je plaçai une plante dans le même réceptacle, et je la laissai exposée à l’action du gaz pendant quarante-cinq minutes, puis je plaçai des parcelles de viande sur 4 glandes. Les tentacules ne bougèrent pas pendant une heure quarante minutes ; au bout de deux heures trente minutes, tous quatre étaient bien infléchis, et, au bout de trois heures, ils avaient atteint le centre de la feuille.

Le phénomène singulier que je vais relater se présente quelquefois, mais, certes, pas toujours. J’exposai une plante pendant deux heures à l’action du gaz, puis je plaçai des parcelles de viande sur plusieurs glandes. Au bout de treize minutes, tous les tentacules sous-marginaux d’une feuille étaient considérablement infléchis ; ceux qui étaient chargés de viande ne l’étant pas plus que les autres. Chez une seconde feuille assez vieille, les tentacules chargés de viande, ainsi que quelques autres, étaient modérément infléchis. Chez une troisième feuille, tous les tentacules étaient fortement infléchis, bien que je n’aie placé de la viande sur aucune des glandes. Je pense qu’on peut attribuer ce mouvement à une excitation provenant de l’absorption de l’oxygène. La dernière feuille dont je viens de parler, sur laquelle je n’avais placé aucun morceau de viande, s’était complétement redressée au bout de vingt-quatre heures, tandis que tous les tentacules des 2 autres feuilles étaient étroitement infléchis sur les parcelles de viande qui, au bout de ce temps, avaient été transportées jusqu’au centre. Ainsi, au bout de vingt-quatre heures, ces trois feuilles s’étaient parfaitement remises de l’action exercée sur elles par le gaz.

Dans une autre circonstance, je plaçai des parcelles de viande sur de belles plantes, immédiatement après un séjour de deux heures dans le gaz ; quand elles furent exposées à l’air, la plupart de leurs tentacules s’infléchirent de façon à prendre une direction verticale ou presque verticale, mais de manière très-irrégulière, au bout de douze minutes ; chez quelques feuilles, les tentacules d’un seul côté s’étaient infléchis, et les tentacules d’un autre côté chez les autres feuilles. Les tentacules restèrent en cet état pendant quelque temps ; ceux qui étaient chargés de viande n’avançant pas d’abord, plus vite ou plus loin, que ceux sur lesquels il n’y en avait pas. Toutefois, au bout de deux heures vingt minutes, les premiers se mirent en mouvement et s’infléchirent progressivement jusqu’à ce qu’ils aient atteint le centre de la feuille. Le lendemain matin, au bout de vingt-deux heures, tous les tentacules de ces feuilles étaient étroitement refermés sur les parcelles de viande qui avaient été transportées jusqu’au centre, tandis que les tentacules qui avaient pris une direction verticale ou à peu près verticale chez les feuilles sur lesquelles aucun morceau de viande n’avait été placé, s’étaient complètement redressés. Toutefois, à en juger par l’action subséquente d’une faible solution de carbonate d’ammoniaque sur l’une de ces dernières feuilles, elle n’avait pas encore tout à fait recouvré, au bout de vingt-deux heures, son excitabilité et sa faculté de mouvement ; cependant, une autre feuille, au bout d’un nouveau laps de temps de vingt-quatre heures, s’était complètement remise, à en juger par la façon dont ses tentacules embrassèrent une mouche placée sur le disque.

Encore un exemple. Après avoir soumis pendant deux heures une autre plante à l’action du gaz, je plongeai une des feuilles dans une solution assez forte de carbonate d’ammoniaque, en même temps que j’y plongeais une feuille fraîche cueillie sur une autre plante. Au bout de trente minutes, la plupart des tentacules de cette dernière étaient fortement infléchis, tandis qu’à l’exception de deux, les tentacules de la feuille qui avait été exposée à l’action du gaz acide carbonique restèrent vingt-quatre heures dans la solution sans qu’il se produise aucune inflexion. Cette feuille avait été presque complètement paralysée et ne put recouvrer sa sensibilité tant qu’elle fut plongée dans la solution, laquelle contenait probablement fort peu d’oxygène, car elle avait été préparée avec de l’eau distillée.

Conclusions sur les effets produits par les agents dont nous venons de parler. — Les glandes, quand elles sont excitées, transmettent une impulsion aux tentacules environnants, ce qui provoque leur inflexion et ce qui augmente la sécrétion modifiée de leurs glandes ; je désirais donc savoir si les feuilles possèdent un élément quelconque ayant la nature du tissu nerveux qui, bien que non continu, pourrait servir de canal à la transmission de cette impulsion. Ceci me conduisit à expérimenter les diverses alcaloïdes et les autres substances qui, comme l’on sait, exercent une influence considérable sur le système nerveux des animaux. Le fait que la strychnine, la digitaline et la nicotine, qui exercent une action sur le système nerveux, agissent comme poison sur le Drosera et provoquent un certain degré d’inflexion des tentacules, m’encouragea tout d’abord dans mes expériences. En outre, l’acide cyanhydrique, poison si terrible pour les animaux, provoque un mouvement rapide chez les tentacules du Drosera. D’autre part, comme plusieurs acides inoffensifs extrêmement dilués, tels que l’acide benzoïque, l’acide acétique, etc., aussi bien que quelques huiles essentielles, agissent comme des poisons violents sur le Drosera et provoquent rapidement une forte inflexion, il me semblait probable que l’inflexion causée par la strychnine, par la nicotine, la digitaline et l’acide cyanhydrique provenait d’une action de ces substances sur des éléments qu’on ne saurait comparer aux cellules nerveuses des animaux. Si des éléments de cette nature étaient présents dans les feuilles, la morphine, la jusquiame, l’atropine, la vératrine, la colchicine, le curare et l’alcool étendu d’eau auraient certainement dû produire quelque effet marqué, tandis qu’au contraire ces substances ne sont pas vénéneuses pour le Drosera et ne provoquent qu’une très-faible inflexion, si même ils en provoquent une. Il faut observer cependant que le curare, la colchicine et la vératrine sont des poisons musculaires, c’est-à-dire qu’ils agissent sur des nerfs qui ont quelques rapports spéciaux avec les muscles, et que, par conséquent, il n’y avait pas lieu de s’attendre à ce qu’ils agissent sur le Drosera. Le poison du cobra capello est terrible pour les animaux en ce qu’il paralyse les centres nerveux ; cependant il n’est en aucune façon vénéneux pour le Drosera, bien qu’il provoque une forte inflexion[59].

Malgré les faits que je viens de citer et qui prouvent combien est différent l’effet de certaines substances sur la santé ou sur la vie des animaux et sur celle du Drosera, on remarque cependant un certain parallélisme dans l’action de quelques autres substances. Nous avons vu un excellent exemple de ce fait dans l’action causée par les sels de soude et de potasse. En outre, divers sels métalliques et divers acides, c’est-à-dire ceux d’argent, de mercure, d’or, d’étain, d’arsenic, de chrome, de cuivre et de platine, qui tous, ou presque tous, sont des poisons violents pour les animaux, le sont également pour le Drosera. Mais, fait très-singulier, le chlorure de plomb et deux sels de baryte n’empoisonnent pas cette plante. Il est un autre fait tout aussi étrange, c’est que, bien que l’acide acétique et l’acide propionique constituent des poisons violents, leur allié l’acide formique n’en est pas un ; on sait encore que, tandis que certains acides végétaux, tels que l’acide oxalique, l’acide benzoïque, etc., sont des poisons violents, l’acide gallique, l’acide tannique, l’acide tartrique et l’acide malique, étendus d’eau dans les mêmes proportions que les premiers, ne constituent pas un poison. L’acide malique provoque l’inflexion, tandis que les trois autres acides végétaux que nous venons d’indiquer n’ont pas cette propriété. D’ailleurs, il faudrait un codex tout entier pour décrire les effets divers de différentes substances sur le Drosera[60].

Plusieurs des alcaloïdes des sels que j’ai employés ne possèdent en aucune façon la propriété de provoquer l’inflexion ; d’autres, absorbés certainement, comme le prouve le changement de couleur des glandes, ne provoquent qu’une inflexion très-faible ; d’autres enfin, tels que l’acétate de quinine et la digitaline, provoquent une forte inflexion.

Les différentes substances énumérées dans ce chapitre affectent de façon bien différente la couleur des glandes. Les glandes prennent bien souvent d’abord une teinte foncée, puis elles deviennent très-pâles ou mêmes blanches, comme nous l’avons vu pour celles qui ont été traitées par le poison du cobra et par le citrate de strychnine. Dans d’autres cas, les glandes deviennent blanches tout d’abord comme celles des feuilles que l’on plonge dans l’eau chaude et dans divers acides ; il faut, je crois, attribuer cet effet à la coagulation de l’albumine. Parfois, sur une même feuille, quelques glandes deviennent blanches et d’autres très-foncées, comme il est arrivé chez des feuilles plongées dans une solution de sulfate de quinine ou exposées à la vapeur de l’alcool. Une immersion prolongée dans la nicotine, dans le curare, et même dans l’eau, noircit les glandes ; cela est dû, je crois, à l’agrégation au protoplasma des cellules. Cependant, le curare provoque une très-faible agrégation dans les cellules des tentacules, tandis que la nicotine et le sulfate de quinine provoquent une agrégation fortement marquée qui s’étend jusqu’à la base des tentacules. Les masses agrégées de protoplasma dans des feuilles qui avaient séjourné pendant trois heures quinze minutes dans une solution saturée de sulfate de quinine, offraient des changements incessants de forme qui, d’ailleurs, cessèrent au bout de vingt-quatre heures, la feuille étant devenue flasque et paraissant morte. D’autre part, chez des feuilles plongées pendant quarante-huit heures dans une forte solution du poison du cobra, les masses de protoplasma restèrent extraordinairement actives, tandis que les cils vibratiles et les corpuscules blancs du sang d’animaux plus élevés semblent être rapidement paralysés par cette substance.

Quand il s’agit des sels alcalins et terreux, c’est la nature de la base et non pas celle de l’acide qui détermine l’action physiologique exercée sur le Drosera ; il en est de même chez les animaux. Toutefois, cette règle ne s’applique guère aux sels de quinine et de strychnine, car l’acétate de quinine provoque une inflexion beaucoup plus considérable que le sulfate et ces deux sels sont des poisons, tandis que l’azotate de quinine n’en est pas un, et qu’il provoque une inflexion beaucoup plus lente que l’acétate. En outre, l’action exercée par le citrate de strychnine est quelque peu différente de celle exercée par le sulfate.

Une solution de phosphate d’ammoniaque n’agit que très-lentement, n’agit même pas du tout sur des feuilles qui ont séjourné pendant vingt-quatre heures dans l’eau, ou pendant vingt minutes seulement dans de l’alcool étendu d’eau, ou dans une faible solution de sucre, bien qu’une solution de carbonate d’ammoniaque agisse très-rapidement sur ces mêmes feuilles. Une immersion de vingt minutes dans une solution de gomme arabique ne cause en aucune façon les mêmes effets. Les solutions de certains sels et de certains acides affectent les feuilles exactement de la même façon que l’eau, au point de vue de l’action subséquente du phosphate, tandis que l’immersion dans d’autres solutions n’empêche pas l’action rapide et énergique d’une semblable solution de phosphate. Dans ce dernier cas, il se peut que les interstices des parois des cellules aient été bouchés par les molécules des sels contenus dans les solutions où ont été plongées d’abord les feuilles, de façon à rendre ces parois imperméables à l’eau, tandis que les molécules du phosphate peuvent encore pénétrer, et celles du carbonate d’ammoniaque plus facilement encore.

Le camphre dissous dans l’eau exerce une action remarquable, car il provoque non-seulement une rapide inflexion, mais il semble encore rendre les glandes extrêmement sensibles à une irritation mécanique ; en effet, si on passe une brosse douce sur des feuilles qui ont été plongées pendant un laps de temps très-court dans une solution de camphre, les tentacules commencent à s’infléchir au bout de deux minutes environ. Il se peut toutefois que cet attouchement, qui ne constitue pas par lui-même un stimulant suffisant, ne serve qu’à renforcer l’action directe du camphre au point de vue de l’excitation d’un mouvement. D’autre part, la vapeur du camphre agit comme narcotique.

Les solutions et les vapeurs de certaines huiles essentielles provoquent une inflexion rapide ; d’autres n’ont pas cette faculté ; celles que j’ai essayées agissaient toutes comme poison.

L’alcool étendu d’eau (1 partie d’alcool pour 7 parties d’eau) n’est pas un poison ; il ne provoque pas l’inflexion et n’augmente pas la sensibilité des glandes à l’irritation mécanique. La vapeur de l’alcool se comporte comme un narcotique ou un anesthésique, et un séjour prolongé dans cette vapeur tue les feuilles.

Les vapeurs du chloroforme, de l’éther sulfurique et de l’éther azotique, affectent d’une façon très-variable différentes feuilles et les divers tentacules d’une même feuille. Cela provient, je crois, de différences dans l’âge ou la constitution des feuilles, et aussi de ce que certains tentacules ont été récemment en action. Le changement de couleur des glandes prouve qu’elles absorbent ces vapeurs ; il faut remarquer toutefois que ces vapeurs affectant aussi d’autres plantes qui ne possèdent pas de glandes, il est probable qu’elles sont absorbées en même temps par les stomates du Drosera. Ces vapeurs excitent quelquefois une inflexion très-rapide, mais ce résultat n’est pas invariable. Si on les laisse agir pendant un temps même modérément long, elles tuent les feuilles ; tandis qu’une faible dose, n’agissant que pendant peu de temps, se comporte comme un narcotique ou un anesthésique. Dans ce cas, des morceaux de viande placés sur les glandes ne provoquent aucun mouvement chez les tentacules, qu’ils se soient infléchis ou non, sous l’action de la vapeur, jusqu’à ce qu’un temps considérable se soit écoulé. On croit généralement que ces vapeurs agissent sur les plantes et sur les animaux en arrêtant l’oxydation.

Le séjour d’une plante dans l’acide carbonique pendant deux heures, et, dans un cas, pendant quarante-cinq minutes seulement, a rendu aussi les glandes insensibles à l’action stimulante de la viande crue pendant un certain laps de temps. Toutefois, les feuilles ont recouvré toutes leurs facultés, et ne semblaient plus indisposées après un séjour de vingt-quatre à quarante-huit heures dans l’air pur. Nous avons vu, dans le troisième chapitre, que l’agrégation se trouve très-retardée chez les feuilles soumises pendant deux heures à l’action de ce gaz et plongées ensuite dans une solution de carbonate d’ammoniaque, de sorte qu’il s’écoule un temps considérable avant l’agrégation du protoplasma des cellules inférieures des tentacules. Dans quelques cas, les tentacules se sont mis spontanément en mouvement, peu de temps après que les feuilles ont été sorties du réceptacle contenant le gaz et ont été exposées à l’air libre ; ce mouvement est dû, je pense, à l’irritation produite par l’action de l’oxygène. Toutefois, ces tentacules infléchis restent ensuite pendant quelque temps insensibles à une nouvelle irritation exercée sur les glandes. On sait que, chez d’autres plantes irritables, l’exclusion de l’oxygène empêche toute espèce de mouvement et arrête la circulation du protoplasma dans les cellules[61] ; cependant, cet arrêt de mouvement est un phénomène qui diffère beaucoup du retard apporté à l’agrégation dans les conditions que nous venons d’indiquer. Or, je ne saurais dire s’il faut attribuer ce dernier fait à l’action directe de l’acide carbonique ou à l’exclusion

de l’oxygène.

Chapitre X.

de la sensibilité des feuilles et de la direction dans laquelle l’impulsion se propage.

Les glandes et le sommet des tentacules sont seuls sensibles. — Propagation de l’impulsion dans les pédicelles des tentacules et à travers le limbe de la feuille. — Agrégation du protoplasma ; c’est une action réflexe. — La première décharge de l’impulsion est soudaine. — Direction des mouvements des tentacules. — L’impulsion motrice se propage à travers le tissu cellulaire. — Mécanisme des mouvements. — Nature de l’impulsion motrice. — Redressement des tentacules.


Nous avons vu dans les chapitres précédents que beaucoup de stimulants bien différents, mécaniques et chimiques, excitent des mouvements chez les tentacules ainsi que dans le limbe de la feuille. Il nous faut considérer tout d’abord quels sont les points irritables ou sensibles, et, en second lieu, comment l’impulsion motrice se transmet d’un point à un autre. Les glandes sont presque exclusivement le siège de l’irritabilité ; cependant, cette irritabilité doit s’étendre à une très-petite distance au-dessous des glandes, car, quand on les enlève avec de bons ciseaux, en ayant soin de ne pas les toucher elles-mêmes, les tentacules s’infléchissent souvent. Ces tentacules décapités se redressent fréquemment ; j’ai placé ensuite sur eux des gouttes des deux plus puissants stimulants connus sans obtenir aucun effet. Néanmoins, ces tentacules décapités sont susceptibles d’une inflexion subséquente, si l’impulsion part du disque. Je suis parvenu, dans plusieurs occasions, en me servant de pinces très-petites, à écraser les glandes, mais cet écrasement n’a provoqué aucun mouvement du tentacule ; la viande crue et les sels d’ammoniaque placés sur ces glandes écrasées ne provoquent non plus aucun mouvement. Il est probable qu’elles avaient été tuées si instantanément qu’elles n’avaient pu transmettre aucune impulsion motrice ; en effet, dans les six cas observés (dans deux de ces cas, toutefois, la glande avait été complètement enlevée), le protoplasma des cellules des tentacules ne s’agrégea pas, tandis qu’il s’agrégea parfaitement dans quelques tentacules adjacents, qui s’étaient infléchis parce que je les avais touchés un peu rudement avec les pinces. De même, le protoplasma ne s’agrège pas dans une feuille tuée instantanément par son immersion dans l’eau bouillante. D’autre part, j’ai observé une agrégation distincte, quoique faible, chez les tentacules qui s’étaient infléchis, parce que j’avais enlevé les glandes avec des ciseaux coupant très-bien.

J’ai, à plusieurs reprises, frotté assez rudement les pédicelles des tentacules, j’ai placé sur eux de la viande crue ou d’autres substances excitantes sur toute la surface de la feuille, près de leur base, et sur d’autres parties, sans qu’il se produise jamais aucun mouvement distinct. Après avoir laissé pendant très-longtemps des morceaux de viande sur les pédicelles je les ai poussés un peu de façon à ce qu’ils arrivent à toucher les glandes, et, au bout d’un instant, les pédicelles commençaient à s’infléchir. Je crois donc que le limbe de la feuille est insensible à tous les stimulants. J’ai enfoncé dans le limbe de plusieurs feuilles la pointe d’une lancette ; j’en ai piqué dix-neuf avec une aiguille à trois ou quatre reprises différentes : dans le premier cas, il ne se produisit aucun mouvement ; mais, chez une douzaine de feuilles environ parmi celles que j’avais piquées à plusieurs reprises, quelques tentacules s’infléchirent irrégulièrement. Toutefois, comme il était nécessaire de soulever les feuilles pendant l’opération, il se peut que j’aie touché quelques-unes des glandes extérieures aussi bien que celles du disque, et cet attouchement a peut-être suffi pour provoquer le léger mouvement que j’ai observé. Nitschke[62] dit que les piqûres et les coupures opérées sur la feuille n’excitent aucun mouvement. Le pétiole de la feuille est complètement insensible.

Le dessous des feuilles porte de nombreuses petites papilles qui ne sont le siège d’aucune sécrétion, mais qui possèdent une certaine faculté d’absorption. Ces papilles sont, je crois, les rudiments de tentacules surmontés de glandes qui devaient exister autrefois. J’ai fait beaucoup d’expériences pour arriver à savoir si l’on peut exciter d’une façon quelconque le dessous des feuilles et j’ai soumis 37 feuilles à ces expériences. J’ai chatouillé les unes pendant longtemps avec une grosse aiguille, j’ai placé sur les autres des gouttes de lait et d’autres fluides excitants, de la viande crue, des mouches écrasées et diverses autres substances. Ces substances se dessèchent bientôt, ce qui prouve qu’aucune sécrétion ne s’est produite. En conséquence, j’humectai ces substances avec de la salive, avec des solutions d’ammoniaque et de l’acide chlorhydrique étendu d’eau, et, fréquemment aussi, avec de la sécrétion prise sur la glande d’autres feuilles. Je conservai aussi quelques feuilles sous une cloche humide après avoir placé des objets excitants sur leurs côtés inférieurs ; toutefois, malgré l’attention la plus scrupuleuse je n’ai jamais pu découvrir aucun mouvement véritable. Je fus conduit à faire un si grand nombre d’essais parce que, contrairement à tout ce que j’avais observé jusque-là, Nitschke affirme[63] qu’après avoir fixé les objets aux côtés inférieurs des feuilles à l’aide de la sécrétion visqueuse il a observé souvent que les tentacules et, dans un cas, le limbe lui-même étaient soumis à une action réflexe, s’il s’est produit réellement. Ce mouvement serait très-anormal ; il impliquerait, en effet, que les tentacules reçoivent une impulsion motrice d’une source peu naturelle et qu’ils ont la faculté de se courber dans une direction exactement contraire à celle qui leur est habituelle ; en outre, cette faculté ne serait en aucune façon utile à la plante, car les insectes ne peuvent adhérer au dessous lisse des feuilles.

J’ai dit qu’aucun effet n’avait été produit dans les cas précédents, mais cela n’est pas strictement vrai, car, dans trois cas où j’avais ajouté un peu de sirop aux morceaux de viande pour conserver ces morceaux humides pendant quelque temps, j’observai, au bout de trente-six heures, une trace de mouvement réflexe chez les tentacules d’une feuille et chez le limbe d’une autre. Au bout d’un nouveau laps de temps de douze heures, les glandes commençaient à se dessécher et les trois feuilles paraissaient fortement attaquées. Je plaçai alors 4 feuilles sous une cloche ; les tiges de ces feuilles plongeaient dans l’eau et j’avais placé sur le côté inférieur des gouttes de sirop, mais pas de viande. Au bout d’un jour, quelques tentacules étaient recourbés sur deux de ces feuilles. Les gouttes de sirop ayant absorbé de l’humidité étaient alors devenues assez grosses pour se répandre sur l’arrière de la feuille, et sur les tiges. Le second jour, le limbe d’une feuille s’était très-recourbé ; le troisième jour, les tentacules de deux feuilles étaient très-recourbés et le limbe de toutes l’était plus ou moins. Le côté supérieur d’une de ces feuilles au lieu d’être, comme à l’ordinaire, légèrement concave était devenu très-convexe. Le cinquième jour, les feuilles ne semblaient pas mortes. Or, comme le sucre n’excite en aucune façon le Drosera, nous pouvons attribuer, sans crainte de nous tromper, le recourbement des tentacules et du limbe des feuilles dont nous venons de parler à une exosmose qui s’est produite chez les cellules en contact avec le sirop, exosmose suivie d’une contraction. Quand on place des gouttes de sirop sur les feuilles de plantes dont les racines pénètrent encore dans la terre humide, aucune inflexion ne se produit parce que les racines, sans aucun doute, pompent de l’eau assez rapidement pour remplacer celle qui disparaît par l’exosmose. Mais, si l’on plonge des feuilles coupées dans un sirop ou dans un liquide très-dense, les tentacules s’infléchissent beaucoup, bien qu’irrégulièrement, et quelques-uns prennent la forme de tire-bouchons ; en outre, les feuilles deviennent bientôt flasques. Si on plonge alors les feuilles dans un liquide ayant une faible densité, les tentacules se redressent. Nous pouvons conclure de ces faits que les gouttes de sirop placées sur le côté inférieur des feuilles n’agissent pas en déterminant une impulsion motrice qui se propage jusque dans les tentacules : elles causent simplement un mouvement en arrière parce qu’elles provoquent l’exosmose. Le docteur Nitschke a employé la sécrétion pour fixer des insectes au-dessous des feuilles ; je suppose qu’il en a employé une grande quantité et que ce liquide étant très-dense a provoqué une exosmose. Peut-être aussi a-t-il expérimenté sur des feuilles coupées ou sur des plantes dont les racines ne pouvaient pas se procurer une quantité d’eau suffisante.

Autant donc que nous pouvons le savoir jusqu’à présent, nous pouvons conclure que l’irritabilité ou la sensibilité dont sont douées les feuilles réside exclusivement dans les glandes et dans les cellules des tentacules qui se trouvent immédiatement au-dessous des glandes. On ne peut mesurer le degré d’excitation d’une glande que par le nombre des tentacules environnants qui s’infléchissent et par la quantité et la rapidité de leurs mouvements. Des feuilles également vigoureuses exposées à la même température, ce qui est une condition importante, se trouvent excitées à des degrés divers dans les circonstances suivantes. Une petite quantité d’une faible solution ne produit aucun effet ; si l’on augmente la quantité ou qu’on emploie une solution plus forte les tentacules s’infléchissent. Si l’on touche une glande une ou deux fois, aucun mouvement ne se produit ; qu’on la touche trois ou quatre fois et le tentacule s’infléchit. La nature de la substance placée sur la glande est un élément très-important : si l’on place sur le disque de plusieurs feuilles des parcelles, ayant un volume égal, de terre (qui n’agit que mécaniquement), de gélatine et de viande crue, la viande provoque des mouvements beaucoup plus rapides, beaucoup plus énergiques et s’étendant beaucoup plus loin que les deux autres substances. Le nombre des glandes excitées produit aussi une grande différence dans le résultat obtenu : que l’on place un morceau de viande sur une ou deux glandes du disque, et quelques-uns seulement des tentacules courts, immédiatement adjacents, s’infléchissent ; que l’on fasse reposer ce même morceau sur plusieurs glandes, et un plus grand nombre de tentacules se mettent en mouvement ; si on le fait enfin reposer sur 30 ou 40 glandes, tous les tentacules, y compris les tentacules marginaux extrêmes, s’infléchissent fortement. Nous voyons donc que les impulsions provenant d’un certain nombre de glandes se renforcent les unes les autres, s’étendent plus loin et agissent sur un plus grand nombre de tentacules que l’impulsion partie d’une seule glande.

Transmission de l’impulsion motrice. — Dans tous les cas, l’impulsion partie d’une glande doit parcourir au moins une courte distance pour arriver à la base du tentacule, la partie supérieure et la glande elle-même étant passivement emportées par l’inflexion de la partie inférieure. L’impulsion est donc toujours transmise dans presque toute la longueur du pédicelle. Quand on excite les glandes centrales et que les tentacules marginaux extrêmes s’infléchissent, l’impulsion est transmise à travers le demi-diamètre du disque ; quand on excite les glandes situées d’un côté du disque, l’impulsion est transmise à travers la largeur presque entière du disque. Une glande transmet son impulsion beaucoup plus facilement et beaucoup plus rapidement dans le tentacule qu’elle surmonte jusqu’à la partie flexible de ce tentacule, qu’elle ne la transmet à travers le disque jusqu’au tentacule adjacent. Ainsi, une dose très-petite d’une faible solution d’ammoniaque, placée sur la glande d’un tentacule extérieur, fait infléchir ce tentacule de façon à ce qu’il atteigne le centre de la feuille ; tandis qu’une goutte considérable de la même solution, distribuée sur une vingtaine de glandes du disque ne provoque pas la moindre inflexion des tentacules extérieurs. En outre, après avoir placé un morceau de viande sur la glande d’un tentacule extérieur, j’ai vu un mouvement se produire au bout de 10 secondes et fréquemment au bout d’une minute ; tandis qu’un morceau beaucoup plus gros, reposant sur plusieurs glandes du disque, ne provoque l’inflexion des tentacules extérieurs qu’au bout d’une demi-heure et parfois même qu’au bout de plusieurs heures.

L’impulsion motrice se propage graduellement de tous les côtés, en partant comme d’un centre de la glande ou des glandes qui ont été excitées, de telle sorte que les tentacules situés le plus près de ce centre sont toujours les premiers affectés. En conséquence, quand on excite les glandes situées au centre du disque, les tentacules marginaux extrêmes s’infléchissent les derniers. Toutefois, les glandes situées sur différentes parties de la feuille transmettent leur impulsion motrice d’une façon quelque peu différente. Si on place un morceau de viande sur la glande allongée d’un tentacule marginal, l’impulsion se transmet rapidement à la partie mobile de ce tentacule, mais, autant toutefois que j’ai pu l’observer, cette impulsion n’est jamais transmise aux tentacules adjacents ; en effet, ceux-ci ne sont affectés que lorsque la viande a été transportée jusqu’aux glandes centrales dont l’impulsion combinée se transmet alors à toutes les parties de la feuille. Dans quatre occasions, j’ai préparé des feuilles en enlevant, quelques jours avant l’expérience, toutes les glandes du centre, de façon à ce qu’il n’y ait plus d’excitation produite par les morceaux de viande apportés au centre de la feuille par l’inflexion des tentacules marginaux ; or, ces tentacules marginaux se redressèrent au bout d’un certain temps sans qu’aucun autre tentacule ait été affecté. Je préparai d’autres feuilles, de la même façon, puis je plaçai des morceaux de viande sur les glandes de deux tentacules situés à la troisième rangée en partant de l’extérieur, et sur les glandes de deux autres tentacules situés dans la cinquième rangée. Dans ces quatre cas l’impulsion se propagea d’abord latéralement, c’est-à-dire dans la même rangée concentrique de tentacules, puis elle se propagea vers le centre, mais elle ne partit pas du centre pour aller affecter les tentacules extérieurs. Dans un de ces cas, un seul tentacule de chaque côté de celui qui portait la viande se trouva affecté. Dans les trois autres cas, de 6 à 12 tentacules, latéralement et vers le centre, s’infléchirent entièrement ou à moitié. Enfin, dans dix autres expériences, je plaçai des petits morceaux de viande sur une seule glande ou sur deux glandes au centre du disque. Afin qu’aucune autre glande ne puisse toucher la viande par suite de l’inflexion des tentacules courts immédiatement adjacents, j’avais enlevé précédemment une demi-douzaine de glandes sur les tentacules situés autour de ceux que j’avais choisis. Chez huit de ces feuilles, 16 à 25 tentacules courts environnants s’infléchirent dans le cours d’un jour ou deux ; il résulte de cette expérience que l’impulsion motrice, partant d’une ou de deux glandes du disque, peut produire un effet considérable. Les tentacules décapités sont compris dans ce chiffre, car ils se trouvaient si près des autres qu’ils avaient été certainement affectés. Chez les deux autres feuilles, presque tous les tentacules courts du disque s’infléchirent. Quand on se sert d’un stimulant plus puissant que la viande, c’est-à-dire d’un peu de phosphate de chaux, humecté avec de la salive, l’impulsion partie d’une seule glande se propage plus loin et provoque de nombreuses inflexions ; mais, même dans ce cas, les trois ou quatre rangées extérieures de tentacules ne sont pas affectées. Il résulte de ces expériences que l’impulsion partie d’une seule glande du disque agit sur un plus grand nombre de tentacules que celle partie d’une glande de l’un des longs tentacules extérieurs. Ceci résulte probablement, au moins en partie, de ce que l’impulsion a moins de chemin à parcourir le long des pédicelles des tentacules centraux, de telle sorte qu’elle peut se propager en rayonnant jusqu’à une distance considérable.

En examinant ces feuilles, je fus frappé de ce que chez six, et peut-être même chez sept d’entre elles, les tentacules étaient beaucoup plus infléchis vers le sommet et vers la base de la feuille que sur les côtés ; cependant, les tentacules situés sur les côtés se trouvaient aussi près de la glande sur laquelle reposait la viande que les tentacules situés aux deux extrémités. Il semblerait donc que l’impulsion motrice partie du centre de la feuille se propage plus facilement à travers le disque dans une direction longitudinale que dans une direction transversale. Or, comme cette observation me parut un fait nouveau et intéressant dans la physiologie des plantes, je fis 35 expériences nouvelles pour m’assurer de sa vérité. Je plaçai des petits morceaux de viande sur une seule glande, ou sur quelques glandes à la droite ou à la gauche du disque chez dix-huit feuilles ; je plaçai d’autres morceaux de viande ayant le même volume sur des glandes situées à la base ou au sommet de dix-sept autres feuilles. Or, si l’impulsion motrice se propage avec une égale vigueur, ou avec une égale rapidité, à travers le limbe dans toutes les directions, un morceau de viande placé sur un des côtés ou à une des extrémités du disque doit affecter également tous les tentacules situés à une même distance du tentacule sur lequel il repose ; tel n’est certainement pas le cas. Avant d’indiquer les résultats généraux que j’ai obtenus, je pense qu’il est bon de décrire trois ou quatre cas assez extraordinaires.

1. — Je plaçai un petit morceau de mouche sur l’un des côtés du disque ; au bout de trente-deux minutes, 7 tentacules extérieurs, situés à peu de distance du morceau, étaient bien infléchis ; au bout de dix heures, plusieurs autres tentacules étaient également infléchis, et, au bout de vingt-trois heures, un bien plus grand nombre. À ce moment le limbe de la feuille, de ce même côté du disque, s’était recourbé de façon à former un angle droit avec l’autre côté. Toutefois, ni le centre de la feuille, ni les tentacules placés du côté opposé n’avaient été affectés ; la ligne de démarcation entre les deux moitiés s’étendait de l’extrémité du pétiole au sommet de la feuille. Cette feuille resta en cet état pendant trois jours ; le quatrième jour, elle commença à se redresser ; pendant tout ce temps, pas un seul tentacule ne s’était infléchi de l’autre côté.

2. — Je vais décrire un cas qui n’est pas compris dans les trente-cinq expériences dont j’ai parlé plus haut. Je vis une petite mouche fixée par les pattes au côté gauche du disque d’une feuille. Les tentacules situés de ce côté s’infléchirent rapidement et tuèrent la mouche ; mais, à cause probablement des efforts qu’avait faits la mouche pour s’échapper, la feuille était si excitée, qu’au bout de vingt-quatre heures environ tous les tentacules placés de l’autre côté s’étaient infléchis ; toutefois, leurs glandes n’atteignirent pas la mouche, et, ne trouvant aucune proie à saisir, ils se redressèrent au bout de quinze heures environ, tandis que les tentacules situés du côté gauche de la feuille restèrent étroitement infléchis pendant plusieurs jours.

3. — Je plaçai sur la ligne médiane, à l’extrémité du disque auprès de la tige, un morceau de viande un peu plus gros que ceux que j’emploie ordinairement. Au bout de deux heures trente minutes, quelques tentacules adjacents étaient infléchis ; au bout de six heures, les tentacules situés des deux côtés de la tige et quelques-uns placés sur les deux côtés de la feuille étaient modérément infléchis ; au bout de huit heures, les tentacules situés à l’extrémité du disque étaient plus infléchis que ceux placés des deux côtés de la feuille. Au bout de vingt-trois heures tous les tentacules, sauf les tentacules extérieurs des deux côtés de la feuille, embrassaient le morceau de viande.

4. — Je plaçai un autre morceau de viande à l’extrémité opposée du disque, c’est-à-dire près du sommet d’une autre feuille, et j’obtins exactement les mêmes résultats relatifs.

5. — Je plaçai un petit morceau de viande sur un des côtés du disque ; le lendemain les tentacules courts adjacents étaient infléchis, ainsi que 3 ou 4 tentacules situés de l’autre côté de la feuille, auprès de la tige. Toutefois, ces derniers n’étaient que légèrement infléchis, et le lendemain ils paraissaient vouloir se redresser. Je plaçai donc un nouveau morceau de viande à peu près au même endroit, et, deux jours après, quelques-uns des tentacules courts du côté opposé du disque s’étaient infléchis. Dès que ces tentacules commencèrent à se redresser, j’ajoutai un autre morceau de viande, et le lendemain tous les tentacules du côté opposé du disque s’étaient infléchis vers la viande. Or, nous avons vu que les tentacules placés du côté où la viande avait été posée avaient été affectés par le premier morceau.

Examinons actuellement les résultats généraux que j’ai obtenus. Je plaçai des morceaux de viande à droite ou à gauche du disque sur dix-huit feuilles ; un grand nombre de tentacules s’infléchirent, chez huit, du côté où la viande avait été placée et, chez quatre, le limbe lui-même se recourba de ce côté tandis que pas un seul tentacule, pas plus d’ailleurs que le limbe, ne fut affecté du côté opposé. Ces feuilles présentaient un aspect curieux ; il aurait semblé que le côté infléchi avait seul gardé son activité et que l’autre était paralysé. Chez les dix autres feuilles, quelques tentacules s’infléchirent au delà de la ligne médiane du côté opposé à celui où se trouvait la viande, mais, dans quelques-uns de ces cas, les tentacules seuls situés à la base ou au sommet de la feuille s’infléchirent. L’inflexion des tentacules sur le côté opposé de la feuille ne se produisit jamais que longtemps après celle des tentacules placés du même côté que la viande ; dans un cas, cette inflexion ne se produisit que le quatrième jour. Nous avons vu aussi, dans l’expérience n° 5 citée plus haut, qu’il m’a fallu ajouter par trois fois un nouveau morceau de viande avant que tous les tentacules courts placés au côté opposé du disque s’infléchissent.

Le résultat est tout différent quand on place les morceaux de viande sur la ligne médiane, à une des extrémités du disque, vers la base ou vers le sommet. Je fis 17 expériences dans ces conditions. Chez trois feuilles, soit à cause de l’état de la feuille, soit à cause de la petitesse du morceau de viande, les tentacules immédiatement adjacents furent seuls affectés ; mais, chez les quatorze autres feuilles, les tentacules situés à l’extrémité opposée s’infléchirent, bien qu’ils fussent aussi distants de la viande que pouvaient l’être ceux placés du côté opposé du disque dans les expériences que j’ai relatées d’abord. Dans quelques-unes des expériences qui nous occupent, les tentacules situés sur l’un des côtés de la feuille ne furent pas du tout affectés, ou ils le furent à un degré moindre, ou après un laps de temps plus considérable, que ceux placés à l’extrémité opposée. Il est utile de décrire en détail quelques-unes de ces expériences. Je plaçai des morceaux de viande, pas tout à fait aussi petits que ceux que j’emploie ordinairement, sur l’un des côtés du disque de quatre feuilles et des morceaux ayant le même volume à l’extrémité du disque, vers la base ou vers le sommet de quatre autres feuilles. Quand je comparai ces deux groupes de feuilles après un intervalle de vingt-quatre heures, je pus observer des différences frappantes. Les feuilles chez lesquelles les morceaux de viande avaient été placés d’un côté du disque étaient très-légèrement affectées de l’autre côté ; chez celles, au contraire, où le morceau de viande se trouvait vers la base ou le sommet, presque tous les tentacules et même les tentacules marginaux situés à l’extrémité opposée étaient étroitement infléchis. Au bout de quarante-huit heures, le contraste présenté par les feuilles des deux groupes était encore considérable ; cependant, les tentacules du disque et les tentacules sous-marginaux du côté opposé à celui où se trouvait la viande étaient quelque peu infléchis chez les feuilles sur lesquelles le morceau de viande reposait sur un des côtés ; j’ai attribué cet effet à la grosseur du morceau. En un mot, ces trente-cinq expériences, sans compter les six ou sept que j’avais faites précédemment, m’autorisent à conclure que l’impulsion motrice partant d’une seule glande, ou d’un petit groupe de glandes, se transmet aux autres tentacules, à travers le limbe, plus facilement et plus efficacement dans une direction longitudinale que dans une direction transversale.

Aussi longtemps que ces glandes restent excitées, et cette excitation peut durer pendant plusieurs jours, pendant onze jours même quand elles se trouvent en contact avec du phosphate de chaux, elles continuent à transmettre une impulsion motrice à la base ou partie mobile de leur propre pédicelle, car, autrement, les tentacules se redresseraient. On trouve la preuve du même fait dans la grande différence qui se remarque dans le laps de temps pendant lequel les tentacules restent infléchis sur des objets inorganiques et sur d’autres objets ayant un même volume, mais qui contiennent des matières azotées solubles. Toutefois, l’intensité de l’impulsion transmise par une glande excitée, qui a commencé à déverser ses sécrétions acides et qui, en même temps, absorbe les matières azotées, semble peu considérable, comparativement à celle qu’elle transmet quand elle commence à être excitée. Ainsi, quand on place des morceaux de viande modérément gros sur un des côtés du disque et que, par suite, les tentacules du disque et les tentacules sous-marginaux, situés aux côtés opposés de la feuille, s’infléchissent de façon à ce que leurs glandes touchent enfin la viande et absorbent les matières qu’elles contient, ces tentacules ne transmettent aucune impulsion motrice aux rangées extérieures de tentacules situées du même côté, car ils ne s’infléchissent jamais. Or, si on avait placé de la viande sur les glandes de ces mêmes tentacules avant qu’ils aient commencé à déverser des sécrétions abondantes et à absorber les matières azotées de la viande, ils auraient certainement transmis une impulsion aux rangées extérieures. Néanmoins, quand je plaçai du phosphate de chaux, qui est un stimulant très-puissant, sur quelques tentacules sous-marginaux, déjà considérablement infléchis, mais qui ne se trouvaient pas encore en contact avec du phosphate, placé précédemment sur deux glandes au centre du disque, les tentacules extérieurs situés du même côté se trouvaient affectés.

Dès qu’une glande est excitée, l’impulsion motrice se décharge en quelques secondes, ce que prouve l’inflexion du tentacule ; cette première décharge paraît s’effectuer avec beaucoup plus de vigueur que celles qui viennent ensuite. Ainsi, dans l’exemple que nous avons rapporté ci-dessus d’une petite mouche capturée naturellement par quelques glandes situées d’un côté d’une feuille, l’impulsion partie de ces glandes s’est lentement transmise à travers toute la largeur de la feuille et a provoqué une inflexion temporaire chez les tentacules situés de l’autre côté ; mais, bien que les glandes qui restaient en contact avec l’insecte aient continué pendant plusieurs jours à communiquer une impulsion à la partie mobile de leurs propres pédicelles, cette impulsion n’a pas empêché les tentacules situés du côté opposé de la feuille de se redresser rapidement ; on peut conclure de ce fait que l’impulsion a dû être d’abord plus énergique qu’elle n’a été ensuite.

Quand on place un objet quelconque sur le disque et que les tentacules environnants s’infléchissent, leurs glandes sécrètent plus abondamment et la sécrétion devient acide, de sorte qu’on peut conclure que les glandes du disque communiquent une impulsion aux glandes environnantes. Toutefois, ce changement dans la nature et dans la quantité de sécrétion ne peut pas dépendre de l’inflexion des tentacules, car les glandes des tentacules courts du disque déversent des sécrétions acides quand on place sur elles un objet quelconque, bien que leurs pédicelles ne s’infléchissent pas. J’en avais conclu que les glandes du disque communiquent une impulsion aux glandes des tentacules environnants et que ces glandes, à leur tour, renvoient une impulsion à la partie mobile de leur base ; mais je m’aperçus bientôt que cette hypothèse n’est pas fondée. De nombreuses expériences m’ont prouvé que des tentacules dont les glandes ont été coupées avec des ciseaux bien aiguisés s’infléchissent souvent et se redressent ensuite en conservant toutes les apparences de la santé. J’en ai observé un qui est resté bien portant pendant dix jours après cette opération. J’enlevai donc à différentes époques, et sur différentes feuilles, les glandes de 25 tentacules ; sur ce nombre, dix-sept s’infléchirent et se redressèrent ensuite. Le redressement commença environ huit ou neuf heures après l’inflexion et se compléta en vingt-deux ou trente heures. Au bout d’un jour ou deux, je plaçai de la viande crue humectée de salive sur le disque de ces dix-sept feuilles ; je les observai le lendemain et je vis que sept tentacules privés de glandes embrassaient aussi étroitement la viande que les tentacules complets des mêmes feuilles ; un huitième tentacule décapité s’infléchit au bout de trois autres jours. J’enlevai la viande d’une de ces feuilles et je lavai la surface avec un peu d’eau ; au bout de trois jours, le tentacule décapité se redressa pour la seconde fois. Toutefois, ces tentacules décapités étaient dans un état différent de ceux qui, pourvus de leurs glandes, avaient absorbé les matières contenues dans la viande, car le protoplasma des cellules des premiers avait subi une agrégation beaucoup moindre. Ces expériences sur les tentacules décapités prouvent évidemment que les glandes, en ce qui concerne tout au moins l’impulsion motrice, n’agissent pas de façon reflexe comme les ganglions nerveux des animaux.

Mais il est une autre action, celle de l’agrégation, que l’on peut, dans certains cas, appeler reflexe, et c’est le seul exemple qu’on en connaisse dans le règne végétal. Il faut se rappeler que la marche de l’agrégation ne dépend pas de l’inflexion antérieure des tentacules, ce que prouve évidemment l’immersion des feuilles dans certaines solutions énergiques. Elle ne dépend pas non plus de l’augmentation de la sécrétion des glandes, ce que prouvent plusieurs faits et notamment l’agrégation qui se produit chez les papilles, qui cependant ne sécrètent pas si on les met en contact avec du carbonate d’ammoniaque, ou une infusion de viande crue. Si on excite directement une glande de quelque façon que ce soit, au moyen de la pression d’une petite parcelle de verre par exemple, le protoplasma contenu dans les cellules de la glande s’agrège d’abord, puis celui contenu dans les cellules placées immédiatement au-dessous de la glande, et enfin l’agrégation se propage de cellule en cellule jusqu’à la base des tentacules, à condition toutefois que le stimulant soit assez énergique et n’ait pas attaqué les glandes. Or, quand on excite les glandes du disque, les tentacules extérieurs sont affectés exactement de la même manière ; l’agrégation commence toujours dans les glandes bien qu’elles n’aient pas été directement excitées, mais qu’elles aient seulement reçu une impulsion partie du disque, ce que prouve d’ailleurs l’augmentation de leurs sécrétions acides. Le protoplasma contenu dans les cellules situées immédiatement au-dessous des glandes est affecté ensuite, et l’agrégation se propage de cellule en cellule, de haut en bas, jusqu’à la base des tentacules. Ce phénomène mérite évidemment d’être appelé une action reflexe ; cette action est, en effet, la même que celle qui se produit lorsqu’on irrite un nerf sensitif ; celui-ci transmet une impression à un ganglion, lequel renvoie une impulsion à un muscle ou à une glande et provoque un mouvement ou une sécrétion plus abondante ; toutefois, l’action, dans les deux cas, a probablement une nature très-différente. Quand l’agrégation du protoplasma se termine dans un tentacule, la dissolution commence toujours dans la partie inférieure et se propage lentement de bas en haut jusqu’à la glande, de telle sorte que le protoplasma qui s’est agrégé en dernier lieu est le premier qui se redissolve. La seule cause de ce phénomène est probablement que le protoplasma est de moins en moins agrégé à mesure qu’on arrive aux cellules plus éloignées de la glande, comme on peut s’en assurer d’ailleurs quand l’excitation a été légère. Aussi, dès que l’action qui provoque l’agrégation vient à cesser, la dissolution commence naturellement dans le protoplasma moins fortement agrégé qui se trouve dans les cellules situées à la partie inférieure du tentacule, et cette dissolution se complète d’abord dans ces cellules.

Direction des tentacules infléchis. Quand on place une parcelle de quelque substance que ce soit sur la glande d’un tentacule extérieur, ce tentacule se meut invariablement vers le centre de la feuille ; il en est de même de tous les tentacules d’une feuille plongée dans un liquide excitant, ainsi que nous l’avons montré dans une figure précédente (fig. 4, p. 11), les glandes des tentacules extérieurs forment alors un anneau qui entoure la partie centrale du disque. Les tentacules courts, situés à l’intérieur de cet anneau, conservent leur position verticale de même qu’ils le font d’ailleurs quand on place un gros objet sur leurs glandes ou que celles-ci capturent un insecte. Il est facile de comprendre, dans ce dernier cas, que l’inflexion des tentacules courts du disque serait inutile, car leurs glandes se trouvent déjà en contact avec la proie.


Fig. 10. — Drosera rotundifolia.
Feuille (grossie) dont les tentacules sont infléchis sur un morceau de viande placé sur un des côtés du disque.
Le résultat est tout différent quand une seule glande ou quelques glandes d’un groupe situé d’un côté du disque sont excitées. Ces glandes transmettent une impulsion aux tentacules environnants qui, alors, ne s’infléchissent pas vers le centre de la feuille, mais vers le point d’où est partie l’excitation. Nous devons cette observation importante à Nitschke[64] ; j’ai lu son mémoire il y a quelques années, et, depuis lors, j’ai eu souvent l’occasion de vérifier ses assertions. Si à l’aide d’une aiguille on place un petit morceau de viande sur une seule glande ou sur 3 ou 4 glandes situées à peu près à moitié distance du centre à la circonférence de la feuille, on peut s’assurer de la direction que prennent les tentacules environnants. La figure 10 représente exactement une feuille supportant de la viande placée dans cette position, et nous voyons que les tentacules, y compris quelques tentacules extérieurs, se dirigent exactement vers le point où se trouve la viande. — Mais de beaucoup le meilleur système pour observer ces effets est de placer une parcelle de phosphate de chaux, humectée avec de la salive, sur une seule glande située sur un des côtés du disque d’une grande feuille et une autre parcelle de la même substance sur une seule glande située de l’autre côté du disque. Dans quatre expériences faites dans ces conditions, l’excitation n’a pas été suffisante pour affecter les tentacules extérieurs, mais tous les tentacules situés près des deux points où reposait le phosphate de chaux se dirigeaient vers ces points de façon à former deux roues sur le limbe d’une même feuille ; les pédicelles des tentacules formaient les rayons, et les glandes, réunies en une seule masse sur le phosphate de chaux, formaient le moyeu. Rien d’étonnant comme la précision avec laquelle chaque tentacule se dirige vers la parcelle de phosphate ; dans bien des cas, il m’a été impossible d’observer une seule déviation de la ligne droite. Ainsi donc, bien que les tentacules courts du centre du disque ne s’infléchissent pas quand on excite directement leurs glandes, cependant s’ils reçoivent une impulsion motrice d’un point situé sur un des côtés du disque, ils se dirigent vers ce point aussi bien que les tentacules du bord de la feuille.

Les tentacules courts du disque qui se seraient dirigés vers le centre, si la feuille avait été plongée dans un liquide excitant, s’infléchissent, dans ces expériences, dans une direction exactement opposée, c’est-à-dire vers la circonférence. Par conséquent, ces tentacules dévient de 180⁰ de la direction qu’ils auraient prise si leurs propres glandes avaient été directement excitées, direction que l’on peut considérer comme normale. J’ai observé tous les degrés possibles de déviation chez les tentacules de plusieurs feuilles. Malgré la précision avec laquelle les tentacules se dirigent ordinairement vers la glande qui supporte le phosphate de chaux, j’ai remarqué que quelques tentacules situés près de la circonférence d’une feuille ne se dirigent pas vers un point assez éloigné situé de l’autre côté du disque. Il semble que l’impulsion motrice, en passant transversalement à travers presque toute la largeur du disque, ait quelque peu dévié de la ligne droite. Ceci concorde parfaitement avec la remarque que nous avons été à même de faire, c’est-à-dire que l’impulsion se propage moins facilement dans une direction transversale que dans une direction longitudinale. Dans quelques autres cas, les tentacules extérieurs ne me semblèrent pas aptes à des mouvements aussi définis que les tentacules plus courts et plus centraux.

Rien de frappant comme l’aspect de ces 4 feuilles chez chacune desquelles les tentacules se dirigeaient exactement vers les deux petites masses de phosphate placées sur le limbe. On s’imagine facilement en les regardant que l’on est en présence d’un animal d’une organisation inférieure qui embrasse sa proie avec ses bras. Dans le cas du Drosera, l’explication de cette faculté de mouvement si raisonnée repose sans doute dans le fait que l’impulsion motrice se propage dans toutes les directions et que, dès que cette impulsion frappe quelque côté que ce soit d’un tentacule, ce côté se contracte et le tentacule en conséquence s’incline vers le point d’où est partie l’excitation. Les pédicelles des tentacules sont aplatis ou elliptiques. Près de la base des tentacules courts du centre, la surface large ou aplatie se compose d’environ cinq rangées longitudinales de cellules ; chez les tentacules extérieurs du disque, cette surface se compose d’environ six ou sept rangées, et chez les tentacules marginaux extrêmes d’une douzaine de rangées. La précision des mouvements des tentacules est d’autant plus remarquable que les bases aplaties ne se composent que de quelques rangées de cellules ; en effet, quand l’impulsion motrice frappe la base du tentacule dans une direction très-oblique relativement à sa surface large, une ou deux cellules tout au plus, situées vers une des extrémités, se trouvent d’abord affectées et la contraction de ces cellules doit déterminer l’inflexion du tentacule entier dans la direction convenable. Le fait que les pédicelles extérieurs ne se dirigent pas aussi régulièrement vers le point d’excitation que les tentacules plus centraux provient peut-être de ce qu’ils sont plus ou moins aplatis. Le mouvement raisonné, si je peux m’exprimer ainsi, des tentacules du Drosera, n’est pas un fait unique dans le règne végétal, car les vrilles de beaucoup de plantes se courbent du côté qui a été touché ; toutefois, le cas du Drosera est beaucoup plus intéressant, car, chez lui, les tentacules ne sont pas directement excités, mais reçoivent une impulsion d’un point situé à une certaine distance, ce qui n’empêche pas qu’ils se dirigent exactement vers ce point.

Nature des tissus à travers lesquels se transmet l’impulsion motrice. — Il est tout d’abord nécessaire de décrire brièvement la disposition des principaux faisceaux fibro-vasculaires. La figure 11 représente ces principaux faisceaux chez une petite feuille. Des petits vaisseaux reliés aux faisceaux adjacents pénètrent dans chacun des nombreux tentacules qui couvrent la surface de la feuille ; nous ne les avons pas représentés dans la figure. Le tronc central partant du pétiole se bifurque près du centre de la feuille ; puis, chaque branche se bifurque bien des fois selon la grandeur de la feuille. Ce tronc central donne naissance, de chaque côté, à une branche délicate qu’on peut appeler la branche sous-latérale. Il y a aussi de chaque côté un principal faisceau ou branche latérale qui se bifurque de la même façon que les autres. La bifurcation n’implique pas que chaque vaisseau se divise, mais qu’un faisceau se divise en deux. Si l’on regarde de chaque côté de la feuille on verra qu’une branche de la grande bifurcation centrale s’anastomose avec une branche du faisceau latéral et qu’il y a une moindre anastomose entre les deux principales branches du faisceau latéral. Le trajet des vaisseaux est très-complexe au point de la plus grande anastomose ; là, des
Fig. 11. Drosera rotundifolia.
Figure indiquant la distribution du tissu vasculaire dans une petite feuille.
vaisseaux conservant le même diamètre sont souvent formés par l’union des extrémités de deux vaisseaux se terminant en pointe, mais je ne sais si ces points communiquent l’un avec l’autre à l’endroit de la soudure. Au moyen de la double anastomose, tous les vaisseaux du même côté de la feuille sont en quelque sorte reliés les uns aux autres. Chez les plus grandes feuilles, les branches bifurquées se réunissent aussi auprès de la circonférence, puis se séparent de nouveau, formant une ligne continue en zigzag de vaisseaux autour de la circonférence entière. Mais l’union des vaisseaux dans cette ligne en zigzag semble être beaucoup moins intime qu’à l’anastomose principale. Je dois ajouter que la disposition des vaisseaux diffère quelque peu chez diverses feuilles et même dans les côtés opposés d’une même feuille, mais l’anastomose principale existe toujours.

Dans mes premières expériences avec des morceaux de viande placés sur un côté du disque, il se trouva que pas un seul tentacule ne s’infléchit du côté opposé. Quand je vis que tous les vaisseaux placés du même côté de la feuille étaient reliés les uns aux autres par les deux anastomose, tandis que pas un vaisseau ne passait du côté opposé, il me sembla probable que l’impulsion motrice se propageait exclusivement le long de ce faisceau.

Afin de m’en assurer, je divisai transversalement, avec la pointe d’une lancette, le tronc central de 4 feuilles, juste au-dessous de la principale bifurcation ; deux jours après, je plaçai d’assez gros morceaux de viande (stimulants très-énergiques comme on sait) près du centre du disque au-dessus de l’incision, c’est-à-dire un peu vers le sommet de la feuille. J’obtins les résultats suivants :

1. — Cette feuille était peu active ; au bout de quatre heures quarante minutes (je compte, dans tous les cas, à partir du moment où la viande a été placée sur la feuille), les tentacules situés au sommet de la feuille étaient un peu infléchis, mais aucun autre ne l’était ; ils restèrent en cet état pendant trois jours et se redressèrent le quatrième. Je disséquai alors la feuille et je trouvai que le tronc ainsi que les deux branches sous-latérales avaient été divisés.

2. — Au bout de quatre heures trente minutes, beaucoup de tentacules situés au sommet de la feuille étaient bien infléchis. Le lendemain, le limbe et tous les tentacules situés à cette extrémité de la feuille étaient fortement infléchis et séparés par une ligne transversale distincte de la moitié de la feuille formant la base, qui n’était pas du tout affectée. Toutefois, le troisième jour, quelques tentacules courts du disque auprès de la base étaient très-légèrement infléchis. Je m’assurai, en disséquant la feuille, que l’incision s’étendait d’un côté à l’autre comme dans le dernier cas.

3. — Au bout de quatre heures trente minutes, forte inflexion des tentacules au sommet de la feuille qui ne se propagea pas, pendant les deux jours suivants, aux tentacules situés à la base. L’incision était la même que dans les deux cas précédents.

4. — Je n’observai cette feuille qu’au bout de quinze heures ; tous les tentacules, sauf ceux situés sur l’extrême bord, étaient alors également bien infléchis tout autour de la feuille. J’examinai cette feuille avec soin, et je m’assurai que les vaisseaux spiraux du tronc central étaient certainement divisés ; mais l’incision d’un côté n’avait pas pénétré dans le tissu fibreux qui entoure ces vaisseaux, bien que de l’autre côté elle ait traversé le tissu[65].

L’aspect présenté par les feuilles deux et trois était très-curieux : on aurait pu le comparer à l’aspect d’un homme dont la colonne vertébrale serait brisée et dont les extrémités inférieures seraient paralysées. Ces feuilles étaient dans le même état que quelques-unes de celles sur lesquelles, dans des expériences précédentes, j’avais placé un morceau de viande sur un des côtés du disque ; mais, dans ce cas, la ligne qui séparait les deux moitiés de la feuille était transversale au lieu d’être longitudinale. L’exemple de la feuille quatre prouve que les vaisseaux spiraux du tronc central peuvent être divisés et que cependant l’impulsion motrice se propage encore du sommet de la feuille à la base. Ceci me conduisit d’abord à penser que la force motrice se propage à travers le tissu fibreux qui enveloppe étroitement les faisceaux et que si une moitié de ce tissu n’est pas divisée, elle suffit pour assurer une transmission complète. Toutefois, on peut citer à l’encontre de cette conclusion le fait qu’aucun vaisseau ne passe directement d’un côté de la feuille à l’autre, et cependant, comme nous l’avons vu, si l’on place sur l’un des côtés un morceau de viande un peu gros, l’impulsion motrice se propage, lentement et imparfaitement il est vrai, dans une direction transversale à travers toute la largeur de la feuille. On ne peut pas expliquer ce dernier fait par l’hypothèse que la transmission s’effectue à travers les deux anastomoses ou à travers la ligne d’union en zigzag qui règne à la circonférence de la feuille, car, s’il en était ainsi, les tentacules extérieurs, situés de l’autre côté du disque, seraient affectés avant les tentacules plus centraux, ce qui n’arrive jamais. Nous avons vu aussi que les tentacules marginaux extrêmes ne semblent pas aptes à transmettre une impulsion aux tentacules adjacents ; cependant, le petit faisceau de vaisseaux qui pénètre dans chaque tentacule marginal envoie une petite branche aux tentacules situés de chaque côté, ce que je n’ai pas observé chez les autres tentacules ; il en résulte donc que les tentacules marginaux sont plus étroitement reliés que tous les autres par des vaisseaux spiraux et que, cependant, ils sont beaucoup moins aptes que les autres à se communiquer une impulsion motrice.

Outre ces divers faits et ces divers arguments, nous avons la preuve concluante que l’impulsion motrice ne se propage pas, au moins exclusivement, à travers les vaisseaux spiraux ou à travers le tissu qui les entoure immédiatement. Nous savons que si l’on place un morceau de viande sur une glande que l’on a isolée en enlevant les glandes voisines, à quelque endroit d’ailleurs du disque que se trouve cette glande, tous les tentacules courts qui l’entourent s’inclinent vers elle presque simultanément et avec une grande précision. Or, il y a des tentacules du disque, ceux par exemple situés près des extrémités des faisceaux sous-latéraux (voir fig. 11) ; qui sont reliés à des vaisseaux qui ne se trouvent pas en relation avec les nervures qui pénètrent dans les tentacules environnants, sauf par un détour très-long. Toutefois, si l’on place un morceau de viande sur la glande d’un tentacule de cette espèce, tous les tentacules environnants s’infléchissent vers lui avec une grande précision. Bien entendu, il est possible que l’impulsion motrice se propage en faisant un long circuit, mais il est évidemment impossible que la direction du mouvement puisse se communiquer ainsi et surtout de façon que tous les tentacules environnants s’inclinent exactement vers le point excité. L’impulsion se transmet donc, sans aucun doute, en ligne droite, dans toutes les directions, de la glande excitée aux tentacules environnants ; cette impulsion ne peut donc se propager le long des faisceaux fibro-vasculaires. On peut attribuer à ce qu’une partie considérable du tissu cellulaire a été divisée le fait que la section des vaisseaux centraux, dans les exemples rapportés ci-dessus, a empêché la transmission de l’impulsion motrice du sommet à La base de la feuille. Nous verrons bientôt, quand nous nous occuperons de la Dionée, que cette même conclusion, à savoir que l’impulsion motrice n’est pas transmise par les faisceaux fibro-vasculaires, est absolument confirmée ; le professeur Cohn en est arrivé à la même conclusion pour l’Aldrovandia, qui appartient aussi à la famille des Droséracées.

Comme l’impulsion motrice ne se propage pas le long des vaisseaux, il ne reste pour son passage que le tissu cellulaire ; or, la structure de ce tissu explique dans une certaine mesure comment il se fait que l’impulsion se propage si rapidement jusqu’aux longs tentacules extérieurs et beaucoup plus lentement à travers le limbe de la feuille. Nous verrons aussi pourquoi l’impulsion traverse le limbe plus rapidement dans la direction longitudinale que dans la direction transversale, bien qu’avec le temps elle se propage dans toutes les directions. Nous savons que le même stimulant provoque un mouvement des tentacules et l’agrégation du protoplasma, et que ces deux influences prennent leur source dans les glandes et en partent dans un même espace de temps très-court. Il semble donc probable que l’impulsion motrice consiste en un commencement de changement moléculaire dans le protoplasma, changement qui devient visible quand il s’est bien développé et que nous avons désigné sous le nom d’agrégation ; toutefois, j’aurai à revenir sur ce sujet. Nous savons, en outre, que le principal délai dans la transmission de l’agrégation se produit au passage des parois transversales des cellules ; car, à mesure que l’agrégation passe de cellule en cellule, en se dirigeant vers la base des tentacules, le contenu de chaque cellule successive semble se transformer en une masse nuageuse avec la rapidité de l’éclair. Nous pouvons donc en conclure que, de la même façon, l’impulsion motrice est retardée principalement lorsqu’elle traverse les parois des cellules.

La rapidité plus grande avec laquelle l’impulsion se transmet dans les longs tentacules extérieurs qu’elle ne se transmet à travers le disque, peut s’expliquer par ce fait qu’elle est étroitement confinée dans un pédicelle étroit, au lieu de rayonner dans toutes les directions, comme il arrive sur le disque. D’ailleurs, outre cet emprisonnement, les cellules des tentacules extérieurs sont certainement deux fois aussi longues que celles du disque, de sorte que, pour une longueur donnée d’un tentacule, l’impulsion n’a à traverser qu’un nombre moitié moins grand de cloisons transversales comparativement à ce qui se passe sur le disque ; or il doit y avoir une rapidité proportionnelle dans la transmission. En outre, d’après les coupes des tentacules extérieurs données par le Dr Warming[66], les cellules parenchymateuses sont encore plus allongées ; or ces cellules forment la ligne de communication la plus directe entre la glande et la partie mobile du tentacule. Si l’impulsion se propageait à travers les cellules extérieures, elle aurait à traverser 20 ou 30 cloisons transversales ; elle en a, au contraire, un peu moins à traverser si elle se propage à travers le tissu parenchymateux intérieur. Dans les deux cas, il est remarquable que l’impulsion puisse traverser tant de cloisons en parcourant toute la longueur du pédicelle et agir sur la partie mobile du tentacule au bout de dix secondes environ. Je ne comprends pas pourquoi l’impulsion, après avoir traversé si rapidement toute la longueur d’un tentacule marginal et parcouru environ 1/20 de pouce (0,1269 de centimètres), n’affecte jamais, autant toutefois que j’ai pu l’observer, les tentacules adjacents. Il se peut qu’une grande partie de l’énergie de l’impulsion soit dépensée dans la rapidité de la transmission.

La plupart des cellules du disque, les cellules superficielles aussi bien que les cellules plus larges qui forment les cinq ou six rangées situées au-dessous, sont environ quatre fois aussi longues que larges. Elles sont disposées presque longitudinalement et rayonnent toutes autour de la tige. En conséquence, quand l’impulsion motrice se transmet à travers le disque, elle a à traverser près de quatre fois plus de parois cellulaires que quand elle se propage dans une direction longitudinale ; en conséquence, aussi, cette transmission doit être très-retardée dans le premier cas. Les cellules du disque convergent vers la base des tentacules, elles sont donc aptes à transmettre tout autour d’elles l’impulsion motrice aux tentacules. En résumé, la disposition de la forme des cellules, aussi bien celles du disque que celles des tentacules, jette beaucoup de lumière sur la rapidité et sur le mode de diffusion de l’impulsion motrice. Mais il est difficile d’expliquer pourquoi l’impulsion partant des glandes des rangées extérieures des tentacules tend à se propager latéralement et vers le centre de la feuille, mais non pas suivant une direction centrifuge.

Mécanisme des mouvements et nature de l’impulsion motrice. — Quelles que puissent être les causes du mouvement, les tentacules extérieurs vu leur délicatesse, s’infléchissent avec beaucoup de force. J’ai fixé, dans une pince, une soie de cochon de façon qu’une longueur d’un pouce (2,539 centimètres) sorte de la pince ; cette soie a cédé quand j’ai essayé de relever avec elle un tentacule infléchi qui était un peu plus mince que la soie elle-même. L’étendue du mouvement est, elle aussi, considérable. Les tentacules complètement redressés décrivent en s’infléchissant un angle de 180° ; s’ils sont réfléchis, comme cela arrive souvent, l’angle décrit est beaucoup plus considérable. Il est probable que ce sont les cellules superficielles situées à la partie mobile du tentacule qui se contractent principalement ou même exclusivement ; en effet, les cellules intérieures ont des parois très-délicates et se trouvent en si petit nombre, qu’elles pourraient à peine faire incliner un tentacule avec précision vers un point donné. Bien que j’aie observé avec soin un grand nombre de feuilles, je n’ai jamais pu découvrir une seule ride à la surface reployée intérieure du tentacule, même dans le cas d’un tentacule qui s’était recourbé complètement en cercle dans des circonstances que je décrirai bientôt.

L’impulsion motrice traverse toutes les cellules mais elle n’agit pas sur toutes. Quand on excite la glande d’un long tentacule extérieur, les cellules supérieures du tentacule ne sont pas du tout affectées ; vers la moitié du tentacule, on peut remarquer une légère inclinaison, mais le principal mouvement est confiné à un court espace situé près de la base ; chez les tentacules intérieurs, la base seule se recourbe. L’impulsion motrice peut se propager dans le limbe de la feuille à travers beaucoup de cellules, du centre jusqu’à la circonférence, sans qu’aucune de ces cellules soit affectée ; dans d’autres cas, l’impulsion motrice peut agir énergiquement sur les cellules et le limbe s’infléchit alors considérablement. Dans ce dernier cas, le mouvement semble dépendre en partie de l’énergie du stimulant et en partie de sa nature, quand les feuilles, par exemple, sont plongées dans certains liquides.

L’aptitude au mouvement que possèdent diverses plantes quand on les irrite, a été attribuée par de hautes autorités à l’exsudation rapide d’un liquide hors de certaines cellules qui, précédemment à l’état de tension, se contractent immédiatement[67].

Que ce soit là ou non la cause première de ces mouvements, le liquide doit sortir des cellules fermées quand elles se contractent ou qu’elles sont pressées les unes contre les autres dans une même direction, à moins toutefois que les cellules ne puissent s’étendre dans quelque autre direction. Par exemple, on peut voir exsuder certains liquides de la surface d’un rejeton jeune et vigoureux que l’on ploie lentement en demi-cercle[68]. Dans le cas du Drosera, il y a certainement un transport considérable de fluide dans tout l’intérieur des tentacules pendant l’inflexion. On peut trouver beaucoup de feuilles chez lesquelles le liquide pourpre des cellules a une teinte également foncée du côté supérieur ou du côté inférieur des tentacules et des deux côtés jusque près de la base. Si l’on provoque un mouvement chez les tentacules d’une de ces feuilles, on observe ordinairement, au bout de quelques heures, que les cellules du côté concave sont beaucoup plus pâles qu’elles n’étaient auparavant, ou sont même tout à fait incolores, tandis que celles du côté convexe sont devenues beaucoup plus foncées en couleur. J’ai pu observer très-facilement, dans deux cas, ce changement de couleur des deux côtés d’un tentacule après qu’un petit fragment de cheveu avait été placé sur les glandes, et que, au bout d’une heure dix minutes environ, les tentacules étaient à moitié inclinés vers le centre de la feuille. Dans un autre cas, après avoir placé un morceau de viande sur une glande, j’ai pu observer que la couleur pourpre passait à intervalles de la partie supérieure à la partie inférieure du tentacule, en descendant le long du côté convexe de ce tentacule en train de s’infléchir. Mais il ne résulte pas de ces observations que les cellules du côté convexe contiennent, pendant l’acte de l’inflexion, plus de liquide qu’elles n’en contenaient auparavant, car, pendant cet acte, le liquide peut se rendre dans le disque ou dans les glandes, qui se mettent alors à sécréter abondamment.

L’inflexion des tentacules, quand les feuilles sont plongées dans un liquide dense, et leur redressement subséquent dans un liquide moins dense, prouvent que le passage du liquide qui entre dans les cellules ou qui en sort peut provoquer des mouvements ressemblant aux mouvements naturels. Mais l’inflexion provoquée dans ces conditions est surtout irrégulière, car les tentacules extérieurs se recourbent quelquefois en spirale. D’autres mouvements contre nature sont de même causés par l’application de liquides denses, dans le cas, par exemple, de gouttes de sirop apposées aux côtés inférieurs des feuilles et des tentacules. On peut comparer ces mouvements aux contorsions que subissent beaucoup de tissus végétaux quand ils sont soumis à l’exosmose. Il est par conséquent douteux que ces phénomènes jettent quelque lumière sur les mouvements naturels.

Si nous admettons que la sortie du liquide est la cause de l’inflexion des tentacules, nous devons supposer que les cellules, avant l’acte de l’inflexion, se trouvent à un degré extraordinaire de tension et qu’elles sont élastiques au suprême degré, car, autrement, leurs contractions ne feraient pas décrire aux tentacules un angle de plus de 180°. Dans son intéressant mémoire sur les mouvements des étamines de certaines Composées, le professeur Cohn affirme que ces organes quand ils sont morts sont aussi élastiques que des fils de caoutchouc, et qu’ils n’ont alors que la moitié de la longueur qu’ils avaient pendant leur vie[69]. Il croit que le protoplasma vivant contenu dans les cellules est ordinairement à l’état d’expansion, mais qu’il est paralysé par l’irritation et qu’il est même sujet à une mort temporaire ; l’élasticité des parois des cellules entre alors en jeu et cause la contraction des étamines. Or, les cellules du côté supérieur ou concave de la partie flexible des tentacules du Drosera ne paraissent pas être à l’état de tension ou être extrêmement élastiques ; car, si une feuille est tuée soudainement, ou si elle vient à mourir lentement, ce n’est pas le côté supérieur des tentacules, mais bien le côté inférieur qui se contracte par suite de son élasticité. Nous pouvons donc conclure qu’on ne peut expliquer les mouvements des tentacules par l’élasticité inhérente à certaines cellules, qui s’opposent à ces mouvements aussi longtemps qu’elles sont vivantes et qu’elles ne sont pas irritées par l’état de tension de leur contenu.

D’autres physiologistes soutiennent une hypothèse quelque peu différente, à savoir que le protoplasma, quand il est irrité, se contracte comme le sarcode mou des muscles des animaux. Chez le Drosera, le liquide contenu dans les cellules des tentacules à la partie flexible, a, examiné au microscope, l’aspect d’un liquide peu dense et homogène ; après l’agrégation, ce liquide se transforme en petites masses de substances molles subissant des changements de forme incessants et flottant dans un liquide presque incolore. Ces masses se dissolvent complétement quand les tentacules se redressent. Or il semble à peine possible que ces matières soient douées d’une puissance mécanique directe ; mais si, par suite de quelques changements moléculaires, elles occupent un espace moins considérable qu’auparavant, les parois des cellules doivent, sans aucun doute, se refermer et se contracter. Mais, dans ce cas, on devrait apercevoir des rides sur les parois et l’on n’en a jamais observé. En outre, le contenu de toutes les cellules semble avoir exactement la même nature avant et après l’agrégation, et cependant quelques cellules de la base se contractent seules, car tout le tentacule reste droit.

Quelques physiologistes ont avancé une troisième hypothèse, qui est d’ailleurs rejetée par presque tous les autres, c’est-à-dire que la cellule entière y compris les parois se contracte énergiquement. Si les parois se composent uniquement de cellulose non azotée, cette hypothèse est très-improbable ; mais on peut à peine douter que ces parois ne soient pénétrées par des matières protéïques, tout au moins pendant la croissance. Il ne semble d’ailleurs y avoir aucune improbabilité absolue à ce que les parois des cellules du Drosera se contractent, si l’on considère la perfection de leur organisation prouvée par la faculté qu’ont les glandes d’absorber et de sécréter, et par leur sensibilité exquise à la pression des corps les plus légers. Les parois des cellules des pédicelles sont aptes aussi à recevoir et à transmettre diverses impulsions qui se traduisent par le mouvement et par une augmentation de sécrétion ou d’agrégation. En résumé, l’hypothèse que les parois de certaines cellules se contractent et chassent, pendant cette contraction, une partie du liquide qu’elles contiennent, est peut-être, de toutes, celle qui concorde le mieux avec les faits observés. Si l’on rejette cette hypothèse, il faut accepter comme la plus probable celle qui veut que le liquide contenu dans les cellules diminue de volume par suite d’une modification de son état moléculaire et du rétrécissement des parois qui en est la conséquence. En tout cas, il est difficile d’attribuer le mouvement à l’élasticité des parois combinée à une tension antécédente.

Quant à la nature de l’impulsion motrice qui part des glandes pour descendre jusqu’à la base des pédicelles et qui rayonne à travers le disque, il ne paraît pas improbable qu’elle est étroitement liée à cette influence qui provoque l’agrégation du protoplasma dans les cellules des glandes ou des tentacules. Nous avons vu que ces deux forces prennent leur origine dans les glandes, qu’elles partent toutes deux de ces glandes à quelques secondes d’intervalle et qu’elles sont provoquées par les mêmes causes. L’agrégation du protoplasma dure presque aussi longtemps que l’inflexion des tentacules, même quand cette inflexion persiste pendant plus d’une semaine ; toutefois, le protoplasma se dissout à la partie flexible du tentacule peu de temps avant qu’il se redresse, ce qui prouve que la cause provoquant le phénomène de l’agrégation a alors entièrement cessé. Le contact avec l’acide carbonique retarde beaucoup le phénomène de l’agrégation et la transmission de l’impulsion motrice jusqu’à la base des tentacules. Nous savons que l’agrégation éprouve un certain retard lorsqu’elle a à traverser les parois des cellules ; or nous avons d’excellentes raisons pour croire qu’il en est de même pour l’impulsion motrice, car nous pouvons expliquer ainsi l’inégalité de durée de la transmission de cette impulsion longitudinalement ou transversalement à travers le disque. Examiné avec un fort grossissement, le premier signe de l’agrégation est la formation d’un nuage, puis, bientôt après, des granules extrêmement petits apparaissent dans le liquide pourpre homogène contenu dans les cellules ; cet aspect est probablement dû à la réunion des molécules du protoplasma. Or il ne paraît y avoir rien d’improbable à l’hypothèse que cette même tendance au rapprochement des molécules se communique à la surface intérieure des parois des cellules qui se trouvent en contact avec le protoplasma ; s’il en est ainsi, les molécules des parois se rapprocheraient les unes des autres et la paroi elle-même se contracterait.

On peut, il est vrai, objecter à cette hypothèse, et cela avec beaucoup de raison, que lorsqu’on plonge des feuilles dans diverses solutions énergiques, ou qu’on les soumet à une chaleur de plus de 130° F (54°,4 centig.), il se produit une agrégation, mais aucun mouvement. En outre, divers acides et quelques autres liquides provoquent des mouvements rapides, mais aucune agrégation ; ou bien ce dernier phénomène se présente de façon anormale et seulement après un laps de temps considérable ; mais comme la plupart de ces liquides attaquent plus ou moins les feuilles, ils peuvent arrêter ou empêcher l’agrégation en attaquant ou en tuant le protoplasma. Il y a une autre différence plus importante encore entre les deux phénomènes : quand les glandes du disque sont excitées, elles transmettent une certaine impulsion aux tentacules environnants, impulsion qui agit sur les cellules de la partie flexible des tentacules, mais qui ne provoque pas l’agrégation jusqu’à ce qu’elle ait atteint les glandes ; ce sont les glandes qui réfléchissent une autre impulsion, laquelle provoque l’agrégation du protoplasma, d’abord dans les cellules supérieures, puis dans les cellules inférieures.

Redressement des tentacules. — Ce mouvement est toujours lent et graduel. Quand le centre de la feuille est excité ou qu’une feuille est plongée dans une solution convenable, tous les tentacules s’infléchissent directement vers le centre, puis ensuite se redressent en s’éloignant directement du centre. Mais, quand le point excité se trouve sur un des côtés du disque, les tentacules environnants s’infléchissent vers ce point et, par conséquent, dans une direction oblique à la direction normale ; quand ils se redressent ensuite, ils se redressent aussi obliquement pour reprendre leur position d’origine. Les tentacules les plus éloignés d’un point excité, quelque part d’ailleurs que puisse se trouver ce point, sont les derniers et les moins affectés, et, probablement, en conséquence de ce fait, ce sont les premiers qui se redressent. La partie flexible d’un tentacule fortement infléchi se trouve dans un état de contraction active, ce que prouve l’expérience suivante. Je plaçai de la viande sur une feuille ; après que les tentacules se furent fortement infléchis et eurent complètement accompli leur mouvement, je coupai des bandes étroites du disque portant quelques tentacules extérieurs et je les plaçai sous le microscope. Après plusieurs essais, je parvins à couper la surface convexe de la partie reployée d’un tentacule. Il se mit immédiatement en mouvement et la partie déjà considérablement reployée continua à se reployer jusqu’à ce qu’il eût formé un cercle parfait, la partie droite du tentacule passant sous un des côtés de la bande. La surface convexe devait donc être intérieurement dans un état de tension suffisant pour balancer la tension de la surface concave qui, mise en liberté, se recourba de façon à former un anneau parfait.

Les tentacules d’une feuille ouverte et non excitée sont modérément rigides et élastiques ; si on les courbe au moyen d’une aiguille, l’extrémité supérieure cède beaucoup plus facilement que la base plus épaisse, qui est la seule partie apte à s’infléchir. La rigidité de cette base semble provenir de ce que la tension de la surface extérieure contrebalance un état de contraction active et persistante des cellules de la surface intérieure. Je crois que c’est là la véritable explication, car si l’on plonge une feuille dans l’eau bouillante, les tentacules se réfléchissent immédiatement, ce qui paraît indiquer que la tension de la surface extérieure est mécanique, tandis que celle de la surface intérieure est vitale et que cette dernière est instantanément détruite par l’action de l’eau bouillante. Ceci nous explique aussi pourquoi les tentacules, à mesure qu’ils deviennent vieux et faibles, se réfléchissent lentement de plus en plus. Si on plonge dans l’eau bouillante une feuille dont les tentacules sont fortement infléchis, ils se soulèvent un peu, mais sans se redresser complètement. Cela peut provenir de ce que la chaleur détruit rapidement la tension et l’élasticité des cellules de la surface convexe ; mais il m’est difficile de croire que la tension, à quelque temps que ce soit, suffise pour ramener les tentacules à leur position normale au repos, en leur faisant souvent décrire un angle de plus de 180°. Il est plus probable que le liquide qui, comme nous le savons, circule dans les tentacules pendant le phénomène de l’inflexion, est lentement attiré dans les cellules de la surface convexe, ce qui augmente ainsi graduellement et continuellement leur tension.

Je ferai, à la fin du chapitre suivant, la récapitulation des principaux faits et des principales observations contenus dans ce chapitre.


CHAPITRE XI.

récapitulation des principales observations faites sur le drosera rotundifolia.

J’ai fait, à la fin de presque tous les chapitres, un résumé de ce que contient le chapitre, il suffira donc ici de récapituler de façon aussi brève que possible les points principaux. J’ai consacré le premier chapitre à une esquisse préliminaire de la structure des feuilles et à la façon dont elles capturent les insectes. Elles y parviennent au moyen de gouttes de liquide très-visqueux qui entourent les glandes et par le mouvement des tentacules vers le centre de la feuille. Comme les plantes se procurent la plus grande partie de leur alimentation par ce moyen, leurs racines sont très-peu développées et elles poussent souvent dans des endroits où aucune autre plante, sauf des mousses, peut à peine exister. Les glandes, outre la faculté qu’elles ont de sécréter, peuvent aussi absorber. Elles sont très-sensibles à divers stimulants et principalement à des attouchements répétés, à la pression de corps très-petits, à l’absorption de substances animales et de divers liquides, à la chaleur et à l’action galvanique. J’ai vu un tentacule sur la glande duquel une parcelle de viande crue a été posée commencer à s’infléchir au bout de dix secondes, être fortement infléchi en cinq minutes et atteindre le centre de la feuille en une demi-heure. Le limbe de la feuille se recourbe aussi très-souvent dans des proportions telles qu’il forme une coupe enfermant l’objet placé sur la feuille.

Quand une glande est excitée, elle transmet non-seulement une impulsion à la base de son propre tentacule, ce qui le fait s’infléchir, mais elle transmet aussi une impulsion aux tentacules environnants qui s’infléchissent également ; la partie flexible d’un tentacule peut donc être appelée au mouvement par une impulsion reçue de directions opposées, c’est-à-dire d’une impulsion partant de la glande qui la surmonte ou partant d’une ou de plusieurs glandes surmontant les tentacules qui l’environnent. Au bout d’un certain temps, les tentacules infléchis se redressent et, pendant ce redressement, les glandes sécrètent moins abondamment ou se dessèchent même tout à fait. Dès que les glandes recommencent à sécréter, les tentacules sont prêts à agir de nouveau. Ces mouvements peuvent se répéter au moins trois fois et probablement un bien plus grand nombre de fois.

J’ai démontré dans le second chapitre que les matières animales placées sur le disque provoquent une inflexion beaucoup plus prompte et beaucoup plus énergique que des corps inorganiques ayant le même volume, ou que la simple irritation mécanique. Toutefois, il y a une différence encore plus marquée dans le laps de temps très-notable pendant lequel les tentacules restent infléchis sur des matières contenant des substances solubles et nutritives que sur celles qui n’en contiennent pas. Des parcelles extrêmement petites de verre, de charbon, de cheveux, de fil, de craie, etc., placées sur les glandes des tentacules extérieurs provoquent l’inflexion de ces tentacules. Une parcelle ne produit aucun effet, à moins qu’elle ne pénètre la sécrétion et qu’elle ne touche par un point la surface même de la glande. Un petit morceau de cheveu humain très-fin, ayant 8/1000 de pouce (0,203 de millim.) de longueur et pesant seulement 1/78740 de grain (0,000822 de milligr.), bien que supporté en grande partie par la sécrétion visqueuse, suffit pour provoquer l’inflexion d’un tentacule. Il n’est pas probable que la pression, dans ce cas, soit équivalente à celle d’un millionième de grain. Des parcelles encore plus petites suffisent pour provoquer un léger mouvement, ainsi qu’on peut s’en assurer au moyen d’une loupe. Des parcelles beaucoup plus grandes que celles dont nous venons d’indiquer les mesures ne produisent aucune sensation quand on les place sur la langue, une des parties les plus sensibles du corps humain.

Un attouchement, répété trois ou quatre fois sur une glande, provoque un mouvement ; mais si l’on ne touche la glande qu’une fois ou deux, bien qu’avec une force considérable et avec un corps dur, le tentacule ne s’infléchit pas. Il en résulte que la plante ne se livre pas à des mouvements inutiles, car, pendant les grands vents, il est certain que les glandes doivent être ordinairement heurtées par les feuilles des plantes voisines. Bien qu’insensibles à un seul attouchement, les glandes, comme nous venons de le dire, sont extrêmement sensibles à la plus légère pression, si elle se prolonge pendant quelques secondes ; cette aptitude rend évidemment de grands services à la plante pour la capture des petits insectes. Le plus petit insecte qui vient poser ses pattes délicates sur les glandes est rapidement capturé. Les glandes sont insensibles au poids et à la percussion répétée des gouttes de pluie quelque grosses qu’elles soient, ce qui évite encore à la plante beaucoup de mouvements inutiles.

Nous avons interrompu la description des mouvements des tentacules pour consacrer le troisième chapitre à la description du phénomène d’agrégation. L’agrégation commence toujours dans les cellules des glandes dont le contenu devient d’abord nuageux ; cette transformation nuageuse a été observée dans les dix secondes qui ont suivi l’excitation d’une glande. Il se produit bientôt, quelquefois en moins d’une minute, dans les cellules placées au-dessous des glandes, des granules que l’on peut à peine distinguer avec un grossissement très-considérable ; ces granules s’agrègent alors et forment des petits globules. L’agrégation se propage ensuite le long des tentacules, s’arrêtant pendant un court instant à chaque cloison transversale. Les petits globules se réunissent alors pour en former de plus gros, ou se transforment en masses ovales, en masses affectant la forme d’une tige surmontée d’une boule, ou la forme de fils ou de colliers, masses de protoplasma qui, en suspension dans un liquide presque incolore, changent incessamment et spontanément de forme. Ces masses se réunissent fréquemment pour se séparer de nouveau. Si la glande a été puissamment excitée, toutes les cellules sont affectées jusqu’à la base du tentacule. Dans les cellules, et surtout dans celles qui contiennent un liquide rouge foncé, le commencement du phénomène consiste souvent dans la formation d’une masse de protoplasma, en forme de sac rouge foncé, qui se divise ensuite et subit les changements de forme ordinaires. Avant l’agrégation une couche de protoplasma incolore renfermant des granules (l’utricule primordial de Molli) circule le long des parois des cellules ; cette couche devient plus distincte dès que le contenu de la cellule s’est agrégé en partie en globules ou en masses ressemblant à un sac. Au bout d’un certain temps, les granules de cette couche sont attirés par les masses centrales et s’unissent à elles ; on ne peut plus alors distinguer la couche en mouvement, mais il y a encore un courant de liquide transparent à l’intérieur des cellules.

Presque tous les stimulants qui provoquent le mouvement des tentacules provoquent aussi l’agrégation du protoplasma : ainsi, par exemple, les attouchements répétés deux ou trois fois sur les glandes, la pression de parcelles inorganiques extrêmement petites, l’absorption de divers liquides, l’immersion même longtemps prolongée dans l’eau distillée, l’exosmose et la chaleur. Parmi les nombreux stimulants que j’ai essayés, le carbonate d’ammoniaque est le plus énergique et celui qui agit le plus rapidement ; une dose de 1/134400 de grain (0,00048 de millig.) posée sur une seule glande suffit pour provoquer au bout d’une heure une agrégation bien marquée dans les cellules supérieures du tentacule. L’agrégation se continue aussi longtemps seulement que le protoplasma est vivant, vigoureux et à l’état oxygéné.

Que la glande ait été excitée directement ou qu’elle ait reçu une impulsion d’autres glandes éloignées, le résultat est exactement le même sous tous les rapports. Il y a, toutefois, une différence importante : quand on excite les glandes centrales elles transmettent une impulsion qui remonte le long des pédicelles des tentacules extérieurs jusqu’aux glandes, en allant du centre à la circonférence ; au contraire, le phénomène immédiat de l’agrégation va de la circonférence au centre, car il part des glandes des tentacules extérieurs pour se propager, en descendant, le long des pédicelles. En conséquence, l’impulsion transmise d’une partie de la feuille à une autre doit être différente de l’impulsion immédiate qui provoque l’agrégation. Ce phénomène ne résulte pas de ce que les glandes sécrètent plus abondamment qu’elles ne le faisaient auparavant, et il se produit indépendamment de l’inflexion des tentacules. L’agrégation persiste aussi longtemps que les tentacules restent infléchis et, dès que ces tentacules sont complètement redressés, les petites masses de protoplasma se dissolvent toutes ; les cellules se remplissent alors de liquide pourpre homogène, de même qu’elles l’étaient avant l’excitation de la feuille.

Le phénomène de l’agrégation peut se produire à la suite de quelques attouchements ou d’une pression exercée par des corps insolubles, il se produit donc indépendamment de l’absorption de substances quelles qu’elles soient et doit être de nature moléculaire. D’ailleurs, alors même que l’agrégation se produit à la suite de l’absorption de carbonate d’ammoniaque ou d’autres sels d’ammoniaque ou d’une infusion de viande, elle semble être exactement de même nature. Or, pour que le liquide protoplasmique soit affecté par des causes aussi légères et aussi variées, il faut qu’il soit dans un état particulièrement instable. Les physiologistes croient que, lorsqu’on touche un nerf et que ce nerf transmet une impulsion à d’autres parties du système nerveux, il se produit chez lui un changement moléculaire que nous ne pouvons percevoir. Il est donc fort intéressant d’observer sur les cellules d’une glande les effets de la pression d’une parcelle de cheveu ne pesant que le 1/78700 de grain (0,000822 de millig.), parcelle qui est en outre supportée par la sécrétion visqueuse, car cette pression extrêmement petite provoque bientôt une modification visible dans le protoplasma, modification qui se propage dans toute la longueur du tentacule et qui produit chez lui, tout au moins, une sorte d’aspect tacheté que l’on peut facilement distinguer à l’œil nu.

J’ai démontré dans le quatrième chapitre que les feuilles plongées pendant un court espace de temps dans de l’eau portée à la température de 110° F (43°,3 centigr.) s’infléchissent quelque peu ; cette immersion les rend aussi plus sensibles qu’elles ne l’étaient auparavant à l’action de la viande. Si l’on expose les feuilles à une température variant entre 115° et 125° F (46°,1 à 51°,6 centigr.), elles s’infléchissent rapidement et le protoplasma s’agrège ; plongées ensuite dans l’eau froide les tentacules se redressent. Exposées à 130° F (54°,4 centigr.), l’inflexion ne se produit pas immédiatement, mais les feuilles sont seulement paralysées pour quelques instants, car, si on les plonge dans l’eau froide elles s’infléchissent souvent et se redressent ensuite. J’ai vu distinctement le protoplasma se mettre en mouvement chez une feuille traitée de cette façon. Une agrégation très-considérable s’est produite chez d’autres feuilles traitées de la même manière et plongées ensuite dans une solution de carbonate d’ammoniaque. Les feuilles plongées dans l’eau froide après avoir été exposées à une température de 145° F (62°,7 centigr.) s’infléchissent quelquefois légèrement, mais très-lentement ; l’immersion dans une solution de carbonate d’ammoniaque provoque ensuite l’agrégation énergique du contenu des cellules. Toutefois, la durée de l’immersion est un élément important, car, si on plonge les feuilles dans de l’eau portée à la température de 145° F. (62°,7 centigr.) ou même à 140° F. (60° centigr.) et qu’on les y laisse jusqu’à ce que l’eau soit refroidie, elles meurent et le contenu des glandes devient blanc et opaque. Ce dernier résultat semble dû à la coagulation de l’albumine et est presque toujours causé par une courte exposition à une température de 150° F (65°,5 centigr.) ; toutefois, différentes feuilles et même les diverses cellules d’un même tentacule différent considérablement au point de vue de la résistance à la chaleur. Enfin, le carbonate d’ammoniaque provoque l’agrégation chez les feuilles, à moins que la chaleur n’ait été suffisante pour coaguler l’albumine.

J’ai étudié, dans le cinquième chapitre, les effets produits par des gouttes de divers liquides organiques azotés et non azotés placés sur le disque des feuilles, et j’ai démontré que les feuilles découvrent avec une certitude presque absolue la présence de l’azote. Une décoction de pois verts ou de feuilles de chou fraîches agit presque aussi énergiquement qu’une infusion de viande crue, tandis qu’une infusion de feuilles de chou, faite en conservant les feuilles pendant longtemps dans de l’eau tiède, est beaucoup moins énergique. Une décoction de feuilles d’herbe est moins efficace qu’une décoction de pois verts ou de feuilles de chou.

Ces résultats m’ont conduit à rechercher si le Drosera est apte à dissoudre les substances animales solides. J’ai relaté en détail, dans le sixième chapitre, les expériences qui prouvent que les feuilles sont aptes à une digestion véritable et que les glandes absorbent les matières digérées. Ce sont là, peut-être, les observations les plus intéressantes que j’aie faites sur le Drosera, car on ne connaissait pas encore dans le règne végétal une aptitude de ce genre. Il est aussi un fait intéressant, c’est que les glandes du disque, quand elles sont excitées, transmettent une impulsion aux glandes des tentacules extérieurs, impulsion qui provoque chez ces dernières des sécrétions plus abondantes et acides, comme si elles avaient été excitées directement par un objet placé sur elles. Le suc gastrique des animaux contient, comme on sait, un acide et un ferment qui sont tous deux indispensables à la digestion ; il en est de même de la sécrétion du Drosera. Quand on excite mécaniquement l’estomac d’un animal il sécrète un acide ; quand on place des parcelles de verre ou d’autres objets semblables sur les glandes du Drosera, la sécrétion de la glande directement excitée et celle des glandes environnantes devient plus abondante et devient en même temps acide. Mais, selon Schiff l’estomac d’un animal ne sécrète le ferment convenable, la pepsine, qu’autant qu’il a absorbé certaines substances qu’il appelle peptogènes ; or, il semble résulter de mes expériences que les glandes du Drosera doivent absorber certaines substances avant de sécréter le ferment convenable. Il a été démontré, par l’addition de petites doses d’un alcali qui arrêtent entièrement le phénomène de la digestion, que la sécrétion contient un ferment qui n’agit sur les substances animales solides qu’autant qu’il se trouve en présence d’un acide ; en effet, la digestion recommence dès qu’on neutralise l’alcali au moyen d’un peu d’acide chlorhydrique étendu d’eau. De nombreuses expériences, faites avec une grande quantité de substances, ont démontré que la sécrétion du Drosera agit exactement comme le suc gastrique sur les substances qu’elle dissout complétement, qu’elle attaque partiellement ou qu’elle laisse intactes. Nous pouvons donc conclure que le ferment du Drosera ressemble beaucoup à la pepsine des animaux ou qu’il est identique avec elle.

Les substances digérées par le Drosera agissent très-différemment sur les feuilles. Les unes provoquent une inflexion énergique et rapide des tentacules et les font rester infléchis pendant beaucoup plus longtemps que les autres. Nous sommes donc conduits à supposer que les premières sont plus nutritives que les secondes, de même qu’il arrive pour quelques-unes de ces mêmes substances données aux animaux ; par exemple, la viande comparativement à la gélatine. La dissolution rapide par la sécrétion du Drosera et l’absorption subséquente d’une substance aussi dure que le cartilage, sur laquelle l’eau a si peu d’action, est peut-être un des cas les plus extraordinaires que l’on puisse citer. Toutefois, ce cas n’est certainement pas plus remarquable que la digestion de la viande, qui est dissoute par la sécrétion de la même manière et en passant par les mêmes degrés qu’elle l’est par le suc gastrique. La sécrétion dissout les os et même l’émail des dents, mais cette dissolution est due simplement à la grande quantité d’acide sécrété, et provient sans doute de l’affinité de la plante pour le phosphore. Dans le cas des os, le ferment n’a d’action qu’autant que tout le phosphate de chaux a été décomposé et qu’il se trouve de l’acide libre ; dans ce cas, la base fibreuse des os est rapidement dissoute. En outre, la sécrétion attaque et dissout des substances contenues dans les graines vivantes qu’elle tue quelquefois ou qu’elle attaque profondément, ce que prouve l’état maladif des rejetons de ces graines. Enfin, la sécrétion absorbe certaines matières contenues dans le pollen et dans des morceaux de feuilles.

J’ai consacré le septième chapitre à l’action des sels d’ammoniaque. Tous ces sels provoquent l’inflexion des tentacules et souvent même du limbe de la feuille et l’agrégation du protoplasma. Ces sels agissent avec une énergie bien différente : le citrate d’ammoniaque est le moins énergique ; le phosphate d’ammoniaque est de beaucoup le plus énergique, grâce sans doute à la présence dans ce sel du phosphore et de l’azote. Toutefois, je n’ai déterminé avec soin que l’efficacité relative de trois sels d’ammoniaque seulement, c’est-à-dire le carbonate, l’azotate et le phosphate. J’ai fait mes expériences en plaçant 1/2 minima (0,0296 de millil.) de solutions de différentes forces sur le disque des feuilles, en appliquant une petite goutte (environ 1/20e de minime, ou 0,00296 de millilitre) pendant quelques secondes à 3 ou 4 glandes ; enfin, en plongeant des feuilles entières dans une quantité de liquide toujours la même. Il était nécessaire d’abord, comme terme de comparaison, de déterminer les effets de l’eau distillée sur les feuilles, et j’ai trouvé, comme on pourra le voir par les détails, que les feuilles les plus sensibles sont affectées par l’eau distillée, mais seulement dans de petites proportions.

Les racines absorbent une solution de carbonate d’ammoniaque ; cette absorption provoque une agrégation du contenu des cellules, mais n’affecte pas les feuilles. La vapeur de ce sel, absorbée par les glandes, provoque l’inflexion aussi bien que l’agrégation du protoplasma. Une goutte d’une solution contenant 1/960e de grain (0,0675 de milligr.) placée sur les glandes du disque est la quantité la plus petite qui provoque l’inflexion des tentacules extérieurs. Toutefois, une goutte microscopique contenant 1/14400e de grain (0,00445 de milligr.) appliquée pendant quelques secondes à la sécrétion qui entoure une glande provoque l’inflexion du tentacule. Quand une feuille très-sensible est plongée dans une solution de carbonate et qu’on l’y laisse le temps nécessaire à l’absorption, le 1/268800e de grain (0,00024 de miiligr.) suffit, pour exciter un mouvement chez un tentacule.

L’azotate d’ammoniaque provoque l’agrégation du protoplasma beaucoup moins vite que le carbonate, mais il est beaucoup plus énergique pour provoquer l’inflexion. Une goutte d’une solution d’azotate d’ammoniaque contenant 1/2400e de grain (0,027 de milligr.) de sel placée sur le disque exerce une action énergique sur tous les tentacules extérieurs qui n’ont pas été eux-mêmes touchés par la solution ; une goutte contenant 1/2800e de grain (0,026 de milligr.) de sel n’a provoqué que l’inflexion de quelques tentacules extérieurs, mais a affecté le limbe dans des proportions plus considérables. Une goutte microscopique contenant 1/28800e de grain (0,0025 de milligr.) appliquée à une glande a causé l’inflexion du tentacule. J’ai pu démontrer, en plongeant des feuilles entières dans la solution, que l’absorption par une glande du 1/691200e de grain (0,0000937 de milligr.) de sel suffit à provoquer un mouvement dans le tentacule.

Le phosphate d’ammoniaque est beaucoup plus énergique que l’azotate. Une goutte contenant 1/3840e de grain (0,0169 de milligr.) de sel placée sur le disque d’une feuille sensible provoque l’inflexion de la plupart des tentacules extérieurs ainsi que celle du limbe de la feuille. Une goutte microscopique contenant 1/153600e de grain (0,000423 de milligr.) de sel appliquée pendant quelques secondes à une glande agit sur le tentacule comme le prouve son inflexion. Quand on plonge une feuille dans 30 minimes (1,7748 millilitres) d’une solution contenant une partie en poids de sel pour 21875000 parties d’eau, l’absorption par une glande de 1/19760000e de grain (0,00000328 de milligr.) de sel, c’est-à-dire un peu plus que le 1/20000000e de grain, suffit pour que le tentacule portant cette glande s’infléchisse jusqu’au centre de la feuille. Dans cette expérience, si l’on tient compte de la présence de l’eau de cristallisation, le tentacule n’a pu absorber tout au plus que le 1/30000000 de grain de sel. Il n’y a rien d’étonnant à ce que les glandes absorbent des quantités aussi minimes, car tous les physiologistes admettent que les sels d’ammoniaque sont absorbés par les racines alors qu’ils sont apportés en quantités moindres encore par la pluie. Il n’est pas surprenant non plus que le Drosera bénéficie de l’absorption de ces sels, car la levure et d’autres formes de champignons infimes se développent dans les solutions d’ammoniaque s’ils se trouvent en présence des autres éléments nécessaires. Mais le fait étonnant sur lequel d’ailleurs je ne veux pas m’étendre davantage, c’est qu’une quantité aussi extraordinairement petite que le un vingt millionième de grain de phosphate d’ammoniaque provoque dans une glande du Drosera un changement suffisant pour développer une impulsion qui se propage dans toute la longueur du tentacule, impulsion assez vive pour faire décrire à ce tentacule un angle de plus de 180°. Je ne sais réellement si l’on doit plus s’étonner de ce fait ou du mouvement rapide provoqué par la pression d’un bout de cheveu soutenu par la sécrétion visqueuse. En outre, il ne faut pas perdre de vue que cette extrême sensibilité, excédant celle des parties les plus délicates du corps humain, ainsi que la faculté de la transmission des diverses impulsions d’une partie de la feuille à l’autre, ont été acquises sans l’intervention d’un système nerveux.

Comme on connaît jusqu’à présent peu de plantes qui possèdent des glandes spécialement adaptées pour l’absorption, il m’a semblé utile de déterminer les effets de divers autres sels, outre ceux d’ammoniaque, et de divers acides sur le Drosera. Leur action est décrite dans le huitième chapitre ; elle ne correspond pas strictement à leurs affinités chimiques telles qu’on peut les déduire de la classification ordinairement adoptée. La nature de la base exerce une action beaucoup plus grande que celle de l’acide ; or, l’on sait qu’il en est de même chez les animaux. Par exemple, 9 sels de soude ont tous provoqué une inflexion bien marquée et aucun d’eux, employé à petite dose, n’a fait l’effet de poison, tandis que 7 des sels correspondants de potasse n’ont produit aucun effet sur les feuilles et que 2 seulement ont provoqué une légère inflexion. En outre, les petites doses de quelques-uns des sels de potasse injectés dans les veines des animaux ont de même une action toute différente. Les sels terreux, comme on les appelle, ne produisent guère d’effet sur le Drosera. D’autre part, les sels métalliques provoquent une inflexion rapide et énergique et sont des poisons violents ; il y a toutefois quelques singulières exceptions à cette régie : ainsi, le chlorure de plomb et le chlorure de zinc, aussi bien que deux sels de baryte n’ont provoqué aucune inflexion et n’agissent pas comme poison.

La plupart des acides essayés, bien que très-étendus d’eau (1 partie d’acide pour 437 parties d’eau) et employés en petite quantité, ont agi énergiquement sur le Drosera ; 19 acides sur 24 ont provoqué l’inflexion plus ou moins énergique des tentacules. La plupart de ces acides, même les acides organiques, sont des poisons et souvent des poisons violents pour le Drosera ; ce fait est d’autant plus remarquable que le suc d’un grand nombre de plantes contient des acides. L’acide benzoïque, inoffensif pour les animaux, semble être pour le Drosera un poison aussi violent que l’acide cyanhydrique. D’autre part, l’acide chlorhydrique n’est un poison ni pour les animaux, ni pour le Drosera, il ne provoque chez ce dernier qu’une inflexion modérée. Beaucoup d’acides provoquent chez les glandes la sécrétion d’une quantité extraordinaire de mucus ; en outre, le protoplasma contenu dans les cellules des glandes semble être souvent tué, ce que l’on peut conclure de la teinte rose que prend le liquide environnant. Il est étrange que des acides alliés exercent sur les feuilles une action très-différente ; ainsi l’acide formique ne provoque qu’une légère inflexion et n’agit pas comme poison, tandis que l’acide acétique dilué dans les mêmes proportions agit très-énergiquement et est un poison violent. L’acide lactique est aussi un poison, mais il ne provoque l’inflexion qu’après un laps de temps considérable. L’acide malique exerce une action légère, tandis que l’acide citrique et l’acide tartrique ne produisent aucun effet.

J’ai décrit dans le neuvième chapitre les effets que produit l’absorption de divers alcaloïdes et de certaines autres substances. Bien que quelques-uns agissent comme poisons, il y en a cependant plusieurs qui ne produisent aucun effet sur le Drosera, quoiqu’ils exercent une action puissante sur le système nerveux des animaux ; nous pouvons en conclure que l’extrême sensibilité des glandes et la faculté qu’elles possèdent de transmettre une impulsion à d’autres parties de la feuille pour provoquer le mouvement, la modification des sécrétions ou l’agrégation, ne dépend pas de la présence d’un élément analogue au tissu nerveux. Un des faits les plus remarquables à cet égard est qu’une longue immersion dans une solution du poison du cobra n’arrête en aucune façon, mais semble au contraire stimuler les mouvements spontanés du protoplasma dans les cellules du tentacule. Des solutions de divers sels et certains acides dilués se comportent tout différemment en ce qu’ils retardent ou empêchent complètement l’action subséquente d’une solution de phosphate d’ammoniaque. Le camphre dissous dans l’eau joue le rôle de stimulant ainsi que le font d’ailleurs des petites doses de certaines huiles essentielles, car elles provoquent une inflexion rapide et énergique. L’alcool n’est pas un stimulant. Les vapeurs de camphre, d’alcool, de chloroforme, d’éther sulfurique et d’éther azotique à doses assez grandes, agissent comme poison, mais à petites doses elles jouent le rôle de narcotiques on d’anesthésiques et retardent considérablement l’action subséquente de la viande. Toutefois, quelques-unes de ces vapeurs jouent aussi le rôle de stimulants et provoquent chez les tentacules des mouvements rapides presque spasmodiques. L’acide carbonique est aussi un narcotique ; il retarde l’agrégation du protoplasma quand on place ensuite la glande en présence d’une solution de carbonate d’ammoniaque. Le premier accès de l’air autour des plantes qui ont été plongées dans ce gaz joue quelquefois le rôle de stimulant et provoque un mouvement. Mais, comme je l’ai déjà fait remarquer, il faudrait écrire un traité spécial pour décrire les effets divers que produisent différentes substances sur les feuilles du Drosera.

J’ai démontré dans le dixième chapitre que la sensibilité des feuilles paraît entièrement limitée aux glandes et aux cellules placées immédiatement au-dessous des glandes. J’ai démontré, en outre, que l’impulsion motrice, les autres forces ou influences, partant des glandes excitées, se propagent à travers le tissu cellulaire et non pas le long des faisceaux fibro-vasculaires. La glande envoie avec une grande rapidité une impulsion motrice dans toute la longueur du pédicelle qu’elle surmonte jusqu’à la base du tentacule qui seul est flexible. L’impulsion motrice dépassant alors cette base se propage dans toutes les directions vers les tentacules environnants, en affectant d’abord ceux qui se trouvent le plus près. Mais cette impulsion en se disséminant ainsi perd de sa force et se propage beaucoup plus lentement qu’elle ne l’a fait le long des pédicelles, parce que les cellules du disque ne sont pas aussi allongées que celles des tentacules. En raison aussi de la direction et de la forme des cellules, l’impulsion motrice se propage, plus facilement et plus rapidement dans une direction longitudinale à travers le disque que dans une direction transversale. L’impulsion partant des glandes des tentacules marginaux extrêmes ne semble pas avoir assez de force pour affecter les tentacules adjacents, ce qui provient sans doute, en partie, de la longueur de ces tentacules. L’impulsion partant des glandes des quelques premières rangées intérieures se propage principalement dans les tentacules situés de chaque côté de la glande excitée et vers le centre de la feuille ; mais l’impulsion partant des glandes des tentacules courts du disque se propage presque également dans toutes les directions.

Quand une glande est fortement excitée par la quantité ou la qualité de la substance qu’on a placée sur elle, l’impulsion motrice se propage plus loin que celle partie d’une glande plus légèrement excitée ; si on excite simultanément plusieurs glandes, l’impulsion partie de chacune d’elles se combine et se propage encore plus loin. Dès qu’une glande est excitée, elle décharge, pour ainsi dire, une impulsion qui se propage jusqu’à une distance considérable, mais ensuite, quand la glande sécrète et absorbe, l’impulsion qui en part suffit seulement à maintenir infléchi le tentacule qu’elle surmonte, quand bien même l’inflexion persisterait pendant plusieurs jours.

Si la partie flexible d’un tentacule reçoit une impulsion de sa propre glande, ce tentacule se meut toujours vers le centre de la feuille ; il en est de même pour tous les tentacules quand leurs glandes sont excitées par une immersion dans un liquide convenable. Il faut toutefois en excepter les tentacules courts de la partie centrale du disque, qui ne s’infléchissent pas du tout à la suite de semblables excitations. D’autre part, quand l’impulsion motrice part d’un des côtés du disque, les tentacules environnants, y compris même les tentacules courts qui se trouvent au centre de la feuille, s’infléchissent tous avec précision vers le point excité, quelque part que se trouve ce point. C’est là, sous tous les rapports, un phénomène remarquable ; en effet, la feuille paraît alors faussement douée des sens d’un animal. Ce phénomène est d’autant plus remarquable que, lorsque l’impulsion motrice frappe la base d’un tentacule obliquement par rapport à sa surface aplatie, la contraction des cellules doit se limiter à 1, 2, ou quelques rangées seulement d’une des extrémités. En outre, il faut que l’impulsion agisse sur plusieurs tentacules environnants pour que tous s’inclinent avec précision vers le point excité.

L’impulsion motrice partant d’une ou de plusieurs glandes et se propageant à travers le disque, pénètre dans la base des tentacules environnants et agit immédiatement sur leurs parties flexibles. Cette impulsion ne se propage pas d’abord jusqu’aux glandes des tentacules de façon à exciter celles-ci et à envoyer une impulsion réflexe jusqu’à la base. Néanmoins, une certaine impulsion se propage jusqu’aux glandes, car leur sécrétion augmente bientôt et devient acide ; alors les glandes ainsi excitées renvoient quelque autre impulsion qui ne dépend ni de l’augmentation de la sécrétion ni de l’inflexion des tentacules, mais qui provoque l’agrégation du protoplasma de cellule en cellule jusqu’à la base. On pourrait appeler cette impulsion une action réflexe, bien qu’elle soit probablement très-différente de l’impulsion qui part des ganglions nerveux d’un animal ; c’est là, d’ailleurs, le seul cas connu d’action réflexe dans le règne végétal.

Nous savons fort peu de choses sur le mécanisme des mouvements et sur la nature de l’impulsion motrice. Il est certain que, pendant l’acte de l’inflexion, des liquides sont transportés d’une partie des tentacules à une autre. Toutefois, l’hypothèse qui concorde le mieux avec les faits observés est que l’impulsion motrice est, de sa nature, alliée au phénomène d’agrégation ; qu’en outre, ce phénomène fait rapprocher l’une de l’autre les molécules des parois des cellules de la même façon que les molécules du protoplasma contenues dans les cellules ; il en résulte que les parois des cellules se contractent. Mais on peut élever quelques sérieuses objections contre cette hypothèse. Le redressement des tentacules est dû, en grande partie, à l’élasticité des cellules extérieures, élasticité qui entre en jeu dès que les cellules cessent de se contracter avec une force prédominante. Toutefois, nous avons raison de supposer que le liquide est constamment et lentement attiré dans les cellules extérieures pendant l’acte du redressement, ce qui augmente la tension de ses cellules.

Je viens de récapituler en quelques mots les principaux faits que j’ai observés relativement à la structure, aux mouvements, à la constitution et aux habitudes du Drosera rotundifolia. On est actuellement à même de juger combien peu nous savons par rapport à ce qui reste inexpliqué et à ce qui nous est inconnu.


CHAPITRE XII

structure et mouvements de quelques autres espèces de drosera.

Drosera anglica. — Drosera intermedia. — Drosera capensis. — Drosera spathulata. — Drosera filiformis. — Drosera binata. — Conclusions.


J’ai étudié d’autres espèces de Drosera dont quelques-unes habitent des pays fort éloignés ; mon étude a porté principalement sur le fait de savoir si ces Drosera capturent ou non des insectes. Cet examen me paraissait d’autant plus nécessaire que les feuilles de quelques espèces diffèrent considérablement sous le rapport de la forme des feuilles arrondies du Drosera rotundifolia. Toutefois, on remarque fort peu de différences entre elles au point de vue de la fonction.

Drosera anglica (Hudson[70]). — On m’a envoyé d’Irlande plusieurs feuilles de cette espèce de Drosera ; ces feuilles sont très-allongées et s’élargissent graduellement à partir de la tige jusqu’au sommet qui se termine en une pointe grossière. Elles se tiennent presque droites ; le limbe a quelquefois un pouce (2,54 centim. ) de longueur, tandis que la largeur n’atteint que le 1/5 de pouce (0,51 centim.) Les glandes de tous les tentacules ont la même conformation, de sorte que les glandes marginales extrêmes ne diffèrent pas des autres comme chez le Drosera rotundifolia. Quand on irrite ces glandes par des attouchements un peu rudes ou en les mettant en contact avec des parcelles inorganiques microscopiques, ou avec des matières animales, ou enfin en leur faisant absorber du carbonate d’ammoniaque, les tentacules s’infléchissent ; la base du tentacule est le siège principal du mouvement. On n’excite aucun mouvement chez les tentacules en coupant ou en piquant le limbe. Ces feuilles capturent fréquemment des insectes, et les glandes des tentacules infléchis déversent alors d’abondantes sécrétions acides. J’ai placé des morceaux de viande rôtie sur quelques glandes et les tentacules se mirent en mouvement au bout d’une minute ou d’une minute trente secondes ; au bout d’une heure dix minutes, les glandes avaient atteint le centre. J’ai placé sur cinq glandes, à l’aide d’un instrument qui avait été plongé dans l’eau bouillante, deux parcelles de liège bouilli, une de fil bouilli et deux petits morceaux de charbon tirés directement du feu ; j’avais pris ces précautions superflues à cause des remarques faites par M. Ziegler. Une des parcelles de charbon provoqua une légère inflexion au bout de huit heures quarante-cinq minutes, et l’autre au bout de vingt-trois heures ; le morceau de fil et les deux morceaux de liège provoquèrent aussi un mouvement au bout du même laps de temps. Je touchai trois glandes six fois de suite avec une aiguille ; un des tentacules s’infléchit considérablement au bout de dix-sept minutes, et se redressa au bout de vingt-quatre heures ; les deux autres ne furent pas affectés. Le liquide homogène, contenu dans les cellules des tentacules s’agrège après que ces derniers se sont infléchis ; il s’agrège surtout si on met les glandes en contact avec une solution de carbonate d’ammoniaque ; enfin, j’ai observé les mouvements ordinaires dans les masses de protoplasma. Dans un cas, l’agrégation se produisit une heure dix minutes après qu’un tentacule avait transporté un morceau de viande au centre de la feuille. Il résulte clairement de ces faits que les tentacules du Drosera anglica se comportent de la même façon que celles du Drosera rotundifolia.

Si l’on place un insecte sur les glandes centrales, ou que l’insecte s’y pose naturellement, le sommet de la feuille se recourbe vers le centre. Par exemple, j’ai placé des mouches mortes sur trois feuilles près de la base du limbe ; au bout de vingt-quatre heures, le sommet de ces feuilles, qui jusque-là était droit, s’était recourbé complètement, de façon à embrasser et à cacher les mouches ; le sommet de la feuille avait donc décrit un angle de 180°. Au bout de trois jours, le sommet de la feuille et les tentacules commencèrent à se redresser. Toutefois, autant que j’ai pu m’en assurer, et j’ai fait de nombreux essais à ce sujet, les côtés des feuilles ne s’infléchissent jamais, ce qui établit une différence de fonction entre cette espèce et le Drosera rotundifolia.

Drosera intermedia (Hayne). — Cette espèce est tout aussi commune que le Drosera rotundifolia dans quelques parties de l’Angleterre. Elle ne diffère du Drosera anglica, en ce qui concerne les feuilles, que parce qu’elles sont plus petites, et que leur sommet est ordinairement un peu réfléchi. Le Drosera intermedia capture un grand nombre d’insectes. Toutes les causes que j’ai déjà citées provoquent l’inflexion des tentacules, puis vient l’agrégation du protoplasma et le mouvement des masses protoplasmatiques. En me servant d’une loupe, j’ai pu voir un tentacule qui commençait à s’infléchir, moins d’une minute après que j’avais placé un morceau de viande crue sur la glande. Le sommet de la feuille se recourbe pour embrasser un objet qui excite les glandes, comme nous venons de le voir chez le Drosera anglica. Les glandes déversent d’abondantes sécrétions acides sur les insectes capturés. Une feuille dont tous les tentacules avaient embrassé une mouche commença à se redresser au bout de trois jours environ.

Drosera capensis. — Cette espèce m’a été envoyée par le Dr Hooker. Les feuilles sont allongées, légèrement concaves au milieu, et se rétrécissent vers le sommet qui se termine en pointe grossière, et qui est quelque peu réfléchi. Ces feuilles sortent d’un axe presque ligneux, et leur plus grande particularité consiste en ce que leurs tiges foliacées vertes sont presque aussi larges et souvent plus longues que le limbe qui porte les glandes. Il est donc probable que cette espèce tire une plus grande partie de son alimentation de l’air, et, par conséquent, une moindre partie des insectes capturés que ne le font les autres espèces du genre. Néanmoins, le disque est couvert de tentacules très-rapprochés extrêmement nombreux ; les tentacules marginaux sont beaucoup plus longs que les tentacules centraux. Toutes les glandes ont la même forme ; la sécrétion est très-visqueuse et acide.

Le spécimen que j’ai examiné venait seulement de recouvrer la santé. C’est ce qui explique peut-être que les tentacules ont été animés de mouvements très-lents quand j’ai placé des parcelles de viande sur les glandes, et, aussi, que je ne suis jamais arrivé à provoquer un mouvement chez eux en chatouillant longtemps les glandes avec une aiguille. Je dois toutefois ajouter que, chez toutes les espèces de ce genre, ce dernier stimulant est le moins efficace. Je plaçai des parcelles de verre, de liège et de charbon sur les glandes de six tentacules ; un seul se mit en mouvement au bout de deux heures trente minutes. Toutefois, deux glandes se montrèrent extrêmement sensibles à de très-petites doses d’azotate d’ammoniaque, c’est-à-dire à environ 1/20e de minime d’une solution (1 partie de sel pour 5,250 parties d’eau), contenant seulement 1/115200e de grain (0,000562 de milligr.) de sel. Je plaçai des fragments de mouche sur le limbe de deux feuilles près du sommet ; ce sommet se recourba au bout de quinze heures. Je plaçai aussi une mouche au milieu de la feuille ; au bout de quelques heures, les tentacules placés de chaque côté l’avaient embrassée, et, au bout de huit heures, la partie de la feuille située directement au-dessous de la mouche s’était un peu reployée transversalement. Le lendemain matin, au bout de vingt-trois heures, la feuille s’était si complètement recourbée que le sommet reposait sur l’extrémité supérieure de la tige. Dans aucun cas, les côtés des feuilles ne s’infléchirent. Je plaçai une mouche écrasée sur la tige foliacée, mais sans qu’aucun effet se produisît.

Drosera spathulata envoyé par le docteur Hooker. — J’ai fait seulement quelques expériences sur cette espèce australienne ; elle a de longues feuilles étroites qui s’élargissent graduellement vers le sommet. Les glandes des tentacules marginaux extrêmes, de même que chez le Drosera rotundifolia sont allongées et ne ressemblent pas aux autres. Je plaçai une mouche sur une feuille ; au bout de dix-huit heures, les tentacules adjacents l’avaient embrassée. Des gouttes d’eau gommée placées sur une feuille ne produisirent aucun effet. Je plongeai un morceau d’une feuille dans quelques gouttes d’une solution contenant une partie de carbonate d’ammoniaque pour 146 parties d’eau ; toutes les glandes noircirent instantanément, et je pus observer distinctement que l’agrégation se propageait rapidement dans les cellules des tentacules ; les granules de protoplasma se transformèrent bientôt en sphères et en masses affectant diverses formes, agitées des mouvements ordinaires. Je plaçai ensuite sur le centre d’une feuille 1/2 minime d’une solution contenant 1 partie d’ammoniaque pour 146 parties d’eau ; au bout de six heures, quelques tentacules marginaux placés aux deux côtés de la feuille s’étaient infléchis, et, au bout de neuf heures, ils se réunirent, au centre. Les bords latéraux de la feuille se recourbèrent aussi, de façon à former un demi-cylindre ; toutefois, dans aucune des quelques expériences que j’ai pu faire, le sommet de la feuille ne s’infléchit. La dose employée d’azotate d’ammoniaque dans l’expérience dont je viens de parler (c’est-à-dire 1/320e de grain, ou 0,202 de milligr.) était trop énergique, car au bout de vingt-trois heures la feuille mourut.

Drosera filiformis. — Cette espèce, de l’Amérique du Nord, se trouve en si grande abondance dans certaines parties du New-Jersey qu’elle recouvre presque le terrain. Selon Mme Treat[71], cette plante capture une quantité extraordinaire d’insectes grands et petits, et même, de grosses mouches du genre Asilus, des phalènes et des papillons. Le docteur Hooker a bien voulu m’envoyer le plant que j’ai examiné ; les feuilles ont de six à douze pouces de longueur (de 15,234 centim. à 30,468 centim.), et ressemblent à un fil ; la surface supérieure est convexe, la surface inférieure plate et légèrement ondulée. Toute la surface convexe jusqu’aux racines, car ces feuilles ne sont pas supportées par une tige distincte, est recouverte de tentacules courts terminés par une glande ; les tentacules marginaux sont plus longs que les autres et quelque peu réfléchis. Des morceaux de viande placés sur les glandes de quelques tentacules provoquèrent chez eux une légère inflexion au bout de vingt minutes ; il est bon d’ajouter que la plante n’était pas très-vigoureuse. Au bout de six heures, les tentacules avaient décrit un angle de 90°, et, au bout de vingt-quatre heures, ils avaient atteint le centre ; les tentacules adjacents commencèrent alors à s’infléchir. Enfin, les glandes réunies sur le morceau de viande déversèrent sur lui une grosse goutte de sécrétion extrêmement visqueuse et légèrement acide. Plusieurs autres glandes furent touchées avec un peu de salive ; les tentacules s’infléchirent en moins d’une heure, et se redressèrent au bout de dix-huit heures. Je plaçai des parcelles de verre, de liège, de charbon, de fil, de feuilles d’or sur de nombreuses glandes appartenant à deux feuilles ; au bout d’une heure environ, quatre tentacules s’infléchirent et quatre autres au bout d’un nouveau laps de temps de deux heures trente minutes. Je ne parvins jamais à provoquer un mouvement en chatouillant longtemps les glandes avec une aiguille ; Mme Treat a bien voulu répéter souvent cette même expérience, mais sans obtenir non plus aucun résultat. Je plaçai des petites mouches sur plusieurs feuilles auprès de leur extrémité ; mais le limbe, dans une occasion seulement, se recourba légèrement, immédiatement au-dessous de l’endroit où reposait l’insecte. Ceci indique peut-être que le limbe des feuilles appartenant à des plantes vigoureuses se recourberait sur les insectes capturés, ce qui arrive d’après le Dr Canby ; toutefois, ce mouvement ne doit pas être bien prononcé, car Mme Treat ne l’a jamais observé.

Drosera binata ou dichotoma. — Je dois à l’obligeance de lady Dorothy Nevill un magnifique exemplaire de cette espèce australienne presque gigantesque ; elle diffère par bien des points intéressants des espèces que nous avons décrites jusqu’à présent. Dans ce spécimen, les tiges des feuilles ressemblent à un jonc et ont vingt pouces (50,78 centim.) de longueur. Le limbe de la feuille se bifurque à sa jonction avec la tige, puis ensuite il se bifurque encore deux ou trois fois, et se recourbe de la façon la plus irrégulière. La feuille est étroite, n’ayant que 3/20e de pouce (0,38 de centim.) de largeur. Le limbe d’une de ces feuilles avait sept pouces et demi de longueur (19,542 centim.), de sorte que la feuille entière, y compris la tige, atteignait une longueur de plus de 27 pouces (68,55 centim.). Les deux surfaces sont légèrement déprimées, la surface supérieure est recouverte de tentacules disposés en rangées alternes : les tentacules du milieu sont courts et rapprochés les uns des autres ; les tentacules marginaux sont plus longs et ils atteignent même une longueur égale à deux ou trois fois la largeur de la feuille. Les glandes des tentacules extérieurs sont d’un rouge beaucoup plus foncé que celles des tentacules centraux. Tous les pédicelles sont verts. Le sommet de la feuille s’amincit et porte de très-longs tentacules. M. Copland m’apprend que les feuilles d’un plant qu’il a conservé pendant quelques années étaient, avant de se faner, ordinairement recouvertes d’insectes capturés.

Ces feuilles ne diffèrent par aucun point essentiel, quant à la conformation ou à la fonction, de celles des espèces précédemment décrites. Des morceaux de viande ou un peu de salive placés sur les glandes des tentacules extérieurs ont provoqué un mouvement bien marqué au bout de trois minutes, et des parcelles de verre ont agi au bout de quatre minutes. Les tentacules portant ces dernières parcelles se sont redressés au bout de vingt-deux heures. Je plongeai un morceau d’une feuille dans quelques gouttes d’une solution contenant une partie de carbonate d’ammoniaque pour 437 parties d’eau ; au bout de cinq minutes, toutes les glandes étaient devenues noires, et tous les tentacules s’étaient infléchis. Un morceau de viande crue placé sur plusieurs glandes de la rangée centrale fut parfaitement embrassé au bout de deux heures dix minutes par les tentacules marginaux appartenant aux deux côtés de la feuille. Des morceaux de viande rôtie et des petites mouches n’agirent pas aussi rapidement ; l’albumine et la fibrine agirent encore plus lentement. Un des morceaux de viande provoqua de si nombreuses sécrétions (sécrétions toujours acides), que la liqueur visqueuse coula jusqu’à une certaine distance le long du sillon central de la feuille, en provoquant l’inflexion des tentacules de chaque côté de ce sillon jusqu’au point où elle s’était arrêtée. Des parcelles de verre placées sur les glandes de la rangée centrale de tentacules ne les stimula pas assez pour qu’elles puissent transmettre une impulsion motrice aux tentacules extérieurs. Dans aucun cas, le limbe de la feuille ni même le sommet aminci ne s’est infléchi.

À la surface supérieure et à la surface inférieure du limbe, on remarque de nombreuses petites glandes presque sessiles composées de 4 à 8 ou 12 cellules. À la surface inférieure, ces glandes sont pourpre pâle et verdâtres à la surface supérieure. On remarque des organes presque semblables sur la tige, mais ils sont plus petits et souvent ridés. Les petites glandes placées sur le limbe de la feuille peuvent absorber rapidement ; ainsi, j’ai plongé un morceau de feuille dans une solution contenant une partie de carbonate d’ammoniaque pour 218 parties d’eau (1 grain pour 2 onces d’eau), et, au bout de cinq minutes, ces glandes étaient devenues presque noires, et le contenu de leurs cellules était agrégé. Autant que j’ai pu l’observer, elles ne sécrètent pas spontanément ; toutefois, deux ou trois heures après avoir frotté une feuille avec un morceau de viande crue, humectée avec de la salive, ces glandes m’ont paru sécréter abondamment ; divers autres faits m’ont confirmé plus tard dans cette conclusion. Ces glandes sont donc, comme nous le verrons bientôt, homologues avec les glandes sessiles qui se trouvent sur les feuilles de la Dionée et du Drosophyllum. Dans ce dernier genre, ces glandes sont associées, comme dans le cas actuel, à des glandes qui sécrètent spontanément, c’est-à-dire sans avoir besoin d’être excitées.

Le Drosera binata présente une autre singularité plus remarquable encore, c’est-à-dire la présence de quelques tentacules sur le dessous des feuilles auprès du bord. Ces tentacules ont une conformation parfaite ; des vaisseaux spiraux pénètrent, dans leur pédicelle, et leurs glandes sont environnées par des gouttes de sécrétions visqueuses ; enfin, elles jouissent de la propriété d’absorber certaines substances. On peut démontrer ce dernier fait en plongeant une feuille dans une petite quantité d’une solution contenant une partie de carbonate d’ammoniaque pour 437 parties d’eau ; en effet, les glandes noircissent immédiatement et le protoplasma s’agrège. Ces tentacules, situés au-dessous de la feuille, sont courts ; ils sont loin, en effet, d’égaler en longueur les tentacules marginaux situés à la partie supérieure de la feuille ; quelques-uns sont même si courts qu’ils se confondent presque avec les petites glandes sessiles. La présence, le nombre et la grandeur de ces tentacules varient selon les feuilles, et ils sont disposés assez irrégulièrement. J’en ai compté jusqu’à vingt-un sur un des côtés de la surface inférieure d’une feuille.

Ces tentacules dorsaux diffèrent par un point important de ceux situés à la partie supérieure de la feuille, c’est-à-dire qu’ils ne possèdent aucune faculté de mouvement de quelque façon qu’on les puisse exciter. Ainsi, j’ai plongé, à différentes reprises, des morceaux provenant de quatre feuilles dans des solutions de carbonate d’ammoniaque (1 partie pour 437 parties ou pour 218 parties d’eau) : tous les tentacules situés à la surface supérieure de la feuille s’infléchirent bientôt fortement, tandis que les tentacules dorsaux ne bougèrent pas, bien que les feuilles eussent séjourné pendant plusieurs heures dans la solution, et que la couleur noire des glandes ait prouvé qu’ils avaient évidemment absorbé une certaine quantité de sel. Il faut choisir pour ces expériences des feuilles assez jeunes, car les tentacules dorsaux, quand ils deviennent vieux, et qu’ils commencent à se faner, s’inclinent souvent spontanément vers le milieu de la feuille. La faculté du mouvement possédée par ces tentacules ne les aurait pas rendus plus utiles à la plante ; ils ne sont pas, en effet, assez longs pour se replier autour du bord de la feuille, de façon à atteindre un insecte capturé par la partie supérieure. Il eût été inutile aussi que ces tentacules pussent se mouvoir vers le milieu de la surface dorsale, car il ne se trouve là aucune glande visqueuse qui puisse capturer les insectes. Bien que ces tentacules n’aient pas la faculté du mouvement, ils rendent probablement quelques services à la feuille en absorbant les matières animales de quelque petit insecte qu’ils ont pu capturer, et en absorbant aussi l’ammoniaque qui se trouve dans l’eau de pluie. Mais le fait même qu’ils n’existent pas toujours, que leur grandeur varie beaucoup, que leur position est irrégulière, indique qu’ils ne rendent pas beaucoup de services à la plante et qu’ils tendent à disparaître. Nous verrons dans un chapitre subséquent que le Drosophyllum, avec ses feuilles allongées, représente probablement la condition d’un des ancêtres primitifs du genre Drosera ; or, aucun des tentacules du Drosophyllum, pas plus ceux situés à la surface supérieure des feuilles que ceux situés à la surface inférieure, ne sont capables de bouger quand on les excite, bien qu’ils capturent de nombreux insectes qui servent à l’alimentation de la feuille. Il semble donc que le Drosera binata a conservé des restes de certains caractères primitifs, c’est-à-dire quelques tentacules immobiles situés à la partie inférieure des feuilles et des glandes sessiles assez bien développées, caractères qu’ont perdu toutes ou presque toutes les autres espèces de ce genre[72].

Conclusions. — D’après ce que nous avons vu on peut à peine douter que presque toutes, ou probablement toutes les espèces de Drosera, sont adaptées de façon à capturer les insectes en se servant des mêmes moyens ou à peu près. Outre les deux espèces australiennes que nous venons de décrire, on dit[73] qu’il existe en Australie deux autres espèces, le Drosera pallida et le Drosera sulfurea « qui referment leurs feuilles sur les insectes avec une grande rapidité ; on observe le même phénomène chez une espèce indienne, le Drosera lunata, et chez plusieurs espèces du cap de Bonne-Espérance, surtout chez le Drosera trinervis ». Une autre espèce australienne, le Drosera heterophylla dont Lindley a fait un genre distinct, le Sondera, est remarquable à cause de la forme particulière de ses feuilles ; mais je ne peux rien dire sur la faculté qu’elle possède de capturer les insectes, car je n’en ai vu que des spécimens desséchés. Les feuilles forment des petites coupes aplaties et la tige s’attache non pas à une des extrémités de la feuille, mais au centre. La surface intérieure et le bord des coupes sont garnis de tentacules qui comprennent des faisceaux fibro-vasculaires un peu différents de ceux que j’ai observés dans toutes les autres espèces ; en effet, quelques-uns des vaisseaux sont barrés et ponctués au lieu d’être spiraux, les glandes sécrètent abondamment à en juger par la quantité de sécrétion desséchée qui adhérait encore aux feuilles que j’ai examinées.

CHAPITRE XIII.

dionæa muscipula.

Structure des feuilles. — Sensibilité des filaments. — Mouvement rapide des lobes causé par l’irritation des filaments. — Les glandes, leur faculté de sécrétion. — Mouvements lents causés par l’absorption de matières animales. — Preuves de l’absorption tirées de l’agrégation dans les glandes. — Puissance digestive de la sécrétion. — Action du chloroforme, de l’éther et de l’acide cyanhydrique. — Mode de capture des insectes. — Utilité des poils marginaux. — Nature des insectes capturés. — Transmission de l’impulsion motrice et mécanisme des mouvements. — Redressement des lobes.


Cette plante, que l’on appelle ordinairement la trappe de Vénus à cause de la rapidité et de la force de ses mouvements, est une des plus étonnantes qui soit au monde[74] :
Figure 12.
Dionæa muscipula.
Feuille étendue, vue de côté.
elle appartient à la petite famille des Droséracées et se trouve seulement dans la partie orientale de la Caroline du Nord ; elle se plaît dans les endroits marécageux. Les racines sont petites ; celles d’un plant assez beau que j’ai eu entre les mains consistaient en deux radicelles ayant environ un pouce de longueur (2,54 centim.) partant d’une sorte de bulbe. Ces racines servent probablement, comme chez le Drosera, uniquement à l’absorption de l’eau ; en effet, un jardinier qui a obtenu

de grands succès dans la culture de cette plante la fait pousser comme une orchidée épiphyte sur de la mousse humide sans terrain d’aucune sorte[75]. La figure 12 représente les deux lobes de la feuille avec sa tige foliacée. Ces deux lobes ne forment pas tout à fait entre eux un angle droit. Trois petits processus pointus ou filaments disposés triangulairement surmontent la surface supérieure de chacun de ces lobes ; toutefois, j’ai vu deux feuilles armées de 4 filaments de chaque côté et une autre qui n’en avait que deux. Ces filaments sont remarquables à cause de leur extrême sensibilité au moindre attouchement, sensibilité qui se traduit, non pas par un mouvement qui leur soit propre, mais par le mouvement des lobes. Le bord de la feuille se prolonge en saillies rigides pointues, que j’appellerai des poils, dans chacun desquels pénètre un faisceau de vaisseaux spiraux. Ces poils se trouvent placés en position telle que, quand les lobes se referment, ils entrent les uns dans les autres comme les dents d’une ratière. La côte médiane de la feuille sur la surface inférieure est fortement développée et proéminente.

La surface supérieure de la feuille est recouverte, sauf vers les bords, d’un grand nombre de petites glandes affectant une teinte rouge ou pourpre ; le reste de la feuille est vert. Il n’existe pas de glandes sur les poils, ni sur la tige foliacée. Les glandes se composent de 20 ou 30 cellules polygonales remplies de liquide pourpre. La surface supérieure de ces glandes est convexe. Elles sont situées au sommet de pédicelles très-courts dans lesquels ne pénètrent pas les vaisseaux spiraux et elles différent à cet égard des tentacules du Drosera. Ces glandes sécrètent, mais seulement quand elles sont excitées par l’absorption de certaines substances qu’elles possèdent la faculté d’absorber. Des petites saillies portant 8 bras divergents de couleur brun rougeâtre ou orangé, et ayant au microscope l’apparence d’élégantes petites fleurs, sont répandues en nombre considérable sur la tige, sur la surface inférieure des feuilles et sur les poils ; on en trouve aussi quelques-unes sur la surface supérieure des lobes. Ces saillies octofides sont, sans doute, homologues aux papilles que l’on observe sur les feuilles du Drosera rotundifolia. On trouve aussi à la surface inférieure des feuilles quelques poils, très-petits, simples, pointus, ayant environ 7/12000e de pouce (0,0148 de millim.) de longueur.

Les filaments sensibles sont formés par plusieurs rangées de cellules allongées remplies de liquide pourpre. Ils ont un peu plus de 1/20e de pouce de longueur (1,27 millim.) de longueur ; ils sont minces, délicats et se terminent en pointe. J’ai examiné la base de plusieurs de ces filaments et j’en ai fait des coupes, mais je n’ai pu apercevoir aucune trace de l’entrée d’un vaisseau quel qu’il soit. Le sommet est quelquefois bifide ou même trifide, grâce à une légère séparation entre les cellules pointues terminales. Vers la base se trouve un rétrécissement formé de cellules plus larges ; au-dessous, on observe une articulation surmontant une base plus considérable qui comporte des cellules polygonales de forme différente. Les filaments faisant un angle droit avec la surface de la feuille, ils auraient été exposés à se briser chaque fois que les lobes se ferment, s’il n’y avait pas eu cette articulation qui leur permet de se replier sur la feuille.

Ces filaments sont très-sensibles dans toutes leurs parties, du sommet à la base, à un attouchement momentané. Il est presque impossible de les toucher assez légèrement ou assez rapidement avec un objet dur quel qu’il soit, sans que les lobes se referment immédiatement. Un cheveu humain très fin, ayant 2 pouces 1/2 de longueur (6,33 centim.), suspendu au-dessus d’un filament et agité de façon à le toucher, n’a provoqué aucun mouvement ; mais un fil de coton un peu plus gros agité de la même façon a provoqué la fermeture des lobes. Une pincée de farine de froment tombant d’une certaine hauteur ne produit aucun effet. J’ai ensuite fixé dans un manche le cheveu dont je m’étais servi plus haut, et je l’ai coupé de façon à ce qu’une longueur d’un pouce fît saillie sur le manche ; le cheveu était alors suffisamment rigide pour rester à peu près dans la ligne horizontale. Je touchai latéralement et très-lentement avec l’extrémité de ce cheveu le sommet d’un filament et la feuille se ferma immédiatement. Dans une autre occasion, il fallut répéter deux ou trois fois ces attouchements avant qu’il se produise un mouvement. Si l’on pense à l’extrême flexibilité d’un cheveu très-fin, on peut se faire quelque idée de la légèreté de l’attouchement que l’on peut produire quand on se sert pour faire cet attouchement de l’extrémité d’un morceau ayant un pouce de longueur et agité très-lentement.

Bien que ces filaments soient si sensibles à un attouchement délicat et momentané, ils sont bien moins sensibles que les glandes du Drosera à une pression prolongée. J’ai réussi plusieurs fois, en me servant d’une aiguille et en procédant avec une extrême lenteur, à placer des morceaux de cheveux humains assez gros sur l’extrémité d’un filament ; or, ces morceaux ne provoquèrent aucun mouvement, bien qu’ils fussent dix fois plus longs que ceux qui causent l’inflexion des tentacules du Drosera et bien que, chez cette dernière plante, les morceaux fussent, en grande partie, supportés par la sécrétion visqueuse. D’autre part, on peut frapper les glandes du Drosera avec une aiguille ou un corps dur une, deux ou même trois fois avec une grande force sans qu’il se produise aucun mouvement. Cette singulière différence dans la nature de la sensibilité des filaments de la Dionæa et des glandes du Drosera provient évidement d’une différence dans les habitudes des deux plantes. Si un petit insecte vient se poser sur les glandes du Drosera, il est arrêté par la sécrétion visqueuse et la pression prolongée qu’il exerce, quelque légère qu’elle soit, avertit la glande de la présence d’une proie, dont elle s’empare par la lente inflexion des tentacules. Au contraire les filaments sensitifs de la Dionée ne sont pas visqueux, et cette plante ne peut arriver à capturer les insectes que si ses filaments sont extrêmement sensibles à un attouchement momentané suivi de la fermeture instantanée des lobes.

Comme je viens de le dire, les filaments ne sont pas glandulaires et ne sécrètent pas. Ils n’ont pas non plus la faculté d’absorber, ce que l’on peut conclure du fait que des gouttes d’une solution de carbonate d’ammoniaque, contenant une partie de sel pour 146 parties d’eau, placées sur deux filaments, n’ont produit aucun effet sur le contenu des cellules et n’ont pas amené la fermeture des lobes. Toutefois, quand une petite portion de feuille comprenant un filament fut coupée et plongée dans la même solution, le liquide contenu dans les cellules de la base s’agrégea presque instantanément en masses de substance pourpre ou incolore et aux formes irrégulières. L’agrégation se propage dans toute la longueur du filament de cellule en cellule depuis la base jusqu’à l’extrémité, c’est-à-dire dans une direction opposée à celle qu’elle suit dans les tentacules du Drosera quand les glandes ont été excitées.

J’ai coupé plusieurs autres filaments tout auprès de la base et je les ai laissés pendant une heure trente minutes dans une solution assez faible contenant 1 partie de carbonate pour 218 parties d’eau ; le liquide de toutes les cellules s’agrégea en commençant comme auparavant à la base du filament.

Une immersion prolongée des filaments dans l’eau distillée provoque aussi l’agrégation. Il n’est même pas rare de trouver le contenu de quelques-unes des cellules terminales agrégé spontanément. Les masses agrégées changent lentement et incessamment de forme, s’unissent et se séparent ; quelques-unes semblent tourner autour de leur axe. On peut aussi voir un courant de protoplasma granuleux incolore circuler le long des parois des cellules. Ce courant cesse d’être visible dès que le contenu des cellules est bien agrégé ; toutefois ce courant persiste probablement encore, bien qu’il ne soit plus visible, parce que tous les granules de la couche en circulation se sont unis aux masses centrales de protoplasma. Sous tous ces rapports, les filaments de la Dionée se comportent exactement comme les tentacules du Drosera.

Malgré cette similitude il existe entre eux une différence importante. Après que les glandes du Drosera ont subi des attouchements répétés, ou qu’on a placé sur elles une parcelle d’un corps quelconque, les tentacules s’infléchissent et le liquide contenu dans les cellules s’agrège fortement. L’attouchement exercé sur le filament de la Dionée ne produit aucun effet semblable ; j’ai comparé, au bout d’une heure ou deux, des filaments qui avaient été touchés avec d’autres qui ne l’avaient pas été ; j’ai fait la même comparaison au bout d’un laps de temps de vingt-cinq heures et je n’ai pu observer aucune différence dans le contenu des cellules. Pendant tout le temps qu’ont duré ces expériences, j’ai eu soin de placer des petites chevilles de bois pour tenir les feuilles ouvertes et pour empêcher les filaments d’aller se heurter contre le lobe opposé.

Des gouttes d’eau, ou même un mince filet d’eau tombant d’une certaine hauteur sur les filaments, ne provoque pas la fermeture des lobes, et, cependant, je me suis assuré que les filaments sur lesquels j’ai expérimenté étaient très-sensibles. Aussi n’y a-t-il pas lieu de douter que la Dionée, de même que le Drosera, reste indifférente aux ondées les plus fortes. J’ai laissé tomber bien des fois, d’une certaine hauteur, des gouttes d’une solution contenant 1/2 once de sucre pour une once fluide d’eau. Ces gouttes ne produisent aucun effet, à moins toutefois qu’elles n’adhèrent aux filaments. Bien des fois aussi j’ai soufflé de toute ma force sur les filaments en me servant d’un chalumeau, sans qu’il se produisît aucun effet ; assurément les feuilles sont aussi indifférentes à ce souffle qu’elles le sont aux vents les plus impétueux. Ces expériences prouvent que la sensibilité des filaments a une nature toute spéciale et qu’elle répond plutôt à un attouchement momentané qu’à une pression prolongée ; elles prouvent, en outre, que l’attouchement doit être exercé par quelque corps solide et non pas par des fluides comme l’air ou l’eau.

Quoique la chute de gouttes d’eau ou d’une solution modérément forte de sucre sur les filaments ne les excite pas, l’immersion d’une feuille dans l’eau pure fait quelquefois fermer les lobes. J’ai plongé une feuille pendant une heure dix minutes, et trois autres feuilles pendant quelques minutes seulement dans de l’eau, à une température variant entre 59° et 69° F. (15° à 18°,3 centigr.) sans qu’aucun effet ait été produit. Toutefois, une de ces quatre feuilles se ferma assez rapidement au moment où je la sortais de l’eau avec précaution. Je m’assurai que les trois autres feuilles se trouvaient dans une bonne condition ; en effet, elles se fermèrent dès que je touchai leurs filaments. Deux autres feuilles plongées dans de l’eau à la température de 75° à 62°,5 F. (23°,8 à 16°,9 centigr.) se fermèrent instantanément. Je plongeai alors la tige de ces feuilles dans l’eau, et, au bout de vingt-trois heures, elles se rouvrirent en partie. Une d’elles se referma dès que je touchai ses filaments. Après un nouveau laps de temps de vingt-quatre heures, cette dernière feuille se rouvrit de nouveau ; je touchai ensuite les filaments des deux feuilles qui se refermèrent encore une fois. Nous voyons donc qu’une courte immersion dans l’eau ne fait aucun mal aux feuilles, mais qu’elle provoque quelquefois la fermeture des lobes. Dans les cas que je viens de rapporter, le mouvement n’a certainement pas été causé par la température de l’eau. Je me suis assuré qu’une immersion prolongée fait agréger le liquide pourpre contenu dans les cellules des filaments sensibles ; or, les tentacules du Drosera subissent les mêmes effets à la suite d’une longue immersion, et souvent s’infléchissent quelque peu. Dans les deux cas, ce résultat est probablement dû à une légère exosmose.

Les effets obtenus quand on plonge une feuille de Dionée dans une solution modérément concentrée de sucre me confirment dans cette supposition ; en effet, une feuille qui avait séjourné pendant une heure dix minutes dans l’eau, sans qu’il se soit produit aucun effet, se ferma assez rapidement dès qu’elle fut plongée dans la solution, les extrémités des poils marginaux se croisèrent au bout de deux minutes trente secondes, et la feuille était complètement fermée au bout de trois minutes. Je plongeai alors trois feuilles dans une solution contenant 1/2 once de sucre pour une once fluide d’eau, et ces trois feuilles se fermèrent rapidement. Désireux de savoir si le mouvement était dû aux cellules qui recouvrent la partie supérieure des lobes ou à ce que les filaments sensitifs éprouvaient les effets de l’exosmose, j’essayai d’abord de verser une petite quantité de la même solution dans le sillon formé par les deux lobes sur la côte qui est le siège principal du mouvement. Je laissai la solution en cet endroit pendant quelque temps sans qu’aucun mouvement se manifestât. Je couvris alors avec un pinceau enduit de la même solution la surface supérieure de la feuille entière, sauf toutefois les parties voisines de la base des filaments sensitifs, dans la crainte de les toucher. Aucun effet ne se produisit. Il ressort de cette expérience que les cellules de la surface supérieure ne sont pas affectées dans ces conditions. Mais quand, après de nombreux essais, je parvins à fixer une goutte de la solution à un des filaments, la feuille se ferma rapidement. Je crois donc que nous sommes autorisés à conclure que, par suite de l’exosmose, la solution fait sortir une certaine quantité de liquide des cellules délicates des filaments, ce qui provoque quelques changements moléculaires dans le contenu de ces filaments, changements analogues à ceux que doit produire un attouchement.

L’immersion des feuilles dans une solution de sucre les affecte pour un laps de temps plus considérable que ne le fait l’immersion dans l’eau ou un attouchement exercé sur les filaments ; dans ces derniers cas, en effet, les lobes commencent à se rouvrir au bout de moins d’un jour. D’autre part, sur les trois feuilles plongées pendant si peu de temps dans la solution, puis lavées ensuite à l’intérieur au moyen d’une seringue insérée entre les lobes, l’une se rouvrit au bout de deux jours, la seconde au bout de sept jours, et la troisième au bout de neuf jours. La feuille qui se ferma par suite de l’adhérence d’une goutte de la solution à un des filaments se rouvrit au bout de deux jours.

Dans deux occasions, je concentrai la chaleur des rayons du soleil au moyen d’une lentille sur la base de plusieurs filaments, et je poussai l’expérience jusqu’à décolorer et à brûler cette base ; à ma grande surprise, je ne provoquai ainsi aucun mouvement ; cependant, les feuilles étaient à l’état actif, car elles se fermèrent, bien qu’assez lentement, quand je touchai un des filaments du lobe opposé à celui qui avait été brûlé. Dans un troisième essai, la feuille se ferma au bout d’un certain temps, mais très-lentement et un attouchement exercé sur un des filaments qui n’avait pas été attaqué n’augmenta pas la rapidité du mouvement. Au bout d’un jour, ces trois feuilles se rouvrirent, et elles se montrèrent de nouveau sensibles quand je touchai un des filaments non attaqués. L’immersion soudaine d’une feuille dans l’eau bouillante ne la fait pas fermer. À en juger par analogie avec le Drosera, la chaleur, dans ces divers cas, est trop considérable et appliquée trop soudainement. La surface du limbe des lobes est très-peu sensible ; on peut la manipuler librement sans provoquer aucun mouvement. Ainsi, par exemple, je chatouillai assez vivement le limbe d’une feuille avec une aiguille sans qu’elle se fermât ; mais quand je chatouillai de la même façon l’espace triangulaire situé entre les trois filaments d’une autre feuille, les lobes se fermèrent. Les lobes se ferment toujours quand on pique ou qu’on coupe profondément la côte qui les supporte. On peut laisser longtemps sur les lobes, sans qu’il se produise aucun mouvement (j’ai fait de nombreuses expériences à ce sujet), des corps inorganiques, même assez gros, tels que des éclats de pierre ou de verre, etc., ou des corps organiques qui ne contiennent pas des substances azotées solubles, tels que des morceaux de bois, de liège, de la mousse, etc., ou des corps contenant des substances azotées solubles, à condition qu’ils soient parfaitement secs, tels que des morceaux de viande, d’albumine, de gélatine, mais le résultat est tout différent, comme nous le verrons ci-après, si on laisse sur les lobes des corps organiques azotés, qui ont un certain degré d’humidité ; dans ce cas, les lobes se referment par un mouvement lent et graduel très-différent du mouvement provoqué par un attouchement exercé sur l’un des filaments sensitifs. La tige n’est pas du tout sensible ; on peut y enfoncer une épingle, ou on peut la couper sans qu’il se produise aucun mouvement.

La surface supérieure des lobes est recouverte, comme nous l’avons déjà dit, d’un grand nombre de petites glandes presque sessiles, affectant une teinte pourprée. Ces glandes jouissent de la faculté de sécréter et d’absorber ; mais, contrairement à celles du Drosera, elles ne sécrètent que lorsqu’elles ont été excitées par l’absorption de matières azotées. Aucune autre excitation, autant toutefois que j’ai pu m’en assurer, ne produit cet effet. On peut laisser, pendant un temps indéterminé, en contact avec la surface d’une feuille des objets tels que des morceaux de bois, de liège, de mousse, de papier, de pierre ou de verre, et cette surface reste parfaitement sèche. Peu importe d’ailleurs que les lobes se referment sur ces objets, le résultat reste le même. Par exemple, j’ai placé sur une feuille des petites boules de papier buvard, puis j’ai touché un filament ; au bout de vingt-quatre heures, les lobes commencèrent à se rouvrir, j’enlevai les boules avec des petites pinces, et je trouvai qu’elles étaient parfaitement sèches. Si, au contraire, on place en contact avec la surface d’une feuille ouverte un morceau de viande humide, ou un morceau de mouche écrasée, les glandes sécrètent considérablement au bout d’un certain temps. Dans un cas semblable, j’ai observé un peu de sécrétion immédiatement au-dessous de la viande au bout de quatre heures ; au bout d’un nouveau laps de temps de trois heures, les sécrétions s’étaient accumulées en quantité considérable tout autour du morceau. Dans un autre cas, le morceau de viande était tout humecté par la sécrétion au bout de trois heures quarante minutes ; mais aucune glande ne sécréta, sauf celle qui touchait la viande ou qui était recouverte par la sécrétion contenant des matières animales en dissolution.

Toutefois, si l’on fait refermer les lobes sur un morceau de viande ou sur un insecte, le résultat est tout différent, car alors les glandes de toute la surface se mettent à sécréter copieusement. Comme, dans ce cas, les glandes des deux lobes se trouvent pressées contre la viande ou l’insecte. La sécrétion est dès l’abord deux fois aussi grande que quand le morceau de viande est placé à la surface d’un lobe, et comme les deux lobes se trouvent en contact presque immédiat, la sécrétion, contenant des matières animales dissoutes, s’étend par suite de l’attraction capillaire et fait sécréter de nouvelles glandes des deux côtés dans un rayon qui s’augmente toujours. La sécrétion est presque incolore, légèrement mucilagineuse, et, à en juger par la teinte qu’elle communique au papier de tournesol, beaucoup plus acide que celle du Drosera. Ces sécrétions sont si abondantes que, dans un cas où un trou avait été pratiqué à une feuille, sur lequel un petit cube d’albumine avait été placé, des gouttes s’échappèrent par l’ouverture pendant quarante-cinq heures. Dans un autre cas, une feuille refermée sur un morceau de viande rôtie se rouvrit spontanément au bout de huit jours, et il restait tant de sécrétion sur le sillon surmontant la côte, qu’elle s’échappa en un petit courant au moment de la réouverture des lobes. Je plaçai sur une feuille, après avoir eu soin d’enlever une partie de la base de l’un des lobes, de façon à pouvoir examiner l’intérieur, une grosse mouche (Tipula) écrasée ; la sécrétion s’écoula régulièrement par l’ouverture pendant neuf jours, c’est-à-dire pendant tout le temps que je l’observai. En relevant un peu l’un des lobes, je pus m’assurer que toutes les glandes sécrétaient abondamment.

Nous avons vu que les corps inorganiques et non azotés, placés sur les feuilles, ne provoquent chez elles aucun mouvement ; mais les corps azotés, s’ils sont le moins du monde humides, provoquent au bout de quelques heures la fermeture des lobes. Ainsi, je plaçai, aux deux extrémités de la même feuille, des morceaux parfaitement secs de viande et de gélatine ; au bout de vingt-quatre heures, ces morceaux n’avaient excité chez la feuille ni mouvement, ni sécrétion. Je plongeai alors ces morceaux dans de l’eau, puis, après en avoir séché la surface sur du papier buvard, je les replaçai sur la même feuille en ayant soin de recouvrir la plante avec une cloche en verre. Au bout de vingt-quatre heures, la viande humide avait excité quelques sécrétions acides, et les lobes, à cette extrémité de la feuille, étaient presque refermés. À l’autre extrémité où se trouvait la gélatine humide, la feuille était encore complètement ouverte et aucune sécrétion ne s’était produite. Il résulte de ces expériences que, de même que pour le Drosera, la gélatine est loin d’être une substance aussi excitante que la viande. Pour me rendre compte de l’état de la sécrétion qui se trouvait sous la viande, je passai dessous une bande étroite de papier de tournesol, en ayant soin de ne pas toucher les filaments ; cette légère excitation suffit toutefois pour faire fermer la feuille. Elle se rouvrit le onzième jour, mais l’extrémité où se trouvait la gélatine se rouvrit plusieurs heures avant l’extrémité où se trouvait la viande.

Je laissai pendant vingt-quatre heures sur une feuille un morceau de viande rôtie qui paraissait sec, bien qu’il n’ait pas été expressément desséché ; pendant ce laps de temps, il ne se produisit ni mouvement, ni sécrétion. Je recouvris alors la plante avec une cloche en verre, et la viande absorba quelque humidité répandue dans l’air ; ceci suffit à exciter des sécrétions acides, et le lendemain matin la feuille était étroitement refermée. Je plaçai sur une feuille un autre morceau de viande, desséché de façon à ce qu’il fût tout à fait cassant, puis je recouvris le tout avec une cloche en verre ; au bout de vingt-quatre heures, ce morceau était devenu légèrement humide ; il s’ensuivit quelque sécrétion, mais pas de mouvement.

Je plaçai à l’extrémité d’une feuille un morceau assez gros d’albumine parfaitement sèche ; je l’y laissai pendant vingt-quatre heures sans qu’aucun effet ait été produit. Je plongeai alors ce morceau pendant quelques minutes dans l’eau, puis je le roulai sur du papier buvard et je le replaçai sur la feuille ; au bout de neuf heures, quelques sécrétions légèrement acides commencèrent à se manifester, et, au bout de vingt-quatre heures, l’extrémité de la feuille où il se trouvait était fermée en partie. Le morceau d’albumine était alors entouré par une grande quantité de sécrétions ; je l’enlevai en ayant grand soin de ne toucher aucun filament, et cependant les lobes se refermèrent. Dans ce cas, comme dans le précédent, il semble que l’absorption de matières animales par les glandes ait rendu la surface de la feuille beaucoup plus sensible à un attouchement qu’elle ne l’est ordinairement, ce qui constitue un fait curieux. Deux jours après, l’extrémité de la feuille où je n’avais rien placé commença à se rouvrir, et le troisième jour cette extrémité était beaucoup plus ouverte que l’extrémité opposée sur laquelle avait reposé l’albumine.

Enfin, je plaçai sur quelques feuilles de grosses gouttes d’une solution contenant une partie de carbonate d’ammoniaque pour 146 parties d’eau, sans qu’il se produisît aucun mouvement immédiat. Je ne connaissais pas alors les mouvements lents provoqués par les substances animales, car autrement j’aurais observé les feuilles pendant plus longtemps, et très-probablement elles se seraient fermées, bien que la solution, à en juger par ce qui arrive pour le Drosera, ait peut-être été trop énergique.

Il résulte des faits que nous venons de citer que des morceaux de viande et d’albumine, à condition qu’ils soient légèrement humides, provoquent non-seulement des sécrétions chez les glandes, mais aussi la fermeture des lobes. Ce mouvement est très-différent de la fermeture rapide, provoquée par un attouchement exercé sur l’un des filaments. Nous comprendrons toute l’importance de ces différences quand nous nous occuperons de la façon dont la Dionée capture les insectes. Il y a un grand contraste entre le Drosera et la Dionée, au point de vue des effets produits par l’irritation mécanique d’un côté, et, d’un autre, au point de vue des effets produits par l’absorption des matières animales. Des parcelles de verre placées sur les glandes des tentacules extérieurs du Drosera provoquent un mouvement dans le même temps ou à peu près que le font les parcelles de viande, bien que cependant ces dernières semblent être les plus efficaces ; mais quand les glandes du disque ont reçu des parcelles de viande, elles transmettent une impulsion motrice aux tentacules extérieurs beaucoup plus rapidement que ne le font ces glandes quand elles supportent des parcelles d’un corps inorganique, ou qu’elles sont irritées par des attouchements répétés. Chez la Dionée, l’attouchement des filaments excite des mouvements incomparablement plus rapides que l’absorption des matières animales par les glandes. Néanmoins, dans certains cas, ce dernier stimulant est le plus puissant des deux. J’ai observé par trois fois des feuilles qui, en raison de quelque cause, étaient inactives, de telle sorte que leurs lobes ne se fermaient que légèrement, quelle que fût l’irritation que l’on exerçât sur les filaments ; or, l’insertion d’insectes écrasés entre les lobes fit fermer étroitement la feuille au bout d’un jour.

Les faits que nous venons d’indiquer prouvent que les glandes jouissent de la faculté d’absorber certaines substances, car autrement il serait impossible d’expliquer que les corps azotés ou non azotés, et que les corps azotés, à l’état sec ou à l’état humide, affectent les feuilles si différemment. Il est surprenant de voir quel petit degré d’humidité est nécessaire à un morceau de viande ou d’albumine pour exciter les sécrétions et ensuite un mouvement lent ; il est également surprenant de voir quelles quantités microscopiques de matières animales absorbées suffisent pour produire ces deux effets. Il semble à peine croyable, et c’est cependant un fait certain, qu’un morceau de blanc d’œuf durci, parfaitement desséché d’abord, puis trempé pendant quelques minutes dans l’eau, et essuyé soigneusement ensuite avec du papier buvard, fournisse en quelques heures assez de matières animales aux glandes pour causer une sécrétion chez elles et pour provoquer bientôt la fermeture des lobes. Le laps de temps si différent, comme nous le verrons ci-après, pendant lequel les lobes restent refermés sur des insectes et sur d’autres corps qui fournissent des substances azotées solubles et sur des corps qui n’en fournissent pas est une autre preuve que les glandes possèdent la faculté de l’absorption. Nous trouvons d’ailleurs la preuve directe de cette faculté dans l’état des glandes qui sont restées pendant quelque temps en contact avec des substances animales. Ainsi, j’ai placé à plusieurs reprises sur des glandes des morceaux de viande et des insectes écrasés, puis, au bout de quelques heures, j’ai comparé ces glandes avec d’autres situées dans une autre partie de la même feuille. Or, alors qu’il était impossible de découvrir la moindre trace d’agrégation chez ces dernières, celles qui avaient été en contact avec les matières animales étaient parfaitement agrégées. On peut voir l’agrégation se produire très-rapidement si l’on plonge un morceau de feuille dans une faible solution de carbonate d’ammoniaque. Enfin j’ai laissé pendant huit jours sur une feuille des petits cubes d’albumine et de gélatine, puis j’ai ouvert la feuille. La surface entière était recouverte de sécrétions acides, et, dans les nombreuses glandes que j’ai examinées, le contenu de chaque cellule était admirablement agrégé en masses globulaires de protoplasma incolore, ou affectant une teinte foncée ou pourpre pâle. Ces masses changeaient lentement, mais incessamment de forme, se séparant quelquefois les unes des autres, puis se réunissant, en un mot, se comportant exactement comme les masses qui remplissent les cellules du Drosera. L’eau bouillante rend le contenu des cellules des glandes blanc et opaque, mais le blanc n’est pas aussi pur et ne ressemble pas tant à la porcelaine que chez le Drosera. Je ne saurais dire comment il se fait que les insectes vivants, capturés naturellement, excitent chez les glandes des sécrétions aussi rapides qu’il arrive ordinairement ; je suppose, toutefois, que la grande pression à laquelle sont soumis ces insectes fait sortir quelques excréments par les deux extrémités de leur corps ; or, nous avons vu qu’une quantité très-petite de matières azotées suffit pour exciter les glandes.

Avant d’aborder le sujet de la digestion, il est bon de constater que j’ai essayé, sans succès, de découvrir les fonctions des petits processus octofides qui émaillent les feuilles. D’après certains faits que je citerai dans les chapitres relatifs à l’Aldrovandie et aux Utriculaires, il m’avait semblé probable qu’ils servent à absorber les matières en décomposition laissées par les insectes capturés ; toutefois, leur position à la surface inférieure des feuilles et sur la tige rend cette explication fort peu probable. Néanmoins, je plongeai des feuilles dans une solution contenant une partie d’urée pour 437 parties d’eau, et au bout de vingt-quatre heures la couche orange de protoplasma contenue dans les bras de ces processus ne parut pas plus agrégée que dans d’autres spécimens plongés dans l’eau. J’essayai alors de suspendre une feuille dans une bouteille au-dessus d’une infusion très-putride de viande crue, pour voir si ces processus absorberaient la vapeur, mais leur contenu ne fut pas affecté.

Puissance digestive de la sécrétion[76]. — Quand une feuille se referme sur un objet quel qu’il soit, on peut dire que cette feuille se transforme en un estomac temporaire. Si l’objet enfermé fournit des matières animales en si petite quantité que ce soit, ces matières servent, pour employer l’expression de Schiff, de peptogène, et les glandes de la surface déversent leurs sécrétions acides, qui agissent comme le suc gastrique des animaux. J’avais fait tant d’expériences sur la puissance digestive du Drosera, que j’en fis quelques-unes seulement sur la Dionée, mais elles sont plus que suffisantes pour prouver que cette feuille digère. En outre, cette plante n’est pas si propre que le Drosera aux observations, car la digestion se fait à l’intérieur des lobes refermés. Les insectes, et même les scarabées, après avoir été soumis à la sécrétion pendant plusieurs jours, sont singulièrement ramollis, bien que leur enveloppe chitineuse ne soit pas corrodée.

Première expérience. — Je plaçai à une des extrémités d’une feuille un cube d’albumine ayant 1/10e de pouce (2,54 millim.) de côté, et, à l’autre extrémité, un morceau oblong de gélatine, ayant 1/5e de pouce (5,08 millim.) de longueur, et 4/10e de pouce (2,54 millim.) de largeur, puis je provoquai la fermeture de la feuille. Je rouvris la feuille au bout de quarante-cinq heures. L’albumine était dure et comprimée, ses angles n’étaient qu’un peu arrondis ; la gélatine était corrodée et avait pris une forme ovale ; ces deux substances étaient entourées d’une si grande quantité de sécrétion que des gouttes tombaient à chaque instant de la feuille. La digestion se fait, sans doute, plus lentement que chez le Drosera, ce qui explique le laps de temps plus long pendant lequel ces feuilles restent refermées sur les corps digestibles.

Deuxième expérience. — Je plaçai sur une feuille un morceau d’albumine ayant 1/10e de pouce carré (2,54 millim.), mais ayant seulement 1/20e de pouce (1,27 millim.) d’épaisseur, et un morceau de gélatine ayant le même volume que celui employé dans l’expérience précédente ; huit jours après, j’ouvris la feuille. La surface intérieure était complètement recouverte de sécrétions très-acides, légèrement adhérentes, et toutes les glandes étaient complètement agrégées. Je ne trouvai plus trace de l’albumine ou de la gélatine. J’avais placé en même temps, pour contrôler l’expérience, des morceaux de ces deux substances, ayant un volume égal, sur un morceau de mousse humide, de façon à ce qu’ils fussent soumis à des conditions presque analogues ; au bout de huit jours, ces morceaux avaient pris une teinte brune, s’étaient putréfiés, et étaient pénétrés de toutes parts par des fibres en putréfaction, mais ils n’avaient pas disparu.

Troisième expérience. — Je plaçai sur une feuille un morceau d’albumine ayant 3/20e de pouce (3,81 millim.) de longueur, et 1/20e de pouce (1,27 millim.) de largeur et d’épaisseur, et un morceau de gélatine ayant le même volume que ceux employés dans les expériences précédentes ; j’ouvris la feuille au bout de sept jours. Je ne trouvai plus trace de l’une ou l’autre substance, et il n’existait à la surface qu’une quantité modérée de sécrétion.

Quatrième expérience. — Je plaçai sur une feuille des morceaux d’albumine et de gélatine ayant le même volume que dans l’expérience précédente ; la feuille se rouvrit spontanément au bout de douze jours, et cette fois encore il ne restait pas trace de l’un ou l’autre corps ; j’observai un petit amas de sécrétion à l’une des extrémités de la côte centrale.

Cinquième expérience. — Je plaçai sur une feuille des morceaux d’albumine et de gélatine ayant le même volume que dans l’expérience précédente ; au bout de douze jours, les lobes étaient encore parfaitement refermés, mais la feuille commençait à se faner. J’ouvris cette feuille et elle ne contenait plus qu’une trace de substance brunâtre là où avait reposé l’albumine.

Sixième expérience. — Je plaçai sur une feuille un cube d’albumine ayant 1/10e de pouce (2,54 millim.) de côté, et un morceau de gélatine ayant le même volume que dans les expériences précédentes ; la feuille se rouvrit spontanément au bout de treize jours. Le morceau d’albumine, qui était deux fois aussi gros que dans les expériences précédentes, agit trop énergiquement sur la feuille, car les glandes qui se trouvaient en contact avec lui avaient été attaquées, et semblaient sur le point de se détacher ; je retrouvai une couche d’albumine devenue brunâtre et quelque peu putréfiée. Toute la gélatine avait été absorbée et il ne restait qu’un peu de sécrétion acide sur la côte centrale.

Septième expérience. — Je plaçai aux deux extrémités d’une feuille un morceau de viande à demi rôtie dont je ne gardai pas la mesure et un morceau de gélatine ; la feuille se rouvrit spontanément au bout de onze jours. Je retrouvai à l’intérieur une trace de la viande, et la surface de la feuille était noircie là où elle avait reposé ; la gélatine avait complètement disparu.

Huitième expérience. — Je plaçai sur une feuille un morceau de viande à demi rôtie dont je ne gardai pas la mesure ; j’insérai entre les lobes un petit morceau de buis pour les empêcher de se refermer, de sorte que la viande ne plongea que par sa surface inférieure dans la sécrétion très-acide. Toutefois, au bout de vingt-deux heures et demie, la viande était incomparablement plus amollie qu’un autre morceau de la même viande que j’avais conservée dans un endroit humide.

Neuvième expérience. — Je plaçai sur une feuille un cube très-compacte, ayant 1/10e de pouce (2,54 millim.) de côté de bœuf rôti ; la feuille se rouvrit spontanément au bout de douze jours. Il restait alors tant de sécrétions faiblement acides sur la feuille, que cette sécrétion s’écoula au moment de la réouverture. La viande avait été complètement désagrégée, mais elle n’était pas entièrement dissoute ; il n’y avait aucune trace de moisissure. Je plaçai sous le microscope le morceau qui restait ; quelques fibrilles du centre avaient encore leurs stries transversales ; les stries avaient disparu complètement sur d’autres fibrilles, et on pouvait établir une gradation parfaite entre ces deux états. Il restait, en outre, des globules qui me parurent être de la graisse, et quelques parties de tissu fibre-élastique qui n’avaient pas été digérées. En un mot, la viande se trouvait dans cet état de demi-digestion que nous avons déjà décrit en nous occupant du Drosera. La Dionée semble digérer la viande, de même que l’albumine, plus lentement que ne le fait le Drosera. À l’extrémité opposée de la même feuille, j’avais placé une boulette de pain fortement comprimée ; cette boulette était complètement désagrégée, grâce, je crois, à la digestion du gluten par la feuille ; elle était toutefois très-peu réduite en volume.

Dixième expérience. — Je plaçai aux deux extrémités d’une même feuille un cube de fromage ayant 1/20e de pouce (1,27 millim.) de côté, et un cube d’albumine. Au bout de neuf jours les lobes s’ouvrirent spontanément, mais dans une faible proportion à l’extrémité où se trouvait le fromage, qui semblait avoir été peu dissous, bien qu’il fût amolli et qu’il baignât dans la sécrétion. Deux jours plus tard, c’est-à-dire onze jours après la fermeture des lobes, la feuille se rouvrit spontanément du côté où avait été placée l’albumine ; il n’en restait plus qu’une très-petite quantité noircie et desséchée.

Onzième expérience. — Je répétai la même expérience avec du fromage et de l’albumine sur une autre feuille qui me semblait à l’état peu actif. Au bout de six jours, les lobes se rouvrirent spontanément à l’extrémité où se trouvait le fromage qui était considérablement ramolli, mais qui n’était pas dissous, et dont le volume avait très-peu diminué. Douze heures après, l’extrémité où se trouvait l’albumine se rouvrit à son tour ; le morceau d’albumine s’était alors transformé en une grosse goutte de liquide transparent, visqueux et non acide.

Douzième expérience. — Je répétai les deux dernières expériences ; cette fois encore l’extrémité de la feuille contenant le fromage se rouvrit ayant l’extrémité contenant l’albumine. Mais je ne gardai aucune autre note sur cette expérience.

Treizième expérience. — Je plaçai sur une feuille un globule ayant environ 1/10e de pouce (2,54 millim.) de diamètre de caséine préparée chimiquement ; la feuille se rouvrit spontanément au bout de huit jours. La caséine s’était alors transformée en une masse molle, visqueuse, mais dont le volume avait à peine diminué ; cette masse baignait dans la sécrétion acide.

Ces expériences suffisent pour prouver que la sécrétion des glandes de la Dionée dissout l’albumine, la gélatine et la viande, à condition toutefois qu’on ne place pas des morceaux trop gros sur les feuilles. Les globules de graisse et le tissu fibro-élastique ne sont pas digérés. La feuille absorbe ensuite la sécrétion avec les matières qu’elle a dissoutes, à condition que ces dernières ne se trouvent pas en excès. D’autre part, bien que la caséine, préparée chimiquement, et le fromage provoquent chez la Dionée, tout comme chez le Drosera, des sécrétions abondantes très-acides, en raison, je crois, des matières albumineuses que contiennent ces substances, elles ne sont cependant pas digérées, et si elles sont réduites en volume, cette réduction n’est pas appréciable[77]

Effets des vapeurs du chloroforme, de l’éther sulfurique et de l’acide cyanhydrique. — Je plaçai un pied de Dionée portant une seule feuille dans un grand flacon, dont l’ouverture était imparfaitement bouchée avec de la ouate, contenant un drachme (3,549 millil.) de chloroforme. La vapeur du chloroforme provoqua chez les lobes un mouvement imperceptible au bout d’une minute ; au bout de trois minutes, les poils des bords se croisèrent et la feuille fut bientôt complètement fermée. Toutefois, la dose était beaucoup trop considérable, car, au bout de deux ou trois heures, la feuille avait tout l’aspect d’avoir été exposée au feu, et elle mourut bientôt.

J’exposai, pendant trente minutes, dans un vase ayant une capacité de deux onces, deux feuilles de Dionée à la vapeur de 30 minimes (1,774 millil.) d’éther sulfurique. Une feuille se ferma au bout d’un certain temps, et l’autre au moment où je la retirais du vase avec beaucoup de précautions. Ces deux feuilles avaient été vivement attaquées. J’exposai une autre feuille, pendant vingt minutes, à la vapeur de 15 minimes (0,88 millil.) d’éther ; les lobes de cette feuille se fermèrent dans une certaine mesure et les filaments devinrent complètement insensibles. Au bout de vingt-quatre heures, cette feuille recouvra sa sensibilité, bien qu’elle fût encore assez engourdie. Une feuille exposée, pendant trois minutes seulement, dans un grand flacon, à la vapeur de dix gouttes d’éther sulfurique, devint insensible. Au bout de cinquante-deux minutes, elle recouvra sa

sensibilité et se ferma quand je touchai un des filaments ; les lobes se rouvrirent au bout de vingt heures. Enfin, j’exposai une autre feuille, pendant quatre minutes, à la vapeur de quatre gouttes d’éther seulement ; elle devint assez insensible pour ne pas se fermer à la suite d’attouchements répétés exercés sur les filaments, mais elle se ferma quand je coupai l’extrémité de la feuille. Cette dernière expérience prouve que les parties intérieures de la feuille n’avaient pas été rendues insensibles, ou qu’une incision est un stimulant plus puissant que de nombreux attouchements sur les filaments. Je ne saurais dire si les doses plus fortes de chloroforme ou d’éther qui ont provoqué la lente fermeture des feuilles ont agi sur les filaments sensitifs ou sur la feuille elle-même.

Du cyanure de potassium placé dans une bouteille engendre de l’acide prussique ou cyanhydrique. J’ai exposé une feuille, pendant une heure trente-cinq minutes, aux vapeurs ainsi formées. Durant ce laps de temps, les glandes devinrent si incolores, si ratatinées qu’elles étaient à peine visibles, et je pensai d’abord qu’elles s’étaient toutes détachées de la feuille. Toutefois, la feuille ne devint pas insensible, car elle se ferma dès que je touchai un des filaments, mais elle avait certainement souffert, car elle ne se rouvrit qu’au bout de deux jours et semblait avoir perdu toute sa sensibilité. Cependant, au bout d’un autre jour, elle recouvra toutes ses facultés et se referma quand je touchai un des filaments, pour se rouvrir ensuite. Une autre feuille, exposée pendant un temps plus court à la même vapeur, se comporta presque exactement de la même façon.

Mode de capture des insectes. — Examinons actuellement l’action des feuilles quand des insectes touchent un des filaments sensitifs. Ce fait s’est présenté souvent dans ma serre ; toutefois, je ne saurais dire si les insectes sont attirés d’une manière spéciale par les feuilles. Dans son pays natal, la Dionée capture un grand nombre d’insectes. Dès qu’un filament est touché, les deux lobes se ferment avec une rapidité étonnante ; et, comme ils font entre eux moins d’un angle droit, ils ont beaucoup de chance de capturer les insectes qui se sont aventurés dans l’espace qui les sépare. L’angle qui existe entre le limbe et la tige ne se modifie pas quand les lobes se ferment. Le siège principal du mouvement se trouve près de la côte centrale, mais il n’est pas cependant limité à cette partie ; car à mesure que les lobes se ferment chacun d’eux se recourbe intérieurement dans toute sa largeur ; toutefois les poils marginaux ne se recourbent pas. J’ai pu examiner avec succès ce mouvement inhérent au lobe entier chez une feuille à laquelle j’avais donné une grosse mouche, après avoir eu soin de couper une des extrémités de l’un des lobes ; de sorte que le lobe opposé, ne rencontrant aucune résistance dans cette partie, se recourbât beaucoup au delà de la ligne médiane. J’enlevai ensuite la totalité du lobe dont j’avais d’abord coupé une partie ; le lobe opposé se recourba alors complètement en décrivant un angle de 120° à 130°, de façon à occuper une position presque à angle droit avec celle qu’il aurait occupée, si l’autre lobe avait été présent.

En raison de cette courbe intérieure qu’affectent les deux lobes au moment où ils se précipitent l’un sur l’autre, les poils marginaux droits se croisent d’abord à leur extrémité, puis enfin jusqu’à la base. La feuille est alors complètement fermée, et il existe une petite cavité entre les deux lobes. Si on a fait fermer la feuille en touchant simplement un des filaments sensitifs, ou s’il se trouve à l’intérieur un corps qui ne fournit pas des matières azotées solubles, les deux lobes conservent leur forme concave intérieure jusqu’à ce qu’ils se rouvrent. J’ai observé, dans dix cas, la réouverture des lobes dans ces circonstances, c’est-à-dire quand aucune substance organique n’est enfermée à l’intérieur. Dans tous ces cas, les lobes se sont redressés jusqu’aux deux tiers environ de leur position normale dans les vingt-quatre heures qui ont suivi l’instant de leur fermeture. La feuille même à laquelle j’avais enlevé une partie de lobe se rouvrit dans les mêmes proportions, pendant le même laps de temps. Dans un cas, une feuille se rouvrit jusqu’aux deux tiers environ de sa position normale au bout de sept heures, et complètement au bout de trente-deux heures, mais je dois ajouter qu’un seul des filaments avait été touché légèrement avec un cheveu, juste de façon à amener la fermeture. Sur ces dix feuilles, quelques-unes seulement se redressèrent complètement en moins de deux jours, deux ou trois demandèrent un temps un peu plus long. Toutefois, avant d’être complètement redressées, elles sont prêtes à se fermer instantanément si l’on vient à toucher un des filaments sensitifs. Je ne saurais dire combien de fois de suite une feuille peut se fermer et se rouvrir, si l’on ne place à l’intérieur aucune substance animale ; cependant, j’ai fait fermer et rouvrir quatre fois de suite une feuille dans l’intervalle de six jours ; la dernière fois qu’elle se rouvrit elle captura une mouche et resta fermée pendant plusieurs jours. Cette faculté de se rouvrir rapidement après que les filaments ont été accidentellement touchés par des brins d’herbe ou par des objets chassés par le vent sur la feuille, ce qui arrive quelquefois quand elle pousse à l’état sauvage[78], doit avoir une certaine importance pour la plante, car, aussi longtemps qu’une feuille reste fermée, il lui est impossible de capturer des insectes.

Quand les filaments sont irrités et qu’on fait fermer la feuille sur un insecte, sur un morceau de viande, sur de l’albumine, de la gélatine, de la caséine et probablement sur toute autre substance contenant des matières azotées solubles, les lobes, au lieu de rester concaves, ce qui laisse une place libre à l’intérieur, se pressent lentement l’un contre l’autre dans toute leur largeur. À mesure que cette pression se produit, les bords s’écartent un peu, de sorte que les poils qui se croisaient tout d’abord se projettent ensuite en deux rangées parallèles. Les lobes se pressent l’un contre l’autre avec tant de force que j’ai vu un petit cube d’albumine très-aplati et présentant l’impression distincte des petites glandes proéminentes ; toutefois, cette dernière circonstance peut provenir en partie de l’action corrosive exercée par la sécrétion. En tout cas, les lobes sont si exactement collés l’un sur l’autre que si un gros insecte ou tout autre objet a été saisi par la feuille, on voit distinctement à l’extérieur la protubérance causée par cet objet. Quand les deux lobes sont ainsi complètement fermés, ils résistent avec une force étonnante à l’insertion entre eux d’un petit coin et se laissent ordinairement briser plutôt que de céder. S’ils ne sont pas brisés et qu’on retire le coin, ils se referment, comme me l’apprend le docteur Ganby, en produisant un bruit assez fort. Mais si on insère le doigt entre les deux lobes ou qu’on y place un petit morceau de bois, de façon à les empêcher de se fermer, ils exercent dans cette position très-peu de force.

J’avais pensé d’abord que la pression graduelle exercée par les deux lobes était exclusivement causée par le fait que les insectes capturés se débattent à l’intérieur et, en le faisant, irritent constamment les filaments sensitifs ; cette hypothèse m’a semblé encore plus probable quand le Dr Burdon Sanderson m’a appris que le courant électrique normal est troublé chaque fois qu’on irrite les filaments d’une feuille dont les lobes sont fermés. Toutefois, cette irritation n’est en aucune façon nécessaire, car un insecte mort, un morceau de viande ou d’albumine, produisent exactement les mêmes effets, ce qui prouve que c’est l’absorption des matières animales qui excite les lobes à se presser lentement l’un contre l’autre. Nous avons vu que l’absorption d’une petite quantité de matières animales provoque aussi la lente fermeture de la feuille ; or, ce mouvement est absolument analogue à la pression des lobes concaves l’un contre l’autre. Cette pression a une haute importance fonctionnelle pour la plante, car les glandes des deux côtés se trouvent ainsi mises en contact avec l’insecte capturé et, en conséquence, ces glandes commencent à sécréter. La sécrétion contenant des matières animales en dissolution est portée par l’action capillaire sur toute la surface de la feuille, ce qui excite des sécrétions chez toutes les glandes et leur permet d’absorber des matières animales. Le mouvement excité par l’absorption de ces matières, bien que fort lent, suffit pour amener la fermeture de la feuille, tandis que mouvement résultant de l’attouchement opéré sur un des filaments sensitifs est très-rapide, ce qui est indispensable pour la capture des insectes. Ces deux mouvements excités par des moyens si complétement différents sont tous deux admirablement adaptés, comme toutes les autres fonctions de la plante, au but qu’ils servent à remplir.

Il existe une autre différence considérable dans l’action des feuilles qui renferment des objets, tels que des morceaux de bois, du liège, des boulettes de papier, ou que l’on a fait fermer par un simple attouchement sur les filaments, et celles qui renferment des corps organiques fournissant des substances azotées solubles. Dans le premier cas, comme nous l’avons déjà vu, les feuilles se rouvrent dans les vingt-quatre heures et sont toutes prêtes, avant même d’être complétement ouvertes, à se refermer de nouveau. Si, au contraire, elles se sont fermées sur des corps organiques azotés, elles restent en cet état pendant plusieurs jours ; après leur réouverture elles semblent plongées dans la torpeur et n’agissent plus, ou tout au moins ne le font qu’après un temps considérable. Dans quatre cas, des feuilles, après avoir capturé des insectes, ne se rouvrirent plus, mais commencèrent à se faner ; l’une resta fermée pendant quinze jours sur une mouche ; une seconde pendant vingt-quatre jours, bien que la mouche fût petite ; une troisième vingt-quatre jours sur un cloporte, et une quatrième trente-cinq jours sur une grosse Tipula. Dans deux autres cas, des feuilles restèrent fermées pendant neuf jours au moins sur des mouches, et je ne saurais même dire au bout de combien de temps elles se rouvrirent. Je dois ajouter, cependant, que dans deux cas, où des insectes extrêmement petits avaient été naturellement capturés, la feuille se rouvrit aussi vite que si elle n’avait rien pris ; je suppose qu’il faut attribuer cette exception au fait que des insectes aussi petits n’avaient pas été écrasés, ou qu’ils n’avaient rejeté aucune matière animale, de sorte que les glandes n’avaient pas été excitées. Je plaçai aux deux extrémités de trois feuilles des petits morceaux angulaires d’albumine et de gélatine ; deux de ces feuilles restèrent fermées pendant treize jours, et l’autre pendant douze jours. Deux autres feuilles restèrent fermées sur des morceaux de viande pendant onze jours, une troisième pendant huit jours, et une quatrième, qui avait été, il est vrai, cassée en partie et abîmée d’autre façon, pendant six jours seulement. Je plaçai à une des extrémités de trois feuilles des morceaux de fromage ou de caséine et des morceaux d’albumine à l’autre extrémité ; les extrémités contenant le fromage ou la caséine se rouvrirent au bout de six, de huit et de neuf jours, tandis que les extrémités opposées se rouvrirent un peu plus tard. Aucun de ces morceaux de viande, d’albumine etc., n’excédait un cube ayant 1/10e de pouce (2,54 millim.) de côté, et quelquefois même ils étaient plus petits ; cependant ces petits morceaux ont suffi à faire rester les feuilles fermées pendant plusieurs jours. Le docteur Canby m’apprend que les feuilles restent fermées plus longtemps sur les insectes que sur la viande ; d’après ce que j’ai pu voir, il en est certainement ainsi, surtout si les insectes sont gros.

Dans tous les cas que je viens de citer, et dans beaucoup d’autres où les feuilles sont restées fermées pendant une période inconnue, mais très-longue, sur des insectes capturés naturellement, ces feuilles étaient plus ou moins inertes après s’être rouvertes. Elles sont ordinairement si complétement inertes pendant bien des jours, qu’aucune excitation des filaments ne provoque le moindre mouvement. Dans un cas cependant, le lendemain de la réouverture d’une feuille qui avait capturé une mouche, elle se referma avec une extrême lenteur quand je touchai un des filaments ; or, bien que je n’aie laissé aucun objet dans la feuille, elle était si inerte qu’elle ne se rouvrit, pour la seconde fois, qu’au bout de quarante-quatre heures. Dans un second cas, une feuille qui s’était redressée après être restée fermée pendant neuf jours au moins sur une mouche mit en mouvement, à la suite de nombreuses excitations, un seul de ses lobes, et conserva cette position anormale pendant les deux jours suivants. Un troisième cas offre l’exception la plus extraordinaire que j’aie pu observer ; une feuille, après être restée fermée sur une mouche pendant un laps de temps inconnu, finit par se rouvrir ; je touchai un de ses filaments, et elle se referma, bien qu’assez lentement. Le docteur Canby, qui a pu observer aux États- Unis un grand nombre de plantes qui, bien que ne se trouvant pas dans leur pays natal, étaient probablement plus vigoureuses que les miennes, m’informe qu’il a vu « souvent des feuilles vigoureuses dévorer une proie à plusieurs reprises ; mais qu’ordinairement la digestion de deux insectes, ou plus souvent encore d’un seul, suffit à les mettre hors de service ». Mme Treat, qui a cultivé beaucoup de Dionées dans le New-Jersey, m’apprend aussi que « plusieurs feuilles ont pris successivement trois insectes chacune, mais que la plupart d’entre elles ne pouvaient pas digérer la troisième mouche et mouraient en essayant de le faire. Toutefois, cinq feuilles ont digéré chacune trois mouches et se sont refermées sur une quatrième, mais elles sont mortes peu de temps après cette quatrième capture. Beaucoup de feuilles n’ont même pas pu digérer un gros insecte. » Il semble donc que la puissance digestive de la Dionée est quelque peu limitée, et il est certain que les feuilles restent toujours fermées pendant plusieurs jours sur un insecte et ne recouvrent pas la faculté de se refermer pendant un temps indéterminé. Sous ce rapport, la Dionée diffère du Drosera, qui attaque et digère beaucoup d’insectes après des intervalles plus courts.

Nous pouvons actuellement comprendre l’usage des poils marginaux qui forment un caractère si remarquable de l’aspect de la plante (voir fig. 12, page 331), et qui, dans mon ignorance, me paraissaient d’abord être des appendices inutiles. Par suite de la courbe intérieure des lobes, au moment où ils se rapprochent l’un de l’autre, les poils marginaux commencent par se croiser au sommet, et ensuite à la base. Jusqu’à ce que les bords des lobes se trouvent en contact, des espaces allongés variant du 1/15e à 1/10e de pouce (1,693 millim. à 2,54 millim.), en longueur, selon la taille de la feuille, restent ouverts. En conséquence, un insecte dont le corps n’est pas plus gros que ces intervalles peut aisément s’échapper entre les poils croisés, quand il est troublé par la fermeture des lobes et l’obscurité qui en est la conséquence ; un de mes fils a vu un petit insecte s’échapper de cette façon. D’autre part, si un insecte modérément gros essaye de s’échapper à travers les barreaux, il est forcément repoussé dans cette horrible prison dont les murs se referment sur lui, car les poils continuent à s’entre-croiser de plus en plus jusqu’à ce que les bords du lobe se trouvent en contact. Toutefois, un insecte très-fort pourrait sans doute recouvrer la liberté, et Mme Treat a vu, aux États-Unis, un scarabée (Macrodactylus subspinosus) forcer les barreaux de la cage. Or, ce serait manifestement un grand désavantage pour la plante que de rester fermée plusieurs jours sur un insecte microscopique, et que d’avoir à attendre ensuite des jours et des semaines pour recouvrer sa sensibilité ; en effet, un insecte aussi petit ne lui donnerait que peu de nourriture. Il vaut donc bien mieux pour la plante permettre aux petits insectes de s’échapper et attendre qu’elle puisse capturer un insecte modérément gros ; or, les poils marginaux en se croisant lentement remplissent exactement le rôle des grandes mailles d’un filet qui permettent aux petits poissons inutiles de s’échapper.

J’étais désireux de savoir si cette hypothèse est correcte, et je rapporte ce fait comme un excellent exemple de l’imprudence qu’il y a à conclure, hâtivement comme je l’avais fait relativement à ces poils marginaux, qu’une conformation bien développée, quelque singulière qu’elle puisse paraître, est inutile. Je m’adressai donc au docteur Canby. Il visita le pays natal de la plante au commencement de la saison, avant que les feuilles aient atteint tout leur développement, et il m’envoya quatorze feuilles contenant des insectes capturés naturellement. Quatre de ces feuilles avaient capturé d’assez petits insectes, à savoir, trois d’entre elles des fourmis, et la quatrième une mouche assez petite ; mais les dix autres feuilles avaient toutes capturé de gros insectes, c’est-à-dire cinq taupins (Elater), deux chrysomèles, un charançon (Curculio), une araignée épaisse et large, et un scolopendre. Sur ces dix insectes, huit étaient des scarabées[79], et sur les quatorze il n’y en avait qu’un, un insecte diptère, qui pouvait se sauver facilement. Le Drosera, au contraire, se nourrit principalement d’insectes qui volent bien, surtout de diptères, qu’il capture au moyen de sa sécrétion visqueuse. Mais ce qui nous importe le plus, c’est la taille des dix gros insectes. La longueur moyenne de ces insectes, depuis la tête jusqu’à la queue, était de 0,256 de pouce (7 millim. environ) ; les lobes des feuilles avaient en moyenne 0,53 de pouce de longueur (13 millim. de longueur), de sorte que les insectes étaient à peu près la moitié aussi longs que les feuilles qui les enfermaient. Ainsi donc, un bien petit nombre de ces feuilles avaient dépensé leurs forces à capturer une proie trop exiguë, bien qu’il soit fort probable que beaucoup de petits insectes s’étaient promenés sur elle, avaient été capturés, mais s’étaient échappés à travers les barreaux.

Transmission de l’impulsion motrice et moyens de mouvement. — Il suffit de toucher l’un des six filaments pour faire fermer les deux lobes qui, en même temps, se recourbent dans toute leur largeur. L’excitation exercée sur l’un des filaments doit donc rayonner dans toutes les directions. Cette excitation doit aussi se transmettre avec une grande rapidité à travers toute la feuille, car, dans tous les cas ordinaires, les deux lobes se meuvent simultanément, autant toutefois qu’on peut en juger à la vue. La plupart des physiologistes croient que chez les plantes sensitives l’excitation se transmet le long des faisceaux fibro-vasculaires, ou est en tout cas en rapport immédiat avec eux. Chez la Dionée, la disposition de ces vaisseaux, composés de tissus spiraux et de tissus vasculaires ordinaires, semble tout d’abord venir à l’appui de cette hypothèse ; en effet, ces vaisseaux forment un gros faisceau dans toute l’étendue de la côte centrale, faisceau qui se divise en plus petits faisceaux faisant avec lui de chaque côté des angles presque droits. Ces petits faisceaux se bifurquent quelquefois quand ils arrivent près du bord de la feuille, et, tout à fait au bord, des petits branchements partis des vaisseaux adjacents se réunissent pour pénétrer dans les poils marginaux. À quelques-uns de ces points de réunion, les vaisseaux décrivirent des cercles curieux, semblables à ceux que nous avons décrits en parlant du Drosera. Ainsi donc une ligne continue en zigzag de vaisseaux règne tout autour de la circonférence de la feuille, et tous les vaisseaux se trouvent immédiatement en contact dans la côte centrale ; de telle sorti que toutes les parties de la feuille semblent, jusqu’à un certain point, communiquer entre elles. Néanmoins, la présence des vaisseaux n’est pas nécessaire à la transmission de l’impulsion motrice, car cette impulsion part du sommet des filaments sensitifs qui ont environ 1/20e de pouce (1,27 millim.) de longueur, et dans lesquels ne pénètre aucun vaisseau ; il m’eût été difficile, en effet, de ne pas les remarquer, car j’ai fait des sections verticales très-minces, de la feuille à la base des filaments.

À plusieurs reprises, j’ai fait avec une lancette, à la base des filaments, des incisions ayant environ 1/10e de pouce de longueur (2,54 millim.) parallèlement à la côte centrale, c’est-à-dire sur le chemin même des vaisseaux. J’ai opéré ces incisions tantôt entre les filaments et la côte centrale, tantôt en dehors des filaments ; quelques jours après la réouverture des feuilles, je touchai les filaments un peu rudement, car ils sont toujours rendus plus ou moins inactifs par l’opération ; les lobes se fermèrent alors comme à l’ordinaire, bien que lentement, et quelquefois après un laps de temps considérable. Ces faits prouvent que l’impulsion motrice ne se transmet pas le long des vaisseaux ; ils prouvent, en outre, qu’une communication directe entre le filament touché avec la côte, ainsi qu’avec le lobe opposé, ou avec les parties extérieures du même lobe, n’est pas nécessaire.

Je fis ensuite, de la même façon qu’auparavant, sur cinq feuilles distinctes, deux incisions parallèles à la côte centrale, de chaque côté de la base d’un filament, de telle sorte que la petite bande supportant le filament ne se reliait plus au reste de la feuille que par ses deux extrémités. Ces bandes avaient presque toutes la même grandeur ; j’en mesurai une avec soin et elle comportait 0.12 pouces (3,048 millim.) de longueur et 0.08 pouces (2,032 millim.) de largeur ; au milieu se trouvait le filament. L’une de ces bandes seulement se fana et périt. Après que les feuilles se furent remises de l’opération, bien que les incisions restassent encore ouvertes, je touchai un des filaments assez rudement, et les deux lobes ou un seul lobe, selon les cas, se fermèrent lentement. Dans deux cas, l’attouchement exercé sur le filament ne produisit aucun effet ; j’enfonçai alors la base d’une aiguille dans la bande, à la base du filament, et les lobes se fermèrent lentement. Or, dans ces cas, l’impulsion doit avoir parcouru la bande étroite dans une direction parallèle à la côte centrale, et avoir, ensuite rayonné, soit par les deux extrémités, soit par une extrémité seule de la bande, sur toute la surface des deux lobes.

Je fis sur deux autres feuilles deux incisions parallèles, une de chaque côté de la base des filaments, semblables, en un mot, aux incisions dont je viens de m’occuper, mais à angle droit avec la côte centrale. Après que les feuilles se furent remises de l’opération, je touchai rudement le filament isolé et les lobes se fermèrent lentement ; dans ce cas, l’impulsion a dû se propager sur une courte distance dans une direction perpendiculaire à la côte centrale, puis elle a dû rayonner de tous côtés sur les deux lobes. Ces divers faits prouvent que l’impulsion motrice se propage dans toutes les directions à travers le tissu cellulaire, indépendamment de la direction des vaisseaux.

Nous avons vu que chez le Drosera l’impulsion motrice se propage également dans toutes les directions à travers le tissu cellulaire, mais que la vitesse de sa transmission dépend beaucoup de la longueur des cellules et de la direction de leur axe le plus allongé. Un de mes fils a fait des sections très-minces d’une feuille de Dionée, et il a trouvé que les cellules, celles appartenant aux couches centrales aussi bien que celles appartenant aux couches superficielles, sont très-allongées, et que leur axe le plus long est tourné vers la côte centrale ; c’est donc dans cette direction que l’impulsion motrice doit se propager avec la plus grande rapidité d’un lobe à l’autre, quand tous deux se ferment simultanément. Les cellules centrales parenchymateuses sont plus grandes, reliées plus lâchement les unes aux autres, et ont des parois plus délicates que les cellules plus superficielles. Une masse épaisse de tissu cellulaire forme la surface supérieure de la côte centrale au-dessus du grand faisceau central des vaisseaux.

Quand on touche rudement le filament à la base duquel on a fait des incisions, soit sur un seul de ses côtés, soit sur les deux côtés, soit parallèlement à la côte centrale, soit à angle droit avec cette côte, un seul des lobes ou les deux lobes se mettent en mouvement. Dans une de ces expériences, le lobe seul qui portait le filament excité se mit en mouvement ; mais, dans trois autres cas, le lobe opposé seul se mit en mouvement ; il semble résulter de ces faits qu’une blessure suffisante pour empêcher un lobe de se mettre en mouvement ne l’a pas empêché de transmettre une excitation qui a fait refermer le lobe opposé. Cette expérience nous apprend aussi que, bien que normalement les deux lobes se meuvent ensemble, chacun d’eux cependant est doué de la faculté du mouvement d’une façon indépendante. J’ai déjà, d’ailleurs, cité un cas où, chez une feuille inerte, qui venait de se rouvrir après avoir capturé un insecte, un seul des lobes se mit en mouvement après une excitation. Nous avons vu, en outre, dans quelques-unes des expériences précédentes, qu’une des extrémités d’un même lobe peut se fermer et se rouvrir indépendamment de l’autre extrémité.

Quand les lobes qui sont assez épais se ferment, on ne peut distinguer aucune trace de rides sur une partie quelconque de leur surface supérieure. Il semble résulter de ce fait que les cellules doivent se contracter. Le siège principal du mouvement se trouve évidemment dans la masse épaisse de cellules qui recouvre le faisceau central de vaisseaux dans la côte. Pour m’assurer si cette partie se contracte, j’attachai une feuille sur le chariot d’un microscope, de façon à ce que les deux lobes ne puissent pas se fermer tout à fait, puis je fis deux petits points noirs sur la côte centrale dans une direction transversale, et un peu le long des côtés ; examinés à l’aide du micromètre, je trouvai que ces points étaient distants l’un de l’autre de 17 millièmes d’un pouce (0,4318 de millim.). J’excitai alors l’un des filaments et les lobes se fermèrent ; mais, comme je l’ai dit, j’avais disposé l’expérience de façon à ce qu’ils ne puissent pas se réunir, et de façon aussi à ce que je puisse continuer de voir les deux points ; ils se trouvaient alors à 15 millièmes de pouce (0,381 de millim.) de distance l’un de l’autre, de telle sorte qu’une petite partie de la surface supérieure de la côte s’était contractée dans une direction transversale de 2 millièmes de pouce (0, 0508 de millim.).

Nous savons que les lobes, quand ils se ferment, se recourbent légèrement dans toute leur largeur. Ce mouvement paraît dû à la contraction des couches superficielles des cellules sur la surface entière. Afin d’observer cette contraction, j’enlevai sur l’un des lobes une bande étroite, à angle droit avec la côte centrale, de façon à pouvoir observer la surface du lobe opposé quand la feuille serait refermée. Après que la feuille se fut remise des suites de l’opération et se fut rouverte, je fis trois petits points noirs sur la surface opposée à la bande que j’avais enlevée, et je disposai ces points sur une ligne formant un angle droit avec la côte centrale. Les points étaient distants l’un de l’autre de 40 millièmes d’un pouce (1,016 millim.), de sorte que les deux points extrêmes étaient distants l’un de l’autre de 80 millièmes d’un pouce (2,032 millim.). Je touchai alors un des filaments et la feuille se ferma, puis je mesurai les distances entre les points ; les deux points les plus proches de la côte s’étaient rapprochés l’un de l’autre de 1 à 2 millièmes de pouce (0,0254 à 0,0508 de millim.) et les deux points les plus éloignés de 3 à 4 millièmes de pouce (0,0762 à 0,1016 de millim.), de sorte que les deux points extrêmes se trouvaient maintenant plus près l’un de l’autre d’environ 5 millièmes de pouce (0,127 de millim.) qu’ils n’étaient auparavant. Si nous supposons que toute la surface supérieure du lobe qui avait 400 millièmes de pouce de largeur (10,16 millim.) s’est contractée dans la même proportion, la contraction totale a dû se monter à environ 25 millièmes ou 1/40e de pouce (0,635 de millim.) ; mais je ne saurais dire si cette contraction est suffisante pour expliquer la légère courbure intérieure du lobe entier.

Enfin, tout le monde connaît aujourd’hui, par rapport au mouvement des feuilles, l’étonnante découverte du docteur Burdon Sanderson[80], à savoir qu’il existe un courant électrique normal dans le limbe et dans la tige, et que, lorsqu’on irrite les feuilles, le courant est troublé de la même façon que pendant la contraction du muscle d’un animal.

Redressement des feuilles. — Le redressement des feuilles se fait lentement et insensiblement, qu’un objet ait été ou non enfermé entre les lobes[81]. Nous avons vu par l’exemple de la feuille inerte, dont un seul lobe s’était fermé, qu’un lobe seul peut se redresser de lui-même. Nous avons vu aussi, dans les expériences avec le fromage et l’albumine, que les deux extrémités d’un même lobe peuvent se redresser dans une certaine mesure indépendamment l’un de l’autre. Mais, dans tous les cas ordinaires, les deux lobes se rouvrent en même temps. Les filaments sensitifs ne jouent aucun rôle dans ce redressement ; pour m’en assurer, je pris trois feuilles et je coupai au ras de la base les trois filaments d’un lobe ; les trois feuilles ainsi traitées se redressèrent, la première jusqu’à un certain point en vingt-quatre heures, la seconde jusqu’au même point en quarante-huit heures, et la troisième, qui avait été précédemment blessée, au bout du sixième jour seulement. Après leur redressement, ces feuilles se refermèrent rapidement quand j’irritai les filaments qui se trouvaient sur l’un des lobes ; je coupai alors ceux-ci sur l’une des feuilles, de façon à ce qu’elle ne portât plus de filaments. Malgré la perte de tous ses filaments, cette feuille mutilée se redressa au bout de deux jours tout comme à l’ordinaire. Quand on a excité les filaments en les plongeant dans une solution de sucre, les lobes ne se redressent pas aussi vite que si l’on s’est contenté d’opérer un attouchement sur les filaments ; je pense que cela provient de ce que les filaments ont été fortement affectés par l’exosmose, de telle sorte qu’ils continuent pendant quelque temps à transmettre une impulsion motrice à la surface supérieure de la feuille.

Les faits suivants me portent à croire que les différentes couches des cellules constituant la surface intérieure de la feuille sont toujours à l’état de tension, et que c’est grâce à cet état mécanique, aidé probablement par l’attraction de nouveaux liquides dans les cellules, que les lobes commencent à se séparer ou à se redresser, dès que la contraction de la surface supérieure diminue. Je coupai une feuille et je la plongeai soudainement et perpendiculairement dans de l’eau bouillante ; je m’attendais à ce que les lobes se fermeraient, mais, au lieu de le faire, ils s’écartèrent un peu. Je pris alors une autre belle feuille dont les lobes faisaient entre eux un angle de près de 80° ; je la plongeai dans l’eau bouillante, comme la feuille précédente, et l’angle décrit par les feuilles augmenta soudain et fut porté à 90°. Je pris une troisième feuille qui venait de se rouvrir après avoir capturé un insecte, et qui était en conséquence si inerte que des attouchements répétés exercés sur les filaments ne provoquaient pas le moindre mouvement ; néanmoins, quand je la plongeai de la même façon dans l’eau bouillante, les lobes se séparèrent un peu. Comme ces feuilles avaient été plongées perpendiculairement dans l’eau bouillante, les deux surfaces et les deux filaments devaient avoir été également affectés, et je ne puis m’expliquer la divergence des lobes qu’en supposant que les cellules du côté inférieur, grâce à leur état de tension, avaient agi mécaniquement et séparèrent ainsi soudainement les lobes, dès que les cellules de la surface supérieure furent tuées et eurent perdu leur puissance de contraction. Nous avons vu que l’eau bouillante fait aussi recourber en arrière les tentacules du Drosera ; or, c’est là un mouvement analogue à la divergence des lobes de la Dionée.

J’ajouterai dans le XVe chapitre quelques remarques finales sur les Droseracées, et je comparerai alors les différentes sortes d’irritabilité dont sont doués les divers genres et la façon différente qu’ils emploient pour capturer les insectes [82].



CHAPITRE XIV.

aldrovandia vesiculosa.

Capture des crustacés. — Conformation de ses feuilles comparativement à celles de la Dionée. — Absorption par les glandes, par les processus quadrifides et par des pointes sur les bords repliés. — Aldrovandia vesiculosa, var. australis. — Capture de certaines proies. — Absorption des matières animales. — Aldrovandia vesiculosa, variété verticillata. — Conclusions.


On pourrait dire que cette plante est une Dionée aquatique en miniature. Stein a découvert, en 1873, que les feuilles bilobées, que l’on trouve ordinairement closes en Europe, s’ouvrent quand la température est suffisamment élevée, et qu’elles se ferment soudainement au moindre attouchement[83]. Les feuilles se rouvrent au bout de vingt-quatre ou de trente-six heures, mais seulement, paraît-il, quand elles ont capturé des objets inorganiques. Les feuilles contiennent quelquefois des bulles d’air ; on supposait autrefois qu’elles étaient des vessies ; de là le nom spécifique de vesiculosa. Stein a observé qu’elles capturent quelquefois des insectes aquatiques, et, tout récemment, le professeur Cohn a trouvé à l’intérieur des feuilles de plantes croissant à l’état sauvage plusieurs espèces de crustacés et de larves[84]. Il plaça des plantes, qu’il avait jusque-là conservées dans de l’eau filtrée, dans un vase contenant de nombreux crustacés du genre Cypris ; le lendemain matin, il trouva beaucoup de ces crustacés emprisonnés, mais vivant encore et nageant à l’intérieur des feuilles refermées ; ils étaient voués à une mort certaine.

Après avoir lu le mémoire du professeur Cohn, je pus me procurer, grâce à l’obligeance du docteur Hooker, des plantes vivantes venant d’Allemagne. Comme je n’ai rien à ajouter à l’excellente description du professeur Cohn, je me contenterai de donner deux figures, l’une d’un verticille de feuilles empruntée à son ouvrage, l’autre représentant une feuille ouverte et étendue, dessinée par mon fils Francis. J’ajouterai, en outre, quelques remarques sur les différences que l’on observe entre cette plante et la Dionée.

L’Aldrovandia n’a pas de racines ; elle flotte librement dans l’eau. Les feuilles sont disposées en verticilles autour de la tige. Leur large pétiole se termine par quatre ou six projections[85] rigides surmontées chacune d’un poil court et raide. La feuille bilobée, dont la côte centrale se termine aussi par un poil, est placée au milieu de ces projections qui lui servent évidemment de défense. Les lobes de la feuille sont formés d’un tissu si délicat qu’il est translucide ; selon Cohn, les lobes s’ouvrent à peu près autant que les deux valves d’une moule vivante, et, par conséquent, beaucoup moins que les lobes de la Dionée ; ceci doit tendre à rendre la capture des animaux aquatiques beaucoup plus facile. À l’extérieur des feuilles les pétioles sont recouverts de petites papilles à deux branches qui correspondent évidemment aux papilles à huit rayons de la Dionée.


Fig. 13. — Aldrovandia vesiculosa.
La figure supérieure représente un verticille de feuilles (d’après le professeur Cohn).
La figure inférieure représente une feuille ouverte, pressée à plat, considérablement grossie.
Chaque lobe a une convexité d’un peu plus d’un demi-cercle, et se compose de deux parties concentriques très-différentes ; la partie intérieure et la plus petite, qui se trouve la plus rapprochée de la côte centrale, est légèrement concave et se compose, selon Cohn, de trois couches de cellules. La surface supérieure de cette partie est couverte de glandes incolores qui ressemblent à celles de la Dionée, mais qui sont plus simples que ces dernières ; ces glandes sont supportées par des tiges distinctes, composées de deux rangées de cellules. La partie extérieure et plus large du lobe est plate et très-mince, elle est composée de deux couches de cellules seulement. La surface supérieure de cette partie ne porte pas de glandes, mais des petits processus quadrifides qui se composent chacun de quatre projections terminées en pointes, qui surmontent une proéminence commune. Ces processus se composent d’une membrane très-délicate, doublée d’une couche de protoplasma ; ils contiennent quelquefois des globules agrégés de substance hyaline. Deux des branches, légèrement divergentes, se dirigent vers la circonférence, et les deux autres vers la côte centrale, formant ensemble une sorte de croix grecque. Quelquefois, une seule branche en remplace deux, et la projection est alors trifide. Nous verrons, dans un chapitre subséquent, que ces projections ressemblent beaucoup à celles que l’on trouve à l’intérieur de la vessie des Utriculariées, et plus particulièrement de l’Utricularia montana, bien que ce genre ne soit pas voisin de l’Aldrovandia.

Un étroit rebord de la partie large extérieure plate de chaque lobe se replie à l’intérieur, de telle sorte que quand les lobes sont fermés, les surfaces extérieures des parties repliées se trouvent en contact. Le bord lui-même porte une rangée de pointes coniques, aplaties, transparentes, à large base, qui ressemblent aux piquants qui se trouvent sur la tige d’une ronce ou Rubus. Quand le bord est reployé à l’intérieur, ses pointes se dirigent vers la côte centrale et elles semblent tout d’abord adaptées de façon à empêcher la proie de s’échapper ; toutefois, il est douteux que ce soit là leur principale fonction, car ces pointes se composent d’une membrane très-délicate et très-flexible qui se plie facilement et que l’on peut repousser en arrière sans qu’elle se casse. Néanmoins, les bords repliés et les pointes doivent quelque peu empêcher les mouvements rétrogrades d’un petit animal au moment où les lobes commencent à se fermer.

La partie périphérique de la feuille de l’Aldrovandia diffère donc considérablement de celle de la Dionée ; on ne peut pas non plus considérer les pointes qui se trouvent sur le bord comme homologues aux poils qui entourent les feuilles de la Dionée, car ces derniers sont des prolongements du limbe et non pas de simples productions épidermiques ; elles semblent, en outre, servir à un but tout différent.

Sur la partie concave des lobes, qui porte des glandes, et surtout sur la côte centrale, se trouvent de nombreux poils longs, se terminant en pointes très-fines ; on ne peut douter, comme le professeur Cohn le fait remarquer, que ces poils ne soient sensibles au moindre attouchement qui, exercé sur eux, fait fermer la feuille. Ces poils se composent de deux rangées de cellules, ou quelquefois même de quatre selon Cohn, et ne contiennent aucun tissu vasculaire. Ils diffèrent aussi des six filaments sensibles de la Dionée, en ce qu’ils sont incolores, et en ce qu’ils ont une articulation vers le milieu de leur longueur aussi bien qu’à la base. C’est sans aucun doute à ces deux articulations qu’il faut attribuer qu’ils ne sont pas brisés malgré leur longueur quand les lobes se ferment.

Bien que j’aie soumis à une haute température les plantes que l’on m’a envoyées de Kew au commencement d’octobre, les feuilles ne se sont jamais ouvertes. Après avoir examiné la conformation de quelques-unes d’entre elles, j’expérimentai sur deux seulement dans l’espoir que les plantes grandiraient, mais je regrette aujourd’hui de n’en avoir pas sacrifié un plus grand nombre.

J’ai coupé une feuille en opérant la section près de la côte centrale, et j’ai examiné les glandes avec un fort grossissement. Je l’ai plongée ensuite dans quelques gouttes d’une infusion de viande crue. Au bout de trois heures vingt minutes, je n’observai aucun changement ; mais quand je l’examinai ensuite, au bout de vingt-trois heures vingt minutes, je m’aperçus que les cellules extérieures des glandes contenaient, au lieu d’un liquide limpide, des masses sphériques d’une substance granuleuse, ce qui prouve qu’elles avaient emprunté quelques matières à l’infusion. Il est aussi très-probable, d’après leur analogie avec celles de la Dionée, que ces glandes sécrètent un liquide qui dissout ou digère les matières animales contenues dans le corps des animaux que capture la feuille. Si nous pouvons nous fier à la même analogie, les parties concaves et intérieures des deux lobes se referment probablement lentement, dès que les glandes ont absorbé une légère quantité de matières animales déjà solubles. L’eau que contiennent les lobes doit alors disparaître sous la pression, et la sécrétion doit rester assez forte pour pouvoir agir. Il m’a été impossible de déterminer si l’infusion avait agi sur les processus quadrifides situés à la partie extérieure des lobes, car la couche de protoplasma s’était déjà quelque peu contractée avant l’immersion. La couche de protoplasma contenue dans les pointes situées sur les bords repliés s’était aussi contractée dans la plupart d’entre elles, et contenait des granules sphériques de matières hyalines.

J’essayai ensuite une solution d’urée. Je choisis cette substance parce qu’elle est absorbée par les processus quadrifides, et plus particulièrement par les glandes de l’Utricularia, plante qui, comme nous le verrons bientôt, se nourrit de matières animales en décomposition. L’urée étant un des derniers produits des changements chimiques qui s’accomplissent dans le corps vivant, il est naturel qu’elle représente les premiers degrés de la décomposition du cadavre. Je fus aussi conduit à choisir l’urée à cause d’un petit fait curieux que rapporte le professeur Cohn, c’est-à-dire qu’au moment où des crustacés assez gros sont capturés entre les lobes qui se referment, ils sont pressés avec tant de force en cherchant à s’échapper, qu’ils évacuent souvent leurs masses d’excréments en forme de saucisse, que l’on retrouve dans la plupart des feuilles. Or, sans aucun doute, ces masses contiennent de l’urée. Elles doivent reposer, soit sur la large surface extérieure des lobes où sont situés les processus quadrifides, soit à l’intérieur de la concavité qui s’est refermée. Dans ce dernier cas, l’eau, chargée d’excréments et de matières en décomposition, doit, si, comme je le crois, les lobes concaves se contractent au bout d’un certain temps comme ceux de la Dionée, s’écouler lentement à l’extérieur, et par conséquent baigner les processus quadrifides. En outre, l’eau ainsi chargée doit, dans tous les cas et à tous les moments, s’écouler au dehors, surtout quand des bulles d’air se forment à l’intérieur de la concavité.

Je coupai une feuille en deux et je l’examinai avec soin. Les cellules extérieures des glandes ne contenaient que du liquide limpide. Quelques-uns des processus quadrifides renfermaient quelques granules sphériques, mais plusieurs étaient transparents et vides, et je notai leur position. Je plongeai alors cette feuille dans une petite quantité d’une solution contenant une partie d’urée pour 146 parties d’eau. Au bout de trois heures quarante minutes, il ne s’était produit aucun changement ni dans les glandes, ni dans les processus quadrifides ; je ne saurais même pas dire qu’il se soit opéré un changement certain dans les glandes au bout de vingt-quatre heures ; ainsi donc, autant qu’on peut en juger par un seul essai, l’urée n’agit pas sur les glandes de la même façon qu’une infusion de viande crue. L’effet produit sur les processus quadrifides est tout différent ; en effet, le protoplasma qu’ils contiennent, au lieu de présenter une texture uniforme, était alors légèrement contracté et j’ai pu, dans bien des endroits, observer des points et des amas jaunâtres, épais, irréguliers, ressemblant exactement à ceux qui se produisent dans les processus quadrifides de l’Utriculaire, quand on les traite avec cette même solution. En outre, plusieurs processus quadrifides, qui étaient vides auparavant, contenaient actuellement des globules de matière jaunâtre très-petits ou de taille moyenne, plus ou moins agrégés, comme il arrive aussi dans les mêmes circonstances chez l’Utriculaire. Quelques pointes des bords repliés des lobes étaient semblablement affectées ; en effet, le protoplasma qu’elles contiennent était un peu contracté, et j’ai pu observer au milieu des points jaunâtres ; celles qui auparavant étaient vides contenaient actuellement des petites sphères et des masses irrégulières de matières hyalines plus ou moins agrégées. Ainsi donc, les pointes des bords et les processus quadrifides avaient, dans un laps de temps de vingt-quatre heures, absorbé des matières provenant de la solution ; j’aurai, d’ailleurs, à revenir sur ce point. Les processus quadrifides d’une autre feuille assez vieille à laquelle je n’avais rien donné, mais que j’avais conservée dans l’eau sale, contenaient des globules translucides agrégés. Ces processus quadrifides ne subirent aucun changement quand j’expérimentai sur eux avec une solution contenant une partie de carbonate d’ammoniaque pour 218 parties d’eau ; ce résultat négatif concorde avec les observations que j’ai faites dans des circonstances semblables sur l’Utriculaire.

Aldrovandia vesiculosa, variété australis. — Le professeur Oliver m’a envoyé des feuilles desséchées de cette plante provenant de Queensland, en Australie, qui se trouvaient dans l’herbier de Kew. Jusqu’à ce que les fleurs aient été examinées par un botaniste, on ne saurait dire si l’on doit considérer cette plante comme une espèce distincte ou une variété. Les projections qui se trouvent à l’extrémité supérieure du pétiole, au nombre de quatre ou de six, sont, comparativement au limbe, beaucoup plus ténues que celles de la plante européenne. Elles sont recouvertes, jusque près de leur extrémité, de poils recourbés qui sont tout à fait absents chez la plante européenne, et elles portent ordinairement à l’extrémité des lobes deux ou trois poils droits au lieu d’un. La feuille bilobée paraît aussi un peu plus longue et un peu plus large, et le pédicelle qui la rattache à l’extrémité supérieure du pétiole semble un peu plus long. Les pointes situées sur les bords repliés sont aussi un peu différentes ; elles ont des bases plus étroites et sont plus pointues ; en outre, les pointes longues et courtes alternent avec plus de régularité que dans la forme européenne. Les glandes et les poils sensitifs sont semblables dans les deux formes. Je n’ai pu distinguer sur plusieurs feuilles aucun processus quadrifide, mais je suis persuadé qu’ils doivent exister, bien qu’ils soient devenus invisibles à cause de leur délicatesse, et parce qu’ils s’étaient recroquevillés ; d’ailleurs, j’ai pu les observer distinctement sur une feuille dans les circonstances que je vais rapporter.

Quelques feuilles fermées ne contenaient aucune proie ; mais, dans l’une d’elles, j’ai trouvé un assez gros scarabée que, d’après ses jambes aplaties, je suppose être une espèce aquatique, sans que toutefois elle appartienne au Colymbetes. Tous les tissus mous de ce scarabée étaient complètement dissous, et les téguments chitineux aussi propres que si on les avait fait bouillir dans de la potasse caustique ; ils avaient donc dû rester enfermés pendant un temps considérable. Les glandes étaient plus brunes, plus opaques, que celles des feuilles qui n’avaient rien capturé, et j’ai pu distinguer facilement les processus quadrifides, parce qu’ils étaient en partie remplis de matières brunes granuleuses, tandis que, comme je viens de le dire, je n’ai pas pu les distinguer sur les autres feuilles. C’est là une nouvelle preuve que les glandes, les processus quadrifides et les pointes marginales peuvent absorber des substances, bien que probablement d’une nature différente.

J’ai trouvé dans une autre feuille les restes décomposés d’un animal assez petit ; cet animal, qui n’était pas un crustacé, avait des mandibules simples, fortes, opaques, et une grande armure chitineuse non articulée. J’ai trouvé enfermé dans deux autres feuilles un amas de matières organiques noires, peut-être de nature végétale ; mais dans l’une de ces feuilles, se trouvait aussi un petit ver très-décomposé. Il est d’ailleurs très-difficile de reconnaître la nature de corps décomposés, en partie digérés, qui ont été comprimés, qui sont desséchés depuis longtemps et que l’on plonge ensuite dans l’eau. Toutes les feuilles contenaient, en outre, des algues unicellulaires ou autres, ayant encore une couleur verdâtre, qui avaient évidemment vécu à l’intérieur de la plante, comme cela se voit, selon Cohn, à l’intérieur des feuilles de cette plante en Allemagne.

Aldrovandia vesiculosa, variété verticillata. — Le docteur Ring, directeur du jardin botanique, a bien voulu m’envoyer des spécimens desséchés de cette plante provenant des environs de Calcutta. Cette forme a été, je crois, classée par Wallich, comme une espèce distincte, sous le nom de verticillata. Elle ressemble beaucoup plus à la forme australienne qu’à la forme européenne, principalement en ce que les projections situées à l’extrémité supérieure du pétiole sont très-ténues et recouvertes de poils recourbés ; elles se terminent aussi par deux petits poils droits. Les feuilles bilobées sont, je crois, plus longues et certainement plus larges que celles de la forme australienne, de telle sorte que la plus grande convexité de leurs bords saute aux yeux. Si l’on représente par 100 la longueur d’une feuille ouverte, il faudra représenter par 173 environ la largeur de la plante qui habite le Bengale, par 147 celle de la plante australienne, et par 134 celle de la plante allemande. Les pointes situées sur les bords repliés ressemblent à celles de la plante australienne. J’ai examiné quelques feuilles ; trois d’entre elles contenaient des crustacés entomostracés.

Conclusions. — Les feuilles des trois espèces ou variétés étroitement alliées entre elles dont nous venons de parler sont évidemment adaptées pour la capture d’animaux vivants. Quant aux fonctions des diverses parties, on peut à peine douter que les longs poils articulés ne soient sensibles comme ceux de la Dionée et qu’ils provoquent la fermeture des lobes quand on les touche. Si l’on considère l’analogie de cette plante avec la Dionée, il devient très-probable que les glandes sécrètent un véritable fluide digestif et absorbent ensuite les matières digérées ; nous avons d’ailleurs d’autres preuves tendant à la même conclusion ; le liquide limpide contenu dans les cellules s’agrège en masses sphériques après avoir absorbé une infusion de viande crue ; l’état opaque et granulaire des glandes de la feuille qui avait tenu un scarabée enfermé pendant longtemps, l’état de propreté des téguments de cet insecte aussi bien que des crustacés décrits par Cohn, qui ont été capturés depuis longtemps[86]. En outre, l’effet produit sur les processus quadrifides par une immersion de vingt-quatre heures dans une solution d’urée et la présence de matières granuleuses brunes dans les quadrifides de la feuille qui avait capturé un scarabée, l’analogie avec l’Utriculaire, nous autorisent à penser que ces processus absorbent les matières animales excrémentielles en décomposition. Mais, fait beaucoup plus curieux, les pointes situées sur les bords repliés semblent servir à absorber les matières animales en décomposition de la même manière que les processus quadrifides. Cela nous explique comment il se fait que les bords repliés des lobes sont garnis de pointes délicates dirigées vers l’intérieur, et que les parties extérieures larges et plates portent des processus quadrifides ; en effet, ces surfaces doivent être arrosées par l’eau qui s’écoule de la concavité de la feuille et qui est restée longtemps en contact avec des animaux en décomposition. L’écoulement de cette eau doit être amené par plusieurs causes différentes : la contraction graduelle de la concavité, la sécrétion abondante de liquide, la génération de bulles d’air. Sans doute, les observations ne sont pas suffisantes pour se prononcer sur ce point ; mais, si mon hypothèse est correcte, nous pouvons observer ici ce fait remarquable que différentes parties d’une même feuille remplissent des fonctions toutes différentes, une partie servant à la véritable digestion, et une autre à l’absorption de matières animales en décomposition. Ceci nous explique aussi comment il se fait qu’à la suite de la perte graduelle de l’une ou de l’autre de ces propriétés, une plante puisse s’adapter graduellement à une fonction à l’exclusion de l’autre. Or, nous démontrerons tout à l’heure que les deux genres, Pinguicula et Utricularia, appartenant à la même famille, se sont adaptés à ces deux fonctions si différentes.

CHAPITRE XV.

drosophyllum. — roridula. — byblis. — poils glanduleux d’autres plantes. — conclusions sur les droséracees.

Drosophyllura. — Structure des feuilles. — Nature de la sécrétion. — Mode de capture des insectes. — Faculté d’absorption. — Digestion des substances animales. — Résumé sur le Drosophyllum. — Roridula. — Byblis. — Poils glanduleux d’autres plantes ; leur faculté d’absorption. — Saxifrages. — Primula. — Pelargonium. — Erica. — Mirabilis. — Nicotiana. — Résumé sur les poils glanduleux. — Remarques finales sur les Droséracées.

DROSOPHYLLUM LUSITANICUM.

Cette plante rare ne se trouve qu’en Portugal ; toutefois, d’après le docteur Hooker, elle existe également au Maroc. J’ai pu m’en procurer des plants vivants, grâce à l’obligeance de M. W. C. Tait, et, plus tard, de M. G. Maw et du docteur Moore. M. Tait m’informe que cette plante pousse en grande abondance sur les flancs des collines desséchées qui entourent Oporto, et qu’un nombre considérable de mouches adhèrent à ses feuilles. Les villageois connaissent parfaitement ce caractère de la plante à laquelle ils ont donné le nom de gobe-mouches ; ils la pendent dans leur maison pour les attraper. Un pied que j’ai cultivé dans ma serre a attrapé tant d’insectes de tout genre pendant la première partie d’avril, bien que la température fût assez froide et les insectes fort rares, que le Drosophyllum doit les attirer fortement. Dans le courant de l’automne, j’ai trouvé que huit, dix, quatorze et seize petits insectes, principalement des Diptères, adhéraient aux quatre feuilles d’une plante toute jeune et encore toute petite. J’ai négligé d’examiner les racines, mais le docteur Hooker m’apprend qu’elles sont très-petites, comme celles de toutes les espèces de la famille des Droséracées dont nous nous sommes déjà occupés.

Les feuilles sortent d’une tige presque ligneuse ; elles sont linéaires, se terminent en pointe et ont plusieurs pouces de longueur. La surface supérieure des feuilles est concave, la surface inférieure convexe, avec un canal étroit dans le milieu. Les deux surfaces, à l’exception de ce canal, sont recouvertes de glandes supportées par des pédicelles et disposées en rangées longitudinales et régulières. Je donnerai à ces organes le nom de tentacules, à cause de leur grande ressemblance avec les organes du Drosera bien qu’ils n’aient pas la faculté de se mouvoir. Les tentacules d’une même feuille ont des longueurs bien diverses. Les glandes ont aussi des grosseurs différentes ; elles affectent une couleur rose brillant ou pourpre ; leur surface supérieure est convexe, et leur surface inférieure plate et même concave, ce qui les fait ressembler à des champignons microscopiques. Les glandes se composent, je crois, de deux couches de cellules délicates angulaires, renfermant huit ou dix cellules plus grandes, dont les parois en zigzag sont plus épaisses. À l’intérieur de ces cellules plus grandes, il y en a d’autres que l’on distingue à leurs lignes spirales, et qui semblent se relier aux vaisseaux spiraux qui pénètrent dans les pédicelles verts multicellulaires. Les glandes sécrètent de grosses gouttes de sécrétion visqueuse. On trouve sur les pédoncules et dans le calice de la fleur d’autres glandes ayant le même aspect général.

Outre ces glandes supportées par des pédicelles longs ou courts, on en trouve un grand nombre d’autres sur les deux surfaces des feuilles, mais si petites qu’on peut à peine les distinguer à l’œil nu. Ces glandes sont incolores, presque sessiles, et affectent une forme circulaire ou
Fig. 14.
Drosophyllum lusitanicum.
Partie d’une feuille grossie sept fois (surface inférieure).
ovale ; celles qui présentent cette dernière forme sont plus ordinairement placées à la surface inférieure des feuilles (fig. 14). Intérieurement, ces glandes ont la même conformation que les glandes plus grosses portées par des pédicelles ; on observe, d’ailleurs, des gradations insensibles entre ces deux espèces de glandes. Mais les glandes sessiles diffèrent des autres à un point de vue important ; en effet, elles ne sécrètent jamais spontanément, autant toutefois que j’ai pu m’en assurer, et je dois ajouter que je les ai examinées avec un très-fort grossissement pendant des journées très-chaudes, et alors que les glandes supportées par des pédicelles sécrétaient abondamment. Toutefois, si l’on place sur ces glandes sessiles des morceaux d’albumine humide ou de fibrine, elles se mettent à sécréter au bout d’un certain temps, tout comme le font les glandes de la Dionée, quand on les traite de la même façon. Je crois qu’elles sécrètent aussi quand on se contente de les frotter avec un morceau de viande crue. Les glandes sessiles et les glandes supportées par des pédicelles ont la propriété d’absorber rapidement les substances azotées.

La sécrétion des glandes portées par des pédicelles diffère d’une manière fort remarquable de celle des glandes du Drosera ; en effet, elle est acide avant que les glandes aient été excitées, et, à en juger par la teinte communiquée au papier de tournesol, elle est beaucoup plus acide que celle du Drosera. J’ai observé ce fait à bien des reprises ; une fois j’ai choisi une jeune feuille qui ne sécrétait pas beaucoup et qui n’avait jamais capturé un insecte, cependant la sécrétion de toutes les glandes colorait le papier de tournesol en rouge brillant. La rapidité avec laquelle les glandes extraient les substances animales de matières telles que la fibrine ou le cartilage bien lavé me porte à penser qu’il doit y avoir dans la sécrétion, avant que les glandes soient excitées, une petite quantité du ferment convenable, de sorte que les matières animales sont rapidement dissoutes.

Grâce à la nature de la sécrétion ou à la forme des glandes, les gouttes de sécrétion s’enlèvent avec une facilité singulière. Il est même assez difficile de placer sur les gouttes une petite parcelle, de quelque nature que ce soit, à l’aide d’une aiguille bien pointue et bien polie un peu humectée dans l’eau ; en retirant l’aiguille, on enlève ordinairement la goutte de sécrétion : chez le Drosera, cette difficulté n’existe pas, bien qu’on enlève quelquefois ces gouttes. En conséquence de cette particularité, quand un petit insecte vient se poser sur une feuille de Drosophyllum, les gouttes adhèrent à ses ailes, à ses pattes ou à son corps, et se détachent de la glande ; l’insecte se traîne alors un peu plus loin, et d’autres gouttes adhèrent à son corps, de sorte qu’enfin, enveloppé complètement par la sécrétion visqueuse, il tombe et meurt, reposant sur les petites glandes sessiles qui recouvrent la surface presque entière de la feuille. Chez le Drosera, un insecte qui vient toucher un ou plusieurs tentacules extérieurs est transporté par leurs mouvements jusqu’au centre de la feuille ; chez le Drosophyllum, ce même effet s’obtient par les efforts que fait l’insecte pour se débarrasser, car ses ailes surchargées par la sécrétion ne lui permettent plus de s’envoler.

Il existe une autre différence entre les glandes de ces deux plantes au point de vue de leurs fonctions : nous savons que les glandes du Drosera sécrètent plus abondamment quand elles sont convenablement excitées. Or j’ai placé sur les glandes du Drosophyllum, sans que la quantité de sécrétion ait jamais paru augmenter, des parcelles de carbonate d’ammoniaque, des gouttes d’une solution de ce sel ou d’azotate d’ammoniaque, de la salive, des petits insectes, des morceaux de viande crue ou rôtie, de l’albumine, de la fibrine ou du cartilage, aussi bien que des parcelles inorganiques. Comme les insectes n’adhèrent pas ordinairement aux grandes glandes, mais qu’ils se contentent d’en enlever la sécrétion, nous comprenons qu’il ait été peu utile pour la plante que les glandes prissent l’habitude de sécréter plus abondamment quand elles sont stimulées ; chez le Drosera, au contraire, cette sécrétion plus abondante est avantageuse, et la plante a acquis cette habitude. Toutefois, les glandes du Drosophyllum sécrètent continuellement, sans avoir besoin d’être excitées, afin de remplacer constamment les pertes qu’elles éprouvent par l’évaporation. Ainsi, si l’on place une plante sous une petite cloche de verre dont la surface intérieure et le support ont été bien mouillés, il n’y a plus d’évaporation, et la sécrétion, dans ce cas, s’accumule en si grande quantité en un seul jour, qu’elle coule le long des tentacules et recouvre une grande partie des feuilles.

Les glandes sur lesquelles j’ai placé les substances et les liquides azotés que je viens d’énumérer n’ont pas, comme nous l’avons dit, sécrété plus abondamment ; au contraire, elles ont réabsorbé leurs propres gouttes de sécrétion avec une rapidité étonnante. J’ai placé sur cinq glandes des parcelles de fibrine humide, et, quand je les observai au bout d’une heure douze minutes, la fibrine était presque sèche, et toute la sécrétion avait été réabsorbée. Il en a été de même pour trois cubes d’albumine, au bout d’une heure dix-neuf minutes, et pour les autres cubes, bien que je n’aie pu observer ces derniers, qu’au bout de deux heures quinze minutes. J’ai obtenu les mêmes résultats en une heure quinze minutes, et en une heure trente minutes, en plaçant des parcelles de cartilage et de viande sur plusieurs glandes. Enfin, j’ai ajouté à la sécrétion entourant trois glandes une petite goutte ( environ 1/20e de minime) d’une solution contenant une partie d’azotate d’ammoniaque pour 146 parties d’eau, de façon à ce que la quantité de liquide entourant chaque glande fût légèrement augmentée ; cependant, quand je les observai deux heures après, ces trois glandes étaient sèches. D’autre part, je plaçai, sur dix glandes, sept parcelles de verre et trois parcelles de charbon, ayant à peu près le même volume que les parcelles des substances organiques dont je viens de parler ; j’observai quelques-unes de ces glandes pendant dix-huit heures, et d’autres pendant deux ou trois jours, sans pouvoir découvrir le moindre signe de réabsorption de la sécrétion. Dans les premiers cas, l’absorption de la sécrétion doit donc provenir de la présence de quelques substances azotées, déjà solubles, ou devenues telles par la sécrétion. Comme la fibrine dont je me suis servi était pure, et qu’elle avait été bien lavée dans l’eau distillée, après avoir été conservée dans de la glycérine, et comme le cartilage avait longtemps séjourné dans l’eau, je pense que la sécrétion avait agi sur ces substances et les avait rendues solubles pendant le court intervalle que j’ai indiqué ci-dessus.

Les glandes n’ont pas seulement la faculté de réabsorber facilement leur sécrétion, mais elles ont aussi celle de sécréter facilement de nouveau ; cette dernière faculté a sans doute été acquise par la glande en conséquence de ce que les insectes enlèvent ordinairement les gouttes de sécrétion qui doivent être remplacées le plus tôt possible. J’ai estimé, dans quelques cas seulement, la durée de la période au bout de laquelle les glandes recommencent à sécréter. Au bout de vingt-deux heures, les glandes qui s’étaient desséchées en une heure trente minutes, par suite de l’apposition sur elles de morceaux de viande, sécrétaient de nouveau ; il en a été de même, au bout de vingt-quatre heures, pour une glande sur laquelle j’avais placé un morceau d’albumine. Les trois glandes sur lesquelles j’avais placé une goutte d’une solution d’azotate d’ammoniaque, et qui s’étaient desséchées au bout de deux heures, se mirent à sécréter de nouveau douze heures après.

Les tentacules ne sont pas doués de mobilité. — J’ai observé, avec le plus grand soin, beaucoup de grands tentacules auxquels adhéraient des insectes ; j’ai placé sur les glandes de beaucoup d’autres tentacules des fragments d’insectes, des morceaux de viande crue, d’albumine, etc., des gouttes d’une solution de deux sels d’ammoniaque et de salive, sans pouvoir jamais découvrir la moindre trace de mouvement. À bien des reprises, j’ai irrité les glandes avec une aiguille, j’ai gratté et piqué le limbe de la feuille, sans que ni le limbe ni les tentacules se soient jamais infléchis. Nous pouvons donc en conclure que les tentacules n’ont pas la faculté de se mouvoir.

De la faculté d’absorption possédée par les glandes. — J’ai déjà démontré indirectement que les glandes surmontant les pédicelles absorbent les substances animales. Leur changement de couleur et l’agrégation de leur contenu, quand on laisse les glandes en contact avec des substances ou des liquides azotés, est une nouvelle preuve à l’appui de ce fait. Les observations suivantes s’appliquent aux glandes surmontant les pédicelles et aux petites glandes sessiles. Avant qu’une glande ait été stimulée, les cellules extérieures ne contiennent ordinairement qu’un liquide pourpre limpide ; les cellules plus centrales contiennent des masses de matière granuleuse pourpre qui affectent à peu près la forme d’une mûre. Je plaçai une feuille dans une petite quantité d’une solution contenant une partie de carbonate d’ammoniaque pour 146 parties d’eau (3 grains de sel pour une once d’eau), les glandes noircirent immédiatement et devinrent bientôt tout à fait noires. Ce changement est dû à l’agrégation fortement prononcée du liquide contenu dans les cellules, et plus particulièrement dans les cellules intérieures. Je plongeai une autre feuille dans une solution d’azotate d’ammoniaque faite au même degré. Au bout de vingt-cinq minutes, les glandes avaient pris une teinte un peu plus foncée, au bout de cinquante minutes, la teinte devint plus foncée encore, et, au bout d’une heure trente minutes, elles étaient devenues d’un rouge si foncé qu’elles paraissaient presque noires. Je plongeai d’autres feuilles dans une faible infusion de viande crue et dans de la salive humaine ; au bout de vingt-cinq minutes, les glandes avaient pris une teinte plus foncée, et, au bout de quarante minutes, elles étaient devenues si foncées qu’on aurait presque pu dire qu’elles étaient noires. L’immersion même, pendant un jour entier, dans l’eau distillée cause quelquefois une certaine agrégation à l’intérieur des glandes, et elles prennent, en conséquence, une teinte un peu plus foncée. Dans tous ces cas, les glandes sont affectées exactement de la même façon que celles du Drosera. Toutefois, le lait qui agit si énergiquement sur le Drosera, semble avoir un peu moins d’action sur le Drosophyllum, car les glandes de ce dernier n’avaient guère changé de couleur après une immersion d’une heure vingt minutes, mais elles prirent une teinte plus foncée au bout de trois heures. Je plongeai dans la solution de carbonate d’ammoniaque des feuilles que j’avais laissées pendant sept heures dans une infusion de viande crue ou dans la salive, les glandes prirent alors une couleur verdâtre ; si, au contraire, je les avais placées tout d’abord dans la solution de carbonate, elles seraient devenues noires. Dans ce dernier cas, l’ammoniaque se combine probablement avec l’acide de la sécrétion, et n’exerce, par conséquent, aucune action sur la matière colorante ; quand, au contraire, les glandes sont plongées d’abord dans un liquide organique, l’acide est employé pour le travail de la digestion, ou les parois des cellules deviennent plus perméables, de sorte que le carbonate non décomposé pénètre dans les cellules et agit sur la matière colorante. Si l’on place sur une glande une parcelle de carbonate d’ammoniaque sec, la couleur pourpre disparaît rapidement, à cause probablement d’un excès de sel. En outre, la glande est tuée.

Occupons-nous actuellement de l’action exercée par les substances organiques. Les glandes sur lesquelles je plaçai des morceaux de viande crue prirent une teinte plus foncée, et, au bout de dix-huit heures, le contenu des cellules était visiblement agrégé. Je plaçai sur plusieurs glandes des morceaux d’albumine et de fibrine ; elles prirent une teinte plus foncée au bout de deux ou trois heures ; dans un cas, la couleur pourpre disparut complètement. Je comparai des glandes qui avaient capturé des mouches à d’autres glandes qui se trouvaient tout auprès ; bien qu’elles ne différassent pas beaucoup en couleur, il y avait une différence bien prononcée dans leur état d’agrégation. Dans quelques cas, toutefois, je ne pus observer aucune différence sensible, ce qui paraissait provenir de ce que les insectes avaient été capturés depuis longtemps, et que, par conséquent, les glandes avaient repris leur état naturel. Dans un cas, un groupe de glandes sessiles incolores auxquelles adhérait une petite mouche présentait un aspect tout particulier ; ces glandes, en effet, étaient devenues pourpres, grâce à des matières granuleuses pourpres qui revêtaient les parois de leurs cellules. Il me faut ici faire une réserve, c’est que peu de temps après l’arrivée de mes plantes du Portugal, au printemps, les glandes paraissaient insensibles à l’action des morceaux de viande, des insectes ou d’une solution d’ammoniaque ; c’est là une circonstance que je ne peux expliquer.

Digestion des substances animales solides. — En essayant de placer des petits cubes d’albumine sur deux des glandes supportées par des pédicelles, ces cubes glissèrent, et, enduits de la sécrétion, restèrent sur quelques petites glandes sessiles. Au bout de vingt-quatre heures, l’un de ces cubes était complètement liquéfié, bien que quelques filaments blancs fussent encore visibles ; l’autre était presque complètement arrondi, mais n’était pas encore dissous. Je plaçai deux autres cubes sur les glandes élevées, et je les y laissai pendant deux heures quarante-cinq minutes, au bout duquel temps toute la sécrétion était absorbée ; toutefois, les cubes n’avaient pas été perceptiblement attaqués, bien que, sans aucun doute, les glandes aient dû puiser chez eux une minime quantité de matières animales. Je plaçai alors ces cubes sur les petites glandes sessiles qui, stimulées de cette façon, se mirent à sécréter abondamment pendant sept heures. L’un de ces cubes avait été presque complètement liquéfié pendant ce court espace de temps ; tous deux l’étaient complètement au bout de vingt et une heures quinze minutes ; toutefois, on pouvait encore observer dans les petites masses liquides quelques filaments blancs. Ces filaments disparurent après une nouvelle période de six heures trente minutes, et le lendemain matin, c’est-à-dire quarante-huit heures après que les cubes avaient été placés sur les glandes, les matières liquéfiées étaient complètement absorbées. Je plaçai sur une autre glande pédicellée un cube d’albumine ; cette glande absorba d’abord la sécrétion, puis se remit à sécréter au bout de vingt-quatre heures. Le cube, entouré de la sécrétion, resta sur la glande pendant une nouvelle période de vingt-quatre heures, sans être attaqué ou ne l’étant que fort peu. Nous pouvons conclure de ces expériences que la sécrétion des glandes pédicellée, bien que fortement acide, a peu de puissance digestive, ou bien que la quantité de sécrétion déversée par une seule glande ne suffit pas pour dissoudre une parcelle d’albumine qui, pendant le même laps de temps, aurait été dissoute par la sécrétion de plusieurs petites glandes sessiles. La mort de ma dernière plante m’a empêché de déterminer laquelle de ces hypothèses était la vraie.

Je pris quatre petites parcelles de fibrine pure que je disposai de façon à ce que chacune d’elles reposât sur une, deux ou trois glandes pédicellée. Au bout de deux heures trente minutes, la sécrétion de ces glandes avait été absorbée, et les parcelles de fibrine étaient presque desséchées. Je les plaçai alors sur des glandes sessiles. Au bout de deux heures trente minutes, une de ces parcelles me parut complètement dissoute, mais j’ai pu me tromper. Au bout de dix-sept heures vingt-cinq minutes, une seconde parcelle était liquéfiée, mais le liquide examiné au microscope contenait encore des granules de fibrine flottant çà et là. Les deux autres parcelles étaient complètement liquéfiées au bout de vingt et une heures trente minutes ; mais j’ai pu encore distinguer quelques granules dans une des gouttes. Toutefois, ces granules étaient complètement dissous après une nouvelle période de six heures trente minutes, et la surface de la feuille était, sur un certain espace, recouverte d’un liquide limpide. Il résulte de ces expériences que le Drosophyllum digère l’albumine et la fibrine un peu plus rapidement que le Drosera, ce qu’il faut peut-être attribuer au fait que l’acide, et probablement aussi une petite quantité de ferment, sont présents dans la sécrétion avant que les glandes aient été stimulées, de telle sorte que la digestion commence immédiatement.

Conclusions. — Les feuilles linéaires du Drosophyllum ne diffèrent que légèrement de celles de certaines espèces de Drosera. Les principales différences sont : 1o la présence de petites glandes sessiles qui, comme celles de la Dionée, ne sécrètent qu’après avoir été excitées par l’absorption de matières azotées. Toutefois, on observe des glandes semblables sur les feuilles du Drosera binata, et elles paraissent être représentées par les papilles sur les feuilles du Drosera rotundifolia. 2o La présence de tentacules sur la surface inférieure des feuilles ; mais nous avons vu que quelques tentacules, disposés irrégulièrement et tendant à disparaître, existent encore sur le côté inférieur des feuilles du Drosera binata. Il y a de plus grandes différences de fonctions entre les deux genres. La plus importante de ces différences est que les tentacules du Drosophyllum sont privés de motilité, faculté qui est compensée en partie par fait que les gouttes de sécrétion visqueuse se détachent facilement des glandes ; de telle sorte que, dès qu’un insecte se trouve en contact avec une goutte, peut encore s’éloigner, mais il touche bientôt d’autres gouttes, puis, étouffé par la sécrétion, il tombe sur les glandes sessiles et meurt. Une autre différence est que la sécrétion des glandes pédicellée, avant que ces glandes aient été excitées, est fortement acide et contient peut-être une petite quantité du ferment convenable. Enfin, ces glandes ne sécrètent pas plus abondamment quand elles sont excitées par l’absorption de matières azotées ; au contraire, elles réabsorbent leur propre sécrétion avec une rapidité extraordinaire, et, au bout de quelque temps, elles se remettent à sécréter. Toutes ces circonstances découlent probablement du fait que les insectes n’adhèrent pas ordinairement aux glandes avec lesquelles ils se sont trouvés d’abord en contact, bien que cela arrive quelquefois, et aussi du fait que c’est la sécrétion des glandes sessiles qui dissout principalement les substances animales contenues dans corps des insectes.

RORIDULA.

Roridula dentata. — Cette plante est originaire de la région occidentale du cap de Bonne-Espérance ; un spécimen m’a été envoyé du jardin de Kew, mais à l’état sec. Le Roridula a une tige et des branches presque ligueuses ; il semble atteindre une hauteur de quelques pieds ; les feuilles sont linéaires et elles se terminent en pointe au sommet. Leurs surfaces supérieure et inférieure sont concaves, la partie médiane ayant une grande épaisseur ; ces deux surfaces sont couvertes de tentacules qui diffèrent beaucoup en longueur ; les uns sont très-longs, particulièrement ceux qui se trouvent au sommet des feuilles, les autres sont très-courts. Les glandes diffèrent aussi beaucoup en grosseur ; elles sont quelque peu allongées et portées sur des pédicelles multicellulaires.

Cette plante ressemble donc, sous bien des points, au Drosophyllum, bien qu’elle diffère de ce dernier sous les rapports suivants. Je n’ai pas pu découvrir de glandes sessiles ; ces glandes seraient d’ailleurs inutiles à la plante, car la surface supérieure des feuilles est complètement recouverte de poils pointus unicellulaires, formant un angle droit avec le limbe. Les pédicelles des tentacules ne contiennent pas de vaisseaux spiraux, et il n’y a aucune cellule spirale à l’intérieur des glandes. Les feuilles se présentent souvent par touffes ; elles sont pinnatifides, les lobes faisant un angle droit avec le principal limbe linéaire. Les lobes latéraux sont souvent très-courts et ne portent qu’un seul tentacule terminal accompagné de deux ou trois autres tentacules courts situés près de lui. On ne peut établir aucune ligne de démarcation bien marquée entre les pédicelles des longs tentacules terminaux et le sommet très-pointu des feuilles. Il est possible toutefois de fixer arbitrairement l’endroit jusqu’où s’étendent les vaisseaux spiraux partant du limbe, mais il n’existe aucune autre distinction.

Les nombreuses parcelles de substance collées aux glandes prouvent évidemment que celles-ci sécrètent une grande quantité de matière visqueuse. Un grand nombre d’insectes appartenant à des espèces variées adhéraient aussi aux feuilles. Je n’ai pu découvrir aucune trace d’une inflexion des tentacules sur les insectes capturés ; si ces tentacules avaient été doués de la faculté du mouvement, j’aurais pu, sans aucun doute, m’en apercevoir, même sur un spécimen desséché. Ce caractère négatif semble prouver que le Roridula ressemble à l’espèce septentrionale, le Drosophyllum.

BYBLIS.

Byblis gigantea (Australie occidentale). — Les directeurs du jardin de Kew m’ont envoyé un spécimen desséché de Byblis ayant environ 18 pouces de hauteur et une forte tige. Les feuilles atteignent quelques pouces de longueur ; elles sont linéaires, légèrement aplaties, avec une petite côte à la surface inférieure et recouvertes de tous côtés par des glandes de deux espèces : des glandes sessiles disposées en rangées et d’autres glandes supportées par des pédicelles assez longs. Ces pédicelles sont plus longs vers le sommet étroit des feuilles ; en cet endroit, ils égalent le diamètre de la feuille. Les glandes affectent une teinte pourpre ; elles sont très-aplaties et consistent en une seule couche de cellules rayonnantes au nombre de 40 ou 50 dans les glandes les plus grandes. Les pédicelles se composent de cellules simples allongées, aux parois incolores et très-délicates, sur lesquelles on remarque les traces de lignes spirales très-fines. Je ne saurais dire si ces lignes proviennent de la contraction résultant du dessèchement des parois, mais le pédicelle entier est souvent roulé en spirale. Ces poils glandulaires ont une conformation beaucoup plus simple que les prétendus tentacules des genres précédents, et ils ne diffèrent pas essentiellement des poils d’une foule d’autres plantes. Les pédoncules des fleurs portent des glandes semblables. Le caractère le plus singulier de ces feuilles est que la pointe s’élargit de façon à former une petite protubérance recouverte de glandes, protubérance qui est environ un tiers plus large que les parties adjacentes de la feuille qui se termine en pointe. Dans deux endroits, des mouches mortes adhéraient aux glandes. Comme on ne connaît aucun exemple de conformations unicellulaires douées de motilité[87], le Byblis, sans aucun doute, capture les insectes uniquement à l’aide de ses sécrétions visqueuses. Ces insectes étouffés par la sécrétion tombent probablement sur les petites glandes sessiles qui, à en juger par analogie avec le Drosophyllum, déversent alors leur sécrétion et s’assimilent ensuite les substances digérées.

Observations supplémentaires sur la puissance d’absorption au moyen des poils glandulaires d’autres plantes. — Il ne sera pas inutile de faire ici quelques observations sur ce sujet. Comme les glandes de beaucoup d’espèces, sinon de toutes les espèces de Droséracées absorbent différents liquides, ou tout au moins permettent à ces liquides de les pénétrer facilement[88], il semble désirable de nous assurer jusqu’à quel point les glandes d’autres plantes qui ne sont pas spécialement adaptées pour la capture des insectes, possèdent la même propriété. Les plantes choisies pour ces expériences ont été prises au hasard, sauf toutefois deux espèces de Saxifrages sur lesquels j’ai voulu expérimenter, parce qu’elles appartiennent à une famille alliée aux Droséracées. La plupart de mes expériences ont consisté à plonger les glandes dans une infusion de viande crue, ou plus ordinairement dans une solution de carbonate d’ammoniaque, cette dernière substance agissant très-énergiquement et très-rapidement sur le protoplasma. Il me semblait aussi très-important de déterminer si l’ammoniaque est absorbée par ces plantes, parce que l’eau de pluie en contient quelques traces. Chez les Droséracées, la sécrétion d’un liquide visqueux par les glandes n’empêche pas qu’elles n’aient la faculté d’absorber ; il se pourrait donc que les glandes d’autres plantes excrétassent des matières superflues ou sécrétassent un liquide odoriférant pour se défendre contre les attaques des insectes ou dans tout autre but, et qu’elles aient cependant aussi la faculté d’absorber. Je regrette de n’avoir pas, dans les expériences suivantes, essayé de déterminer si la sécrétion peut digérer ou rendre solubles les matières animales ; mais ces expériences auraient été très-difficiles à cause du petit volume des glandes et de la petite quantité de matière qu’elles sécrètent. Nous verrons, dans le chapitre suivant que la sécrétion provenant des poils glanduleux du Pinguicula dissout certainement les matières animales.

Saxifraga umbrosa. — Les pédoncules des fleurs et les pétioles des feuilles sont recouverts de poils courts portant des glandes roses ; ces glandes se composent de plusieurs cellules polygonales, et le pédicelle est divisé par des cloisons en cellules distinctes qui sont ordinairement incolores, mais qui affectent cependant parfois une teinte rose. Les glandes sécrètent un liquide visqueux jaunâtre qui sert quelquefois, quoique rarement, à capturer des petits diptères[89]. Les cellules des glandes contiennent un liquide rose brillant chargé de granules ou de masses globulaires de matière pulpeuse rosée. Cette matière doit être du protoplasma, car si l’on place une glande sous une goutte d’eau et qu’on l’examine au microscope, on voit que cette matière subit des changements de forme lents, mais incessants. On a observé des mouvements semblables chez des glandes qui avaient séjourné dans l’eau pendant une, trois, cinq, dix-huit et vingt-sept heures. Au bout même de ce laps de temps, les glandes conservent leur couleur rose brillant, et le protoplasma contenu dans les cellules ne paraît pas s’être agrégé. Les changements de forme constants des petites masses de protoplasma ne sont pas dus à l’absorption de l’eau, car on a observé ces mouvements dans des glandes parfaitement sèches.

Le 29 mai, j’ai ployé une tige supportant une fleur et encore attachée à la plante, de façon à la plonger pendant vingt-trois heures trente minutes dans une forte infusion de viande crue. La couleur du liquide contenu dans les glandes se modifia quelque peu ; il prit une teinte plus pourpre et plus foncée qu’auparavant. Le contenu des cellules paraissait aussi plus agrégé, car les espaces séparant les petites masses de protoplasma étaient plus grands ; toutefois, ce dernier résultat n’a pas accompagné d’autres expériences analogues. Les masses de protoplasma semblaient aussi changer plus rapidement de forme que chez les glandes plongées dans l’eau, de telle sorte que les cellules variaient d’aspect toutes les quatre ou cinq minutes. Les masses allongées se transformaient en masses sphériques au bout d’une ou deux minutes ; elles s’allongeaient et s’unissaient à d’autres. Des masses microscopiques augmentaient rapidement de volume, et j’ai vu trois globules parfaitement distincts se réunir en un seul. En un mot, les mouvements produits dans le protoplasma ressemblaient exactement à ceux que j’ai décrits pour le Drosera. Les cellules des pédicelles ne furent pas affectées par l’infusion ; je puis ajouter qu’elles ne le furent pas non plus dans l’expérience suivante.

Je plongeai de la même façon, et pendant le même laps de temps, une autre tige à fleurs dans une solution contenant une partie d’azotate d’ammoniaque pour 146 parties d’eau (3 grains d’azotate pour une once d’eau) ; l’effet produit sur les glandes, au point de vue de la couleur, fut exactement le même que celui produit par l’infusion de viande crue.

Je plongeai une autre tige à fleurs, dans les conditions que je viens de dire précédemment, dans une solution contenant 1 partie de carbonate d’ammoniaque pour 109 parties d’eau. Au bout d’une heure trente minutes, les glandes n’étaient pas décolorées ; mais, au bout de trois heures quarante-cinq minutes, la plupart d’entre elles avaient pris une teinte pourpre sale, d’autres une teinte vert noirâtre, et quelques-unes n’avaient pas été affectées. Les petites masses de protoplasma à l’intérieur des cellules étaient en mouvement. Les cellules des pédicelles n’avaient pas été affectées. Je répétai l’expérience sur une autre tige à fleurs que je laissai vingt-trois heures dans la solution. J’obtins dans ce cas un résultat considérable ; toutes les glandes avaient beaucoup noirci, et le liquide précédemment transparent des cellules des pédicelles, jusqu’à la base de ces derniers, contenait alors des masses sphériques de matière granuleuse. En comparant beaucoup de poils différents, il devint évident pour moi que les glandes absorbent d’abord le carbonate, et que l’effet ainsi produit se propage de cellule en cellule dans toute la longueur des poils. Le premier changement qu’on observe est un aspect nuageux dans le liquide contenu dans les cellules, aspect nuageux qui est dû à la formation de granules très-petits qui s’agrègent ensuite en plus grosses masses. En somme, la coloration plus foncée des glandes et la propagation de l’agrégation de cellule en cellule, jusqu’à la base des pédicelles, présente une analogie frappante avec ce qui se passe chez le Drosera, quand on plonge un tentacule dans une faible solution du même sel. Toutefois, les glandes de Saxifrage absorbent beaucoup plus lentement que celles du Drosera. Outre les poils glandulaires, le Saxifrage porte des organes en forme d’étoiles, organes qui ne paraissent pas sécréter et qui ne sont en aucune façon affectés par les solutions dont nous venons de parler.

Bien que, dans le cas où la tige et les feuilles n’ont pas été endommagées, le carbonate semble absorbé seulement par les glandes, il pénètre beaucoup plus rapidement par une surface fraîchement coupée. J’enlevai des morceaux de l’écorce d’une tige, et je m’assurai que les cellules des pédicelles ne contenaient que du liquide transparent incolore, les cellules des glandes contenant, comme à l’ordinaire, quelques matières granuleuses. Je plongeai alors ces morceaux dans la même solution qu’auparavant (1 partie de carbonate pour 109 parties d’eau) ; au bout de quelques minutes, des matières granuleuses firent leur apparition dans les cellules inférieures de tous les pédicelles. Je répétai l’expérience à plusieurs reprises, et l’action commença toujours dans les cellules inférieures, c’est-à-dire dans les cellules les plus rapprochées de la partie mise à nu, et se propagea graduellement en remontant dans les cellules des poils jusqu’à ce qu’elle eût atteint les glandes, c’est-à-dire dans une direction contraire à celle que l’on observe dans la tige qui n’a pas été endommagée. Les glandes changèrent alors de couleur, et les matières granuleuses qu’elles contenaient déjà s’agrégèrent en grosses masses. Je plongeai deux autres petits morceaux d’une tige, pendant deux heures quarante minutes, dans une solution plus faible, contenant 1 partie de carbonate pour 218 parties d’eau ; dans ces deux spécimens aussi les pédicelles des poils, près des extrémités coupées, se remplirent de matières granuleuses et les glandes changèrent complètement de couleur.

Enfin, je plaçai des parcelles de viande sur quelques glandes, que j’examinai au bout de vingt-trois heures, en même temps que d’autres qui me semblaient avoir capturé des petites mouches peu de temps auparavant ; mais ni les unes ni les autres ne semblaient différer des glandes des autres poils. Peut-être n’avais-je pas alloué un temps suffisant pour l’absorption ; je serais assez disposé à le croire, car d’autres glandes sur lesquelles des mouches mortes avaient évidemment reposé pendant fort longtemps, affectaient une couleur pourpre pâle sale, ou étaient même devenues presque incolores ; en outre, les matières granuleuses contenues dans les cellules présentaient un aspect extraordinaire et quelque peu singulier. Nous pouvons conclure que ces glandes avaient absorbé des matières animales provenant des mouches, probablement par exosmose dans la sécrétion visqueuse, non-seulement à cause de la modification survenue dans leur couleur, mais aussi parce que, plongées dans une solution de carbonate d’ammoniaque, quelques cellules de leurs pédicelles se remplirent de matières granuleuses, tandis que les cellules d’autres poils qui n’avaient pas capturé de mouches ne contenaient qu’une petite quantité de matières granuleuses après avoir été plongées le même laps de temps dans la solution. Toutefois, il faut de nouvelles preuves avant d’admettre complètement que les glandes de cette Saxifrage peuvent absorber, même en allouant un temps considérable, des matières animales provenant des petits insectes qu’elles capturent quelquefois accidentellement.

Saxifraga rotundifolia (?). — Les poils qui recouvrent les tiges à fleurs de cette espèce sont plus-longs que ceux que nous venons de décrire et supportent des glandes brun pâle. J’ai examiné beaucoup de ces poils, et j’ai trouvé que les cellules des pédicelles sont tout à fait transparentes. Je plongeai une tige recourbée dans une solution contenant 1 partie de carbonate d’ammoniaque pour 109 parties d’eau ; au bout de trente minutes, deux ou trois des cellules supérieures des pédicelles contenaient des matières granuleuses ou agrégées ; les glandes avaient pris une couleur vert jaunâtre brillant. Les glandes de cette espèce absorbent donc le carbonate beaucoup plus rapidement que celles du Saxifraga umbrosa, et les cellules supérieures des pédicelles sont aussi affectées beaucoup plus rapidement. Je coupai des morceaux de la tige et je les plongeai dans la même solution ; l’agrégation se propagea alors dans une direction contraire et les cellules situées près de la surface coupée furent les premières affectées.

Primula sinensis. — Les tiges à fleurs, les surfaces supérieures et inférieures des feuilles, ainsi que leurs tiges, sont toutes recouvertes d’une multitude de poils plus ou moins longs. Des cloisons transversales divisent les pédicelles des poils les plus longs en huit ou neuf cellules. La cellule terminale, un peu plus grande, est globulaire et constitue une glande qui sécrète une quantité très-variable de matière jaune brunâtre, épaisse, légèrement visqueuse, mais non pas acide.

J’ai plongé pendant deux heures trente minutes un morceau d’une jeune tige à fleurs dans de l’eau distillée ; les poils glandulaires n’ont pas été affectés. J’ai examiné avec soin un autre morceau de tige portant 25 poils courts et 9 poils longs. Les glandes de ces derniers ne contenaient aucune matière solide ou demi-solide, et deux glandes seulement des 25 poils courts contenaient quelques globules. Je plongeai cette tige dans une solution contenant 1 partie de carbonate d’ammoniaque pour 109 parties d’eau, et je l’y laissai pendant deux heures ; au bout de ce temps, les glandes des 25 poils courts, à deux ou trois exceptions près, contenaient soit une grosse masse sphérique de matière demi-solide, soit de deux à cinq petites masses sphériques. Trois glandes des 9 poils contenaient aussi des masses semblables. Enfin, j’ai observé chez quelques poils des globules dans les cellules situées immédiatement au-dessous des glandes. En résumé, l’examen des 34 poils démontrait clairement que les glandes avaient absorbé une certaine quantité du carbonate. Je plongeai un autre morceau de tige dans la même solution, et je l’y laissai pendant une heure ; au bout de ce temps, des masses agrégées étaient présentes dans toutes les glandes. Mon fils Francis examina quelques glandes des poils longs qui contenaient des petites masses de matière avant d’avoir été plongées dans aucune solution ; ces masses changeaient lentement de forme, ce qui prouve qu’elles se composaient de protoplasma. Il arrosa alors ces poils pendant une heure quinze minutes, tout en les tenant sur le chariot du microscope, avec une solution contenant 1 partie de carbonate d’ammoniaque pour 218 parties d’eau. Les glandes ne furent pas perceptiblement affectées, ce à quoi d’ailleurs on ne pouvait guère s’attendre, car le contenu de leurs cellules était déjà agrégé ; mais de nombreuses sphères de matière presque incolore se formèrent dans les cellules des pédicelles ; ces sphères changèrent de forme et se réunirent lentement les unes aux autres, l’aspect des cellules changeant totalement à divers intervalles.

Les glandes d’une jeune tige à fleurs, après avoir séjourné pendant deux heures quarante-cinq minutes dans une forte solution (1 partie de carbonate d’ammoniaque pour 109 parties d’eau), contenaient un grand nombre de masses agrégées ; mais je ne saurais dire si ces masses avaient été engendrées par l’action du sel. Je replaçai ce morceau de tige dans la solution, de façon à ce que l’immersion se prolongeât pendant six heures quinze minutes ; j’observai alors un grand changement, car presque toutes les masses sphériques, dans les cellules des glandes, avaient disparu pour faire place à des matières granuleuses brun foncé. Je répétai trois fois cette expérience, et, dans les trois cas, j’obtins des résultats presque identiques. Dans une de ces expériences, le morceau de tige resta plongé dans la solution pendant huit heures trente minutes, et, bien que presque toutes les masses sphériques se fussent changées en matière granuleuse brune, il en restait cependant encore quelques-unes. Si la production des masses sphériques de matière agrégée avait eu uniquement pour cause, à l’origine, une action chimique ou physique, il semble étrange qu’une immersion un peu plus longue dans la même solution ait pu modifier si complètement leur caractère. Mais, comme les masses qui changeaient lentement et spontanément de forme devaient se composer de protoplasma vivant, il n’y a rien de surprenant à ce que ce protoplasma ait été endommagé ou tué, et à ce que son aspect se soit complètement modifié à la suite d’une longue immersion dans une solution aussi forte de carbonate d’ammoniaque que celle employée dans ces expériences. Une solution de cette force paralyse toute espèce de mouvement chez le Drosera, mais ne tue pas le protoplasma ; une solution encore plus forte empêche le protoplasma de s’agréger en masses globulaires ayant le volume ordinaire, et, sous l’influence de cette solution, ces masses deviennent granuleuses et opaques, bien qu’elles ne se désagrègent pas. L’eau trop chaude et certaines solutions, par exemple une solution de sel de soude ou de potasse, agissent à peu près de la même manière, en ce qu’elles causent d’abord une sorte d’agrégation imparfaite dans les cellules du Drosera, agrégation qui se termine par la rupture des petites masses et la formation de matières granuleuses ou pulpeuses brunes. Toutes les expériences précédentes ont été faites sur des tiges à fleurs ; toutefois, j’ai plongé un morceau de feuille dans une forte solution de carbonate d’ammoniaque (1 partie de carbonate pour 109 parties d’eau) ; après une immersion de trente minutes, des masses globulaires parurent dans toutes les glandes, qui ne contenaient auparavant qu’un liquide limpide.

J’ai fait aussi plusieurs expériences pour déterminer quelle est l’action de la vapeur du carbonate d’ammoniaque sur les glandes ; je me contenterai de citer quelques exemples. Je bouchai à la cire l’extrémité coupée de la tige d’une jeune feuille, puis je la plaçai sous une petite cloche où je mis aussi une forte pincée de carbonate d’ammoniaque. Au bout de dix minutes, les glandes présentaient un degré considérable d’agrégation, et le protoplasma contenu dans les cellules des pédicelles s’était un peu écarté des parois. Une autre feuille, laissée sous la cloche pendant cinquante minutes, présenta la même apparence, sauf toutefois que les poils, dans toute leur longueur, avaient pris une teinte brunâtre. J’exposai une troisième feuille pendant une heure cinquante minutes à la vapeur du carbonate d’ammoniaque ; au bout de ce temps, il y avait beaucoup de matières agrégées dans les glandes, mais quelques-unes des masses agrégées semblaient sur le point de se résoudre en matière granuleuse brune. Je replaçai cette même feuille dans la vapeur, de façon à ce qu’elle y restât exposée pendant un laps de temps total de cinq heures trente minutes ; au bout de ce temps, bien que j’aie examiné un grand nombre de glandes, je ne trouvai des matières agrégées que dans deux ou trois ; dans toutes les autres, les masses qui étaient auparavant globulaires s’étaient transformées en matières brunes opaques et granuleuses. Cette expérience prouve que l’exposition à la vapeur d’ammoniaque, pendant un laps de temps considérable, produit les mêmes effets qu’une longue immersion dans une solution du même sel. Dans les deux cas, on ne peut douter que le sel ait été absorbé principalement ou exclusivement par les glandes.

Dans une autre occasion, je plaçai sur quelques feuilles des morceaux de fibrine humide, ou des gouttes d’une infusion faible de viande crue ou des gouttes d’eau ; au bout de vingt-quatre heures j’examinai les poils, mais, à ma grande surprise, ceux qui avaient été touchés par ces substances ne différaient aucunement des autres. Toutefois, la plupart des cellules contenaient des petites sphères hyalines immobiles qui ne semblaient pas être composées de protoplasma, mais, à ce que je crois, de quelque baume ou huile essentielle.

Pelargonium zonale (variété bordée de blanc). — Les feuilles de cette plante portent de nombreux poils multicellulaires, les uns se terminant simplement en pointes, les autres portant des glandes et différant beaucoup en longueur. J’examinai les glandes d’un morceau de feuille, et je m’assurai que ces glandes ne contenaient qu’un liquide limpide ; j’enlevai la plus grande partie de l’eau qui recouvrait ce morceau de feuille sur le chariot du microscope, et j’ajoutai une petite goutte d’une solution contenant 1 partie de carbonate d’ammoniaque pour 146 parties d’eau ; je mis donc la feuille en présence d’une dose très-petite. Au bout de trois minutes seulement j’observai des signes d’agrégation à l’intérieur des glandes des poils les plus courts ; au bout de cinq minutes, beaucoup de petits globules affectant une teinte brun pâle parurent dans toutes les glandes ; j’observai des globules semblables, mais plus grands, dans les glandes plus considérables des poils plus longs. Quand la feuille eut séjourné pendant une heure dans la solution, j’observai que plusieurs petits globules avaient changé de position ; en outre, à l’intérieur de deux ou trois des globules les plus gros il s’était formé un espace vide ou une petite sphère (je ne saurais dire lequel des deux) affectant une teinte un peu plus foncée. J’observai en même temps de petits globules dans quelques-unes des cellules supérieures des pédicelles, et le revêtement de protoplasma s’était légèrement écarté des parois des cellules inférieures. Après une immersion totale de deux heures trente minutes, les gros globules, à l’intérieur des glandes des poils longs, se transformèrent en masses de matière granuleuse brun foncé. En conséquence, d’après ce que nous avons vu chez le Primula sinensis, ces masses se composaient certainement dans le principe de protoplasma vivant.

Je plaçai sur une feuille une goutte d’une faible infusion de viande crue ; au bout de deux heures trente minutes, je pus observer beaucoup de sphères dans les glandes. J’ai examiné de nouveau ces sphères au bout de trente minutes ; elles avaient légèrement changé de forme et de position, et l’une d’elles s’était divisée en deux ; mais les modifications survenues ne ressemblaient pas tout à fait à celles que l’on observe dans le protoplasma du Drosera. En outre, ces poils n’avaient pas été examinés avant l’immersion, et il se trouvait des sphères semblables dans quelques glandes qui ne s’étaient pas trouvées en contact avec l’infusion.

Erica tetralix. — Quelques poils glandulaires longs hérissent les bords de la surface supérieure des feuilles. Les pédicelles se composent de plusieurs rangées de cellules, surmontées par une glande globulaire assez grosse sécrétant des matières visqueuses dans lesquelles viennent se prendre, assez rarement d’ailleurs, des petits insectes. J’ai laissé séjourner quelques feuilles pendant vingt-trois heures dans une faible infusion de viande crue et d’autres dans l’eau ; je comparai alors les poils, mais je ne pus guère observer la moindre différence entre eux. Dans les deux cas, le contenu des cellules semblait un peu plus granuleux qu’auparavant ; toutefois, je ne pus distinguer aucun mouvement. Je plongeai d’autres feuilles dans une solution contenant 1 partie de carbonate d’ammoniaque pour 218 parties d’eau ; au bout de vingt-trois heures, les matières granuleuses me parurent avoir aussi augmenté ; mais une de ces masses garda exactement la même forme après un intervalle de cinq heures ; de sorte qu’il est difficile de penser qu’elle se composait de protoplasma vivant. Ces glandes semblent posséder à un très-faible degré la propriété d’absorption ; en tous cas, elles la possèdent beaucoup mieux que les plantes dont nous nous sommes occupé précédemment.

Mirabilis longiflora. — Les tiges et les surfaces des feuilles portent des poils visqueux. Je possède quelques jeunes plants qui ont de 12 à 18 pouces de hauteur ; ces plants, placés dans une serre, ont capturé tant de petits diptères, de coléoptères et de larves qu’ils en sont absolument couverts. Les poils sont courts, de longueur inégale ; ils se composent d’une seule rangée de cellules, surmontées par une cellule plus grande qui sécrète des matières visqueuses. Ces cellules terminales ou glandes contiennent des granules et souvent des globules de matière granuleuse. À l’intérieur d’une glande, qui avait capturé un petit insecte, une de ces masses changeait incessamment de forme, et on aurait dit qu’un vide se formait de temps en temps à l’intérieur. Je ne crois pas toutefois que ce protoplasma ait été engendré par les matières provenant de l’insecte mort et que la glande aurait absorbées ; en effet, en comparant diverses glandes qui avaient ou qui n’avaient pas capturé d’insectes, je n’ai pas remarqué la moindre différence entre elles, et toutes contenaient de fines matières granuleuses. Je plongeai un morceau de feuille dans une solution contenant 1 partie de carbonate d’ammoniaque pour 218 parties d’eau. Après y avoir séjourné vingt-quatre heures, les poils semblaient fort peu affectés ; peut-être cependant les glandes étaient elles devenues un peu plus opaques. Mais dans le limbe de la feuille, les grains de chlorophylle, près des surfaces coupées, s’étaient coagulés ou agrégés. Les glandes d’une autre feuille ne furent pas affectées par une immersion de vingt-quatre heures dans une infusion de viande crue ; toutefois le protoplasma contenu dans les cellules des pédicelles s’était beaucoup écarté des parois. Ce dernier effet peut être attribué à l’exosmose, car l’infusion était forte. Nous pouvons donc conclure que les glandes de cette plante ne possèdent pas la propriété d’absorber, ou que le protoplasma qu’elles contiennent n’est pas influencé par une solution de carbonate d’ammoniaque ou par une infusion de viande, ce qui semble à peine croyable.

Nicotiana tabacum. — Cette plante est recouverte d’innombrables poils d’une longueur inégale et capture beaucoup de petits insectes. Les pédicelles des poils sont divisés par des cloisons transversales, et les glandes qui sécrètent se composent de beaucoup de cellules contenant des matières verdâtres et des petits globules d’une certaine substance. J’ai laissé séjourner pendant vingt-six heures des feuilles dans une infusion de viande crue et d’autres dans l’eau ; mais je ne pus discerner aucune différence. Je plongeai alors, pendant plus de deux heures, quelques-unes de ces mêmes feuilles dans une solution de carbonate d’ammoniaque, mais sans qu’il se produisît aucun effet. Je regrette de n’avoir pas fait d’autres expériences avec plus de soin, car M. Schlœsing a démontré[90] que les plants de tabac, traités par la vapeur du carbonate d’ammoniaque, donnent à l’analyse une plus grande quantité d’azote que d’autres plants qui n’ont pas été ainsi traités ; or, d’après ce que nous avons vu, il est probable que les poils glandulaires absorbent une certaine quantité de vapeur.

Résumé des observations sur les poils glandulaires. — Les observations précédentes, quelque peu nombreuses ou quelque incomplètes qu’elles soient, nous prouvent que les glandes de deux espèces de Saxifraga, d’un Primula et d’un Pelargonium possèdent la faculté d’absorber rapidement ; tandis que les glandes d’un Erica, du Mirabilis et du Nicotiana ne possèdent pas cette faculté ou que tout au moins le contenu de leurs cellules n’est pas affecté par les liquides employés, c’est-à-dire une solution de carbonate d’ammoniaque ou une infusion de viande crue. Comme les glandes du Mirabilis contiennent du protoplasma qui ne s’est pas agrégé à la suite d’une immersion dans les liquides que nous venons d’indiquer, bien que le contenu des cellules du limbe de la feuille ait été considérablement affecté par le carbonate d’ammoniaque, nous pouvons en conclure que les glandes ne sont pas douées du pouvoir d’absorption et, en outre, que les innombrables insectes capturés par cette plante ne lui sont pas plus utiles que ne le sont aux marronniers d’Inde les insectes qui adhèrent aux écailles visqueuses et caduques des bourgeons des feuilles.

Le cas le plus intéressant sans contredit, à notre point de vue tout au moins, est celui des deux espèces de Saxifrages, car ce genre est un allié éloigné du Drosera. Les glandes de ces espèces absorbent des matières qu’elles empruntent à une infusion de viande crue, à des solutions de nitrate et de carbonate d’ammoniaque et probablement à des insectes en décomposition. Le changement de la couleur pourpre sale du protoplasma contenu dans les cellules des glandes, l’état d’agrégation de ce protoplasma et évidemment aussi ses mouvements spontanés plus rapides prouvent cette absorption. L’agrégation commençant dans les glandes se propage en descendant le long des pédicelles des poils, et nous sommes autorisés à penser que toute matière absorbée finit par pénétrer dans les tissus de la plante. D’autre part l’agrégation se propage en remontant dans les poils chaque fois qu’une surface coupée est exposée au contact d’une solution de carbonate d’ammoniaque.

Les glandes qui recouvrent les tiges à fleurs et les feuilles du Primula sinensis absorbent rapidement une solution de carbonate d’ammoniaque et le protoplasma qu’elles contiennent s’agrège. Dans quelques cas, l’agrégation, partie des glandes, se propage jusque dans les cellules supérieures des pédicelles. Une exposition de dix minutes à la vapeur du carbonate d’ammoniaque provoque aussi l’agrégation. Quand les feuilles sont plongées pendant six à sept heures dans une forte solution, ou sont exposées pendant longtemps à la vapeur du carbonate d’ammoniaque, les petites masses de protoplasma se désagrègent et se transforment en matière brune granuleuse ; évidemment le protoplasma est tué. Une infusion de viande crue ne produit aucun effet sur ces glandes.

Le contenu liquide des glandes du Pelargonium zonale devient nuageux et granuleux après une immersion de trois à cinq minutes dans une faible solution de carbonate d’ammoniaque ; au bout d’une heure des granules apparaissent dans les cellules supérieures des pédicelles. Les masses agrégées changent lentement de forme et se désagrègent quand on les laisse pendant longtemps dans une forte solution ; on ne peut donc guère douter qu’elles ne se composent de protoplasma. Il est douteux qu’une infusion de viande crue produise un effet quelconque.

Les physiologistes pensent ordinairement que les poils glandulaires des plantes ordinaires ne sont que des organes sécrétant ou excrétant ; nous savons actuellement que ces poils ont le pouvoir, au moins en quelque cas, d’absorber une solution d’ammoniaque et la vapeur de cette base. Or, comme l’eau de pluie contient une minime quantité d’ammoniaque et l’atmosphère une très-petite quantité de carbonate d’ammoniaque, cette propriété doit être utile à la plante. Cet avantage, d’ailleurs, est loin d’être aussi insignifiant qu’on pourrait le supposer d’abord, car un plant moyen de Primula sinensis porte le nombre étonnant de deux millions et demi de poils glandulaires qui sont tous à même d’absorber l’ammoniaque que leur apporte la pluie[91]. Il est probable, en outre, que les glandes de quelques-unes des plantes que nous venons d’énumérer absorbent des matières animales, empruntées aux insectes qu’elles capturent quelquefois au moyen de leurs sécrétions visqueuses.

CONCLUSIONS SUR LES DROSÉRACÉES.

J’ai actuellement décrit, autant que mes moyens me l’ont permis, dans leur rapport avec le sujet qui m’occupe, les six genres connus qui composent cette famille. Tous capturent des insectes. Le Drosophyllum, le Roridula et le Byblis effectuent cette capture uniquement au moyen du liquide visqueux sécrété par leurs glandes ; le Drosera par le même moyen et en outre grâce à la motilité de ses tentacules ; la Dionée et l’Aldrovandia par la fermeture des lobes de la feuille. Dans ces deux derniers genres la rapidité du mouvement compense l’absence de la sécrétion visqueuse. En tout cas c’est une partie seulement de la feuille qui se meut. Chez l’Aldrovandia il semble que ce soit la base seule qui se contracte et qui entraîne avec elle les bords larges et minces des lobes. Chez la Dionée le lobe tout entier, à l’exception des prolongements marginaux ou poils, se recourbe entièrement, bien que le siège principal du mouvement se trouve auprès de la nervure moyenne. Chez le Drosera le siège principal du mouvement est placé à la partie inférieure des tentacules, qui homologiquement peuvent être considérés comme un prolongement de la feuille ; toutefois, le limbe entier se recourbe souvent et convertit la feuille en un estomac temporaire.

Il n’est guère possible de douter actuellement que toutes les plantes appartenant à ces six genres ne possèdent la propriété de dissoudre les substances animales au moyen de leur sécrétion qui contient un acide outre un ferment dont la nature est presque identique à la pepsine ; elles absorbent ensuite les substances ainsi digérées. Il est évident que les choses se passent ainsi chez le Drosera, le Drosophyllum et la Dionée ; il est presque certain qu’il en est de même chez l’Aldrovandia, et, par analogie, il est très-probable que le Roridula et le Byblis participent à ces avantages. Cela nous explique comment il se fait que les trois premiers genres aient des racines si petites et que l’Aldrovandia n’en ait pas du tout ; nous ne savons absolument rien relativement aux racines des deux autres genres. Sans doute, il est fort étonnant qu’un groupe tout entier de plantes (et, comme nous le verrons tout à l’heure, quelques autres plantes qui ne sont pas alliées aux Droséracées) subsistent en partie par la digestion de matières animales et en partie par la décomposition de l’acide carbonique, au lieu de s’en tenir exclusivement à ce dernier moyen en y ajoutant l’absorption de certaines substances du sol à l’aide de leurs racines. Toutefois, nous pourrions citer un cas également anormal dans le règne animal : les Crustacés rhizocéphales ne se nourrissent pas par la bouche comme les autres animaux, car ils ne possèdent pas de canal alimentaire ; ils se nourrissent en absorbant, par des processus qui ressemblent à des racines, les sucs des animaux sur lesquels ils vivent en parasites[92].

Sur les six genres composant la famille, le Drosera a de beaucoup le mieux réussi dans la lutte pour l’existence ; on peut attribuer une grande partie de son succès à son mode de capturer les insectes ; le Drosera est une forme dominante, car il comprend, croit-on, environ cent espèces[93], qui s’étendent, dans le vieux monde, depuis les régions arctiques jusqu’aux parties méridionales de l’Inde au cap de Bonne-Espérance, à Madagascar et à l’Australie ; et, dans le nouveau monde, du Canada à la Terre de Feu. Sous ce rapport il offre un contraste remarquable avec les cinq autres genres qui paraissent des groupes destinés à disparaître. La Dionée ne comprend qu’une seule espèce, confinée dans un district de la Caroline. Les trois variétés ou les trois espèces, étroitement alliées d’Aldrovandia, comme tant d’autres plantes aquatiques, ont un habitat considérable qui s’étend de l’Europe centrale au Bengale et à l’Australie. Le Drosophyllum ne comprend qu’une seule espèce limitée au Portugal et au Maroc. Le Roridula et le Byblis ont, m’apprend le professeur Oliver, chacun deux espèces ; le premier est confiné aux parties occidentales du cap de Bonne-Espérance, le second à l’Australie. Il est étrange que la Dionée, qui est une des plantes les plus admirablement adaptées qu’il y ait dans le règne végétal, soit évidemment en train de disparaître. Le fait est d’autant plus étrange que les organes de la Dionée sont plus hautement différenciés que ceux du Drosera ; ses filaments sont exclusivement des organes du toucher ; les lobes servent à capturer les insectes et les glandes, quand elles sont excitées, servent à sécréter aussi bien qu’à absorber ; chez le Drosera, au contraire, les glandes remplissent ces différentes fonctions et sécrètent sans être excitées.

Si nous comparons la conformation des feuilles, leur degré de complication et leurs parties rudimentaires dans les six genres, nous sommes conduits à conclure que leur ancêtre commun avait des caractères semblables à ceux du Drosophyllum, du Roridula et du Byblis. Les feuilles de cette ancienne forme étaient presque certainement linéaires peut-être divisées et portaient, à leur surface supérieure et inférieure, des glandes ayant la propriété de sécréter et d’absorber. Certaines de ces glandes surmontaient des pédicelles ; d’autres étaient presque sessiles ; ces dernières se mettaient à sécréter seulement quand elles avaient été stimulées par l’absorption de matières azotées. Chez le Byblis les glandes consistent en une seule couche de cellules, supportée par un pédicelle unicellulaire ; chez le Roridula les glandes ont une structure plus complexe et reposent sur des pédicelles composés de plusieurs rangées de cellules ; chez le Drosophyllum les glandes contiennent des cellules spirales et les pédicelles un faisceau de vaisseaux spiraux. Mais, dans ces trois genres, ces organes ne possèdent pas la faculté du mouvement, et il est évident qu’ils participent de la nature des poils ou trichômes. Bien qu’on ait des exemples innombrables d’organes foliaires, qui se meuvent quand ils sont excités, on ne connaît aucun cas de trichômes qui aient cette faculté[94]. Nous sommes ainsi conduits à nous demander comment les prétendus tentacules du Drosera, qui manifestement ont la même nature générale que les poils glandulaires des trois genres dont nous venons de parler, ont pu acquérir la faculté de se mouvoir. Beaucoup de botanistes soutiennent que ces tentacules ne sont que des prolongements de la feuille parce qu’ils contiennent du tissu vasculaire, mais on ne peut plus considérer ce caractère comme une distinction à laquelle on puisse se fier[95]. La possession de la faculté du mouvement lors d’une excitation aurait été une preuve plus sûre. Toutefois, quand on considère le grand nombre de tentacules qui recouvrent les deux surfaces des feuilles du Drosophyllum et la surface supérieure des feuilles du Drosera, il semble à peine possible que chaque tentacule ait été dans le principe un prolongement de la feuille. Le Roridula nous indique peut-être comment on peut concilier ces difficultés relativement à la nature homologique des tentacules. Les divisions latérales des feuilles de cette plante se terminent par de longs tentacules ; ces tentacules contiennent des vaisseaux spiraux qui ne pénètrent à l’intérieur que sur une courte distance sans qu’il y ait de ligne de démarcation entre ce qui est évidemment le prolongement de la feuille et le pédicelle d’un poil glandulaire. Il n’y aurait donc rien d’anormal ou d’extraordinaire à ce que la base de ces tentacules, qui correspondent aux tentacules marginaux du Drosera, aient acquis la faculté du mouvement ; or, nous savons que chez le Drosera c’est seulement la partie inférieure du tentacule qui a la faculté de s’infléchir. Mais, pour comprendre comment il se fait que, dans ce dernier genre, non-seulement les tentacules marginaux, mais aussi tous les tentacules intérieurs, ont acquis la faculté du mouvement, nous devons supposer ou bien qu’en vertu du principe de la corrélation du développement, cette faculté du mouvement a été transmise à la base des poils, ou bien que la surface de la feuille s’est prolongée sur d’innombrables points de façon à s’unir avec les poils et à constituer ainsi la base des tentacules intérieurs.

Les trois genres dont nous venons de parler, Drosophyllum, Roridula et Byblis, qui semblent avoir conservé des caractères primordiaux, portent encore des poils glandulaires sur les deux surfaces de leurs feuilles. Les poils situés à la surface inférieure ont depuis disparu chez les genres mieux développés, à l’exception toutefois d’une espèce le Drosera binata. Les petites glandes sessiles ont aussi disparu dans quelques genres, remplacées qu’elles ont été chez le Roridula par des poils et chez la plupart des espèces de Drosera par des papilles absorbantes. Le Drosera binata, avec ses feuilles linéaires et bifurquées, se trouve dans un état intermédiaire. Il porte encore des glandes sessiles sur les deux surfaces de ses feuilles, et, à la surface inférieure, quelques tentacules irrégulièrement placés qui sont privés de la faculté du mouvement. Une légère modification convertirait les feuilles linéaires de cette espèce en feuilles oblongues semblables à celles du Drosera anglica, et celles-ci se transformeraient aisément aussi en feuilles orbiculaires avec tiges telles que celles du Drosera rotundifolia. Les tiges de cette dernière espèce portent des poils multicellulaires qui, nous avons de bonnes raisons pour le croire, représentent des tentacules avortés.

L’ancêtre de la Dionée et de l’Aldrovandia semble avoir été étroitement allié au Drosera ; il possédait sans doute des feuilles arrondies, supportées par des pétioles distincts et garnies de tentacules tout autour de la circonférence avec d’autres tentacules et des glandes sessiles sur la surface supérieure des feuilles. Ce qui me porte à le croire, c’est que les poils marginaux de la Dionée représentent évidemment les tentacules marginaux extrêmes du Drosera ; les six et quelquefois les huit filaments sensitifs de la surface supérieure de la feuille de la Dionée, aussi bien que les filaments sensitifs plus nombreux de l’Aldrovandia correspondent aux tentacules centraux du Drosera dont les glandes ont avorté, mais qui ont gardé toute leur sensibilité. À ce sujet nous devons nous rappeler que le sommet des tentacules du Drosera, immédiatement au-dessous des glandes, est sensible.

Les trois caractères les plus remarquables que possèdent les divers membres de la famille des Droséracées consistent en ce que les feuilles de quelques-uns ont la faculté de se mouvoir quand elles sont excitées, en ce que leurs glandes sécrètent un liquide qui digère les matières animales et en ce qu’elles absorbent ces matières digérées. Ne serait-il pas possible de jeter quelque lumière sur les phases et les transformations graduelles qui ont permis à ces plantes d’acquérir ces facultés remarquables ?

Les parois des cellules étant nécessairement perméables pour que les glandes puissent sécréter, il n’est pas surprenant qu’elles permettent facilement aux liquides de passer de l’extérieur à l’intérieur ; or, ce passage mérite d’être appelé un acte d’absorption si les liquides qui pénètrent à l’intérieur des glandes se combinent avec leur contenu. À en juger par les preuves que nous avons accumulées, les glandes sécrétantes de beaucoup d’autres plantes peuvent absorber les sels d’ammoniaque que la pluie leur apporte en petite quantité. Deux espèces de Saxifrages sont douées de cette faculté ; en outre, les glandes de l’une de ces espèces absorbent probablement des substances provenant des insectes qu’elles capturent et certainement des matières contenues dans une infusion de viande crue. Il n’y a donc rien d’anormal à ce que les Droséracées aient acquis la faculté de l’absorption à un degré beaucoup plus élevé.

Mais il est un problème beaucoup plus difficile à résoudre : comment les membres de cette famille, comment le Pinguicula et, ainsi que le docteur Hooker l’a récemment démontré, les Nepenthes, ont-ils pu acquérir la faculté de sécréter un liquide qui dissout ou digère les substances animales ? Un ancêtre commun a sans doute transmis cette faculté par héritage aux six genres des Droséracées, mais cette explication ne peut s’appliquer ni aux Pinguicula, ni aux Nepenthes, car ces plantes ne sont alliées en aucune façon aux Droséracées. Toutefois la difficulté est loin d’être aussi grande qu’elle peut le sembler tout d’abord. En premier lieu, les sucs de beaucoup de plantes contiennent un acide, et il semble que tout acide doit servir à un acte de digestion. En second lieu, comme le docteur Hooker l’a fait remarquer dans le discours qu’il a prononcé sur ce sujet à Belfast (1874) et comme Sachs le répète si souvent[96], les embryons de quelques plantes sécrètent un liquide qui dissout les substances albumineuses qui se trouvent dans l’endosperme, bien que l’endosperme ne soit pas immédiatement uni à l’embryon, mais qu’il se trouve seulement en contact avec lui. En outre, toutes les plantes possèdent la faculté de dissoudre les substances albumineuses et protéiques telles que le protoplasma, la chlorophylle, le gluten, l’aleurone, et les transportent d’une partie à l’autre de leurs tissus. Cette dissolution doit s’effectuer au moyen d’un dissolvant qui se compose probablement d’un ferment joint à un acide[97]. Or, dans le cas des plantes qui peuvent absorber des matières déjà solubles provenant d’insectes capturés, bien qu’elles ne soient pas capables d’opérer une véritable digestion, le dissolvant dont nous venons de parler, qui doit parfois être présent dans les glandes, est sans doute apte à sortir de ces glandes en même temps que la sécrétion visqueuse, car l’endosmose est toujours accompagnée d’exosmose. Quand une semblable exsudation a lieu, le dissolvant doit agir sur les substances animales contenues dans les insectes capturés, et ceci constituerait un acte de véritable digestion. Or, comme il est certain que ce procédé rendrait d’immenses services aux plantes qui croissent dans un sol très-pauvre, la sélection naturelle doit constamment tendre à le perfectionner. En conséquence, toute plante ordinaire portant des glandes visqueuses qui capturent accidentellement des insectes, pourrait ainsi se transformer, les circonstances étant favorables, en une espèce apte à digérer réellement. Il n’est donc pas très extraordinaire que plusieurs genres de plantes qui ne sont en aucune façon étroitement alliées les unes aux autres aient acquis isolément cette faculté.

Comme il existe plusieurs plantes dont les glandes, autant que nous le sachions du moins, ne peuvent digérer les substances animales bien qu’elles puissent absorber les sels d’ammoniaque et les liquides animalisés, il est probable que cette dernière faculté est le premier degré vers l’acquisition de la faculté de la digestion. Il se pourrait toutefois que, dans certaines conditions, une plante après avoir acquis la faculté de la digestion dégénère et soit désormais apte seulement à absorber les substances animales en solution ou à l’état de décomposition, ou enfin les produits définitifs de la décomposition, c’est-à-dire les sels d’ammoniaque. Il semble que c’est là ce qui s’est passé en partie chez les feuilles de l’Aldrovandia dont les parties extérieures possèdent des organes absorbants, mais n’ont pas de glandes aptes à sécréter un liquide digestif, ces glandes étant confinées dans les parties internes[98].

Il est difficile de jeter quelque lumière sur le troisième caractère remarquable que possèdent les genres les plus hautement développés des Droséracées, c’est-à-dire la faculté du mouvement à la suite d’une excitation. Toutefois, il faut se rappeler que les feuilles et leurs homologues, aussi bien que les pédoncules des fleurs, ont dans d’innombrables cas acquis cette faculté indépendamment de toute hérédité d’un ancêtre commun ; par exemple, les plantes portant des vrilles et celles qui grimpent au moyen de leurs feuilles, c’est-à-dire les plantes dont les feuilles, les pétioles, les pédoncules des fleurs, etc., se sont modifiés pour la préhension : ces plantes appartiennent à un grand nombre des ordres les plus distincts. Les feuilles de beaucoup de plantes qui dorment la nuit ou qui se mettent en mouvement à la suite d’un attouchement ; les étamines et les pistils irritables de beaucoup d’espèces sont dans le même cas. Nous pouvons donc conclure que la faculté du mouvement peut s’acquérir facilement par divers moyens. Ces mouvements impliquent l’irritabilité ou la sensibilité ; toutefois, comme l’a fait remarquer Cohn[99], les tissus des plantes douées de ces facultés n’ont pas un caractère commun qui les différencie de ceux des plantes ordinaires ; il est donc probable que toutes les feuilles sont plus ou moins irritables. Quand un insecte se pose sur une feuille il est même probable qu’un léger changement moléculaire se transmet à une certaine distance à travers les tissus, avec cette seule différence qu’il ne se produit pas d’effet perceptible. Le fait qu’un seul attouchement des glandes du Drosera ne provoque pas l’inflexion est une preuve à l’appui de cette hypothèse. Cependant, cet attouchement doit produire quelque effet, car, si les glandes ont été plongées préalablement dans une solution de camphre, l’inflexion après l’attouchement se produit plus rapidement que si le camphre avait agi tout seul. De même, chez la Dionée, on peut toucher le limbe de la feuille à l’état ordinaire sans qu’elle se ferme, cependant cet attouchement doit produire un certain effet qui se transmet à travers toute la feuille, car si les glandes ont récemment absorbé des substances animales, un attouchement très-délicat suffit pour faire fermer les lobes instantanément. En résumé, nous pouvons conclure que l’acquisition d’une sensibilité très-développée et de la faculté du mouvement par plusieurs genres des Droséracées ne présente pas une explication plus difficile que celle que l’on aurait à faire pour des facultés analogues, mais plus faibles, possédées par une multitude d’autres végétaux.

La nature spéciale de la sensibilité que possèdent le Drosera, la Dionée et certaines autres plantes, mérite toute notre attention. On peut frapper une fois, deux fois, trois fois même, une glande de Drosera sans qu’il se produise aucun effet, tandis que la pression continue d’une parcelle très-petite provoque un mouvement. D’autre part, on peut déposer avec précaution un corps assez lourd sur un des filaments de la Dionée sans qu’aucun effet se produise, mais si l’on chatouille une fois seulement ce filament avec l’extrémité d’un poil très-fin les lobes se ferment immédiatement. Or, cette différence dans la nature de la sensibilité de ces deux plantes est une adaptation manifeste à leur façon de capturer les insectes. De même, lorsque les glandes centrales du Drosera absorbent des substances azotées, elles transmettent une impulsion motrice aux tentacules extérieurs beaucoup plus rapidement que lorsqu’on les irrite mécaniquement ; chez la Dionée, au contraire, l’absorption des substances azotées détermine les lobes à se presser l’un contre l’autre avec une extrême lenteur, tandis qu’un attouchement excite un mouvement rapide. On peut observer des exemples à peu près analogues, comme je l’ai démontré dans un autre ouvrage, sur les vrilles de diverses plantes ; les unes sont plus excitées quand elles se trouvent en contact avec des fibres très-petites, les autres quand elles se trouvent en contact avec des poils durs, d’autres enfin avec des surfaces plates ou crevassées[100]. Les organes sensitifs du Drosera et de la Dionée ont aussi contracté des habitudes spéciales de façon à ne pas se laisser affecter inutilement par le poids ou par le choc des gouttes de pluie ou des courants d’air. On peut expliquer ce phénomène par l’hypothèse que ces plantes et leurs ancêtres ont fini par s’accoutumer si bien à l’action répétée de la pluie et du vent, que ces causes ne provoquent chez elles aucun changement moléculaire ; tandis qu’au contraire la sélection naturelle les a rendues de plus en plus sensibles au contact et à la pression plus rare des corps solides. Bien que l’absorption de divers liquides par les glandes du Drosera provoque un mouvement, il existe une grande différence dans l’action des liquides combinés, par exemple la combinaison de certains acides végétaux avec le citrate ou le phosphate d’ammoniaque. La nature spéciale et la perfection de la sensibilité chez ces deux plantes est d’autant plus étonnante que personne ne suppose qu’elles possèdent des nerfs ; j’ai expérimenté sur le Drosera avec plusieurs substances qui agissent puissamment sur le système nerveux des animaux, et il ne m’a pas paru que les feuilles de cette plante ne renfermassent des matières diffuses analogues au tissu nerveux.

Bien que les cellules du Drosera et de la Dionée soient tout aussi sensibles à certains stimulants que le sont les tissus qui entourent l’extrémité des nerfs chez les animaux les plus élevés, cependant ces plantes sont inférieures même aux animaux placés fort bas sur l’échelle, en ce qu’elles ne sont affectées que par des stimulants qui se trouvent en contact avec leurs parties sensibles. Toutefois, elles seraient probablement affectées par la chaleur rayonnante, car l’eau chaude excite chez elles des mouvements énergiques. Quand on excite une glande de Drosera ou un des filaments de la Dionée, l’impulsion motrice rayonne dans toutes les directions, et ne se dirige pas, comme chez les animaux, vers des points ou des organes spéciaux. On observe ce fait chez le Drosera même ; si l’on place quelque substance excitante sur deux points du disque tous les tentacules adjacents s’infléchissent avec une précision merveilleuse vers ces deux points. La rapidité avec laquelle se transmet l’impulsion motrice, bien que très-grande chez la Dionée, est beaucoup plus lente que chez les animaux en général. Ce fait, ainsi que celui que l’impulsion motrice ne se dirige pas spécialement vers certains points, est dû sans doute à l’absence des nerfs. Toutefois, le fait que la transmission de l’impulsion motrice s’effectue beaucoup plus rapidement entre les tentacules adjacents du Drosera que partout ailleurs, et que cette transmission est un peu plus rapide à travers le disque dans le sens longitudinal que dans le sens transversal, nous explique peut-être l’origine de la formation des nerfs chez les animaux. L’absence de toute action réflexe, sauf toutefois en ce sens que les glandes du Drosera excitées à une certaine distance reçoivent une impulsion qui fait agréger le contenu des cellules jusqu’à la base des tentacules, démontre encore plus ouvertement l’infériorité de ces plantes comparativement aux animaux. Mais ce qui constitue leur plus grande infériorité, c’est qu’elles ne possèdent pas un organe central, apte à recevoir des impressions de toutes parts et transmettre leurs effets dans une direction définie, à les accumuler et à les reproduire.


CHAPITRE XVI.

pinguicula.

Pinguicula vulgaris. — Conformation des feuilles. — Nombre des insectes et des autres objets capturés. — Mouvement des bords des feuilles. — Utilité de ce mouvement. — Sécrétion, digestion et absorption. — Action de la sécrétion sur diverses matières animales et végétales. — Effets sur les glandes des matières qui ne contiennent pas de substances azotées solubles. — Pinguicula grandiflora, — Pinguicula lusitanica, capture les insectes. — Mouvement des feuilles, sécrétion et digestion.

PINGUICULA VULGARIS


Cette plante croît dans les endroits humides, ordinairement sur les montagnes, elle porte, en moyenne, huit feuilles oblongues, assez épaisses, d’un vert clair, surmontant une tige très-courte. Une feuille arrivée à sa croissance parfaite a environ 1 pouce 1/2 de longueur et 3/4 de pouce de largeur. Les jeunes feuilles centrales sont très-concaves et presque verticales ; les plus vieilles feuilles, qui forment une espèce de cercle ayant de 3 à 4 pouces de diamètre autour de la plante, sont plates ou convexes et reposent sur le sol. Les bords des feuilles sont recourbés. Leur surface supérieure est couverte de deux espèces de poils glandulaires, différents par le volume des glandes et la longueur des pédicelles. Vues d’en haut les plus grosses glandes semblent rondes et ont une épaisseur modérée ; elles sont divisées au moyen de cloisons rayonnantes en seize cellules contenant un liquide homogène vert clair et surmontent un pédicelle allongé, unicellulaire avec un noyau et un nucléole et reposant sur une légère proéminence. Les petites glandes ne diffèrent des grandes qu’en ce qu’elles comportent environ la moitié moins de cellules contenant un liquide beaucoup plus clair et qu’elles surmontent un pédicelle beaucoup plus court. Auprès de la nervure médiane, vers la base de la feuille, les pédicelles sont multicellulaires, en outre, ils sont plus longs que partout ailleurs et portent des glandes plus petites. Toutes les glandes sécrètent un liquide incolore tellement visqueux que j’ai pu l’étirer en un fil fin sur une longueur de 18 pouces (45 centim.) ; toutefois, je dois ajouter que dans ce cas le liquide était sécrété par une glande qui avait été excitée. Le bord de la feuille est translucide et ne porte pas de glandes ; les vaisseaux spiraux, partant de la côte centrale, se terminent dans le bord par des cellules marquées par une ligne spirale ressemblant un peu à celles qui se trouvent dans les glandes du Drosera.

Les racines sont courtes. Je déracinai trois plantes dans le nord du pays de Galles, le 20 juin, et je les lavai avec soin ; chacune avait cinq ou six racines sans ramifications dont la plus longue avait seulement 1 pouce 2/10 de longueur (3,039 centim.). J’examinai le 28 septembre deux plantes assez jeunes ; ces plantes avaient un grand nombre de racines c’est-à-dire l’une huit, l’autre dix-huit, mais toutes avaient moins d’un pouce de longueur et fort peu de divisions.

M. W. Marshall m’a appris que, sur les montagnes du Cumberland, beaucoup d’insectes adhèrent aux feuilles de cette plante ; c’est ce qui m’a conduit à étudier ses habitudes avec soin :

Un de mes amis m’a envoyé, le 23 juin, trente-neuf feuilles provenant des parties septentrionales du pays de Galles, qu’il avait choisies parce qu’un assez grand nombre d’objets de toute sorte adhéraient à ces plantes. Sur ces trente-neuf feuilles, trente-deux avaient capturé 142 insectes, soit, en moyenne, 4,4 insectes par feuille et encore n’ai-je pas compté les petits fragments. Outre les insectes, des petites feuilles, appartenant quatre espèces différentes de plantes, celles de l’Erica tetralix étant de beaucoup la plus commune, et trois petites plantes microscopiques emportées par le vent adhéraient à dix-neuf feuilles. Une de ces feuilles avait capturé jusqu’à dix feuilles de l’Erica. En outre, j’ai trouvé sur six feuilles des graines, des fruits, le plus ordinairement des Carex et un Juncus outre des fragments de mousses et d’autres fragments. Le même ami, le 27 juin, recueillit neuf plantes portant soixante-quatorze feuilles qui toutes, à l’exception de trois, avaient capturé des insectes ; je comptai 30 insectes sur une feuille, 18 sur une deuxième et 16 sur une troisième. Un autre de mes amis examina, le 22 juin, quelques plants de Pinguicula dans le comté de Donegal en Irlande ; ces plantes portaient cent cinquante-sept feuilles, sur lesquelles soixante-dix avaient capturé des insectes ; il m’envoya quinze de ces feuilles qui chacune portait en moyenne 24 insectes. En outre, à neuf de ces feuilles adhéraient d’autres feuilles, principalement d’Erica tetralix ; toutefois, je dois ajouter qu’il avait choisi tout particulièrement les feuilles de Pinguicula qu’il m’a envoyées à cause de cette dernière particularité. Il est bon d’ajouter enfin, qu’au commencement d’août, mon fils trouva des feuilles de cette même Erica et les fruits d’un Carex adhérant aux feuilles d’une espèce de Pinguicula en Suisse, probablement le Pinguicula alpina ; quelques insectes, mais en petit nombre, adhéraient aussi aux feuilles de cette plante qui a des racines beaucoup plus développées que celles du Pinguicula vulgaris. M. Marshall, habitant le Cumberland, examina avec beaucoup de soin, le 3 septembre, dix plantes portant quatre-vingts feuilles ; il trouva des insectes sur soixante-trois de ces feuilles, c’est-à-dire sur soixante-dix-neuf pour cent ; elles portaient 143 insectes, de telle sorte que chaque feuille portait en moyenne 2,27 insectes. Quelques jours plus tard, il m’envoya quelques plants sur lesquels je trouvai soixante graines ou fruits adhérents à quatorze feuilles. J’ai retrouvé une graine d’une même espèce sur trois feuilles de la même plante. Les seize graines appartenaient à neuf espèces différentes que je ne pus reconnaître, sauf une graine de Ranunculus et plusieurs autres appartenant à trois ou quatre espèces distinctes de Carex. Il semble que le Pinguicula capture moins d’insectes au commencement de l’automne que plus tôt dans l’année ; ainsi, dans le Cumberland, on a pu observer au milieu de juillet, des feuilles portant de 20 à 24 insectes, tandis qu’au commencement de septembre le nombre moyen des insectes capturés ne s’élève plus qu’à 2,27 par feuille. La plupart des insectes capturés dans les cas que nous venons de citer sont des diptères, mais on y trouve aussi beaucoup de petits hyménoptères, y compris quelques fourmis, et, en outre, quelques petits coléoptères, des larves, des araignées et même des petits papillons.

Nous voyons ainsi que les feuilles visqueuses capturent de nombreux insectes et d’autres objets ; mais ce fait ne nous donne pas le droit de conclure que l’habitude est avantageuse à la plante plus qu’elle ne l’est au Mirabilis ou au Marronnier d’Inde. On va voir, cependant, que les insectes et les autres substances azotées provoquent chez les glandes une augmentation de sécrétion ; que cette sécrétion devient alors acide et qu’elle a la faculté de digérer les substances animales telles que l’albumine, la fibrine, etc. En outre, les substances azotées dissoutes sont absorbées par les glandes, ce qui est prouvé par ce fait que leur contenu liquide s’agrège en masses granuleuses de protoplasma se mouvant lentement. Les mêmes résultats se produisent quand les insectes sont capturés naturellement, et comme la plante a des racines petites et qu’elle vit dans un sol pauvre, on ne peut douter qu’elle ne tire certains avantages de la faculté dont elle est douée de digérer et d’absorber les substances qu’elle capture ordinairement en si grand nombre. Mais, avant d’aller plus loin, il est indispensable de décrire les mouvements des feuilles.

Mouvements des feuilles. — On n’aurait jamais soupçonné que des feuilles aussi grandes et aussi épaisses que celles du Pinguicula vulgaris puissent se recourber en dedans à la suite d’une excitation. Pour s’en assurer par l’expérience, il faut choisir des feuilles dont les glandes sécrètent bien et que l’on a empêché de capturer beaucoup d’insectes ; en effet, les vieilles feuilles, ou tout au moins celles des pieds qui vivent à l’état sauvage, ont déjà les bords si complètement recourbés qu’elles se meuvent fort peu ou très-lentement. Je commencerai par donner le détail des expériences les plus importantes que j’ai faites, puis j’en tirerai quelques conclusions.

Première expérience. — Je choisis une feuille jeune et presque perpendiculaire, dont les deux bords latéraux étaient très-légèrement et très-également recourbés. Je plaçai sur un des bords une rangée de petites mouches. Quand j’observai la feuille, le lendemain matin, au bout de quinze heures, ce bord était recourbé à l’intérieur comme le pavillon d’une oreille humaine, sur une largeur d’environ 1/10 de pouce (0,25 centim.), de façon à recouvrir en partie la rangée de mouches (fig. 15) ; l’autre bord n’avait pas bougé. Les glandes, sur lesquelles reposaient les mouches, aussi bien que les glandes du bord qui s’était recourbé et qui, par conséquent, s’étaient trouvées en contact avec les mouches, sécrétaient toutes abondamment.


Fig. 15.
Pinguicula vulgaris

Tracé d’une feuille dont le bord gauche s’est infléchi sur une rangée de petites mouches.
Deuxième expérience. — Je plaçai une rangée de mouches sur le bord d’une feuille assez vieille reposant sur le sol, après le même intervalle que dans le cas précédent c’est-à-dire au bout de quinze heures, le bord portant les mouches commençait à se recourber ; mais les glandes avaient déversé tant de sécrétion que l’extrémité supérieure de la feuille, qui affecte quelque peu la forme d’une cuiller, était remplie de ces matières sécrétées.

Troisième expérience. — Je plaçai des fragments d’une grosse mouche auprès de l’extrémité supérieure d’une feuille vigoureuse, et d’autres fragments sur la moitié de la longueur de l’un des bords. Au bout de quatre heures vingt minutes, la feuille s’était évidemment recourbée ; elle continua de le faire un peu pendant l’après-midi, mais, le lendemain matin, je la retrouvai dans le même état. Les deux bords s’étaient recourbés près du sommet. Dans aucun cas, je n’ai vu le sommet lui-même se replier vers la base de la feuille. Au bout de quarante-huit heures, en comptant toujours depuis le moment où les mouches furent posées sur la feuille, les bords commencèrent à se redresser.

Quatrième expérience. — Je plaçai un gros fragment de mouche sur le milieu d’une feuille un peu au-dessous du sommet. Au bout de trois heures, les deux bords latéraux étaient perceptiblement recourbés ; au bout de quatre heures vingt minutes, ils l’étaient à tel point que le fragment était embrassé par les deux bords. Au bout de vingt-quatre heures, les deux bords recourbés près du sommet, car la partie inférieure de la feuille n’avait pas été affectée, ont été mesurés et ils se trouvaient alors éloignés l’un de l’autre de 0,11 de pouce (2,794 millim.). J’enlevai alors la mouche et je fis couler de l’eau sur la feuille de façon à bien laver la surface : au bout de vingt-quatre heures les bords étaient à 0,25e de pouce (6,349 millim.) l’un de l’autre, ce qui prouve qu’ils s’étaient considérablement redressés. Au bout d’un nouveau laps de temps de vingt-quatre heures, ils étaient complétement redressés. Je plaçai alors une autre mouche au même endroit pour voir si cette feuille, sur laquelle la première mouche avait reposé vingt-quatre heures, se mettrait de nouveau en mouvement ; au bout de dix heures, la feuille s’était quelque peu recourbée, mais elle resta immobile pendant les vingt-quatre heures qui suivirent. Je plaçai aussi un morceau de viande sur le bord d’une feuille qui s’était refermée quatre jours avant sur une mouche et qui s’était ensuite redressée ; mais la viande ne provoqua même pas une trace d’inflexion. Tout au contraire, le bord sembla se recourber quelque peu en arrière, comme s’il était endommagé, et il resta dans cet état pendant les trois jours suivants, c’est-à-dire aussi longtemps que je l’ai observé.


Fig. 16.
Pinguicula vulgaris

Tracé d’une feuille dont le bord droit est infléchi sur 2 morceaux carrés. de viande.
Cinquième expérience. — Je plaçai un gros morceau de mouche à une distance égale de la base et du sommet et à une distance égale de la côte centrale et de l’un des bords. Une petite partie de ce bord, juste en face de la mouche, présentait des traces d’inflexion au bout de trois heures, inflexion qui se développa fortement au bout de sept heures. Au bout de vingt-quatre heures, le bord recourbé ne se trouvait plus qu’à 16/100 d’un pouce (4,064 millim.) de la côte centrale. Le bord commença alors à se redresser, bien que j’aie laissé la mouche sur la feuille, de telle sorte que, le lendemain matin, c’est-à-dire quarante-huit heures à partir du moment où j’avais placé la mouche sur la feuille, le bord recourbé avait presque repris sa position originelle ; il se trouvait alors éloigné d’environ 3/10 de pouce (7,62 millim.) du centre de la feuille, au lieu de 16/100 de pouce. Cependant une trace d’inflexion était encore visible.

Sixième expérience. — Je choisis une jeune feuille concave dont les bords étaient légèrement et naturellement recourbés. Je plaçai sur ces feuilles deux morceaux rectangulaires oblongs, assez gros, de viande rôtie, de façon à ce que leurs extrémités touchassent le bord recourbé et à ce qu’il y ait une distance entre eux de 46/100 de pouce (11,68 millim.). Au bout de vingt-quatre heures, le bord était considérablement et également recourbé (voir fig. 16) sur tout cet espace et sur une longueur de 12 à 13 centièmes de pouce (3,048 à 3,302 millim.) au-dessus et au-dessous de chaque morceau de viande ; de telle sorte que le bord avait été affecté sur une longueur plus grande entre les deux morceaux, grâce à leur action combinée, qu’au delà de chacun des morceaux. Les morceaux de viande étaient trop gros pour que le bord recourbé pût les embrasser, mais ils furent soulevés, et l’un d’eux avait pris une position presque verticale. Au bout de quarante-huit heures, les bords s’étaient presque complètement redressés et les morceaux de viande étaient retombés à leur place primitive. J’examinai de nouveau la feuille deux jours après : le bord s’était complètement redressé, à l’exception de sa courbe naturelle ; un des morceaux de viande qui, dans le principe, touchait le bord, se trouvait actuellement à 0,067 de pouce (1,70 millim.) de distance, ce qui prouve qu’il avait été repoussé par l’inflexion du bord sur le limbe de la feuille.

Septième expérience. — Je plaçai un morceau de viande tout auprès du bord recourbé d’une feuille assez jeune ; après que le bord se fut redressé, le morceau de viande se trouvait à 11/100 de pouce (2,795 millim.) du bord. La distance du bord à la côte centrale de la feuille, bien étendue, s’élevait à 0,35 de pouce (8,89 millim.) : de sorte que le morceau de viande avait été repoussé vers le centre et avait parcouru près d’un tiers du demi-diamètre de la feuille.

Huitième expérience. — Je plaçai en contact immédiat avec le bord recourbé de deux feuilles, une vieille et une jeune, des cubes d’épongé imbibée d’une forte infusion de viande crue. Je mesurai avec soin la distance des bords de la feuille à la côte centrale. Au bout d’une heure dix-sept minutes, je crus remarquer une trace d’inflexion. Au bout de deux heures dix-sept minutes, les deux feuilles étaient évidemment infléchies ; la distance qui séparait les bords de la côte centrale n’était plus alors que la moitié de ce qu’elle était dans le principe. L’inflexion augmenta légèrement pendant les quatre heures et demie qui suivirent, puis elle resta à peu près la même pendant dix-sept heures trente minutes. Trente-cinq heures après que les éponges eurent été placées sur les feuilles, les bords s’étaient un peu redressés, un peu plus chez la plus jeune feuille que chez la plus vieille. Cette dernière ne se redressa complètement que le troisième jour, et les deux parcelles d’éponge avaient été alors transportées à la distance de 0,1 de pouce (2,54 millim.) du bord, ou environ le quart de la distance entre le bord et la côte centrale. Un troisième morceau d’éponge adhérait au bord, et celui-ci, en se redressant, ramena l’éponge dans sa position primitive.

Neuvième expérience. — Je plaçai tout auprès du bord naturellement reployé d’une feuille, sur toute l’étendue d’un des côtés de cette feuille, une chaîne de fibres de viande rôtie aussi ténues que des soies de porc et humectées avec de la salive. Au bout de trois heures, ce côté s’était recourbé dans toute sa longueur ; au bout de huit heures, il formait un cylindre ayant environ 1/20e de pouce (1,27 millim.) de diamètre qui cachait complètement la viande. Ce cylindre resta en cet état pendant trente-deux heures ; au bout de quarante-huit heures, le bord s’était à moitié redressé et, au bout de soixante-douze heures, il avait repris sa position naturelle et ne pouvait pas se distinguer du bord opposé de la feuille qui n’avait pas reçu de viande. Les fibres de viande ayant été complètement enveloppées par le bord ne furent pas poussées vers le centre du limbe de la feuille.

Dixième expérience. — Je plaçai en rangée longitudinale, tout auprès du bord étroit recourbé d’une feuille, six graines de chou que j’avais fait tremper dans l’eau pendant une nuit. Nous verrons ci-après que ces graines cèdent des matières solubles aux glandes. Au bout de deux heures vingt-cinq minutes, le bord s’était certainement infléchi ; au bout de quatre heures, il s’étendait sur les graines, sur la moitié environ de leur longueur, et, au bout de sept heures, sur les trois quarts de leur largeur, formant un cylindre ayant environ 0,7 de pouce (1,778 millim.) de diamètre, mais qui n’était pas tout à fait fermé du côté inférieur. Au bout de vingt-quatre heures, l’inflexion n’avait pas augmenté, peut-être même avait-elle diminué un peu. Les glandes qui s’étaient trouvées en contact avec les surfaces supérieures des graines sécrétaient alors abondamment. Trente-six heures après que les graines eurent été posées sur la feuille, le bord s’était considérablement redressé ; quarante-huit heures après il l’était complètement. Les graines n’étant plus retenues par le bord infléchi et la sécrétion commençant à manquer, elles roulèrent à quelque distance dans le canal marginal.

Onzième expérience. — Je plaçai des fragments de verre sur les bords de deux belles feuilles toutes jeunes. Au bout de deux heures trente minutes, le bord de l’une s’était certainement légèrement recourbé ; toutefois, l’inflexion n’augmenta pas et disparut au bout de seize heures trente minutes, à partir du moment où les fragments avaient été placés sur la feuille. J’observai chez la seconde feuille, au bout de deux heures quinze minutes, une trace d’inflexion, qui se dessina un peu plus au bout de quatre heures trente minutes et qui, au bout de sept heures, était encore plus fortement prononcée ; toutefois, au bout de dix-neuf heures trente minutes, cette inflexion avait évidemment diminué. Les fragments de verre excitèrent tout au plus une augmentation légère, très-douteuse même, de la sécrétion ; d’ailleurs, dans deux autres expériences, je n’ai pu discerner aucune augmentation de la sécrétion. Des parcelles de cendres et de charbon, placées sur une feuille, ne produisirent aucun effet, soit à cause de leur légèreté, soit parce que la feuille n’était pas à l’état actif.

Douzième expérience. — Occupons-nous actuellement des liquides. Je plaçai, le long des bords de deux feuilles, une rangée de gouttes d’une forte infusion de viande crue ; je plaçai en même temps, le long des bords opposés, des morceaux carrés d’éponge imbibés de la même infusion. Je voulais m’assurer si un liquide agit aussi énergiquement qu’une substance portant aux glandes la même matière soluble. Je ne pus constater aucune différence ; il n’y en avait certainement aucune dans le degré de l’inflexion ; mais l’inflexion autour des morceaux d’éponge dura un peu plus longtemps, ce à quoi il fallait peut-être s’attendre, parce que l’éponge reste humide plus longtemps et fournit aussi plus longtemps des matières azotées. Les bords portant les gouttes s’étaient certainement infléchis au bout de deux heures dix-sept minutes ; l’inflexion augmenta ensuite quelque peu, mais au bout de vingt-quatre heures elle avait considérablement diminué.

Treizième expérience. — Je plaçai des gouttes de la même infusion de viande crue le long de la côte centrale d’une jeune feuille et offrant une concavité très-prononcée. La distance, à la partie la plus large de la feuille, entre les bords naturellement recourbés, s’élevait à 0,55 de pouce (13,97 millim.). Au bout de trois heures vingt-sept minutes, cette distance avait un peu diminué ; au bout de six heures vingt-sept minutes, cette distance s’élevait exactement à 0,45 de pouce (11,43 millim.) ; elle avait donc diminué de 0,1 de pouce (2,54 millim.). Au bout de dix heures trente-sept minutes, les bords commencèrent à se redresser, car la distance d’un bord à l’autre était alors un peu plus grande et, au bout de vingt-quatre heures vingt minutes, la feuille avait repris absolument l’aspect qu’elle avait quand j’y déposai les gouttes. Cette expérience nous enseigne que l’impulsion motrice peut se transmettre à une distance de 0,22 de pouce (5,59 millim.) dans une direction transversale allant de la côte centrale aux deux bords ; mais il serait plus juste de dire 0,2 de pouce (5,08 millim.), car les gouttes s’étalent un peu en dehors de la côte centrale. L’inflexion ainsi produite dure pendant un laps de temps très-court.

Quatorzième expérience. — Je plaçai sur le bord d’une feuille trois gouttes d’une solution contenant une partie de carbonate d’ammoniaque pour 218 parties d’eau (2 grains de sel pour 1 once d’eau). Ces gouttes excitèrent une sécrétion si abondante qu’au bout de une heure vingt-deux minutes elles s’étaient confondues et n’en formaient plus qu’une ; mais, bien que j’aie observé cette feuille pendant vingt-quatre heures, je ne remarquai chez elle aucune trace d’inflexion. Nous savons qu’une solution assez forte de ce sel paralyse la puissance motrice des feuilles du Drosera, bien qu’elle n’attaque pas ces feuilles, et les expériences suivantes me prouvent que l’on peut appliquer la même remarque au Pinguicula.

Quinzième expérience. — Je plaçai sur le bord d’une feuille une rangée de gouttes d’une solution contenant 1 partie de carbonate d’ammoniaque pour 875 parties d’eau (1 grain de sel pour 2 onces d’eau) ; au bout d’une heure, je crus remarquer une légère inflexion, qui était fortement prononcée au bout de trois heures trente minutes. Au bout de vingt-quatre heures, les bords s’étaient presque complètement redressés.

Seizième expérience. — Je plaçai sur le bord d’une feuille une rangée de grosses gouttes d’une solution contenant 1 partie de phosphate d’ammoniaque pour 4,375 parties d’eau (1 grain de sel pour 10 onces d’eau). Aucun effet ne se produisit ; au bout de huit heures, je plaçai de nouvelles gouttes sur le même bord sans le moindre effet. Nous savons qu’une solution de cette force agit énergiquement sur le Drosera, mais il est possible que cette solution ait été trop forte. Je regrette de n’avoir pas essayé une solution plus faible.

Dix-septième expérience. — Comme la pression de fragments de verre cause l’inflexion, je chatouillai pendant quelques minutes les bords de deux feuilles avec une aiguille émoussée, mais il ne se produisit aucun effet. Je chatouillai aussi, pendant dix minutes, avec l’extrémité d’une soie de porc, la surface d’une feuille au-dessous d’une goutte d’une forte infusion de viande crue, de façon à imiter les ébats d’un insecte capturé ; mais cette partie du bord ne s’infléchit pas plus rapidement que les autres parties où se trouvaient des gouttes de solution que je ne troublai pas.

Les expériences précédentes nous apprennent que les bords des feuilles se recourbent en dedans quand elles sont excitées par la simple pression d’objets qui ne fournissent aucune matière soluble, par des objets qui fournissent ces matières et par quelques liquides, à savoir : une infusion de viande crue et une faible solution de carbonate d’ammoniaque. Une solution plus concentrée, contenant deux grains de ce sel pour 1 once d’eau, paralyse la feuille, bien qu’elle excite chez elle des sécrétions abondantes. Des gouttes d’eau ou des gouttes d’une solution de sucre ou de gomme ne produisent aucun mouvement chez les feuilles. J’ai chatouillé la surface d’une feuille pendant quelques minutes sans aucun résultat. Par conséquent, autant tout au moins que nous le savons jusqu’à présent, deux causes seules, c’est-à-dire une pression légère continue et l’absorption de matières azotées, provoquent un mouvement chez la feuille. Chez le Pinguicula ce sont les bords seuls de la feuille qui se recourbent, car le sommet ne s’incline jamais vers la base. Les pédicelles des poils glanduleux ne sont pas doués de la faculté du mouvement. J’ai observé, dans plusieurs occasions, que la surface de la feuille devient légèrement concave aux endroits où ont reposé pendant longtemps des morceaux de viande ou de grosses mouches, mais cet effet peut être dû à une sorte de maladie due à une stimulation excessive.

Le temps le plus court au bout duquel j’ai pu observer un mouvement bien prononcé a été de deux heures dix-sept minutes ; cela s’est produit seulement quand j’ai placé sur les feuilles des matières ou des liquides azotés. Je crois toutefois avoir, dans quelques cas, distingué une trace de mouvement au bout d’une heure ou d’une heure trente minutes. La pression exercée par des fragments de verre excite un mouvement presque aussi rapide que l’absorption des matières azotées, mais le degré d’inflexion produite est beaucoup moindre. Une feuille qui s’est bien infléchie et qui s’est ensuite redressée ne répond pas de longtemps à une nouvelle excitation. Le bord d’une feuille a été affecté longitudinalement sur une distance de 0,13 de pouce (3,302 millim.), de chaque côté d’un point excité ; l’excitation s’est propagée sur une longueur de 0,46 de pouce entre deux points excités et transversalement sur une distance de 0,2 de pouce (5,08 millim.). L’impulsion motrice n’est pas accompagnée, comme il arrive chez le Drosera, d’une impulsion quelconque causant une augmentation de sécrétion ; en effet, quand on excite une seule glande de Pinguicula de façon à la faire sécréter abondamment, les glandes environnantes ne sont pas du tout affectées. L’inflexion du bord se produit indépendamment d’une augmentation de sécrétion, car les fragments de verre ne produisent que peu ou pas de sécrétion et cependant ils provoquent un mouvement ; au contraire, une forte solution de carbonate d’ammoniaque provoque rapidement des sécrétions abondantes, mais ne cause aucun mouvement.

Un des faits les plus curieux relativement au mouvement des feuilles du Pinguicula est le court laps de temps pendant lequel elles restent infléchies, bien qu’on laisse sur elles l’objet qui a causé l’excitation. Dans la majorité des cas, j’ai observé un redressement bien marqué vingt-quatre heures après avoir placé sur les feuilles des morceaux de viande même assez gros, ou des substances analogues ; dans tous les cas le redressement s’est opéré dans les quarante-huit heures. Dans un cas, le bord d’une feuille est resté étroitement recourbé pendant trente-deux heures sur des fibres de viande très-minces ; dans un autre cas où j’avais placé sur la feuille un morceau d’éponge imbibé d’une forte infusion de viande crue, le bord a commencé à se redresser au bout de trente-cinq heures. Les bords de la feuille restent infléchis moins longtemps sur des fragments de verre que sur des substances azotées ; en effet, le redressement complet s’opère en seize heures trente minutes quand la feuille a été excitée avec des fragments de verre. Les liquides azotés agissent pendant moins longtemps que les substances azotées ; ainsi, quand j’ai placé des gouttes d’une infusion de viande crue sur la côte centrale d’une feuille, les bords infléchis ont commencé à se redresser au bout de dix heures trente-sept minutes ; c’est là, d’ailleurs, le redressement le plus rapide que j’aie observé, mais il faut peut-être en chercher l’explication dans la distance qui séparait les bords de la nervure centrale sur laquelle reposaient les gouttes.

Ces faits nous amènent naturellement à nous demander quelle est l’utilité de ce mouvement qui se prolonge pendant si peu de temps. Si l’on place tout auprès du bord des objets très-petits, tels que des fibres de viande, ou des objets assez petits, tels que des petites mouches ou des graines de chou, ces objets sont enveloppés complètement ou en partie par le bord. Les glandes du bord qui s’enroule se trouvent ainsi placées en contact avec ces objets ; elles déversent leur sécrétion et absorbent ensuite les substances digérées. Mais comme l’inflexion dure fort peu de temps, le bénéfice que la plante en peut retirer doit avoir seulement une bien petite importance, plus grande cependant peut-être qu’on ne le penserait tout d’abord. Le Pinguicula habite les régions humides, et les insectes qui adhèrent à toutes les parties de la feuille sont transportés, par toutes les averses un peu fortes, dans le canal étroit formé par les bords naturellement relevés. Par exemple, un de mes amis, habitant le nord du pays de Galles, plaça plusieurs insectes sur quelques feuilles ; deux jours après, il avait plu fortement dans l’intervalle ; il trouva que quelques-uns de ces insectes avaient disparu, mais que beaucoup d’autres avaient été poussés vers les bords, qui s’étaient complètement refermés sur eux et dont les glandes sécrétaient alors sans aucun doute. Ceci nous explique comment il se fait que l’on trouve ordinairement un si grand nombre d’insectes et de fragments d’insectes dans le canal formé par les bords recourbés des feuilles.

L’inflexion du bord, dû à la présence d’un objet excitant, doit rendre à la plante des services probablement plus importants à un autre point de vue. Nous avons vu que, quand on place sur la feuille de gros morceaux de viande ou d’éponge imbibée de suc de viande, le bord ne peut pas les envelopper en se recourbant ; mais, à mesure qu’il s’infléchit, il pousse très-lentement ces morceaux vers le centre de la feuille et les amène à une distance du bord qui s’élève au moins à 0,1 de pouce (2,54 millim.), c’est-à-dire qu’il leur fait parcourir un tiers ou un quart de la distance qui sépare le bord de la nervure centrale. Un objet quel qu’il soit, un insecte assez gros, par exemple, doit être ainsi placé lentement en contact avec un bien plus grand nombre de glandes et provoquer ainsi beaucoup plus de sécrétions et d’absorptions qu’il n’y en aurait eu autrement. Nous pouvons conclure que c’est là une qualité très-utile à la plante, car le Drosera a acquis une faculté de mouvement très-développée dans le seul but de pouvoir placer toutes ses glandes en contact avec les insectes capturés. De même, quand une feuille de Dionée a capturé un insecte, la pression lente qu’exercent l’un sur l’autre les deux lobes ne sert qu’à placer les glandes des deux côtés en contact avec cet insecte et provoque aussi la répartition de la sécrétion, chargée de matières animales, sur toute la surface de la feuille, au moyen de l’attraction capillaire. Chez le Pinguicula, dès qu’un insecte a été poussé sur une certaine distance vers le centre du limbe, le redressement immédiat des bords doit être avantageux pour la plante, car ces mêmes bords ne peuvent capturer une nouvelle proie qu’à la condition de s’être d’abord redressés. Les services rendus à la plante par cette poussée, aussi bien que celui rendu par le contact, quelque court qu’il soit, des glandes marginales avec la surface supérieure des petits insectes capturés, suffisent peut-être à expliquer les mouvements particuliers des feuilles du Pinguicula ; autrement, il faut regarder ces mouvements comme le reste de facultés plus développées que possédaient autrefois les ancêtres du genre.

Chez les quatre espèces britanniques et, comme me l’apprend le professeur Dyer, chez toutes, ou chez presque toutes les espèces du genre, les bords des feuilles sont naturellement plus ou moins recourbés de façon permanente. Cette position sert, comme nous l’avons déjà vu, à empêcher les insectes d’être entraînés par la pluie ; elle sert, en outre, à atteindre un autre but. Quand un grand nombre de glandes ont été énergiquement excitées par des morceaux de viande, des insectes ou tout autre objet, la sécrétion découle souvent sur la feuille et les bords recourbés l’empêchent de tomber en dehors et de se perdre. À mesure que cette sécrétion traverse le canal ainsi formé, de nouvelles glandes sont mises à même d’absorber les matières animales qu’elle contient en solution. En outre, la sécrétion se réunit souvent en petits amas dans le canal ou vers le sommet de la feuille qui ressemble alors à une cuiller ; or, je me suis assuré que des morceaux d’albumine, de fibrine et de gluten se dissolvent plus rapidement et plus complètement au milieu de ces amas qu’ils ne le font sur la surface de la feuille là où la sécrétion ne peut pas s’accumuler ; il doit en être de même pour les insectes capturés naturellement. J’ai vu la sécrétion se rassembler ainsi bien des fois sur les feuilles de plantes protégées contre la pluie ; or, les plantes exposées à la pluie ont encore bien plus besoin d’un agencement quelconque pour empêcher, autant que possible, la déperdition complète de la sécrétion et des matières animales qu’elle contient en dissolution.

J’ai déjà fait remarquer que les bords des feuilles des plantes croissant à l’état sauvage sont beaucoup plus fortement recourbés que ceux des plantes cultivées en pot que l’on empêche de capturer beaucoup d’insectes. Nous avons vu que les insectes entraînés par la pluie viennent souvent se placer près des bords, qui, excités par leur présence, se recourbent de plus en plus ; or, nous pouvons penser que cette action, répétée bien des fois pendant la vie de la plante, prédispose ses bords à rester de plus en plus recourbés d’une façon permanente. Je regrette de n’avoir pas pensé en temps utile à cette hypothèse pour pouvoir déterminer par l’expérience si elle est fondée.

Je puis ajouter ici, bien que ce fait ne se rapporte pas immédiatement au sujet qui nous occupe, que, lorsqu’on arrache une plante, les feuilles s’inclinent immédiatement de façon à cacher presque entièrement les racines ; cette remarque a été faite par beaucoup de personnes. Je suppose que ce fait est dû à la même tendance qui pousse les feuilles extérieures les plus vieilles à reposer sur le sol. Il paraît, en outre, que les tiges à fleurs sont irritables dans une certaine mesure, car le docteur Johnson constate qu’elles s’inclinent en arrière si on les saisit un peu rudement[101].

Sécrétion, absorption et digestion. — Je vais donner d’abord le détail de mes observations et de mes expériences et je donnerai ensuite le résumé des résultats obtenus.

EFFETS PRODUITS PAR LES SUBSTANCES CONTENANT DES MATIÈRES AZOTÉES SOLUBLES.

1. — J’ai placé des mouches sur beaucoup de feuilles et j’ai amené ainsi les glandes à sécréter abondamment ; la sécrétion devient toujours acide, bien qu’elle ne le soit pas au commencement de l’expérience. Au bout d’un certain laps de temps, ces insectes deviennent si mous qu’on peut détacher les membres de leur corps au moyen d’un simple attouchement, ce qui provient sans doute de la digestion et de la désagrégation des muscles. Les glandes, placées en contact avec une petite mouche continuèrent à sécréter, pendant quatre jours et se desséchèrent ensuite presque complètement. Je coupai une bande étroite de cette feuille et je comparai au microscope les glandes des poils longs et courts, qui étaient restés pendant quatre jours, en contact avec la mouche, avec les glandes qui ne l’avaient pas touchée ; ces glandes présentaient un contraste extraordinaire. Celles qui s’étaient trouvées en contact avec la mouche étaient remplies de matière granuleuse brunâtre, les autres de liquide homogène. Il était donc impossible de douter que les premières avaient absorbé des substances tirées de la mouche.

2. — Des petits morceaux de viande rôtie placés sur une feuille provoquent toujours des sécrétions acides abondantes dans le courant de quelques heures ; dans un cas, l’effet s’est produit au bout de quarante minutes. J’ai placé un jour des fibres très-menues de viande sur le bord d’une feuille presque verticale ; les sécrétions ont été si abondantes qu’elles ont coulé sur le sol. Des morceaux angulaires de viande placés dans des petits amas de sécrétion, près du bord, ont été, au bout de trois jours, réduits considérablement en volume et arrondis ; en outre, ils sont devenus plus ou moins incolores et transparents, et ils se sont tellement ramollis qu’ils tombaient en morceaux dès qu’on les touchait. Dans un cas seulement une parcelle de viande très-petite a été complètement dissoute au bout de quarante-huit heures. Quand les sécrétions ne sont pas très-abondantes, elles sont généralement réabsorbées dans un laps de temps qui varie de vingt-quatre à quarante-huit heures, et les glandes se dessèchent. Quand, au contraire, les sécrétions sont abondantes, soit autour d’un seul morceau assez gros de viande, soit autour de plusieurs petits morceaux, les glandes ne se dessèchent qu’au bout de six ou sept jours. Le cas le plus rapide de réabsorption que j’aie observé se produisit à la suite du dépôt d’une petite goutte d’une infusion de viande crue sur une feuille ; en effet, les glandes étaient presque desséchées au bout de trois heures vingt minutes. Quand les glandes ont été excitées au moyen de petites parcelles de viande et qu’elles ont rapidement réabsorbé leur propre sécrétion, elles recommencent à sécréter au bout de sept ou huit jours, à partir du moment où la viande a été posée sur elles.

3. — Je plaçai sur une feuille trois petits cubes de cartilage dur, provenant de l’os de la patte d’un mouton. Au bout de dix heures trente minutes, quelques sécrétions acides se produisirent, mais le cartilage ne paraissait pas affecté du tout ou ne l’était que fort peu. Au bout de vingt-quatre heures, les cubes étaient arrondis et avaient considérablement diminué de volume ; au bout de-trente-deux heures, ils étaient amollis jusqu’au centre et l’un d’eux était complètement liquéfié ; au bout de trente-cinq heures, il ne restait plus que des traces de cartilage solide ; au bout de quarante-huit heures, j’ai pu, en me servant d’un verre grossissant, distinguer encore une trace de cartilage dans un des trois cubes seulement. Au bout de quatre-vingt-deux heures, les trois cubes s’étaient non-seulement complètement liquéfiés, mais toutes les sécrétions étaient réabsorbées et les glandes s’étaient desséchées.

4. — Je plaçai sur une feuille des petits cubes d’albumime. Au bout de huit heures, des sécrétions faiblement acides s’étendaient d’environ 1/10e de pouce autour de ces cubes et les angles de l’un d’eux s’étaient arrondis. Au bout de vingt-quatre heures, les angles de tous les cubes étaient arrondis, et ils étaient très-amollis dans toutes leurs parties ; au bout de trente heures, les sécrétions commencèrent à diminuer, et, au bout de quarante-huit heures, les glandes s’étaient desséchées ; mais il restait encore des parcelles très-petites d’albumine qui n’avaient pas été dissoutes.

5. — Je plaçai sur quatre glandes des cubes plus petits d’albumine ayant environ 1/50e ou 1/60e de pouce (0,508 de millim. ou 0,423 de millim.) de côté. Au bout de dix-huit heures, l’un des cubes était complètement dissous ; les autres avaient beaucoup diminué de volume, s’étaient amollis et étaient devenus transparents. Au bout de vingt-quatre heures, deux des cubes étaient complètement dissous et les sécrétions recouvrant les glandes étaient presque complètement réabsorbées. Au bout de quarante-deux heures, les deux autres cubes étaient complètement dissous. Ces quatre glandes recommencèrent à sécréter au bout de huit ou neuf jours.

6. — Je plaçai deux gros cubes d’albumine (ayant environ 1/20e de pouce, soit 1,27 millim. de côté), l’un près de la nervure centrale et l’autre près du bord d’une feuille. Au bout de six heures, des sécrétions abondantes s’étaient produites, et elles augmentèrent de façon qu’au bout de quarante-huit heures elles s’accumulèrent autour du cube placé près du bord. Ce cube fut dissous dans des proportions beaucoup plus considérables que celui qui reposait sur le limbe de la feuille ; au bout de trois jours, son volume avait beaucoup diminué et tous ses angles s’étaient arrondis, mais il était trop gros pour être complètement dissous. Les sécrétions furent réabsorbées en partie au bout de quatre jours. Le cube placé sur le limbe diminua beaucoup moins de volume, et les glandes sur lesquelles il reposait commencèrent à se dessécher au bout de deux jours seulement.

7. — La fibrine excita des sécrétions moins abondantes que la viande ou l’albumine. J’ai fait un assez grand nombre d’expériences avec cette substance, mais je n’en rapporterai que trois. Je plaçai sur quelques glandes deux petites parcelles de fibrine ; au bout de trois heures quarante-cinq minutes, la sécrétion de ces glandes avait certainement augmenté. L’une de ces parcelles de fibrine, la plus petite, était complètement liquéfiée au bout de six heures vingt-cinq minutes, et l’autre au bout de vingt-quatre heures ; mais, même après quarante-huit heures, j’ai pu encore observer à l’aide d’un verre grossissant quelques granules de fibrine flottant dans les gouttes de la sécrétion. Au bout de cinquante heures trente minutes, ces granules étaient complètement dissous. Je plaçai une troisième parcelle de fibrine dans un petit amas de sécrétion qui s’était formé près du bord d’une feuille, là où une graine avait reposé ; cette parcelle fut complètement dissoute au bout de quinze heures trente minutes.

8. — Je plaçai sur une feuille cinq morceaux très-petits de gluten ; les sécrétions devinrent si abondantes qu’un des morceaux fut entraîné vers le bord. Au bout d’un jour, ces cinq morceaux me semblèrent avoir considérablement diminué de volume, mais aucun d’eux n’était complètement dissous. Le troisième jour, je poussai deux de ces morceaux, qui commençaient à se dessécher, sur de nouvelles glandes. Le quatrième jour je pus encore distinguer des traces non dissoutes de trois morceaux, les deux autres ayant complètement disparu ; mais je ne saurais dire s’ils avaient été complètement dissous. Je plaçai alors deux autres morceaux de gluten sur une autre feuille, en posant l’un près du centre et l’autre près du bord de la feuille ; tous deux excitèrent des sécrétions extraordinairement abondantes ; un amas de sécrétion se forma autour du morceau placé près du bord, et il diminua beaucoup plus de volume que celui placé sur le milieu du limbe ; toutefois, il n’était pas encore complètement dissous au bout de quatre jours. Le gluten exerce donc une action très-énergique chez les glandes, mais il est dissous avec beaucoup de difficulté ; or, c’est exactement là ce qui arrive chez le Drosera. Je regrette de n’avoir pas expérimenté sur cette substance, après l’avoir trempée dans de l’acide chlorhydrique étendu d’eau, car elle se serait probablement, dans ce cas, dissoute plus rapidement.

9. — Je plaçai sur une feuille un petit morceau carré très-mince de gélatine pure humectée d’eau. Cette substance, au bout de cinq heures trente minutes, n’avait excité que peu de sécrétions, mais elles allèrent en augmentant. Au bout de vingt-quatre heures, le morceau tout entier était complètement liquéfié, ce qui ne serait pas arrivé si je l’avais laissé dans l’eau. Le liquide était acide.

10. — De petits morceaux de caséine, préparée chimiquement, excitèrent des sécrétions acides, mais ne furent pas complètement dissous au bout de deux jours, et les glandes commencèrent alors à se dessécher. D’après ce que nous avons vu de l’action du Drosera sur cette substance, on ne pouvait pas s’attendre à une dissolution complète.

11. — Je plaçai sur une feuille des petites gouttes de lait écrémé qui provoquèrent des sécrétions abondantes dans les glandes. Au bout de trois heures, le lait s’était caillé ; au bout de vingt-trois heures, les grumeaux s’étaient dissous. Je plaçai alors les gouttes devenues claires sous le microscope et je ne pus rien découvrir que quelques globules d’huile. Par conséquent, la sécrétion dissout la caséine fraîche.

12. — Je plongeai, pendant dix-sept heures, deux fragments de feuilles chacun dans une drachme d’une solution de carbonate d’ammoniaque préparée à deux degrés différents ; l’une contenait 1 partie de carbonate pour 437 parties d’eau, et l’autre 1 partie de carbonate pour 218 parties d’eau. Après cette immersion, j’examinai les glandes des poils longs et courts ; leur contenu s’était agrégé en matière granuleuse affectant une teinte vert brunâtre. Mon fils vit ces masses granuleuses changer lentement de forme et, sans aucun doute, elles se composaient de protoplasma. L’agrégation était plus fortement prononcée et les mouvements du protoplasma plus rapides dans les glandes soumises à la solution plus concentrée que dans les autres. Je répétai l’expérience avec le même résultat ; dans cette seconde expérience, j’observai que le protoplasma s’était un peu écarté des parois des cellules allongées formant le pédicelle. Afin d’observer la marche de l’agrégation, je plaçai une bande étroite d’une feuille sur le chariot du microscope ; les glandes étaient tout à fait transparentes ; j’ajoutai alors une petite quantité de la solution plus concentrée, c’est-à-dire de la solution contenant 1 partie de carbonate pour 218 parties d’eau. Au bout d’une heure ou deux, les glandes contenaient des matières granuleuses très-fines qui se transformèrent lentement en matières grossièrement granuleuses et légèrement opaques ; au bout de cinq heures, la teinte n’était pas encore devenue brunâtre, mais alors parurent à l’extrémité supérieure du pédicelle quelques masses globulaires transparentes et assez grosses, et le protoplasma s’écarta un peu des parois des cellules. Il est donc évident que les glandes du Pinguicula absorbent le carbonate d’ammoniaque ; mais elles ne l’absorbent pas aussi vite que les glandes du Drosera, et ce sel n’exerce pas à beaucoup près sur elles une action aussi rapide que sur ces dernières.

13. De petites masses de pollen orange, provenant du pois commun, placées sur plusieurs feuilles, excitèrent chez les glandes des sécrétions abondantes. Quelques grains tombés accidentellement sur une seule glande, firent tant augmenter au bout de vingt-trois heures la goutte de sécrétion qui entourait cette glande, qu’elle était évidemment plus grosse que les gouttes des glandes avoisinantes. Des grains de pollen soumis à l’action de la sécrétion pendant quarante-huit heures ne s’ouvrirent pas ; ils se décolorèrent et m’ont semblé contenir moins de substance qu’auparavant, les substances restant à l’intérieur des grains ayant pris une couleur sale et renfermant des globules d’huile. Leur aspect différait donc de celui d’autres grains conservés dans l’eau pendant le même laps de temps. Les glandes qui s’étaient trouvées en contact avec les grains de pollen avaient évidemment absorbé des substances qu’elles avaient empruntées à ces grains, car elles avaient perdu leur teinte naturelle vert pâle et contenaient des masses globulaires agrégées de protoplasma.

14. Des morceaux carrés de feuilles d’épinard, de chou, de saxifrage et des feuilles entières d’Erica tetralix excitèrent une augmentation de sécrétion chez les glandes. La feuille d’épinard provoqua l’action la plus énergique, car elle fit augmenter la sécrétion dans des proportions évidentes au bout d’une heure quarante minutes ; la sécrétion finit même par s’étendre sur une partie de la feuille, mais les glandes commencèrent bientôt à se dessécher, c’est-à-dire au bout de trente-cinq heures. L’action des feuilles d’Erica tetralix ne commença qu’au bout de sept heures trente minutes, mais elles ne provoquèrent jamais beaucoup de sécrétion ; il en fut de même pour les morceaux de feuilles de saxifrage, bien que, dans ce cas, les glandes aient continué de sécréter pendant sept jours. On m’envoya du nord du pays de Galles des feuilles de Pinguicula auxquelles adhéraient des feuilles d’Erica tetralix et d’une plante inconnue ; le contenu des glandes qui se trouvaient en contact avec ces feuilles était visiblement agrégé, tout comme si elles s’étaient trouvées en contact avec des insectes ; les autres glandes des mêmes feuilles contenaient seulement un liquide clair homogène.

15. — Graines. — J’essayai un nombre considérable de graines ou de fruits choisis au hasard, les uns frais, les autres de la récolte précédente, les uns trempés pendant quelque temps dans l’eau, les autres secs. Les dix sortes suivantes : le chou, le radis, l’Anemone nemorosa, Rumex acelosa, Carex sylvatica, ainsi que la moutarde, le navet, le cresson, le Ranunculus acris et l’Avena pubescens excitèrent des sécrétions abondantes ; j’expérimentai ces sécrétions dans plusieurs cas et je les trouvai toujours acides. Les cinq premières graines que nous venons de citer exercent sur les glandes une action bien plus énergique que les autres. Les sécrétions ne commencent à être abondantes qu’au bout de vingt-quatre heures, sans doute parce que les parois des graines ne sont pas facilement perméables. Néanmoins les graines de chou provoquent des sécrétions au bout de quatre heures trente minutes, et ces sécrétions augmentent tant en dix-huit heures, qu’elles coulent tout le long des feuilles. À l’état sauvage on trouve sur les feuilles du Pinguicula les graines ou plutôt les fruits du Carex beaucoup plus souvent que ceux d’aucun autre genre ; or, les fruits du Carex sylvatica excitèrent des sécrétions si abondantes, qu’au bout de vingt-cinq heures elles coulaient le long-des bords relevés, mais les glandes cessèrent de sécréter après quarante heures. D’autre part, les glandes sur lesquelles je plaçai des graines de Rumex et d’Avena continuèrent de sécréter pendant neuf jours.

Les neuf sortes suivantes de graines, c’est-à-dire le céleri, — le panais, le carvi, le Linum grandiflorum, le Cassia, le Trifolium pannonicum, le Plantago, l’oignon et le Bromus n’excitèrent que des sécrétions peu abondantes. Ces sécrétions ne se produisirent avec la plupart de ces graines qu’au bout de quarante-huit heures, et une seule graine de Trifolium exerça une action, et cela seulement au bout du troisième jour. Bien que les graines de Plantago, aient excité des sécrétions peu abondantes, les glandes continuèrent à sécréter pendant six jours. Enfin les cinq espèces suivantes, c’est-à-dire la laitue, l’Erica tetralix, l’Atriplex hortensis, le Phalaris canariensis et le froment, ne provoquèrent aucune sécrétion, bien que je les aie laissées sur les feuilles pendant deux ou trois jours. Toutefois, si l’on ouvre en deux les graines de la laitue, du froment et de l’Atriplex, et qu’on les applique aux feuilles, des sécrétions abondantes sont produites au bout de dix heures et même quelquefois au bout de six heures. Dans le cas de l’Atriplex, les sécrétions coulèrent le long des bords, et, au bout de vingt-quatre heures, je copie mes notes, « ces sécrétions étaient aussi considérables qu’elles étaient acides ». Les graines ouvertes de Trifolium et de céleri exercent aussi une action énergique et rapide, bien que la graine entière, comme nous l’avons vu, ne provoque que peu de sécrétions après un long intervalle de temps. Une tranche de pois commun, que je n’ai pas essayé à l’état entier, a provoqué des sécrétions au bout de deux heures. Ces faits nous autorisent à conclure que la grande différence qui existe dans le degré et la rapidité avec lesquels différentes espèces de graines provoquent la sécrétion provient principalement ou entièrement de la perméabilité différente de leurs parois.

Je plaçai sur une feuille des tranches minces de pois commun que j’avais eu le soin de faire tremper dans l’eau depuis une heure ; elles provoquèrent rapidement d’abondantes sécrétions acides. Au bout de vingt-quatre heures, je comparai ces tranches en me servant d’un fort grossissement au microscope avec d’autres tranches que j’avais laissées séjourner dans l’eau pendant le même laps de temps ; ces dernières contenaient un si grand nombre de granules fins de légumine, qu’il était presque impossible d’observer la tranche devenue absolument boueuse. Les tranches, au contraire, qui avaient été soumises à l’action de la sécrétion étaient beaucoup plus transparentes, les granules de légumine ayant été évidemment dissous. Je coupai en tranches une graine de chou qui était restée sur une feuille pendant deux jours et qui avait provoqué d’abondantes sécrétions ; je comparai ces tranches avec d’autres qui étaient restées pendant le même laps de temps dans l’eau. Les tranches soumises à l’action de la sécrétion avaient une teinte beaucoup plus pâle ; les parois surtout présentaient la plus grande différence, car elles avaient perdu leur couleur brun-marron pour prendre une teinte pâle sale. Les glandes sur lesquelles avaient reposé les graines de chou, aussi bien que celles sur lesquelles la sécrétion s’était étendue, avaient un aspect tout différent de celui des autres glandes de la même feuille ; toutes, en effet, contenaient des matières granuleuses brunâtres, ce qui prouve qu’elles avaient absorbé des substances provenant des graines.

Le fait que quelques graines ont été tuées par la sécrétion et que presque toutes les plantes qui sortent des graines soumises à son action dépérissent bientôt prouve que la sécrétion agit sur des graines. Je plaçai 14 graines de chou sur des feuilles et je les y laissai pendant trois jours ; elles provoquèrent d’abondantes sécrétions. Je les plaçai ensuite sur du terreau humide dans des conditions très-favorables à la germination ; trois graines ne germèrent pas, ce qui constituait une proportion beaucoup plus considérable de morts que chez les graines du même lot qui n’avaient pas été soumises à l’action de la sécrétion, mais qui autrement avaient été traitées de la même façon. Sur les onze plantes qui poussèrent, les cotylédons de trois avaient le bord légèrement bruni comme s’ils avaient été brûlés ; les cotylédons d’une autre affectaient une curieuse forme dentelée. Deux graines de moutarde germèrent, mais leurs cotylédons étaient couverts de taches brunes et leurs radicelles étaient difformes. Deux graines de radis ne germèrent pas, tandis que, sur beaucoup de graines du même lot qui n’avaient pas été soumises à l’action de la sécrétion, une seule ne germa pas. Sur deux graines de Rumex, l’une mourut et l’autre germa, mais la radicelle de cette dernière était brune et se dessécha bientôt. Deux graines d’Avena germèrent ; l’une poussa bien, mais la radicelle de l’autre était brune et se flétrit bientôt. Je plantai six graines d’Erica, après les avoir soumises à l’action de la sécrétion : aucune ne germa ; après les avoir laissées pendant cinq mois sur le terreau humide, je coupai ces graines et une seule me parut vivante. Je trouvai 22 graines de différentes sortes qui adhéraient aux feuilles de Pinguicula à l’état sauvage ; je plantai ces graines et je les laissai pendant cinq mois dans du terreau humide, aucune d’elles ne germa : évidemment la plupart étaient mortes.

EFFETS PRODUITS PAR LES CORPS QUI NE CONTIENNENT PAS DES MATIÈRES AZOTÉES SOLUBLES.

16. — Nous avons déjà vu que des morceaux de verre placés sur les feuilles excitent peu ou pas de sécrétion. J’ai examiné une petite quantité de sécrétion qui se trouvait au-dessous de fragments de verre, et j’ai trouvé qu’elle n’était pas acide. Un morceau de bois n’excite pas de sécrétion ; les graines dont les parois ne se laissent pas traverser par la sécrétion n’en excitent pas non plus et agissent par conséquent comme des corps inorganiques. De petits cubes de graisse, laissés pendant deux jours sur une feuille, n’ont produit aucun effet.

17. — Un morceau de sucre raffiné placé sur une feuille a provoqué, au bout d’une heure dix minutes, la formation d’une grosse goutte de sécrétion qui s’est augmentée dans le courant de deux autres heures assez considérablement pour se répandre vers le bord de la feuille naturellement repliée. Ce liquide n’était pas du tout acide ; il commença à sécher, ou, plus probablement, fut réabsorbé au bout de cinq heures trente minutes. Je répétai cette expérience de la façon suivante : je plaçai des parcelles de sucre sur une feuille en même temps que je plaçais sur un morceau de verre des parcelles de sucre ayant le même volume que j’humectai avec un peu d’eau, puis je recouvris le tout d’une cloche en verre. Je disposai ainsi l’expérience pour m’assurer si je liquide plus abondant produit sur les feuilles n’est pas dû simplement à la déliquescence ; il me fut prouvé qu’il n’en est rien. La parcelle de sucre placée sur la feuille provoqua des sécrétions si abondantes, qu’au bout de quatre heures, ces sécrétions recouvraient les 2/3 de la feuille. Au bout de huit heures, la feuille avait pris une forme concave et était absolument remplie d’un liquide visqueux ; il faut remarquer tout particulièrement que, dans cette expérience comme dans l’expérience précédente, le liquide n’était pas du tout acide. On peut, je crois, attribuer cette abondante sécrétion à l’exosmose. Les glandes qui, pendant vingt-quatre heures, étaient restées couvertes par ce liquide, ne différaient pas, examinées au microscope, des autres glandes de la même feuille qui ne s’étaient pas trouvées en contact avec lui. C’est là un fait intéressant, si l’on se rappelle que les glandes qui ont été baignées par la sécrétion contenant des matières en dissolution présentent toujours des signes plus ou moins grands d’agrégation.

18. — Je plaçai sur une feuille deux petits morceaux de gomme arabique ; ils provoquèrent certainement, au bout d’une heure vingt minutes, une petite augmentation de sécrétion. La sécrétion continua à augmenter pendant les cinq heures suivantes, c’est-à-dire aussi longtemps que j’ai observé la feuille.

19. — Je plaçai sur une feuille six petites parcelles d’amidon sec du commerce ; l’une de ces parcelles provoqua quelque sécrétion au bout d’une heure quinze minutes, et les autres au bout de huit ou neuf heures. Les glandes chez lesquelles la sécrétion avait été ainsi excitée se desséchèrent bientôt et ne recommencèrent pas à sécréter jusqu’au sixième jour. Je plaçai alors sur une feuille un morceau plus gros d’amidon ; il n’avait provoqué aucune sécrétion au bout de cinq heures trente minutes, mais, au bout de huit heures, les sécrétions devinrent abondantes, et elles augmentèrent si considérablement pendant les vingt-quatre heures suivantes, qu’elles couvrirent la feuille sur un espace de 3/4 de pouce. Cette sécrétion, bien que si abondante, n’était pas du tout acide. Cependant cette abondance et le fait que des graines adhèrent fréquemment aux feuilles de plantes à l’état sauvage me firent penser que les glandes ont peut-être la faculté de sécréter un ferment semblable à la ptyaline, capable de dissoudre l’amidon ; j’observai donc avec soin, pendant plusieurs jours, les six parcelles dont je viens de parler, mais leur volume ne me sembla pas du tout réduit. Je plongeai aussi une parcelle d’amidon dans un petit amas de sécrétion provoquée par un morceau de feuille d’épinard ; je l’y laissai pendant deux jours, mais bien que la parcelle fût très-petite, je n’observai aucune diminution de volume. Nous pouvons conclure de ces faits que la sécrétion n’a pas le pouvoir de dissoudre l’amidon. Je crois donc que l’on peut attribuer à l’exosmose l’augmentation de sécrétion causée par cette substance. Toutefois, je suis surpris que l’amidon, bien que sous ce rapport inférieur au sucre, ait agi si rapidement et avec tant d’énergie. On sait que les colloïdes possèdent un léger pouvoir de dialyse ; si l’on place des feuilles de Primula dans l’eau et d’autres dans du sirop ou dans de l’amidon dissous, celles qui sont placées dans l’amidon deviennent flasques, mais à un degré moindre et avec moins de rapidité que celles qui sont placées dans le sirop ; celles qui sont plongées dans l’eau pendant le même laps de temps conservent leur aspect ordinaire.

Les expériences et les observations que nous venons de rapporter prouvent que les corps qui ne contiennent pas des substances solubles n’exercent que peu ou pas d’action sur les glandes au point de vue de la sécrétion. Les liquides non azotés, à condition qu’ils soient denses, provoquent chez les glandes d’abondantes sécrétions de liquides visqueux, mais pas du tout acides. D’autre part, les sécrétions provoquées par le contact des glandes avec des solides ou des liquides azotés sont toujours acides et sont si abondantes, qu’elles coulent sur les feuilles et se rassemblent dans les réceptacles formés par les bords naturellement repliés de ces feuilles. En cet état, la sécrétion jouit de la faculté de dissoudre rapidement, c’est-à-dire de digérer les muscles des insectes, la viande, le cartilage, l’albumine, la fibrine, la gélatine et la caséine telle qu’elle existe dans le caillé du lait. La caséine, préparée chimiquement, et le gluten exercent une action énergique sur les glandes ; mais ces substances, à condition toutefois que le gluten n’ait pas séjourné quelque temps dans de l’acide chlorhydrique très-étendu, ne sont dissoutes que partiellement, tout comme nous l’avons vu pour le Drosera. Quand la sécrétion contient des matières animales en dissolution, que ces matières proviennent de solides ou de liquides tels qu’une infusion de viande crue, du lait, ou une faible solution de carbonate d’ammoniaque, elle est facilement réabsorbée ; les glandes qui étaient auparavant limpides et qui affectaient une couleur verdâtre deviennent brunâtres et se remplissent de masses agrégées de matières granuleuses. Les mouvements spontanés de ces matières indiquent qu’elles se composent de protoplasma. Les liquides non azotés ne provoquent aucun effet semblable. Quand les glandes, à la suite d’une excitation, ont sécrété abondamment, elles cessent de le faire pendant quelque temps, mais elles recouvrent cette faculté au bout de quelques jours.

Les glandes qui se trouvent en contact avec du pollen, avec les feuilles d’autres plantes et avec diverses espèces de graines, déversent d’abondantes sécrétions acides et absorbent ensuite des matières probablement albumineuses qu’elles leur empruntent. Les avantages qu’elles s’assurent ainsi sont loin d’être insignifiants, car une quantité considérable de pollen provenant de nombreuses graminées, de Carex, etc., qui croissent dans les endroits qu’affectionne le Pinguicula, doit être portée par le vent sur les feuilles de cette plante ; qui sont dans toute leur étendue recouvertes de glandes visqueuses disposées en larges rosaces. Quelques grains de pollen, posés sur une seule glande, suffisent pour provoquer des sécrétions abondantes. Nous avons vu aussi que les petites feuilles de l’Erica tetralix et d’autres plantes, ainsi que diverses espèces de graines et de fruits, provenant principalement des Carex, adhèrent fréquemment aux feuilles. J’ai vu une feuille de Pinguicula à laquelle adhéraient dix petites feuilles d’Erica, et trois feuilles d’un même pied qui avaient chacune capturé une graine. Les graines soumises à l’action de la sécrétion sont tuées quelquefois ; en tout cas, les rejetons qui en sortent sont toujours mal portants. Nous pouvons donc conclure que le Pinguicula vulgaris, n’ayant que de petites racines, se nourrit, non-seulement, dans une grande mesure, d’un nombre extraordinaire d’insectes qu’il capture ordinairement, mais aussi de pollen, de feuilles et de graines d’autres plantes qui adhèrent souvent à ses feuilles. On peut, en conséquence, dire que cette plante est en partie carnivore et en partie herbivore.

PINGUICULA GRANDIFLORA.

Cette espèce est si étroitement alliée au Pinguicula vulgaris, que le Dr Hooker l’a classée comme une sous-espèce. Elle diffère du Pinguicula vulgaris principalement en ce qu’elle a des feuilles plus grandes et en ce que les poils glanduleux situés près de la base sont plus longs. Mais sa constitution est aussi toute différente. M. Ralfs, qui a été assez bon pour m’envoyer des plants de la Cornouailles, m’apprend, en effet, que le Pinguicula grandiflora affectionne des sites différents, et le Dr Moore, directeur du jardin botanique de Glasnevin, m’informe qu’il se laisse cultiver plus facilement que le Pinguicula vulgaris ; il pousse bien et fleurit annuellement, tandis que ce dernier doit être renouvelé chaque année. M. Ralfs a trouvé sur presque toutes les feuilles du Pinguicula grandiflora des insectes et des fragments d’insectes, principalement des Diptères ; il y a trouvé aussi quelques Hyménoptères, quelques Homoptères, quelques Coléoptères et une phalène. Sur une seule feuille, il a compté neuf insectes morts et quelques-uns encore vivants. Il a aussi observé sur les feuilles quelques fruits du Carex pulicaris aussi bien que des graines du Pinguicula lui-même. Je n’ai fait que deux expériences sur cette espèce : j’ai placé une mouche près du bord d’une feuille, et, au bout de seize heures, ce bord était considérablement infléchi. Dans une seconde expérience j’ai placé plusieurs petites mouches le long du bord d’une autre feuille ; le lendemain matin ce bord tout entier s’était recourbé absolument comme le fait dans le même cas celui du Pinguicula vulgaris.

PINGUICULA LUSITANICA.

M. Ralfs m’a envoyé de la Cornouailles quelques plants vivants de cette espèce qui diffère considérablement des deux précédentes. Les feuilles sont un peu plus petites, beaucoup plus transparentes, et on aperçoit sur elles des veines pourpres qui s’entrecroisent. Les bords des feuilles sont beaucoup plus recourbés, et chez les vieilles feuilles cette courbe s’étend sur près de 1/3 de l’espace compris entre la nervure centrale et le bord extrême de la feuille. Les poils glanduleux, tout comme chez les deux autres espèces, sont longs ou courts et ont la même conformation ; mais les glandes différent en ce qu’elles ont une couleur pourpre et en ce qu’elles contiennent souvent des matières granuleuses avant d’avoir été excitées. La partie inférieure de la feuille sur presque la moitié de l’espace entre la nervure centrale et le bord est dépourvue de glandes ; elles sont remplacées par des poils multicellulaires, longs et assez rudes, qui s’entrecroisent par-dessus la nervure centrale. Ces poils servent peut-être à empêcher les insectes de se poser sur cette partie de la feuille, qui ne porte pas de glandes visqueuses de nature à les capturer ; toutefois, il est peu probable que ces poils se soient développés dans ce but. Les vaisseaux spiraux, partant de la nervure centrale, se terminent par des cellules spirales dans l’extrême bord de la feuille ; mais ces cellules sont loin d’être aussi bien développées que dans les deux espèces précédentes. Les pédoncules des fleurs, les sépales et les pétales sont pourvus de poils glanduleux ressemblant à ceux des feuilles.

Les feuilles de cette espèce capturent beaucoup de petits insectes que l’on trouve principalement sur les bords recourbés où ils ont été probablement portés par les pluies. Les glandes sur lesquelles des insectes ont reposé longtemps changent de couleur ; elles deviennent brunâtres ou pourpre pâle, et chez elles on trouve des matières granuleuses grossières ; il est donc évident que ces glandes absorbent des matières qu’elles empruntent à leur proie. Des feuilles d’Erica tetralix, des fleurs de Galium, des écailles de graminées, etc., adhèrent souvent aux feuilles. J’ai répété sur le Pinguicula lusitanica plusieurs des expériences que j’avais faites sur la Pinguicula vulgaris ; voici les résultats que j’ai obtenus :

1. — Je plaçai sur un côté d’une feuille à peu près à moitié chemin entre la nervure centrale et le bord naturellement recourbé un morceau angulaire assez gros d’albumine. Au bout de deux heures quinze minutes les glandes commencèrent à sécréter abondamment et le bord se recourba plus que ne l’était le bord opposé de la feuille. L’inflexion augmenta et, au bout de trois heures trente minutes, elle s’étendait presque jusqu’au sommet de la feuille. Au bout de vingt-quatre heures le bord s’était complètement enroulé en un cylindre dont la surface extérieure touchait le limbe de la feuille et n’était séparé de la nervure centrale que par 1/20e de pouce environ. Au bout de quarante-huit heures le bord commença à se redresser et au bout de soixante-douze heures il l’était complètement. Le cube s’était arrondi et son volume avait beaucoup diminué ; ce qui en restait se trouvait à l’état semi-liquide.

2. — Je plaçai près du sommet d’une feuille sous le bord naturellement recourbé un morceau assez gros d’albumine. Au bout de deux heures trente minutes les sécrétions devinrent abondantes, et le lendemain matin le bord de ce côté de la feuille était beaucoup plus recourbé que le bord opposé, mais pas aussi complètement que dans l’expérience précédente. Le bord se redressa dans le même laps de temps. Une grande partie de l’albumine fut dissoute mais il en resta cependant encore un peu.

3. — Je disposai en rangées, au milieu de deux feuilles, de gros morceaux d’albumine ; au bout de vingt-quatre heures aucun effet n’avait été produit ; c’était là ce que j’attendais d’ailleurs, car en admettant même que des glandes eussent existé en cet endroit de la feuille, les longs poils durs dont j’ai parlé auraient empêché l’albumine de se trouver en contact avec elles. Je poussai alors les morceaux d’albumine du côté de l’un des bords de chaque feuille ; au bout de trois heures trente minutes, ce bord s’infléchit si considérablement que la surface extérieure touchait le limbe ; le bord opposé ne fut pas du tout affecté. Au bout de trois jours les bords de deux feuilles enfermant l’albumine étaient encore complètement infléchis et les glandes continuaient de déverser des sécrétions abondantes. Je n’ai jamais vu l’inflexion persister aussi longtemps chez le Pinguicula vulgaris.

4. — Je plaçai près des bords d’une feuille deux graines de chou que j’avais laissées tremper dans l’eau pendant une heure ; au bout de trois heures vingt minutes ces graines provoquèrent des sécrétions abondantes et une inflexion prononcée. Au bout de vingt-quatre heures la feuille s’était redressée en partie mais les glandes continuaient encore à sécréter abondamment. Les glandes commencèrent à se dessécher au bout de quarante-huit heures et, au bout de soixante-douze heures, elles étaient presque sèches. Je plaçai alors les deux graines sur du terreau humide dans des conditions favorables à la germination, mais elle ne germèrent jamais, et, au bout de Page:Darwin (trad. Barbier) — Les plantes insectivores, 1877.pdf/483 Page:Darwin (trad. Barbier) — Les plantes insectivores, 1877.pdf/484 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Darwin (trad. Barbier) — Les plantes insectivores, 1877.pdf/485 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Darwin (trad. 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  1. Le Modèle:Dr Modèle:Sc ayant donné (Modèle:Lang, 1860, p. 229) la bibliographie du Drosera, il est inutile que j’entre ici dans aucun détail à ce sujet. La plupart des mémoires publiés avant 1860 sont très-courts et très-peu importants. Le mémoire le plus ancien, publié à ce sujet, semble être aussi celui qui a le plus de valeur ; il a été écrit par le Modèle:Dr [[w:Albrecht Wilhelm Roth|Modèle:Sc]] en 1782. Le Modèle:Dr [[w:Julius Milde|Modèle:Sc]] a publié, en 1852, dans la Modèle:Lang, p. 540, un mémoire fort intéressant, mais malheureusement trop court, sur les habitudes du Drosera. Modèle:MM. Modèle:Sc et [[w:Auguste Trécul|Modèle:Sc]] ont inséré, en 1855, dans les Annales des sc. nat. bot., t. Modèle:Rom-maj, p. 297 et 304, des mémoires accompagnés de figures sur la conformation des feuilles du Drosera ; mais Modèle:M. va jusqu’à douter que ces feuilles possèdent aucune faculté de mouvement. Les mémoires du Modèle:Dr Nitschke dans la Modèle:Lang, 1860 et 1861, sont de beaucoup les plus importants qui aient été publiés sur les habitudes et la conformation de cette plante, et j’aurai fréquemment l’occasion de les citer. Ses aperçus sur plusieurs points, par exemple sur la transmission de Modèle:Tiret2 d’une partie de la feuille à l’autre, sont tout particulièrement excellents. Le 11 décembre 1862, M. [[d:Q11927850|J. Modèle:Sc]] a lu un mémoire devant la Société botanique d’Édimbourg, mémoire publié plus tard par le Modèle:Lang, 1863, p. 30. Modèle:M. a démontré que si l’on irrite un peu les poils qui recouvrent la feuille, ou que si l’on place un insecte sur la feuille, les poils tendent à s’infléchir en dedans. M. [[w:Alfred William Bennett|Modèle:Sc]] a lu aussi, en 1873, devant l’Association britannique pour l’avancement des sciences, un intéressant mémoire sur les mouvements des feuilles du Drosera. Pendant la même année, le Modèle:Dr [[w:Johannes Eugenius Bülow Warming|Modèle:Sc]] a publié un mémoire dans lequel il décrit la structure des prétendus poils, intitulé : Sur la différence entre les Trichômes, etc., extrait des Annales de la Société d’histoire naturelle de Copenhague. J’aurai aussi bientôt occasion de parler d’un mémoire de Modèle:Mme [[w:Mary Treat|Modèle:Sc]], de New-Jersey, sur quelques espèces américaines de Drosera. Le Modèle:Dr [[w:John Scott Burdon-Sanderson|Modèle:Sc]] a lu devant l’Institution royale (publié dans Modèle:Lang, 14 juin 1874), un mémoire sur la Dionée, dans lequel a paru pour la première fois un court résumé de mes observations sur la vraie puissance digestive que possèdent le Drosera et la Dionée. Le professeur [[w:Asa Gray|Modèle:Sc]] a appelé l’attention sur le Drosera et d’autres plantes ayant des habitudes analogues dans la Modèle:Lang (1874, p. 232 et 261) et dans d’autres publications scientifiques. Le Modèle:Dr [[Auteur :Joseph_Dalton_Hooker|Modèle:Sc]], dans son important discours sur les plantes carnivores (Modèle:Lang, Belfort, 1874), a tracé l’historique des travaux faits sur ces plantes. (Ce dernier mémoire a été publié par la Revue des cours scientifiques, 21 nov. 1874. — Note du traducteur.)
    Depuis la publication du présent ouvrage en anglais, quelques mémoires ont paru sur le même sujet. Nous les mentionnerons ici dans l’intérêt du lecteur désireux de connaître l’état actuel de la question. Abbé [[w:Auguste Bellynck|Modèle:Sc]], les plantes carnivores (Précis historiques, t. Modèle:Rom-maj, février 1875). — [[Auteur :Édouard_Morren|Modèle:Sc]], Observations sur les procédés insecticides des Modèle:Lang (Bulletin de l’Académie de Belgique, juin 1875. La Belgique horticole, 1875, p. 290). — [[Auteur :Édouard_Morren|Modèle:Sc]], Note sur les procédés insecticides du Modèle:Lang, Bulletin de l’Académie de Belgique, juillet 1817, et Belgique horticole, 1875, p. 308). — [[Auteur :Édouard_Morren|Modèle:Sc]], Note sur le Modèle:Lang, Lab., sa structure et ses procédés insecticides (Bulletin de l’Académie de Belgique, novembre 1875). — [[Auteur :Édouard_Morren|Modèle:Sc]], La théorie des plantes carnivores et irritables (Bulletin de l’Académie de Belgique, novembre 1875). — [[d:Q64031695|Modèle:Sc]], Modèle:Lang Modèle:Lang. — [[d:Q64031695|Modèle:Sc]], Modèle:Lang, 3 juillet 1875. — Modèle:Lang Modèle:Lang, vol. Modèle:Rom-maj, p. 334.) — Modèle:Sc und Modèle:Sc, Modèle:Lang Modèle:Lang (Modèle:Lang 1875, n° 44). — [[d:Q843488|Modèle:Sc]], Modèle:Lang (Modèle:Lang, 29 juillet 1875). — [[Auteur :Jules-Émile_Planchon|Modèle:Sc]], Les plantes carnivores (Revue des Deux Mondes, Modèle:1er février 1876) Modèle:Droite
  2. Mon fils, Modèle:Corr, s’est chargé de dessiner les figures du Drosera et de la Dionée représentées dans ce volume ; mon fils Francis a dessiné l’Aldrovandie et les diverses espèces d’Modèle:Lang. Ces dessins ont été admirablement gravés sur bois par Modèle:M., 188, Strand.
  3. Nous possédons en France quatre espèces de Drosera ; savoir : Modèle:1o Modèle:Lang, ; L., la plus commune de toutes ; Modèle:2o Modèle:Lang, M. K. ; Modèle:3o Modèle:Lang, L., et Modèle:4o Modèle:Lang, Hayn. Elles habitent toutes les marais tourbeux, et les prairies spongieuses. Ainsi aux environs de Paris on trouve l’une ou l’autre des Modèle:Corr espèces, à Montmorency, Dampierre, Saint-Léger, Rambouillet, Compiègne, Russe-Montigny, Malesherbes, etc. Le Modèle:Lang est le plus rare de tous. La première et la dernière espèce sont signalées en Bretagne et en Vendée par Modèle:M.. La première est commune en Bourgogne, la dernière y est rare. Aux environs de Lyon, Modèle:M. mentionne la première et la troisième au Pilat et dans les marais de Dessines. Communs dans les Alpes, le Jura et les montagnes de l’Auvergne, les Drosera disparaissent avec les marais tourbeux dans les plaines de la Provence et du Languedoc. Le Modèle:Lang seul existe encore sur les derniers contre-forts des Cévennes vers le Sud et de la montagne Noire ; il reparaît ensuite dans toute la chaîne des Pyrénées. Cette espèce s’étend en latitude, du Cap nord, de la Laponie jusqu’en Portugal et en Syrie ; en longitude, des îles Aléontiennes au Canada, c’est-à-dire sur presque toute la circonférence du globe. Ce petit végétal, doué de propriétés physiologiques si extraordinaires, est originaire du Nord et s’est propagé vers le sud pendant l’époque glaciaire. Où peut consulter à cet égard mes observations sur l’origine glaciaire des tourbières du Jura neuchâtelois et la végétation spéciale qui les caractérise, insérées dans le Bulletin de la Société botanique de France, t. Modèle:Rom-maj, p. 406, et celles de Modèle:M. sur la flore des marais tourbeux du Lyonnais, ibid., t. Modèle:Rom-maj, p. 46, 1874. Les autres espèces du genre Drosera, au nombre de 50 environ, sont toutes exotiques et distribuées en Australie, dans les deux Amériques, en Asie et en Afrique. Modèle:Droite
  4. Selon Nitschke (Modèle:Lang, 1861, p. 224), le fluide pourpre provient de la métamorphose de la chlorophylle. M. Sorby a examiné cette matière colorante à l’aide du spectroscope, et il me dit qu’elle se compose de l’espèce la plus commune d’érythrophylle « que l’on trouve souvent dans les feuilles qui ont peu de vitalité et dans les parties de la feuille, telles que le pétiole, qui accomplissent de façon imparfaite les fonctions propres à la feuille. Tout ce que l’on peut donc dire, c’est que les poils (ou tentacules) sont colorés comme l’est la partie d’une feuille qui ne remplit pas ses fonctions. »
  5. Le Modèle:Dr Nitschke a discuté ce sujet dans la Modèle:Lang, 1861, p. 241, etc. Voir aussi le Modèle:Dr Warming (Sur la différence entre les Trichomes, etc., 1873), qui renvoie à diverses autres publications. Voir aussi Groenland et Trécul, Annales des sc. nat. Bot. (Modèle:4e série), t. Modèle:Rom-maj, 1855, p. 297 et 303.
  6. Nitschke a admirablement décrit et figuré ces papilles ; Modèle:Lang, 8611, p. 234, 253, 254.
  7. Modèle:Lang, 1860, Modèle:Pg.
  8. J’ai fait de nombreuses expériences, en m’entourant de toutes les précautions possibles, pour vérifier les opinions extraordinaires exprimées par [[Auteur :Martin Ziegler (biologiste)|Modèle:M.]] (Comptes rendus, mai 1872, [[Physiologie botanique. — Sur un fait physiologique observé sur des feuilles de Drosera. Note de M. Ziégler. (Extrait.)|Modèle:Corr]]), c’est-à-dire que les substances albumineuses acquièrent la propriété de faire contracter les tentacules du Drosera si on tient ces substances un instant entre les doigts, mais que, si on ne les touche pas elles perdent cette faculté. Le résultat de mes expériences n’a pas confirmé cette opinion. J’ai expérimenté en me servant d’éclats de charbon pris tout rouges dans le foyer, de morceaux de verre, de fils de coton, de papier buvard, de Modèle:Corr, que je plongeais dans l’eau bouillante avant de m’en servir ; je plaçais alors ces substances, en ayant soin de plonger aussi dans l’eau bouillante tous les instruments avec lesquels je les touchais, sur les glandes de différentes feuilles ; leur action est exactement la même que celle d’autres parcelles semblables qui avaient été tenues à dessein dans les doigts pendant quelque temps. Des morceaux d’œuf cuit, coupés avec un couteau qui avait été lavé à l’eau bouillante, agirent exactement comme toutes les autres substances animales. Je soufflai sur quelques feuilles pendant plus d’une minute, et je répétai cette action deux ou trois fois en plaçant ma bouche tout près de la feuille ; mais cela ne produisit aucun effet. Je puis ajouter ici, pour prouver que l’odeur des substances azotées n’a aucune action sur les feuilles, que je plaçai aussi près que possible de plusieurs feuilles des morceaux de viande crue, sans permettre toutefois qu’elles les touchassent, et qu’aucun effet ne fut produit. D’autre part, comme nous le verrons bientôt, les vapeurs de certaines substances volatiles et de certains liquides, tels que le carbonate d’ammoniaque, le chloroforme, certaines huiles essentielles, etc., provoquent l’inflexion. Modèle:M. constate quelques autres faits aussi extraordinaires, relativement au pouvoir de certaines substances animales placées immédiatement auprès, mais non pas en contact absolu avec le sulfate de quinine. Je décrirai, dans un prochain chapitre, l’action des sels de quinine. Depuis la publication du mémoire auquel je viens de faire allusion, Modèle:M. a publié sur le même sujet un volume intitulé : Atonicité et Zoïcité, 1874.
  9. Mon fils Francis, guidé par les observations du Modèle:Dr sur la Dionée, a constaté que si l’on plante deux aiguilles dans une feuille de Drosera, les tentacules ne se mettent pas en mouvement ; mais que si l’on place ces deux aiguilles en rapport avec les pôles de la bobine secondaire d’un appareil inducteur de Dubois, les tentacules s’infléchissent au bout de quelques minutes. Mon fils espère publier bientôt ses observations à ce sujet.
  10. À en juger d’après certaines observations de Modèle:M., dont je viens de lire le détail dans le Modèle:Lang (10 octobre 1874), un phénomène semblable se produit dans les étamines du Berberis après qu’elles ont été excitées par un attouchement et qu’elles se sont mises en mouvement ; il dit en effet « Le contenu de chaque cellule individuelle se groupe au centre de la cavité. »
  11. J’ai observé souvent chez d’autres plantes ce qui paraît être une vraie séparation de l’utricule primordial des parois des cellules ; cette séparation causée par une solution de carbonate d’ammoniaque peut être aussi le résultat de moyens mécaniques.
  12. Voir pour les plantes, Sachs, Traité de Bot., Modèle:3e éd., 1874, p. 864. Pour les globules du sang, voir : Modèle:Lang, avril 1874, p. 185.
  13. Selon Hofmeister (cité par Sachs, Traité de Bot., 1874, p. 958), une pression très-légère exercée sur la membrane cellulaire arrête immédiatement les mouvements du protoplasma et détermine même sa séparation des parois de la cellule. Mais l’agrégation est un phénomène différent, car elle affecte le contenu des cellules et n’affecte que secondairement la couche de protoplasma qui circule le long des parois ; bien que, sans aucun doute, les effets d’une pression ou d’un attouchement exercé sur l’extérieur doive se transmettre à travers cette couche.
  14. Lorsque j’entrepris mes expériences sur les effets de la chaleur, je ne savais pas que ce sujet avait fait l’objet des études attentives de plusieurs observateurs. Sachs, par exemple, est convaincu (Traité de Bot., 1874, p. 772, 854) que les espèces les plus différentes de plantes périssent toutes si on les maintient, pendant dix minutes, dans de l’eau portée à 45° ou 46° centig., soit 113° à 115° F. ; il en conclut que le protoplasma contenu dans les cellules se coagule toujours, s’il est à l’état humide, à une température de 50° à 60° centig., soit 122° à 140°F. Max Schultze et Kühne (cités par le docteur Bastian dans la Modèle:Lang, 1874, p. 528) « ont trouvé que le protoplasma des cellules des plantes sur lesquelles ils ont expérimenté a toujours été tué ou a toujours été profondément altéré par une brève exposition à une température de 118°5 F. (48° centig.) au maximum ». Comme mes résultats sont déduits de phénomènes spéciaux, c’est-à-dire l’agrégation subséquente du protoplasma et le redressement des tentacules, il me semble utile de les indiquer. Nous verrons que le Modèle:Lang résiste à la chaleur un peu mieux que la plupart des autres plantes. Il n’est pas étonnant que l’on trouve des différences considérables sous ce rapport si l’on considère que quelques organismes végétaux inférieurs croissent dans les sources d’eau chaude ; on peut consulter à cet égard les faits cités par le professeur Wyman (Modèle:Lang Modèle:Lang, vol. Modèle:Rom-maj, 1867.) Ainsi, le docteur Hooker a trouvé des conferves dans de l’eau à 168° F. (75°,5 centig.) ; Humboldt dans de l’eau à 185° F (85° centig.) et Descloiseaux à 208° F. (97°,7 centig.).
  15. Sachs constate (Traité de Bot., 1874, p. 855) que les mouvements du protoplasma dans les poils d’une courge cessent après une immersion d’une minute dans de l’eau portée à une température de 47° à 48° centig., soit 117° à 119° F.
  16. Traité de Bot., 1874, p. 1034.
  17. L’opacité et l’aspect de porcelaine des glandes étant probablement dus à la coagulation de l’albumine, je puis ajouter, en m’appuyant sur l’autorité du docteur Burdon Sanderson, que l’albumine se coagule à environ 155° F. ; toutefois, en présence d’acides, la température de coagulation est plus basse. Les feuilles du Modèle:Lang contiennent un acide ; or, une différence dans la quantité contenue dans chaque feuille explique peut-être les légères différences que présentent les résultats indiqués ci-dessus.
  18. Il paraît que les animaux à sang froid sont, comme on aurait pu s’y attendre d’ailleurs, beaucoup plus sensibles que le Modèle:Lang à une augmentation de température. Ainsi le docteur Burdon Sanderson m’apprend qu’un crapaud commence à montrer des signes d’inquiétude dans de l’eau portée à la température de 85° F. (30°,6 cent.) seulement. À 95° F. (35,0 cent.) les muscles deviennent rigides et l’animal meurt en se raidissant.
  19. Les mucosités provenant des bronches contiennent, selon Marshall, Modèle:Lang, vol. Modèle:Rom-maj, 1867, p. 364, un peu d’albumine.
  20. Müller, Modèle:Lang, Traduct. anglaise, vol. Modèle:Rom-maj, p. 514.
  21. Watts, Modèle:Lang, vol. Modèle:Rom-maj, p. 568.
  22. Leçons sur la phys. de la digestion, tome Modèle:Rom-maj, p. 379 ; tome Modèle:Rom-maj, p. 154, 166, sur la légumine.
  23. J’employai des feuilles cueillies avant la formation du cœur ; ces feuilles contiennent 2,1 p. 100 de matières albumineuses ; les feuilles externes de la plante complètement développée n’en contiennent que 1,6 p. 100. Watts, Modèle:Lang, vol. Modèle:Rom-maj, p. 653.
  24. Il paraît cependant, d’après Schiff, et contrairement à l’opinion de quelques physiologistes, que l’acide chlorhydrique étendu dissout, bien que lentement, une très-petite quantité d’albumine coagulée. Schiff, Phys. de la digestion, t. Modèle:Rom-maj (1867), p. 25.
  25. Dans mes nombreuses expériences sur l’a digestion des cubes d’albumine, j’ai observé invariablement que les angles et les bords s’arrondissaient d’abord. Or, Schiff constate (Leçons phys. de la digestion, vol. Modèle:Rom-maj, p. 149, 1867) que c’est là un des caractères de la digestion de l’albumine par le suc gastrique des animaux. D’autre part, il remarque que « les dissolutions en chimie ont lieu sur toute la surface des corps en contact avec l’agent dissolvant. »
  26. Sachs fait remarquer (Traité de Bot., 1874, p. 774) que les cellules tuées par la gelée, par une trop grande chaleur, ou par des agents chimiques, laissent échapper leur matière colorante dans l’eau qui les entoure.
  27. Pour contrôler cette expérience, je plongeai des petits morceaux d’albumine dans de la glycérine additionnée d’acide chlorhydrique de la même force ; comme on pouvait s’y attendre, l’albumine était encore parfaitement intacte au bout de deux jours.
  28. Leçons phys. de la digestion, 1867, t. Modèle:Rom-maj, p. 114-126.
  29. Leçons phys. de la digestion, t. Modèle:Rom-maj, p. 145.
  30. Docteur Lauder Brunton, Modèle:Lang, 1873, pp. 477, 487 ; Schiff, Leçons phys. de la digestion, 1867, p. 249.
  31. Le docteur Lauder Brunton a publié dans le Modèle:Lang, janvier 1873, p. 36, un résumé des opinions de Voit sur la part indirecte que joue la gélatine dans la nutrition.
  32. Leçons phys. de la digestion, t. Modèle:Rom-maj, p. 151.
  33. Docteur Lauder Brunton, Modèle:Lang, Modèle:Corr.
  34. Leçons phys. de la digestion, t. Modèle:Rom-maj, p. 153.
  35. Modèle:M. a trouvé dans le canal intestinal des diptères qui se nourrissent de pollen, les parois non digérées des grains. — Voir Modèle:Lang, t. Modèle:Rom-maj, 1874, p. 158.
  36. Watts, Modèle:Lang, t. Modèle:Rom-maj, 1872, p. 873.
  37. Watts, Modèle:Lang, t. Modèle:Rom-maj, p. 874.
  38. Je puis ajouter que le docteur Sanderson a préparé d’autre globuline par la méthode de Schmidt ; pendant le même laps de temps, c’est-à-dire pendant une heure, le même liquide a pu dissoudre 0,865 de cette globuline. La globuline préparée par ce système est donc beaucoup plus soluble que celle que j’ai employée, bien qu’elle soit moins soluble que la fibrine dont, comme nous l’avons vu, le liquide a dissous 1,31. Je regrette de n’avoir pas essayé sur les feuilles du Modèle:Lang de la globuline préparée par cette méthode.
  39. Voir, par exemple, Schiff, Phys. de la Digestion, 1867, t. Modèle:Rom-maj, p. 38.
  40. Leçons phys. de la Digestion, 1867, t. Modèle:Rom-maj, p. 304.
  41. Phys. de la Digestion, 1867, t. Modèle:Rom-maj, p. 188-245.
  42. Voir la classification adoptée par le docteur Michael Foster dans le Modèle:Lang de Watts, supplément, 1872, p. 969.
  43. Modèle:M., un des deux fils de l’auteur, a inséré dans le tome Modèle:Rom-maj, p. 309, du Modèle:Lang, un mémoire complémentaire avec planche, intitulé : Modèle:Lang. Cette publication est postérieure à celle du présent ouvrage en anglais. Je crois donc devoir en donner un extrait. L’auteur rappelle que son père a désigné sous le nom d’Modèle:Lang les changements qui ont lieu dans l’intérieur des tentacules du Modèle:Lang. Sous l’influence Modèle:1o d’attouchements répétés ou du contact prolongé d’agents mécaniques organiques ou inorganiques ; Modèle:2o de l’absorption de certaines solutions, telles que du carbonate d’ammoniaque ou de la viande ; Modèle:3o de la chaleur ; Modèle:4o des phénomènes d’endosmose dus à l’immersion dans la glycérine, par exemple. L’agrégation a lieu également dans le pédicelle du tentacule et dans la glande qui le surmonte. Le pédicelle se compose de cellules allongées ayant 0Modèle:E,016 de diamètre ; celles du milieu et du haut sont remplies d’un liquide rosé, qui fait défaut dans les cellules inférieures et les tentacules de feuilles avortées ou venues à l’ombre. Les courants protoplasmatiques suivent les parois de la cellule ou forment un réseau compliqué comme dans les poils staminaux du Modèle:Lang. Modèle:M. ni son père n’ont pu y découvrir de Modèle:Lang, mais il y a des grains de chlorophylle dans les cellules inférieures du tentacule : jaunes et avortés dans les moyennes, ils ne contiennent pas de fécule, mais sont de nouveau bien développés dans les cellules supérieures.
    Le passage de l’état ordinaire et normal à celui d’agrégation est très-frappant et très-divers. Au lieu d’un liquide rosé homogène, on voit apparaître des masses de matière d’un rouge cramoisi, suspendues dans un liquide incolore ; ces masses changent de forme et de position souvent avec une telle rapidité qu’on n’a pas le temps de les dessiner. Quelle que soit la cause de l’agrégation, celle-ci se propage du haut en bas de la glande au tentacule. Modèle:M. compare ces mouvements à ceux des amibes et des globules blancs du sang, et considère les masses agrégées comme protoplasmatiques. Modèle:M., dans son analyse des Plantes insectivores (Modèle:Lang, 1876, p. 454), décrivant l’agrégation (Modèle:Lang) de la Modèle:Corr rouge, ne parle pas de protoplasma. Cependant on ne saurait considérer ces phénomènes d’agrégation comme purement mécaniques et comparables à la confluence de petites gouttes d’huile qui se réunissent entre elles pour en former de plus grandes ; c’est un mouvement vital, et par conséquent protoplasmatique. Si l’on admet avec le professeur Cohn que ces masses agrégées ne sont qu’une condensation passive du liquide intra-cellulaire, il faudrait admettre une impulsion venant du dehors qui agirait sur les masses passives du protoplasma.
    Il est généralement reconnu qu’une cellule végétale adulte se compose d’une paroi externe contenant un sac renfermant le liquide cellulaire et le protoplasma qui envoie dans toutes les directions des lames ou des fils qui traversent le suc cellulaire. Le professeur Strasburger (Sur la formation des cellules, p. 263) considère la séparation du protoplasma en granules, couche membraneuse et Modèle:Lang, comme une division du travail dans laquelle le Modèle:Lang préside aux phénomènes moléculaires, tandis que la couche membraneuse limite l’ensemble, et que la couche granuleuse, ou plasma, est le principe nutritif. Or, les cellules des tentacules du Modèle:Lang ont les fonctions vitales communes à toutes les cellules, et, en outre, le pouvoir d’absorber certaines substances alimentaires et d’obéir à des stimulus spéciaux. Il n’est donc pas étonnant qu’elles contiennent une forme particulière de protoplasma. La matière colorante rouge des cellules ne fait pas partie intégrante du liquide cellulaire, car elle se comporte autrement. à la mort de la cellule que dans le Modèle:Lang, par exemple, où elle est simplement dissoute dans ce liquide.
    Quand l’agrégation est bien marquée sous l’influence du carbonate d’ammoniaque, par exemple, les masses agrégées changent de couleur ; celle-ci devient plus intense, la masse augmente de densité ; ces effets se propagent de l’extrémité à la base du tentacule. Les masses agrégées sont d’abord mobiles et circulent comme les globules du sang, puis elles restent immobiles et prennent une forme rayonnée quand on les comprime avec le verre qui les recouvre sur le porte-objet du microscope. À la mort de la cellule, les masses deviennent troubles et se résolvent en granules qui remplissent la cellule.
    Sous l’action des réactifs, ces masses présentent les caractères assignés par Sachs au protoplasma. Elles ne se dissolvent pas dans l’alcool absolu, la térébenthine ou la créosote ; elles ne sont pas colorées en bleu par l’iode ou la solution de Schultze, mais d’autres réactions semblent les ranger dans les substances albuminoïdes, telles que la caséine, la fibrine et l’albumine.
    Dans une cellule normale, on reconnaît, avant l’agrégation, des courants de matière protoplasmatique qui ne sont pas incolores, mais semblent formés de granules entraînés par un liquide faiblement réfringent ; quand les phénomènes d’agrégation commencent, ces courants sont incolores, quoique charriant des granules. Sous l’influence de la chaleur, le réseau des courants de protoplasma change sans cesse de forme, ce qui tend à diviser les masses agrégées. Dans des masses définitivement agrégées, on n’observe plus de courant, et Modèle:M. père attribue ce phénomène à la disposition des granules, grâce auxquels les courants sont visibles ; il suppose que ces granules sont absorbés par les masses agrégées. Quelquefois, cependant, on voit quelques granules isolés circulant dans l’intérieur de la cellule.
    L’impression de l’auteur est que les courants protoplasmatiques seuls sont incapables de produire les changements qui s’opèrent dans les masses agrégées, et il compare leur formation à celle des amas de chlorophylle que son père a observés dans les cellules du Modèle:Lang, de l’Modèle:Lang, sous l’influence du carbonate d’ammoniaque, et que Sachs a revus dans les cellules de plantes placées dans des circonstances défavorables de végétation. Modèle:Droite
  44. Il est très-difficile, à peine possible même, de se figurer ce que représente un million. Le mode le plus facile d’y arriver que je connaisse est celui que propose Modèle:M. : si l’on prend une bande de papier étroite, ayant 83 pieds 4 pouces (25Modèle:E,40) de longueur, et qu’on la colle sur le mur d’une grande salle, et que l’on marque à une des extrémités 1/10Modèle:E de pouce (0Modèle:E,00253), ce dixième représente 100, et la bande entière 1000000.
  45. Quand j’ai fait mes premiers essais avec l’azotate d’ammoniaque, il y a de cela quatorze ans, on n’avait pas encore découvert la puissance du spectroscope au point de vue de l’analyse chimique ; je ressentais donc d’autant plus d’intérêt pour la puissance alors sans rivale du Modèle:Lang. Aujourd’hui le spectroscope a complètement battu le Modèle:Lang, car, selon Bunsen et Kirchoff, on peut, au moyen de cet instrument, reconnaître la présence de moins de 1/200,000,000 de grain de sodium (voir Balfour Stewart, Modèle:Lang, Modèle:2e édition, 1871, p. 228). Quant aux réactifs chimiques ordinaires, je lis dans l’ouvrage du docteur Alfred Taylor sur les poisons, que l’on peut découvrir environ 1/4000 de grain d’arsenic, 1/4400 de grain d’acide prussique, 1/1400 de grain d’iode, et 1/2000 de grain de tartrate d’antimoine ; toutefois on ne peut arriver à isoler ces substances qu’autant que les solutions sur lesquelles on opère ne sont pas très-faibles.
  46. Miller, Modèle:Lang, part. Modèle:Rom-maj, p. 107, Modèle:3e édition, 1864.
  47. Mon fils, Georges Darwin, a calculé le diamètre d’une sphère de phosphate d’ammoniaque (densité, 1,678) pesant 1/20,000,000Modèle:E de grain, et il trouve que ce diamètre est de 1/1644Modèle:E de pouce. Le docteur Klein m’apprend que les plus petits micrococcus que l’on peut distinctement distinguer avec un microscope, grossissant 800 fois en diamètre, ont un diamètre que l’on estime de 0Modèle:E,0002 à 0Modèle:E,0005, c’est-à-dire du 1/56,800Modèle:E à 1/127,000Modèle:E de pouce. Par conséquent, un objet ayant de 1/31Modèle:E à 1/77Modèle:E de la grandeur d’une sphère de phosphate d’ammoniaque, peut se distinguer avec un fort grossissement ; et personne ne supposera que l’on puisse distinguer avec un microscope, si puissant qu’il soit, des parcelles odorantes telles que celles émises par le cerf dans l’exemple que nous venons de citer.
  48. Ces sels sont disposés en groupes, selon la classification chimique adoptée dans le dictionnaire de chimie de Watts.
  49. Miller, Modèle:Lang, Modèle:3e édition, pages 337, 448.
  50. Voir les articles Glycérine et Acide oléique dans Modèle:Lang.
  51. Selon [[Auteur:Eugène_Fournier|Modèle:M.]], De la fécondation dans les Phanérogames, 1863, p. 61, une goutte d’acide acétique, d’acide chlorhydrique ou d’acide sulfurique, provoque la fermeture immédiate des étamines du Modèle:Lang, bien qu’une goutte d’eau n’ait pas cette faculté, comme je peux l’affirmer moi-même.
  52. Miller, Modèle:Lang, Modèle:1re partie, 1867, p. 87.
  53. Modèle:Lang, avril 1874, p. 185.
  54. Binz a découvert, il y a plusieurs années, ainsi qu’il est constaté dans le Modèle:Lang, novembre 1872, p. 185, que la quinine est un poison violent pour les organismes végétaux et les animaux inférieurs. Une partie de quinine ajoutée à 4000 parties de sang suffit pour arrêter les mouvements des Modèle:Corr blancs qui deviennent arrondis et granuleux. Dans les tentacules du Modèle:Lang, les masses agrégées de protoplasma qui paraissaient tuées par la quinine avaient aussi un aspect granuleux. L’eau très-chaude produit un effet semblable.
  55. Modèle:Dr, Modèle:Lang, 1872, p. 150.
  56. Modèle:Lang, 18 février 1875.
  57. Modèle:Lang, 1874, p. 671. — Des observations à peu près semblables ont été faites en 1798 par B.-S. Barton.
  58. Voir les curieuses expériences du Modèle:Dr sur la production des cellules artificielles et sur leur perméabilité pour différents sels. On trouvera les détails de ces expériences dans les mémoires, suivants du docteur : « Modèle:Lang », Breslau, 1866 ; et « Modèle:Lang », Breslau, 1874. Ces recherches expliquent peut-être les résultats que j’ai obtenus. Le Modèle:Dr a employé ordinairement, comme membrane, le précipité qui se forme quand l’acide tannique se trouve en contact avec une solution de gélatine. En laissant se former en même temps un précipité de sulfate de baryte, la membrane est imprégnée de ce sel ; et, en conséquence de l’interposition des molécules de sulfate de baryte au milieu des molécules du précipité de gélatine, les interstices moléculaires de la membrane deviennent plus petits. Dans cet état, la membrane ne se laisse plus traverser par le sulfate d’ammoniaque ou par l’azotate de baryte, bien qu’elle soit encore perméable pour l’eau et pour le chlorure d’ammoniaque.
  59. [[s:en:Author:Joseph Fayrer|Modèle:Dr]], [[s:en:Index:Fayrer - The Thanatophidia of India, 1872.djvu|Modèle:Lang]], 1872, p. 4.
  60. L’acide acétique, l’acide cyanhydrique, l’acide chromique, l’acétate de strychnine et la vapeur de l’éther sont des poisons pour le Modèle:Lang ; il est donc fort remarquable que le Modèle:Dr, Modèle:Lang, 1867, p. 480, qui a employé des solutions beaucoup plus fortes de ces substances que je ne l’ai fait, dise « que la contractibilité rhythmique du jaune (de l’œuf d’un brochet) n’est pas matériellement influencée par les poisons qu’il a essayés, à condition qu’ils n’agissent pas chimiquement, sauf le chloroforme et l’acide carbonique ». Je lis dans plusieurs auteurs que le curare n’a aucune influence sur le sarcode ou protoplasma ; or, nous avons vu que, bien que le curare provoque une certaine inflexion, il ne cause qu’une très-faible agrégation du protoplasma.
  61. Sachs, Traité de Bot., 1874, p. 846, 1037.
  62. Modèle:Lang, 1860, p. 234.
  63. Modèle:Lang, 1860, p. 437.
  64. Modèle:Lang, 1860, p. 240
  65. [[Auteur:Martin_Ziegler_(biologiste)|Modèle:M.]] a fait des expériences semblables en coupant les vaisseaux spiraux du Modèle:Lang (Compt. rendus, 1874, p. 1417), mais il en est arrivé à des conclusions très-différentes des miennes.
  66. Modèle:Lang de la Soc. d’hist. nat. de Copenhague Modèle:Nos 10-12, 1872, fig. 4 et 5.
  67. Sachs, Traité de Bot., Modèle:3e édit., 1874, p. 1038. Cette hypothèse a été, je crois, suggérée pour la première fois par Lamarck.
  68. Sachs, Modèle:Lang, p. 919.
  69. Modèle:Lang, 1861 ; Heft I ; les Modèle:Lang, Modèle:3e série, 1863, vol. Modèle:Rom-maj, p 188-197, contiennent un excellent résumé de ce mémoire.
  70. Modèle:Mme a fait dans le Modèle:Lang, déc. 1873, p. 705, une excellente description du Modèle:Lang qui, sous bien des rapports, ressemble au Modèle:Lang, au Modèle:Lang et au Modèle:Lang.
  71. Modèle:Lang, décembre 1873, p. 705.
  72. [[Auteur:Édouard_Morren|Modèle:M.]] a étudié le Modèle:Lang Labill. de la Nouvelle-Hollande (voyez J.-E. Planchon, sur la famille des Droseracées ; Ann. Sciences naturelles, 1848, p. 206.) qu’il a cultivé en serre. La feuille, dit-il, offre quatre divisions longues et étroites, légèrement creusées en gouttière et hérissées de tentacules de longueur variée : les marginaux ont jusqu’à cinq millimètres de long et sont couverts de grands stomates dont l’ostiole a souvent 0,02 de millim. de longueur. Ces tentacules agissent comme ceux des Modèle:Lang européens et Modèle:M. a vérifié tous les phénomènes de capture observés par Modèle:M. sur des insectes ou des substances azotées et l’indifférence de ces mêmes tentacules pour des substances telles que du papier, de la moelle de sureau, la cire, la bougie, etc. L’inflexion des tentacules s’opère plus rapidement que dans le Modèle:Lang et le lobe même de la feuille se courbe en arc de cercle. Un morceau d’albumine enlacé devient transparent au bout de huit à dix heures et ne se putréfie pas. L’auteur réserve la question de l’absorption et de la nutrition sur lesquelles il se propose d’instituer de nouvelles expériences. (Voyez pour plus de détails le Bulletin de l’Académie de Belgique, Modèle:2e série, t. Modèle:Rom-maj, novembre 1875.) Modèle:Interligne Modèle:Droite
  73. Modèle:Lang, 1874, p. 209.
  74. Je crois devoir donner ici l’historique de la découverte des propriétés insectivores du Modèle:Lang. Je traduis le Résumé publié par Modèle:M., en 1874, dans son discours inaugural à l’Association britannique, réunie à Belfast, en le complétant par quelques additions.
    En 1765, Ellis, naturaliste bien connu en Angleterre, écrivait à Linnée : « Notre excellent ami Modèle:M. m’a envoyé un échantillon sec d’une plante curieuse qu’il a reçue de Modèle:M. de Philadelphie, botaniste du dernier roi. » (Modèle:Lang, p. 38.) Et en 1768, il lui adressait un dessin de cette plante, qu’il avait nommée Modèle:Lang. Ayant reçu des pieds vivants d’Amérique, Ellis vit la plante fleurir dans sa chambre. Voici la relation qu’il adressait au grand naturaliste suédois qui, émerveillé de son récit, appelait la Modèle:Lang un Modèle:Lang (Smith, Correspondance de Linnée, t. Modèle:Rom-maj, p. 38). « La plante dont cette lettre contient une figure avec des échantillons des feuilles et des fleurs montre que la nature semble l’avoir douée d’un mode de nutrition spécial, car le limbe de la feuille offre une articulation médiane qui lui permet de saisir une proie ; le dard qui perce le malheureux insecte se trouve au milieu. De petites glandes rouges couvrent sa surface et sécrètent peut-être un liquide sucré qui attire le pauvre animal. À peine a-t-il goûté la perfide liqueur que les deux lobes, garnis de deux rangs de poils, se rapprochent et l’écrasent. S’il fait des efforts pour s’échapper, trois épines droites saillantes au milieu de chaque lobe le transpercent et mettent fin à ses convulsions. Les lobes ne s’écartent pas tant que le cadavre de l’animal gît entre eux. Il est certain néanmoins que la plante ne sait pas distinguer une substance animale d’une substance minérale ou végétale ; car si l’on introduit une épingle ou une paille entre les deux lobes, ils se referment comme si c’était un insecte. »
    Linnée n’admettait pas, comme le soupçonnait Ellis, que la Dionée fût réellement insectivore ; il croyait qu’elle lâchait l’insecte dès qu’il ne remuait plus (Modèle:Lang, 1771, p. 238). Pour lui ces phénomènes étaient analogues à ceux de la sensitive, la capture de l’insecte n’était qu’un effet accidentel et il n’ajoutait pas foi à l’assassinat du prisonnier par les épines du limbe de la feuille.
    Notre grand philosophe Diderot, le promoteur et le principal collaborateur de l’Encyclopédie, entendit probablement parler des phénomènes de la Modèle:Lang à cette époque ; il en fut frappé, prévit leurs conséquences, et c’est lui qui le premier parla de plantes carnivores, expression qui devait rencontrer tant d’incrédulité et susciter tant de colère chez ceux qui de nos jours encore opposent des passages de la Bible, où il est dit que les végétaux ont été créés pour nourrir les animaux, à l’observation et à l’expérience démontrant que cette loi générale n’est pas sans exceptions. Le nom de celui qui le premier prononça ces paroles prophétiques ne peut qu’ajouter à l’irritation des adversaires de la nutrition directe de certaines plantes se nourrissant de petits animaux capturés, tués et absorbés par elles. Le passage de Diderot est fort clair ; il se trouve dans une Modèle:Tiret2 de notes, conservées à la Bibliothèque du palais de l’Ermitage, près de Pétersbourg, et a été publié pour la première fois dans l’édition de Diderot par Assezat, t. Modèle:Rom-maj, Modèle:Pg257. Voici ce passage : « Contiguïté du règne végétal et du règne animal. Plante de la Caroline appelée Modèle:Lang, a les feuilles étendues à terre par paires et à charnières ; ces feuilles sont recouvertes de papilles. Si une mouche se place sur la feuille, cette feuille et sa compagne se ferment comme l’huître, sentent et gardent leur proie, la sucent et ne la rejettent que quand elle est épuisée de sucs. Voilà une plante presque carnivore. Je ne doute pas que la Muscipula ne donnât à l’analyse de l’alcali volatil (ammoniaque), produit caractéristique du règne animal. »
    En 1784, Broussonnet s’efforça d’expliquer le rapprochement des limbes de la feuille il croyait que l’insecte la titillait et provoquait l’excrétion du liquide qui la rendait turgescente (Mém. de l’Acad. des Sciences, 1784, Modèle:Pg614). Érasme Darwin supposait que la Modèle:Lang était entourée de Modèle:Corr qui devaient préserver ses fleurs des déprédations des insectes (Modèle:Lang, pl. Modèle:Rom-maj, Modèle:Pg15).
    [[w:Sydenham Teast Edwards|Modèle:M.]], dessinateur du Modèle:Lang, constata le premier, en 1804, dans le texte qui accompagne la planche 785 du vingtième volume de ce recueil, que les organes filiformes de la feuille du Modèle:Lang sont doués de sensibilité et déterminent le rapprochement de ses deux lobes, et vers 1818, un jardinier anglais bien connu par ses expériences sur la direction de la radicule des graines germantes, Andrew Knight, constatait qu’un pied de Modèle:Lang, sur les feuilles duquel il étendait de petites lanières de viande, végétait plus vigoureusement qu’un autre qui était abandonné à lui-même. (Modèle:Lang, 1818, t. Modèle:Rom-maj, Modèle:Pg295.)
    En 1803, mon prédécesseur, R. Delile, nommé consul à Wilmington (Caroline du Nord), où croît la Modèle:Lang, l’étudia sur place et rapporta des échantillons conservés dans l’herbier du jardin des plantes de Montpellier. Sur l’un d’eux une grosse araignée est emprisonnée dans la feuille. Mais il ne publia pas ses observations ; cette tâche fut remplie par Curtis, qui habitait également Wilmington. Sa note se trouve à la page 123 du Modèle:1er volume du Modèle:Lang de Boston, paru en 1834. « La feuille, dit-il, est un peu concave à sa face interne qui porte trois organes filiformes placés de façon qu’un insecte qui traverse la feuille les touche nécessairement ; alors les deux lobes se rapprochent, l’emprisonnent avec une force supérieure à la sienne. Les poils qui bordent les deux moitiés de la feuille s’entre-croisent comme les doigts de deux mains jointes ; mais la sensibilité réside exclusivement dans les organes filiformes dont nous avons parlé, et on peut toucher ou presser toute autre partie de la feuille sans déterminer la contraction. L’insecte prisonnier n’est point écrasé ou assassiné, car souvent j’ai délivré des mouches et des araignées qui s’échappaient saines et sauves. D’autres fois je les ai trouvées entourées d’un liquide mucilagineux qui semblait dissoudre leur cadavre. » On voit que si Ellis a observé le fait de la capture des insectes, Curtis a pressenti, comme Diderot, la digestion et l’absorption de leur corps.
    Il faut arriver à l’année 1868 pour trouver de nouvelles observations sur la Modèle:Lang ; elles sont dues à Modèle:M., botaniste américain habitant Wilmington. Plaçant sur les feuilles de petits morceaux de viande de bœuf, il vit qu’ils avaient été complètement dissous et absorbés. La surface interne de la feuille, en s’ouvrant de nouveau, était complètement sèche et prête à prendre un autre repas. Il trouva que le fromage ne convenait pas aux feuilles, qu’elles devenaient noires et périssaient ensuite. Les vains efforts d’un Modèle:Lang pour s’échapper de sa prison lui prouvèrent que le liquide dissolvant est sécrété par la feuille et non le résultat de la décomposition du corps animal. Ce Modèle:Lang étant d’une nature énergique parvint à s’échapper en faisant un trou à la feuille ; le liquide sécrété s’écoula par le même orifice. (Modèle:Lang, 1868, p. 220.)
    À la réunion de l’Association britannique, en 1873, le Modèle:Dr communiqua des expériences qu’il avait faites sur la contraction des feuilles de Modèle:Lang. De même que pendant la contraction d’un muscle le pouvoir électromoteur disparaît, de même, sous l’influence de la contraction du protoplasma qui remplit les cellules de la feuille du Modèle:Lang, ce pouvoir électromoteur est également suspendu. Telles sont les observations qui ont précédé celles de Modèle:M.. Celles qui lui sont postérieures seront consignées dans les notes qui accompagnent cette traduction. Modèle:Interligne Modèle:Droite
  75. Modèle:Lang, 1874, p. 464.
  76. Le docteur W. Ganby de Wilmington, à l’obligeance duquel je dois de nombreux détails sur la Dionée à l’état sauvage, a publié dans le Modèle:Lang, Philadelphie, août 1868, quelques observations intéressantes. Il s’est assuré que la sécrétion digère les substances animales telles que le contenu des insectes, les morceaux de viande, etc., et que la sécrétion est réabsorbée. Il savait aussi que les lobes restent fermés beaucoup plus longtemps quand ils se trouvent en contact avec des matières animales que quand ils se ferment à la suite d’un attouchement ou sur des corps qui ne fournissent aucun aliment soluble ; il savait, en outre, que, dans ces derniers cas, les glandes ne sécrètent pas. Le révérend docteur Curtis a observé le premier la sécrétion des glandes (Modèle:Lang, vol. Modèle:Rom-maj, p. 123). Je puis ajouter ici qu’un jardinier, Modèle:M. a, dit-on, observé (Kirby et Spencer, Modèle:Lang, 1818, vol. Modèle:Rom-maj, p. 295) qu’un plant de Dionée sur les feuilles duquel « il plaçait des filaments très-fins de bœuf cru, avaient une végétation beaucoup plus puissante que ceux qu’il ne traitait pas de la même façon ».
  77. [[w:John Hutton Balfour|Modèle:M.]], professeur de botanique à l’Université d’Édimbourg, a publié un mémoire intitulé : Modèle:Lang, dans le recueil intitulé : Modèle:Lang, t. Modèle:Rom-maj, p. 334. La communication verbale à la Société est du 10 juin 1875.
    Irritabilité. — Elle existe seulement dans les six poils de la face supérieure de la Modèle:Lang ; mais ne se rétablit pas immédiatement après l’absorption de matières animales. Ainsi une grosse mouche bleue placée sur une feuille fut prise entre les valves, et absorbée en vingt-six jours. Le vingt-septième, ces poils stimulés à plusieurs reprises ne donnèrent aucun signe de sensibilité ; celle-ci varie suivant diverses circonstances : le soleil la favorise, l’eau n’exerce aucune action, même lorsque les poils sont noyés dans le liquide. Le chloroforme, au contraire, agit énergiquement. Si on coupe les poils sensibles, la feuille se ferme encore sous l’influence d’un choc ou d’une irritation, mais d’une manière irrégulière et incomplète. Modèle:Corr l’on coupe une valve de la feuille et qu’on y place une mouche, cette valve se replie sur elle comme une feuille de Modèle:Lang.
    Fermeture des valves. — Elle se produit quelle que soit la nature du corps étranger interposé entre elles, mais ne persiste que dans le cas où le corps peut servir à la nutrition de la plante ; ainsi les valves ne restent pas appliquées l’une contre l’autre, si on introduit entre elles un fragment de bois, une épingle, du plâtre, un fragment de feuille. L’auteur essaya de tromper la Modèle:Lang en lui donnant une mouche vivante enrobée de plâtre et un fragment de feuille, mais le lendemain les appendices marginaux étaient rouges et la feuille presque ouverte, la mouche n’avait nullement été attaquée et les petits fragments de plâtre semblaient avoir été mouillés, puis séchés de nouveau. Les valves, en se fermant, se rejoignent par leurs bords, mais au milieu elles laissent une cavité dans laquelle l’insecte est libre : en se rapprochant plus tard elles l’écrasent s’il a un corps mou, tel que les papillons, les araignées, les millepieds. Les coléoptères ne sont pas écrasés, mais conservent leurs formes, ce sont les appendices marginaux de la feuille qui, en s’entre-croisant, retiennent l’insecte prisonnier. Après une prise, les valves ne se séparent qu’au bout de deux à trois semaines. Quant au mécanisme du rapprochement des deux valves, Modèle:M. confesse ses incertitudes qui seront partagées par plus d’un lecteur.
    Sécrétion. — Le professeur Dewar a trouvé que le liquide sécrété renfermait de l’acide formique en petite quantité. Il existe aussi dans les orties brûlantes. La sécrétion n’a lieu que quelque temps après la capture de l’insecte et elle est due aux glandes vertes ou rouges dont la surface de la feuille est couverte. Modèle:M. s’est assuré qu’elle n’avait lieu que lorsqu’un animal ou de la viande étaient emprisonnés dans la feuille.
    Digestion. — Modèle:M. et d’autres auteurs combattent cette expression et nient toute analogie entre la dissolution de substances animales et une véritable digestion stomachale ayant pour résultat l’assimilation de ces substances à nos tissus. Modèle:M. admet cette expression et cite des expériences de Modèle:M., qui a vu des Modèle:Lang mis à l’abri de la visite des insectes par une cloche en verre végéter moins vigoureusement que ceux qui étaient en plein air. Il y a des substances que la Modèle:Lang ne digère pas, le fromage, par exemple. Modèle:M. a vu périr une plante qu’il avait mise à ce régime, et Modèle:M. a constaté qu’une feuille rejetait un liquide sentant fortement le fromage qu’on avait introduit entre les valves. En gorgeant les feuilles de nourriture, Modèle:MM. ont déterminé de véritables indigestions avec vomissement d’une partie des substances ingérées et diminution du pouvoir digestif de la feuille. Deux mouches, deux araignées paraissent être la dose limite qu’il ne faut pas dépasser.
    Absorption et assimilation. — L’insecte converti en pulpe blanchâtre disparaît, il y a donc absorption. Comment s’opère-t-elle ? Modèle:M. a teint des insectes et de la viande en rouge par la cochenille, en bleu par l’indigo, espérant que ces principes colorants seraient absorbés, ils ne le furent pas, mais rejetés au dehors. Il se demande si les organes ressemblant à des Modèle:Tiret2 et placés au centre des cellules ne seraient pas des organes absorbants.
    Quand les auteurs cherchent pourquoi les feuilles des Modèle:Lang, Modèle:Lang, Modèle:Lang, etc., capturent les insectes, ils supposent toujours un but déterminé, une cause, finale. Il est probable en effet qu’il en résulte quelque avantage pour la plante. Néanmoins on doit aussi se poser la question préjudicielle de savoir si, en effet, ces captures profitent à la plante et si elles ne sont pas dépourvues pour elle de toute utilité réelle, comme les nombreux organes évidemment inutiles aux végétaux et aux animaux qui en sont pourvus. Il peut en être de même des fonctions et cette chasse aux insectes, cette dissolution, cette absorption de leurs tissus pourrait bien n’avoir aucune utilité immédiate et n’être que l’ébauche d’une fonction habituelle chez les animaux inférieurs fixes tels que les Polypes, les Actinies, etc., où la digestion et l’assimilation ne sont pas douteuses. Manifeste chez les Droséracées, absente ou obscure dans les autres plantes, cette fonction complémentaire des fonctions de nutrition par les racines, qui subsistent toujours, ne serait qu’un argument de plus en faveur de l’origine commune des végétaux et des animaux. Je ne dis pas qu’il en soit ainsi, je ne le crois même pas, mais la question peut se poser, et ici, comme toujours, il faut s’en tenir aux faits observés et à leurs conséquences immédiates sans supposer un but final qui peut-être n’existe pas. Modèle:Interligne Modèle:Droite
  78. Docteur Curtis, dans Modèle:Lang, vol. Modèle:Rom-maj, 1837, p. 123.
  79. Le docteur Canby fait remarquer (Modèle:Lang, août 1868), « qu’en règle générale les scarabées et les insectes de cette espèce, bien que toujours tués, semblent avoir une enveloppe trop dure pour servir d’aliment, et sont rejetés après un temps très-court. » Je suis quelque peu surpris de cette affirmation, tout au moins par rapport aux taupins, car les cinq que j’ai examinés étaient extrêmement fragiles et vides comme si l’intérieur de leur corps avait été en partie digéré. Modèle:Mme m’apprend que les plantes qu’elle cultive dans le New-Jersey attrapent principalement des diptères.
  80. Proc. royal Soc., vol. Modèle:Rom-maj, p. 495, et conférence à l’Institution royale, 5 juin 1874, reproduite dans Modèle:Lang, 1874, p. 105 et 127.
  81. Nuttall, dans son Modèle:Lang, p. 277 (note), dit que quand il recueillait cette plante dans son pays natal, « il a eu l’occasion d’observer qu’une feuille détachée fait de grands efforts pour s’exposer à l’influence du soleil ; ces efforts consistent dans un mouvement ondulatoire des poils marginaux, accompagné par l’ouverture partielle et la fermeture subséquente des lobes, et se terminent enfin par un redressement complet et la destruction de la sensibilité. » C’est le professeur Oliver qui a bien voulu m’indiquer cette note, mais je dois avouer que je ne comprends pas bien ce que l’auteur veut dire.
  82. [[Auteur:Casimir Pyrame de Candolle|Modèle:M.]] a publié, dans le numéro d’avril 1876 des Archives des sciences physiques et naturelles de Genève, un mémoire sur la structure et les mouvements des feuilles du Modèle:Lang, dont voici la substance : l’auteur disposait de quatre pieds vivants, deux grands et deux petits ; il les accoupla de façon à former deux couples de deux plantes, l’une grande, l’autre petite, placées dans des conditions identiques sous une cloche de verre. L’une des couples reçut sur ses feuilles des insectes et de la viande, dont l’autre fut totalement privée : il n’observa aucune différence dans le développement et la croissance des deux couples. Sans tirer aucune conclusion définitive d’une seule expérience, il se décida à sacrifier ces quatre plantes, pour voir si le régime différent auquel elles avaient été soumises se traduirait par quelque différence dans la structure de leurs tissus. Il n’en trouva pas, mais ses recherches sur la structure des feuilles et le mécanisme de leurs mouvements méritent l’attention des physiologistes.
    Chaque feuille correspond à une racine qui meurt avec elle. La nervure médiane du pétiole ailé est parcourue par un faisceau qui se ramifie dans le limbe dont il est bordé. Ce limbe porte à sa partie inférieure des poils étoiles et des stomates qui existent en moindre nombre à la surface supérieure. Le parenchyme se compose de cellules sinueuses et allongées, suivant diverses directions. L’extrémité du pétiole est unie à la base du limbe mobile par une portion grêle et courte parcourue par le faisceau central, qui se prolonge dans la côte médiane du limbe ou charnière ; il émet à angle droit une vingtaine de nervures parallèles secondaires qui s’anastomosent entre elles sur les bords des deux valves mobiles et se relient à une série de faisceaux provenant des appendices marginaux. L’ensemble de ces nervures constitue donc deux systèmes distincts appartenant à la catégorie des feuilles dionères (Théorie de la feuille, par C. de Candolle, Arch. sc. natur., mai 1868). Cette structure n’est pas sans importance pour l’explication du mouvement.
    L’épiderme des valves se compose de cellules très-allongées parallèles aux nervures secondaires et par conséquent perpendiculaires à la nervure médiane. Celles de la face inférieure sont notablement plus longues et plus étroites. Des deux côtés, les parois des cellules épidermiques sont fort épaisses et leurs couches cuticulaires s’exfolient continuellement. La face inférieure est munie de poils étoiles et de nombreux stomates, la face supérieure en est totalement dépourvue ; en revanche, elle porte une multitude de petites glandes, presque sessiles, composées chacune d’une trentaine de cellules, réunies en une masse de forme turbinée. Le bord des valves, au niveau de Modèle:Corr des nervures, en est dépourvu : elles reparaissent à la base des appendices marginaux.
    Les trois poils excitables, situés au milieu de la face supérieure de chaque valve, sont les agents principaux du mouvement de ces valves. Leur partie supérieure présente la forme d’un long cône effilé, dont les cellules, très-allongées, ont une consistance rigide ; entre ce cône et la base se trouve une partie plus transparente, formée de deux grandes cellules arquées et plissées, adossées l’une à l’autre et parallèles aux nervures secondaires. Modèle:M. appelle cette partie l’articulation. Au-dessous se trouve la base même du poil, qui n’est guère plus longue que l’articulation et se compose de cellules dont les externes sont la continuation de celles de l’épiderme du limbe, et forment une couche d’épaisseur égale à celle de l’épiderme. En résumé, le cône rigide peut osciller sur son pivot ; ce mouvement est plus libre dans le sens transversal. Ces oscillations ont pour effet d’ébranler directement le tissu intérieur de la base du poil, et, par suite, le parenchyme foliaire sous-épidermique dont il n’est qu’un prolongement. Étudiant le développement de ces organes, Modèle:M. constate que les poils excitables sont d’une nature beaucoup plus complexe que les glandes ou les poils étoiles. Ils rentrent dans la catégorie de ce que les auteurs modernes appellent les émergences (Sachs, Traité de botanique, p. 188), et on peut, jusqu’à un certain point, les comparer aux appendices marginaux, avec lesquels ils semblent alterner. À partir d’un certain âge, les feuilles du Modèle:Lang deviennent insensibles : on constate alors que les cellules de leur parenchyme supérieur ont acquis les mêmes dimensions que celles de leur parenchyme inférieur. Mais quand les cellules des couches sont de longueur et de largeur inégales sur les deux faces, la turgence du parenchyme de la face supérieure diminuant ou cessant complètement, la turgence du parenchyme de la face inférieure détermine une tension qui a pour effet de courber et de rapprocher les deux valves. Les appendices des bords de la feuille ne se rabattent et ne s’entre-croisent que postérieurement au rapprochement des valves, parce que ces appendices forment un mériphylle distinct du corps principal de la feuille. L’épiderme des deux surfaces joue un rôle complètement passif.
    Les poils irritables étant un prolongement du parenchyme supérieur de chaque valve, leur ébranlement agit directement sur ce parenchyme, et il est nécessaire de blesser l’épiderme jusqu’à une assez grande profondeur et de lui faire absorber des réactifs chimiques pour amener la fermeture des valves sans agir sur les poils excitables. Ces explications ne contredisent en rien celles de Modèle:M., mais Modèle:M. est parvenu à provoquer le mouvement en projetant des gouttes d’eau, de manière à ce qu’elles atteignissent le poil dans une direction latérale, et il attribue plutôt le mouvement à la diminution de la turgence du parenchyme de la face supérieure qu’à la contraction du parenchyme de la face supérieure, comme le veut Modèle:M.. L’auteur pense que le parenchyme inférieur joue le rôle passif d’un ressort qui, n’étant plus tendu, reprend sa position naturelle. L’eau bouillante qui amène l’accroissement de divergence des valves s’explique, selon lui, parce que la face inférieure, plus impressionnée, cède alors à la force expansive du parenchyme supérieur.Modèle:Interligne Modèle:Droite
  83. Depuis la publication de son mémoire, Stein a trouvé que l’irritabilité des feuilles de l’Modèle:Lang avait été observée par Augé de Lassus, ainsi qu’il appert d’un mémoire publié dans le Bulletin de la Société botanique de France, en 1861. Delpino affirme dans son mémoire publié en 1871 (Modèle:Lang, vol. Modèle:Rom-maj, p. 174) que « Modèle:Lang » est capturée et étouffée par les feuilles. Je suppose que l’auteur entend par Modèle:Lang des mollusques d’eau douce. Il serait intéressant de savoir si les coquilles de ces mollusques sont corrodées par l’acide contenu dans la sécrétion digestive.
  84. Je désire exprimer toute ma reconnaissance à cet éminent naturaliste qui m’a envoyé un exemplaire de son mémoire sur l’Modèle:Lang avant sa publication dans son Modèle:Lang, Modèle:Lang, 1875, P. 71.
  85. Les botanistes ont longuement discuté sur la nature homologique de cette projection. Le docteur Nitschke (Modèle:Lang, 1861, p. 146) croit que ces projections correspondent aux corps frangés ressemblant à des écailles, que l’on trouve à la base du pétiole du Modèle:Lang.
  86. [[Auteur:Joseph Duval-Jouve|Modèle:M.]] a constaté (Bull. soc. bot. France, t. Modèle:Rom-maj, p. 130 et suiv.) que les feuilles d’hiver de l’Modèle:Lang sont réduites au pétiole et à ses lanières terminales, sans l’expansion qui constitue le limbe-piège ; ces feuilles incomplètes, serrées fortement les unes contre les autres, constituent à la fin de l’automne une masse sphérique et gemmiforme qui, survivant à la destruction des tiges et des autres feuilles, tombe au fond de l’eau et ne remonte à la surface qu’au printemps. Or, pour ces feuilles dépourvues de limbe-piége et tassées en bourgeon très-dense, le rôle de l’absorption d’une proie capturée et décomposée est absolument impossible ; cependant le pétiole et les lanières de ces mêmes feuilles sont munies non-seulement des glandes ou exodermies capitées auxquelles Modèle:M. attribue la double fonction de sécréter un fluide digestif et ensuite d’en absorber le résultat, mais encore de ces processus (ou exodermies quadrifides) auxquelles est attribuée l’absorption des matières excrémentitielles ou corrompues. Il en est de même sur le pétiole et les lanières des feuilles complètes, régions où les fonctions de sécrétion et d’absorption ne paraissent pas avoir à s’accomplir. Modèle:M. fait en outre remarquer que les feuilles de Modèle:Lang ont aux faces supérieure et inférieure des exodermies capitées semblables à celles des Modèle:Lang, Modèle:Lang, Modèle:Lang, Modèle:Lang, etc. ; que la face inférieure des feuilles des Modèle:Lang, Modèle:Lang, Modèle:Lang, etc., est couverte des mêmes exodermies, et qu’en conséquence, si ces organes de plantes aquatiques sont des organes d’absorption, leur fonction a une toute autre étendue que celle qui leur a été attribuée. Modèle:Interligne Modèle:Droite
  87. Sachs, Traité de Bot., Modèle:3e édit., 1874, p. 1026.
  88. On est loin de comprendre la distinction qui existe entre la véritable absorption et la simple imbibition. (Voir Müller, Modèle:Lang, trad. angl., 1838, vol. I, p. 280.)
  89. Modèle:M. dit (Modèle:Lang, mai 1875), en parlant du Modèle:Lang, qu’il a examiné plusieurs douzaines de plantes et qu’il a trouvé sur presque toutes des restes d’insectes adhérant aux feuilles. Un de mes amis m’apprend qu’il en est de même en Irlande.
  90. Comptes rendus, 15 juin 1874. Le Modèle:Lang du 11 juillet 1874 a publié un excellent résumé de ce mémoire.
  91. Mon fils Francis a compté les poils sur un espace mesuré au moyen du micromètre, et en a trouvé 35,336 sur un pouce carré (6,4475 centimètres carrés), à la surface supérieure d’une feuille, et 30,035 à la surface inférieure ; c’est-à-dire à peu près dans la proportion de 100 sur la surface supérieure pour 85 sur la surface inférieure. Au total, le nombre des poils sur un pouce carré des deux surfaces s’élevait à 65,371 poils. Il prit alors un plant moyen portant douze feuilles (les plus grandes ayant un peu plus de deux pouces de diamètre (5,078 centim.), et, au moyen d’un planimètre, il calcula la superficie de toutes les feuilles, y compris leurs tiges, mais sans y comprendre les tiges à fleurs ; la superficie totale s’éleva à 39,285 pouces carrés, de telle sorte que la superficie totale des deux surfaces s’élevait à 78,57 pouces carrés. En conséquence, la plante, non compris les tiges à fleurs, devait porter le nombre extraordinaire de 2,568,099 poils glandulaires. Les poils furent comptés à la fin de l’automne, et, au printemps suivant (mai), les feuilles étaient d’un tiers à un quart plus larges et plus longues qu’auparavant ; de sorte que, sans aucun doute, le nombre des poils glandulaires avait augmenté et dépassait alors de beaucoup 3 millions.
  92. Fritz Müller ; Modèle:Lang, traduct. anglaise, 1869, p. 139. Les Crustacés rhizocéphales sont alliés aux Cirripèdes. Il est difficile d’imaginer une différence plus considérable que celle qui existe entre un animal doué de membres préhensiles, d’une bouche bien construite et d’un canal alimentaire, et un animal privé de tous ces organes et se nourrissant par absorption au moyen de processus ramifiés qui ressemblent à des racines. Si un cirripède fort rare, l’Modèle:Lang, avait disparu, il eût été extrêmement difficile de conjecturer comment un changement aussi prodigieux a pu se produire graduellement. Mais, ainsi que Fritz Müller le fait remarquer, nous trouvons dans l’Modèle:Lang un animal dans une condition presque exactement intermédiaire, car il possède des processus ressemblant à des racines qu’il enfonce dans la peau du requin, sur lequel il vit en parasite, et ses cirrhes préhensiles et sa bouche (ainsi qu’elles ont été décrites dans ma monographie sur les Modèle:Lang, Modèle:Lang, 1851, p. 169) se trouvent réduits à un état atrophique et presque rudimentaire. Le [[d:Q21340042|Modèle:Dr]], dans son ouvrage sur les Modèle:Lang et les Lépadidées, 1873, s’est livré à une discussion très-intéressante sur ce sujet. (Voir aussi [[w:Anton Dohrn|Modèle:Dr]], Modèle:Lang, 1875, p. 77.)
  93. Bentham et Hooker, Modèle:Lang. L’Australie est la métropole du genre, car, ainsi que me l’apprend le professeur Oliver, on en a trouvé quarante et une espèces dans ce pays.
  94. Sachs, Traité de Bot., Modèle:3e édit., 1874, p. 1026.
  95. Modèle:Dr, Sur la différence entre les Trichomes, Copenhague, 1873, p. 6. Extrait des Modèle:Lang de la Soc. d’hist. nat. de Copenhague, nos 10-12, 1872.
  96. Traité de Bot., Modèle:3e édit., 1874, p. 844. Voir aussi, pour les faits suivants, p. 64, 76, 828, 831.
  97. Depuis que cette phrase a été écrite, j’ai reçu un mémoire de Modèle:M. (Modèle:Lang, Berlin, 1874, p. 1478) qui, avec le concours du Modèle:Dr, a découvert que les graines de la Vesce contiennent un ferment, et que ce ferment, extrait au moyen de la glycérine, dissout les matières albumineuses telles que la fibrine, et les transforme en véritables peptones.
  98. Convaincu de l’absorption des matières animales par les feuilles des Drosera, des Dionaea, des Nepenthes, etc. M. Édouard Morren s’est demandé quel pouvait être le mode d’assimilation de ces substances par l’organisme végétal : il a soumis ses idées à l’Académie de Bruxelles dans sa séance du 21 octobre 1876, sous la forme d’un mémoire intitulé : la Digestion végétale, Note sur le rôle des ferments dans la nutrition des Plantes. La digestion animale est, dit-il, considérée dans son essence comme une fermentation indirecte : elle consiste dans une hydratation suivie du dédoublement des matières digestibles ou fermentescibles ; ces substances sont converties en composés simples diffusibles et par suite absorbables. Cette transformation est opérée par les ferments indirects ou solubles qui dérivent probablement des matières albuminoïdes et semblent faire partie du protoplasma. Ces ferments sont particulièrement abondants dans les sucs appelés digestifs tels que la salive, le suc gastrique, le suc pancréatique et le suc intestinal. La ptyaline se trouve dans la salive, la pepsine dans le suc gastrique et sous la forme de ferment albuminosique dans le suc pancréatique avec de la diastase et du ferment inversif. La sécrétion du pancréas saccharifie l’amidon, saponifie les graisses et peptonifie les albuminoïdes. Le ferment des sucres dit inversif fait partie du suc intestinal ; c’est sous l’influence de ces ferments que la fibrine, les huiles, les fécules et les sucres sont dédoublés et rendus absorbables et assimilables.
    La digestion des végétaux est comparable en tout point à celle des animaux ; elle porte sur les mêmes substances et s’exerce par les mêmes ferments qui sont plus nombreux que ceux des animaux.
    La diastase ou ferment glycosique est le ferment des matières amylacées ; sous son influence, l’amidon se dédouble en dextrine et en glycose et, finalement, en glycoses solubles et absorbables ; c’est le rôle de la ptyaline. La diastase a été découverte dans l’orge en germination, elle attaque l’amidon accumulé et le rend assimilable pour l’embryon. La diastase existe également dans les tubercules de pomme de terre près des bourgeons et quand ils se développent, la fécule est convertie en glycose et absorbée. Pour les chimistes, la diastase végétale ne diffère pas de la diastase animale.
    Ferment inversif. — La saccharose (sucre de canne) est comme l’amidon accumulée dans certains tissus en vue de la nutrition ; ex. : la canne à sucre, les graminées en général, la racine de betterave avant la floraison. Le sucre n’est point absorbé ni assimilé s’il est converti par le ferment inversif en glycose (sucre de raisin) et en lévulose (sucre Modèle:Corr) dont le mélange prend le nom de sucre interverti. Le ferment inversif existe dans le suc intestinal de l’homme, des chiens, des lapins, des oiseaux, du ver à soie, etc., il se trouve également dans les plantes, avant leur floraison, et transforme leur saccharose en glucose qui est immédiatement utilisée à l’état de cellulose pour la formation des parois des cellules.
    Ferment émulsif et saponifiant. — Les corps gras dans les animaux sont émulsionnés, puis saponifiés par le suc pancréatique. L’émulsion est une division mécanique qui permet l’absorption. Dans le lait, la matière grasse se trouve naturellement émulsionnée, de là sa digestibilité. Le ferment émulsif se produit dans les graines oléagineuses broyées dans l’eau ; ex. : celles des Crucifères, des Papaveracées, des Linum, des bulbes de l’oignon.
    Ferment albuminosique. — Pepsine. — Sous leur influence, les matières azotées ou albuminoïdes, la fibrine, par exemple, passent à l’état de syntonine et se dédoublent en peptones. Quoique ces transformations ne soient pas encore parfaitement connues, M. Darwin et M. Morren ne doutent pas, d’après les analyses de MM. Franckland, Max Rees et H. Will, que la pepsine n’existe dans les glandes du Drosera d’où ils l’ont retirée et fait servir à la digestion artificielle de la fibrine.
    M. Masters a constaté le pouvoir digestif du nectar des fleurs de l’Hellébore sur l’albumine coagulée ; et on sait que le latex du Carica papaya dissout la viande. De même MM. Gorup-Besanez et H. Will ont extrait des graines germées des pois des ferments tels que le gluten, la légumine et l’aleurone qui se trouvent dans les graines des Papilionacées à cotylédones épais. En l’isolant, ce ferment présente les mêmes phénomènes que le suc pancréatique. Quelques gouttes de sa solution dans l’eau ou la glycérine transforment de notables quantités de farine en sucre. De la fibrine du sang fut convertie en un liquide opalescent donnant toutes les réactions des peptones.
    On peut affirmer que les phénomènes digestifs sont plus variés, plus nombreux dans ces végétaux que dans les animaux et ont pour effet de transformer les substances plasmiques approvisionnées en principes solubles, cristalloïdes, diffusibles et assimilables. On a constaté depuis longtemps l’analogie qui existe entre la composition du lait sec et la farine de froment sèche. Or l’amidon entre dans la constitution de la plupart des graines.
    Dans les végétaux inférieurs dépourvus de chlorophylle, Myxomycètes, moisissures, Champignons, c’est le protoplasma qui seul est doué du pouvoir digestif ; mais dans la plupart des végétaux, la chlorophylle intervient efficacement : elle absorbe l’acide carbonique et avec le concours de la lumière élabore la fécule : la chlorophylle prépare les matériaux qui seront digérés et assimilés par le protoplasma qui résume toute l’activité végétale, mais son activité se manifeste avec une prodigieuse variété : Modèle:1o l’élaboration consiste dans la production d’un hydrate de carbone, c’est l’œuvre de la chlorophylle sous l’influence de la lumière ; le produit c’est l’amidon mis en réserve ; Modèle:2o la digestion s’opère par le protoplasma en mouvement activé par l’oxygène ; il y a production d’acide carbonique. L’amidon passe à l’état de glycose ; Modèle:3o l’assimilation c’est l’application de cette matière à l’organisme, le protoplasma se revêt de sa membrane cellulaire, dans le sein du cambium. On voit combien la nutrition végétale a de rapports avec la nutrition animale. Qu’un grain de blé serve à nourrir un animal ou à nourrir la plante à laquelle il donne naissance, les choses se passeront exactement de la même manière ; c’est ainsi que M. Van Tighem a pu nourrir des embryons de Belle de nuit extraits de la graine et séparés de leur albumen au moyen d’une pâte de fécule ou de sarrazin.
    La similitude de la nutrition dans les deux règnes nous explique pourquoi certains produits : les acides butyrique, formique, palmitique, oxalique, leur sont communs. On s’explique de même l’unité de structure organique, du protoplasma, dans les deux règnes ; il est la base et la cause de leur activité vitale. Ainsi les phénomènes des plantes carnivores sont un cas particulier d’une fonction générale. Chez elles la pepsine se sécrète à la surface de même que la levure de bière (Saccharomyces cerevisiæ) excrète le ferment inversif du sucre de canne. Seulement les faits constatés chez les Drosera et qualifiés légèrement par des juges incompétents ou prévenus, ont eu pour résultat de nous ouvrir de nouveaux horizons sur la physiologie comparée des deux branches du règne organisé, les végétaux et les animaux.Modèle:Droite
  99. Voir l’extrait de son mémoire sur les tissus contractiles des plantes dans les Modèle:Lang, Modèle:3e série, vol. XI, p. 188.
  100. Charles Darwin, les mouvements et les habitudes des plantes grimpantes. Traduction française par le [[Auteur:Richard_Gordon|Modèle:Dr]], p. 221.
  101. [[s:en:English Botany (1st edition)|Modèle:Lang]], par sir J.-E. Smith, avec des figures coloriées par J. Sowerby, édit. de 1832, pl. 24, 25 et 26.
  102. Modèle:M. a publié ses [[Observations sur les procédés insecticides des Pinguicula|observations personnelles sur les procédés insecticides des Modèle:Lang]] (Bulletins de l’Acad. roy. de Belgique, juin 1875). Le savant professeur a opéré sur des pieds de Modèle:Lang et Modèle:Lang provenant des Pyrénées et cultivés en serre avec succès. Leurs feuilles toutes radicales sont recouvertes à leur face supérieure d’une matière visqueuse. L’épiderme est recouvert de papilles unicellulaires, courtes, peu espacées et terminées par un capitule glanduleux. Le stipe de ces poils est formé d’une cellule cylindrique fusiforme dans laquelle on remarque un suc hyalin, du protoplasma granuleux et un noyau opaque ou transparent. Cette cellule se termine en forme de dôme dans une sorte de turban formé de huit à seize cellules disposées comme les quartiers d’une orange. Cette petite tête fonctionne comme une glande et s’enveloppe d’un liquide visqueux, translucide, qui rougit le papier de tournesol ; entre ces poils on constate l’existence d’autres glandes sessiles formées de huit cellules remplies de granules et différentes des glandes stipitées ; il existe en outre de nombreux stomates d’une grandeur extraordinaire.
    Le 22 mai, M. Morren a examiné au microscope un moucheron qui était gisant sur une feuille depuis un jour ou deux ; il a eu soin de le soulever avec tout le mucus environnant et a immédiatement constaté la présence de monades, de nombreuses bactéries, de cellules de ferment et de formations mycéliennes appartenant au genre Modèle:Lang et à des Mucédinées. Ainsi donc les éléments de la putréfaction et de la fermentation, en un mot de la décomposition, sont réunis sur les cadavres des mouches qui périssent sur les feuilles de Modèle:Lang.
    Depuis la lecture du présent volume, les idées de M. Morren paraissent s’être modifiées. Les phénomènes que présentent les matières azotées placées sur les feuilles des plantes insectivores ne s’expliquent pas en admettant une simple putréfaction ; c’est ce que l’auteur a reconnu très-explicitement dans une lecture sur la Théorie des plantes carnivores faite à l’Académie royale de Belgique, le 16 décembre 1875, publiée dans son Bulletin du même mois et dans la Note dont nous donnons l’extrait page 423 du présent volume.Modèle:Interligne Modèle:Droite
  103. Modèle:Lang juillet 1868, p. 5. Delpino, Modèle:Lang, etc., 1868-69, p. 16. dit aussi que Crouan a trouvé (1858) des crustacés à l’intérieur des vessies de l’Modèle:Lang.
  104. Je suis aussi fort reconnaissant au révérend H. M. Wilkinson, de Bistern, qui m’a envoyé plusieurs beaux plants de cette espèce provenant du Modèle:Lang. M. Ralfs a été aussi assez bon pour m’envoyer des plantes vivantes de la même espèce trouvées près de Penzance dans le Cornouailles.
  105. Modèle:Lang, 1875.
  106. Je conclus que tel est le cas d’après un dessin d’une petite plante donnée par le docteur Warming, dans son mémoire Modèle:Lang Modèle:Lang Modèle:Lang, Copenhague 1874, Modèle:N°, p. 33-58.
  107. Modèle:Lang, reproduit dans le Modèle:Lang, 1875, p. 303.
  108. M. J. Duval-Jouve a constaté que les feuilles d’un verticille d’Modèle:Lang et les ascidies d’une feuille d’Modèle:Lang qui, tandis que les autres restent fraîches, prennent la coloration indice de leur mort prochaine, sont précisément celles qui contiennent les restes d’un animalcule. Ce fait et cet autre que les premières feuilles des Modèle:Lang et des Modèle:Lang sont dépourvues d’appareil de capture et que cependant les jeunes pousses ont un développement très-rapide, et enfin les observations de MM. Canby, Tait et Éd. Morren, avaient porté d’abord ce botaniste à penser que la capture, la sécrétion d’un liquide dissolvant et peut-être l’absorption ne constituaient point une fonction normale aboutissant à un résultat profitable, mais qu’au contraire la présence de l’insecte déterminait par irritation une sécrétion surabondante avec issue fatale à l’organe. (Revue des Sciences naturelles, V ; septembre 1876.) Mais M. J. Duval-Jouve s’est bientôt rappelé qu’un assez grand nombre d’organes, simples ou très-composés, périssent aussitôt après avoir rempli la fonction par laquelle ils concourent au
  109. développement de l’individu ou à la conservation de l’espèce. Les exodermies radicellaires (Poils radicaux ; Succiatori de Gasparrini) et même toute la zone corticale des racines des Monocotylédones, se flétrissent et tombent après avoir puisé dans le sol les substances azotées et autres nécessaires à la plante (op. cit. p. 213) ; les organes protecteurs, sépales et pétales, ceux de la fécondation, étamines, stigmates et styles, les tiges entières des plantes herbacées vivaces se flétrissent et tombent aussitôt qu’elles ont fonctionné. En conséquence, il n’y a rien d’anormal à ce que les limbes-piéges de l’Modèle:Lang et les ascidies des Modèle:Lang se flétrissent et meurent aussitôt que par leur fonction elles ont concouru à l’entretien de la plante, c’est-à-dire après que les délicates membranes de leurs exodermies ont, comme celles des exodermies radicellaires, sécrété d’abord un suc acide capable de dissoudre des substances azotées que l’eau ne dissout pas et ensuite absorbé ces substances nutritives. La carnivorité serait ainsi un fait commun aux radicelles de la plupart des plantes et aux feuilles de quelques-unes seulement.
    Resterait à voir encore, comme l’indique Modèle:M., si le protoplasma des exodermies radicellaires subit après l’absorption les modifications qui ont été constatées dans les exodermies des feuilles carnivores.
    Le même auteur mentionne aussi dans son article précité que de nombreux pucerons sont capturés et tués aux sommets du Modèle:Lang, et ce, parce que la piqûre de ces petits animaux fait sortir une gouttelette de suc laiteux, devenant visqueux par évaporation, et dans lequel s’engluent les ailes ou les pattes de l’insecte, sans qu’il y ait lieu de voir dans la succession de ces faits aucun principe de finalité. Modèle:Interligne Modèle:Droite
  110. Le professeur Oliver a décrit un échantillon de l’Modèle:Lang (Proc. Linn. Soc., vol. iv., p. 169) qui a des feuilles entières et des rhizomes comme l’espèce dont nous nous occupons. Mais les bords de la moitié terminale de quelques feuilles sont transformés en vessie. Ce fait indique clairement que les vessies existant sur les rhizomes de l’espèce dont nous nous occupons et sur ceux des espèces suivantes sont des segments modifiés de la feuille. Ces vessies correspondent donc à celles qui sont attachées aux feuilles divisées et flottantes des espèces aquatiques.
  111. Le professeur Oliver a donné dans les Modèle:Lang, vol. IV, p. 169, la description des vessies de deux espèces de l’Amérique du Sud, Modèle:Lang et de l’Modèle:Lang, mais il ne semble pas s’être occupé particulièrement de ces organes.
  112. [[s:en:Index:Gardner - Travels in the Interior of Brazil, 1846.pdf|Modèle:Lang]], 1836-1841, p. 527.
  113. Modèle:Lang, vol. IV, p. 171.
  114. Modèle:Lang, Copenhague, 1874.