Traduction par Edmond Barbier.
Précédé d’une Introduction biographique et augmenté de notes complémentaires par Charles Martins
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Texte établi par Francis Darwin Voir et modifier les données sur WikidataParis : C. Reinwald et C.ie, libreires-éditeurs, 15, rue des Saints-Pères, D. Appleton & Company Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 321-329).

CHAPITRE XII

structure et mouvements de quelques autres espèces de drosera.

Drosera anglica. — Drosera intermedia. — Drosera capensis. — Drosera spathulata. — Drosera filiformis. — Drosera binata. — Conclusions.


J’ai étudié d’autres espèces de Drosera dont quelques-unes habitent des pays fort éloignés ; mon étude a porté principalement sur le fait de savoir si ces Drosera capturent ou non des insectes. Cet examen me paraissait d’autant plus nécessaire que les feuilles de quelques espèces diffèrent considérablement sous le rapport de la forme des feuilles arrondies du Drosera rotundifolia. Toutefois, on remarque fort peu de différences entre elles au point de vue de la fonction.

Drosera anglica (Hudson[1]). — On m’a envoyé d’Irlande plusieurs feuilles de cette espèce de Drosera ; ces feuilles sont très-allongées et s’élargissent graduellement à partir de la tige jusqu’au sommet qui se termine en une pointe grossière. Elles se tiennent presque droites ; le limbe a quelquefois un pouce (2,54 centim. ) de longueur, tandis que la largeur n’atteint que le 1/5 de pouce (0,51 centim.) Les glandes de tous les tentacules ont la même conformation, de sorte que les glandes marginales extrêmes ne diffèrent pas des autres comme chez le Drosera rotundifolia. Quand on irrite ces glandes par des attouchements un peu rudes ou en les mettant en contact avec des parcelles inorganiques microscopiques, ou avec des matières animales, ou enfin en leur faisant absorber du carbonate d’ammoniaque, les tentacules s’infléchissent ; la base du tentacule est le siège principal du mouvement. On n’excite aucun mouvement chez les tentacules en coupant ou en piquant le limbe. Ces feuilles capturent fréquemment des insectes, et les glandes des tentacules infléchis déversent alors d’abondantes sécrétions acides. J’ai placé des morceaux de viande rôtie sur quelques glandes et les tentacules se mirent en mouvement au bout d’une minute ou d’une minute trente secondes ; au bout d’une heure dix minutes, les glandes avaient atteint le centre. J’ai placé sur cinq glandes, à l’aide d’un instrument qui avait été plongé dans l’eau bouillante, deux parcelles de liège bouilli, une de fil bouilli et deux petits morceaux de charbon tirés directement du feu ; j’avais pris ces précautions superflues à cause des remarques faites par M. Ziegler. Une des parcelles de charbon provoqua une légère inflexion au bout de huit heures quarante-cinq minutes, et l’autre au bout de vingt-trois heures ; le morceau de fil et les deux morceaux de liège provoquèrent aussi un mouvement au bout du même laps de temps. Je touchai trois glandes six fois de suite avec une aiguille ; un des tentacules s’infléchit considérablement au bout de dix-sept minutes, et se redressa au bout de vingt-quatre heures ; les deux autres ne furent pas affectés. Le liquide homogène, contenu dans les cellules des tentacules s’agrège après que ces derniers se sont infléchis ; il s’agrège surtout si on met les glandes en contact avec une solution de carbonate d’ammoniaque ; enfin, j’ai observé les mouvements ordinaires dans les masses de protoplasma. Dans un cas, l’agrégation se produisit une heure dix minutes après qu’un tentacule avait transporté un morceau de viande au centre de la feuille. Il résulte clairement de ces faits que les tentacules du Drosera anglica se comportent de la même façon que celles du Drosera rotundifolia.

Si l’on place un insecte sur les glandes centrales, ou que l’insecte s’y pose naturellement, le sommet de la feuille se recourbe vers le centre. Par exemple, j’ai placé des mouches mortes sur trois feuilles près de la base du limbe ; au bout de vingt-quatre heures, le sommet de ces feuilles, qui jusque-là était droit, s’était recourbé complètement, de façon à embrasser et à cacher les mouches ; le sommet de la feuille avait donc décrit un angle de 180°. Au bout de trois jours, le sommet de la feuille et les tentacules commencèrent à se redresser. Toutefois, autant que j’ai pu m’en assurer, et j’ai fait de nombreux essais à ce sujet, les côtés des feuilles ne s’infléchissent jamais, ce qui établit une différence de fonction entre cette espèce et le Drosera rotundifolia.

Drosera intermedia (Hayne). — Cette espèce est tout aussi commune que le Drosera rotundifolia dans quelques parties de l’Angleterre. Elle ne diffère du Drosera anglica, en ce qui concerne les feuilles, que parce qu’elles sont plus petites, et que leur sommet est ordinairement un peu réfléchi. Le Drosera intermedia capture un grand nombre d’insectes. Toutes les causes que j’ai déjà citées provoquent l’inflexion des tentacules, puis vient l’agrégation du protoplasma et le mouvement des masses protoplasmatiques. En me servant d’une loupe, j’ai pu voir un tentacule qui commençait à s’infléchir, moins d’une minute après que j’avais placé un morceau de viande crue sur la glande. Le sommet de la feuille se recourbe pour embrasser un objet qui excite les glandes, comme nous venons de le voir chez le Drosera anglica. Les glandes déversent d’abondantes sécrétions acides sur les insectes capturés. Une feuille dont tous les tentacules avaient embrassé une mouche commença à se redresser au bout de trois jours environ.

Drosera capensis. — Cette espèce m’a été envoyée par le Dr Hooker. Les feuilles sont allongées, légèrement concaves au milieu, et se rétrécissent vers le sommet qui se termine en pointe grossière, et qui est quelque peu réfléchi. Ces feuilles sortent d’un axe presque ligneux, et leur plus grande particularité consiste en ce que leurs tiges foliacées vertes sont presque aussi larges et souvent plus longues que le limbe qui porte les glandes. Il est donc probable que cette espèce tire une plus grande partie de son alimentation de l’air, et, par conséquent, une moindre partie des insectes capturés que ne le font les autres espèces du genre. Néanmoins, le disque est couvert de tentacules très-rapprochés extrêmement nombreux ; les tentacules marginaux sont beaucoup plus longs que les tentacules centraux. Toutes les glandes ont la même forme ; la sécrétion est très-visqueuse et acide.

Le spécimen que j’ai examiné venait seulement de recouvrer la santé. C’est ce qui explique peut-être que les tentacules ont été animés de mouvements très-lents quand j’ai placé des parcelles de viande sur les glandes, et, aussi, que je ne suis jamais arrivé à provoquer un mouvement chez eux en chatouillant longtemps les glandes avec une aiguille. Je dois toutefois ajouter que, chez toutes les espèces de ce genre, ce dernier stimulant est le moins efficace. Je plaçai des parcelles de verre, de liège et de charbon sur les glandes de six tentacules ; un seul se mit en mouvement au bout de deux heures trente minutes. Toutefois, deux glandes se montrèrent extrêmement sensibles à de très-petites doses d’azotate d’ammoniaque, c’est-à-dire à environ 1/20e de minime d’une solution (1 partie de sel pour 5,250 parties d’eau), contenant seulement 1/115200e de grain (0,000562 de milligr.) de sel. Je plaçai des fragments de mouche sur le limbe de deux feuilles près du sommet ; ce sommet se recourba au bout de quinze heures. Je plaçai aussi une mouche au milieu de la feuille ; au bout de quelques heures, les tentacules placés de chaque côté l’avaient embrassée, et, au bout de huit heures, la partie de la feuille située directement au-dessous de la mouche s’était un peu reployée transversalement. Le lendemain matin, au bout de vingt-trois heures, la feuille s’était si complètement recourbée que le sommet reposait sur l’extrémité supérieure de la tige. Dans aucun cas, les côtés des feuilles ne s’infléchirent. Je plaçai une mouche écrasée sur la tige foliacée, mais sans qu’aucun effet se produisît.

Drosera spathulata envoyé par le docteur Hooker. — J’ai fait seulement quelques expériences sur cette espèce australienne ; elle a de longues feuilles étroites qui s’élargissent graduellement vers le sommet. Les glandes des tentacules marginaux extrêmes, de même que chez le Drosera rotundifolia sont allongées et ne ressemblent pas aux autres. Je plaçai une mouche sur une feuille ; au bout de dix-huit heures, les tentacules adjacents l’avaient embrassée. Des gouttes d’eau gommée placées sur une feuille ne produisirent aucun effet. Je plongeai un morceau d’une feuille dans quelques gouttes d’une solution contenant une partie de carbonate d’ammoniaque pour 146 parties d’eau ; toutes les glandes noircirent instantanément, et je pus observer distinctement que l’agrégation se propageait rapidement dans les cellules des tentacules ; les granules de protoplasma se transformèrent bientôt en sphères et en masses affectant diverses formes, agitées des mouvements ordinaires. Je plaçai ensuite sur le centre d’une feuille 1/2 minime d’une solution contenant 1 partie d’ammoniaque pour 146 parties d’eau ; au bout de six heures, quelques tentacules marginaux placés aux deux côtés de la feuille s’étaient infléchis, et, au bout de neuf heures, ils se réunirent, au centre. Les bords latéraux de la feuille se recourbèrent aussi, de façon à former un demi-cylindre ; toutefois, dans aucune des quelques expériences que j’ai pu faire, le sommet de la feuille ne s’infléchit. La dose employée d’azotate d’ammoniaque dans l’expérience dont je viens de parler (c’est-à-dire 1/320e de grain, ou 0,202 de milligr.) était trop énergique, car au bout de vingt-trois heures la feuille mourut.

Drosera filiformis. — Cette espèce, de l’Amérique du Nord, se trouve en si grande abondance dans certaines parties du New-Jersey qu’elle recouvre presque le terrain. Selon Mme Treat[2], cette plante capture une quantité extraordinaire d’insectes grands et petits, et même, de grosses mouches du genre Asilus, des phalènes et des papillons. Le docteur Hooker a bien voulu m’envoyer le plant que j’ai examiné ; les feuilles ont de six à douze pouces de longueur (de 15,234 centim. à 30,468 centim.), et ressemblent à un fil ; la surface supérieure est convexe, la surface inférieure plate et légèrement ondulée. Toute la surface convexe jusqu’aux racines, car ces feuilles ne sont pas supportées par une tige distincte, est recouverte de tentacules courts terminés par une glande ; les tentacules marginaux sont plus longs que les autres et quelque peu réfléchis. Des morceaux de viande placés sur les glandes de quelques tentacules provoquèrent chez eux une légère inflexion au bout de vingt minutes ; il est bon d’ajouter que la plante n’était pas très-vigoureuse. Au bout de six heures, les tentacules avaient décrit un angle de 90°, et, au bout de vingt-quatre heures, ils avaient atteint le centre ; les tentacules adjacents commencèrent alors à s’infléchir. Enfin, les glandes réunies sur le morceau de viande déversèrent sur lui une grosse goutte de sécrétion extrêmement visqueuse et légèrement acide. Plusieurs autres glandes furent touchées avec un peu de salive ; les tentacules s’infléchirent en moins d’une heure, et se redressèrent au bout de dix-huit heures. Je plaçai des parcelles de verre, de liège, de charbon, de fil, de feuilles d’or sur de nombreuses glandes appartenant à deux feuilles ; au bout d’une heure environ, quatre tentacules s’infléchirent et quatre autres au bout d’un nouveau laps de temps de deux heures trente minutes. Je ne parvins jamais à provoquer un mouvement en chatouillant longtemps les glandes avec une aiguille ; Mme Treat a bien voulu répéter souvent cette même expérience, mais sans obtenir non plus aucun résultat. Je plaçai des petites mouches sur plusieurs feuilles auprès de leur extrémité ; mais le limbe, dans une occasion seulement, se recourba légèrement, immédiatement au-dessous de l’endroit où reposait l’insecte. Ceci indique peut-être que le limbe des feuilles appartenant à des plantes vigoureuses se recourberait sur les insectes capturés, ce qui arrive d’après le Dr Canby ; toutefois, ce mouvement ne doit pas être bien prononcé, car Mme Treat ne l’a jamais observé.

Drosera binata ou dichotoma. — Je dois à l’obligeance de lady Dorothy Nevill un magnifique exemplaire de cette espèce australienne presque gigantesque ; elle diffère par bien des points intéressants des espèces que nous avons décrites jusqu’à présent. Dans ce spécimen, les tiges des feuilles ressemblent à un jonc et ont vingt pouces (50,78 centim.) de longueur. Le limbe de la feuille se bifurque à sa jonction avec la tige, puis ensuite il se bifurque encore deux ou trois fois, et se recourbe de la façon la plus irrégulière. La feuille est étroite, n’ayant que 3/20e de pouce (0,38 de centim.) de largeur. Le limbe d’une de ces feuilles avait sept pouces et demi de longueur (19,542 centim.), de sorte que la feuille entière, y compris la tige, atteignait une longueur de plus de 27 pouces (68,55 centim.). Les deux surfaces sont légèrement déprimées, la surface supérieure est recouverte de tentacules disposés en rangées alternes : les tentacules du milieu sont courts et rapprochés les uns des autres ; les tentacules marginaux sont plus longs et ils atteignent même une longueur égale à deux ou trois fois la largeur de la feuille. Les glandes des tentacules extérieurs sont d’un rouge beaucoup plus foncé que celles des tentacules centraux. Tous les pédicelles sont verts. Le sommet de la feuille s’amincit et porte de très-longs tentacules. M. Copland m’apprend que les feuilles d’un plant qu’il a conservé pendant quelques années étaient, avant de se faner, ordinairement recouvertes d’insectes capturés.

Ces feuilles ne diffèrent par aucun point essentiel, quant à la conformation ou à la fonction, de celles des espèces précédemment décrites. Des morceaux de viande ou un peu de salive placés sur les glandes des tentacules extérieurs ont provoqué un mouvement bien marqué au bout de trois minutes, et des parcelles de verre ont agi au bout de quatre minutes. Les tentacules portant ces dernières parcelles se sont redressés au bout de vingt-deux heures. Je plongeai un morceau d’une feuille dans quelques gouttes d’une solution contenant une partie de carbonate d’ammoniaque pour 437 parties d’eau ; au bout de cinq minutes, toutes les glandes étaient devenues noires, et tous les tentacules s’étaient infléchis. Un morceau de viande crue placé sur plusieurs glandes de la rangée centrale fut parfaitement embrassé au bout de deux heures dix minutes par les tentacules marginaux appartenant aux deux côtés de la feuille. Des morceaux de viande rôtie et des petites mouches n’agirent pas aussi rapidement ; l’albumine et la fibrine agirent encore plus lentement. Un des morceaux de viande provoqua de si nombreuses sécrétions (sécrétions toujours acides), que la liqueur visqueuse coula jusqu’à une certaine distance le long du sillon central de la feuille, en provoquant l’inflexion des tentacules de chaque côté de ce sillon jusqu’au point où elle s’était arrêtée. Des parcelles de verre placées sur les glandes de la rangée centrale de tentacules ne les stimula pas assez pour qu’elles puissent transmettre une impulsion motrice aux tentacules extérieurs. Dans aucun cas, le limbe de la feuille ni même le sommet aminci ne s’est infléchi.

À la surface supérieure et à la surface inférieure du limbe, on remarque de nombreuses petites glandes presque sessiles composées de 4 à 8 ou 12 cellules. À la surface inférieure, ces glandes sont pourpre pâle et verdâtres à la surface supérieure. On remarque des organes presque semblables sur la tige, mais ils sont plus petits et souvent ridés. Les petites glandes placées sur le limbe de la feuille peuvent absorber rapidement ; ainsi, j’ai plongé un morceau de feuille dans une solution contenant une partie de carbonate d’ammoniaque pour 218 parties d’eau (1 grain pour 2 onces d’eau), et, au bout de cinq minutes, ces glandes étaient devenues presque noires, et le contenu de leurs cellules était agrégé. Autant que j’ai pu l’observer, elles ne sécrètent pas spontanément ; toutefois, deux ou trois heures après avoir frotté une feuille avec un morceau de viande crue, humectée avec de la salive, ces glandes m’ont paru sécréter abondamment ; divers autres faits m’ont confirmé plus tard dans cette conclusion. Ces glandes sont donc, comme nous le verrons bientôt, homologues avec les glandes sessiles qui se trouvent sur les feuilles de la Dionée et du Drosophyllum. Dans ce dernier genre, ces glandes sont associées, comme dans le cas actuel, à des glandes qui sécrètent spontanément, c’est-à-dire sans avoir besoin d’être excitées.

Le Drosera binata présente une autre singularité plus remarquable encore, c’est-à-dire la présence de quelques tentacules sur le dessous des feuilles auprès du bord. Ces tentacules ont une conformation parfaite ; des vaisseaux spiraux pénètrent, dans leur pédicelle, et leurs glandes sont environnées par des gouttes de sécrétions visqueuses ; enfin, elles jouissent de la propriété d’absorber certaines substances. On peut démontrer ce dernier fait en plongeant une feuille dans une petite quantité d’une solution contenant une partie de carbonate d’ammoniaque pour 437 parties d’eau ; en effet, les glandes noircissent immédiatement et le protoplasma s’agrège. Ces tentacules, situés au-dessous de la feuille, sont courts ; ils sont loin, en effet, d’égaler en longueur les tentacules marginaux situés à la partie supérieure de la feuille ; quelques-uns sont même si courts qu’ils se confondent presque avec les petites glandes sessiles. La présence, le nombre et la grandeur de ces tentacules varient selon les feuilles, et ils sont disposés assez irrégulièrement. J’en ai compté jusqu’à vingt-un sur un des côtés de la surface inférieure d’une feuille.

Ces tentacules dorsaux diffèrent par un point important de ceux situés à la partie supérieure de la feuille, c’est-à-dire qu’ils ne possèdent aucune faculté de mouvement de quelque façon qu’on les puisse exciter. Ainsi, j’ai plongé, à différentes reprises, des morceaux provenant de quatre feuilles dans des solutions de carbonate d’ammoniaque (1 partie pour 437 parties ou pour 218 parties d’eau) : tous les tentacules situés à la surface supérieure de la feuille s’infléchirent bientôt fortement, tandis que les tentacules dorsaux ne bougèrent pas, bien que les feuilles eussent séjourné pendant plusieurs heures dans la solution, et que la couleur noire des glandes ait prouvé qu’ils avaient évidemment absorbé une certaine quantité de sel. Il faut choisir pour ces expériences des feuilles assez jeunes, car les tentacules dorsaux, quand ils deviennent vieux, et qu’ils commencent à se faner, s’inclinent souvent spontanément vers le milieu de la feuille. La faculté du mouvement possédée par ces tentacules ne les aurait pas rendus plus utiles à la plante ; ils ne sont pas, en effet, assez longs pour se replier autour du bord de la feuille, de façon à atteindre un insecte capturé par la partie supérieure. Il eût été inutile aussi que ces tentacules pussent se mouvoir vers le milieu de la surface dorsale, car il ne se trouve là aucune glande visqueuse qui puisse capturer les insectes. Bien que ces tentacules n’aient pas la faculté du mouvement, ils rendent probablement quelques services à la feuille en absorbant les matières animales de quelque petit insecte qu’ils ont pu capturer, et en absorbant aussi l’ammoniaque qui se trouve dans l’eau de pluie. Mais le fait même qu’ils n’existent pas toujours, que leur grandeur varie beaucoup, que leur position est irrégulière, indique qu’ils ne rendent pas beaucoup de services à la plante et qu’ils tendent à disparaître. Nous verrons dans un chapitre subséquent que le Drosophyllum, avec ses feuilles allongées, représente probablement la condition d’un des ancêtres primitifs du genre Drosera ; or, aucun des tentacules du Drosophyllum, pas plus ceux situés à la surface supérieure des feuilles que ceux situés à la surface inférieure, ne sont capables de bouger quand on les excite, bien qu’ils capturent de nombreux insectes qui servent à l’alimentation de la feuille. Il semble donc que le Drosera binata a conservé des restes de certains caractères primitifs, c’est-à-dire quelques tentacules immobiles situés à la partie inférieure des feuilles et des glandes sessiles assez bien développées, caractères qu’ont perdu toutes ou presque toutes les autres espèces de ce genre[3].

Conclusions. — D’après ce que nous avons vu on peut à peine douter que presque toutes, ou probablement toutes les espèces de Drosera, sont adaptées de façon à capturer les insectes en se servant des mêmes moyens ou à peu près. Outre les deux espèces australiennes que nous venons de décrire, on dit[4] qu’il existe en Australie deux autres espèces, le Drosera pallida et le Drosera sulfurea « qui referment leurs feuilles sur les insectes avec une grande rapidité ; on observe le même phénomène chez une espèce indienne, le Drosera lunata, et chez plusieurs espèces du cap de Bonne-Espérance, surtout chez le Drosera trinervis ». Une autre espèce australienne, le Drosera heterophylla dont Lindley a fait un genre distinct, le Sondera, est remarquable à cause de la forme particulière de ses feuilles ; mais je ne peux rien dire sur la faculté qu’elle possède de capturer les insectes, car je n’en ai vu que des spécimens desséchés. Les feuilles forment des petites coupes aplaties et la tige s’attache non pas à une des extrémités de la feuille, mais au centre. La surface intérieure et le bord des coupes sont garnis de tentacules qui comprennent des faisceaux fibro-vasculaires un peu différents de ceux que j’ai observés dans toutes les autres espèces ; en effet, quelques-uns des vaisseaux sont barrés et ponctués au lieu d’être spiraux, les glandes sécrètent abondamment à en juger par la quantité de sécrétion desséchée qui adhérait encore aux feuilles que j’ai examinées.

  1. Mme Treat a fait dans le American Naturalist., déc. 1873, p. 705, une excellente description du Drosera longifolia qui, sous bien des rapports, ressemble au Drosera anglica, au D. rotundifolia et au D. filiformis.
  2. American Naturalist., décembre 1873, p. 705.
  3. M. Édouard Morren a étudié le Drosera binata Labill. de la Nouvelle-Hollande (voyez J.-E. Planchon, sur la famille des Droseracées ; Ann. Sciences naturelles, 1848, p. 206.) qu’il a cultivé en serre. La feuille, dit-il, offre quatre divisions longues et étroites, légèrement creusées en gouttière et hérissées de tentacules de longueur variée : les marginaux ont jusqu’à cinq millimètres de long et sont couverts de grands stomates dont l’ostiole a souvent 0,02 de millim. de longueur. Ces tentacules agissent comme ceux des Drosera européens et M. Morren a vérifié tous les phénomènes de capture observés par M. Ch. Darwin sur des insectes ou des substances azotées et l’indifférence de ces mêmes tentacules pour des substances telles que du papier, de la moelle de sureau, la cire, la bougie, etc. L’inflexion des tentacules s’opère plus rapidement que dans le D. rotundifolia et le lobe même de la feuille se courbe en arc de cercle. Un morceau d’albumine enlacé devient transparent au bout de huit à dix heures et ne se putréfie pas. L’auteur réserve la question de l’absorption et de la nutrition sur lesquelles il se propose d’instituer de nouvelles expériences. (Voyez pour plus de détails le Bulletin de l’Académie de Belgique, 2e  série, t. XL, novembre 1875.)
    Ch. M.
  4. Gardener’s Chronicle, 1874, p. 209.