Traduction par Edmond Barbier.
Précédé d’une Introduction biographique et augmenté de notes complémentaires par Charles Martins
..
Texte établi par Francis Darwin Voir et modifier les données sur WikidataParis : C. Reinwald et C.ie, libreires-éditeurs, 15, rue des Saints-Pères, D. Appleton & Company Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 21-40).

chapitre II.

mouvements des tentacules au contact des corps solides.

Inflexion des tentacules extérieurs lorsque l’on excite les glandes du disque par des attouchements répétés ou qu’on laisse les objets en contact avec elles. — Différence de l’action des corps selon qu’ils contiennent ou non des matières azotées solubles. — Inflexion des tentacules extérieurs causée directement par des objets mis en contact avec leurs glandes. — Période du commencement de l’inflexion et du redressement subséquent. — Extrême petitesse des particules qui suffisent pour provoquer une inflexion. — Action sous l’eau. — Inflexion des tentacules extérieurs quand on excite leurs glandes par des attouchements répétés. — Les gouttes de pluie ne provoquent pas l’inflexion.


Dans ce chapitre et dans les chapitres suivants, je relaterai quelques-unes de nombreuses expériences qui servent le mieux à indiquer le mode et l’étendue des mouvements des tentacules quand on les excite de différentes façons. Les glandes seules, dans tous les cas ordinaires, sont susceptibles d’être excitées. Quand on les excite elles ne bougent pas elles-mêmes et ne changent pas de forme, mais elles transmettent une impulsion à la partie mobile de leurs propres tentacules et des tentacules adjacents qui les transportent alors vers le centre de la feuille. À proprement parler, on devrait appliquer aux glandes le terme irritable ; car le terme sensitif implique ordinairement la conscience de l’acte accompli ; personne ne suppose, cependant, que la sensitive ait conscience de ses mouvements ; aussi, comme je trouve le terme sensitif plus commode, je l’emploierai sans aucune espèce de scrupule. Je commencerai par étudier les mouvements des tentacules extérieurs quand on les excite indirectement par des stimulants appliqués aux glandes des tentacules courts qui se trouvent sur le disque. Je dis indirectement, dans ce cas, parce qu’on n’agit pas directement sur les glandes des tentacules extérieurs. L’impulsion partant des glandes du disque agit directement sur la partie mobile des tentacules extérieurs, partie située auprès de leur base ; elle ne se propage pas d’abord, comme nous le prouverons plus tard, à travers les pédicelles jusqu’aux glandes qui renverraient ensuite cette impulsion à la partie mobile. Néanmoins, une certaine influence parvient jusqu’aux glandes, leur fait produire des sécrétions plus abondantes et les rend acides. Je crois que ce dernier fait est tout nouveau dans la physiologie des plantes ; on n’a même démontré que tout récemment que, dans le règne animal, une impulsion peut se transmettre le long des nerfs jusqu’aux glandes et modifier leur puissance de sécrétion indépendamment de l’état des vaisseaux sanguins.

Inflexion des tentacules extérieurs lorsque l’on excite les glandes du disque par des attouchements répétés ou qu’on laisse des objets en contact avec elles.

J’ai excité les glandes centrales d’une feuille avec un petit pinceau de poils de chameau un peu durs : au bout de soixante-dix minutes, plusieurs tentacules extérieurs étaient infléchis ; au bout cinq heures tous les tentacules marginaux étaient infléchis ; le lendemain matin, après un intervalle d’environ vingt-deux heures, ils s’étaient complétement redressés. Dans tous les cas suivants je compte le temps à partir de la première excitation. Chez une autre feuille traitée de la même façon, quelques tentacules s’infléchirent au bout de vingt minutes ; au bout de quatre heures tous les tentacules, marginaux et quelques-uns des tentacules du bord extrême s’étaient infléchis, aussi bien que les bords eux-mêmes de la feuille ; au bout de dix-sept heures ils étaient complétement redressés. Je plaçai alors une mouche morte au centre de cette dernière feuille ; le lendemain matin, tous les tentacules s’étaient fermés sur elle ; cinq jours après, la feuille s’était redressée et les glandes des tentacules couvertes de sécrétions étaient toutes prêtes à agir de nouveau.

J’ai placé bien des fois sur des feuilles des morceaux de viande, des mouches mortes, des parcelles de papier, de bois, de mousse desséchée, d’éponge, de cendre, de verre, etc. ; tous ces objets sont embrassés par les tentacules dans des périodes de temps qui varient entre une heure et vingt-quatre heures, puis la feuille et les tentacules reprennent leur position normale dans des périodes variant de un, à deux, à sept, ou même à dix jours, selon la nature de l’objet. Je plaçai un jour une mouche sur une feuille qui avait déjà capturé naturellement deux mouches et qui s’était déjà fermée et ouverte une, ou plus probablement deux fois ; au bout de sept heures, cette mouche fut modérément embrassée, ou bout de vingt et une heures elle l’était complètement et les bords de la feuille étaient infléchis. Deux jours et demi après, la feuille avait presque repris sa position normale ; l’objet excitant étant un insecte, cette période extraordinairement courte d’inflexion était probablement due à ce que la feuille avait été récemment mise en action. Je laissai cette même feuille se reposer pendant un seul jour, puis je plaçai sur elle une autre mouche ; les tentacules s’infléchirent de nouveau, mais très-lentement. Cependant, en moins de deux jours, ils avaient complètement embrassé la mouche.

Quand on place un petit objet sur les glandes du disque, d’un côté de la feuille, aussi près que possible de la circonférence, les tentacules placés de ce côté sont les premiers affectés ; ceux placés du côté opposé de la feuille s’infléchissent beaucoup plus tard et souvent même ils ne s’infléchissent pas du tout. J’ai fait à ce sujet de nombreuses expériences en me servant de morceaux de viande. Je me contenterai, toutefois, de citer ici un seul exemple : une mouche très-petite vint se poser naturellement sur le bord gauche du disque central d’une feuille et ses pattes adhérèrent aux glandes. Les tentacules marginaux de ce côté de la feuille s’infléchirent et tuèrent la mouche. Quelque temps après, le bord même de la feuille, de ce même côté, s’infléchit aussi et resta en cet état pendant plusieurs jours ; mais, ni les tentacules situés de l’autre côté de la feuille, ni le bord de la feuille à l’extrémité opposée ne furent affectés le moins du monde.

Quand on expérimente sur des feuilles jeunes et actives, une parcelle d’un corps inorganique, à peine grosse comme la tête d’une petite épingle, placée sur les glandes centrales suffit parfois pour faire infléchir les tentacules extérieurs. Mais ce résultat s’obtient plus sûrement et plus rapidement si l’objet contient des matières azotées qui peuvent être dissoutes par les sécrétions. J’observai une fois la circonstance extraordinaire suivante. Je plaçai sur plusieurs feuilles des petits morceaux de viande crue (substance qui agit plus énergiquement que toutes les autres), de papier, de mousse desséchée, une barbe de plume, et tous ces objets furent également embrassés dans un délai d’environ deux heures. D’autres fois, j’employai les substances que je viens d’indiquer, ou, plus ordinairement, des éclats de verre, des parcelles de charbon prises dans le foyer, des petites pierres, de la feuille d’or, de l’herbe desséchée, du liège, du papier buvard, du coton, des cheveux roulés en petites pelotes ; or, bien que ces substances fussent quelquefois complétement embrassées, il arrivait souvent qu’elles ne provoquaient aucun mouvement dans les tentacules extérieurs, ou seulement un mouvement très-faible et très-lent. Cependant, ces feuilles étaient en pleine activité, ce dont je m’assurai en les excitant au moyen de substances contenant des matières azotées solubles, telles que des morceaux de viande crue ou rôtie, le blanc ou le jaune d’un œuf cuit, des fragments d’insectes de toute espèce, araignées, etc. Je ne citerai que deux exemples. Je plaçai des mouches très-petites sur les disques de plusieurs feuilles et, sur d’autres, des boulettes de papier, de mousse, de barbes de plume, ayant à peu près la même grosseur que les mouches ; ces dernières furent toutes embrassées par les tentacules au bout de quelques heures ; tandis qu’après avoir séjourné vingt-cinq heures sur les feuilles, les autres objets n’avaient produit l’inflexion que d’un petit nombre de tentacules. J’enlevai alors les boulettes de papier, de mousse, de barbes de plume et je les remplaçai par des morceaux de viande crue ; presque immédiatement après tous les tentacules s’infléchirent énergiquement.

Derechef je plaçai sur le centre de trois feuilles des petits morceaux de charbon pesant un peu plus que les mouches employées dans la dernière expérience ; après un intervalle de dix-neuf heures, l’un de ces morceaux était assez bien embrassé ; un second, par quelques tentacules seulement ; le troisième n’avait provoqué aucun mouvement dans la feuille. J’enlevai alors les deux morceaux placés sur ces deux dernières feuilles et je les remplaçai par des mouches récemment tuées. Ces mouches furent assez bien embrassées au bout de sept heures et demie et complètement au bout de vingt heures et demie ; les tentacules restèrent infléchis pendant plusieurs jours. D’autre part, la feuille qui avait, en dix-neuf heures, embrassé dans une certaine mesure, le morceau de charbon, et à laquelle je n’avais pas donné de mouches, avait repris sa position normale et était, par conséquent, prête à agir de nouveau trente-trois heures après, c’est-à-dire cinquante-deux heures à partir du moment où le morceau de charbon avait été placé sur elle.

Il résulte de ces expériences, ainsi que d’une foule d’autres qu’il est inutile de rapporter ici, que les substances inorganiques ou certaines substances organiques qui ne sont pas attaquées par la sécrétion, agissent sur la feuille beaucoup moins rapidement et beaucoup moins efficacement que les substances organiques contenant des matières solubles que la plante peut absorber. En outre, j’ai observé fort peu d’exceptions à la règle suivante : les tentacules restent infléchis sur les corps organiques de la nature de ceux que nous venons d’indiquer beaucoup plus longtemps que sur ceux sur lesquels la sécrétion n’a aucun effet ou que sur les objets inorganiques ; et encore ces exceptions semblent s’expliquer naturellement par le fait

que la feuille avait été récemment en action[1].

Inflexion des tentacules extérieurs causée directement par des objets mis en contact avec leurs glandes.


J’ai fait un grand nombre d’expériences en plaçant, au moyen d’une aiguille très-fine, humectée d’eau distillée, et en me servant d’une loupe, des parcelles de diverses substances sur les sécrétions visqueuses qui entourent les glandes des tentacules extérieurs. J’ai répété ces expériences sur les glandes ovales et sur les glandes allongées. Quand on place ainsi une parcelle d’une substance quelconque sur une seule glande, on peut facilement observer les mouvements du tentacule, d’autant mieux que tous ceux qui l’environnent restent immobiles (voir, p. 13, la fig. 6). Dans quatre expériences, des petites parcelles de viande crue ont fait considérablement infléchir les tentacules au bout de cinq ou six minutes. J’ai observé avec beaucoup de soin un tentacule traité de la même façon, et j’ai pu m’assurer qu’il changeait de position au bout de dix secondes ; c’est, d’ailleurs, le mouvement le plus rapide que j’aie jamais observé. Au bout de deux minutes trente secondes, ce tentacule avait décrit un angle d’environ 45° ; ces mouvements, observés au moyen d’une loupe, ressemblent à ceux d’une aiguille sur une horloge. Au bout de cinq minutes, il avait décrit un angle de 90°, et, dix minutes plus tard, la parcelle de viande avait été transportée au centre de la feuille ; ce tentacule avait donc exécuté son mouvement d’inflexion complet en moins de dix-sept minutes trente secondes. Au bout de quelques heures, ce petit morceau de viande, mis en contact avec quelques glandes du disque central, avait agi sur tous les tentacules extérieurs, qui tous s’étaient complètement infléchis. Des fragments de mouches placés sur les glandes de quatre tentacules extérieurs, projetés dans le même plan que la feuille, causèrent aussi l’inflexion de ces tentacules ; trois d’entre eux décrivirent en trente-cinq minutes un angle de 180° pour porter ces fragments au centre de la feuille. Le fragment posé sur le quatrième tentacule était très-petit, et il ne fut amené au centre qu’au bout de trois heures. Dans trois autres cas, des petites mouches ou des parties de grosses mouches furent portées au centre de la feuille au bout d’une heure trente secondes. Dans ces sept expériences, les petites mouches ou les fragments de mouches, qui avaient été amenés aux glandes centrales par un seul tentacule, causèrent l’inflexion de tous les autres tentacules dans un espace de temps qui a varié de quatre à dix heures.

J’ai placé, de la même façon, sur les glandes de six tentacules extérieurs de feuilles différentes, six petites boulettes de papier roulées à l’aide de pinces de façon à ne pas les toucher avec les doigts. Trois de ces boulettes furent amenées au centre au bout d’une heure environ ; les trois autres, au bout d’un peu plus de quatre heures. Mais ce n’est que vingt-quatre heures après que deux des six boulettes furent embrassées par tous les autres tentacules de la feuille. Il est possible que la sécrétion ait dissous une trace de colle ou de matière animalisée dans ces boulettes de papier. Je plaçai alors quatre parcelles de cendre de charbon sur les glandes de quatre tentacules extérieurs ; l’un de ces tentacules atteignit le centre de la feuille au bout de trois heures quarante minutes ; le second, au bout de neuf heures ; le troisième, au bout de vingt-quatre heures, mais ce dernier n’avait décrit qu’un angle fort petit au bout de neuf heures ; quant au quatrième, il n’avait, en vingt-quatre heures, parcouru qu’une faible partie de la distance et était alors resté stationnaire. Sur les trois morceaux de cendre de charbon qui avaient été portés au centre, un seul causa l’inflexion de la plupart des autres tentacules. Il est donc évident que des corps tels que des parcelles de cendres ou des petites boulettes de papier, après avoir été amenés par les tentacules extérieurs jusqu’aux glandes centrales, agissent sur les autres tentacules de toute autre façon que ne le font les mouches.

J’ai fait, sans noter avec beaucoup de soin le laps de temps employé par les mouvements, beaucoup d’essais analogues avec d’autres substances, telles que des éclats de verre blanc ou bleu, des parcelles de liège, des petits morceaux de feuille d’or, etc. Le nombre proportionnel des cas où les tentacules portèrent leur fardeau jusqu’au centre de la feuille ou ne parcoururent qu’une petite partie de la distance, ou ne bougèrent pas du tout, a beaucoup varié. Un soir, je plaçai, sur douze glandes environ, des parcelles de verre et de liège un peu plus grosses que celles que j’employais ordinairement ; le lendemain matin, c’est-à-dire environ treize heures après, chaque tentacule avait transporté son petit fardeau jusqu’au centre ; il est probable que la grosseur extraordinaire des morceaux employés explique ce résultat. Dans un autre cas, les 6/7es des particules de cendre, de verre et de fil, placés sur des glandes séparées, provoquèrent une inflexion ou furent portées jusqu’au centre ; dans un autre cas, j’obtins le même résultat pour les 7/9es ; dans un autre, pour les 7/12es ; et, enfin, dans un dernier cas, pour les 7/26es ; il est probable que cette dernière proportion, si minime, était due, au moins en partie, à ce que les feuilles étaient assez vieilles et inactives. Quelquefois, en me servant d’une loupe puissante, j’ai pu voir une glande chargée de son petit fardeau parcourir une très-petite distance, puis s’arrêter ; cela arrivait surtout quand j’employais des parcelles extrêmement petites, c’est-à-dire beaucoup plus petites que celles dont je vais indiquer ci-après les dimensions. On peut donc atteindre ainsi les limites de l’action sur les tentacules.

J’ai été tellement surpris de la petitesse des parcelles qui causent une inflexion considérable des tentacules, qu’il m’a paru utile de m’assurer avec soin jusqu’à quel point on pourrait réduire ces parcelles, à condition toutefois qu’elles causent un mouvement. J’ai donc demandé à M. Trenham Reeks de peser avec soin, dans l’excellente balance qui se trouve dans le laboratoire de Jermyn Street, des longueurs déterminées d’une bande fort étroite de papier buvard, de fil de coton fin et de cheveux de femme. On a commencé par mesurer et par couper, à l’aide d’un micromètre, des morceaux extrêmement petits de papier, de fils et de cheveux, de façon à ce que le poids de ces différents objets puisse être facilement calculé. Je plaçai ces petits morceaux sur la sécrétion visqueuse entourant les glandes des tentacules extérieurs, en prenant toutes sortes de précautions afin de ne pas toucher la glande elle-même ; un simple attouchement n’aurait d’ailleurs produit aucun effet. Je plaçai une parcelle de papier buvard, pesant 1/465e de grain (0,14 de milligr.), de façon à ce qu’il reposât sur trois glandes en même temps ; or, les trois tentacules se mirent lentement en mouvement ; en supposant que le poids ait été distribué également, chaque glande n’avait à supporter que le 1/1395e de grain, ou 0,0464 de milligramme. J’employai alors cinq morceaux à peu près égaux de fils de coton et tous provoquèrent l’inflexion. Le plus court de ces morceaux avait 1/50e de pouce (0,508 de millim.) de longueur et pesait 1/8197es de grain (0,00793 de milligr.) Le tentacule, dans ce cas, s’infléchit considérablement en une heure trente minutes, et le morceau de fil fut porté au centre de la feuille en une heure quarante minutes. Je plaçai sur deux glandes, aux côtés opposés d’une même feuille, deux morceaux coupés à l’extrémité la plus mince d’un cheveu de femme ; l’un de ces morceaux avait 18/1000es de pouce (0,457 de millim.) de longueur, et pesait 1/35714es de grain (0,00181 de milligr.) ; l’autre avait 19/1000es de pouce (0,482 de millim.) de longueur, et pesait, bien entendu, un peu plus. Ces deux tentacules décrivirent en une heure dix minutes la moitié de la distance vers le centre de la feuille ; tous les autres tentacules de la feuille restèrent immobiles. L’aspect de cette feuille prouvait, de la façon la plus évidente, qu’une parcelle aussi petite suffit pour provoquer l’inflexion des tentacules. En résumé, j’ai placé dix parcelles de cheveux semblables sur dix glandes appartenant à autant de feuilles, et sept d’entre elles provoquèrent un mouvement apparent des tentacules ; le plus petit morceau que j’aie essayé, et qui causa une action évidente, avait seulement 8/1000e de pouce (0,203 de millim.) de longueur, et pesait 1/78740 de grain ou 0,000822 de milligramme. Dans ces divers cas, non-seulement l’inflexion des tentacules était apparente, mais encore le liquide pourpre contenu dans leurs cellules s’agrégea en petites masses de protoplasma, ainsi qu’il sera décrit dans le prochain chapitre ; cette agrégation était si évidente que j’aurais pu, par ce moyen seul, indiquer facilement, en me servant du microscope, tous les tentacules qui s’étaient infléchis vers le centre, au milieu des centaines d’autres appartenant aux mêmes feuilles, qui n’avaient pas été mis en mouvement.

La petitesse des parcelles qui suffisent pour provoquer l’inflexion m’a considérablement surpris ; mais je l’ai été plus encore quand je me suis demandé comment il était possible que ces parcelles eussent une action sur les glandes ; il faut se rappeler, en effet, que ces parcelles avaient été placées avec le plus grand soin sur la surface convexe de la sécrétion. Je pensai d’abord, mais je sais aujourd’hui que je me trompais, que des parcelles de substances ayant une densité aussi minime que le liège, le fil et le papier ne devaient pas pouvoir arriver au contact de la surface des glandes. Ces parcelles ne peuvent agir simplement en raison de ce que leur poids s’ajoute à celui de la sécrétion, car j’ai placé bien des fois sur cette sécrétion des petites gouttes d’eau beaucoup plus lourdes que ces parcelles, et aucun effet n’a jamais été produit. On ne peut pas attribuer non plus l’inflexion au trouble apporté dans la sécrétion, car, au moyen d’une aiguille, j’en ai souvent étiré de longs filaments, et je les ai fixés à quelque objet voisin, laissant les choses en cet état pendant des heures ; or, les tentacules restaient immobiles.

J’ai aussi enlevé avec soin la sécrétion de quatre glandes, en me servant d’un morceau de papier buvard roulé en pointe fine, de façon à ce que ces glandes nues restassent pendant quelque temps exposées à l’air ; cela ne provoqua aucun mouvement. Cependant, ces glandes étaient en parfait état, car, au bout de vingt-quatre heures, je plaçai sur elles des petits morceaux de viande, et elles s’infléchirent toutes très-rapidement. Il me vint alors à la pensée que des parcelles suspendues au-dessus de la surface sécrétante projettent une ombre sur les glandes, et que celles-ci pouvaient être très-sensibles à l’interception de la lumière. Bien que cela fût très-improbable, car des éclats de verre incolore très-petits et très-minces ont une action puissante, je n’en résolus pas moins de tenter un essai. Dès qu’il fit nuit, je plaçai aussi rapidement que possible, en m’éclairant d’une seule bougie, des parcelles de liège sur les glandes d’une douzaine de tentacules, et des morceaux de viande sur d’autres glandes, puis je les recouvris de façon à ce que pas un rayon de lumière ne pût parvenir jusqu’à la feuille. Le lendemain matin, après un intervalle de treize heures, toutes ces particules avaient été transportées au centre des différentes feuilles.

Ces résultats négatifs me conduisirent à tenter beaucoup d’autres expériences. Je plaçai des parcelles à la surface des gouttes de sécrétion, en observant avec beaucoup de soin si elles pénétraient dans la sécrétion pour toucher la surface des glandes. La sécrétion, grâce à son poids, forme généralement une couche plus épaisse sur le côté inférieur des glandes que sur leur côté supérieur, quelle que puisse être d’ailleurs la position des tentacules. J’expérimentai donc avec des morceaux extrêmement petits, tels que ceux que j’avais employés déjà, de liège desséché, de fil, de papier buvard et de charbon ; j’observai qu’ils absorbent en quelques minutes une quantité beaucoup plus considérable de la sécrétion que je ne l’aurais cru possible. Placées à la surface supérieure de la sécrétion à l’endroit où elle est le plus mince, ces parcelles sont souvent entraînées quelques minutes après, de façon à se trouver en contact au moins avec un point de la glande. Quant aux éclats de verre très-petits et aux parcelles de cheveux, j’observai que la sécrétion les recouvre lentement et qu’ils sont aussi attirés du haut en bas ou de côté, et qu’ainsi une de leurs extrémités arrive à toucher la glande plus ou moins vite.

Dans les cas que je viens d’indiquer et dans les cas qui suivent, il est probable que les vibrations auxquelles on est exposé dans toutes les chambres, contribuent beaucoup à amener les parcelles en contact avec les glandes. Or, comme il est quelquefois difficile, à cause de la réfraction produite par la sécrétion, de s’assurer si la parcelle est réellement en contact avec la glande, j’essayai l’expérience suivante. Je plaçai, avec beaucoup de soin, sur les gouttelettes entourant diverses glandes, des morceaux extraordinairement petits de verre, de cheveux et de liège ; peu de glandes furent affectées. J’agitai alors, au bout d’une demi-heure environ, avec une aiguille très-fine, et en me servant du microscope, les parcelles qui se trouvaient sur les tentacules qui n’avaient donné aucun signe d’action, tout en ayant soin de ne pas toucher les glandes. Or, au bout de quelques minutes, presque tous les tentacules jusqu’alors immobiles commencèrent à s’infléchir, mouvement causé sans doute parce qu’une extrémité des parcelles avait été placée en contact avec la surface des glandes. Toutefois, comme les molécules étaient extrêmement petites, le mouvement fut peu considérable.

J’employai enfin du verre bleu foncé réduit dans le mortier en éclats très-petits, afin de pouvoir mieux distinguer les extrémités des parcelles plongées dans la sécrétion ; je plaçai treize de ces parcelles en contact avec les parties pendantes et, par conséquent, plus épaisses, des gouttes autour de treize glandes. Cinq tentacules se mirent en mouvement après un intervalle de quelques minutes, et je pus m’assurer, dans ces cas, que les parcelles étaient en contact avec la surface inférieure de la glande. Un sixième tentacule se mit en mouvement au bout d’une heure quarante-cinq minutes ; la parcelle de verre se trouvait alors en contact avec la glande, contact qui ne s’était pas produit jusque-là ; il en fut de même pour un septième tentacule, mais il ne commença à s’infléchir qu’au bout de trois heures quarante-cinq minutes. Les six autres tentacules restèrent immobiles pendant tout le temps que je les observai ; il est probable que, chez eux, les parcelles ne se trouvèrent jamais en contact avec la surface des glandes.

Ces expériences nous enseignent que les parcelles de substances ne contenant aucune matière soluble, causent souvent l’inflexion des tentacules dans un laps de temps variant de une à cinq minutes ; mais il faut, dans ce cas, que les parcelles se soient trouvées tout d’abord en contact avec la surface des glandes. Quand les tentacules ne commencent à se mouvoir qu’au bout d’un temps beaucoup plus long, c’est-à-dire d’une demi-heure à trois ou quatre heures, c’est que les parcelles ont été lentement amenées au contact des glandes, soit parce qu’elles ont absorbé la sécrétion, soit parce que celle-ci les a graduellement recouvertes, et qu’il s’y est joint une évaporation plus rapide. Quand les tentacules restent immobiles, c’est que les parcelles ne se sont pas trouvées en contact avec les glandes, ou que les tentacules ne sont pas à l’état actif. En tout cas, il est indispensable pour provoquer un mouvement des tentacules qu’une molécule d’un corps, quel qu’il soit, repose immédiatement sur les glandes, car un attouchement répété une, deux, ou même trois fois, avec un corps dur ne suffit pas pour provoquer un mouvement.

Je puis citer ici une autre expérience qui prouve que des parcelles extrêmement petites suspendues dans l’eau agissent sur les glandes. J’ai fait dissoudre un grain (0,065 de gramme) de sulfate de quinine dans une once d’eau (31,091 grammes) sans filtrer la solution. Je plongeai trois feuilles dans quatre-vingt-dix minimes de ce liquide, et je fus tout étonné de voir que les trois feuilles s’infléchissaient considérablement au bout de vingt-cinq minutes ; je savais, en effet, à la suite d’essais précédents, que la solution n’agit pas aussi rapidement. Il me vint immédiatement à la pensée que des parcelles de sulfate de quinine non dissous, parcelles assez légères pour se trouver en suspension dans l’eau, avaient pu se trouver en contact avec les glandes, et causer ce mouvement rapide. Pour m’en assurer, j’ajoutai à de l’eau distillée une pincée d’une substance très-innocente, c’est-à-dire un précipité de carbonate de chaux qui, comme on le sait, consiste en une poudre impalpable ; j’agitai le mélange et j’obtins ainsi un liquide ressemblant à du lait très-étendu d’eau. Je plongeai deux feuilles dans ce liquide, et, au bout de six minutes, presque tous les tentacules étaient infléchis. Je plaçai une de ces feuilles sous le microscope, et je pus m’assurer que d’innombrables atomes de chaux adhéraient à la surface extérieure de la sécrétion. Quelques autres l’avaient traversée et reposaient sur la surface des glandes ; c’étaient sans doute ces dernières parcelles qui avaient provoqué l’inflexion des tentacules. Quand on plonge une feuille dans l’eau, la sécrétion se gonfle beaucoup ; je suppose qu’il se produit ça et là une fissure, et que, de cette façon, l’eau peut pénétrer jusqu’à la glande. S’il en est ainsi, il est facile de s’expliquer que les atomes de chaux qui reposaient à la surface des glandes aient pu traverser la sécrétion. Quiconque a écrasé entre ses doigts de la chaux précipitée a pu se rendre compte de l’excessive finesse de cette poudre. Sans doute, il doit y avoir une limite au delà de laquelle une molécule serait trop petite pour agir sur la glande ; mais je ne saurais dire quelle est cette limite. J’ai souvent vu des fibres et de la poussière tomber de l’atmosphère sur les glandes des plantes que je cultive dans ma chambre, mais cette poussière n’a jamais provoqué le moindre mouvement ; il est vrai d’ajouter que ces parcelles reposaient à la surface du liquide sécrété, et ne pénétraient jamais jusqu’aux glandes.

Enfin, n’est-ce pas un fait extraordinaire qu’un petit morceau de fil ayant 1/50e de pouce (0,508 de millim.) de longueur, et pesant 1/8197e de grain (0,00793 de milligr.), qu’un cheveu humain ayant 8/1000e de pouce (0,203 de millim.) de longueur, et ne pesant que 1/78740e de grain (0,000822 de milligr.), ou que des molécules d’un précipité de chaux, après avoir reposé quelque temps sur une glande, amènent quelque changement dans ses cellules, et les provoquent à transmettre une impulsion à travers toute la longueur du pédicelle, qui comprend environ vingt cellules, jusque vers la base, fassent fléchir cette base et fassent décrire aux tentacules un angle de plus de 180e ? Nous pourrons citer, en traitant de l’agrégation du protoplasma, des preuves nombreuses qui prouvent que le contenu des cellules des glandes, et ensuite le contenu des cellules des pédicelles, sont évidemment affectés par la pression de parcelles extrêmement petites. Le cas, d’ailleurs, est encore bien plus remarquable que je ne l’ai indiqué jusqu’à présent, car les parcelles reposent sur une sécrétion dense et visqueuse ; néanmoins, des molécules encore plus petites que celles dont j’ai pu donner la mesure, amenées au contact de la surface d’une glande par un des moyens que je viens d’indiquer et par un mouvement insensible, agissent sur cette glande et causent l’inflexion du tentacule.

Il est impossible d’exprimer combien doit être minime la pression exercée par un morceau de cheveu, ne pesant que 1/78740e de grain (0,00082 de milligr.), supporté qu’il est en outre par un liquide dense. Nous pouvons supposer que cette pression peut à peine égaler un millionième de grain ; nous verrons d’ailleurs bientôt que moins d’un millionième de grain de phosphate d’ammoniaque en solution, absorbé par une glande, agit sur elle et provoque un mouvement du tentacule. J’ai placé sur ma langue un morceau de cheveu ayant l/50e de pouce de longueur, morceau par conséquent beaucoup plus gros que ceux employés dans les expériences précédentes ; or, il m’a été impossible de m’apercevoir de sa présence. Il est très-douteux, je crois, que le nerf le plus sensible du corps humain, en admettant même que ce nerf soit le siège d’une inflammation, puisse être affecté par une substance aussi petite, supportée par un liquide dense qui l’amène lentement en contact avec lui. Cependant, ces parcelles suffisent à irriter les glandes du Drosera et à provoquer une impulsion qui se transmet à un point éloigné et qui se traduit par un mouvement apparent. Il me semble que c’est là un des faits les plus remarquables qu’on ait observés jusqu’à présent dans le règne végétal.

Inflexion des tentacules extérieurs quand on excite leurs glandes par des attouchements répétés.

Nous avons déjà vu que si on excite les glandes centrales en les frottant légèrement, ces glandes transmettent une impulsion aux tentacules extérieurs et déterminent leur inflexion. Nous avons actuellement à examiner l’effet produit par des attouchements opérés sur les glandes des tentacules extérieurs. Il m’est arrivé bien souvent de toucher une fois seulement, avec une aiguille ou avec un pinceau, un grand nombre de glandes assez fortement pour incliner tout le tentacule flexible ; or, bien que la pression ainsi opérée ait dû être mille fois plus grande que celle opérée par le poids des parcelles ci-dessus décrites, pas un seul tentacule ne s’est infléchi. Dans une autre occasion, j’ai touché quarante-cinq glandes sur onze feuilles, une, deux et même trois fois avec une aiguille ou avec un pinceau assez rude. Cet attouchement a été fait aussi rapidement que possible, mais avec assez de force pour incliner les tentacules ; cependant, six seulement s’infléchirent, trois d’une façon apparente et trois très-légèrement. Afin de m’assurer si les tentacules qui n’avaient pas été affectés se trouvaient à l’état actif, je plaçai sur dix d’entre eux des petits morceaux de viande, et tous s’infléchirent bientôt de façon très-apparente. D’autre part, quand on répète sur un grand nombre de glandes quatre, cinq ou six fois de suite l’attouchement que je viens d’indiquer, avec une aiguille ou un éclat aigu de verre, une proportion beaucoup plus grande des tentacules s’infléchissent ; mais le résultat est si incertain, qu’on pourrait presque l’appeler capricieux. Par exemple, je touchai, ainsi que je viens de le dire, trois glandes qui se trouvaient extrêmement sensibles, et les trois tentacules s’infléchirent presque aussi rapidement que si j’avais placé des morceaux de viande sur les glandes. Dans une autre occasion, j’exerçai une seule pression très-vive sur un nombre considérable de glandes, et pas un tentacule ne se mit en mouvement ; mais, en exerçant, quelques heures après, quatre ou cinq attouchements sur ces mêmes glandes avec une aiguille, plusieurs tentacules s’infléchirent aussitôt.

Le fait qu’un, deux ou même trois attouchements ne causent pas d’inflexion doit être fort utile à la plante. En effet, pendant le mauvais temps, il est à peu près certain que les glandes doivent être touchées par les herbes ou par les plantes qui croissent auprès d’elles ; or, ce serait un grand malheur pour elles si ces attouchements suffisaient pour faire infléchir les tentacules ; car il leur faut beaucoup de temps pour reprendre leur position normale, et il leur est impossible de saisir une proie jusqu’à ce qu’ils se soient redressés. D’autre part, une sensibilité extrême pour une pression, quelque légère qu’elle soit, rend les plus grands services à la plante ; car, ainsi que nous l’avons vu, si les pattes fines d’un insecte très-petit pressent légèrement deux ou trois glandes au moment où il se débat, les tentacules portant ces glandes s’infléchissent et portent l’insecte vers le centre de la feuille ; le mouvement se communique au bout de quelques instants à tous les tentacules de la circonférence, qui viennent à leur tour embrasser la proie commune. Néanmoins, les mouvements de la plante ne sont pas parfaitement adaptés à ses besoins ; car si un morceau de mousse desséchée, si une parcelle d’une feuille ou d’un autre objet est porté par le vent au centre de la feuille, comme cela arrive souvent, les tentacules s’infléchissent inutilement pour le saisir. Il est vrai qu’ils reconnaissent bientôt leur erreur et relâchent ces objets, qui ne leur fournissent aucun aliment.

Il est aussi un fait remarquable, c’est que les gouttes d’eau, tombant d’en haut sous forme de pluie naturelle ou artificielle, ne provoquent pas de mouvement dans les tentacules ; cependant, les gouttes d’eau doivent frapper les glandes avec une force considérable, surtout quand une pluie abondante a enlevé toute la sécrétion ; or, ceci arrive souvent, bien que la sécrétion soit si visqueuse, qu’il est difficile de l’enlever en agitant les feuilles dans l’eau. Si les gouttes d’eau sont petites, elles adhèrent à la sécrétion, dont le poids doit être ainsi beaucoup plus augmenté, comme nous l’avons déjà fait remarquer, que dans le cas où on place sur elles des morceaux extrêmement petits de matières solides ; cependant les gouttes d’eau ne provoquent jamais l’inflexion des tentacules. Il est évident que c’eût été un grand malheur pour la plante si, comme nous l’avons déjà dit pour les attouchements accidentels, une ondée avait provoqué l’inflexion des tentacules ; mais ce malheur a été évité, soit parce que les glandes, en raison d’une longue habitude, sont devenues insensibles aux coups et à la pression prolongée des gouttes d’eau, soit parce que, dès le principe, elles ont été sensibles seulement au contact des corps durs. Nous verrons ci-après que les filaments des feuilles de la Dionée sont aussi insensibles au choc des liquides, bien qu’elles soient très-sensibles au moindre attouchement d’un corps solide quel qu’il soit.

Quand on coupe avec des ciseaux bien affilés le pédicelle d’un tentacule juste au-dessous de la glande, le tentacule s’infléchit ordinairement. J’ai répété bien des fois cette expérience, ce fait m’ayant beaucoup surpris ; car toutes les autres parties du pédicelle sont insensibles, de quelque façon qu’on veuille les exciter. Ces tentacules décapités reprennent au bout de quelque temps leur position normale ; mais j’aurai à revenir sur ce point. D’autre part, j’ai quelquefois réussi à écraser une glande avec des pinces ; mais cela ne produit aucune inflexion. Dans ce dernier cas, le tentacule semble paralysé, de même qu’il l’est par l’action d’une solution trop forte de certains sels et par une trop grande chaleur ; tandis que les solutions plus faibles du même sel et qu’une chaleur plus douce provoquent chez lui un mouvement. Nous verrons aussi, dans les chapitres suivants, que divers autres liquides, que quelques vapeurs et que l’oxygène (après que la plante a été pendant quelque temps soustraite à l’action de ce gaz) provoquent des inflexions ; on peut en provoquer aussi en se servant d’un courant électrique induit[2].

  1. J’ai fait de nombreuses expériences, en m’entourant de toutes les précautions possibles, pour vérifier les opinions extraordinaires exprimées par M. Ziegler (Comptes rendus, mai 1872, p. 1227), c’est-à-dire que les substances albumineuses acquièrent la propriété de faire contracter les tentacules du Drosera si on tient ces substances un instant entre les doigts, mais que, si on ne les touche pas elles perdent cette faculté. Le résultat de mes expériences n’a pas confirmé cette opinion. J’ai expérimenté en me servant d’éclats de charbon pris tout rouges dans le foyer, de morceaux de verre, de fils de coton, de papier buvard, de liège, que je plongeais dans l’eau bouillante avant de m’en servir ; je plaçais alors ces substances, en ayant soin de plonger aussi dans l’eau bouillante tous les instruments avec lesquels je les touchais, sur les glandes de différentes feuilles ; leur action est exactement la même que celle d’autres parcelles semblables qui avaient été tenues à dessein dans les doigts pendant quelque temps. Des morceaux d’œuf cuit, coupés avec un couteau qui avait été lavé à l’eau bouillante, agirent exactement comme toutes les autres substances animales. Je soufflai sur quelques feuilles pendant plus d’une minute, et je répétai cette action deux ou trois fois en plaçant ma bouche tout près de la feuille ; mais cela ne produisit aucun effet. Je puis ajouter ici, pour prouver que l’odeur des substances azotées n’a aucune action sur les feuilles, que je plaçai aussi près que possible de plusieurs feuilles des morceaux de viande crue, sans permettre toutefois qu’elles les touchassent, et qu’aucun effet ne fut produit. D’autre part, comme nous le verrons bientôt, les vapeurs de certaines substances volatiles et de certains liquides, tels que le carbonate d’ammoniaque, le chloroforme, certaines huiles essentielles, etc., provoquent l’inflexion. M. Ziegler constate quelques autres faits aussi extraordinaires, relativement au pouvoir de certaines substances animales placées immédiatement auprès, mais non pas en contact absolu avec le sulfate de quinine. Je décrirai, dans un prochain chapitre, l’action des sels de quinine. Depuis la publication du mémoire auquel je viens de faire allusion, M. Ziegler a publié sur le même sujet un volume intitulé : Atonicité et Zoïcité, 1874.
  2. Mon fils Francis, guidé par les observations du Dr Burdon Sanderson sur la Dionée, a constaté que si l’on plante deux aiguilles dans une feuille de Drosera, les tentacules ne se mettent pas en mouvement ; mais que si l’on place ces deux aiguilles en rapport avec les pôles de la bobine secondaire d’un appareil inducteur de Dubois, les tentacules s’infléchissent au bout de quelques minutes. Mon fils espère publier bientôt ses observations à ce sujet.