Le vol sans battement/Le vol sans battement

Papiers inédits de L.-P. Mouillard                                                                       
(Musée de la Ligue nationale aérienne)


LE VOL
SANS BATTEMENT

Le texte du second ouvrage de Mouillard, Le vol sans battement, est constitué par l’intégralité de son manuscrit copie. Nous y avons intercalé en outre, en caractères italiques, certaines portions du manuscrit brouillon, qui nous ont paru intéressantes, bien que l’auteur les ait supprimées lors de son travail de copie.

Devons-nous ajouter que nous ne nous sommes permis aucune modification, suppression ou adjonction du texte ? Tout ce que nous publions dans les pages qui suivent est écrit de la main de Mouillard.

Mais si l’on juge critiquable le plan de l’ouvrage, c’est à nous que devra s’adresser le reproche. Devant le défaut de classement précis des papiers de Mouillard, nous avons tenté de mettre à profit et de compléter par la logique − sur ce point seulement − les indications imparfaites trouvées dans le manuscrit.


A. H.-C

PRÉFACE


DIX ANS APRÈS

Je n’ai rien fait, ou du moins très peu fait depuis 1881, mais en place j’ai pensé beaucoup, et surtout énormément réfléchi aux propositions énoncées dans l’Empire de l’Air.

Je les ai bien vues, bien revues, et n’ai pas changé d’opinion.

Mais j’y ai constaté des lacunes telles que je me suis décidé à écrire le Vol sans Battement, qui n’est à vrai dire que le complément des idées affirmées dans mon premier livre.

J’ai peu fait, mais je ne suis pas le seul qui se soit attardé dans l’inaction. Aviateurs, faisons tous un meâ culpâ fervent, et toujours suivons la devise : En avant ! Osons.

Ce livre est, comme son précédent, une œuvre absolument personnelle.

Je n’y inscris pas ce que pensent les autres, mais seulement mes propres études ; donc, point d’historique, pas davantage de citations. Le seul auteur dont je m’inspire est l’Auteur de toutes choses et je ne mets en cause que ses œuvres : les oiseaux. Les mille lieues qui me séparent de Paris font que je ne puis me mêler aux débats de ta société [1].

J’aurais souvent beaucoup à dire, mais ma communication arriverait toujours hors de la saison, je viendrais forcément relancer une question oubliée ; il n’y faut donc pas penser.

Puis, bien réellement, je m’occupe peu de ce que font les autres. Je suis imperturbablement ma voie, ce qu’il me serait peut-être difficile de faire si j’habitais Paris.

En somme, la distance à laquelle je suis du centre de la société a du bon pour moi. Me trouvant, par le fait, de l’éloignement, tout à fait hors du courant, j’accumule les faits observés et les présente en bloc, avec leur rusticité, leurs imperfections, mais assurément avec la saveur particulière qu’offre toute étude faite consciencieusement sur nature. Je sens que c’est là ma force.

Tout ce qu’on peut dire m’est indifférent. On décidera que telle valeur est tout, que tel angle suffit ; je ne veux rien savoir de tout cela. Je n’écoute que la leçon du grand maître : l’oiseau, et je m’efforce de le redire.

On me reproduira, on présentera comme neuves des idées émises dans l’Empire de l’air, je n’y fais nulle attention. Ce n’est pas à moi de me défendre ; je ne le puis d’abord, étant trop loin, puis je sais que mon livre a une date.

Je ne rééditerai pas mes idées sur l’emploi excessif qu’on a fait des calculs, avant la publication de l’Empire de l’Air, et surtout depuis.

J’ai dit ma pensée assez clairement, il est inutile de me répéter. Cependant ici je dois dire que, depuis cette époque, loin de changer, cette appréciation s’est fortifiée.

Quel résultat ont donné les mathématiques ?

On a essayé de rendre classiques deux ou trois formules. Je ne les discuterai pas, parce que je ne les connais pas.

Et je ne les ai pas étudiées parce que je ne saurais où les utiliser.

A quoi sert de chercher quand tout est trouvé, quand tout est démontré, expérimenté devant nos yeux ? L’oiseau est le grand professeur. Vous ne lutterez pas contre les démonstrations. Les équations démontreraient le contraire. de ce que dit le maître, croyez-vous que leur dire, serait écouté par un esprit sérieux ? Non, assurément ! On ne peut lutter contre les œuvres du Créateur. Ses affirmations influenceront toujours plus l’entendement humain que le dire de toutes les formules.

L’algèbre est pour moi, aviateur, un ennemi bien plus redoutable que le ballon. Du ballon on finira par faire quelque chose, mais de la formule il y a peu à espérer. On se fie à elle, elle ne peut rien produire. C’est une machine, c’est un broyeur de difficultés, c’est une meule. Vous lui donnez à moudre du plâtre, elle vous pulvérisera le plâtre, mais ne vous donnera pas autre chose.

Pour faire de bonne farine, de bon ouvrage, pour que nous reconnaissions cet outil bon et utile, il faut d’abord chercher le blé.

Le blé, ce sont les bases justes, les faits précis. N’ayant pas lai prescience, il faut étudier ceux qui savent et ne pas vouloir inventer.

Et il en sera ainsi tant que l’on voudra faire tourner la meule sans lui donner du bon grain à triturer.

Assurément, il faut savoir compter. Il est même impossible de s’occuper avec fruit de l’aviation, si on est gêné dans l’emploi de l’outil qui a nom : mathématique ; mais, entre compter juste et jouer avec les formules il y a loin. Compter juste donne des produits sérieux comme les chiffres, établir une équation sur la pointe d’une aiguille, donne le même résultat que quand on bâtit sur le sable. Donc, pour faire de bon algèbre, il faut de bonnes bases et vous ne les trouverez que dans la bonne observation.

En résumé, à mon sens, on ne possède pas encore les données qui permettent d’utiliser les mathématiques. Puis, les possèderait-on qu’elles n’avanceraient pas d’un pas une question où tout acte est un acte de vie, par conséquent impossible à remplacer.

Cette sainte horreur que j’ai de l’algèbre mal employée date de loin ; jugez, lecteur, si j’ai raison de ne pas l’aimer. Il y a trente-cinq ans que le fait s’est passé, et je l’ai encore présent à ma mémoire comme s’il datait d’hier.

J’avais vingt ans, l’âge des grandes conceptions, des désirs violents, et j’aimais l’aviation comme on aime à cet âge. Je ne le cachais pas à ma famille. Mon père, homme instruit, me regardait penser sans intervenir. Il se prêtait même, de bonne grâce, à mes dépenses pour les oiseaux, et n’intervenait en rien dans mes faits et gestes.

Ainsi, j’avais accaparé les greniers de la maison, qui étaient très grands, vendu tout ce qu’ils contenaient pour faire place nette, et il n’avait rien trouvé à redire ; trouvant probablement qu’il vaut mieux qu’un jeune homme s’occupe, même d’aviation, que de trop se dissiper à abuser de la vie.

Mais un jour cependant il me dit, me tendant un livre : mon pauvre enfant, les beaux rêves sont finis, lis leur condamnation ; et il me remit l’Année scientifique de L. Figuier qui venait de paraître. Voici en substance ce que j’y lus :

«L’illustre Lalande, dans le Journal des Savants, ' année..., démontre qu’il ne faut pas moins de 127 mètres carrés de surface pour supporter un homme. »

Je courus à la bibliothèque de Lyon, et j’y trouvai ce passage tel quel : c’était exactement copié.

Je fus littéralement écrasé moralement. Ce fut un effondrement de mon intellect. Je me soumettais devant cet incomparable génie des mathématiques, et ne songeai pas un instant à me défendre.

Je n’avais que vingt ans !

(Au fond, cette terreur était bien irréfléchie. Lalande parlait d’une chose dont il ne connaissait pas les premiers éléments. Il était bien loin d’être un aviateur. C’est exactement comme s’il avait causé dessin, musique ou couture. Au lieu de rire et de me demander de quoi il se mêlait, je m’affolai comme un enfant que j’étais).

Je fus long à me remettre.

Un mois se passa ainsi, sans pouvoir penser, mais sans cependant pouvoir oublier ce beau rêve.

Un jour, me trouvant en face de mon grand aigle, je fis la réflexion suivante : Comment s’arange-t-il ce gros oiseau pour avoir une surface de 127 mq ?

Ce ne fut pas long. Je le pris, l’hypnotisai, le pesai à bout de bras ; je vis qu’il pesait environ 5 kilog. Alors entrevoyant une immense bêtise, je fis le dessin de son ombre, avec une précision rigoureuse, et établis sa surface, qui était d’environ un mètre carré.

Le nuage était dissipé. J’y revoyais après cette longue nuit d’un mois. Je comprenais que moi et mon oiseau avions raison du grand mathématicien ; mais telle est l’impression causée par la prépotence d’un grand nom, que je refis plusieurs fois mes calculs.

Enfin, muni de mon aigle, et de ma grande feuille de papier, je redescendis près de mon père.

Je le priai de peser mon oiseau. Il trouva cinq kilog. et quelques grammes. Puis je le priai encore de revoir mes calculs, ce qu’il fit, mais plusieurs fois comme moi, ne pouvant admettre. une pareille erreur. Enfin il me congédia avec ces mots : c’est bien curieux.

C’était effectivement bien curieux : une bêtise à la 127ᵉ puissance !

J’avais vaincu. Mais que me serait-il arrivé si mon aigle, en s’étirant, ne m’avait montré ses grandes ailes toutes déployées, qui, malgré leur ampleur, était infiniment loin de compte comme surface. Il est probable que j’aurais abandonné l’étude de ce problème, et que le vol à la voile serait encore là-haut.


PREMIÈRE PARTIE



ÉTUDES D’OISEAUX

LE VOL SANS BATTEMENT


Ce genre de vol est rare ; mais, cependant, il pourrait être produit par une foule de voiliers qui ne l’utilisent que rarement.

Les oiseaux qui se servent usuellement de ce vol sont les grands vautours des deux continents, ayant tous un grand poids ; puis viennent ceux qui le produisent accidentellement, ce sont : les aigles, les pygargues, pélicans, grues, cigognes et généralement tous les oiseaux de proie.

Là se bornent environ les espèces qui utilisent ce mode de locomotion.

C’est donc ceux qui tirent la quintessence de ce que peut produire le plus mince filet d’air, que nous avons à envisager.

Les suivants sont experts en cette évolution : oricou, gyps divers, et probablement les deux ou trois variétés de condors.

L’aigle et tous les aquilinés peuvent exécuter ce genre d’ascension et la produisent quelquefois. C’est ordinairement quand le vent du midi va prendre que les aquilinés se livrent au vol sans battement. À ce moment il y a un arrêt dans l’atmosphère, le temps est lourd. l’air sonore ; on entend là-haut, dans les airs, les cris de ces oiseaux, et on les voit alors toutes voiles déployées, la queue en éventail, tourner lentement, et disparaître finalement dans le ciel.

Par ce temps particulier, presque tous les oiseaux de proie se livrent à cette ascension. Quel est le but de ce pèlerinage à la voile, en hauteur, par couple, de toutes les espèces d’accipitres ? Qui sait ? Il est difficile de l’expliquer.

Cette manœuvre est régulière à chaque retour du vent du sud ; par les autres temps, ils ont leur vol à eux, et ne deviennent réellement voiliers excessifs que dans cette circonstance.

Ce qu’ils font a ce moment spécial, ils peuvent le faire constamment ; pourquoi ne le font-ils pas ?

En voici la raison ;

Ce genre de vol est trop lent pour eux, il ne correspond ni à leur activité, ni à leur puissance, ni aux besoins de la vie ; c’est pour cela qu’il est peu utilisé. Mais, en place, les vautours, qui eux ne sont jamais pressés, abusent du vol plané, et on ne les voit recourir aux battements que dans le cas d’absolue nécessité.

Je l’ai déjà dit, et je le répète ici très intentionnellement, parce que j’ai la conviction de n’avoir pas été cru : un grand vautour fauve (gyps fulvus), par un temps ordinaire, où il y a un léger vent, part de son perchoir qui est ordinairement un roc à pic d’une cinquantaine de mètres de hauteur, s’abaisse, prend le vent, se met à tourner, monte en l’air, si haut qu’il disparaît ; redescend, remonte, fait ainsi des évolutions sans nombre, jusqu’à ce qu’il aborde la terre pour manger ; et tout cela sans un seul battement d’ailes.

Voilà ce dont vous vous persuaderez quand vous pourrez étudier le grand vautour.

Il n’y a pas d’erreur Je l’ai vu mille fois et plus. J’ai suivi le gyps fulvus des journées entières ; et, s’il n’y a pas de vent, s’il ne survient pas de mauvaise rencontre qui l’effraye, ce sera perpétuellement deux ailes fixes, étendues fond, les pointes se pliant ou s’étendant à peine : pas un seul battement, et tout est produit dans la perfection comme transport, ascension, course et descente.

Et ce n’est pas un accident ! c’est le vol de toute la vie du vautour.

Ce fait si important pour l’aviation est tellement précis, tellement étudié qu’il n’est pas discutable.

Je ne sais comment affirmer à nouveau. Je ne puis que dire à ceux qui n’ont pas vu et qui ne pourront voir : croyez ! Je ne mens pas et j’ai bien vu.

Ce mode de translation peut donc être reproduit par un aéroplane fixe, c’est-à-dire qui ne peut pas produire de battement. Donc avec une simple surface rigide on peut reproduire ce vol, à la condition de posséder les deux directions verticale et horizontale.

Ce vol comme perfection d’effets produits, et tous effets utiles à l’homme, toutes manœuvres qu’il désire pouvoir exécuter, ce vol, dis-je, est si beau qu’il pétrifie, qu’il stupéfie. Chaque fois qu’on le voit, on se morigène de n’avoir pas encore essayé de le reproduire.

C’est si simple ! c’est tellement ce qu’on demande qu’on ne désire rien au-delà ; on se contente de cette simple et grande allure et on n’en veut pas d’autre.

Puis cela semble si aisé à imiter. Ce n’est pas la station dans l’air de tempête comme l’oiseau de mer ; non, ce n’est pas aussi difficile que cela, c’est l’énorme oiseau, lourd comme un mouton, qui se coule doucement, mollement et sans effort sur une légère brise ; c’est la course en droite ligne ou ces orbes immenses et sans fin dont le résultat est l’ascension si haute qu’on perd l’oiseau de vue ; enfin ce sont tous nos désirs exécutés.

Le vrai vol est là, le seul abordable pour nous par la simplicité de ses grandes lignes, de ses lentes et naïves manœuvres.

C’est la merveille des merveilles du vol !

Je sens que mon style, lorsque je parle du grand vautour, doit sembler exagéré. Il n’en est rien : J’ai beau m’emporter, m’efforcer d’employer des termes excessifs, je n’approche pas du modèle. Je suis terne, incolore, les mots me manquent pour rendre ce que j’ai vu.

C’est donc bien exactement, cette fois, le vol sans battement : sans un seul battement.

Je suis forcé de reconnaître que, pour le penseur qui n’a pas vu, il y a un semblant de raison à n’accepter qu’avec des restrictions ce que j’affirme sur l’économie de ce vol peu connu. Il m’a même été dit que ce que j’énonce de cette absolue absence de battement est l’exposé d’un problème exactement faux, que c’est tout simplement une variante du mouvement perpétuel que je veux faire admettre, etc., etc. ; et à ce propos, toute la kyrielle de raisonnements sur l’équivalence de la dépense et du résultat. On ne va généralement pas au-delà de l’absolue égalité entre l’ascension et la chute.

À cette critique superficielle je réponds d’abord que c’est un fait précis qui ne se discute point puisque c’est un fait. Les yeux ne peuvent tromper surtout quand l’acte est perpétuellement en vue. Puis, que le raisonnement est faux !

Les penseurs de cabinet font comme les intelligences qui s’accomodent facilement de mathématiques légères ; ils oublient une foule de facteurs annexes de ce problème. Pour eux, le vol du voilier est généralement envisagé par vent 0 : première erreur. Par le calme ce vol n’existe pas. Puis, seconde faute, ils considèrent toujours le courant aérien comme une forme régulière, et cela, mus qu’ils sont par le désir qu’ils éprouvent de trouver des valeurs à leurs formules.

Je l’ai déjà dit bien des fois, le vent régulier est inconnu sur notre terre. Assurez-vous en, et une fois édifiés, développez le problème, qui de simple devient infiniment trop compliqué pour que les mathématiques puissent le suivre.

Enfin arrivent les manœuvres de l’oiseau.

Là encore cette tendance de tout synthétiser fait commettre des erreurs à celui qui veut réduire et expliquer en une formule ce problème extra complexe. Généralement on est porté à étudier l’aéroplane comme une surface absolument immuable au point de vue de l’étendue et de l’équilibre. Pour l’intelligence, à première vue, le raisonnement porte sur des données fixes : surface invariable, équilibre parfait, mais toujours le même ; donc faculté de translation exactement pareille à elle-même dans tous les cas du vol.

Nous avons déjà vu que l’aéroplane oiseau est infiniment moins simple que cela. Il est variable depuis le vol en arrière jusqu’aux ailes pliées en plein repos ; ceci énonce d’un seul coup toutes les manœuvres possibles.

Réduire en formules toutes ces variantes d’équilibre, de surface, de vitesse irrégulière du vent ou de l’oiseau est exactement s’attaquer à l’impossible. C’est vouloir formuler la vie.

Nous voyons donc que ce problème par ses apports nombreux, s’éloigne absolument du mouvement perpétuel et de tous les problèmes similaires dans lesquels une force fixe agit sur elle-même en se décomposant ; nous nous trouvons, au contraire, en face du cas d’un mobile actionné par plusieurs forces différentes : l’attraction, le courant irrégulier, les variations de surface présentée, plus enfin les différents modes d’équilibre de l’aéroplane.

Envisagé comme cela, ce problème arrive à n’être pas plus une utopie que le cas d’une usine qui serait actionnée par plusieurs moteurs différents : l’eau, la vapeur, l’électricité et l’air. Il ne viendra à personne l’idée de douter qu’une pareille usine puisse fonctionner.

L’aéroplane voilier est précisément dans le même cas. Il a pour le soutenir et l’actionner : sa surface, sa chute, et les poussées du coup de vent ; de plus, il a de choix d’utiliser ou d’esquiver ce coup de vent. Il l’utilise en développant sa surface, il l’esquive en la diminuant.

Là est la science de l’oiseau.

C’est dans l’exécution adroite et parfaite de toutes ces manœuvres qu’il parvient à puiser dans la puissance du courant aérien la force qui le soutient, le dirige et l’élève.

L’étude du grand vautour est, je le reconnais, assez difficile ; la rareté de cet oiseau en est la cause.

En Algérie j’en ai vu de grands vols, souvent cinquante et plus ensemble ; mais c’est un fait tout à fait irrégulier. On peut, en quelques jours, au moyen de bêtes mortes déposées au loin de toute habitation et de tout chemin, amener un vol de vautours à planer au-dessus de cet appât ; mais, pour réussir, il faut opérer en août ou septembre ; sans cela on risque de perdre son temps. Il faut un bœuf ou un cheval mort. Une chèvre ou tout animal de cette grosseur n’est pas un régal assez copieux pour les décider à s’arrêter.

Il en est de toute la côte africaine nord comme de l’Algérie : nulle part ils ne sont assez nombreux pour descendre quand on veut les attirer. Au Caire même cet oiseau est loin d’être commun ; et cela, malgré la proximité des nids : Gébel Geneffé, Gébel Attaka, Sinaï, en somme toutes les montagnes désert arabique.

Les nids sont à la distance de dix à cinquante lieues du Caire. Cet éloignement est peu de chose pour ces oiseaux qui volent ordinairement huit heures de suite et doivent fournir au moins deux cents lieues de parcours.

Ce qui les attire vers cette ville, c’est la grande quantité d’animaux morts qu’on met à leur disposition en les transportant à peu de distance, c’est vrai ; mais comme le désert commence aux portes de la ville, cette proximité n’a rien de gênant pour eux. Puis enfin parce que les pères et mères les mènent à ce point depuis une foule de générations et qu’en somme ils sont chez eux.

Malgré toutes ces facilités, les Cairotes ne connaissent guère plus que le Parisien cet admirable voilier.

Pour l’étudier comme je l’ai fait, il faut d’abord avoir le feu sacré, puis beaucoup de temps à dépenser, une bonne monture, et ne craindre ni la fatigue ni le soleil.

Je dois avouer, cependant, que les circonstances m’ont aidé à faire cette étude ; car, malgré qu’il y a une vingtaine d’années j’étais bien vigoureux, je n’aurais certainement pas osé braver le soleil de l’été comme je l’ai fait dans le seul but de les observer. J’avais à aller cinq fois par semaine aux écoles militaires où j’étais professeur. Ces écoles sont situées à quatre kilomètres en plein désert et je revenais en ville à midi.

À cette heure, personne n’est dehors ; le soleil est trop fort ; puis c’est le moment de la sieste, et tout le monde dort en été. Je m’en revenais donc à cette heure bénie, par une chaleur de quarante degrés, par cette lumière aveuglante qui danse sur le sable comme le feu d’un haut fourneau, garanti par une couffie, un parasol et des lunettes noires.

Ce qui me faisait ainsi braver le coup de midi c’était une chose bien prosaïque, c’était le dîner qui m’attendait. J’avoue l’avoir laissé refroidir quelquefois ; c’était quand je rencontrais un vol de ces majestueux oiseaux posés au loin sur le sol du désert, ayant au milieu d’eux un squelette parfaitement nettoyé et tous des jabots monstres que les plumes du poitrail ne pouvaient plus recouvrir.

Quand je les rencontrais dans cet état de béatitude que leur procure la digestion, je ne pouvais me retenir d’aller les déranger. Alors je lançais ma monture dans le tas sans hésitation et à grands coups de fouets je les faisais repartir. Ces oiseaux, dans le cas présent, sont si lourds que plusieurs d’entre-eux ont été frappés par mon fouet.

Il est très facile de les tuer dans cette occasion. Ces oiseaux sont énormes, gros comme des moutons ; si on a le soin de tirer à la tête avec du petit plomb, ils tombent étourdis et on peut les prendre vivants, car ils reviennent ordinairement de ce coup de fusil… surtout si on a tiré avec de la cendrée. Les chasser avec des chevrotines est plus aléatoire. On les tue quelquefois, mais souvent aussi, blessés à mort, ils ont encore assez de force pour aller mourir dans la montagne, trop loin pour pouvoir songer à les rechercher. − Le fait est qu’après en avoir tué ma part je finissais par ne plus leur administrer que des coups de fouet ; et c’était suffisant pour les décider à faire le pénible effort du départ.

Il faut avoir été dans ces agglomérations d’oiseaux, à quelques pas d’eux, pour se faire une idée précise de la difficulté de cet acte. Combien de vols manqués ; l’oiseau se reposant à cent mètres, n’ayant pu arriver à la vitesse nécessaire pour pouvoir s’enlever, vomissant sa charge de nourriture pour pouvoir s’alléger et attendant, tout essouflé, que je me dirige encore sur lui pour se décider à recommencer l’effort, cette fois couronné de succès.

Voilà comment il se fait que j’ai tout bravé, le soleil et la chaleur. Voilà ce que m’a procuré bien souvent le voisinage de cet admirable planeur. Depuis cette époque je le connais tellement que je l’aperçois en l’air quand généralement on ne voit que des milans.

Y aurait-il chez eux un effet pareil à celui qui chez l’homme fait boiter celui qui marche avec un boiteux ? Qui sait ?

J’ai dit dans l’Empire de l’Air à quoi on le distingue dans l’espace [2], mais un point sur lequel je ne saurais trop insister, c’est l’insuffisance du premier coup d’œil pour se rendre compte de la présence de cette grande surface dans l’espace. Le milan a 28 à 30 décimètres carrés de surface, suivant le sexe ; lui, en a de 100 à 105, et, au premier aperçu, à 300 mètres en l’air, ils sont de la même grandeur. Seulement lorsque l’attention est prévenue et qu’elle se fixe sur ces deux points, qui semblent toujours être sur le même plan, les différences se perçoivent, l’intelligence s’ouvre, on est étonné du peu de mobilité de ce point. La régularité de ce mouvement finit par faire concevoir et le poids et l’étendue de cet aéroplane, et il reste alors l’impression d’une énorme masse, nullement sensible au coup de vent, tournant lentement, accomplissant avec lenteur son évolution, revenant contre le vent, et là, ayant un temps d’exhaussement qui, vu d’en bas, produit l’effet d’un arrêt, lent mais complet, dans la marche, dont la durée est quelquefois d’une demi-minute. Pendant cette révolution, les milans et les percnoptères ont fait chacun dix tours, hachés, cassés, irréguliers, et qui n’ont, en tous cas, rien de semblable avec cette tournure lente et suprêmement majestueuse, qui est la note dominante du vol de ce grand voilier.

Un fait singulier est l’espèce de joie que semble amener parmi les milans et les percnoptères l’arrivée des vautours. Ils montent en grand nombre les rejoindre, semblent prendre des leçons de vol, deviennent de suite planeurs excessifs ; on dirait même qu’ils s’essayent à tourner lentement : N’y a-t-il pas là influence du modèle prépondérant ? Quoi qu’il en soit, il est un fait certain, c’est que tout vol de vautours qui étudient le sol a une escorte. Après cela n’est-ce encore que l’annonce d’un repas copieux qui les réjouit ainsi.

− Mais alors le grand vautour aurait donc une faculté de vue que ces oiseaux de moindre volume ne posséderaient pas ?

— C’est probable. L’organe de la vue, je l’ai dit, est forcé d’être, chez cet animal, le premier de la création ; nul être sur la terre n’a besoin de voir aussi loin : le besoin impose à cet oiseau cette puissance extrême de l’organe de la vision. Songeons donc que pour eux l’étude du sol et des vautours voisins est constamment de plusieurs kilomètres. Le milan et le percnoptère n’ont pas d’études pareilles à faire. Le milan ne dépasse pas comme champ de vision utile quelques centaines de mètres : admettons le double ou le triple pour le percnoptère nous sommes encore bien loin de la puissance de vue que les vautours doivent avoir pour distinguer un bœuf ou un cheval mort, du haut de l’atmosphère où ils se tiennent, quand ils étudient une contrée.

La hauteur à laquelle ils stationnent ne peut pas être précisée rigoureusement, cependant on peut dire que cette altitude est telle qu’ils sont parfaitement invisibles de la terre. Souvent, j’en ai distingué au zénith qui étaient déjà en descente, avec une lunette de cinq centimètres de diamètre.

D’où venaient-ils de quelle hauteur descendaient-ils ? J’estime qu’on ne peut pas dire moins de cinq kilomètres et plus, car cette lunette les découvre très facilement à quatre mille mètres de distance horizontale.

Mais ce qui doit surtout décider les petits oiseaux à suivre les grands, c’est la croyance fermement établie qu’ils ont que leurs gros congénères ont un mot d’ordre qui les relie entre eux ; c’est la persuasion chez eux bien arrêtée qu’ils ont une langue particulière, qui leur indique à des distances défiant tous les regards la présence d’un repas. Ces petits rapaces ont vu bien des fois leurs grands amis se diriger sans hésitation pendant des lieues sans nombre, vers un point précis hors de tout champ de vision, et arriver au résultat, c’est-à-dire au repas abondant et d’un abord facile.

Ce fait, souvent reproduit ou pour mieux dire ponctuellement répété, a transformé pour eux le grand vautour en un oracle qui ne se trompe jamais. Ils le suivent de confiance comme on suit le Maître. Ils règlent leur allure sur la sienne, l’accompagnent, étant toujours certains d’avoir quelques débris à ingurgiter, pour les récompenser de leur longue course.

Les petits rapaces ne semblent pas avoir saisi comment les grands vautours s’avertissent entre eux d’une trouvaille.

J’ai fait une remarque sur leur vol qui explique comment ils s’y prennent. Depuis lors, j’ai revu bien des fois cette manœuvre et j’ai toujours trouvé que là était le signal qui décide le voisin vautour à se mettre en marche dans une direction précisée : la voici.

J’ai dit que le grand vautour ne bat jamais des ailes dans son vol de recherche, mais que cependant on voit quelquefois un grand coup d’ailes donné en-dessous ; battement que je ne m’expliquais que par le besoin que doit éprouver cet oiseau de se déraidir les jointures qui sont restées longtemps à un même point fixe.

L’explication du but de ce battement insolite était fausse ; et il devait en être ainsi. Chaque être est un chef-d’œuvre de mécanique ; il était probable que ce besoin ne devait pas se faire sentir. Le vautour est organisé pour être porté constamment sur ses deux ailes, tout comme la cigogne l’est pour dormir sur une jambe. Là n’était pas l’utilité de cet énorme coup d’ailes particulier qui ne ressemble nullement à un battement, car le battement se fait de haut à l’horizontale et celui-ci de l’horizontale en bas.

En regardant mieux — il faut souvent regarder très longtemps les oiseaux pour arriver à pouvoir les comprendre — on remarque que ce coup d’ailes particulier qui rompt nettement, d’une manière étrange, l’allure du planement, n’a lieu que quand l’oiseau cesse de produire les cercles et prend une direction rectiligne. À première vue c’est une mise en marche, un élancé bien franc dans une direction bien précise ; mais en regardant plus attentivement, on arrive à penser que c’est un signal, inconscient peut-être de la part de l’individu, mais à coup sûr utile à l’espèce.

C’est par cette manœuvre que le voisin vautour, qui est lui aussi une unité, un nœud de cet immense réseau qui fait l’étude d’une contrée, est averti à plusieurs kilomètres de distance de la découverte d’une proie.

Ce battement spécial, en vol extra-arqué, c’est-à-dire absolument en-dessous, tout à fait unique, se répète quelquefois une seconde fois dans le vol rectiligne. Il semble vouloir accentuer l’affirmation de la découverte. Il doit dire : non seulement j’ai vu, mais ce que j’ai vu est intéressant ; il y en a pour beaucoup d’entre nous.

C’est très probablement la signification de cette manœuvre ; car lorsque le vautour voyage pour son utilité particulière : rentrée au perchoir, recherche de l’eau, etc., etc., tous actes particuliers à son individu, son vol n’a pas ce battement spécial. Il peut, s’il n’y a absolument pas de vent, être obligé de ramer souvent pour se soutenir et marcher sur l’air, mais ces battements sont autrement produits ; il n’y a pas à s’y méprendre, même quand on n’est qu’un simple observateur, à plus forte raison quand on est vautour, et qu’on en sait la langue télégraphique.

C’est donc simplement un signal destiné à dire de très loin : j’ai vu et j’y vais.

De leurs nids, de la manière dont ils élèvent leurs petits je ne saurais rien dire, n’ayant jamais eu l’occasion de les voir de près. J’ai vu de loin, à l’Attaka, sur la mer Rouge, des nids absolument inaccessibles. Ils étaient reconnaissables de très loin aux bancs de guano qui les avoisinent. Ces masses de fumier ont souvent un très gros volume : plusieurs centaines de mètres cubes. Que de siècles il a dû falloir pour produire de telles masses de déjections !

Ce que je puis encore dire d’eux, c’est que j’ai assisté à l’accouplement de ces oiseaux : cet acte n’a rien de particulier. Je sais encore que, pour nourrir leurs petits, ils mettent la viande qu’ils transportent dans l’arrière-gorge. Peut-être ont-ils la faculté d’arrêter la digestion de leur estomac ; je le crois, mais n’en suis pas certain. C’est à peu près tout ce que je sais de la vie de famille de cet oiseau.

Il n’est pas facile de pénétrer dans le gynécée de cet animal. Pour pouvoir l’étudier avec succès, il faudrait une très puissante lunette et une position spéciale, plongeante ; mais au fait, cela n’aurait d’intérêt que pour l’ornithologie ; cet oiseau ne nous intéresse pas par son procédé de nidication mais par son vol. Revenons-y.

Tout est merveilleux dans ce vol ! Toute allure est anormale, hors nature, n’ayant rien de semblable dans le monde des volateurs. Prenons, par exemple, un fait bien simple : le vol rectiligne. Rien dans la création ne procure l’impression que donne cette célérité régulière, immuablement fixe. Je ne vois que la locomotive, œuvre humaine, courant sur une voie droite qui rende cet effet. L’aigle, la cigogne, le milan, le goëland, ne ressemblent pas plus comme tournure de translation au vautour se rendant à un point désigné qu’ils ne ressemblent eux-mêmes à la caille ou à l’alouette.

Quand, au moyen d’une bonne lunette, on peut l’étudier de près dans cette course extra-rapide, et qu’on le voit de face ou d’arrière, le bout des ailes offre un spectacle curieux ; la pointe des rémiges disparaît, on les voit tellement vibrer que leurs extrémités deviennent invisibles. J’avais déjà vu cet effet avant de connaître le vautour ; un peintre, un observateur, Paul Flandrin, m’avait montré sur ses tableaux ce phénomène de vibration. Je l’avais vu sur ses toiles mais nullement saisi. Je sentais qu’il avait voulu rendre un effet que j’ignorais. Depuis lors, j’ai eu grandement l’occasion de l’observer sur nature et je dois dire que comme tournure pittoresque, il est bien curieux.

Cet aspect est pour nous, aviateurs, mécaniciens, une forte leçon : ce sont les aéroplanes superposés qui nous sont indiqués par la Nature ; et cela par l’oiseau qui est notre modèle. Son but a été d’augmenter la puissance de sustension d’un aéroplane auquel, pour des raisons à elle connues, elle ne voulait pas donner une plus grande surface.

C’est, en somme, un bénéfice de sustension qu’elle procure à cet oiseau. La cigogne et le pélican offrent quelquefois légèrement cet effet ; le milan, dans un effort de remontée, pour aborder son perchoir, a aussi ses rémiges qui agissent sous cet aspect ; le vautour est l’être dans lequel la Nature nous démontre d’une manière claire que les aéroplanes superposés sont utiles et qu’on doit s’adresser à eux pour éviter d’avoir à faire grand.

L’abordage du perchoir est aussi étrange que les autres actes de vol de ce brillant planeur.

Un aigle, un milan, arrivent souvent à toute vitesse à quelques mètres au-dessous du point où ils veulent atterrir, mais on doit dire que cette manœuvre est compréhensible à notre sentiment mécanique. Le grand vautour trouble complètement notre instinct ; il arrive, lancé à toute vitesse à vingt-cinq mètres au-dessous de l’endroit qu’il s’est désigné pour se reposer : on ne se rend pas compte au juste du point où il veut s’arrêter. On le regarde monter en l’air perpendiculairement, toujours en planant, et quand on croit que sa provision d’élancé est éteinte, on le voit avec stupéfaction continuer de monter, et cela infiniment plus haut que notre instinct nous l’avait fait préjuger.

Cela tient à l’importance de sa masse que nous n’avons pas l’habitude d’envisager ; cela tient à ce que nous nous sommes trompés dans notre estimation ; et ce qu’a de particulier cet oiseau, c’est qu’il trompe toujours. Les manœuvres des autres oiseaux de quatre à cinq kilog. s’assimilent de suite, celles de sept kilog. et demi, poids du gyps fulvus, surprennent. Même quand on les sait par cœur, elles continuent à étonner. Aussi, malgré l’habitude que j’ai de ce planeur, suis-je toujours surpris, et je vois chaque fois que je l’ai sous les yeux quelque effet curieux se produire que j’analyse, c’est vrai, mais que je n’ai pas prévu.

Cette faculté de glissement de ces grandes ailes sur l’air, cette prise exacte de l’aéroplane sur le fluide aérien, produisent des décompositions plus précises de force que nous n’avons l’habitude de le voir.

C’est le même effet que celui qu’on perçoit quand on regarde glisser un jeune homme sur la neige rugueuse, ou quand on le voit patiner sur la glace unie.

Dans le premier cas, on comprend que toutes les aspérités qu’il a à surmonter ne lui permettent pas une carrière bien longue, tandis que, dans le second, on est surpris de l’amplitude et de la précision du mouvement.

Autant cet oiseau est intéressant en liberté pour les aviateurs, autant il l’est peu en captivité.

C’est une borne, il est immobile comme une pierre. De temps en temps, toutes les heures, il daigne s’étirer les ailes. Lentement, longuement, il étale aux yeux du spectateur ses deux merveilles. Le matin et le soir, à l’heure du départ et à l’heure du coucher, il devient inquiet, descend de son perchoir, cherche à s’envoler, et ne réussit qu’à s’érailler les plumes contre les barreaux de sa cage.

C’est bien le roi des cieux prisonnier !

Ceux qu’on voit au Jardin des Plantes de Paris ont une prison assez vaste. Ils peuvent juste donner deux coups d’ailes très retenus. Rien de leur véritable aspect n’apparaît au visiteur, et c’est naturel.

Quand on réfléchit qu’un des cercles qu’ils décrivent n’a pas moins de cent mètres de rayon, on arrive à comprendre qu’il n’y a nulle prison assez vaste pour permettre de l’étudier en captivité. Il faut l’immensité à ses vastes ailes et rien de moins. L’Hippodrome et la Galerie des Machines sont bien grands, mais un vautour lâché sous ces nefs ne pourrait y démontrer qu’une chose, c’est qu’il est un piètre rameur. Il n’y serait pas plus intéressant que dans la petite cage du Jardin des Plantes ; aussi est-il inutile de songer à voir ce maître exécuter en chambre le vol plané.

Même en liberté, ce n’est qu’arrivé à la hauteur d’une centaine de mètres qu’il développe tous ses dons, surtout si l’homme est proche, cas où il cherche au plus vite à se mettre hors de portée de ce voisinage dangereux.

Mais, quand il se sent bien en sécurité, à l’abri de tout danger, il devient alors le démonstrateur du vol sans battement.

Voici donc une énorme oiseau qui a un mètre carré de surface et 2ᵐ50 d’envergure, qui a un vol permanent qu’aucun oiseau d’Europe, dont l’étude peut être journalière, ne possède. C’est constamment la crécerelle dans son allure d’ascension, la buse dans ses courts instants de planement, le milan si rare, passant une fois devant les yeux de l’aviateur, traversant peut-être d’un horizon à l’autre, sans ramer, mais fait qu’on ne revoit pas, qui finit par s’effacer du souvenir et qui fait que longtemps après on se demande si on était bien éveillé et si on a bien vu. C’est même infiniment mieux que tout cela ! Regardons-le dans le ciel immense se promener sans effort, nager dans le fluide aérien, sans ombre de fatigue puisqu’il n’y a pas de force dépensée, puisqu’on en ferait autant si on avait des ailes ; attendu que la vue de ces évolutions convainct l’intelligence que, à part la force dépensée pour se soutenir sur ses ailes étalées sur l’air, il n’y a que la direction qui est un acte actif. Cette direction même, que nos sens analysent parfaitement, pondèrent avec la plus parfaite justesse, cette direction doit coûter peu d’effort.

Quand on voit un milan se torturer dans un faisceau de courants parfaitement inextricables, on a conscience que, rien qu’en direction, l’effort produit par l’oiseau est de beaucoup au-dessus de notre force musculaire et de notre activité vitale, mais le grand vautour ne produit pas du tout cette impression. On sent qu’on possède en soi assez de puissance de vie pour pouvoir reproduire les actes de direction si simples et si lents qui lui permettent de stationner dans l’air.

En le voyant bien, très attentivement, sans aucune idée préconçue, voilà l’effet qu’il produit :

Comme force dépensée, il n’y a rien au-dessus de l’effort qu’un homme de force moyenne ne puisse produire. On le sent, on en est certain, mais comme science du vol, comme précision instinctive de ces manœuvres, on sait de suite qu’on est loin de compte, que quand on sait beaucoup on sait encore trop peu, à plus forte raison quand on ignore le vol. Cependant on comprend que l’intelligence humaine est de taille à se mesurer avec ce problème, et que ce n’est en somme qu’apprendre à patiner, à nager ou à aller en vélocipède d’une autre manière.

Oui, c’est absolument la note particulière de ce vol : pas de force dépensée comme station ni comme direction.

Chaque être a ses dons, ses aptitudes particulières. Le grand vautour a celui du planement excessif. Il a l’horreur du battement ! On peut dire de lui qu’il est l’oiseau qui décompose le mieux le courant d’air et qui l’utilise avec le plus d’adresse.

Il y a des aptitudes différentes chez les volateurs, des savoirs particuliers. Le gyps fulvus a celui du planement excessif. Il plane même quand il sait qu’il ne peut pas monter. Comparez-le à un pigeon. A-t-on jamais vu pigeon planant faire autre chose qu’une descente ? Cependant il a de plus grandes ailes que le vautour.

Voyez-le avec un bon voilier qu’on a assez souvent sous les yeux en Europe : la cigogne. Quelle différence dans la tenue du vol ! Cette force de soutènement du courant aérien qui est insuffisante pour elle suffit amplement au Maître dont les ailes sont cependant bien autrement chargées que les siennes.

Il faut donc reconnaître à cet oiseau un savoir particulier que n’ont pas les autres.

Si nous éliminons les causes qui lui font frapper l’air : calme absolu et défense de son individu, nous pouvons dire, et cela exactement, qu’il ne rame jamais.

Ce n’est donc nullement une manœuvre accidentelle, c’est au contraire son vol permanent, celui avec lequel il vit de sa vie de chercheur.

Ce besoin de la recherche ne permet pas, au reste, un autre genre de vol. Ces oiseaux doivent, non seulement trouver l’animal mort, mais encore pouvoir attendre indéfiniment que la proie soit abordable. S’ils étaient obligés de ramer pour se soutenir tout le temps que les chiens, les hyènes, l’homme même mettent à prendre leurs parts du cadavre, ils se lasseraient assurément. Au lieu de cela, ils sont là-haut, en grand nombre, souvent une centaine et plus. On ne voit d’abord rien en l’air, mais en cherchant avec attention au zénith on finit par apercevoir des points presque imperceptibles qui se meuvent avec une lenteur curieuse. À mesure que la place devient libre, ces points grandissent. On distingue les vautours qui sont en descente depuis longtemps. Puis la dégringolade commence, l’avalanche se précipite du haut du ciel. Ils tombent de là-haut, de trois ou quatre mille mètres, perpendiculairement’ comme des parachutes.

Les premiers arrivés ne sont plus qu’à cent mètres ; là on peut parfaitement les étudier. Leurs ailes sont légèrement repliées, leur vitesse de tombée est égale ; c’est la chute du grave sans accélération. Leur tournure est alors curieuse au possible ; ils n’avancent ni ne reculent, mais tombent simplement, lentement, sans aucune oscillation.

Et les points noirs apparaissent toujours au-dessus de la bête morte venant des quatre points cardinaux ; le cent est devenu des cents. Tout ce monde d’énormes oiseaux fait l’effet d’une trombe qui se tourmente.

Les plus rapprochés du sol, n’étant pas bien persuadés de l’inocuité de l’abord, commencent à planer à la manière habituelle pour étudier le sol ; cela fait une couche de vautours servant de base à cette énorme colonne sans sommet.

Puis toujours la descente, ces tournoiements immenses, insensés, qui vous donnent le vertige rien qu’à les regarder.

Cela dure jusqu’à ce que, l’étude finie, la bête jugée abordable, les plus affamés se précipitent sur elle.

Alors, survient un spectacle inouï qui défie toute description. La descente lente se transforme en une tombée frénétique. C’est à celui qui arrivera le premier. Tous ces oiseaux s’évitent avec une adresse incroyable. Les milans plongent entre toutes ces ailes étendues en poussant leurs cris stridents. Les percnoptères cinglent l’espace avec leur tournure d’arc tendu. Les gyps, jamais pressés, sachant qu’on ne mangera pas tout et qu’on leur cèdera toujours la place, choient silencieusement, sans précipitation, avec cette lenteur de ballon qui atteint la terre.

Ils sont alors tout à fait près du sol, se posent en masse, et le cadavre de cheval ou de chameau disparaît bientôt, littéralement, sous une nuée de vautours qui se battent ; crient, luttent pour arriver à la bête. Les ailes sifflent, s’entrechoquent, l’air vibre sous ces puissants coups d’ailes ; c’est un chaos indescriptible, qui ne dure pas longtemps au reste, car peu d’instants après tous ces rapaces s’éloignent à petits pas : le festin est fini, la bête est dévorée, engloutie. Cinq minutes ont suffi à la trombe affamée pour manger un cheval. Il ne reste plus que le squelette de l’animal, bien nettoyé, net comme une préparation zoologique, que corbeaux, milans et percnoptères sont en train d’épurer.

Ils sont ensuite tous posés à terre à une cinquantaine de pas du squelette, alourdis, le bec au vent, le gésier démesurément gonflé, occupés à digérer.

Ils resteront ainsi quelques heures tranquillement à terre, si rien ne vient les déranger ; puis, au bout de ce temps, un à un, ils repartiront avec une peine extrême, en courant contre le vent souvent pendant plus de cent pas, volant péniblement ras terre, et finalement, se trouvant en pleine vitesse, reprenant leurs orbes immenses et ne les quittant que pour prendre une direction rectiligne, et se perdre lentement dans le bleu de l’horizon.

Voilà le vautour ! n’est-ce pas splendide, ce vol ! Et ce n’est pas une faiblesse qui m’est particulière ; tous ceux que j’ai vus devant ce spectacle sont hypnotisés, les initiés comme les profanes. Celui qui ne comprend rien au vol est arrêté par l’étrangeté de ce mode de locomotion ; cela trouble l’habitude du sauvage tout comme du civilisé de voir un corps se mouvoir dans l’espace de cette façon-là ; cela dérange ses facultés mécaniques, il ne connaît pas ce genre de translation et c’est pour cela qu’il le suit des yeux.

Vous ai-je convaincu, lecteur, que le vol plané existe ? Que le vol sans dépense de force n’est pas un rêve ?

On n’invente pas une merveille comme le vautour ! C’est l’absolue vérité que j’essaye de vous dépeindre.

Ne cherchez pas à vous dérober : il n’y a pas d’erreur.

Le voilà ce moteur étrange tant cherché !

Léger et fort !

Léger, poids néant, c’est le vent, c’est l’air.

Fort ! Hélas souvent il l’est trop. Quelquefois cependant insuffisant, surtout à la surface, mais par mille mètres de hauteur on peut affirmer, comme donnée générale, qu’il a toujours assez de vitesse pour pouvoir supporter un aéroplane chargé de 7.500 grammes par mètre carré.

Puis, comme il est pratique et surtout bon marché, ce réservoir de mouvement offert à tout être ailé qui sait l’utiliser.

Que la vapeur et l’électricité deviennent faibles et lourdes devant cette source de puissance !

Il y a dix ans que j’ai présenté ce moteur et on s’est efforcé de ne pas le voir.

Vous en reviendrez tous là, et forcément, aviateurs rameurs. À force de briser des appareils à la suite de mécomptes sans nombre, vous finirez par comprendre que vous vous heurtez contre l’impossible, contre une difficulté devant laquelle la Nature elle-même a renoncé.

Vous n’avez pas voulu croire. C’est naturel, vous n’avez pas vu !

Il vous a fallu arriver au fond de l’impasse et constater que le chemin finit là deux ou trois kilogrammes et on ne va pas plus loin ; la route est barrée.

Ainsi le veut la relation qui existe entre la résistance des corps et l’effort qu’il faut produire pour vaincre l’attraction de notre globe.

Dans cette lutte contre la résistance des matériaux la difficulté a été tournée par la Nature, avec la grandeur qui distingue toujours les œuvres de la maîtresse de toutes choses : l’os devient trop faible pour supporter le battement : elle supprime le battement, et le vol est cependant conservé dans sa plus grande ampleur.

Donc un vol qui existe, c’est un fait qu’on doit reconnaître et étudier, à moins qu’on ne veuille systématiquement nier ce qui existe.

Je n’insiste ainsi que pour convaincre ceux qui ne pourront jamais voir ce chef-d’œuvre de l’aviation, pour bien leur faire comprendre que nous n’avons pas affaire, comme on a essayé de le prétendre, à un problème qu’il faut restreindre parce qu’il est mal digéré. On a été jusqu’à vouloir nier l’économie du vol à la voile. J’insiste donc et j’assure qu’il faut absolument admettre comme un fait, qu’on peut voir démontré chaque jour, que ce volateur, par un vent minima de moins de 5 mètres de vitesse à la seconde, peut produire une ascension de 1.000 mètres de hauteur en reculant seulement de 1.000 mètres, et que, de cette altitude, prenant sa course rectiligne, contre le courant d’air, il pourra, par ce faible vent, sans employer d’autre force que l’action de l’attraction sur sa masse, atteindre le sol à 10 kilomètres au vent. Si maintenant nous l’autorisons à user de toutes ses ressources, par ce vent de 5 mètres en moyenne, mais irrégulier comme tout vent sur notre globe, ce n’est pas alors à 10 kilomètres qu’il atterrira, c’est au contraire une course indéfinie contre le vent, et produite plus rapidement que ne peut le faire aucun oiseau. Pur un vent de 10 mètres, vent moyen, le vautour peut aller contre le vent en s’élevant.

Je sais bien que ce que j’énonce-là troublera beaucoup d’entendements.

Je sais bien qu’il y a des positions faites qui ne permettront pas d’admettre cette assertion, mais mon dire est un fait précis : Le vautour viendra me prêter sa démonstration quand on voudra s’assurer de la justesse de ce que j’énonce.

Oui, il viendra vous dire lui-même, quand vous irez le voir que :

« L’ascension est produite par l’utilisation adroite de la force du vent, et que nulle force autre n’est nécessaire pour s’élever. »


LICMETIS NASICUS


Mon voisin, un arabe, marchand de fruits au Mouski, se procura deux de ces oiseaux et les mit en cage comme de vulgaires perruches.

Les kakatoës ont pour patrie le continent australien.

Ces deux oiseaux se battirent au point de nécessiter leur séparation. Une fois chacun dans sa cage, ils reprirent leur allure naturelle. Perchés sur une patte, le bec rentré dans la cravate, les yeux presque clos, ils ont tout-à-fait le faciès général de l’effraye (strix flammea) même couleur, même collerette ; c’est, de loin, à s’y méprendre.

Ils restent toute la journée immobiles ; mais quand la nuit arrive, ils se réveillent, deviennent inquiets, font des efforts pour s’échapper et poussent à intervalles très rapprochés un cri rauque, assez désagréable. Ce cri a cela de particulier qu’il s’éloigne des sons produits par les zygodactyles ; il a, comme tout le reste de l’animal qui le produit, une tournure nocturne.

Un de ces oiseaux parvint à s’échapper. Comme les amateurs ne se présentaient pas pour le second, son propriétaire lui coupa un peu les ailes et le laissa courir dans son magasin.

Ce licmetis trouva le local à sa fantaisie ; ce sol non pavé, les balles de fruits étalées sur des trétaux, à cinquante centimètres de terre, formaient au-dessous d’elles, un vaste espace peu éclairé, peu propre, encombré de fruits tombés des corbeilles, qui pourrissaient sur place. Ce lieu humide, rempli de moisissure, fut le séjour de prédilection de cet animal. Dans cet endroit ombreux il retrouva sa vivacité ; son occupation favorite était de piocher la terre avec son bec qui a la forme d’un pic. Il l’entre dans les trous produits par les vers, et cherche à saisir l’animal.

Cet oiseau est un marcheur, il ne grimpe pas à moins d’y être contraint. Il est probable que dans son pays il habite les forêts humides et très fourrées, et qu’il y vit de larves, de vers et d’insectes.

Avec le temps, ses ailes repoussèrent, et lui permirent de faire des promenades dans la rue. Ces ailes étaient longues et larges, couvertes, comme celles des oiseaux de nuit, du duvet spécial qui produit le vol silencieux, aussi, à première vue c’était à s’y méprendre ; on aurait juré une effraye se balançant lourdement sur ses ailes blanches.

Cet animal doit être avec le strygops un lien entre les perroquets et les oiseaux de nuit ; le strygops est le passage aux hiboux, et le licmétis, le passage aux effrayes.

A ce propos, d’où viennent les oiseaux de proie ? Par quelle succession de perfectionnements les oiseaux à vol court sont-ils arrivés à produire le vol plané dont la dernière note est la station permanente dans l’air sans dépense de forces ? Par quelle voie sont-ils parvenus à atteindre ces deux types excessifs : l’angle fixé dans l’espace avec une immobilité absolue, ou cet autre genre de station qui, quoique en mouvement a beaucoup de points de similitude avec la précédente, je veux parler du vol d’observation des vautours qui, par le calme, semblent pouvoir tourner indéfiniment dans le même cercle.

D’où vient, en somme, le vol plané, le vol d’observation ?

Du besoin d’observation.

D’où viennent ces armes puissantes des aquilinés, ce bec fort comme des cisailles, des rapaces de nuit et des grands vautours ? Toujours de la nécessité de l’outil pour arriver à vivre : le nocturne tue avec le bec et le vautour entaille le cuir d’un buffle ou d’un chameau qui résisterait au bec de l’aigle.

Les oiseaux de proie nous sont venus dans les périodes crétacée, tertiaire et quaternaire, probablement par une foule de familles différentes. La paléonthologie ornithologique nous l’apprendra plus tard, à mesure que les découvertes viendront combler les lacunes qui existent dans l’échelle de la succession des êtres. Mais, cependant, malgré ces énormes hiatus, rien qu’en regardant dans les êtres vivants, il est facile de voir plusieurs points par. où les rapaces ont pu arriver.

Nous venons de voir que les oiseaux de nuits ont pu se produire par un perfectionnement ou une adaptation à la vie carnivore, et que les strygops et le licmetis sont aussi bien des chouettes que des perroquets. La transmission par les passereaux est presque nulle par les piegrièches, le geai, la pie et le corbeau.

Les vautours doivent venir des gallinacés ou les gallinacés viennent des vautours : ou, enfin, ils se lient ensemble d’une manière facile à voir par les vautours à bec faible et a pouce atrophié.

Sur l’ancien continent, le percnoptère a l’aspect d’une poule ou d’une outarde. L’être auquel il se liait franchement a disparu aux époques précédentes. Malgré qu’on ne puisse revoir le lien précis, il n’en reste pas moins à cet animal un aspect particulier qui lui a valu le nom de Poule de Pharaon.

Sur le continent américain le même cas se présente mais plus accusé, plus lisible.

Quand on regarde avec attention deux oiseaux du nouveau monde, un dindon et un condor, tous deux au repos, on est frappé de la ressemblance extrême qui existe entre ces animaux : même tête, mêmes coroncules chez le mâle, même cou. Le plumage est pareil, blanc ou noir. Les pattes et les griffes sont absolument identiques, pouces rudimentaires et nature des ongles semblables, La seule différence réelle qui existe entre ces deux oiseaux réside dans la grandeur de l’aile.

Combien faudra-t-il de temps à l’homme pour transformer par l’éducation, le besoin et la nourriture, l’aile courte du dindon en aile longue du condor, pour la lui allonger seulement, car, au dindon comme à ce grand voilier, les gabaris de l’appareil aviateur sont les mêmes : même nombre de plumes, quatrième et cinquième remiges les plus longues dans les deux êtres.

Il est probable qu’un laps de temps, relativement court suffirait pour opérer cette transformation. On y serait aidé par cet appétit spécial du dindon pour la viande ; il est presque un carnivore : témoin Molière, et tant d’autres accidents de cette nature.

Cette ressemblance ne peut être fortuite, elle est trop vive d’aspect ; elle est corroborée, au reste, par d’autres faits : poule de Pharaon, Gallinazo ; deux noms qui ont été créés par une même effet de tournure générale. Les Américains du Sud ont trouvé que l’aura et l’urubu ressemblent tellement à la poule qu’ils les ont nommés poule dans leur langue.

Il faudrait admettre trois accidents pareils et parallèles pour ne pas reconnaître que cette similitude de tournure est un indice de communauté d’origine ; et cela, malgré des différences profondes anatomiques, malgré des estomacs complètement différents : gésier énergique dans l’une et poche stomacale élastique dans l’autre, et surtout, ce qui est infiniment plus sérieux qu’une différence dans l’organe de la digestion qui est si variable, une discordance, complète dans l’évolution du jeune âge. Effectivement, l’un naît avec la possession complète de tous ses sens, même celui du mouvement : le jeune dindon court dès la première minute de son entrée dans la vie, le condor au contraire est aveugle sourd et muet. Il ne commence à se tenir debout qu’un mois après sa naissance ; les différences dans l’extrême jeunesse sont donc énormes.

L’ornithologie devrait créer des mots pour indiquer ces deux grandes tranches qui séparent par un fossé profond deux races d’oiseaux : ceux qui ont l’enfance gracieuse et vivante et ceux qui sont horribles et impotents. Elle ne s’est pas encore occupée de ces différences originelles ; ce serait cependant une ligne de démarcation bien franche.

Les rapaces nobles sont probablement venus par la voie des vautours, par les rapaces ignobles. Des appétits particuliers, aiguisés surtout par le besoin qui est le grand dispensateur des facultés, ont amené petit à petit le rapace ignoble, qui ne vit que de chairs putréfiées, au type faucon, au gerfaut par exemple, qui en liberté mourra de faim devant un faisan mort qu’il n’aura pas tué lui-même.

Les gallinacés offrent beaucoup d’oiseaux qui amènent cette idée de transformation. Ainsi le pauxi comme bec est la charge des aquilinés. Les serres sont parfaitement représentés dans le sasa (opisthoconnus cristatus). Et cet oiseau des îles Samoa : le didunculus ; et le toccro qui a une véritable tête de faucon.

Mais que sont ces ressemblances à côté des toucans et des calaos ? On peut dire d’eux qu’ils sont la charge des becs crochus.

N’y aurait-il pas d’autre famille d’oiseaux qui pourrait nous faire penser aux vautourins, car il n’y a pas à douter que ce soit par eux que soit venue cette transformation. Oui, deux familles d’oiseaux marins : les pelicanidés et les procellarinés ont comme eux un signe commun : le bec onguiculé. Ce seul lien a son importance. Le bec et la charpente osseuse ne se déforment pas facilement. Les éleveurs qui font de la sélection en savent quelque chose ; ils se sont heurtés contre la difficulté de la déformation du squelette et estiment qu’elle est le changement qui demande la plus grande dépense de temps.

L’albatros et le procellaria ont tout à fait des têtes de vautourins. Tous ont un onglet particulier au bout du bec ; c’est cette espèce de griffe qui est la pointe du bec du canard. La cire est prépondérante dans les becs de ces oiseaux, l’onglet n’en occupe qu’une faible partie, et arrive à son moindre développement chez le pélican, où il revêt la forme d’un petit appendice minuscule situé au bout d’une immense cire.


GOÉLANDS ET MOUETTES


Ava. 14 octobre 1882.

Ces oiseaux sont les vautours de la mer ; ce sont eux qui sont chargés d’assainir ses ondes. Tout ce qui peut être assimilé par un estomac qui est bien autrement actif que celui d’une autruche est enlevé et digéré. Mais quelle différence de construction entre les vulturidés et les larus, deux familles d’oiseaux chargées du même rôle ! Les nettoyeurs de la mer, par suite de l’immense étendue de cette plaine liquide qu’ils habitent, ont affaire constamment à des vents impétueux, ces courants d’air rapides demandent pour pouvoir être pénétrés utilement une construction spéciale, aussi ont-ils tous les ailes étroites et longues afin d’éviter le traînement. Les autres, les vautours de la montagne, qui habitent des pays où l’air est coupé par chaque élévation, ont les ailes amples et larges afin de pouvoir utiliser le moindre souffle de la brise.

Ils sont remarquablement bien organisés ces oiseaux du désert marin. Quelle simplicité dans la construction !

Leurs plumes sont rigides, leurs formes d’une coupe superbe sont naïves et toutes d’une pièce. Chez eux, pas d’ornement, pas de franfreluches, d’aigrettes, etc… qui seraient emportés à la première tourmente. Tout est robuste chez ces oiseaux et cependant gracieux ; leur vol cadencé est surtout étrange. On le regarde, on le trouve joli, on cherche à se l’expliquer sans pouvoir y parvenir.

Pourquoi, se demande-t-on, un oiseau qui sait planer dans la perfection, quand l’envie lui en prend, se fatigue-t-il à frapper l’air à chaque seconde que le temps produit ? A force de réfléchir, en les étudiant tous avec attention, et surtout en les comparant comme allure entre eux, on arrive à entrevoir une réponse satisfaisante à ce point d’interrogation. La voici :

Quand, par une forte brise (15 mètres à la seconde), on a la chance d’avoir ensemble sous les yeux les quatre oiseaux suivants : albatros, goéland, mouette et sterne, on remarque qu’ils se meuvent, de la manière suivante.

L’albatros est immuablement posé sur ses deux longues ailes courbées en-dessous : c’est le vol arqué. Chez lui, pas de battement tant qu’il ne fait que parcourir l’espace. Il ramera pour aborder ou quitter l’eau, mais, pour se mouvoir, jamais, c’est inutile, sa masse est assez importante et son aéroplane est disposé de façon à utiliser dans la perfection ce vif mouvement d’air.

Le goéland fera des temps de glissade de quelques minutes, mais à tout instant il frappera l’air comme s’il voulait accélérer sa vitesse. Ne sent-on pas dans cet acte une impression d’impuissance dans la translation ? Ne comprend-on pas que le courant d’air est trop fort pour lui.

La mouette, par le vent de 15 mètres, ne plane presque plus. Elle prend son mouvement de balancier et n’en sort qu’à de rares instants.

Quant à la sterne, c’est autre chose : elle est si petite, et la mer est si grande, que, pour pénétrer, pour pouvoir se transporter avec une vitesse utile et nécessaire, pour franchir les énormes distances de l’immensité

salée, il faut qu’elle se projette à chaque coup d’ailes.

Poids 280gr   Fig 1.- Ombre de la Mouette rieuse Vent 10’’   Envergure 0ᵐ965

Voici donc quatre constructions pareilles qui, par le seul fait de leur correspondance à quatre masses différentes, ont quatre modes différents de se mouvoir. C’est toujours l’influence de la masse qui agit, le plus lourd est toujours en bénéfice de translation et en même temps en économie de dépense de force.

Mais laissons l’albatros et ses béatitudes dans le mouvement pour retourner à nos gracieux coureurs de vagues.

Quelles curieuses voix ils ont ces espiègles de l’onde ! on dirait des cris de poulie mal graissée ! D’autres fois ce sont des bêlements de chèvre ou des vagissements d’enfant. En écoutant bien on saisit des mots, ce sont assurément des paroles que l’on croit comprendre ; ce qui explique que des gens superstitieux comme les marins puissent voir en eux les âmes des noyés.

Certains jours, en mer, dans le voisinage des îles, assis à l’arrière du paquebot, quel est le voyageur qui n’a passé de longues heures à les contempler ? Ils suivent le bateau en se tenant à une quinzaine de mètres en l’air, et de là plongent les ailes à demi-ployées en faisant des contorsions curieuses sur les débris jetés des cuisines du bord. Quand ils sont nombreux et qu’ils piquent tous ensemble, on dirait une chute de gros flocons de neige.

Puis ces poursuites quand l’un d’eux a trouvé un morceau trop gros pour être avalé sur le champ. Ce morceau abandonné, qui retombe à la mer, aussitôt repêché et aussitôt relaché, passe de bec en bec, jusqu’à ce qu’enfin, un gros manteau noir, un vieux forban des mers, l’écumant depuis Dieu sait quand, s’en empare, et défie alors toute la gent piauleuse.

Il y a des heures où la vie est abondante, c’est le matin ; mais quand le maître-coq prend son vermouth, quand les marmitons causent et jouent avec les matelots, on oublie les mouettes. Ces pauvres oiseaux désolés poussent des lamentations interminables. Ce sont des griii sans fin. Ils planent alors pour passer le temps et tournoient indéfiniment autour du bateau qui file cependant ses douze ou quinze nœuds, et qui malgré cela à l’air parfaitement immobile. Mais, quand arrive le coup de feu, quand les épeluchures tombent drues à la mer, alors il pleut des mouettes de partout, de l’avant, de l’arrière, de la nue : c’est une trombe tournoyante qui perpétuellement crie et se bat.

Tout cela, c’est le bonheur, le beau temps, la pâture abondante, la ripaille sur toute la ligne. Mais il ne fait pas toujours beau sur mer ! quand le temps est gros, que l’orage approche, quand la tourmente hurle dans les vergues, quand les montagnes d’eau ne sont plus qu’une masse d’écume peignée par ce vent affreux ; alors la vie de ces pauvres mouettes est terrible. Quelle action elles sont obligées de dépenser pour pouvoir résister à ce courant ! C’est à croire à chaque instant qu’elles vont être déplumées par l’orage.

Et cependant, non seulement elles résistent, mais même elles avancent contre ce vent qui vous force à tenir de la main votre passe-montagne qui emboite cependant bien.

Que la lutte pour la vie est dure, même pour ces oiseaux si bien organisés !


CORBEAUX ET MILANS


Je mets ensemble ces deux oiseaux de vol absolument différent parce que ce sont des voisins. Ils naissent, vivent, chassent et meurent ensemble.

Malgré qu’ils soient loin d’être des amis, la proximité perpétuelle, les appétits semblables, établissent entre eux une connaissance telle que la disparition de l’un semble presque affecter l’autre. Cependant les rapports qu’ils ont n’ont lieu qu’à coups. de bec ou de serres. Ce n’est pas le milan qui attaque ; il est bien trop pacifique pour cela, ce sont ces endiablées corneilles qui ont toujours quelque niche féroce à faire, entre autres voler les œufs.

J’ai en face de ma fenêtre deux gros arbres ; sur l’un nichent mes milans, sur l’autre mes corneilles. J’emploie le prénom possessif, parce que la connaissance est telle entre nous, et si ancienne que je considère ces oiseaux comme une partie de mon bien. Il y a vingt ans que j’habite cette maison. Le couple de milans est le même que le jour de mon arrivée. Quant aux corbeaux il vient de leur arriver un malheur, la femelle est morte ces jours-ci. Elle est rentrée à ce qu’il paraît dans son nid pour y mourir.

Il était onze heures quand la nouvelle en fut annoncée par les cris des jeunes. À l’instant tout le voisinage corbeau fut sur l’arbre, et ce fut toute la journée un concert assourdissant comme quand il meurt quelqu’un chez les Arabes. Il devait certainement y avoir des pleureuses payées, car il n’est pas possible que tout ce monde de corneilles eût une pareille affection pour ma voisine, qui, soit dit entre nous, avait le caractère : assez acariâtre.

Le mâle depuis cette époque a disparu, abandonnant ses trois jeunes, dont l’éducation est au reste achevée.

La femelle sèche dans son nid. Ce doit être pour eux le mode d’inhumation classique.

Les trois petits sont venus coucher, avec beaucoup d’effroi, près du corps de la défunte, qui doit à l’heure actuelle être réduite à l’état de squelette.

Voilà la vie de famille de l’oiseau quand on peut bien étudier ce qu’il fait, lorsqu’on se rend bien compte de ses actes. Cet enterrement ressemble étrangement à ce qui se passe dans la famille d’Orient quand elle perd un de ses membres : même cri de visiteuses, même assemblée bruyante, même expansion outrée de sentiment.

Les milans sont venus voir ceq ui causait ce remue ménage. Ils ont plané sur le nid à maintes reprises, montrant qu’ils prenaient part au malheur qui fondait sur leurs voisins, puis ils remontaient sur un point élevé où ils philosophaient sur les vicissitudes de ce bas monde.

Ce rapprochement excessif de l’oiseau est, quand on l’aime, souverainement intéressant. Il faut être bon pour lui, sans cela on ne voit qu’une bête appeurée qui ne cherche qu’à vous fuir ; mais quand, avec du temps et de la douceur, on a capté son amitié, le spectacle devient charmant. Ainsi, la corneille, le milan, viennent vous reconnaître ; c’est une franche salutation qu’ils vous adressent et qui n’a rien de semblable au dire de l’oiseau qui vous crie : J’ai faim ! n’as-tu pas quelque chose à me donner ? L’oiseau vous parle, le milan par gestes, le corbeau avec la voix. Son cri, qui, pour beaucoup d’inattentifs, est un bruit rauque et désagréable, devient pour l’observateur un glossaire assez complexe.

On dit que le vocabulaire de la langue éléphant contient une soixantaine de mots ; celui du corbeau doit être à peu près aussi complet. A force d’attention je suis arrivé à me persuader que je comprends une vingtaine de leurs cris. Il y a une chose certaine c’est que chaque traduction que je donne est corroborée par l’acte de l’oiseau.

Le milan n’a que cinq ou six intonations différentes. Il doit parler par gestes. Je n’ai jamais réussi à comprendre que le cri de guerre et celui de la découverte.

Ces deux oiseaux nichent à la même époque. Les corneilles font deux nids, quelque fois trois. Ils ressemblent assez, en plus gros, aux nids de pies des campagnes d’Europe. Les milans n’en font qu’un, gros, énorme ; on le voit d’une lieue ; le couveuse y est complètement cachée.

La grande occupation du corbeau mâle est de saisir un moment d’absence du milan et de lui voler ses œufs. Il a réussi cette année, mais les milans se sont remis à l’ouvrage et ont refait une nouvelle nichée qui, cette fois, est venue à bien.

Les milans jeunes sont sans voix ; les jeunes corbeaux en ont au contraire dès le jeune âge une superbe qu’ils gardent au reste toute leur vie.

L’extrême jeunesse est complètement différente dans les deux oiseaux. Les corneilles pouvant à peine voler sautent déjà de branche en branche et visitent tout l’arbre où est le nid. Les milans du même âge sont déjà sérieux comme leurs parents. Ils sont perchés la

journée entière sur le bord du nid et n’ont d’autre oc
(Corvus Corone) Fig.2.− Ombre du Corbeau Egyptien Envergure 0ᵐ 90
cupation que de soigner la croissance de leurs longues

rémiges.

Plus tard, dans les premiers essais de vol, la différence se continue. Ils sont bien intéressants pour l’aviateur, ces premiers coups d’ailes des jeunes milans, qui deviendront dans quelques mois de si fins voiliers. Ils ne savent pas voler. Ils ont peur du vide, ne savent pas se diriger, exagérant l’effort à produire. Il semble qu’ils sont trop légers, et que leurs ailes sont trop grandes. La distance dont ils disposent paraît disproportionnée.

Les premiers planements sont curieux. Ils commencent par quelques tours entiers de l’arbre où est le nid, mais ce planement est souvent interrompu par des battements ; ce n’est que plus tard qu’ils exécutent un cercle complet. Ce savoir ne vient que petit à petit ; on dirait à les voir étudier cette manœuvre qu’elle est difficile à produire, et que là se trouve une sérieuse difficulté.

Les jeunes corneilles qui resteront toute leur vie des rameurs endurcis se tirent de toutes les difficultés par de nombreux battements d’ailes.

Dès les premiers exploits des milans, la lutte entre les deux espèces commence. Les petits corbeaux se lancent à la poursuite de leurs jeunes voisins, dont les premiers orbes gracieux semble irriter les nerfs. Les pères et mères des deux espèces ne se mêlent pas des querelles de la jeunesse, ce qui fait que ces luttes n’ont aucune acrimonie. On sent, en les voyant, que c’est dans le sang des corbeaux de poursuivre des milans, mais qu’au fond ils ne leur en veulent pas autrement.

L’oiseau, malgré ce rapprochement excessif est quelquefois difficile à comprendre. Les actes de sa vie, surtout ceux qui touchent à la vie sociale, à l’ensemble de l’espèce, ne sont pas un livre ouvert pour notre intelligence. On voit des faits se produire, mais on ne sait comment les expliquer ; et cela, malgré la proximité qui permet de bien voir, la répétition de ces faits qui évite la surprise et procure à l’intelligence l’occasion de comprendre.

J’offre celui-ci au lecteur, qui sera peut-être plus heureux que moi, avouant que je n’y ai rien compris.

Depuis l’aurore se sont des criailleries de corbeaux interminables.

Je suis allé voir de quoi il retournait, et j’ai vu l’arbre, sur lequel ont niché mes amies les corneilles mantelées, envahi par un peuple de corneilles tout aussi mantelées qu’elles.

Ceci se passe sur les énormes lebecks qui sont à vingt pas de mes fenêtres.

Il faut dire que les petits sont grands ; ils volent presque comme père et mère, et vont déjà se promener sur les terrasses voisines.

Tous les matins j’ai à peu près ce concert depuis quelques jours, mais cependant beaucoup moins intense. Il se tient tantôt sur le dôme de l’église, tantôt ; sur un observatoire à côté.

Ce matin, l’arbre, la demeure conjugale, là où sont les deux nids, le vrai et le faux, sont criblés d’oiseaux noirs qui gueulent, qui braillent à tue-tête. Je crois comprendre les mots : en avant, en route ; le go on des Anglais le traduit mieux.

Il faut voir le père et la mère corbeau ! Quelle rage ! Ces insolents visiteurs n’ont-ils pas eu le temps d’aller dans le vrai nid voir… la couleur du linge sale.

Le mâle a piqué sur ce tas de curieux qui s’est rondement éclipsé, mais non sans de fortes moqueries en style crôo. Ils ont alors chargé ensemble, père et mère, et les trois quarts de la bande sont allés sur l’observatoire en face et de là les ont incendié de jurements : on aurait dit des femmes arabes.

Moins une douzaine de têtes noires réparties dans l’épaisseur des branches, l’ordre était à peu près rétabli. Mais, pas de chance ! un vol de nouveaux arrivés débarque à tire d’aile sur l’arbre de la famille en sevrage ; car cela semble être un sevrage en toutes règles. Les corbeaux réfugiés sur l’observatoire, voyant aborder les nouveaux venus, piquent tous de là-haut en envahissent de nouveau l’arbre.

Alors la rage de mes voisins n’a plus de borne. Le mâle, dans sa furie frappe les branches à grands coups de bec. Mais que faire ? Ils sont trop nombreux, force est donc de se taire. J’avais envie de leur venir en aide, mais je me souviens du proverbe : Des affaires de corbeaux il ne faut pas se mêler.

Je laissai donc faire.

Dans un coin, cependant, près du vieux nid, un conciliabule s’établissait. Ce qu’on y disait était probablement pas mal irrévérencieux pour mes voisins. − J’ai bien entendu mais pas compris : ce devait être dit en langue verte. −_Quand soudain la femelle se précipita avec fureur sur une de ces commères. Elles s’empoignèrent du bec et des ongles, battant des ailes, tombant de branche en branche, et finalement arrivèrent à terre sans se lâcher.

La bataille était plus que sérieuse. La bande entière descendit pour contempler la prise de bec. Les plumes volaient que c’en était une bénédiction !

Je ne sais ce qui serait arrivé si le combat n’avait été dérangé par une négresse qui venait étendre du linge ; ce qui força combattants et spectateurs à remonter dans l’arbre.

Je fus forcé d’interrompre un moment cette étude. Ce qui se passa pendant ce temps, je ne sais, mais quand je suis revenu, la troupe criarde était maîtresse de l’arbre sacré ; l’asile de la famille était devenu un vulgaire perchoir. On entendait au loin les cris éraillés des jeunes, disant au père et à la mère qu’ils n’entendaient rien à la politique sociale, et que leurs estomacs étaient vides.

Cet acte de communauté, cette émancipation forcée d’une famille par la tribu, me semble intempestif. Il faut une année entière pour élever un corbeau. Ce ne sont pas les premiers dont je vois faire l’éducation. Mes amis avaient raison, les petits sont encore trop petits pour être abandonnés.

Pendant quinze jours ils sont venus tous les matins se poser en masse sur l’arbre.

Leur but n’est pas facile à comprendre. Cependant ils en ont un. Est-ce pour préserver par leur nombre cette jeune famille ? — Ce n’est pas probable, attendu que les petits sortaient et allaient même assez loin ; puis ils resteraient toute la journée, tandis qu’à dix heures tout est fini, chacun est allé à ses affaires.

En somme je n’ai pas compris.

Ils sont une trentaine sur le sommet de ce grand lebeck, ayant l’air de n’avoir d’autres occupations que de croasser. Cela ennuie fort les milans qui ont leur nid sur l’arbre voisin. Toutes les cinq minutes le milan mâle plonge, éparpille ces criards et remonte aussitôt avec une dizaine de corneilles à ses trousses. Il s’élève en décrivant des cercles suivi avec succès par ses poursuivants, mais arrivé à une centaine de mètres de hauteur il faut cesser la poursuite, car pour eux on n’arrive pas là-haut sans battre fort, tandis que le milan monte en tournant, sans se fatiguer, et monterait comme cela indéfiniment. Aussi, l’un après l’autre, les voit-on lâcher la partie, plier les ailes et piquer vers l’arbre.

Si le milan était adroit, s’il employait les moyens dont il dispose, la poursuite des corbeaux ne serait pas possible : il n’aurait qu’à plonger de très haut comme le faucon et utiliser sa chute pour la remontée ; les corbeaux ne le suivraient pas longtemps dans cet exercice. Mais on dirait qu’il n’a pas conscience de cette ressource, car généralement il ne brille pas dans cette poursuite. Il attaque et fuit aussitôt, sans beaucoup de frayeur c’est vrai, mais c’est toujours une retraite.

Il convient de dire que le corbeau l’attaque rarement seul, c’est ordinairement contre le couple que le milan a à faire. Quand les corneilles sont bien animées elles ont presque toujours des plumes de l’ennemi. Celle qui est en dessous occupe le milan, et pendant cet instant celle qui est au dessus plonge et le déplume.

Ce coup est produit avec beaucoup d’adresse et une grande rapidité, car le corbeau n’ose jamais braver la serre du milan qui, quand elle tient, ne lâche plus. On le voit bien quand une bande entière attaque un de ces rapaces. Si le milan est en plein vol, il monte jusqu’à leur faire perdre haleine. S’il est près de son nid, il se pose sur une branche maîtresse, et là, bien campé, attend courageusement l’attaque de la bande criarde. Aucun n’ose alors offrir franchement le combat ; il y aura bien quelque surprise, par derrière, mais en somme rien de bien sérieux ne se passera quand le milan offre le combat.

Malgré ces batailles perpétuelles entre ces deux voisins irréconciliables, je n’ai jamais vu mort de bête ; cela doit tenir aux modes différents de combattre qu’ont ces deux espèces d’oiseaux.

La corneille est bien le gros oiseau le plus vivant de la création. Elle a l’activité fébrile de la mésange, pondérée par un petit cerveau qui est une merveille. Elle est drôle, spirituelle, réfléchie, sage mais méchante, et cela, non seulement contre le milan, ennemi de race, mais contre sa propre espèce.

Un jour, ma femelle corneille devait avoir pondu son œuf ; c’était le 15 mars ; elle couvait avec une assiduité exemplaire. Un corbeau vint au nid, et là, lui donna une distribution de coups de bec épouvantable. Je crus d’abord que c’était le mâle qui usait de son droit d’époux, comme réparation de quelque faute qui m’était inconnue. La pauvre femelle criait comme une malheureuse, mais recevait les coups sans bouger de dessus les œufs : quand soudain je compris ! L’assaillant quittait précipitamment l’attaque et filait au plus vite. Je vis alors, arrivant à toute vitesse, bas dans la rue, le mâle venant au secours des siens.

C’était tout simplement la voisine, qui jalouse de voir une nichée pondue à son heure juste, venait passer sa mauvaise humeur et donner à la couveuse une tirée de plumet homérique.

Le beau côté de cette vulgaire crépée de chignon est la conduite de ma corneille. Si elle s’était levée du nid, si un œuf avait été visible seulement une demi-seconde, il était troué.

Elle les a défendus, ses chers œufs, l’espoir de la famille à venir. Les plumes ont volé au vent, le sang a coulé, la rage de se battre devait la dévorer, car ce sont fières bêtes que les corbeaux, mais elle n’a pas bougé et ses œufs sont intacts.

Voilà le vrai courage ! Commander à ses instincts querelleurs d’une pareille façon est le fait d’un cerveau supérieur.

Il y a souvent des duels de corbeaux. Ils se tiennent par les pattes et frappent du bec. La galerie, toujours nombreuse, surveille les coups et est tellement empoignée par les péripéties du combat que j’ai pu les approcher dans ce cas à quelques mètres. Un jour j’ai pensé prendre les deux combattants. Je crois que si je ne les avais séparés, vu l’acharnement qu’ils y mettaient, ils se seraient battus jusqu’à ce que mort s’ensuivit.

Les milans entre eux se querellent rarement ; on voit cependant quelquefois le spectacle suivant : deux oiseaux attrapés par les griffes, descendre du haut des nues en tournoyant et ne se séparer qu’arrivés presque à terre.

Ordinairement la lutte est moins acharnée que cela, elle se borne à des plongées sur un envahisseur, mais, celui qui se sent en faute prend la fuite avec une telle célérité que la bataille est toujours évitée.

J’ai assisté à un magnifique essai de coup de canif dans le contrat.

Une grosse femelle au temps des amours était posée, attendant… son heure, quand un milan, célibataire probablement, se précipita sur elle.

La résistance fut molle ; cependant il y eut résistance, mais surtout nombreux cris poussés d’appel au secours. Le mâle qui planait par là autour accourut pour défendre son bien. Il le fit en toute conscience, mais où il manqua de caractère, c’est dans la poursuite. Il se contenta de renvoyer à grande vitesse ce laron d’honneur sans avoir l’air de lui en vouloir autrement. On sentait que pour lui, cet acte ou le vol d’un débris de volaille étaient sur le même plan.

Chez les corbeaux, cela ne se serait pas passé comme cela : leur vive intelligence, leur tempérament colère, auraient donné à ce cas une tournure tout à fait sérieuse. Le milan est beaucoup plus pacifique ; la pensée est lente chez lui, son activité n’est grande que dans le vol. Là il est maître absolu ; c’est l’oiseau qui produit les plus grandes difficultés du vol plané.

Etudions-le, regardons-le se promener avec aisance autour de ces miliers de terrasses du Caire pour accomplir en conscience sa mission de nettoyer. — Au vol, le milan a pour note particulière de faire constamment des contorsions curieuses ; sa queue se dirige à gauche, à droite, il avance une aile, baisse l’autre, se retourne subitement sur lui-même. Tous ces mouvements sont non seulement très visibles mais même exagérés.

Quand on réfléchit aux tours de force constants qu’il a à produire on s’explique ces mouvements exorbitants. Ils nous paraissent surtout excessifs quand on les compare à l’allure simple et grandiose des grands voiliers. L’explication de ces différences de procédés dans le vol est simple, elle est de suite indiquée par les effets produits.

Le milan fait ce que l’on pourrait nommer les difficultés de haute école dans le vol des voiliers, tandis que le vautour ne produit que le parcours simple. Aussi le bon sens nous indique-t-il que nous devons prendre ce dernier pour modèle, et non cet espèce d’acrobate sans le vouloir, qui est obligé pour pouvoir vivre d’exécuter constamment les difficultés extrêmes du vol.

Le milan est donc le planeur par excellence ; c’est lui qui peut produire ce vol dans les conditions les plus difficiles. Il lui faut ce talent, qu’il possède du reste à un degré extrême, pour pouvoir voler presque sans battement dans les villes où se trouve son territoire de chasse. A chaque angle, à chaque grande surface, le vent est brisé ; il lui faut donc parer à cette infinité d’angles de vent, de remous, ascendants, descendants, angulaires, circulaires ; et, pour arriver à se sustenter dans ce chaos de courants, il faut avoir ce qu’il possède : la science complète du vol. Dans ces mêmes conditions, tout autre oiseau est perdu, et se met tout de suite à la rame pour en sortir. La corneille, et le percnoptère, qui sont cependant des malins, ne l’approchent pas dans ces manœuvres difficiles, même de loin. Le grand vautour lui-même ne ferait pas beaucoup mieux s’il se trouvait dans le même cas.

Nous trouvons donc en cet oiseau le maître à consulter, dans les cas difficiles. Il est vrai que nous n’en sommes pas encore là ! mais excès de bien ne nuit jamais. Nous devons donc le classer dans nos souvenirs comme un professeur des hautes études. Il n’a en somme qu’un défaut, mais irrémédiable, c’est sa faible masse. Cette légèreté fait que ses évolutions manquent d’ampleur ; aussi, malgré sa grande surface, est-il souvent rameur.

Mais, il est est des jours où il est sublime. — Etonnant ne rend pas ma pensée. — Certain vent particulier, un état spécial de l’atmosphère, l’engagent à exhiber ses tours d’adresse les plus extraordinaires.

C’est alors qu’il produit ces chutes effrayantes de mille mètres de plongée. Il ne permet pas l’accélération excessive — c’est vrai, — mais cependant, ses ailes fournissent tout à fait l’aspect d’un météore fendant les airs.

Après l’avoir YU vivre, voyons-le mourir.

Beaucoup de personnes ont dû se demander comment meurt un oiseau dans la vie sauvage.

Je parle seulement des grands volateurs.

Je m’étais persuadé que l’oiseau, se sentant malade, restait philosophiquement à son perchoir, pour y attendre la mort.

En réfléchissant aux besoins de ces animaux, on arrive à penser que la mort doit ordinairement, ou au moins très souvent, être subite. La maladie d’un jour chez les granivores est la mort certaine par inanition. Chez les insectivores, la résistance à la faim peut durer un peu plus, mais ne dépassera probablement pas deux jours. Les rapaces sont privilégiés. J’en ai eu pour exemple mon grand aigle, que croyant mort, j’ai laissé cinq jours sans boire ni manger, et que, au bout de ce temps, j’ai trouvé perché, lisse, l’œil brillant, et jouissant de toutes ses facultés, surtout de celle de l’estomac.

Cependant, j’ai vu le fait suivant : un milan mourir à trois cents mètres dans les airs. Je le regardais voler par le plus grand des hasards, car au Caire, il y en a tant que, tout fanatique du vol que je suis, je ne leur prête pas toujours une grande attention.

La mort dut être rapide comme un coup de foudre. 11 n’a été tué ni par un coup de fusil ni par un autre oiseau, et de là-haut, trois cents mètres, il est tombé comme un plomb, faisant cependant des écarts énormes, quand le plan d’une de ses ailes, par le fait de la jointure qui ne pouvait plier davantage, portait en plein sur l’air. Malgré sa grande surface la chute fut très rapide.

Je le vis entre les mains des Arabes qui l’avaient ramassé ; il était sans blessure et encore chaud.

Je n’ai pu savoir de quoi il était mort. Il ne m’était pas possible de songer à l’autopsie, brisé comme il était.


GARDE-BŒUF
(Buphus)


Le vol de cet oiseau est tout ce qu’il y a de plus élémentaire. Son poids est minime comparé à sa surface, aussi se meut-il lentement, et même, sitôt que le vent est un peu fort, n’avance-t-il qu’avec la plus grande difficulté. Pourquoi a-t-il cette construction particulière ? Ses jambes sont cependant vigoureuses et ne sont pas aussi longues qu’elles le sont généralement dans la famille des hérons. Il est cependant probable qu’il y a une raison autre qu’un phénomène d’atavisme, et que tout est pour le mieux dans sa conformation. Cependant il ne faudrait jurer de rien. Il est certain que l’atavisme est dans la création une force qui s’oppose constamment aux perfectionnements nécessités par les besoins ; c’est en résumé le frein de la loi du progrès.

Cet animal est assez rare en Europe. La première fois qu’il me fut donné de voir cet oiseau, ce fut dans le fond de la Mitidja. Nous étions en face d’un grand troupeau de bœufs, et sur ces animaux étaient perchés de gros oiseaux blancs comme la neige ; le bétail semblait bien les connaître, car il ne s’ocupait pas plus d’eux que des étourneaux qui voltigeaient par milliers entre leurs jambes.

En Algérie, le garde-bœuf est rare, surtout près de la côte. Pour le voir chez lui, il faut l’étudier en Egypte ; là est sa vraie station d’hiver. Il y vient depuis Ménès, et de cette époque date un traité passé entre lui et ce pharaon : je ne me souviens plus à quel propos la légende raconte ce fait, mais il y a à ce sujet une histoire dans laquelle le héros est un héron blanc. Tant est que fellah et garde-bœuf sont, depuis cette époque, une paire d’amis.

On est étonné de la bonne familiarité, de la confiance placide de cet oiseau. La corneille est certainement peu timide, mais ses yeux pleins de malice indiquent qu’elle se fie bien plus à sa jugeotte qu’à la bonté de l’homme ; pour notre petit héron, c’est différent, c’est la confiance simple et naïve qui le pousse à vous attendre à dix mètres. Cette mesure de longueur est à l’usage de l’Européen, habillé de noir, qui est méchant, cruel, qui tue les charmants oiseaux de la nature pour satisfaire un simple caprice, mais pour l’homme à la chemise bleue, la mesure est bien plus courte : elle se restreint presque jusqu’au contact exact. Aussi voit-on souvent le fellah, qui arrose son blé ou son bersime, être entouré de ces oiseaux qui se promènent gravement en rond autour de lui. L’homme des champs aime ce compagnon silencieux, qui est comme lui ordinairement les pieds dans l’eau ! il se distrait à le regarder chasser les vers que sa pioche ou sa charrue retournent au jour.

Nous n’avons pas su nous autres, gens du Nord, inspirer cette confiance, surtout nous Français, avec nos mœurs brouillonnes ; nous avons réussi à être craints de tout ce qui a plumes. Quel oiseau libre ose venir avec nous ? La cigogne nous a fuis. La corneille se gare de nous comme de la peste ; les merles ont peur d’être dénichés. Le coucou, malgré qu’il n’ait pas cette crainte, préfère cependant les grands bois de la Germanie où il se sent mieux chez lui. Il n’y a que ce polisson de moineau, aussi remuant que nous, qui puisse s’accommoder de notre voisinage. On prétend cependant qu’il y a des vols de garde-bœuf dans la plaine de la Crau ; mais, en y réfléchissant un peu, on voit qu’ils abordent notre sol sur les points inhabités.

En Egypte, ce n’est pas la solitude qui l’attire, car la campagne nilotique est trois fois plus peuplée que la campagne française : c’est la mansuétude de ses habitants qui le décide à hiverner sur ce point. Les hommes ne lui veulent que du bien, les enfants eux-mêmes ne s’occupent guère plus d’eux que des poulets du village.

Je les ai vus cependant une fois s’amuser à les prendre.

Le moyen employé est aussi primitif que le sont les chasseurs et le gibier. En fait de fusil, ces gamins avaient une ficelle de cinq ou six mètres. Ils prirent un des petits crapauds qui grouillent dans ces terres noyées, l’attachèrent par le milieu du ventre et le jetèrent au loin. Les hérons blancs luttèrent de vitesse pour s’en emparer, et le plus habile l’engloutit avec la ficelle.

Cela ne passait pas facilement, mais enfin, à force de tours de cou, le crapaud arriva à l’estomac.

C’est ce qu’on attendait ! Hélas, le pauvre oiseau eut beau dire par ses regards que c’était violer la foi des traités ; il eut beau essayer de briser la corde en s’envolant, il fallut se résoudre à être remorqué jusqu’à ces diables de gamins, à être pris, et même à rendre gorge, car ils retirèrent sans vergogne le batracien.

Il resservit pour en prendre un second, et voire même un troisième, jusqu’à ce qu’enfin (ils les prenaient pour moi), après les avoir bien vus, bien contemplés, mesurés, vérifiés, dessus, dessous, sous les ailes, je n’eus rien autre de mieux à faire que de leur rendre la liberté.

Ce que c’est que le pouvoir de l’habitude ! Ils furent se poser furieux, mais pas effrayés du tout, tout simplement, avec le gros de la bande ; et le gros de la bande était à quinze pas. Dire que les gamins les reprirent sur l’heure serait peut-être s’avancer un peu, car ces oiseaux se ressemblent tellement qu’on ne peut préciser un individu ; cependant il n’y aurait rien d’impossible.

C’est la seule niche que j’aie vu leur être faite par les indigènes, encore faut-il convenir que c’étaient des enfants, et qu’ils avaient été incités par l’auteur, au moyen de la promesse de quelques piastres de bacchich.


PUFFINUS KULHII


Le Puffinus Kulhii est un oiseau rare. Il a un drôle de nom, mais comme je n’ai pu réussir à connaître son appellation vulgaire, ou du moins qu’il semble en avoir beaucoup, je suis forcé de lui laisser son nom zoologique.

Bref, ce puffin se rencontre au plus près de la France, aux Baléares, dans les mers de la Corse et de la Sardaigne.

Il niche, ras l’eau, dans les grottes des falaises.

Je décris cet oiseau parce qu’il est, dans la gent ailée qui nous entoure, celui qui prime comme étroitesse de l’aile comparée à son envergure.

C’est donc un sommet de rameau, c’est à ce titre qu’il est intéressant. Il est l’albatros de nos mers. La largeur de ses ailes étant un, l’envergure est dix. Le goëland qui est l’oiseau commun à ailes étroites qu’on peut étudier le plus facilement n’a comme proportion que comme sept et demi est à un. C’est donc un type bien franc que nous étudions, aussi est-ce l’oiseau des mers d’Europe qui supporte le mieux la tempête.

Par le calme, il est posé sur l’eau et n’est presque pas visible ; mais dès que la brise fraîchit, quand la mer devient noire, et que la vague commence à blanchir, il entre en possession de ses facultés.

Il vole alors ras l’eau, dans le creux de la vague, les ailes parfaitement rectilignes, puis s’élève de quelques mètres, présente son ventre blanc à la brise pour faire provision de vitesse et se replonge entre deux lames qu’il suit en planant comme il suivrait un chemin ; jusqu’à ce que, au bout de deux ou trois cents mètres, il s’élève de nouveau, reçoive le coup de vent et s’enfonce encore entre les vagues.

Dans cette manœuvre de prise de vitesse, il a cela de curieux que ses ailes au lieu d’être parallèles à l’horizon lui sont au contraire toujours perpendiculaires.

Il franchit ainsi de très grandes distances, mais comme il nage parfaitement et que la perspective de passer la nuit sur l’eau ne l’effraye nullement, il est sans inquiétude, ce qui fait qu’on l’aperçoit souvent à trente ou quarante lieues des côtes ; aussi est-il le dernier être ailé qu’on rencontre dans ce désert d’eau qu’on nomme le large.

La note particulière du vol de cet oiseau est, je l’ai dit, de pouvoir résister à un courant d’air qui entraîne avec lui tous les autres oiseaux. Cette qualité a, comme contre-partie, de le rendre inactif par le calme, et même par un vent moyen.

Il peut voler par le calme, mais difficilement, témoin le fait cité dans l’Empire de l’air, au chapitre : Action de la vitesse. Il ne se laissera pas passer dessus par un bateau, assurément ; on le verra au contraire courir sur l’eau et s’éloigner, mais il n’ira pas bien loin et se posera dès qu’il se sentira en sûreté. Il passera non seulement la journée, mais des jours entiers sur l’eau, occupé à pêcher des méduses et tous les zoophytes qui flottent perpétuellement dans la mer.

Mais que le vent se lève, qu’il devienne assez fort pour balayer mouettes et goélands et les forcer à se réfugier à terre, alors, à cet instant, la mer est à lui seul ; du grand large à la côte, toute cette immensité devient son domaine incontesté et cela, de par le droit de l’étroitesse de ses ailes : lui seul peut voler par ce temps de perdition.

Aussi les marins l’ont bien remarqué ; c’est, suivant les points, le satanique, l’oiseau des tempêtes, et une foule d’autres noms tout aussi peu rassurants.

Son aisance dans le vol est grande par ce vent d’orage. Il devient confiant, chassé à quelques mètres du navire et ne bat plus des ailes. Des pointes de ses rémiges il palpe la vague, enlève avec le bec, en plein vol, dans cette eau qui semble être en ébullition, tant elle est fouettée par le vent, des choses qui n’ont pas été rejetées du bord.

Il ne suit pas le navire, mais marche parallèlement à lui, dédaigne les détritus du bateau, très rares au reste par ce temps où les fourneaux ne sont pas allumés et ne vit que de produits marins.

C’est bien le satanique qui se complait dans la désolation.

Tout est fermé à bord, tout est serré, arrimé ; le pont est balayé par les coups de mer.

Dedans, le bâtiment craque, gémit comme une bête surmenée. Il faut se tenir aux rebords de sa couchette pour ne pas tomber.

En haut, les hommes ont leurs grosses bottes et leurs vêtements de toile cirée. Les officiers étudient anxieusement les convulsions de la grande tourmentée, sans peur assurément, mais avec cette tristesse fatale qui est 1e propre des gens de mer.

Pas un bout de toile aux mâts !

La cheminée blanchie par le sel fume comme une enragée : il faut pouvoir résister à ce vent debout qui retarde la marche. Et tout danse, et tout hurle, mâts, vergues et cordages. D’énormes paquets de mer embarquent à chaque instant.

Que l’homme est petit devant la tempête !

Et entre deux embruns on aperçoit ce démon d’oiseau filant gaiement, sans effort, gracieusement même, sur cette écume rugissante ; s’élevant avec la montagne d’eau et, arrivé au sommet, redescendant ses pentes, explorant ses vallées, se perdant dans ses dépressions. Puis au loin on le voit reparaître devant la crête d’une vague monstrueuse qui crève avec un bruit de tonnerre, et ce spectacle terrifiant n’est pour lui qu’un sujet de joie, car c’est le flot qui apporte et étale devant lui les animalcules marins dont il se nourrit.

Par cette mer démontée, il est impossible à cet oiseau de songer à se poser sur l’eau ; il serait roulé par chaque lame qui déferle. On doit présumer que, quand la nuit approche, il doit gagner des parages où l’eau est moins secouée. Cela doit lui être facile, porté par un vent qui a souvent plus de vingt mètres, il doit être en une heure à plus de trente lieues de là.

C’est un bien étrange oiseau, d’allure tout à fait curieuse.

Les mouettes sont presque des animaux domestiques ; lui est un sauvage, tellement en dehors de l’influence de l’homme qu’il semble l’ignorer. L’homme, au reste, lui rend la pareille. Je n’ai jamais pu décider les gens de mer à causer longuement sur son compte : ils le craignent.

Le montrant un jour à un quartier-maître des Messageries, vieux loup de mer, il me fut répondu ceci « Ne causons pas de cet oiseau, il porte malheur ; quand on le voit, on peut compter ses chemises. Locution qui, dans la Méditerranée, indique que le temps n’est pas beau ».

OISEAUX DU CAIRE


Je viens de voir une centaine de pélicans passant sur la ville et allant du Sud au Nord.

Quelle majesté dans la translation ! J’en suis encore tout ému.

Un aviateur qui a cinq minutes ce spectacle sous les yeux se remet tout de suite à l’ouvrage ; les refroidis, les endormis sont secoués par cet exemple.

Le temps est calme en bas : là-haut, par 200 mètres où ils sont, il doit y avoir une légère brise, quelque chose comme 5 à 10 mètres, et cela suffit pour supporter sans effort cette tonne de chair et de plume.

C’est tout à fait le grand vautour qui avance, il ne lui cède que peu comme régularité de marche.

Il semble que rien ne doit être facile comme la reproduction du mouvement. Aucun battement. Ils sont restés en vue dix minutes au moins, et entre tous je n’ai pas aperçu un seul coup d’ailes.

Ils ont l’air d’aller loin. C’est au moins aux grands lacs des bords de la mer qu’ils se rendent : soit environ 150 kilomètres qu’ils ont encore à produire. Ils y seront dans deux ou trois heures.

Le vautour et le pélican sont deux grands professeurs du genre de vol que nous voulons reproduire. Ni cahot, ni secousse, rien que du vulgaire avancement, sans aucune gêne et sans l’ombre de fatigue ; et cela produit avec une régularité de machine. C’est la locomotive qui se promène, le tour mécanique qui élabore, sans effort son ruban de métal.

Aviateurs, tâchez de voir, là est tout. C’est la lime qu’on retrempe, le ciseau qu’on aiguise. J’étais amolli dans la recherche, me voilà hanté pour huit jours par ce spectacle.

Voyez ! Quand vous aurez vu, l’analyse sera facile.

Confinés dans des caves, comme le sont les malheureux aviateurs des grandes villes, il est clair qu’ils ont tout à deviner. La prescience est chose rare, les mathématiques produisent les effets que j’ai dit, il faut donc de toute nécessité aller étudier.

Moi-même, je ne suis pas parfaitement bien ; malgré qu’on puisse considérer le Caire comme une grande volière.

Que me faudrait-il, grand Dieu, pour me contenter !

Voici cependant, les principaux oiseaux qui habitent la ville et que je puis encore observer, malgré la difficulté que j’ai à me déplacer.

Commençons par les plus petits.

Les sylvies sont en Egypte ce qu’elles sont partout : une goutte de vif argent qui court, saute, se démène comme un petit diablotin qu’elle est. Ce n’est point un oiseau de passage, elle niche dans les maisons, mais malgré cette proximité permanente de l’homme, on la connaît à peine, cela tient au peu d’éclat de son plumage et à sa petitesse.

La bergeronnette nous arrive en octobre. Celle-là, c’est l’amie de l’homme, c’est le marabout de l’Algérie : être sacré pour tous. Elle vit de moustiques, et il y en a tant ! aussi est-elle familière à l’excès. Il y a en pleine ville du Caire un petit bras du Nil qui traverse la cité d’un bout à l’autre. Ce canal est vaseux, peu propre ; niais, tel qu’il est, il fait le bonheur des bergeronnettes qui s’y donnent rendez-vous, qui y chassent vers et mouches, de l’aurore à la nuit. De temps en temps, elles montent pour prendre l’air et un peu de soleil ; c’est alors sur les terrasses qu’elles font la guerre aux insectes. Elles ne nous quittent qu’en avril pour aller nicher dans le Nord. La quantité de ces bestioles est énorme : on peut dire qu’il y en a cinquante par hectare de la terre d’Egypte.

Nous avons, comme l’Europe, nos hirondelles : celle des rochers (hirnndo rupestris), qui couche dans les carrières de la montagne et vient chasser en ville. L’hirondelle des fenêtres (h. urbica), qui est très abondante ; et enfin notre hirondelle de cheminée (h. rustica), celles des étables de vos campagnes, qui chez nous niche partout, même en plein café arabe, malgré la fumée des narguilhés, malgré l’odeur épouvantable du hachich, les disputes et les crailleries des Egyptiens de basse classe qui fréquentent ces lieux. Tout cela ne la regarde pas ; elle entre et sort imperturbablement, étant forcée de passer près de l’homme, à le toucher. Ce n’est pas exactement le même oiseau que celui de l’Europe, c’est une variété qui a le ventre rouge brique d’un ton charmant.

Le moineau d’Egypte est le moineau franc, il n’a qu’une légère différence, c’est qu’il est encore plus lutin que les nôtres. Les marchands de riz de la ville ont une véritable rente à payer à cet animal, car il s’approvisionne tout simplement aux tas qui sont exposés à la vente dans des couffes et cela à la barbe du patron, qui jamais ne s’est fâché contre ces pillards audacieux. Quand cependant ils viennent en trop grand nombre ou qu’ils font trop de bruit, le marchand daigne leur adresser, lentement, un coup de chasse-mouches ; alors la bande étonnée de cette outrecuidance, va se poser sur les étagères un peu plus loin et retombe à l’instant sur la montagne de riz.

J’en ai eu longtemps un nid dans ma chambre à coucher. Quand nous dormions trop longtemps le matin, ma femme et moi, ces oiseaux venaient nous réveiller pour pouvoir sortir. Je me souviens d’un spectacle bien amusant : ma femme triant des lentilles sur une grande table et tous les mauvais grains au fur et à mesure que sa main les éloignait, étaient enlevés, et cela par une vingtaine de moineaux effrontés et quatre ou cinq tourterelles qui ne doutaient de rien.

C’est positivement avec ces animaux la vie commune. Au reste, nous nous y prêtions un peu ; il y avait constamment le plat d’eau fraîche-pour désaltérer tout ce petit monde, et le plat n’était nullement au large, mais dans un endroit très passager ; tourterelles, moineaux, corbeaux mêmes y venaient boire.

Ce petit bras du Nil dont j’ai parlé et sur lequel donnent mes fenêtres, a ses oiseaux pêcheurs ; le martin-pêcheur vert, l’escarboucle l’habitent constamment pendant le temps de l’inondation. De loin en loin, nous avons la visite du céryle, le grand martin-pie, qui crie toujours comme un possédé ! Il se tient pour pêcher à la hauteur du second étage et de là pique sa tête sur le fretin qui est abondant dans ce canal comme dans toutes les eaux venant du fleuve.

Les sternes, en hiver, sont à poste fixe sur le grand Nil.

Quand les froids doivent être rigoureux, il y a, pendant les mois de janvier et février, un monde de mouettes et goëlands qui quittent la Méditerranée pour venir habiter nos eaux tranquilles. Les canaux de la Basse-Egypte, les grands lacs, les terres noyées du Delta sont pour les oiseaux de mer un véritable refuge pendant la mauvaise saison ; aussi arrivent-ils par milliers. J’ai remarqué, au reste, depuis vingt-cinq ans que j’habite l’Egypte, que tout hiver rigoureux est indiqué par la présence d’oiseaux rares qu’on ne voit pas dans les années ordinaires. Ainsi, l’année de la banquise, j’ai eu l’occasion d’acheter, pour une bagatelle, deux oiseaux qu’on ne voit pas souvent, même dans l’extrême-nord : le cat-marin (columbus arcticus) et, c’est à n’y pas croire, la grande chouette lapone. Je ne voulais pas en croire mes yeux, mais c’était bien la belle (ulula cinerea), il n’y avait pas d’erreur. Ces deux oiseaux étaient vivants et sans blessure, je les gardai tout l’hiver, et, au printemps, les ayant suffisamment étudiés, je leur donnai la liberté. J’espère pour eux qu’ils vivent encore.

Un merle qui est bien rare en France, le merle bleu (turdus cinœus) nous arrive en pleine ville, le 15 mars, et reste un bon mois chez nous.

Il est défiant comme tous ses congénères. On le voit surtout de grand matin, sur les vieilles maisons qu’il semble prendre pour des rochers, furetant, se coulant entre les pierres, cherchant sa vie avec cette circonspection cauteleuse qui est la tournure particulière de ses cousins à becs jaunes. On ne les prend pas ; ils sont bien trop malins pour donner dans un piège quelconque. C’est, en somme, un insoumis qui ne se laisse voir que de l’Arabe dont il a étudié longuement l’indifférence à son égard.

La huppe au contraire est d’une confiance excessive. Quand on habite la ville indigène, on a souvent la visite de ce ténuirostre. Ces maisons pittoresques à ne pas s’en faire d’idée ont un charme pour les oiseaux sauvages. Pour eux, les hommes qui habitent ces maisons doivent être meilleurs pour les bêtes du bon Dieu que les Européens qui vivent dans la nouvelle ville, où les maisons sont bien alignées, où tout est sec, aride, tiré au cordeau. La huppe ne vient pas là, elle n’y pourrait vivre et, en tous cas, s’y ennuierait ; au lieu de cela, dans ces monuments un peu délabrés de l’ancienne ville, tout est à sa convenance. Les murs immenses lui font l’effet de flancs de montagne, le jardin passablement abandonné a des recoins ombreux et sauvages où elle trouve sa vie ; il y a, en somme, tout ce qu’il faut pour lui plaire, entre autre pas mal d’immondices à retourner ; aussi est-elle là chez elle. Comme jamais on n’en a tué une seule, jamais elle n’a eu peur de l’homme ; et c’est franchement un éloge à faire de la population indigène.

Aux tourterelles maintenant :

La haute ville a des milliers de nids de ces oiseaux. Cette variété qui n’a pas de représentants en Europe est tout à fait gracieuse : sa longue queue, sa petite taille, son air innocent, doux et familier, en font un animal presque domestique : on a ses tourterelles au Caire comme en Europe on a ses canaris, seulement elles sont libres. Comme familiarité, jugez-en par le fait suivant :

J’étais en train de jouer au salon sur un orgue Alexandre grand format. Je faisais un vacarme effroyable ; on devait m’entendre du bout de la rue. Un de mes bons amis entra : « Oh, qu’elle est bien empaillée ! » Je suivis son regard, et je vis qu’il regardait un mâle de tourterelle qui était en train de couver.

Sur le rayon du milieu d’une jolie petite étagère encombrée de bibelots, pendue par ses cordes juste à un pied au-dessus de mon orgue, ces charmants oiseaux avaient osé construire leur nid.

J’étais en train de jouir de son erreur quand la tourterelle changea subitement d’œil pour mieux contempler ce nouvel arrivant qu’elle ne connaissait pas. Mon ami fut tellement étonné de voir qu’elle était vivante qu’il se retira à reculons de peur de l’effrayer.

Voici donc un oiseau nichant à portée de la main, à hauteur des yeux, ne s’effrayant de rien, pas même d’un orgue qui hurle à toute pression. Il est difficile de demander mieux d’un être libre.

Leurs cousins les pigeons sauvages sont passés à l’état d’institution en Egypte depuis l’Ancien Empire. Il y a des stèles de cette époque qui relatent que : un tel a la charge de gardien des pigeonniers du Roi.

Malgré qu’il habite un colombier il est cependant un oiseau sauvage.

Ces pigeonniers sont bien curieux : ce sont comme forme d’immenses pains de sucre hauts comme des maisons. Ils sont là-dedans par milliers. Un chef eunuque du Khédive Ismaïl en possédait dans un village de la Basse-Egypte vingt-mille paires : il fallait cinq tonnes de grain par jour pour les nourrir. Les voisins devaient être bien à plaindre ! La ville du Caire n’a pas de grands pigeonniers, c’est vrai ; mais ces oiseaux ne lui manquent pas pour cela. De tous les environs, et, cela va jusqu’à dix lieues au moins, ils viennent aux grands tas de blé du Gouvernement, et là sont vite rassasiés. Il y en a des nids dans tous les grands édifices et même dans les fentes de rochers des montagnes qui avoisinent la ville.

Ils passent sur le Caire avec une vélocité qui ne permet pas de les confondre avec les pigeons domestiques : au reste, ils ne s’accouplent pas avec ces derniers. Ils sont une race à part, qui reste pure malgré des voisinages quelquefois bien attrayants.

Les grands vols de ces oiseaux offrent une étude tout à fait intéressante comme effets d’agglomération, mais il n’est pas spécial à l’Egypte, j’en ai vu en France, dans la haute Auvergne qui ne leur cédaient en rien comme nombre.

Il va de soi que tout ce monde ailé deviendrait un fléau si les destructeurs étaient absents. Ils n’ont garde d’y manquer ; la place est bien trop bonne, le choix et la quantité ne manquent pas ; aussi toutes les races de faucons sont-elles présentes, depuis le faucon pieds rouges, gros comme un merle, jusqu’au pèlerin, le grand chasseur du Moyen-Age, qui niche en pleine ville tout comme la crécerelle des clochers de nos pays du Nord. Les uns vivent de souris, les autres d’insectes. Les hobereaux font chaque soir un repas copieux avec les grosses nyctinomes qui nous arrivent des grottes du désert. Le petit aigle et l’aigle impérial viennent aussi nous rendre visite ; il y en a quelques couples autour de la ville, ce qui fait qu’ils passent assez souvent sur nos têtes. Les poules les distinguent très bien des perpétuels milans dont elles ne s’effarouchent guère. Quand, au contraire, l’aigle passe, toute la volaille affolée rentre sous le plus proche couvert qu’elle rencontre, serait-ce même un magasin.

Je ne dirai rien du milan ni de la corneille, il en a été assez parlé dans ces ouvrages.

Il y a cependant un corbeau autre que la corneille mantelée, qui est intéressant par son genre de vol. Comme il vient souvent dans les faubourgs, il a rang de citadin.

Je trouve dans mes études une note sur lui, la voici :

Pyramides. 14 mars 1886.

J’ai vu dans cette promenade trois oiseaux intéressants.

Le petit aigle fondant sur un renard que je venais de déloger du grand mastaba ouest, une paire de grands corbeaux, ainsi qu’un couple de faucons pèlerins.

Le grand corbeau du désert égyptien est toujours très curieux avec ses battements élastiques. Chaque coup d’ailes semble faire courber non seulement les rémiges mais l’aile entière. Je ne sais à quoi attribuer cet effet d’optique, car cela doit en être un, il est impossible de songer à faire ployer l’os.

Ils ont suivi en croassant la face est de l’immense pyramide, et, arrivés au tournant de la face nord, le coup de vent les a surpris et les a engagés à planer ; ce qu’ils font, au reste, avec la même grâce que le battement. Ce corbeau est décidément bien moins lourd comme allure que le grand corbeau européen. Il est de fait que ce vol est bien curieux ! pour le décrire d’un mot, on pourrait dire que c’est le type du vol élégant.

Les grands faucons sont toujours d’une étude-intéressante, surtout sur ce point où ils restent en vue pendant des heures entières.

Ce qu’ils ont surtout de remarquable et de très particulier, c’est le vol rapide avec ses battements lents quoique excessivement énergiques, mais ayant comme particularité spéciale d’être produits les pointes des ailes près de la queue.

C’est le nec plus ultra du coup de fouet, de la poussée en avant par le battement.

Si cette vitesse excessive était supprimée, il y aurait chute immédiate la tête la première ; et cependant il est en équilibre avec ou sans battement.

Qui l’équilibre ainsi, si ce n’est la loi du déplacement du centre de gravité ou de pression sous l’action de la vitesse ? L’effet directeur de la queue n’y est pour rien, car lorsque le pèlerin prend ce vol rapide il a la queue aussi diminuée de surface qu’il lui est possible de le faire : elle est alors juste de la largeur d’une seule plume, et l’œil ne discerne aucun mouvement de direction produit par ce gouvernail.

Jusqu’où irait ce déplacement du centre de pression sous l’action d’une vitesse encore plus grande ?

Voici la place d’une expérience facile à faire. Répétez pour vous en persuader celle-ci, qui date de loin pour moi.

Lancez un aéroplane avec une fusée allongée fixée dans le corps de l’appareil. Faites de la poudre d’action progressive, en fractionnant la charge et ajoutant de plus en plus de pulvérin à mesure qu’on arrive plus près de l’ouverture. Tenez la poudre légèrement humide et comprimez fort, vous obtiendrez une fusée intéressante comme progression dans l’effet du recul. Ainsi construite, fixez-la par le tâtonnement sous l’aéroplane au point où l’appareil produit la course la plus correcte. Allumez-la de façon à ce qu’elle se mette à fonctionner quand l’aéroplane est en plein mouvement, c’est-à-dire, en pleine course sous l’angle de chute d’environ 10 degrés. Dès qu’elle entrera en fonction, l’angle de 10 degrés diminuera, il se transformera en 8°, 7°, 5°, atteindra l’horizontale, gagnera l’ascension et finira par la spirale et le brisement de l’aéroplane sous l’action d’une poussée devenue trop forte.

Ceci nous mène à penser que ce mot de coup de fouet, très employé par les aviateurs rameurs, est un terme faux qu’il conviendrait de changer. Le véritable coup de fouet a une action tout à fait brève. La détonation qu’il produit indique la rapidité du déplacement de la mèche de cet instrument. Dans le vol ramé rien de pareil ne se produit même dans le cas extrême de cet acte de vol. La poussée en avant, fournie par toutes les remiges formant ressort, existe, mais elle est d’une action longue et lente. La pression ne se traduit pas par un coup sec, mais par une poussée allongée.

Cette action, parfaitement visible dans le vol ramé du faucon pèlerin, l’est encore bien plus dans le vol à poussée perpétuelle des oiseaux de mer. Qui a regardé voler cinq minutes une mouette est persuadé de cette lenteur dans la poussée, qui n’a rien de comparable, comme effet avec l’acte, explosible tant il est rapide, du véritable fouet.

Nous pouvons donc dire que dans le vol ramé la poussée en avant peut être d’autant plus allongée (quoique cependant portant en plein et sans perte d’effort) que la vitesse de l’oiseau ou de l’air, ou pour dire mieux le mélange des deux, est plus rapide. Nous pouvons ajouter que chez les oiseaux de mer le coup de poussée est bien plus lent que le coup d’enlèvement dans le départ.

Les aviateurs qui ont étudié le coup de fouet ne doivent avoir observé que l’oiseau à vol bref : pigeons, tourterelles, etc, et qui étaient peu lancés ; car, le coup de poussée donné en plein vol est même pour ces oiseaux un de leurs coups d’ailes le plus lent.

Le lecteur sait ce que nous avons comme vautours. La poule de Pharaon peut se rencontrer sur chaque terrasse un peu haute. Les gyps divers sont comme je les décris. L’arrian et surtout l’oricou sont très rares. Il y a plusieurs années que j’en ai aperçu sur la ville ; mais cela n’implique pas que ces oiseaux aient quitté le pays. Pour les rencontrer, ainsi que les gypaëtes qui viennent de temps en temps nous visiter, il faudrait habiter le faubourg nord ou le faubourg sud, l’Abassieh ou le Vieux-Caire ; c’est là seulement qu’ils daignent se montrer, car les deux abattoirs sont dans ces quartiers.

C’est un vrai monde d’oiseaux que cette ville : j’oubliais tous les nocturnes.

Le plus petit est le plus drôle : c’est le scops. Mignonne boule de plumes, bavarde comme une pie, familière comme une poule. Elle a toujours quelque chose à raconter ! mais son dire n’est pas désagréable comme la plainte lugubre de l’effraye ...qui pousse sa plainte effrayante en secouant lourdement ses grandes ailes blanches, elle dit cocomio d’une façon tout à fait gaie.

Les hiboux, les chouettes, otis brachyotus, etc. sont les noctambules habituels de la vieille cité des Kalifes. Toutes ces tours crevées, ces minarets démontés, croulants, où nul n’ose monter, sont un paradis pour les oiseaux de nuit. Il y a même plusieurs couples d’ascalaphes, le grand-duc d’Afrique. Dernièrement prenant le frais sur ma terrasse, un de ces énormes oiseaux passa silencieusement à quelques mètres au-dessus de moi. Il arracha à ceux qui le virent cette expression : Ah : la belle bête ! Il est de fait qu’il était bien gros comme une femelle de dinde. Il passa lentement sans même produire un murmure et disparut dans l’ombre de la nuit qui tombait.

La vue du grand duc produit toujours une vive impression : cette grosse masse qui se meut silencieusement est loin d’avoir un aspect usuel.

Je ne parlerai pas de l’œdicnème qui se pose après le coucher du soleil sur les immenses toitures des casernes turques, du charadrius spihosus — le dominicain — qui nous visite la nuit. Ces deux oiseaux passeraient inaperçus si leurs voix criardes ne venaient nous révé1er leur présence.

Mais un oublié : le bihoreau, demande une mention :

Ardea nycticorax. — Le dernier de ces mots latins

veut dire corbeau de nuit ; et ce nom est bien juste, car
Poids 305gr.   Ombre de l’Effraye  Envergure 0ᵐ94
Poids 550gr  Ombre de l’Ardea  Envergure 1ᵐ02
les cris qu’ils poussent, en volant lentement dans la

brume du soir, font croire, à première audition, qu’il passe là-haut un vol de corneilles : fait impossible à cette heure, car elles sont toutes couchées. En regardant, on voit un vol d’oiseaux plus gros que les corbeaux, plus lents dans leurs évolutions ; alors on écoute mieux, et on perçoit la différence dans leur cri.

Ces hérons ont l’habitude de coucher tous ensemble sur quelques grands arbres assez rapprochés les uns des autres pour que la tribu se sente parfaitement réunie. Ils choisissent au Caire, pour établir leur héronnière, ces grands jardins abandonnés depuis de longues années, et où personn ne va, sauf les quelques gardiens qui sont sensés les entretenir et qui se soucient bien peu des bihoreaux.

Ces jardins oubliés produisent un effet curieux. La nature y reprend ses droits, les graines se sèment et poussent à leur aise où elles réussissent ; les dessous des grands arbres prennent l’aspect de la brousse sauvage, il y a réellement à s’y tromper ; aussi, en y réfléchissant, on arrive à comprendre le spectacle que présente ce perchoir.

Qu’on se figure une dizaine de grands lebecks tordant dans toutes les directions leurs longues branches sans rameaux. Sur ces troncs lisses, parfaitement garantis de la lumière par la végétation feuillée qui s’est réfugiée dans les sommets, sur ces troncs, de gros oiseaux sont alignés, très rapprochés les uns des autres. L’ombre est profonde ; on ne distingue pas bien, même en plein jour ; cependant, quand l’œil s’habitue à cette obscurité, on perçoit les détails. Leur plumage est gracieux, leurs formes sont loin d’être communes. Leurs becs pointus, leurs yeux jaunes sont tous dirigés vers le spectateur qui se sent impressionné par ces milliers de regards tournés vers lui.

Le soir arrive, ils partent par petites troupes pour visiter les champs herbeux de la Basse-Egypte, et, à l’aurore, ils sont tous rentrés.

Ce spectacle est aussi bien peu connu des Cairotes, malgré qu’il y a moins de dix ans une de ces héronnières était située au beau milieu de la ville… derrière Scheppet hotel.

Comparez maintenant ce monde d’oiseaux aux hirondelles, moineaux et colombes de Paris et il sera facile de comprendre combien l’étude est commode au Caire et difficile en France …Joignez à cela que tous ces oiseaux sont d’une familiarité insolente, bien autre que celle du moineau français.

En Europe, les voiliers sont rares. Quand on voit un milan, c’est par deux cents mètres, et cela arrive deux ou trois fois par an, ou quand on habite la campagne et qu’on regarde en l’air ; ici, il n’y a qu’à lever les yeux. on en voit toujours.

Le corbeau est assommant, il y en a trop. Le percnoptère est moins commun : les couleurs vives du mâle le font déjà regarder ; mais, ce qui, sans être rare, est cependant difficile à voir, c’est le grand vautour. Il ne faut pas être myope assurément, sans cela on le confond toujours avec les milans qui encombrent le ciel. Il est ensuite rarement en voyage le matin ou le soir ; c’est au milieu du jour qu’il faut le chercher dans cette lumière intense du bleu cru du Midi. Au bout de quelques minutes de cette étude de l’espace les yeux n’en peuvent plus, on voit mille paillettes d’or se mouvoir sur la rétine ; il faut absolument. abandonner la recherche. Mais quand on le voit, devrait-on perdre la vue, on ne l’abandonne que quand il s’éteint à l’horizon. Heureusement pour les yeux que ce n’est pas long.

NOM
VULGAIRE
NOM
SCIENTIFIQUE
ALLURE POIDS SURFACE Envergure Largeur moyenne PROPORTIONS 1 GRAMME
EST PORTÉ
1. m. q.
porte g.
80 k.
sont portés
Scarabée sacré 9
Echasse Himantopus × Vo’’ 52 0.644 0.110 5.85 : 1
Faucon Kobez f. vespertinus Vo’’ 142 0.068408 0.700 0.100 7 : 1 0.000481 2075 38.48
Céryle pie céryle rudis Vo’’ 94 0.035080 0.450 0.085 5.29 : 1 0.000373 2679 29.84
Freux corvus corone Vo’’ 415 0.144964 0.900 0.180 5 : 1 0.000349 2862 27.92
V/o’’ » 0.117336 0.740 0.175 4.22 : 1 0.000282 3727 25.56
Héron × ardéas × Vo’’ 550 0.169758 1.020 1.180 5.66 : 1 0.000308 3329 24.67
Goeland gris larus canns Vo’’ 890 0.334328 1.480 0.195 7.53 : 1 0.000375 2662 30.−
V2o’’ » 0.206716 0.000232 4305 18.56
Outarde femelle otis houbara Vo’’ 1295 0.223196 1.160 0.200 5.80 : 1 0x000172 5802 13.76
− mâle V5’’ 1780 0.250274 1.340 0.210 6.38 : 1 0.000140 7112 11.20
Héron gris ardea cinera Vo’’ 1572 0.395468 1.614 0.270 5.97 : 1 0.000251 3975 20.08
Vautour à cou violet gyps × Vo’’ 7389 1.014130 2.590 0.440 5.88 : 1 0.000137 7286 10.96

ETUDES D’OISEAUX


Voici quelques mesures que j’ai pu recueillir depuis 1881.

C’est bien peu, je l’avoue, mais je ne chasse plus que très rarement. Elles combleront cependant quelques-unes des lacunes qui existent dans mes tableaux.

Les procédés n’ont pas changé : c’est toujours la mesure totale dans la surface [3].

Il est inutile de dire que j’y ai mis la même bonne foi dans les calculs.

Je me permets cette affirmation, parce qu’il m’est revenu plusieurs fois des signes de scepticisme sur la véracité de ces données. Heureusement, je possède encore une grande partie de ces silhouettes avec leurs calculs à l’appui. Elles ont fortement frappé quelques fervents du vol à la voile qui m’honoraient de leur visite.

Quand on y réfléchit bien, on arrive à penser qu’il est plus difficile d’inventer que d’être véridique. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à essayer de crayonner une ombre d’oiseau : là, quelque talent de dessinateur qu’on ait, on sera arrêté net ; et c’est seulement le premier pas. Reste ensuite la donnée ornithologique qu’il ne faut pas froisser, sans cela on n’arrive qu’à produire une œuvre informe qui ne supporte pas un instant l’examen.

Les chiffres et les dessins que j’ai donnés sont donc une œuvre honnête. On peut s’y fier. En les contrôlant, oiseau en main, on peut cependant trouver des différences importantes, mais en contrôlant encore mieux, on arrivera à rencontrer juste avec mes tableaux ; la différence reposera alors sur l’âge ou sur le sexe de l’animal que je n’ai pas toujours précisés.

J’ai cependant une correction à faire au tableau type larus, page 120. Les chiffres attribués au pétrel géant sont ceux du flammant. C’est donc une simple erreur de typographie [4].

j Je ne l’ai jamais vu, hélas ! ce pétrel, ni le condor, ni la harpye, non plus que la grande catharte des montagnes rocheuses. L’albatros m’est moins inconnu, car j’ai eu le plaisir d’apercevoir sur la mer Rouge trois exemplaires du genre diomedea qui devaient être d.fulinigosa. Mais est-ce connaître un oiseau que d’en avoir vu trois sujets perdus, égarés sur cette mer sans issue, posés au loin sur l’eau et ne s’enlevant que pour disparaître dans le lointain ?

Il y a donc encore beaucoup à étudier.

J’ai fait ma part ; aux autres de faire le reste.

Quand l’échelle des êtres ailés sera parfaitement connue, il sera alors facile de voir que les remarques que j’ai exposées sous forme d’aphorismes sont absolument exactes.

A ce propos, ne conviendrait-il pas pour l’enrichissement du savoir de tous, de poursuivre cette étude ? Ce que je n’ai pu achever, d’autres peuvent le finir. Ainsi il est triste de dire qu’un seul des grands maîtres de la science du vol à la voile a été étudié. Il ne m’est pas parvenu qu’on puisse parler du poids, de l’envergure ou de la surface des oiseaux suivants, qui doivent dépasser de beaucoup comme intérêt les gyps fulvus : les condors divers, représentés par plusieurs variétés, au moins trois. Là doit être le roi des voiliers, et, pour ma part, j’ignore tellement cet oiseau, malgré les cinq exemplaires que j’ai vus en différentes fois au Jardin des Plantes, malgré les descriptions d’Humboldt, etc., que c’est comme s’il n’existait pas.

Et le plus grand des planeurs rapides : l’albatros, qui saurait en parler sérieusement ? Là encore, il faut des observations nombreuses, car si l’on en croit Lesson, Quoy et Gaimard, et d’autres, il y en a beaucoup de variétés.

La Société de Navigation Aérienne doit posséder des marins parmi ses membres. Ne pourrait-on pas les prier de nous fournir ces données ? Les voyageurs seraient aussi en position de nous rendre bien des services, car ce n’est que dans les pays inexplorés que se trouvent ces oiseaux intéressants.

Seulement, si ces messieurs veulent bien se charger de ces recherches, il faut absolument les engager à procéder de la même manière que sont établis mes tableaux, c’est-à-dire :

Indiquer tant bien que faire se pourra à quel oiseau on a affaire. Ce point est difficile, mais il ne doit pas nous arrêter, car devrait-on remplacer le nom scientifique de l’animal par un X, il resterait toujours son poids, qui pour nous, aviateurs, serait presque une dénomination suffisante. On ne peut demander aux explorateurs d’être des ornithologistes ; une bonne description bien détaillée nous permettra probablement de poser un nom sur un inconnu.

La question poids est aussi pour eux bien difficile. Ils s’en tireront au moyen d’un dynamomètre de 0 à 25 kilogrammes. Cet instrument peut être réduit au volume d’un simple ressort rigoureusement gradué.

Puis, prendre bien exactement l’envergure de l’oiseau, la largeur moyenne de l’aile. On y parvient en notant plusieurs largeurs à des hauteurs de l’aile différentes, et en en prenant la moyenne. Enfin mesure de la pointe du bec au bout de la queue.

Avec ces grandeurs on peut déjà, au moyen de méthodes empiriques, approcher d’assez près la surface exacte de l’oiseau.

Voici la formule dont je me sers au besoin, mais le moins possible.

Surface = Envergure x largeur de l’aile + 1/10 du produit.

S’il était possible d avoir une silhouette de l’oiseau étendu à l’allure vent 0 à la seconde, c’est-à-dire à la tournure qu’il prend quand il vole sans vent, cette feuille de papier deviendrait un point de repère pour l’aviation. Mais c’est probablement trop demander aux explorateurs dont les nombreuses périgrinations s’opposent à ces transports.

Les marins, au contraire, auraient toutes facilités de reproduire l’albatros sous toutes ses allures. Dans ces dessins il est à leur recommander de laisser absolument de côté leur savoir de dessinateur. Ce qui nous fera plaisir c’est le tracé simple, fait avec un crayon tenu perpendiculairement au sujet. Dans cette position il est impossible de se livrer à aucun écart d’imagination ; l’animal a son contour reproduit avec une naïveté qui est la qualité que nous désirons.

Donc, nous nous permettrons de demander :

A ceux d’entre nous qui visiteront les Andes, les Cordillères, ou les Montagnes Rocheuses : les condors, la grande catharte (catharta californianus), le varcoramphe papa.

Aux voyageurs qui visiteront le Brésil et la Colombie, le grand autour de l’équateur américain (trasactus harpyia).

A ceux qui parcourront l’Afrique centrale, le grand autour des pays nègres, oiseau inconnu, que je demande la permission de nommer A. Arnouxii, du nom du voyageur tué à Obock qui, le premier, en rapporta les plumes que j’ai vues.

Dans ces régions se rencontreront facilement le gypaëte abyssin, celui des monts de la Lune, les vautours : arrian, oricous divers, et, un autre grand vautour inconnu dont j’ai souvent entendu parler par les nègres originaires des contrées équatoriales de ce continent. Ils décrivent cet oiseau, dans leur style exagéré comme ils décrivaient le roch. Celui-ci n’a pas de nom, mais il a un poids !

Aux voyageurs de l’Extrême-Orient, surtout à ceux qui parcourront en détail les îles de la Sonde, les poids et mesures de la grande chauve-souris acerodon Meyerii, et, en général, de toutes les grandes roussettes de ces pays où chaque île a sa variété.

Maintenant, messieurs les marins, nous désirerions tous et ardemment savoir comment sont construits les albatros, les fous, les frégates et tous les oiseaux de mer que nous n’avons aperçus que dans les Museums. Vous pouvez facilement nous tirer d’embarras : un coup de fusil heureux, deux ou trois vieux journaux collés ensemble sur lesquels vous traceriez une silhouette, une pesée et c’est tout ce qu’il faut pour poser un jalon sérieux dans l’étude de l’aviation.

DEUXIÈME PARTIE



APPAREILS AÉRIENS

DIRECTION HORIZONTALE


Le chapitre qui, dans l’Empire de l’Air, a pour titre « Équilibre vertical et horizontal », page 27, est tellement écourté que je crois devoir lui ajouter ici une annexe.

L’explication de la direction horizontale n’était pas suffisante. Reprenons-la donc, car ce point est une des grandes difficultés de l’aviation.

Il est dit, démontré et prouvé que la sustention existe : plusieurs personnes ont été portées par l’air. Moi-même, j’ai parcouru 42 mètres sans toucher terre, ayant, pour me soutenir, un aéroplane de 12 mètres carrés de surface. L’air porte donc.

Au fait, puisque j’en parle, voici comment le fait s’est passé :

C’est encore dans mon jeune temps que cela m’est arrivé, dans ma ferme de la Mitidja, et avec mon appareil no 3, le léger, celui que je portais comme une plume.

Cette expérience précède de quelques jours celle que j’indique dans l’Empire de l’Air et qui se termina par un petit accident [5].

J’avais réussi, à force de combinaisons profondes et un déploiement de roueries à n’y pas croire, à être seul dans la ferme. J’avais déjà essayé les effets de mon appareil, sauté de quelques mètres de hauteur, je voyais qu’il portait, mais je n’osais expérimenter devant le public de chez moi ; et le temps me durait de mieux voir ce que cet aéroplane était capable de faire.

J’avais donc envoyé tout mon monde... à la campagne, et je me promenais dans la prairie avec mon appareil sur les épaules, courant contre le vent et étudiant son action de soutènement. Le vent était presque nul, la brise n’était pas encore levée, et je l’attendais.

Près de là se trouvait une route qui s’élevait d’un mètre et demi au-dessus de la plaine ; elle avait été ainsi exhaussée par l’apport des fossés de trois mètres de largeur qui la bordaient.

L’idée me vint de sauter ce fossé.

Sans mon appareil je le franchissais facilement, je voulus essayer de le faire muni de mon aéroplane. Je courus donc sur le travers de la route et je sautai le fossé comme à l’ordinaire. Mais, oh horreur ! arrivé sur l’autre bord, mes pieds ne touchèrent pas le sol. Je courais sur l’air, faisant des efforts inutiles pour atterrir : mon aéroplane était fixé. Je n’étais qu’à un pied de terre et je ne pouvais l’atteindre ; et je glissais sans pouvoir m’arrêter. Enfin, mes pieds finirent par rencontrer le sol. Je tombai sur les mains, cassai une rémige, et tout fut fini. Mais quelle peur j’avais eue ! Je me disais que si un simple léger coup de vent arrivait il me lançait à 10 ou 15 mètres en l’air, et que là-haut j’étais renversé forcément et que je retombais sur le dos. Je savais cela parfaitement, je connaissais les imperfections de mon appareil et les effets qu’il devait produire. Je n’avais pas pu m’offrir un aéroplane complet.

Heureusement tout se termina bien. Je mesurai ensuite la distance qu’il y avait de la marque de mes pieds au bord de la route et je trouvai 42 mètres.

Voici ce qui a dû arriver. Par le saut j’atteignais une vitesse de 5 à 6 mètres, et, au moment où je franchissai le fossé, j’ai rencontré une bouffée de la brise qui essayait de s’établir. Elle avait probablement 4 ou 5 mètres de rapidité, ce qui fit un total... capable de me supporter.

Je ne dirai pas que j’ai eu là l’occasion de savourer les voluptés de la vitesse, non, loin de là, — j’avais trop peur ! − mais cependant je ne saurais oublier cet étrange effet de glissement que je ressentis.

Comment se fait-il qu’après une expérience pareille je n’aie pas continué mes recherches pratiques ? En voici la raison dans toute sa simplicité. Le fait se produisait en 1865 au mois d’avril. Je ne voulais plus me servir de cet aéroplane incomplet et me proposais d’en construire un autre que je pourrais diriger exactement. Au mois de septembre, les circonstances voulurent que je louai ma ferme ; je quittai l’Algérie et me fixai en Egypte. Là, .je ne retrouvai plus les conditions d’expérience que j’avais dans la Mitidja : j’habitais une grande ville et non la campagne, il m’était donc impossible de rien faire sans me livrer à des déplacements considérables. Sur ces entrefaites la maladie survint : je fus immobilisé comme mouvement ; l’ancien gymnasiarque devint un impotent auquel il n’est resté que la tête.

Cette face du problème est donc jugée.

Il reste la direction dans le sens horizontal.

Je me suis beaucoup servi de l’observation, mais je dois avouer que, malgré que les bons modèles ne m’aient pas manqué, ce point est bien celui qui a nécessité de ma part le plus d’attention. On a beau voir, et cela tout le long du jour, si on ne comprend pas, ou, ce qui est plus dangereux, si on comprend faux, on arrive à se forger des idées erronées qui, plus tard, sont démolies pièce à pièce par l’expérimentation ; mais d’autant plus lentement que l’idée préconçue était plus enracinée. Ainsi, expérimentons.

Ne pouvant martyriser constamment les oiseaux, puis surtout trouvant en eux des êtres qui n’obéissent pas, ne produisent pas les manœuvres que nous voulons étudier et comprendre, adressons-nous à un appareil mécanique.

Nous prenons un aéroplane élémentaire : deux ailes, un corps et une queue, le tout fixe, en papier. La queue fait un troisième point d’appui et permet un pli correcteur qui assurera l’équilibre vertical.

Nous avons établi ce pli de façon à ce que nous ayons une chute aussi faible que possible ; c’est donc un point éliminé. Notre aéroplane chemine en produisant un parcours horizontal de cinq ou six fois la hauteur de sa chute. Beste à le faire aller soit d’une manière rectiligne, soit à gauche, soit à droite ; enfin d’être maître de sa direction horizontale.

Nous chargeons ce petit appareil avec une pièce de monnaie garnie de cire. Ce poids éloigné du point de charge utile, fixé à droite ou a gauche, fait tourner l’appareil du côté où est la charge. Il produit la direction horizontale que nous cherchons, mais nous remarquons que son action est faible et que ce n’est pas ce procédé que nous devons employer pour nous procurer une direction active. Il peut servir pour décider le sens de direction d’un grand cercle, mais est inutilisable dans toute manœuvre rapide.

Essayons d’un autre système. Renversons la question, c’est-à-dire prenons un aéroplane à mouvement de mains variables.

Après l’avoir mis à l’angle qui produit le moins de chute possible, conservons cette même surface totale, ’ mais changeons la position et la surface respective des deux mains ; c’est-à-dire, en en augmentant une et diminuant l’autre de la même quantité ; portant l’une en avant et l’autre en arrière.

Nous remarquons que ce genre de déséquilibrement est plus actif que le précédent, l’appareil se met à tourner comme je l’ai énoncé page 229[6], c’est-à-dire qu’il se met à décrire des cercles dans lesquels l’aile pliée est dirigée vers le centre et l’aile étendue vers la circonférence.

A ce propos je dois mettre le lecteur, qui voudrait répéter cette expérience, en garde contre les difficultés qu’elle présente. Je relaterai seulement celle-ci :

Il arrive très souvent que l’aéroplane tourne du côté de l’aile la plus longue, et cela avec un entêtement qui engage non seulement à mettre en doute cette action de direction mais même à la nier et à démontrer positivement le contraire. On arrive même à penser qu’il est juste que l’aile la plus longue retarde sur l’aile la plus courte et que le cercle décrit ait la grande aile pour centre, car elle fait levier.

L’expérience et le raisonnement donnent donc tort aux oiseaux.

N’abandonnons pas pour cela cette étude. L’observation indique que les oiseaux se servent très souvent de ce moyen et l’observation est un fait sérieux.

Il faut pour arriver à l’explication de ce cas difficile, raisonner encore mieux et expérimenter avec plus de précision.

L’appareil avec lequel on opère est un aéroplane défectueux, à surfaces inégales et à courbes dissemblables au repos, qu’est-il sous pression de marche ? — Probablement encore plus imparfait. Tandis que l’oiseau a deux ailes de surfaces égales et surtout de courbes absolument identiques. Avec cela, quand l’aéroplane est chargé du poids de l’oiseau, l’appareil vivant, loin de se déformer, gagne tellement en perfection qu’on peut dire que ces deux ailes n’éprouvent aucune difficulté à pénétrer l’air. C’est tellement vrai, que la vue de l’oiseau se mouvant sans effort dans le fluide aérien, a fait naître l’idée de l’aspiration : fait impossible, mais si l’aspiration n’existe pas, la faculté de pénétration est telle chez certains volateurs, que le retard que peut donner la tranche de l’aile peut être considérée comme une quantité négligeable.

Il est donc compréhensible qu’une manœuvre d’une action faible, mais faite par un appareil aussi perfectionné que l’aéroplane-oiseau, produise un résultat précis que nous ne pouvons répéter que difficilement avec nos instruments défectueux.

En opérant cependant avec un aéroplane très soigné, on voit se reproduire alors d’une manière ponctuelle les phénomènes de direction produits par l’oiseau.

Toutes ces reprises d’expériences — car on ne réussit pas du premier coup — nous font remarquer que ce déséquilibrement est, comme le précédent, d’une action assez faible, et qu’il ne nous permettrait pas d’expliquer les brusques évolutions que l’oiseau se permet en pleine vitesse, d’autant plus que l’action de cette manœuvre est plus accentuée par les vitesses faibles que par les fortes.

L’oiseau a donc ces deux moyens de déséquilibrement, mais il doit en avoir d’autres plus actifs. Il s’agit de les découvrir.

Allons étudier. Voyons sur nature opérer les professeurs : c’est le véritable moyen d’apprendre. Le milan, qui a le vol si torturé, nous indiquera le procédé qu’il emploie.

Nous venons de recevoir une bonne leçon : vent fort, 15 mètres à la seconde. Mes milans, qui ne me craignent nullement, planent à moins de 10 mètres au-dessus de ma tête et me permettent de les regarder sans s’effrayer et se mettent à ramer. C’est donc tout à fait le plein vol en chambre, visible, facile à étudier, et durant tant qu’on veut ; et même avec reprise de l’exercice quand on n’a pas bien compris. En somme aujourd’hui, il est commode au possible d’étudier ce point délicat du vol : la direction horizontale.

Voici ce qu’on voit, revoit, ce que ces bons milans me ressassent à chaque minute.

Ils ont nécessairement le bec au vent. Comme la désorientation est de chaque instant il y a, à chaque changement de direction, un effort de l’annulaire qui remet l’oiseau dans la bonne direction. − Je donne le nom de plume annulaire à la sixième plume de l’aile.

La queue fonctionne en même temps, mais on saisit parfaitement son peu d’action ; au reste, pour ces oiseaux, plus le courant d’air est fort, moins ils se servent de cet organe qui devient alors plus gênant qu’utile ; son emploi est dans d’autres actes de la vie que nous n’avons pas à reproduire, chasse et lutte, et par conséquent pas à étudier.

L’annulaire travaille donc en permanence. Aussi, étudiez sur l’oiseau si vous le pouvez, sur les gravures de l’Empire de l’Air, qui sont calquées sur l’animal, la puissance de cette sixième plume. C’est elle qui a le plus de surface de toutes les plumes de l’être ailé. Sa construction est spéciale. On sent en elle un organe à part, qui a des fonctions précises : elle n’est pas faite comme les autres, aussi sert-elle plus que les autres.

Voici ce qu’on voit faire aux milans, et ce qu’après on découvre facilement dans les évolutions de tous les voiliers.

Lorsque l’oiseau perd sa direction, c’est-à-dire quand le courant d’air varie légèrement de point d’arrivée, l’oiseau corrige sa marche en tordant la pointe de l’aile, en l’accrochant avec cette large plume et se procure ainsi un retard de ce côté. L’aile qui a fait cette manœuvre n’a donc pas été aussi vite que l’autre ; elle est restée en arrière, et comme les ailes sont étendues avec rigidité, ce mouvement s’est communiqué à tout l’aéroplane et le changement de direction a été opéré.

Quand l’oiseau veut varier intentionnellement sa direction, cette manœuvre est plus accentuée et devient par conséquent plus visible que dans le cas précédent. On voit alors l’annulaire quitter franchement le plan horizontal de l’aile, entraîner par son contact les plumes avoisinantes et communiquer ce mouvement de torsion jusqu’à la fin de la main. L’action de cette déformation du plan de l’aile se traduit à l’instant par un changement subit dans le sens d’aller horizontal.

Ce n’est pas à la longue que cet effet se produit, c’est à l’instant même. Cette manœuvre est donc infiniment plus active que les déséquilibrements produits par le transport à gauche ou à droite du centre de gravité qui est procuré le plus souvent, en petit, par la tête qui se porte du côté où veut aller l’oiseau, en plus accentué par le transport général de tout l’être vers ce côté ; puis enfin, par le ploiement de l’aile du même côté.

L’action de l’annulaire est beaucoup plus énergique que tous ces procédés anodins, qui sont surtout d’une action très lente et qui ne sont utilisés que dans le planement.

Les besoins du vol dépassent de beaucoup les manœuvres dont nous venons de parler. Par les grands vents, il arrive souvent que l’oiseau a à passer subitement du courant actif de l’air à un contre-courant, ce qui l’oblige à changer de direction avec une célérité excessive. S’il n’employait que les moyens décrits plus haut, il serait souvent lancé où il ne veut pas aller. Dans ce cas l’oiseau exagère l’action de l’annulaire, il n’accroche pas l’air, il le barre complètement et arrête absolument de ce côté le mouvement de translation ce qui fait alors tourner dans le milieu aérien comme si chaque coup pivot.

En avançant encore plus loin dans les évolutions indispensables à l’existence de ces animaux : chasse et lutte, on voit des cas nombreux où l’air n’est plus seulement barré mais est frappé énergiquement et avec toute la force dont dispose le volateur ; c’est une claque nette portée sur un corps dense, car l’air attaqué avec cette rapidité résiste comme un solide. Dans ce cas le rôle de l’annulaire est dépassé, l’aile entière entre en action mue par toute la puissance musculaire des pectoraux : puissance qui, quoiqu’on en ait dit, n’a rien de similaire comme action avec les muscles correspondants des grands animaux ; témoin ce fait : une hulotte que je tenais par les pattes s’est brisé une aile en frappant l’air pour s’échapper de mes mains.

En somme, cette déviation du sens de cours, cette direction horizontale est, hors les cas extrêmes, produite par l’annulaire ; elle est le vrai gouvernail du vol de parcours. Si on lui joint l’action excessive de la présentation des plans des ailes on atteint les déviations extra-rapides de la lutte.

Voilà les procédés employés par l’oiseau pour agir activement. Ce sont eux qui permettent au grand-duc de se tordre de force et non par action de chute dans le dédale de la forêt. Ce sont les moyens utilisés par les oiseaux de proie dans la bataille. Ils leur permettent de se mettre le ventre en l’air, de se tourner et de se retourner à l’instant l’oiseau sur lui-même comme sur un d’aile portait sur un corps dense.

L’attraction n’est pour rien dans ces manœuvres : elle est trop lente, trop inactive, pour pouvoir suffire à la brièveté de ces évolutions.

Ce sont des coups de force et non des effets de décomposition de force.

C’est donc un coup de gouvernail, qui se nomme la pointe de l’annulaire.

Pour résumer en quelques mots cette question de la direction horizontale, on peut dire que le premier indice de direction, celui qui décide du sens d’un cercle de planement, n’est pas discernable ; il est probablement produit par une imperfection, plume qui manque ou par un transport de l’être qui appuie sur un côté. Viennent ensuite les manœuvres qui peuvent s’apercevoir :

Tête portée du côté du centre ;

Aile de ce côté légèrement repliée ;

Annulaire commençant à entrer en jeu et augmentant son action de retenue jusqu’à communiquer un mouvement à toutes les plumes de la main qui la suivent ;

Pointe entière de l’aile tordue pour les directions actives ;

Changement de plan de l’aile qui produit le retard avec pression active des pectoraux.

Enfin, coups de force, produisant les mouvements excessivement rapides dont l’oiseau a besoin dans la lutte.

C’est bien ici le cas de faire remarquer que, dans l’article Equilibre vertical, toujours trop écourté, il n’a été question que des effets de l’attraction sur la masse de l’oiseau. J’y ai analysé le volateur comme s’il était un être inactif. L’aéroplane animé, l’oiseau, joint à tous ces déséquilibrements verticaux des coups de forces, plus ou moins puissants suivant le besoin, qui vont de la pression indiscernable au tour entier sur lui-même n’ayant pour diamètre que son envergure. Manœuvre que produit souvent l’hirondelle de cheminée parcourant une rue et arrivant à fin de course contre une maison par exemple : là, pour se retourner, elle fait quelquefois le tour sur elle-même verticalement, c’est-à-dire qu’elle a un instant le ventre exactement en l’air.

Mais, ce qui se voit bien mieux et produit un tout autre effet, c’est cette évolution produite par un aquiliné de forte taille.

Les aigles, milans, faucons usent très souvent dans la lutte de cette position qui leur est favorable, car les serres sont alors en bonne position pour atteindre l’ennemi qui vole au-dessus d’eux. Dans les attaques manquées, l’oiseau de proie qui s’est mis le ventre en l’air trouve quelquefois qu’il est plus rapide pour lui de faire tour complet sur lui-même que de reprendre sa position normale de vol par action de chute, qui est lente comme le sont les effets de l’attraction.

On voit donc en résumé que toutes les fois que l’oiseau a besoin d’une célérité dépassant les effets de la gravitation entrant en action, il supplée à la lenteur de cette force par un apport de puissance personnelle ; qu’il aide, en somme, l’action de l’attraction, n’ayant pas le temps d’en attendre les effets, et cela non seulement dans les évolutions horizontales, mais même dans celles du sens vertical qui sont infiniment plus rapides.

Ces deux directions adaptées à une surface capable de porter font l’aviation exacte. C’est pour n’avoir pas analysé ces deux moyens de se diriger qu’on en est encore à chercher ce mode de locomotion.

Pour nous en convaincre, passons une revue succinte de ce qui a été fait en fait d’appareils destinés à parcourir les airs et donnons-nous pour objectif ce point spécial : la direction.

Nous ne trouverons pas grand’chose, mais cependant comme c’est seulement par cette voie qu’arrivera le succès, le moindre fait prend un intérêt sérieux. Nous y verrons parfaitement que c’est dans ce manque de direction que gît l’imperfection de presque tous ces appareils.

Il est dit à leur article que les ballons pourront probablement arriver à une vitesse de dix mètres à la seconde. Ce n’est pas suffisant, puis ils seront toujours très encombrants et excessivement coûteux : passons donc.

Les appareils rameurs demandent encore quelques insuccès pour être jugés définitivement. Ils le seront bientôt.

Restent les hélicoptères, les hélices, enfin l’ordre d’idées émis par La Landelle [7] et qui a produit entre autre le roman de Robur de Jules Verne [8] dans lequel la puissance est tellement indéfinie que les hélices sont invisibles tant elles tournent vite. C’est absolument du domaine de la fantaisie, nous ne pouvons le suivre. Qu’il y a loin de ces complications à la simplicité stupéfiante du mode trouvé par la Nature dans le vol à voile : une surface suffisante et deux directions ; c’est tout ! Il ne s’agit que de savoir et d’oser s’en servir.

Cette imitation de l’être qui sait voler sans dépense de force semble avoir été ridée dominante des appareils qui ont fonctionné ; car il n’y a pas à se le dissimuler, l’humanité a réussi ce problème bien des fois.

Icare s’est tué, donc il a réussi la navigation aérienne. Je néglige l’accident qui n’a rien à voir avec le résultat.

Simoni magicien, sous Néron, réussit si bien à s’élever dans les airs que saint Pierre, qui croyait voir en cet exercice l’œuvre du Démon, se mit en prière pendant que cet aviateur planait ; et Simon tomba sur le Forum et se tua. Donc il a réussi.

Olivier de Malmesbury, bénédictin anglais, partant du haut d’une tour, parcourut 120 pas au moyen d’un aéroplane et se cassa la jambe : autre commencement de succès.

Paul Guidotti, architecte de Lucques, en 1569, exécuta avec des ailes plusieurs expériences qui réussirent. Dans celle où il se brisa une cuisse, il parcourut un quart de mille : soit environ 400 mètres. Succès très intéressant. Que ne donnerait-on pour avoir cet appareil !

Il est parlé, dans tous les ouvrages, de l’aviateur Dante et de ses évolutions sur le lac Trasimène. A quel système ranger l’appareil qui lui a procuré un tel succès ? Car ou le récit est faux, ou il y a eu succès absolument complet. L’accident qui lui survint ne signifie rien au point de vue de la réussite ; il n’infirme rien des procédés employés par Dante. C’est comme si on voulait nier l’existence des modes actuels de locomotion parce qu’il arrive des accidents.

Qu’a-t-il employé ?

A l’époque où fut réussi ce problème que nous recherchons encore aujourd’hui, la mécanique était dans l’enfance : on peut dire que tout était ignoré. Dante fut donc obligé de se servir d’un appareil tout à fait élémentaire, car où trouver le moteur d’un rameur à cette époque où la vapeur et l’électricité n’étaient pas nées ? Puis, la tradition nous relatant le fait parle d’un grand fer qui s’est rompu, d’ailes, enfin elle donne l’impression d’un aéroplane. Dante avait donc trouvé le vol à la voile ; et il n’est pas possible de lui supposer une trouvaille {autre qui aurait été inexécutable à cette époque où rien en mécanique n’était faisable.

C’est donc très probablement le vol à la voile qu’il a utilisé. Nous sommes portés à le croire par une foule de considérations. Il avait fait ses premiers essais sur l’eau : excellente idée ! et s’il les avait continués sur le lac son malheureux accident n’aurait pas eu lieu. Les perfectionnements de l’appareil seraient survenus et l’aviation était une science acquise à l’humanité. Au lieu de cela il se laisse tenter par le désir de plaire au souverain, exécute ses expériences sur la terre ferme : un accident survient. Sur le lac ce petit malheur était un simple bain, sur terre ce fut une jambe brisée et l’aviation arrêtée dans son étude.

Ces trois jambes brisées : Malmesbury, Guidotti et Dante ; accidents absolument semblables, nous portent à penser que les appareils étaient à peu près les mêmes. On peut supposer que la position de l’homme était la verticale, puisqu’ils sont tombés sur les jambes qu’ils se sont rompues. Cette position debout implique un appareil simple, quelque chose de ressemblant à celui dont je me suis servi sous la rubrique 3ᵉ essai [9].

Et cette autre réussite récente Francisco Urujo aurait fait en 1863, d’après le Courrier d’Andalousie, de Malaga, une lieue en moins d’un quart d’heure, parcours mesuré en ligne droite, mais qui par le fait a dû être bien plus long.

Ce paysan espagnol, assurément mal outillé, peu lettré, c’est probable, et qui fournit cependant un résultat complet !

D’abord le-fait est-il vrai ?

Il est presque certain qu’il n’est pas faux, car la tradition et même des écrits ne sont généralement pas si inventifs que cela. Dire que ce qu’on raconte est absolument exact et peut-être un peu exagéré, mais la légende doit reposer sur un fait positif ; il n’y a pas de fumée sans feu. Urujo avait probablement vu les planeurs exécuter leurs évolutions qui ne demandent aucune dépense de force. Il avait eu la possibilité d’étudier dans son pays le gyps occidentalis des sierras, qui vole parfaitement ; il s’était dit que ce problème n’est qu’un tour d’adresse et avec de la patience et beaucoup de bon sens il était parvenu à l’imiter.

Servons-nous maintenant pour nous diriger dans cette revue de ce qui a été fait du tableau d’aviation de M. E. Dieuaide[10].

Le premier, 1.500, de Léonard de Vinci, est tout à fait, d’après le peu qu’on en voit, mon essai n °1 [11]. Il est, au reste, difficile de s’en faire une idée précise. Ce qui en est représenté indique qu’on a affaire comme pensée dominante à un rameur, mais on ne peut aller plus loin, car rien n’est indiqué comme direction et comme surface.

1678. — C’est l’intéressant appareil de Besnier. Ce système a fait rêver nombre d’intelligences, surtout étant donné le résultat.

Mais malgré l’ascension obtenue, à ce que l’on dit, nous ne voyons pas comment il peut se diriger. Puis, cette station n’est possible que pendant un temps excessivement court. Il est impossible de penser à aller loin. C’est donc un appareil jouet et rien autre.

1709. — N’est pas sérieux : passons.

1742. — De Baqueville n’a pu se casser la cuisse avec un appareil semblable à celui qui est dessiné dans ce tableau. Cet engin ne porte pas.

Rétif de la Bretonne est une rêverie. 1784. — Gérard. Il est difficile de discerner quelque chose dans ce dessin. Quel est le propulseur ? Où est la direction ?

1784. — Launoy et Bienvenu. Hélicoptère.

1806. — Jacob Degen. Toujours l’idée d’enlèvement, de sustention, mais rien n’apparaît comme direction. L’idée de l’ascension prime sur celle du glissement. Le rameur a plus impressionné Fauteur de ce système que le voilier.

1842. — Henson. Il ne manque que la faculté de pouvoir déplacer le centre de gravité. La queue y est. Les deux hélices qui doivent procurer la vitesse sont en place. Avec cet engin, et donnant aux hélices la force désirable, on irait à peu près où le hasard mènerait.

1845. — Cossus. Hélices, pas de direction visible.

1851. — Aubaud. Appareil qu’il serait intéressant de mieux connaître. C’est l’idée fournie par la vue des grandes flèches ou traîneaux aériens. Il y a là tout un ordre d’idées nouvelles en aviation à poursuivre. Pour faire le premier pas dans cette étude, on n’a qu’à étudier la marche d’une flèche de grande taille, type lent, c’est-à-dire à grande surface à l’arrière. Dès que cet engin atteint deux mètres de surface, il captive par la lenteur de sa marche ; c’est tout à fait le mouvement des grands planeurs.

1852. — LETUR. Embryon du vol à la voile et des aéroplanes superposés. Letur aurait dû être pourvu d’un béret parachute et n’étudier que sur l’eau. Il n’aurait pas produit le vol plané, mais il l’aurait ébauché.

1852- MICHEL LOUP. Impossible de comprendre cet appareil d’après le dessin.

1854.− BRÉANT. Rêverie.

1856. — CARLINGFORT. Ombre de l’autour volant à toute vitesse ; mais c’est tout ce qu’on peut y distinguer. Hélice admise suffisante et parfaite, mais qui dirigera l’appareil ? Fortement lancé, la queue aura assez d’action pour le diriger verticalement, mais quant à la direction horizontale, on n’en voit pas la trace.

1857. — LE BRIS. Premier appareil. Essayé, d’après de la Landelle, sur la route de Douarnenez, au moyen d’une charrette lancée au grand galop. Les ailes devaient être fixées pendant cette expérience. Il eut un demi-succès.

1857. — DU TEMPLE. Cet appareil se distingue des autres par un bâti extraordinairement simple. On doit cependant lui reprocher le défaut de sa qualité, qui est le manque de tenue dans deux sens. Au reste, nulle direction, autre que celle que peut donner la queue, n’est indiquée.

1859. — BRIGHT. Hélices.

1860. — SMYTHIÈS. Combinaison indéchiffrable.

1863. — DE PONTON D’AMÉCOURT. Charmant petit appareil qu’on peut voir au musée de la Société de la Navigation Aérienne. Malgré la perfection de cette petite machine à vapeur, le résultat a été négatif : l’appareil n’ a pas pu s’enlever. Mais l’aurait-il pu, où serait-il allé ? On est toujours à côté de la question.

1863 — G. DE LA LANDELLE. Même idée que la précédente, mais agrandie. Le roman de Robur' est échafaudé sur cette rêverie.

1863 — DE LOUVRIÉ. Surface mise en mouvement par un moteur quelconque. Pas d’organisme de direction.

1864. — D’ESTEKNO. Aéroplane ayant la tournure de l’épervier. C’est assurément, au point de vue du vol à la voile, l’appareil le plus parfait qui soit dans ce tableau. Cependant, d’après ce dessin, nous devons dire que rien ne décèle les organes de la direction horizontale. Comme la queue est insuffisante, puisqu’elle n’agit que par les grandes vitesses et n’a presque d’action que dans la direction verticale, il manque donc une direction. Cet appareil n’est donc pas dirigeable.

1864. — DE GROOF. Si son système était tel que la gravure nous le représente, il n’est pas étonnant qu’il se soit tué.

1864. — STRUVE ET TELESCHEFF. Rêverie.

1864. — CLAUDEL. Appareil qu’il faudrait pouvoir étudier en détail. Que sont ces ailes tournantes ?

1866. — BOURCART. Système Besnier perfectionné, mêmes effets produits.

1867. — LE BRIS. Essai de Brest. Faute de vent et surtout de facilité dans l’expérimentation, cet appareil s’est mal enlevé. C’était l’essai du désespoir, fait à vide, par conséquent le résultat en était certain. D’après la photographie qui est à la Société d’aviation, la surface est suffisante, mais avec ces ailes fixes d’une seule pièce, la direction verticale est insuffisante : elle ne réside que dans l’action de la queue. La direction horizontale ne paraît nulle part ; par conséquent cet appareil est comme les autres, indirigeable.

1867. — KAUFMANN. Mélange de planeur et de rameur. Il y a assurément quelque chose dans cette idée, qui n’est pas neuve entre autres ; mais, qu’il faut faire grand pour pouvoir sustenter une machine à vapeur à action presque constante, plus sa provision de charbon ! Toujours sans direction.

1867. — SMYTH. Même sujet, mû par un moteur à gaz. Où met-on la provision de gaz ?

1867. — BUTLER et EDWARDS. Flèche ordinaire, type rapide actionné par un moteur quelconque. Direction verticale presque suffisante, direction horizontale invisible. Cette idée sera reprise plus tard : elle a de l’avenir. La direction horizontale peut être fournie par un simple gouvernail de bateau.

1868. − STRIXGFELOW. — Aéroplanes superposés. Appareil à étudier. L’intérêt de ces aéroplanes n’a été qu’entrevu. La nature l’indique comme capable de diminuer l’étendue, et c’est d’un intérêt de premier ordre en construction. Comme appareil d’aviation, tel qu’il est représenté, il est, comme ses prédécesseurs, ingouvernable.

1871. — PRÉGENT. Rameur à quatre ailes. Il y a bien des inconnus dans un tel appareil. Deux ailes sont bien difficiles à diriger ; que sera-ce quand on en aura quatre à soigner ? Puis, il y a la vapeur ! Jusqu’à ce que les appareils légers soient entrés dans le domaine de la pratique, il convient de s’abstenir. L’idée qui a pesé sur cette conception est le désir de voler par le calme. En adaptant à ce système des organes de direction suffisants, il est probable qu’il fonctionnerait dans l’air tranquille, mais à coup sûr, par un vent actif, il ne supporterait pas mieux le courant que ne le supporte son modèle, la libellule, malgré ce qu’on dit de cet insecte.

1871. — DAUJARD. Il a manqué à cet inventeur la vue des grands modèles. Il est difficile de tout créer. Les propulseurs sont insuffisants, et l’aéroplane est en longueur au lieu d’être en largeur. Le type qui a inspiré cette construction semble être l’insecte coléoptère. Appareil qui, pourvu d’une direction horizontale, fonctionnerait lentement dans l’air calme.

1871. — POMÈS et DE LA PAUZE. Hélicoptère actionné par un moteur à poudre. En supposant ce moteur trouvé pratiquement, on n’aurait pas pour cela la navigation aérienne. Cet appareil pourrait monter en l’air, mais ne saurait ni y stationner, ni s’y diriger.

1871. — THOMAS MOY. Appareil possible en chambre, mais impraticable en pratique. Supposons-le là-haut, par mille mètres, aux prises avec une de ces brises d’hiver qui n’ont pas moins de 25 mètres de vitesse à la seconde, et supposons que la route à suivre soit contre le vent : rien que d’y penser fait peur ! Pour résister à des courants pareils, il faut une autre rigidité que cela : pas tant de ficelles qui barrent l’air, tout comme une surface, pas de bâtis pareils, de grappins ; et surtout pas d’hélices de cette taille, qui jamais n’arriveront à tourner assez vite pour produire un travail utile dans un courant de 25 mètres. Regardez l’être créé pour se mouvoir dans de pareils courants : quelle simplicité de forme ! quelle correction de coupe !

1871. — PENAUD. Flèche animée, poussée par l’action d’un ressort en caoutchouc tordu sur une hélice. C’est plutôt un jouet qu’un appareil d’aviation.

1871. — JOBERT. Oiseau mécanique.

1872. — HUREAU DE VILLENEUVE. Même sujet.

1872. — PENAUD. Même sujet.

1872. — JOBERT. Même sujet à quatre ailes.

Ces quatre petits chefs-d’œuvre sont inspirés par les modèles que leurs auteurs ont pu étudier : les rameurs. S’ils avaient eu sous les yeux des voiliers, nul doute qu’ils auraient reproduit ce vol bien plus facile à imiter.

1874. — ARCHEMBACH. Machine difficile à comprendre : passons.

1876. — PENAUD et GAUCHOT. Il est peu commode de se former une idée sérieuse d’un appareil d’après une seule vue. Le point intéressant de cet aéroplane doit être dessous ; comment le comprendre ? Pénaud était trop fort pour faire une œuvre absolument incomplète. Ici, on ne voit presque rien : deux petits gouvernails horizontaux et un vertical ; tous trois insuffisants comme action. Les deux hélices telles qu’elles sont dessinées pourraient être supprimées. Comment part cet appareil ?

Il y aurait un petit livre bien intéressant à faire, c’est le compte rendu détaillé de tout ce qui a été produit par l’aviation, avec dessins sérieux à l’appui, coupe, plan, détails, enfin tout ce qu’il faut pour bien faire comprendre un sujet mécanique. Les archives de la Société de Navigation Aérienne doivent contenir des documents assez nombreux pour permettre de produire cet ouvrage, qui aurait entre autre utilité celle d’éviter d’inventer des appareils déjà construits.

1877. — E. DIEUAIDE. Toujours la perpétuelle obsession de l’ascension. Un bon ballon vaudra toujours mieux pour s’élever dans les airs que le meilleur hélicoptère ; et surtout pour en redescendre.

1877. — MÉLlKOFF. Même sujet. Hélice intéressante.

1877. — DE LOUVRIÉ. Rameur dont les ailes sont actionnées par un moteur. Direction verticale insuffisante et absence de direction horizontale.

1878. — CASTEL, et

1878. — FORLANINI. Deux hélicoptères qui ont fonctionné. Qu’il y a loin de l’hélicoptère à l’aviation telle qu’on la désire.

1878. — POMÈS. Pour que cet appareil ait pu fonctionner il faut qu’il ne ressemble pas au dessin.

1879. — BRÉAREY. Aéroplane ayant la tournure d’une raie. Il n’est pas impossible d’obtenir un léger succès avec cet appareil par un temps calme, surtout si on parvient par des organes absents à le diriger horizontalement.

1879. — TATIN. Aéroplane qui, malgré qu’il ait quitté le sol, n’est pas maniable. Cette expérience démontre qu’à 8 mètres de rapidité la résistance de l’air sur cette surface était suffisante pour soutenir son poids. Combien de données manquent pour pouvoir se faire une idée sérieuse de ce problème. L’expérience est-elle faite par le calme ? Quel est le poids de l’appareil ? Quelle en est la surface ? et quels sont les organes directeurs ?

1879. — DANDRIEUX. Retour à la machine Besnier.

1880. — EDISON. Est-ce que sérieusement le grand électricien aurait produit une œuvre aussi enfantine ? Je ne puis le croire.

En résumé nous voyons que de tous les appareils contenus dans ce tableau, aucun n’est dirigeable. Ils portent presque tous, mais la direction en est absolument impossible. Donc aucun n’a fonctionné et ne pouvait fonctionner. C’est, pour la plupart, l’imitation imparfaite de l’être qui vole. L’étendue de surface portante a frappé tous les chercheurs, mais là s’est arrêtée l’étude.

Ce que je prêche, c’est l’appareil complet muni de ses directions. C’est le voilier reproduit de la manière la plus simple possible. Les deux directions sont copiées sur l’oiseau : elles sont exactement les mêmes, par conséquent il n’y a pas d’erreur.

Le voilier vole, son imitation précise doit pouvoir voler.

L’aéroplane indiqué page 250 de l’Empire de l’Air, peut fonctionner. Si on lui joint deux organes pouvant jouer le rôle de l’annulaire de l’aile d’un oiseau, et qui ne sont pas indiqués dans la gravure faute d’espace, on aura les directions pareilles à celles qu’emploient les grands voiliers dans leur vol de parcours.

Le vol de longueur, celui que nous désirons produire est donc possible.

Je reconnais cependant que cet appareil est bien loin d’être complet. Pour arriver à la perfection du vol de lutte, il lui manque. une foule de choses :

1° La torsion possible de l’aile sur la tête de l’humérus. Mouvement impossible dans cet appareil, mais qui est presque compensé par la forte déformation qu’on peut produire dans la région de l’aile que j’ai nommée place de l’annulaire. Cette torsion destinée à produire un plan qui accroche l’air à l’extrémité de l’aile et qui produit ainsi un retard et un changement de direction horizontale, s’obtient très facilement et de beaucoup de manières différentes ; toutes bonnes du reste : l’essentiel est d’arriver à barrer l’air.

Ainsi on produit cet effet au moyen d’une simple corde cheminant dans des anneaux fixés sous l’aile, afin d’éviter le traînement, arrivant à la place où se tiendrait le pouce dans cette main emplumée, ét s’attachant à l’extrémité de l’annulaire. Il est clair qu’une traction exercée sur cette corde se transmettra à ce point d’attache et aura pour effet de le rapprocher de l’autre point d’attache et par conséquent de creuser l’aile ; seulement, comme le côté d’avant est ferme et même très rigide et que le côté arrière est élastique, c’est l’arrière qui se déformera, c’est l’annulaire qui présentera alors son plan à l’air ; plan qui, par conséquent, ne glissera pas comme le reste de l’aéroplane et surtout comme la partie pareille de l’autre aile qu’on n’aura pas déformée. Il n’y aura donc plus égalité de faculté de glissement ; l’aile intacte glissera mieux dans l’air que l’aile déformée.

Dans l’aéroplane de Massia-Biot, j’avais employé un autre moyen pour arriver au même résultat : la’ déformation de l’aile qui doit rester en retard. Ce gauchissement-était ainsi produit.

Les premières rémiges de chaque aile, formées par deux bambous légèrement courbes avaient en acte de vol ordinaire leurs convexités placées du côté de l’aile. Ces bambous étaient chacun emprisonnés dans deux douilles qui les serraient assez pour les maintenir en position, mais leur permettaient, sous l’action d’un effort de la main, de tourner sur eux-mêmes. Comme leurs deux bouts dépassaient d’un mètre environ chaque douille, ils servaient en même temps d’organes de direction pour l’avance ou le recul des extrémités des ailes. Ces deux barres venaient presque toucher la poitrine de l’aviateur, qui s’en servait pour porter les pointes des ailes en avant ou en arrière suivant les besoins de l’équilibre vertical. En même temps, on pouvait, en les tordant, les faire tourner sur eux-mêmes dans leurs douilles, par conséquent, porter leurs extrémités en l’air. La courbure de ces bambous faisait que la toile fixée sur eux formait alors un plan relevé, allant du premier au second bambou ; place qui devenait différente de celui du reste de l’aile.

Il est clair que l’aile qui présentait ce plan de relèvement ne fendait plus aussi facilement l’air que celle qui était restée intacte ; cette aile déformée restait donc en retard sur l’autre : c’était l’effet cherché.

À l’article « Gouvernail vertical », je parle d’une autre variante de direction horizontale. Il y a cent moyens différents à employer, qui, tous produisent cet effet, hors duquel on va à peu de chose près, horizontalement, où le vent veut bien vous pousser.

2o  Il manque encore à cet aéroplane, pour être complet, la flexion du coude qui existe dans le bras de l’oiseau : flexion dont il se sert à chaque instant, mais qui n’est pas cependant indispensable, comme je vais le prouver. Il y a un fin volateur qui, on peut le dire, ne se sert pas de cette flexion : c’est le martinet. On peut considérer son aile comme faite d’un seul morceau, lié au corps par une charnière. Les hirondelles ont l’aile disposée de la même façon, mais moins accentuée, puis viennent, à ce point de vue spécial, les engoulevents et les podarges.

Ce type d’aile en deux morceaux, on pourrait même dire avec justesse en un seul morceau, est infiniment plus facile à reproduire que celui de l’aile en deux parties. Le premier ne demande qu’une charnière et le second en exige deux.

Rien n’est délicat à construire comme cet organe de flexion. Dans mon deuxième essai, je m’étais permis l’aile en trois temps. J’avoue avoir eu un insuccès complet ; il était visible, à mesure que l’aéroplane s’achevait, qu’il pécherait par le manque de solidité. Aussi, à l’essai, ne tint-il pas ; ces quatre charnières jouèrent à qui mieux mieux.

Généralement, dans toute conception, on procède du compliqué au simple. Pour mon compte, j’ai fait comme tout le monde. Mes premiers aéroplanes, premier, et deuxième essai, avaient l’aile en trois temps. Celui qui est dessiné à la page 250, n’en avait déjà plus que deux. Celui que je décrirai plus loin, a l’aile d’un seul morceau et possède cependant les deux directions il peut donc tout aussi bien fonctionner que les autres, malgré sa simplicité.

3° Enfin, il manque à l’aéroplane tel que je l’indique un monde de perfections, et surtout de savoir s’en servir, d’avoir la science du vol, l’accoutumance du vide : cet affreux vide qui paralyse toutes les facultées. Mais cependant, tel qu’il est, il peut produire de bons résultats, et cela, malgré sa gaucherie forcée, car nous ne lui ferons pas faire de tours de force ; malgré ses imperfections de glissement, sa puissante masse corrigera ce défaut et fera qu’il coulera dans l’air bien plus facilement que ne le fait le petit oiseau.

Il gagnera comme régularité d’évolution. Nul volateur n’approchera de l’ampleur d’allure de cet énorme aéroplane chargé de 80 kilog. Les manœuvres y seront lentes. Il sera lent à tourner, lent à monter, et lent à descendre ; mais quand un mouvement sera bien décidé, il faudra un temps très long pour le changer de direction. Il sera en somme la charge très amplifiée des grands planeurs.

Construisez donc, et surtout faites les essais dans de bonnes conditions. Puis persuadez-vous bien que c’est un exercice qu’on ne réussit pas du premier coup, aurait-on pour l’exécuter des ailes aussi perfectionnées que celles de l’oiseau.

L’être ailé parfaitement en plumes, au complet, mais qui est resté longtemps en cage, nous enseigne qu’il faut être entraîné pour bien voler.

Ceci me remet en mémoire une expérience qui me fut racontée par M. Hureau de Villeneuve. Plusieurs aviateurs, désirant voir le vol du grand vautour, obtinrent de la direction du Jardin des Plantes qu’on donnerait la liberté a un Gyps fulvus. On lâcha donc l’oiseau, mais à leur grande surprise, ce voilier incomparable ne savait pas voler ; il fut impossible de rien tirer de lui.

Le volateur, pour posséder ses facultés, doit voler tous les jours. La confiance en ses ailes s’éteint avec l’absence d’exercice. Un vautour, un aigle, qui n’ont pas plané depuis longtemps, mis en liberté, seront, au départ, des rameurs ; ils ont oublié que l’aile fait des merveilles de glissement, et ce savoir ne leur revient que lentement. Je l’ai expérimenté plusieurs fois. Un jour, mon grand aigle réussit à s’enfuir. Quand j’arrivai le matin, je le vis sur un toit : il n’avait pas osé aller plus loin. Je n’eus rien de plus pressé que de lui montrer sa pitance. Il revint tranquillement en ramant et rentra la manger. Un busard Montaigu que j’avais lâché exprès, resta une quinzaine de jours en vue et ne voulait pas se décider à partir. Voilà donc deux oiseaux, possédant leurs ailes au complet, qui, par le fait de la stabilisation prolongée, ont perdu confiance en leurs organes de locomotion.

L’homme fera assurément encore bien plus mal que l’oiseau. Ce n’est que lentement qu’il s’accoutumera à cet exercice insolite. Ne vous découragez donc pas des premiers insuccès, persévérez et dites-vous que la science du vol ne vient que lentement, même aux oiseaux.

GOUVERNAIL VERTICAL


Ce mot de gouvernail, qui se trouve dans le chapitre précédent, fait, de suite, penser à un gouvernail perpendiculaire, quelque chose comme celui des bateaux qui n’ont besoin que de la direction horizontale.

Un appareil d’aviation un peu important ne serait pas déparé par cet organe, malgré son étrangeté, et s’il était utile, on passerait sans honte sur beaucoup de considérations esthétiques. Ce serait, il est vrai, le premier gouvernail de ce genre qui fonctionnerait dans la nature, mais il lui serait tout pardonné s’il produisait de bons effets.

La nature n’a pas positivement inventé cet appareil, au moins pour les oiseaux, mais elle l’a indiqué plusieurs fois : dans le milan qui dispose quelquefois verticalement le plan de sa queue, dans l’hirondelle, qui produit aussi très souvent cette manœuvre, dans le naucler, ce milan exagéré de l’Amérique, qui se dirige d’une manière si curieuse avec les deux longues plumes extrêmes de sa queue fourchue, dans le gypaëte, enfin dans tous les oiseaux de grand vol qui ont un appendice caudal développé. Puis, ce que la nature n’a pas fait est cependant faisable : elle n’a pas tout inventé, témoin la roue, l’hélice, etc...

J’ai construit plusieurs aéroplanes à gouvernails verticaux, tous ont bien fonctionné. Cet organe est un véri- table régulateur de la direction horizontale, mais il a le défaut d’exiger pour devenir efficace beaucoup de vitesse de translation. C’est, en résumé, toujours la queue avec ses qualités et ses défauts ; elle n’agit que quand l’air la frotte vivement.

Un de ces appareils était assez intéressant pour mériter une description.

Je cherchais la direction automatique contre le vent et j’ai eu recours au gouvernail vertical pour la produire.

L’appareil se composait d’un aéroplane ordinaire de 1 m. 75 d’envergure. L’attache du gouvernail qui devait régler l’orientation était une tige de fer plantée verticalement où serait la tête de l’oiseau, c’est donc au milieu de l’avant. Sur cette tige se fixait un drapeau mobile, parfaitement rigide. La longueur était égale à l’envergure de l’appareil : il dépassait donc de beaucoup la queue, ce qui faisait un gouvernail de 1 m. 75, placé verticalement sur le dos de l’aéroplane. 11 était construit en plumes de paon ébarbées et en papier de Chine.

Au bout de chaque aile, à la place de la sixième rémige, de l’annulaire ; j’avais établi deux petits plans mobiles collés à ces deux points. Il s’agissait de faire mouvoir ces plans, de leur faire présenter au moment opportun un angle qui ferait retenue sur l’air, l’accrocherait et produirait ainsi une action directrice.

Deux simples cordonnets attachés à l’extrémité de chacun de ces plans mobiles, passant par un anneau fixé à la place du pouce, et l’autre bout fixé au gouvernail vertical firent l’affaire. Les deux cordonnets étaient attachés à 0 m. 25 de la tige de fer faisant charnière, ce qui faisait que l’effort de l’air était augmenté de toute l’action du levier.

Quand l’aéroplane en marche voulait suivre une autre direction que celle de vent debout, ce drapeau rigide suivait le courant d’air, déviait de la ligne qui va du bec à la queue. Cette déviation se traduisait à l’instant par une traction sur le cordonnet opposé à cette nouvelle direction du drapeau ; le plan était amené à faire résistance sur l’air et par conséquent à ramener l’appareil contre le vent.

C’était un commencement d’exécution d’un ordre de pensées qui me poursuit depuis longtemps, mais que faute de moyens et de temps, je ne puis produire : c’est l’appareil aviateur automatique.

Son but final est de faire enlever et diriger dans une direction précise un aéroplane de 80 kilogrammes. Ce n’est assurément pas beaucoup plus difficile à combiner et à exécuter que les petits appareils inventés par MM. Penaud, Hureau de Villeneuve, Jobert et autres...

J’avais commencé un appareil de 5 mètres d’envergure, type pélican, devant partir de l’eau et se reposer sur l’eau [12], et fournir entre le départ et le repos une course planée qui par certains jours de vent devait être bien intéressante.

Le départ devait être produit par la vitesse procurée par des pattes de palmipèdes [13], et par une dizaine de battements énergiques d’ailes du système décrit dans le présent livre, à la fin de l’Aviation [14].

Le repos automatique était décidé par l’approche de la surface de l’eau : un petit lock pendu à une corde attrapait l’eau, ce tirage ouvrait un robinet et le gaz comprimé faisait battre cinq fois les ailes dans la position qui arrête la translation ; l’appareil immobilisé se posait sur l’eau.

Le moteur était l’acide carbonique. Au moyen d’une outre de caoutchouc d’un centimètre d’épaisseur, de la contenance de vingt litres, de bicarbonate de soude et d’un peu d’acide sulfurique étendu, on obtient une pression qui se chiffre exactement. Un pareil récipient peut supporter facilement sans se rompre et sans trop augmenter de volume une pression de dix atmosphères. Il pèse, avec sa charge, cinq à six kilos. C’est en même temps le foyer, le laboratoire et la chaudière. On disposait donc ainsi de cent litres de gaz utilisable comme force motrice.

Il y avait à répartir ces cent litres en quinze fractions de volumes progressifs, puisque la pression, l’exiguité du récipient, allait en s’éteignant, ce qui était chose facile, et entre la course des pattes palmées.

Le but de cette rêverie, qui fut abandonné au reste ainsi que beaucoup d’autres choses, était d’arriver au grand appareil automatique, capable de porter le poids d’un homme.

C’est, comme on le voit, toujours la pensée d’habituer l’aviateur à ce mode curieux de véhiculation qui me poursuit. Il est clair que, si cet appareil était construit, la vue de cette expérience souvent répétée, ferait certainement naître chez une individualité hardie l’idée de remplacer la charge par un être humain. Et, si cette intelligence était bien persuadée, bien imprégnée du vol des voiliers, il est à peu près certain que le problème serait résolu.

Au reste, s’il est absolument constaté que l’effroi du vide est la véritable cause qui empêche l’homme de pratiquer l’aviation, et c’est mon opinion bien arrêtée, les appareils automatiques sont la seule voie à suivre pour le décider et l’accoutumer à ce mode de translation qui ne doit pas plus donner le vertige que n’en donne l’aérostat.

ASPIRATION


D’abord, qu’entend-on par aspiration.

Première difficulté. Il est déjà difficile de s’entendre sur la définition du titre du sujet.

Sur ce point diffus, comme sur toute question indécise, il flotte un voile qu’il s’agit d’enlever.

Que peut signifier ce mot aspiration ? mot qui a parfaitement pris cours dans le monde qui s’occupe d’aviation.

Nul ne le sait au juste. Littré, qui a définition à tout, ne l’a pas envisagé sous cet aspect. Voyons alors nous-mêmes ce que nous pourrions dire sur ce sujet.

Le mot aspiration semble vouloir dépeindre l’action d’attirer un corps par l’entraînement d’un courant aérien ; on aspire l’air par opposition à l’expiration, au souffle qui le rejette. C’est bien ce qu’on entend par aspiration dans le langage usuel. J’aspirais avec plaisir les senteurs du matin. Mais, en aviation, ce n’est pas cela du tout ; le mot a une autre signification. Il a été créé, autant que j’ai pu le savoir, à l’origine de cette science, pour répondre à un besoin.

Nadar, de La Landelle, Ponton d’Amécourt, les ancêtres en un mot, voyant l’oiseau de mer pénétrer le courant aérien sans être mu par aucun propulseur, ne trouvèrent rien de mieux que de dire qu’il est attiré, qu’il y a aspiration.

Attiré par quoi ? Aspiré par qui ?

La réponse a toujours été : mystère, phénomène inexpliqué ; ils ne sont pas allés plus loin.

Cette réponse ne peut nous suffire ; nous devons chercher à en donner une autre plus sérieuse.

Nous avouons n’aborder cette question qu’avec les affres de la peur, la considérant comme la plus compliquée, la plus difficile à élucider de l’aviation. L’effroi qu’elle cause est produit par le côtoiement constant de la bêtise, qui est un voisinage qui paralyse la pensée et l’entrave, non seulement dans son exposé, mais même dans sa conception.

La nature est tellement forte dans ce phénomène que sa démonstration constante, son expérimentation de chaque instant devant nos yeux n’amène à notre entendement ni l’explication ni la croyance.

Nous ne voulons pas en croire nos yeux ! Cependant, lorsque, à force d’observer, on s’habitue par la fréquence à envisager ce phénomène, il vient à l’esprit l’idée de se l’expliquer : ce que nous allons essayer de faire et cela avec toute la sincérité et la naïveté possibles ; nous disant qu’un pionnier de l’air doit oser dire ce qu’il pense.

C’est donc ce phénomène paradoxal d’un corps pénétrant un courant que nous allons envisager ; c’est l’oiseau allant à contre-sens du sens naturel où il doit aller, où doit l’entraîner le courant d’air ; et cela sans développement de force, sans battement d’ailes, sans aucun acte de propulsion en avant, que nous allons essayer d’expliquer.

Les phénomènes de l’aspiration sont très nombreux. Il y en a qui sont simples et ily en a d’excessivement compliqués.

Etablissons d’abord par quelques exemples des de cas vol aspiré.

Comme j’écris pour les autres et non pour moi, comme il ne me reste d’autre rôle en ce bas monde que de raconter ce que j’ai vu et d’enseigner ce que je sais, comme c’est pour Paris que j’écris, ou pour mes confrères habitant les grandes villes — j’allais dire des caves — tous aviateurs qui en sont réduits à combiner dans leur cerveau des actes de vol, n’ayant rien devant leurs yeux de ce qui compose la splendide Nature, je vais donc retracer pour eux quelques exemples de ce qu’on appelle l’aspiration.

Je prie le lecteur de vouloir bien me suivre. Nous montons sur ma terrasse : c’est un excellent observatoire.

Nous sommes au mois de janvier, il fait un fort vent du Sud, froid comme les bises noires de l’Europe, à secousses violentes. J’ai manqué être renversé. Mon chat Microbe s’est retenu juste à temps pour ne pas tomber ; faits qui indiquent la force du vent.

J’ai là bien pu voir ; j’ai bien étudié ce point de l’aviation qui rend perplexe. Je parle sans l’ombre d’idée préconçue.

Ce sont les milans qui sont les modèles : il y en a constamment en vue.

Les milans, par ce temps et à cette époque de l’année, ont pour objectif de surveiller leur territoire de chasse : l’accouplement est commencé. Quand la femelle est au vol, le mâle la suit de près. Elle reste perchée la moitié du jour sur un point élevé ; pendant ce temps le mâle parcourt la surface qui est son domaine et ne s’en éloigne pas. On peut dire que ces oiseaux ne se perdent pas de vue, on le remarque aux cris d’avertissement qu’ils s’adressent de temps en temps.

Ainsi font les deux vieux couples mes voisins.

On voit cependant quelques milans très haut dans les airs. Ils semblent être par paire : ce doivent être des jeunes non fixés.

Ces conditions de vie expliquées, voyons leurs manœuvres.

Leur but est double : surveiller d’abord leur territoire, puis chasser pour vivre ; ils n’ont donc pas à produire le vol de grande course, mais au contraire à résister au vent sur place, sans s’éloigner, ce qui facilite singulièrement l’étude du cas que nous étudions. Aussi se bornent-ils à avancer contre le vent, les pointes des ailes fortement portées en arrière. Quand le coup de vent arrive, ils lui résistent en s’abaissant beaucoup.

La hauteur moyenne à laquelle ils se tiennent est de cent cinquante à deux cents mètres ; pour esquiver le recul ils s’abaissent de cinquante à cent mètres et tirent des bordées obliques.

Ce sont ces bordées en travers qui embrouillent l’analyse. C’est peut-être dans cette partie de la course qu’on peut penser que s’emmagasine la force du coup de vent.

L’analyse est bien difficile ; c’est, en tous cas, l’explication qu’on pourrait donner à la rigueur de cette manœuvre ; mais que dire quand ils avancent simplement, immuablement, toujours, sans effort contre le vent ; sans s’abaisser, sans s’élever : on dirait que le vent les attire.

Décidément, je sens que cet exemple ne persuadera pas : le milan n’est pas un professeur explicite ; ses actes de vol démontrent mais n’expliquent pas. Cherchons dans le monde des oiseaux un acte d’aspiration moins difficile et plus analysable.

Le planement en rond dont il est parlé au chapitre du vol à la voile est-il plus concluant[15] ? Non, il n’implique pas forcément l’aspiration : elle peut être niée. Il y a dons l ’économie de cette manœuvre une foule de rapports qui ne rendent pas d’une absolue nécessité le besoin d’admettre l’aspiration.

Pour trancher la question, nous allons présenter un cas où il n ’y a pas moyen de tergiverser, car c’est un vol toujours contre le vent.

Cet oiseau est, je crois, complètement inconnu, au moins dans ses manœuvres. Je ne l’ai vu que trois fois, mais comme compensation je me suis trouvé, comme longueur de temps et comme position, dans d’excellentes conditions d’étude.

Page 22 de l’Empire de l’Air se trouve l’énoncé, en quelques lignes, d’une manœuvre extraordinaire produite par deux aigles. Cette observation, qui est d’une importance énorme par l’horizon qu’elle ouvre à l’aviation, était d’une rareté telle qu’elle amenait le doute. Je me suis souvent demandé si j’avais bien vu. Si des milans ne l avaient ébauchée de temps en temps, je n’aurais pas osé, malgré tout l’intérêt qu’elle comporte ; une évolution entrevue une fois seulement n’est pas dans des conditions traditionnelles de présentation.

Me trouvant, il y a quelques années, en partie de chasse aux canards sur le Nil, j’eus tout à coup en vue quatre grands oiseaux que nos coups de fusil avaient fait envoler. Ils restèrent visibles une grande partie de la journée. Avec de très fortes jumelles je pouvais les rapprocher assez pour bien préciser l’espèce et les étudier avec facilité. C’étaient des balbuzards, variété africaine, les mêmes oiseaux que celui qui est décrit page 168 au tableau Aquila, sous le nom de Pandion fluvialis[16].

J’ai toujours affiché un culte spécial pour le grand vautour, mais je dois dire que depuis ce jour mon admiration est partagée : cet oiseau en a accaparé la bonne moitié.

Voici, autant qu’il est possible de dépeindre le mouvement avec des mots, comment se meut dans les airs ce brillant voilier.

La brise était faible : vent de sept à huit mètres à peu près. Après quelques battements pour les enlever des bords plats du fleuve, ils se mirent à planer. Quelques cercles les transportèrent à une cinquantaine de mètres de hauteur, et c’est à partir de ce point qu’ils employèrent le vol particulier que je vais décrire et qui leur est, pour moi, absolument spécial.

Sans jamais se retourner, ils tinrent tête au vent, avançant sur lui sans jamais donner un coup d’ailes, et, à certains moments, présentaient très franchement un angle qui les élevait de dix à vingt mètres ; puis, sans baisser, repartaient contre le courant d’air. Cet exhaussement avait lieu environ toutes les deux ou trois minutes ; il concordait probablement avec une onde de vent rapide qui passait, que l’oiseau utilisait pour s’élever.

Ils montèrent ainsi tellement haut, que je les perdis de vue, mais on comprenait à leurs cris qu’ils descendaient le fleuve et que, de là-haut, ils surveilleraient leur proie, soit poissons, soit canards.

La note particulière de ce vol intéressant est la fixité, la tenue dans une couche horizontale de vent. Non seulement ce pandion est toujours absolument vent debout et il avance sur lui, mais ce qu’il y a de particulier, et que ne possèdent pas les grands vautours, c’est la faculté qu’il a de se tenir toujours au même niveau. Les gyps ont moins de tenue horizontale que ces oiseaux ; ils cèdent plus facilement devant la nécessité ; ils s’abaissent sans honte par une immense embardée pour satisfaire aux besoins de la lutte contre le courant. Le pandion, au contraire, semble avoir pour point d’honneur de ne jamais baisser.

C’est bien le vol le plus méthodique, le plus démonstratif qu’on puisse rêver. Il ne cède à rien, ne recule devant rien ; sa vitesse est toujours la même, sa direction invariable, bien autrement rigide que celle des vautours. Quand il monte, c’est avec une netteté de soldat à l’exercice ; l’évolution est simple, sans ambages, visible, d’une analyse facile, élémentaire ; on pourrait dire : une avancée lente contre le courant à laquelle succède une élévation, elle aussi contre le courant ; aucun orbe, aucun recul : c’est le vol mécanique.

Que peut-on désirer de mieux comme aspiration ?

L’étude de cet oiseau fait entrevoir que la science du vol est plus vaste qu’on ne le suppose. Il ne serait pas impossible que les grands volateurs inconnus aient à leur disposition des procédés nouveaux. Il reste encore a étudier beaucoup de grands oiseaux, par conséquent ceux qui doivent nous offrir le plus d’intérêt : le gypaëte, que je ne connais pas assez comme détails d’actes de vol pour pouvoir en parler, ne lui ayant vu produire que le vol de parcours ; le grand autour de l’Afrique Centrale dont j’ai eu des plumes ; deux grands vautours peu connus de ces mêmes contrées. La harpie de l’Orénoque, les grandes cathartes des Montagnes Rocheuses ; enfin, les grandes variétés de condor.

Mais revenons à notre sujet.

Il est fort possible que ce soit le procédé qu’emploiera celui qui démontrera l’exactitude de ces pages, en réussissant à se servir d’un aéroplane. Ainsi, un appareil planeur pourvu d’une direction horizontale très active, peut, par un bon vent, réussir cette manœuvre et la reproduire avec beaucoup plus de facilité que celle des cercles. Elle est parfaitement dans notre entendement, n’offre que des difficultés d’un ordre que nous saisissons parfaitement ; bien mieux, à coup sûr, que le rond avec son temps d’abaissement où on ne sait pas au juste où on va.

Il y a un manque effrayant dans l’orbe qui est franchi par un excès de vitesse : c’est le second quart du rond, là où on est en train de se retourner. Dans le procédé vent debout, on se sent toujours porté, et si le vent cesse on est toujours en position, soit pour le reprendre quand il viendra, soit pour aborder le sol dans d’excellentes conditions.

Ce que je viens d’exposer n’est pas une théorie, c’est tout simplement le récit d’une expérience rare, produite par un oiseau rare, qui éclaire l’aviation d’un jour nouveau.

Mais continuons, ou pour mieux dire, revenons à ce problème irritant : l’aspiration.

Pour faciliter l’analyse, la compréhension, aidons-nous de quelques expériences.

Nous prenons un petit ballon gonflé à l’hydrogène, un de ces ballons jouet. Nous l’équilibrerons au moyen d’une charge et le mettons dans un air absolument calme. Si alors nous envoyons sur lui un courant d’air bref, au moyen d’un tube dans lequel nous soufflons, si la distance est assez grande pour que la colonne d’air mise en mouvement soit plus grande que le diamètre du ballon qu’arrivera-t-il ?

Il reculera, n’est-ce-pas !

Hé bien, non, il reçoit le choc de cette colonne d’air sans reculer.

Cependant, ce même courant, s’il a à agir sur un duvet posé sur le sommet du ballon, l’entraîne avec une vitesse égale à la sienne, et n’a aucune action sur le gros corps sphérique du ballon qui est encore plus impressionnable que le duvet, car la plume a un poids, tandis que lui n’en a pas.

D’après cela, un ballon devait rester immobile dans un courant d’air ? Ce n’est pas ce qu’on observe, cependant ! Nous voyons les ballons se mouvoir avec environ la même vitesse que le courant d’air dans lequel ils sont, du moins, c’est ce qui semble être à première vue ; il doit y avoir un retard, mais à coup sûr, il est minime. On le démontre au moyen de duvets et on voit que le retard du ballon sur la vitesse du vent est très peu de chose.

Voici donc deux expériences qui semblent se contredire. Il n’en est rien, cependant.

Le ballon, s’il était pourvu d’une surface absolument glissante sur laquelle l’air n’aurait aucune prise, ne pourrait s’accrocher à rien ; le ballon, disons-nous, reculerait devant le coup de vent subit de la quantité juste qui correspond à l’arrivée de la contre-pression, car la pression avant a lieu avant celle d’arrière, puis une fois la contre-pression arrivée, théoriquement, il doit résister au courant d’air, poussé qu’il est également par l’avant et par l’arrière.

On voit en étudiant avec attention l’expérience que je viens de citer, que, quand il reçoit le coup de vent, il n’est entraîné que d’une quantité si minime qu’on comprend qu’il n’a obéi qu’au traînement produit par l’action de l’air sur l’appendice par où on le remplit, et sur le fil et le poids qu’on a employés pour l’équilibrer. Il est visible, il saute aux yeux, que le grand effort de l’air sur une face a été équilibré par une contre-pression absolument égale à la pression qu’il a reçue : cela se voit au petit mouvement de recul auquel succède le retour en avant, qui est le premier effet de la contre-pression.

Si un ballon jouet de caoutchouc recule, lui que la tension du gaz a rendu presque lisse, qui est verni, par le seul fait de ses petites imperfections, à plus forte raison un gros ballon, reculera-t-il, puisqu’il est garni du haut en bas d’imperfections : filet, cordes, nacelle, toutes choses sur lesquelles l’air a une grande prise et qui sont, par cela même, autant de voiles sur lesquelles il agit. La nature elle-même de la surface de l’aérostat n’est pas heureuse pour éviter le traînement ; on s’en convaincra en passant la main sur un ballon jouet et on voit que, malgré son vernis, il est loin de posséder les mêmes qualités de glissement que celles que possède l’oiseau. Prenez un grand volateur par le bec et passez la main dans le sens des plumes ; lissez-le, et le toucher vous convaincra de la perfection éminente de glissement de cette surface.

Dans l’étude de cette question de l’aspiration, ou, ce qui est tout un, de la valeur de la contre-pression, intervient un autre facteur qui est celui de la forme du solide.

La forme sphérique est-elle la forme la plus avantageuse ? Est-ce celle qui donne la contre-pression la plus sensiblement égale à la pression ?

Il semble, au point de vue théorique, que oui, que c’est celle qui, par ses formes absolument régulières, doit donner des résultats de décomposition de force absolument réguliers. Il est même probable que, si on pouvait produire une sphère douée d’un glissement pareil à celui de certains oiseaux à vol rapide, le martinet par exemple qui est imprégné d’une graisse puante mais éminemment lubrifiante, comme le martin-pêcheur, les canards et tous les oiseaux de grand vol, il semble, disons-nous, que le traînement serait presque négligeable. Un ballon ainsi construit serait très lent à mettre en mouvement et serait insensible, ou à peu près, au coup de vent.

Plus la perfection du glissement deviendrait grande, moins la mobilité deviendrait importante. L’immobilité du ballon devient absolue dans le courant d’air si, par la pensée, on lui donne une perfection de glissement absolue.

La nature nous fait quelquefois toucher du doigt la puissance de ce remous. — J’ai remarqué le fait suivant :

Il arrive souvent au printemps que les moineaux qui ont des nids se trouvent gênés par les pigeons. Ce voisinage les ennuie ; ils se fâchent, les attaquent à coups de bec et, souvent, quand ils sont bien animés, les poursuivent. En voyant voler un moineau de son vol naturel, on ne penserait jamais qu’il peut suivre un pigeon lancé à toute vitesse ; cependant il y réussit parfaitement. On voit souvent un pigeon, affolé par cette poursuite, se pousser en avant de toute la puissance dont il dispose et avoir derrière lui, comme attaché à sa queue, un moineau qui ne le quitte pas.

Jamais la célérité de ce petit oiseau n’est assez grande pour lui permettre cette chasse : cependant la réussite de cet exercice est patente.

Il se passe certainement ce fait, c’est que, quand le moineau a réussi à atteindre le remous formé par le déplacement du pigeon, il vole avec facilité dans cette atmosphère particulière, qu’il est probablement entraîné avec elle ; ce qui fait que c’est le pigeon lui-même qui lui fournit une partie de sa translation.

En poursuivant l’étude de cet ordre d’idées, de la contre-pression, on est poussé par la nature elle-même à aller plus loin. En se basant sur l’observation, on arrive à se demander : pourquoi n’a-t-elle pas employé dans ses œuvres la forme sphérique, malgré les brillants résultats donnés par l’expérimentation ? Pourquoi n’a-t-elle pas donné à l’oiseau la forme d’une boule ?

C’est là une question bien ardue, bien difficile à résoudre. La pensée, malgré des milliers de démonstrations, reste diffuse ; on n’ose s’exprimer. Cependant, comme nous sommes là pour énoncer ce que nous pensons et non pour nous cacher derrière des restrictions, nous aborderons franchement cette question.

Il serait peut-être possible que la nature ait choisi d’autres formes afin de faire jouir le volateur d’un léger bénéfice de poussée arrière ; bénéfice capable de neutraliser le traînement.

Il y a peut-être des formes qui donnent une contrepression supérieure à la pression.

Je dois avouer m’être offert, à ce sujet, une expérience qui, malgré qu’elle n’ait pas été couronnée d’un succès exact, demande cependant à être répétée, vu son importance, et surtout étant donné le peu de facilité que j’ai eue pour l’exécuter ; partant les imperfections dont elle a été forcément entourée. La voici :

Je pense que, si, dans le ballon sans aspérité, de forme sphérique, la contre-pression est exactement égale à la pression, il n’en serait peut-être pas de même si la face d avant était lisse et si la face d’arrière ne l’était pas ; en d’autres termes, si la face qui reçoit le courant était disposée pour le laisser passer le plus facilement possible, et si la face d’arriéré était agencée d’une manière adroite pour l’accrocher et le retenir.

J’ai donc pris un ballon jouet sur lequel j’ai collé, sur une des faces, du duvet ; il avait une couronne de plumes plus petite d’un tiers qu’une face du ballon, et au milieu de cette couronne l’appendice par où il avait été gonflé, qui lui-même faisait aspérité et aidait à l’action de retenue de la contre-pression. L’appareil, bien en équilibre dans l’air, a reçu de haut en bas, sur sa face lisse, un coup de vent lancé par un tube. Le résultat désiré, c’est-à-dire l’avancement contre le sens du courant, n’a pas été précis. L’expérience éait trop imparfaitement faite : c’est à reprendre. Il y a là un point intéressant à étudier.

Comme la nature n’a pas inventé le ballon, comme elle n’a jamais dans ses œuvres produit la sphère, elle a dû avoir une raison pour cela. Les êtres qu’elle a destinés à pénétrer avec succès les fluides, ont une autre forme ; c’est celle d’un cône allongé juxtaposé sur une demi-sphère.

Pour lui ressembler dans cette expérience il faudrait s’adresser à des ballons ayant la forme du corps d’un oiseau d’eau. On pourrait prendre comme type colymbus glacialis ou encore aptenodyter patagonica.

Où nous arrêterons-nous dans cette voie ? Où allons nous ?

— Juste à la limite de l’absurde.

Mais où est-elle cette limite ?

Il est de fait qu’on ne peut admettre exactement dans ce cas l’aspiration ; il est impossible de songer à un corps assez bien construit pour que la poussée arrière soit supérieure à la poussée avant : ce serait le bénéfice de force, le mouvement perpétuel trouvé ; l’oiseau perforant l’atmosphère malgré lui, ne pouvant plus s’arrêter, le ballon Juif-errant, le bateau marche-toujours. Ce serait l’absurde assurément.

Non, il n’est pas permis de songer à cela : là est une limite qu’on ne peut franchir.

Mais où s’éteint la raison ? ou commence l’insanité ?

Il semble qu’il n’y a pas à errer et que cette limite est à l’équilibre exact des forces, à la suppression absolue du traînement.

Que ces voies inconnues sont difficiles à suivre ! le sentier n’est bien tracé nulle part. On est constamment attiré d’un côté ou de l’autre par quelque fait qui, comme une fleur qu’on veut cueillir, vous met de suite hors du chemin. Ainsi, que sont ces observations, nombre de fois entrevues, dans lesquelles l’équilibre des poussées ne semble pas juste, et pour être exact je dois dire, dans lesquelles la poussée arrière s’établit franchement, comme dans le fait de l’oiseau projeté en avant par un arrêt subit du vent.

Lorsque l’oiseau, dans le ciel, hors de tout remous, est soumis à un courant d’air puissant et qu’il est en position pour lui résister, il est si bien construit comme solide et aéroplane qu’on peut considérer le traînement comme absolument nul. Si le vent cesse brusquement, la pression sur l’avant cessera et cependant la pression arrière continuera d’agir… pendant un temps au moins égal au temps que le vent emploie à parcourir la longueur de son corps. Ce déséquilibrement dans les poussées aura pour effet de lancer l’oiseau en avant avec une force… précisément pareille à celle qu’avait le vent. Comme raisonnement c’est un fait qui est encore à élucider, et, comme pratique, c’est un lancé assez violent pour qu’il produise l’effet non de l’aspiration, mais d’une véritable projection[17].

Les phénomènes aériens sont bien loin d’avoir été tous étudiés !

Il y aurait donc des instants, dans le vol, où l’aspiration existe réellement. Donc, essayez tout de même le ballon à couronne. J’ai entrevu quelque chose de curieux qu’il doit être intéressant d’étudier à fond.

Je sais qu’oser relater cet acte de vol est prêter le flanc à une critique bien dure. Je sais qu’il est de très bon genre de décider que telle question est une utopie et que telle autre est sensée, mais cela n’avance pas d’un pas l’étude de l’aspiration. Puis, si on n’avait osé passer par dessus beaucoup de ces questions jugées d’avance, est-ce que l’aviation elle-même serait née, car il n’y a pas encore longtemps elle était loin de faire prime ?

Je continue donc imperturbablement la recherche de l’aspiration, et je dis que, franchement, ce n’est pas tout ce que je pense : cette explication est loin d’être suffisante pour élucider le simple cas de l’oiseau qui avance immuablement, lentement, régulièrement contre le vent. Car il avance sans effort, qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas.

Laissons les ballons et essayons d’un autre ordre de raisonnement, car je veux l’expliquer.

Je suis allé trop loin dans la mécanique de l’avenir. L’aspiration est un fait généralement moins compliqué que le sujet que nous venons d’effleurer. Laissons les ballons qui sont inertes, adressons-nous aux aéroplanes qui sont plus maniables que les oiseaux et dont les évolutions sont plus faciles à analyser.

Appuyons-nous sur la loi de l’attraction sur les corps en mouvement exposée dans l’Empire de l’Air, page 210, et, malgré qu’elle n’ait pas été acceptée par tous, nous en tirerons un bon parti, car, malgré tout ce qu’on pourra dire d’elle, elle nous expliquera les phénomènes qui se passent dans les corps qui se meuvent et concordera toujours avec leurs évolutions [18].

Nous nous établissons sur un fait précis, que tous connaissent ; c’est une base sérieuse celle-là et nous disons que :

Un aéroplane abandonné dans l’espace acquiert rapidement dans l’air calme un mouvement de translation uniforme.

Je suppose que tous connaissent l’aéroplane élémentaire en papier. Voici pour ceux qui l’ignoreraient comment je le construis :

Dessiner sur une feuille de papier ferme un carré long, soit : longueur 0ᵐ50, largeur 0ᵐ10 ; coller sur un des grands côtés une bande de carton bristol de 0ᵐ015 de largeur.

Laisser tomber cet appareil de quelques mètres de hauteur, mettant en bas la tranche qui possède le bristol ; et étudier sa marche. Corriger l’irrégularité du mouvement par un pli correcteur qu’on fait à la grande tranche libre. C’est un pli de 0ᵐ02 de largeur qu’on accentue ou qu’on efface jusqu’à ce qu’on soit arrivé à une marche régulière.

Sous l’action de ce pli régulateur la tombée perpendiculaire est transformée dans l’espace de quelques mètres de chute en une marche horizontale, ne baissant, quand l’appareil est bien construit, que de dix degrés environ.

Ceci est le principe de l’aéroplane charge : en avant, procurant une chute en avant, chute qui est transformée par le pli régulateur et le déplacement des centres de gravité et de pression en une course horizontale.

On peut ensuite essayer des formes diverses. Je me suis offert toutes les formes possibles, depuis le triangle jusqu’au rond, et, dans les formes d’oiseaux, depuis le carré parfait jusqu’à 25 : 1 ; type albatros exagéré. Toutes ces formes ont fonctionné.

Si, au lieu de faire voler cet aéroplane dans l’air calme, nous le faisons se mouvoir dans un courant d’air, cette vitesse est diminuée de la vitesse du courant. Ainsi, nous avons un aéroplane fixe dont l’ordonnée de vitesse utile est de 10 mètres de translation dans l’air calme, si on le fait fonctionner dans un vent de 5 mètres de rapidité à la seconde, il avancera contre le vent régulièrement, toujours, avec une vitesse de 5 mètres tant qu’il y aura de l’espace devant et au-dessous de lui, avec un angle régulier de chute minime : angle qui est particulier à chaque appareil et en relation avec la perfection de sa construction.

Ce n’est point de la théorie... C’est de la pratique. Admettez ou récusez cette loi comme explication de ce fait, il n’en reste pas moins une expérience précise. Au lieu de voir un déplacement du centre de gravité, voyez-y un déplacement du centre de pression de l’air sur l’aéroplane, le fait sera le même ; il n’y aura de changé que la manière d’exprimer ce phénomène. J’ai été amené à le présenter sous cette forme les considérations qui sont exposées au chapitre : Démonstration. Nous nous nous trouvons en face d’un corps pénétrant le courant sans être muni d’appareil propulseur. Répétez l’expérience avec un aéroplane bien fait, disposé pour filer bien droit, et la démonstration se fera devant vos yeux, d’autant plus régulièrement que la masse sera plus importante. Vous aurez un appareil mu par la pesanteur, activé par l’attraction, qui vaincra un courant de 5 mètres.

Ce que nous venons de dire d’un courant remonté de 5 mètres, nous pouvons l’appliquer comme explication à des courants de 6, de 8, de 10, de 12 mètres, etc., en transformant l'appareil.

Si nous chargeons plus à l’avant, le point d'équilibre entre sa chute et le déplacement des centres de gravité et de pression ne concordera qu'avec une vitesse plus grande ; alors le courant d’air surmontable pourra être plus actif. Les 5 mètres de courant remonté pourront être portés à 6, à 8, à 10, à x mètres, presque indéfiniment.

L’abatros semble pouvoir pénétrer un vent de tempête de 25 mètres à la seconde; inutile de dire sans effort, puisque c'est l’attraction qui le meut.

Au delà, les aéroplanes métalliques indiquent des vitesses énormes: un aéroplane à ailes en tôle et à corps de plomb, le tout du poids de 500 grammes et de 5 décimètres carrés de surface, que j’ai expérimenté au désert, a produit l’effet suivant : Abandonné d'environ cent mètres de hauteur, au moyen d’un cerf-volant, il se meut avec une vitesse qui semble être d'au moins cinquante mètres à la seconde. Il devient, par sa vélocité, un appareil très dangereux dont il faut absolument se garer. Cet aéroplane, dans sa marche, semble ne pas ressentir l’action du vent qui est de dix mètres environ de vitesse. Voici donc ce qu'on pourrait appeler de l'aspiration au premier chef.

Chez l'oiseau, aéroplane vivant, à surface variable, l'explication varie suivant le cas.

Si l'oiseau, qui est dans un courant d'air actif, ouvre trop les ailes, porte trop ses pointes en avant, il est enlevé, transporté en arrière et retombe la queue la première. Jamais l’oiseau ne fait cette manœuvre, si ce n’est quand il se bat ; alors elle est intentionnelle.

Quand l’oiseau dispose son aéroplane les pointes légèrement en arrière, d’une quantité exactement précise pour équilibrer la vitesse de l’air, il reste alors immobile. C’est le fait de l’oiseau de proie noble, qui étudie le gibier avant de plonger sur luit : crécerelle, pèlerin, aigle. Dans cet acte on remarque un mouvement constant de transport du centre de gravité. Les ailes s’ouvrent et se ferment d’une quantité minime, c’est vrai, mais cependant avec une célérité remarquable qui étonne. En voyant un aigle, qui est gros, qu’on étudie facilement, s’immobiliser dans le ciel, on voit qu’il n’y a pas une seule seconde sans déplacement de la pointe des ailes. Cela démontre l’irrégularité de la vitesse de l’air. Si le courant était régulier, il aurait vite fait de trouver le point juste de son équilibre : angle suffisant, légèrement exagéré pour détruire le traînement, et l’affaire serait faite. L’aigle resterait immobile et les pointes de ses ailes le seraient aussi ; mais l’air a des vitesses qui varient, d’après ce que le bout des ailes de cet oiseau nous raconte, à chaque seconde, et c’est pour suffire à l’équilibre de chaque instant qu’on le voit produire ce travail qui doit être d’une extrême difficulté. Au reste cette immobilité dans l’espace n’est produite que par une seule famille d’oiseaux ; on pourrait même dire qu’elle n’est bien exécutée que par les individus de cette branche qui pèsent au moins 2.500 grammes. Ceux qui ont moins que ce poids ne la réussissent pas bien ; ils mélangent au planement de nombreux battements. C’est, en somme, une manœuvre peu usitée de la gent ailée.

Maintenant, si l’oiseau met ses pointes en arrière d’une quantité supérieure à celle qui est utile pour équilibrer la vitesse du courant aérien, il le pénètre.

C’est le cas qui nous occupe, c’est l’aspiration. On peut donc considérer dans ce cas le courant d’air comme nul et l’oiseau animé d’une vitesse faible qui est cet excédent.

On saisit bien cela. Ce que nous venons d’énoncer est facile à comprendre.

Il nous reste maintenant à expliquer l’absence de chute chez les aéroplanes animés ; explication qui, malgré qu’elle sorte du sujet, est bien en place ici.

Cet acte est relativement simple :

L’oiseau qui remonte le courant dispose son aéroplane pour choir avec une vitesse plus grande que n’est rapide le vent qu’il pénètre : ainsi, s’il a un courant de dix mètres à vaincre, il disposera ses ailes de manière à aller, si le temps était calme, avec une vitesse de quinze mètres ; dix mètres de vitesse sont détruits par la force du vent, il lui reste donc une vitesse utile, propre de cinq mètres, qui est celle qu’ont ordinairement le milan en chasse, la mouette suivant un vapeur.

A cette allure, l’oiseau baisse, tombe, choit d’un angle de 10 degrés environ. En y réfléchissant on voit que c’est peu ; mais il n’en faut pas moins pour qu’au bout d’un certain parcours, assez difficile à calculer, il ne soit arrivé à terre. Il n’en est rien cependant.

L’oiseau est un aéroplane animé, non seulement mobile, parfait comme construction, mais encore suprêmement adroit ; il se sert de son adresse pour vaincre l’attraction. Il met en lutte cette terrible force avec une puissance qui est plus forte qu’elle dans l’espace : avec le vent.

Que fait-il ? Quelles sont ses manœuvres ?

Bien peu de chose ; tellement peu, qu’il faut être presque initié à la science de l’oiseau pour le voir. Il a ordinairement recours au moyen suivant : une pression donnée par la queue qui imprime une direction à l’aéroplane, le change de plan, transforme sa chute en translation horizontale ou ascendante. Cette pression est très souvent indiscernable ; cet effort de l’appareil caudal ne peut se voir. Quand l’oiseau n’a pas de queue nous avons déjà vu qu’il remplace son action par la suivante, qui, elle, est parfaitement visible : transport en avant ou en arrière de son centre de gravité ; en avançant ou en reculant les pointes de ses ailes. En les avançant, il retarde son vol et s’élève ; en les reculant a l’arrière, il l’accélère et tombe.

L’oiseau ne borne pas là son adresse ; pour se sustenter, pour remonter à l’altitude moyenne de son vol, il utilise toujours les grandes ondes rapides du vent. Dans l’instant du passage de cette onde l’avancement est laborieux ; il serait peu judicieux de chercher à la pénétrer naïvement à moins d’y être forcé. L’oiseau qui vole pour voler, pour chasser, pour guetter l’occasion, pour stationner toujours en l’air, comme le milan par exemple, utilise l’action active de cette onde pour remonter à la hauteur où il se tient ordinairement. Ces actes de pénétration du courant sont-ils ce qu’on nomme l’aspiration ?

Il semble presque que oui.

En tous cas ces explications doivent satisfaire comme mécanique.

Comme mécanique : les lois de l’attraction ne sont violées que par le vent.

Voici donc ce qu’on nomme généralement l’aspiration expliquée : l’oiseau pénétrant le vent, poussé contre lui par une force qui était inconnue et qui se trouve être tout simplement l’attraction.

Voyons maintenant quelques cas difficiles :

Ceux qui observent — hélas, ils sont bien rares — ont tous vu sur mer le spectacle charmant mais tout à fait incompréhensible des goélands et des mouettes suivant un paquebot, réglant leur vitesse sur la sienne, ne montant, ni ne descendant, se tenant à la hauteur constante de 8 à 10 mètres de l’arrière du bateau et le suivant, des heures entières, sans donner un seul coup d’ailes.

Où ces oiseaux trouvent-ils la réparation de la chute inévitable ? Comment détruisent-ils cet angle de dix degrés avec lequel il faut choir fatalement tout perfectionnés qu’ils sont ?

L’aéroplane mouette règle l’angle de ses ailes de manière à filer tant de nœuds qui sont la vitesse du bateau à laquelle elle ajoute, par un calcul intuitif, la vitesse du vent. A cela elle joint de temps en temps, une correction fournie par le relèvement de la queue et un petit avancement des ailes, et elle parvient, par ce moyen, à suivre un bateau avec précision. Mais nous devons dire, que l’opération est tellement bien faite, qu’il faut avoir déjà trouvé la solution du problème, par les yeux de l’intelligence, pour que les yeux du corps puissent arriver à discerner ces manœuvres.

Et cette autre évolution bien plus extraordinaire encore : l’oiseau s’élevant contre le vent, non à la façon du pandion, mais au contraire lentement, sans présentation de plan sensible.

Le tour de main, dans ce cas, réside dans la dissimulation, extrêmement adroite, de l’utilisation de l’onde irrégulière du vent. Dans le pandion l’emploi du coup de vent est visible, dans l’aigle, elle est enveloppée, dissimulée au point de n’être presque plus discernable. Pour la cacher, il semble qu’il lui suffise de ne pas épuiser complètement cet apport d’ascension que lui apporte le coup de vent. Il conserve, par devers lui, une somme d’élancé qui sert à adoucir les angles de la ligne qu’il poursuit, ce qui fait qu’au lieu de produire une série d’angles, c’est par une droite, ou au plus par une ligne ondulée, qu’on devrait reproduire graphiquement cet exercice.

Ce non épuisement complet de l’élancé est très souvent employé par les oiseaux d’une masse importante. Les oiseaux légers connaissent aussi ces effets de l’emmagasinement de la vitesse acquise, mais leur faible poids atténue tellement l’économie de cet exercice que l’oiseau y renonce la trouvant inutile.

Lorsqu’on se rémémore les évolutions des voiliers lourds, on s’aperçoit que, si cette manœuvre n’est pas aussi bien faite que celle produite par l’aigle, c’est-à-dire dans toute la pureté de la démonstration, puisqu’il la commence sans élancé, elle est exécutée, au contraire, très souvent en plein vol. Le type de cet exercice est l’oiseau de mer qui, de l’arrière du bateau, à hauteur du pont, arrive à l’avant en passant par dessus le grand mât : haut fait auquel se livre assez souvent le goéland, mais qui est surtout le triomphe de l’albatros. Il est de fait que ce singulier planeur rapide a tout ce qu’il faut pour produire cet acte de vol dans toute la perfection.

Les gens de mer racontent si souvent ce tour d’adresse de l’albatros que cela nous indique plusieurs choses : la fréquence de l’acte, la pureté de son exécution, enfin l’étonnement qu’il cause aux marins et surtout l’impossibilité où ils sont de se l’expliquer. Ce sont les marins des navires à voiles qui sont les plus explicites dans la narration. Ils ont dû avoir ce spectacle plus longtemps sous les yeux que leurs confrères des bâtiments à vapeur. Il est assez naturel de penser que ce rustique habitant des mers n’est pas encore complètement habitué à la fumée des paquebots, tandis que l’allure tranquille d’un gros voilier filant sans bruit lui inspire une plus grande confiance. Ils sont unanimes sur ce point, c’est que plus le temps est gros, plus il y a d’albatros ,et plus ils approchent des bâtiments. L’ascension du grand mât est le cliché régulier de tous leurs récits. Ce qui frappe surtout les observateurs sérieux c’est de voir cet oiseau, dans certains cas de marche contre le vent, avoir une vitesse si exactement égale à celle du bateau qu’ils semblent être immobiles. Ce serait d’après eux, à les prendre à la main si on avait le bras assez long.

Les mouettes et goélands fournissant cet exercice sont déjà bien intéressants ; quel spectacle doivent donc offrir ces énormes moutons du Cap dont certains exemplaires n’ont pas moins, à ce que l’on dit, de 4 mètres d’envergure

Maintenant si l’on songe que la largeur de l’aile, d’après les oiseaux empaillés, n’est que d’environ 0 m. 20, on voit qu’on se trouve en présence d’une construction tout à fait spéciale, malheureusement pour l’aviation presque inconnue et qu’il serait du plus grand intérêt d’étudier à fond.

C’est une proportion de 20 : 1, tournure absolument étrange qui ne se retrouve plus dans la création que dans la frégate, autre volateur qu’on n’a fait qu’entrevoir.

L’excès de vitesse emmagasiné est-il absolument nécessaire pour produire cet exercice étonnant ?

J’incline à penser que non et voici l’explication que je pourrais en donner. Quand un maître voilier à ailes étroites veut produire l’ascension du grand mât il ne prend aucun élan : du moins c’est ainsi que j’ai vu les goélands procéder, et leur maître l’albatros ne doit pas faire moins. Je dis donc qu’il n’y a pas d’élan pris et que cependant l’ascension s’exécute dans la perfection. Cette montée excessivement lente contre le vent permet, par sa longue durée, à quelque provision d’élancé qu’on puisse évoquer, de s’éteindre un bon nombre de fois, et cependant elle est exécutée. La première fois qu’on voit cet exercice c’est à brouiller tout raisonnement, à confondre toute intelligence. Je parle seulement du goéland que j’ai vu des jours entiers s’amuser à passer par dessus le navire. On voit cet oiseau, qui suit le vapeur à hauteur moyenne des misaines, s’élever avec une hauteur régulière, mettre au moins cinq minutes pour atteindre le sommet des mâts, dépasser peu à peu le bateau et aller le précéder, toujours lentement, puis revenir se ranger finalement à l’arrière avec les mouettes : position qui est excellente pour surveiller ce qu’on rejette du bateau.

Il faut absolument renoncer, dans ce cas, à mettre sur le compte d’une provision de vitesse emmagasinée cette ascension extraordinaire. Le temps employé est infiniment trop lent pour que l’inertie ne se soit épuisée, le vent est trop actif, la masse de l’oiseau est trop minime, malgré la perfection de sa coupe, pour pouvoir songer à trouver là une explication satisfaisante. Il n’y faut donc pas penser si on veut être sensé. Trouver autre chose est difficile. Il ne rester que cette explication qui est basée sur la loi que j’ai émise.

Je dis donc fermement que le planeur rapide, parfaitement doué au point de vue de l’absence de traînement, qui, par le fait de l’étroitesse de ses ailes, coule sans résistance sensible dans le vent, doit pouvoir consacrer une partie de sa vélocité à s’élever lentement. Ainsi le vent et la marche du navire ont 15 mètres de vitesse, son aéroplane est réglé pour aller à 20, soit donc 20 mètres de vitesse propre à son individu. Il en transforme 4 en ascension, et en garder 1 pour dépasser lentement le vaisseau.

C’est donc, cette fois, non seulement l’aspiration, mais l’aspiration aggravée d’une ascension.

Nous arrivons à constater qu’il n’y a de faux dans l’aspiration que cette appellation « aspiration ».

Ce phénomène de pénétration simule, à s’y méprendre, une aspiration ; elle a pu tromper M. de la Landelle qui a créé ce mot ainsi que beaucoup d’autres de cette science ; mais elle ne supporte pas une analyse serrée[19].

Au moyen du transport à l’avant du centre de gravité, obtenu mécaniquement par la déformation de l’aéroplane, par la mise à l’arrière des pointes des ailes, on arrive à équilibrer tout courant d’air, même celui auquel est exposé un grave dans sa chute dans l’espace. Les faucons et les aigles qui plongent ne se relèvent, arrivés à fin de chute, qu’en utilisant ce déséquilibrement : un simple petit changement de place du centre de gravité, qui est porté légèrement en arrière, transforme la tombée en remontée, et ils n’emploient que cette simple manœuvre. L’aigle a des plongeons de deux cents mètres de hauteur : il commence à se retourner à dix mètres du sol, touche terre du bout des griffes pour enlever sa proie, et remonte avec une vitesse à peu près semblable à la descente.

Dans cet examen difficile, il n’y a que l’attraction et le déplacement du centre de gravité qui soient utilisés ; à plus forte raison dans le cas de la simple pénétration d’un courant, fait qu’on nomme improprement aspiration.

Pour résumer l’exposé de cette question, nous pouvons dire, sans nous avancer ni violer aucune loi de la physique, que : Sur les corps solides, la contrepression est d’autant plus égale à la pression que le corps s’approche plus de la forme sphérique et possède une surface qui offre moins de prise au courant d’air......


COURANTS ASCENDANTS


Il a été souvent parlé de ce genre de courant d’air. On a mis sur son compte beaucoup d’explications qui, sans lui, seraient restées en détresse. Il est, au reste, d’un emploi commode dans le vol plané, car il simplifie tout. Avec le courant ascendant, il n’y a plus de difficulté d’ascension. Donnez-lui une certaine puissance et tout monte en l’air, même les pierres, même les toits des maisons.

Il n’a qu’un défaut, c’est d’être d’une rareté désespérante.

Effectivement, il ne peut se produire que dans quelques cas.

Un flanc de montagne contre lequel le vent frappe et s’échappe par le haut.

La trombe produite ordinairement par la rencontre de deux couches d’air se mouvant en sens contraire, mais aussi d’autres fois sans cause appréciable.

Enfin, les grands phénomènes aériens, comme le courant circulaire qui transporte l’air froid du pôle à l’équateur et vice versa : mouvement trop vaste pour pouvoir servir aux oiseaux.

De ce genre de courants, les plus petits sont seuls utilisables dans le vol plané. Je n’ai jamais vu un oiseau s’approcher de la trombe, même de ces petites colon- nes du désert qui n’ont quelquefois que cinquante centimètres de diamètre.

Ces tourbillons minuscules sont un phénomène aérien bien curieux. Ayant été forcé de beaucoup pratiquer le désert, je puis en parler savamment, en ayant vu bien des centaines.

Certains jours d’été, jours tout aussi immuablement bleus que les autres, on voit les trombes se former. Qui les produit ? Malgré mes bons yeux, je n’ai pu ni voir, ni saisir la cause qui les détermine. Le temps est à l’éternel beau fixe : pas un nuage dans le ciel, le vent est moyen, la température est celle de l’été, ni plus forte, ni plus basse que les autres jours ; en somme rien en climatologie ne permet d’assigner une cause sensée à la production de ces tourbillons ; et, cependant, il s’en élève en grand nombre. J’en ai vu souvent cinq ou six ensemble sur seulement le quart de l’horizon. Elles ont lieu généralement sur le sol du désert ; rarement sur le sol cultivé.

Voici comment elles apparaissent. On voit d’abord un petit filet de poussière s’élever du sol, son diamètre est souvent très minime, un décimètre seulement. Le mouvement giratoire est très vif. La poussière ne s’élève qu’à quelques mètres, puis, le cône d’aspiration s’élargissant, ce sable s’éparpille et n’est presque plus visible. En quelques instants la colonne grandit en hauteur et grossit, et, un quart d’heure après son apparition, la trombe est en pleine activité. Elle a alors de un à cinq mètres de diamètre et une hauteur qu’on peut estimer souvent à beaucoup plus de mille mètres, ce qui est peu de chose dans ce ciel bleu sans fin.

Les contours de ces tourbillons sont d’une netteté surprenante, ce n’est plus de la poussière qui monte, c’est une colonne de sable et de graviers, souvent gros comme des pois, qui s’élève dans l’atmosphère. La vitesse réelle, c’est celle d’un homme qui marche. La durée de l’ensemble du phénomène est d’environ une demi-heure.

Je me suis offert ce coup de vent.

Passant un jour près d’une de ces petites trombes, je me dirigeai sur elle. Ma monture ne voulut rien entendre, je fus obligé d’y aller à pied malgré les supplications de mon saïs qui croyait que j’allais être enlevé.

Son action fut très vive ; je fus à moitié déshabillé. Mon parasol que j’abandonnai au moment où il allait se retourner fit seul l’ascension. Je Le vis monter à plus de cinquante mètres, là il abandonna le courant et retomba à terre sans être détérioré. Je n’ai reçu aucun coup de foudre, ni ressenti la moindre action d’un courant électrique ; mais je dois dire que, malgré la bénignité de l’effet produit, si cet air en mouvement avait rencontré les grandes surfaces d’un aéroplane, il aurait assurément brisé l’appareil.

J’ai eu aussi l’occasion d’étudier les trombes marititmes.

Là, le phénomène est autre, il est explicable. On voit les nuages ; les vents contraires peuvent être invoqués.

C’est un splendide spectacle !

Un jour, le vapeur sur lequel j’étais, s’est trouvé, par le travers des Baléares, entre trois de ces immenses colonnes d’eau qui remontent la mer dans les nues comme d’énormes siphons. Le ciel était couleur d’encre, la mer d’un calme presque plat semblait phosphorescente ; le vent nul cependant, mais l’électricité était affolée. En haut, les sombres nuages se heurtaient dans toutes les directions ; Les éclairs se succédaient sans arrêt sous cette voûte noire sous laquelle nous allions nous engager ; et ces trois terribles voisins rôdaient autour de nous. L’une d’elles, celle que j’ai pu le mieux voir devait avoir au moins dix mètres de diamètre dans sa partie la plus mince. Elle passa à moins de cinq cents mètres de nous. A cette distance on voyait et on entendait le bouleversement de l’eau attirée par cet épouvantable aspirateur.

Heureusement nous ne l’avons pas vue de plus près.

Restent les petits courants ascendants artificiels, c’est-à-dire produits par la configuration du terrain.

Un beau spécimen de ce genre de courant est juste situé en vue de mes fenêtres. Le perchoir des vautours, dont j’ai déjà parlé, est une immense carrière demi-circulaire, ayant des parois verticales de cinquante à soixante mètres de hauteur. Une lunette des anciens télégraphes est braquée à poste fixe sur ce point ; je n’ai donc qu’à enlever l’obturateur pour être transporté par le grossissement assez près du perchoir pour ne rien perdre de ce s’y passe. Voici ce qu’on y voit quand le vent du nord-est souffle fort.

Tout oiseau qui vole dans cette moitié de cirque semble être changé en ballon ; il produit l’ascension sans le vouloir. Il n’a plus à lutter contre l’attraction, mais contre le courant ascendant, et s’il a l’intention de ne pas s’élever il est forcé de plier fortement les ailes.

Si on va étudier de près cette action particulière du vent et qu’on se place au sommet de la carrière, le spectacle devient souverainement intéressant. La raison reste confondue par la vue de ces ascensions aérostatiques des énormes vautours qui montent devant le spectateur comme autant de ballons.

L’oiseau sait deviner ces courants, cela se voit ; il a la prescience des mouvements de l’air, aussi se livre-t-il avec plaisir à cet ascenseur dès qu’il a à monter.

C’est un bien étrange spectacle assurément, mais je l’ai déjà dit, il n’a lieu que par le nord-est ; par tout autre vent le phénomène n’a pas lieu, et par le vent du sud c’est au contraire un courant plongeant qui se produit.

Les actes d’ascension décrits dans le Vol sans battement et dans le Vol des voiliers[20] n’ont rien à faire avec ce genre de courant. Dans les pays montagneux, on peut, à la rigueur, arguer de leur présence, mais en plaine, mais en mer, on ne peut y avoir recours qu’en supposant une trombe ou une aspiration d’en-haut : faits aussi rares l’un que l’autre et qu’on doit abandonner si on veut rester dans les limites de la saine raison. Au reste, ces ascensions des grands voiliers faites en pays de montagne sont souvent si élevées qu’on a conscience qu’à l’altitude où se trouve l’oiseau, un pareil courant est éteint depuis longtemps.

Le courant ascendant peut donc être considéré comme un accident excessivement rare.

DE LA PÉNÉTRATION


La pénétration envisagée dans cette étude est la faculté qu’a un solide de pénétrer l’air ou l’eau, voire même la terre meuble.

Cette propriété repose sur diverses dispositions du corps pénétrant.

Pour les oiseaux qui nous occupent spécialement elle réside dans :

La nature plus ou moins parfaite de sa surface qui lui permet de glisser avec plus ou moins de succès dans le milieu aérien ;

La forme plus ou moins heureuse comme pénétration de l’ensemble du corps ;

Enfin, la disposition particulière de la coupe des ailes.

Avant d’étudier ces diverses dispositions, nous remarquerons que l’importance de la masse est un apport sérieux qui agit d’une manière remarquable par sa seule présence.

La façon particulière dont est organisée la surface d’un solide est un facteur important de sa faculté de pénétration. Ainsi, un clou rouillé ne pénètre pas le bois comme un clou lisse et graissé.

Certaines substances ont une réputation de glissement qui est connue des masses : le savon, le coldcream, le blanc d’œuf, la peau de pêche, etc., etc.

En marine, où cette propriété de la matière devrait être étudiée à fond, on semble, malgré son importance, la négliger beaucoup trop. Cependant les gens de mer ne sont pas sans avoir observé qu’une coque qui sort du bassin de radoub fait à vitesse égale une économie importante de charbon, que le bois de chêne file mieux dans l’eau que le sapin, que le teck et l’acajou leur sont supérieurs, que le cuivre non peint court mieux que le fer. Quelques-uns d’entre eux se sont même aperçu que certaines peintures procurent quelques heures d’avance dans les traversées d’une certaine longueur, toujours à dépense de charbon égale et à temps similaire.

On a cherché à rendre la coque des bateaux glissante ; pour cela, on a essayé le pétrole, l’huile et même l’air, qui, lancé à l’avant par une quantité d’ouvertures, fait que le bâtiment roule sur des globules d’air et doit voir son traînement diminué. Ces divers procédés, faute de résultats bien précis, ont été délaissés.

Toutes ces remarques et tous ces essais nous montrent que nous avons affaire à une question importante. Voyons donc comment s’y prend le grand maître quand il veut économiser la dépense de force et par cela même procurer la célérité.

Chez les animaux qui ont à se mouvoir dans la terre, nous remarquons deux faits qui leur sont particuliers. D’abord une forme spéciale, toujours la même, qu’ils soient d’une échelle ou d’une autre des êtres, et une faculté de glissement excessive.

La forme est le cône à l’avant et le cône à l’arrière : vers de terre, souris, taupe, etc. Chez ce dernier animal, le sens d’effilement, qui ne permet aucune renflure, est tel qu’il lui a atrophié les os du bassin : la taupe ne produit pas ses petits comme le reste des mammifères ; chez elle, l’opération césarienne s’effectue toute seule à chaque portée.

Maintenant, observons la nature de la surface de ces êtres à vie souterraine. Comme glissement, qui n’a amorcé sa ligne sans avoir vu le ver de terre lui glisser des doigts ? Pour la taupe, il n’y a pas de fourrure à lui comparer sous le rapport de cette propriété ; les peaux de phoques et de lions marins sont bien loin de compte : aussi l’emploie-t-on pour garnir l’intérieur des sarbacanes, arme dans laquelle, ne pouvant augmenter la pression, on cherche à éviter, autant que faire se peut, le frottement du projectile. Si nous envisageons les animaux qui se meuvent dans l’eau, nous voyons qu’ils sont entourés d’une huile particulière qui a une propriété de glissement excessive. Témoin l’anguille qu’on ne peut conserver dans les mains malgré les plus grands efforts.

On peut, au reste, s’en rendre compte en faisant l’expérience suivante qui m’a donné des résultats curieux :

Prendre un de ces petits bateaux à vapeur, jouet d’enfant — du moins c’est comme cela que je l’ai expérimenté — à mouvement d’horlogerie actionnant un propulseur quelconque ; lui faire traverser par un temps calme une pièce d’eau : noter le temps employé ; puis, l’essuyer et graisser sa coque avec l’huile qu’on obtient en râclant légèrement les côtés d’un brochet vivant. Si on compare entre elles les deux courses, on trouve une différence que je ne préciserai pas, parce que cette expérience date de loin, mais, qui, de souvenir, est très intéressante.

Donc, avis aux canotiers, de remplacer la graisse dont ils oignent leurs embarcations de course par de l’huile vivante de carpes ou de tanches, poisson qu’on peut se procurer facilement en grande quantité.

L’être aquatique au sein de la masse liquide est exactement dans les mêmes conditions que l’oiseau dans le milieu aérien. Toutes les conditions sont identiques ou parallèles : courant, contre-courant, état statique du fluide, tout est semblable, moins toutefois la densité et l’élasticité. Ces deux corps, l’air et l’eau, ont été considérés par la Nature comme semblables au point de vue de la pénétration. Elle s’est servi des mêmes moyens pour procurer le glissement. C’est l’huile qui a été employée : l’huile des poissons et des cétacés, graisse huileuse des oiseaux, qui dans l’eau les isole, évite le contact, les empêche en un mot de se mouiller. C’est l’enveloppe gazeuse qui nous est indiquée là : c’est un avis à noter.

Sur la forme spéciale adoptée, il y a ressemblance aussi grande que peut le permettre la différence énorme de poids de ces deux milieux. Dans tous deux, la coupe des nageurs rapide est la même : thon, dauphin, grand-manchot et colymbus major ; poisson, mammifère et oiseau ; l’oiseau qui ne vole pas, parce qu’il n’a pas d’ailes et celui qui au vol est le plus rapide de tous. Elle ne s’est pas occupé de la classe des êtres, peu lui importe !

Pour pénétrer l’eau ou l’air avec le summum de rapidité, il faut la disposition suivante : un cône long juxtaposé sur un cône court. Tout a plié devant ce besoin. Le mammifère, le poisson et l’oiseau se sont moulés sur cette forme particulière.

Il est un fait curieux, c’est que les animaux les plus véloces dans l’eau ne sont pas les poissons, mais des mammifères et des oiseaux. Le phoque vit de poissons ; il ne les prend pas par surprise, donc, il nage mieux que la plupart d’entre eux. Etudiez le lion marin (pelagius monachus) dans une eau transparente, et vous serez devant un magnifique spectacle. La rapidité est telle qu’elle vous semblera indispensable ; vous regarderez une seconde fois, pour vous persuader que vous avez bien vu et que cette masse noire qui a passé avec la vitesse de l’éclair est bien le corps du lion marin. L’eau n’a pas frémi, vous avez seulement vu passer une ombre tellement rapide que votre intelligence n’admet pas le fait. Il faut revoir pour croire.

On comprend, en les voyant se mouvoir avec cette vélocité qu’on était bien loin de soupçonner, la possibilité des abordages extraordinaires que produit en se jouant cet amphibie. C’est ce qui explique leur présence sur de véritables perchoirs inabordables par terre, élevés souvent de trois et même quatre mètres. Le lion marin part de l’eau profonde et franchit dans l’air ces quatres mètres de hauteur. Jugez d’après ce tour de force du sort réservé au poisson qu’il poursuit.

Plus un animal est fin nageur, moins il remue l’eau, moins il y a de remous, de force perdue. Etudiez à ce point de vue l’hippopotame, comparez le peu de mouvement qu’il communique à l’eau à la nage d’un chien. Ce dernier fait plus de bruit, d’écume, de bouillonnements, que l’énorme pachyderme. J’ai vu des hippopotames au-dessus d’Assouan, il y a vingt et quelques années ; ce qui les décelait, c’était leurs ronflements et leurs cris épouvantables qu’on entend de plusieurs kilomètres, mais quant au mouvement de l’eau remuée par leur masse, il était nul. Ces monstres nagent aussi silencieusement que le grand-duc vole.

Il en est de même des bateaux ; on peut juger de leurs qualités de marche au peu de mouvement qu’ils impriment à l’onde. Le mauvais marcheur éclabousse l’eau à l’avant et produit à l’arrière de grandes ondes qui le suivent ; le bon marcheur file silencieusement, sans laisser de sillage

Pour l’oiseau qui est notre sujet d’étude, nous ne parlerons pas de celui qui pêche au vol et qui surprend sa proie quand elle approche de la surface, grâce à la rapidité incomparable de sa chute, mais au contraire d’une catégorie qui prend le poisson en le poursuivant en pleine masse liquide, et cela avec succès, puisqu’il en vit. Ces oiseaux ont même cela de particulier qu’ils ont un goût prononcé pour le genre scombéroïdes ; ils n’ont donc pas peur de la difficulté. Ces nageurs extra-rapides ne brillent pas par le vol. Leurs ailes sont des nageoires dont ils ne se servent même pas quand ils courent le poisson ; elles sont alors plaquées contre le corps, afin de ne pas gêner la pénétration ; les pattes et la queue sont les seuls propulseurs qui entrent en mouvement, et cette action est tellement puissante, la coupe de l’être est si perfectionnée, que la bonite, ce roi des rapides, est prise en pleine course, malgré ses bonds prodigieux, hors de l’eau, qui ont souvent plusieurs mètres d’amplitude : le grand manchot bondit comme elle et la capture en pleine action de vitesse.

Cette tribu d’oiseaux, les aptenodytes, ne peut être étudiée en Europe ; ils habitent l’hémisphère Sud. Le côté nord de notre globe a des nageurs, rapides de ce genre qui, malgré qu’ils soient bien moins brillants d’allure, sont cependant encore tout à fait extraordinaires sous ce rapport. Ce sont : les guillemots, macareux, pingouins, imbrins, enfin le cat-marin (colymbus septentrionalis), que j’ai possédé et étudié. Cet oiseau dans un bassin, est étourdissant, il plonge comme un poisson et nage bien mieux que lui.

La ville de Genève s’était offerte, il y a quelques années, des cormorans, qui sont des plongeurs remarquables. Ces oiseaux devenus très familiers pêchaient sous les yeux des spectateurs dans ce cristal bleu qui fait le Rhône. Des ponts et des quais, on pouvait suivre toutes leurs évolutions et assister à leurs pêches ; pas un de, leurs mouvements n’était caché. Cette transparence fut leur perte.

Les Genèvois remarquèrent qu’ils vivaient spécialement de truites ; et ce poisson est sacré à Genève ! Ces brillants pécheurs furent donc proscrits : on s’en débarrassa. Mais comment s’y prenaient-ils pour s’emparer d’une truite en pleine eau ? Quand ce poisson part, il a la rapidité de la foudre : l’œil ne peut le suivre. Il disparaît et ne redevient visible que quand il est immobilisé, alors, c’est le repos tellement absolu qu’il faut la plus grande attention pour ne pas le confondre avec les pierres du fond de la rivière.

On voit donc que la tournure allongée en cigare n’est nullement la forme que procure la célérité ; témoin les serpents, l’anguille, la flèche et tous les poissons longs qui sont de faibles nageurs.

Les chercheurs de coupe de bateaux, flotteurs et sous-marins font fausse route en donnant à leurs œuvres cette disposition en longueur qu’ils croient la meilleure. Ils partent de ce principe qui semble logique à première vue qui est que le poisson nage bien. C’est le pendant de cet aphorisme : l’oiseau vole parfaitement. Ces deux principes sont, moins de rares exceptions, absolument faux !

L’oiseau quelconque vole toujours exactement bien pour pouvoir exécuter les besoins de son alimentation et de sa vie particulière ; il est toujours une merveille sous ce rapport ; mais si on envisage le côté défense, il est bien loin de compte. Ainsi, il est certain que si les gallinacés, les petits oiseaux, en général, étaient des merveilles de construction ils ne serviraient pas d’aliment aux rapaces nobles. Si un étourneau par exemple qui vole du vol moyen des êtres ailés, volait encore mieux, il ne se laisserait pas capturer par le faucon au beau milieu des airs sans essayer de se défendre. Le pèlerin, dans cette chasse, n’a pas plus d’embarras pour le prendre que nous n’en avons pour cueillir une fraise ; il arrive avec sa célérité épouvantable sur le pauvre oiseau isolé, paralysé par la peur et la malheureuse bête n’essaye pas même d’un seul crochet pour éviter la mort.

Donc, les oiseaux en général volent mal : songez à la poule devant l’aigle, à la caille, à l’alouette devant l’émerillon ou l’épervier, etc. ; d’un autre côté voyez la quiétude de l’hirondelle ou du martinet, ou encore mieux, de cette pauvre désarmée du bec et des pattes que nul rapace n’a songé, même en rêve, à capturer : je veux parler de la bécassine, ce projectile qui bondit dans l’espace avec une vélocité stupéfiante.

Chez les poissons, c’est le même cas. Tous nagent dans la perfection pour suffire à l’alimentation, mais pour lutter contre les espèces voraces il est démontré à tous les mangés qu’ils sont des impotents : et les mangés sont la très grosse phalange ; on pourrait dire sans exagération tous moins un.

Mais ce un en lui-même est-il une merveille incomparable comme vitesse, n’a-t-il pas d’ennemi plus rapide encore que lui, n’est-il pas mangé à son tour, et par qui ?

Et cependant, ces derniers mangés, ce sont la traite des lacs, le saumon des fleuves du Nord, pêché à la course malgré ses sauts prodigieux. Ce sont les perches rapides, les brochets féroces, enfin tous ceux qui dévorent les autres. En mer, ce sont les maquereaux, les harengs et cet éclair qui se nomme la bonite (scomber sarda). Le roi des destructeurs de tous ces mangeurs de poissons est le grand manchot. Tous les autres, plongeons, gorfous, sphénisques et pingouins divers s’inclinent devant ce maître véloce.

C’est donc ce nageur extra-rapide qu’il faut prendre comme modèle de célérité.

Il n’y a pas à errer, un simple moulage de l’oiseau sera plus précieux au constructeur de bâtiments que toutes les spéculations qu’on pourra échafauder sur ce sujet.

Toutes ces digressions sont là pour nous amener à la question qui nous intéresse spécialement : la pénétration de l’air.

Ne cherchons rien, n’inventons rien, ne nous creusons pas la tête inutilement ; tout est trouvé, les modèles sont tellement abondants que le seul embarras que nous ayions est celui de bien choisir notre sujet d’étude.

Les petits êtres chez lesquels nous voyons apparaître le pouvoir de voler n’ont presque pas à envisager cette question. La rapidité est peu de chose pour eux. L’aile les élève plutôt qu’elle ne les transporte, témoins les petits coléoptères, les moustiques, etc. Là, point de disposition spéciale pour obtenir la rapidité ; aussi est-elle à peu près nulle.

A mesure que l’être ailé grossit, à mesure cette fonction croît et devient de plus en plus prépondérante ; voyez les mouches, les abeilles, les phalènes, sans parler de ce sous-ordre d’insecte à vol lent, l’immense famille des, papillons.

Si nous abordons la classe des oiseaux, le vol s’allonge avec l’augmentation de la masse, mais nous remarquons aussi que la nature de la surface a aussi une grande importance. L’oiseau va, comme plumage, de la surface pulvérulente à la surface grasse : canaris, gallinacés poudreux, à vols lents, à comparer au martinet presque gluant qui pue l’odeur particulière de sa graisse lubrifiante.

Pour se bien persuader de l’action de la nature des surfaces sur les oiseaux on n’a qu’à prendre deux oiseaux morts, autant que possible de vol rapide, semblables d’espèce et de volume ; soit deux pigeons du même poids. Lier l’un avec des fils dissimulés sous les plumes ; mettre l’autre dans la même position, mais enveloppé de mousseline. Les laisser tomber à terre d’une certaine hauteur et voir de combien le premier arrive à terre avant le second.

Pour les aéroplanes, cette question, quoique ne primant pas, aura cependant besoin d’être étudiée ; elle permettra la pénétration, et par cela même la sustentation. Le bénéfice de vitesse équivaut à un bénéfice de sustentation, à une facilité de se faire porter, par conséquent à une diminution de surface possible ; fait qui est d’une importance capitale puisqu’il amoindrit l’écueil de l’aviation qui est l’envergure.

Envisageons maintenant l’action de la forme des corps.

Toutes les formes ne doivent pas avoir les mêmes facultés de perforation de l’élément aérien. Chez les oiseaux comme chez les poissons, elle varie de la forme générale plate verticale à la tournure plate horizontale en passant par la boule. Exemple : la marouette à grand axe vertical absolument prépondérant : vol à peu près nul. Perdrix, boule allongée, qui stationne bien plus facilement sur terre que dans l’air. Aigles et grands vautours, ayant la poitrine plate, un dos immense, possédant tout à fait la tournure des lutteurs : vol remarquable surtout au point de la station facile dans l’air, du planement lent plutôt que de la vitesse. Enfin, comme type de célérité, une forme particulière parallèle dans deux oiseaux, l’un qui ne vole jamais et l’autre qui ne vole que rarement, mais qui atteignent chacun la plus grande somme de vitesse, l’un dans l’eau et l’autre dans l’air. Ces deux modèles, le grand manchot et l’imbrim sont ainsi établis : deux cônes juxtaposés par leurs bases. Le premier cône, celui formant l’avant de l’être, ayant le double de longueur au moins de celui qui fait l’arrière du corps. A cela joindre un aplatissement de ces deux cônes qui fait que le diamètre qui passe par les deux épaules est le double de celui qui passe par la colonne vertébrale et le sternum.

Telle est la forme qui dans les êtres permet la plus grande célérité dans l’eau et dans l’air. La nature n’a pas trouvé mieux !

C’est cette observation qui, reproduite d’une manière incomplète, a amené l’essai infructueux du bateau plat de Genève. Idée à reprendre, car, là, doit être la clef des gabaris capables de donner des vitesses excessives.

Les constructeurs de bateaux arrivent lentement par tâtonnements successifs à cette disposition, et il n’y avait qu’à regarder autour de soi pour trouver des modèles tout faits. Effectivement sans aller au pôle sud chercher l’apténodyte introuvable, qui, à part le moment où il niche, n’est visible que quand il saute hors de l’eau, dans nos mers, en hiver, sur nos lacs même (Voir la collection des oiseaux du lac au musée de Genève), on trouve une série d’oiseaux qui démontre le bien observé de cette coupe.

Chez les animaux suivants les grands diamètres sont d’autant plus prépondérants sur les petits que la rapidité de vol ou de nage est plus grande :

Oie, qui pivote sur elle-même en nageant, ne bouge pas de place ; c’est tout à fait un type d’immobilité ;

Cygne, flotteur gracieux mais nullement rapide ;

Canards et sarcelles, bien autrement véloces que les deux précédents, et plongeant surtout infiniment mieux ;

Puis viennent les grèbes, les petits plongeurs divers, le cat-marin, et enfin le rapide imbrin, qu’on ne pouvait tuer avec le fusil à pierre, tant sa plongée est rapide.

Chez ces oiseaux, le corps tend à la tournure indiquée plus haut, et y arrive dans toute sa pureté chez ces deux sommets de la famille des Alcadées : les pingouins dans le Nord et les apténodytes dans le Sud.

La forme du corps de l’être est beaucoup, mais n’est pas le seul facteur à envisager ; il reste encore à étudier la disposition de l’aile.

L’aile, dans l’oiseau, a une forme d’autant plus parfaite que la rapidité doit être plus grande.

Quelle est la forme la plus perfectionnée à ce point de vue ?

La réponse n’est pas facile à donner. Il y a plusieurs types prépondérants très différents les uns des autres : l’aile qui accepte le vent le plus minime, grand vautour ; celle qui a pour mission de pousser rapidement l’oiseau dans un vent moyen, hirondelle ; celle qui a à pénétrer les courants actifs, ailes étroites et longues, oiseaux de mer.

Mais à ces types particuliers de fonctions différentes viennent se greffer des formes étranges, s’écartant des tournures usuelles et qui donnent cependant des résultats bien dignes d’être notés, témoin le martinet, le colymbus et les hiboux.

Chez le martinet, l’aile longue et étroite n’a plus le même effet que celle de l’oiseau de mer. Elle propulse, mais pousse mal ; c’est bien loin de l’hirondelle et du pigeon. Au reste, cette forme est unique. C’est l’aile toute en rémiges, le bras et l’avant-bras en moignons sont des espèces de charnières qui lient au corps huit plumes à chaque aile, longues et robustes, qui font tout l’ouvrage.

Chez les colymbus divers, c’est différent ; l’aile est encore étroite, mais elle est excessivement petite. C’est cette petitesse comparative à la masse qui procure à ces oiseaux cette rapidité étonnante. C’est l’exagération du vol des canards et des sarcelles. Quand cette petitesse atteint la limite de l’utilité, elle éteint le vol toutes les fois que le courant d’air n’est pas excessivement actif, témoin tous les alcadées qui ne peuvent pas voler tous les jours ; mais par une rude bise, une fois bien lancés, ils atteignent des vitesses qu’eux seuls, parmi les êtres de notre globe, peuvent se procurer.

Nous avons vu que l’aile faite pour pénétrer les grands courants d’air est toujours étroite. Nous ajouterons à cette disposition cette remarque qu’elle n’est creuse que de la quantité nécessaire pour pouvoir arriver, sous l’action du poids qu’elle à porter, à la forme presque plate.

Une aile très creuse est faite pour d’autres exercices, plus violents : ascensions verticales ; type, la poule qui monte presque perpendiculairement à son perchoir.

L’aile creuse est faite pour pomper, l’aile plate pour glisser.

Quant aux ailes des hiboux, là encore se montre une disposition tout à fait curieuse. Le grand-duc présente l’exagération de cette coupe particulière. Chez ces nocturnes, le creux de l’aile semble être en dessus, au moins dans la partie des rémiges. Au repos la main est plate, en action de vol le creux est en haut.

La faculté de glissement dans ce cas est au reste au moins égale à la forme contraire, c’est-à-dire le creux portant sur l’air. Nous en avons pour preuve les aéroplanes mal équilibrés, qui renversés, marchant sur le dos, vont à la perfection. Cela m’est arrivé bien des fois. C’est un cas très intéressant à étudier.

Comme on le voit, l’aile est difficile à analyser au point de vue de la pénétration en général.

Pour répondre avec justesse à cette question, il faut la décomposer et y joindre une autre demande qui est celle de la vitesse du courant dans lequel l’être aura à se mouvoir, témoin les petites ailes du vol rapide qui sont impropres au vol par le calme et qui, par un courant violant, font merveilleusement leur ouvrage.

Cependant, on peut dire avec justesse que deux dispositions tendent à procurer la célérité ; le peu de largeur de l’aile, et sa petitesse ; à quoi il faut toujours joindre une masse importante, sans cela l’air ne se laisse pas pénétrer.


LE VOL RAMÉ


Ce genre de vol n’entre pas dans le programme de cette étude, c’est même absolument l’antithèse du vol que je prêche, mais cependant, comme il se lie par beaucoup de points au vol à la voile, je crois devoir en dire quelques mots qui seront probablement utiles à ceux qui voudront attaquer l’aviation par ce côté... que je crois inabordable.

Aviateurs, rameurs, persuadez-vous bien que : tout rameur est un voilier ! Témoin ces deux types excessifs du battement le moineau et la caille.

Pour vous édifier, regardez ces deux oiseaux dans l’instant où ils ont à observer, au vol.

Le moineau approchant du point où il se dirige arrête les battements de ses ailes, étudie, en planant un instant, son abordage. La caille, à fin de course, voulant tomber dans l’herbe ou dans le blé, glisse pendant quelques métrés, cherche le point propice à son atterrissage et ne refrappe l’air que pour détruire son élancé ; cas dans lequel le grand vautour lui-même est souvent quelques instants rameur.

Donc, le moineau plane, la caille plane, le canard lui-même, qui est si lourd, toutes les fois qu’il aborde l’eau, le fait en planant.

Tout appareil rameur doit donc pouvoir planer ! Que la sustentation soit obtenue par le glissement ou le battement, il faut à l’appareil les mêmes organes d’équilibre ; par conséquent, si on veut produire un rameur qui puisse aller autrement qu’au hasard, il faut le construire de la même manière qu’un voilier bien établi ; la seule différence résidera dans la petitesse de la surface qui réclame le battement.

De la question battement et propulseur je ne parlerai que peu. J’en ai causé dans l’Empire de l’Air quand j’ai essayé de rendre l’aéroplane capable de produire quelques coups d’ailes. Je me rends compte du peu de succès que j’ai eu, ayant à l’article Aéroplane traité de ce point difficile [21]. Cependant, comme je ne demandais que quelques efforts, il est à étudier par la pratique ce que vaut cette idée, qui a été, de ma part, plutôt instructive que raisonnée.

Il est de fait que, même dans ces deux cas, les battements ne sont pas obligatoires. Les difficultés du départ et de l’abordage peuvent être esquivées même par l’aéroplane fixe : ainsi le départ par le vent faible peut être produit par la chute, et, par le vent actif, nous avons vu qu’un simple déplacement du centre de gravité le produit. L’abordage sur terre, par le calme absolu, peut se produire sans choc sérieux, même avec 7.500 grammes de charge par mètre carré, en s’y prenant adroitement. Ainsi rien n’est simple comme de s’adresser à un terrain en pente et de le remonter jusqu’à extinction complète de vitesse.

Ce n’est assurément pas l’appareil des rêves de la plupart que je présente là. Les manœuvres que nous envisageons doivent sembler bien incomplètes, c’est vrai ; seulement, elles sont suffisantes pour produire le vol de parcours simple, qui est le seul objectif que nous puissions avoir pour le moment.

Revenons au battement.

Qui a produit le battement ? Pourquoi certains oiseaux ne battent-ils pas des ailes et pourquoi la plupart d’entre eux s’escriment-ils à s’enlever et à se propulser ?

Il n’y a qu’à réfléchir une seconde pour voir la réponse précise à donner. L’oiseau frappe l’air pour deux raisons : d’abord parce qu’il est trop faible de masse, trop petit pour pouvoir planer ; puis, même quand il le peut, pour aller plus vite qu’il n’irait par le planement.

Donc, tout rameur est d’autant plus rameur qu’il est plus petit de masse, et le voilier produit d’autant plus facilement le planement qu’il est plus lourd.

Que serons-nous, l’homme volateur ? Serons-nous léger ou lourd ? Bien lourd assurément ! Donc nous sommes, par le fait de notre énorme masse, rangés malgré nous dans les voiliers à outrance. Que nous le voulions ou que nous ne le voulions pas, c’est comme cela. Vouloir ramer quand on pèse 100 kilog., c’est vouloir mettre la pyramide sur sa pointe ; c’est chercher l’impossible probablement et, à coup sûr, attaquer le problème par son côté le plus difficile.

Une des causes qui font que j’écris ce chapitre, c’est d’avoir conscience que l’aviateur rameur exagère dans ce genre de vol l’importance de l’acte de soutènement.

Le rameur, surtout le très petit moineau, mésange, rossignol, est assurément au départ un rameur exact, c’est-à-dire qu’il s’enlève à bout de bras, et cela sans aucun subterfuge. Il ne compte, dans ce cas, sur aucune action de glissement. Pour lui, l’air est toujours considéré comme étant au repos parfait ; mais, dès que son élancé atteint quatre ou cinq mètres de vitesse, le vol, chez lui, change. Il est toujours rameur, ou du moins il semble l’être, mais ces coups d’ailes ne sont plus donnés pour le soutenir : c’est absolument inutile : l’air porte déjà.

Cependant il continue de battre.

Il bat, parce qu’il est ardent, parce qu’il veut aller vite, parce que, s’il allait comme l’attraction seule peut le mouvoir, il irait comme le moineau quand il plane, c’est-à-dire avec une lenteur déplorable. Voyez-vous une hirondelle planant ! Elle se sert cependant quelques fois de la voile, mais, pour elle, que faire de ce vol ? Tous les insectes lui échapperaient et elle mourrait de faim. Au lieu de cela, comme il faut vivre, comme il faut atteindre l’insecte qui fuit avec rapidité, elle se pousse en avant au moyen de ses deux ailes qui sont de formidables organes de propulsion. Ces seize canons de rémiges sont seize ressorts puissants actionnés par la moitié de la masse de son être : ses pectoraux ; et le résultat est une accélération de vitesse telle que la mouche ou le papillon sont surpris en plein acte de vol. Elle vole plus vite qu’eux ! Là est le but de l’organe, la nécessité du vol ramé, ou pour dire infiniment plus juste, du vol propulsé.

Et tous les rameurs en sont là ou presque tous. Exceptez-en les marouettes, râles, gallinacés, tous les autres, et c’est la grande masse, ne rament que pour se propulser.

Le guêpier nous démontre clairement le pourquoi de cet acte. Il plane ordinairement, et dans la perfection, malgré qu’il ne soit qu’une grosse hirondelle ; tant qu’il n’a qu’à étudier, il glisse élégamment comme un oiseau de proie ; mais, qu’il aperçoive une proie à quelque distance, c’est à grands coups d’ailes qu’il se précipite sur elle et l’atteint, car la vitesse qu’il vient de se procurer rend la fuite de l’insecte impossible.

Plus le rameur devient lourd, plus devient visible et facile à étudier, parce qu’il est gros, la prépondérance de l’en-avant sur le soutènement. Les faucons réussissent, au moyen de ces coups de ressorts, à se procurer une vitesse énorme, qu’on peut estimer par le calme à au moins cinquante mètres à la seconde.

Voilà ce que vous voulez imiter, aviateurs rameurs. Les ailes ne vous réussissent pas : toute substance est trop lourde et pas assez élastique. Alors la pensée s’est reportée sur l’hélice. Allons de suite à ce qu’on a fait de mieux dans ce genre, l’hélice du ballon dirigeable de l’Etat[22]. Quelle vitesse équilibre-t-elle ? A quelle rapidité de vent peut-elle suffire ? Peut-elle agir utilement dans tout courant d’air, quelque rapide qu’il soit ?

Il semble sensé de penser que, pour être utile, il faut qu’elle commence par dévider cette vitesse avant de pouvoir produire autre chose qu’un retard ; c’est donc très souvent avec 20 mètres qu’il faut tourner avant d’entrer en action. L’hélice telle qu’on la construit me semble bonne pour les vitesses faibles, mais pour atteindre les grandes rapidités, elle doit être faite différemment, moins naïvement que je les ai vu établies. Il faut l’hélice rationnelle et rien de moins. Mais ce serait sortir du sujet, passons et revenons-y.

L’acte de sustentation est donc chez le rameur infiniment plus minime qu’on ne l’envisage généralement, il se borne au départ, à la projection en avant qui est tout. Regardez l’hirondelle, elle se pousse toujours en avant, tout aussi bien quand elle descend que quand elle monte. Elle se fait tomber avec infiniment plus de rapidité que la gravité ne pourrait la solliciter.

C’est le véritable aéroplane à moteur, l’ascension, les crochets sont produits par la direction dans laquelle elle lance son individu. Voyez le pigeon voyageur regagnant son nid ; un simple regard suffit pour saisir que se porter pour lui n’est rien et que l’essentiel est d’aller rondement. Au moyen de cette vitesse il fait des écarts sur l’horizontale de 25 mètres sans donner un coup d’ailes de plus. C’est donc la vitesse qu’il cultive et sur laquelle il compte pour suffire à toutes les difficultés qui pourraient se présenter sur son parcours.

Cette grande vélocité est, au reste, un acte de l’oiseau possédant tous ses dons. Le rameur qui ose aller vite est certainement un oiseau sauvage. Comparez, dans Paris, l’allure du pigeon domestique à celle de la grosse colombe. Dans l’un, nous voyons un maladroit qui a peur de se lancer, qui se retient constamment, qui a peur de choir ou de se heurter à quelque chose, l’être qui, en un mot, ne possède pas ses facultés ; dans l’autre, au contraire, tout mouvement est précis, la poussée est d’une énergie franche, l’abordage est correct. On voit qu’il sait où il va.

Au point de vue de la mécanique de l’aviation, le battement de sustentation peut être supprimé : la poussée en avant est tout. Trouvez un propulseur quelconque capable d’imprimer à une masse de 80 à 100 kilogrammes une rapidité de translation de 25 mètres seulement et le problème sera résolu, et, ce qu’il y a de curieux, sans battement. Ce sera alors le ramener sans battement !

Effectivement, à cette vitesse, même par le calme, le mètre carré, porte 10 kilogrammes avec la plus grande facilité ; non seulement il les porte, mais il peut les ascensionner par le seul fait de la direction.

Si nous augmentons la puissance de projection nous arrivons à l’ascension pure et simple, ce qui est bien autre chose que le parcours.

Il s’agit seulement de trouver ce propulseur puissant et à effet continu. J’avoue n’avoir rien entrevu. L’hélice les fusées, etc., etc., ne peuvent avoir que quelques instants cette force. Peut-être l’avenir nous procurerat-il ce moteur ; mais, assurément, rien de ce qui est connu actuellement en mécanique ne peut suffire.

Si ce moteur était trouvé, ce serait la résolution complète du problème de l’aviation : un petit aéroplane, parfaitement dirigeable, bien poussé et tout serait dit. On aurait même ce que les voiliers n’ont pas, la grande rapidité de translation.

Mais il faut le trouver ce propulseur ! tout se borne là.

Quand on l’aura, on n’aura plus à songer à la résistance des matériaux ; le battement, ce terrible pliement qui détraque tout, sera éliminé. On aura remplacé la rame par le glissement. L’objectif aura changé ; au lieu d’imiter la poule ou le râle qui traînent péniblement dans l’air leur misérable individu, on envisagera la gracieuse hirondelle, coquette, vive, active et surtout rapide, et qui est, assurément, plus facile à imiter que tous ces percheurs qui ont trop longtemps servi de modèle aux aviateurs rameurs.

Là, est certainement la vraie voie à suivre pour arriver à l’aviation si, pour une cause ou pour une autre, on ne veut pas se servir du vol à la voile.


AÉROPLANE FIXE


L’aéroplane fixe, c’est-à-dire dont les ailes sont immobilisées dans la position de planement, qui ne peut pas battre, s’impose ou peu s’en faut.

Des sept ou huit aéroplanes que j’ai eus entre les mains, un seul était facilement maniable : la légèreté est une condition essentielle de la réussite !

Un appareil lourd n’est pratique ni comme relèvement ni comme abaissement des ailes.

Mon n° 3, celui avec lequel j’ai eu un commencement de succès, était très léger. Ne voulant étudier que sa puissance de sustension, je ne l’avais pas muni d’une queue ni d’aucun organe de direction. Il est relativement facile de faire fort et léger dans ces conditions ; aussi ne pesait-il que 13 kilogrammes. Malgré cela il était encore bien lourd ! Quand je le portais son poids reposait sur les pieds. Le système assez naïf qui le reliait aux pieds était imparfait, blessait et n’était pas d’un emploi commode, puis, comme les barres qui reliaient les pieds aux ailes étaient rigides, c’était quand je courais une série de chocs très gênants et souvent douloureux. Ces chocs étaient endurés par l’élasticité dès ailes et par les pieds ; ce qui était nullement récréatif. Depuis lors j’ai utilisé les joncs fendus : appareil n° 4, et ce défaut est presque corrigé ; les pieds bien garantis

par une armature de fer peuvent supporter sans souffrance l’effort de relèvement. Mais la course devient très

difficile. Au reste ceci est une question d’adresse de construction, par conséquent c’est à peu près un détail.

Mais ce qui n’en est pas un, et ce qu’on ne peut songer à diminuer, c’est l’autre effort, celui de l’abaissement.

Jugez-en par ce que donne l’expérimentation.

La première fois que j’ai étudié la pression à donner à l’aile pour s’exhausser, c’est en expérimentant en chambre l’aéroplane n° 3. Les deux ailes étaient attachées par des cordes fixées au plafond à la hauteur des trous A et E (voir la fig. 4) précisément où venaient s’attacher les barres communiquant la traction des pieds ; là, l’effort était nul. Les ailes attachées au bout des planches demandaient un effort déjà considérable ; je pouvais produire une dizaine de battements mais avec une grande peine. A mesure que les points d’attache étaient reportés plus loin, à mesure la force à développer devenait plus grande ; ce qui est absolument naturel, mais ce à quoi on pense peu. Enfin, les attaches mises au milieu des rémiges rendait tout exhaussement impossible. La station horizontale n’était même plus tolérable, la pression sur les épaules devenait trop forte. Et cependant c’est là que se trouve le véritable centre de pression de l’aile de l’oiseau.

En ramenant les attaches au bout des planches, j’aurais assurément diminué la pression, en augmentant l’amplitude du battement ; elle était tellement insignifiante qu’elle devenait inutile.

C’est ce qui me décida à immobiliser les ailes, à les empêcher de pouvoir battre. Comme on le voit, je connaissais déjà, à cette époque, le vol sans battement. L’appareil, dans ces conditions, ne pesait que 15 kilog. francs, sans aucun effort de levier ; j’étais suspendu par les courroies et non par les barres qui étaient supprimées. Cela avait certains avantages, entre autres celui de me permettre de courir rapidement.

C’est avec cet aéroplane ainsi fixé que j’ai fait le glissement de 42 mètres relaté au commencement de ce livre[23]. Quelques jours après je rétablis les organes qui me permettaient de frapper l’air, ne pouvant me résoudre à reconnaître mon impuissance, ne pouvant admettre d’être ankylosé de la sorte ; c’est ce qui permit au coup de vent de m’effrayer et m’engagea à céder devant lui[24], étant encore sous l’action de la peur de ce célèbre trajet fait sans le vouloir. J’y étais forcé par le raisonnement, étant bien sûr qu’avec ou sans battement, je n’avais pas la possibilité de me diriger. En résumé, le pouvoir de flexion des ailes me permit d’esquiver cet enlèvement que le vent me présentait.

Voici donc ce que l’homme peut faire sans battement ! Il faut reconnaître qu’il est bien faible, puisqu’il ne peut même pas se faire porter par des ailes étendues dans la position du vol plané, à moins d’attacher le moteur à un point inutilisable comme battement.

Si le vol à la voile n’existait pas, il serait presque interdit à l’humanité de songer à l’aviation.

Le vol des rameurs demande non seulement une puissance extraordinaire, force qui est encore à trouver, mais exige, et cela de la façon la plus impérative, des matériaux légers pouvant supporter cet effort. C’est là qu’est la difficulté qui semble insoluble.

Plusieurs aviateurs rameurs ont palpé cette impuissance. Pour convaincre ceux qui n’ont pas touché du doigt cette insuffisance dans la tenue de la matière, ils n’ont qu’à essayer, ce qui a été fait, d’actionner un grand appareil rameur par un tuyau élastique de vapeur et ils verront qu’ils obtiendront le brisement des ailes et non l’enlèvement.

L’aile au delà de trois mètres de longueur, soit six mètres d’envergure, et plutôt moins que plus, semble avoir dépassé la limite de la résistance des matériaux ; et cela, sans lui donner d’effort à produire, rien qu’en la faisant se mouvoir à vide : telle est la borne que semblent m’indiquer trois expériences qui m’ont été communiquées par des aviateurs qui se tiennent hors du cénacle qui s’occupe de cette question.

L’effort nécessaire pour procurer à l’aile une vitesse utile est tel qu’il dépasse la résistance des corps employés pour remplacer l’os, et cela soit qu’on s’adresse aux bois légers, aux tubes d’aluminium, aux fers à T, aux caisses de bois ou de celluloïd. Rien ne résiste à cet effort : le bras de levier est trop long.

Si maintenant nous tournons la difficulté, c’est-à-dire si on diminue autant que possible l’envergure et qu’on rétablisse autant que possible la surface indispensable en augmentant énormément la largeur, on rend l’aile impropre à l’enlèvement, à moins d’arriver à des vitesses d’évolution effrayantes, et c’est précisément l’écueil que nous voulons éviter. Ces ailes existent dans la nature, mais ces larges couvertures sont des plumes d’ornement : paons, lyre, argus, tous oiseaux qui ne font qu’ébaucher le vol, ne se servant de leurs ailes que pour se percher.

Si nous essayons de tourner le problème d’une autre manière, en augmentant considérablement l’envergure et en rétrécissant la largeur de l’aile, que nous imitions le planeur rapide, l’oiseau de mer, nous obtenons certainement et forcément un vol ramé d’une lenteur qui atténuera sensiblement l’effet de rupture causé par la rapidité du battement. Ce mouvement cadencé et lent permet l’avertissement des molécules ; la matière jouit alors de ses facultés de résistance. Par ce procédé on esquive cet écueil, mais une autre difficulté se présente, le bras de levier devient tellement long, la force initiale demande à être si grande, qu’on s’aperçoit de suite qu’on n’a fait que déplacer la difficulté.

C’est, en somme, un cercle vicieux dans lequel on tourne, et que Celui ou Celle qui a organisé la mécanique des oiseaux n’a pas tranché.

Dans la nature, le rameur a toujours une masse minime. Le kilogramme est la limite, je ne dirai pas extrême, mais usuelle : grands corbeaux, ramiers, etc. Le calos, le goura, etc., sont bien aussi des rameurs qui dépassent de beaucoup ce poids, mais ils sont bien loin d’être des oiseaux de grand vol comme le sont le corvus corax et le grand ramier des squares de Paris (columba palumbus).

Une autre particularité des rameurs est la force exceptionnelle dont ils disposent. Les petits oiseaux, surtout, sont d’une puissance dont on n’ose parler de peur d’errer complètement soit en exagérant, soit en atténuant outre mesure leur force.

Qui ne se souvient de ce fait qui dû arriver à tous ceux qui touchent les oiseaux : un pigeon qu’on attrape par la queue et qui sous l’effort d’enlèvement vous laisse toutes ses plumes dans la main. Le petit passereau tenu par une patte et qui se la brise en se retournant au vol. Je dis quelque part qu’une chouette que je retenais s’est brisée l’os de l’aile en ramant pour s’enfuir, et mille faits pareils qui nous disent que l’oiseau est fort à ne pas s’en faire une idée juste. J’ai vu une tourterelle qui, en cinq battements, s’est élevée verticalement de 7 mètres 85 centimètres, encore le dernier coup d’ailes peut être négligé, car il ne servit qu’à la porter sur un mur où elle se posa.

Mais tout ceci n’est rien comparé à la force des très petits oiseaux. Elle est si grande qu’on fait mieux de n’en pas parler, car il est attristant de comparer la faiblesse humaine à ces petits êtres si excessivement doués de la puissance musculaire.

Si nous envisageons les grands voiliers, nous les trouvons également pourvus de muscles formidables, infiniment moins assurément que ceux des rameurs, mais qui, malgré cela, ne sont pas comparables à ceux de l’homme.

Les serres de l’aigle sont d’une puissance incroyable. Il faut avoir subi leur pression pour s’en persuader. Une expérience au dynamomètre serait bien instructive, mais comment s’y prendre pour la réussir surtout pour faire donner à cet organe de préhension toute son énergie.

La serre agit non seulement par la perfection de sa grille, mais par sa force brutale. C’est une main qui me semble capable de supporter un poids dépassant de beaucoup 50 kilog. : soit dix fois au moins le poids de l’oiseau.

Mon brave chien Bobo en ressentit un jour les effets : j’avais démonté un aigle qui passait à portée. Mes chiens de chasse se précipitèrent vers lui, mais la vue du grand rapace couché sur le dos et présentant ses huit terribles griffes, chacune longue comme le petit doigt, les fit réfléchir. Bobo, sans hésitation, fondit sur lui et reçut les deux coups de serres aux deux épaules. Enragé de douleur il mordit l’oiseau tant et tant que mort s’en suivit. Mais la bête ne lâchait pas pour cela. Je fus obligé de lui venir en aide et d’ouvrir de force ces serres qui semblaient être fermées à un cran qui en empêchait l’ouverture.

Un autre exemple fera bien saisir cette force : j’avais pris mon grand aigle, par des procédés à moi, trop longs à décrire et qui n’intéressent pas. Son bec était attaché et ses serres ficelées le rendaient absolument inoffensif. Il était dans cet état de prostration particulier qu’ont ces animaux lorsqu’on les met dans l’impossibilité absolue d’agir.

J’étudiais donc en détail cet oiseau comme un être mort, quand l’idée me vint de lui détacher seulement deux griffes : l’index et le pouce ; je voulais essayer leur force sans me faire blesser.

Avec beaucoup de précautions, je parvins à passer deux doigts sous chaque griffe et j’essayai de les ouvrir. En forçant bien, j’y parvins. Les tendons craquèrent très fortement. Je fermais, ouvrais, refermais, réouvrais ces griffes sans trop de peine, faisant crier ces jointures comme des charnières mal graissées ; quand soudain, avec la promptitude de l’éclair, mes quatre doigts furent pris comme dans un étau. — Heureusement que les pointes ne piquaient pas. J’étais pris à mon tour et il m’était impossible de songer à me dégager. Je sentais à la pression exercée, malgré que je n’éprouvasse qu’une très forte compression, que c’était folie d’opposer la force à ces puissants fléchisseurs. J’attendis cinq grandes minutes, avec une patience tout à fait exemplaire. Petit à petit je forçais et fort, et l’oiseau s’endormait.

J’étais très près de me retirer de ce guêpier, quand un réveil de la bête, donnant une secousse, me remit en prison.

Avec un peu de patience, je parvins cependant à me dégager, mais cela demanda bien un grand quart d’heure.

Cette estimation de force d’enlever dix fois son poids peut être beaucoup augmentée et, assurément, on ne dépassera pas la vérité. C’est donc, en s’en tenant à la première estimation, un fait pareil à celui d’un homme qui pourrait soulever d’une main sept à huit cents kilogrammes.

Si nous étudions la puissance des faisceaux musculaires qui font battre l’aile, nous voyons que cette masse de muscles est à peu de chose près, même pour les médiocrement doués, l’égal comme poids du reste du corps.

L’effort permettant la station sur les ailes semble chez certains d’entre eux être instinctif el involontaire, comme celui des serres qui agissent et compriment la branche plus ou moins suivant le coup de vent ou le balancement ; et cela sans acte de volonté, puisque l’oiseau est en plein sommeil.

L’importance des pectoraux n’a rien de similaire dans le système musculaire de l’homme. Il faut renoncer, malgré de bien curieuses choses écrites sur ce sujet, à penser pouvoir produire un seul effort égal à cette puissance, même en réunissant par une rubrique mécanique la totalité de notre activité.

Ce que je dis là est la condamnation du vol pour un être de notre poids ; mais, il nous reste heureusement le vol à la voile qui est le point par où judicieusement nous devons tenter d’aborder cette question : vol dans lequel le courant d’air fait tous les frais, au lieu d’aller nous heurter contre les impossibilités du vol ramé[25].

Heureusement pour l’aviation, j’ai affirmé dans l’Empire de l’Air, et je le répète ici car c’est la base du vol sans battement [26] :

« L’ascension est produite par l’utilisation adroite de la puissance du vent, et nulle force autre n’est nécessaire pour s’élever. »

Effectivement, l’homme pourra toujours partir d’une hauteur assez grande pour que la vitesse procurée par la chute soit capable de le mettre en pleine action de vol.

Si le vent est assez vif pour pouvoir le supporter à l’allure V 10’’, pour entrer en action de vol, il n’aura qu’à disposer ses ailes à l’angle de V 10’’ et il sera porté exactement. S’il les met à l’angle V 8’’ il sera légèrement enlevé. A V 6’’ l’enlèvement sera plus fort et ainsi de suite, V 2’’, V 0’’ et même au-delà, c’est-à-dire les pointes en avant[27].

L’enlèvement est forcé !

C’est assurément le mode d’expérimentation le plus pratique. Il faut pour le réussir : un vent d’au moins 10 mètres, une surface suffisante, pas moins de 12 mètres carrés, et enfin le courage de se livrer à cette manœuvre. Cet exercice demandera, au reste, bien moins de hardiesse que tous les autres procédés de mise en mouvement.

Le départ en terre ferme demande une telle dose de témérité irréfléchie que, malgré que le fait se soit produit, on doit espérer qu’il ne se renouvellera pas, parce que le résultat en est certain. Comment peut-on espérer avoir un succès quelconque lorsque, ne sachant rien comme pratique de cet exercice, on s’adresse comme première expérience au plus dangereux de tous les départs ?

Il faut, pour aborder cette question effrayante du départ, du bon sens et-toujours du bon sens. L’aviation ne sera même résolue pratiquement que par un poltron, mais un poltron sensé, qui mettra de son côté tous les éléments de réussite et éliminera de sang-froid toutes les chances d’accident. De Groof a eu la témérité de se lancer dans les airs de deux ou trois cents mètres de hauteur, soutenu par un appareil insensé qu’il n’avait jamais essayé. On ne peut dire de lui qu’une chose, c’est qu’il s’est suicidé[28]. Que dire autre, quand on pense qu’un oiseau qui ne se sent pas en exercice, qui sort de sa cage, n’ayant pas utilisé ses ailes depuis longtemps, n’oserait pas abandonner le ballon dans cette circonstance ? Il se méfierait de ses moyens et ne se lancerait pas. Et on veut qu’un homme, ignorant tout des manœuvres aériennes comme l’est tout terrien, aille du premier coup se livrer à l’espace, pendu à un appareil indirigeable dont il ne connaît pas les effets ! C’est de la démence assurément.

Il faut absolument procéder lentement. Au lieu de tout livrer au hasard, il faut, au contraire, mettre de son côté tous les atouts. De la prudence, du calcul, de la sagesse et du bon sens, sans cela on ne réussira qu’à se casser la tête, et les têtes brisées ne font pas avancer l’aviation,

Ainsi, dans l’Empire de l’Air, j’ai donné un peu du côté des imprudents dans l’exposé d’un projet d’essai[29]. La hauteur nécessaire pour permettre à un aéroplane de passer du plan de chute au plan de parcours horizontal est trop grande. Il faut 25 mètres au moins à un aéroplane de cette taille pour se retourner assez lentement pour avoir conservé la vitesse qu’il faut posséder pour pouvoir planer. Il est à craindre l’intervention inconsciente causée par la peur. Si l’expérience pouvait se faire en ne laissant pas à l’homme la possibilité d’intervenir, le danger serait à peu près écarté ; il ne resterait que celui d’une culbute possible quand l’aéroplane affleure l’eau. Qu’est ce bain comparé à la chute de De Groof ou à l’abordage expérimenté en terre ferme ! N’importe, je reconnais que cette hauteur est effrayante et que ce seul effet est un défaut.

Le procédé d’enlèvement au repos est bien moins effrayant que tous ces exercices dangereux.

Pour avoir chance de réussir, il faut un aéroplane à grande envergure, dans la proportion pour le moins de 6 : 1.

Il faut l’essayer en été, quand l’eau est chaude, car la première séance ne sera qu’une suite de bains successifs et il s’agit qu’ils ne soient pas désagréables.

Procéder en eau profonde, le corps de l’homme et l’aéroplane disposés pour flotter d’une manière exacte. Il n’y a donc pas à songer à nager plus ou moins bien : le danger de se noyer est éliminé.

Puis prendre un petit bateau ponté, afin de n’être pas enfoncé dans le fond de l’embarcation.

N’expérimenter que par un vent capable d’enlever.

L’acte à produire est celui-ci : ouvrir les ailes, c’est-à-dire transporter les pointes en avant d’une quantité suffisante pour se faire enlever par le vent. Par ce seul déplacement du centre de gravité l’ascension se produit.

Il n’est pas besoin de rien risquer pour un premier essai. On commence petit à petit, sans perdre pieds, puis on s’élève d’un décimètre et on abandonne vite la pression, les pointes sollicitées par le vent retournent en arrière et on retombe lentement, d’un décimètre, de cinquante centimètres, d’un mètre.

Lorsqu’on est bien accoutumé à cette chute anodine, on va plus fort, c’est-à-dire que le transport à l’avant des pointes des ailes est plus énergique ; alors on vise à aller tomber dans l’eau.

On règle donc l’ascension d’une manière absolue, moins l’irrégularité du coup de vent. Cette irrégularité elle-même se combat par la sensation qu’on a du courant d’air. Comme on sait que le coup de vent enlève, il n’y a qu’à laisser aller les pointes à l’arrière, c’est-à-dire à ne plus agir, à laisser faire, il est probable que l’expérimentateur ne s’affolera pas, surtout s’il n’est qu’à un ou deux mètres de hauteur, et qu’il finira par se persuader de la manœuvre et de son innocuité.

L’expérience m’a démontré que les ailes vont d’autant plus facilement toutes seules à l’arrière, sous l’action du traînement du courant aérien, qu’elles sont plus longues par rapport à leur largeur, et que, ceci est à bien retenir, à bien se mettre dans la tête, surtout au moment où on expérimente, que, dis-je, le plan de l’aéroplane s’approche le plus de l’horizontale. Dès que, par le fait de l’enlèvement, l’écart de l’appareil est seulement de 30 degrés, les ailes n’obéissent plus toutes seules, il faut les aider et intervenir énergiquement en les portant de vive force à l’arrière.

J’ai toujours été désagréablement surpris par cet enlèvement. Cela tient d’abord à ce que j’ignorais cet effet et que j’ai dû l’apprendre à mes dépens, puis, à ce que je n’ai jamais eu entre les mains un aéroplane à ailes longues et étroites ; type qui est indispensable pour pouvoir dans les premiers essais se défendre contre ce renversement intempestif.

Pour faciliter encore plus cet exercice, pour écarter toute chance d’enlèvement exagéré, pour mettre en laisse, en un mot, l’aéroplane et l’expérimentateur, on peut l’attacher de la manière suivante :

Fixer à la charnière avant, celle qui est contre la poitrine, une corde longue, le plus possible — quelque chose comme une centaine de mètres au moins — l’attacher — au vent — à une hauteur assez grande pour qu’elle trempe le moins possible dans l’eau. On sera bien sûr avec une attache pareille de ne pas pouvoir reculer. Ce terrible recul qui effrayait tant est donc entravé. Il n’est plus possible à l’appareil que de s’élever et d’aller à gauche et à droite, mais pas en arrière.

En mettant une pareille corde à l’arrière et deux autres de même longueur à chaque pointe des ailes, l’aéroplane bien dirigé contre le vent, on arrive à ne permettre absolument qu’un seul mouvement, celui d’une faible ascension permise par l’élasticité des cordes[30].

Maintenant encore, si on a peur de l’eau et qu’on puisse s’offrir un vaste sommier, on sera certain de ne pas se mouiller.

Est-il assez ligoté ce pauvre aéroplane ! Cet appareil de liberté ! Celui qui donnera l’indépendance à l’homme ! Il ne faut pas moins de quatre cordes pour familiariser l’homme à son emploi. Mais ainsi ficelé, il est à espérer qu’il se trouvera des expérimentateurs assez intrépides pour oser l’essayer.

Le premier acte de vol que devra étudier l’aviateur, le seul au reste, que ces freins lui permettront, est celui de l’ascension directe contre le vent. C’est tout simplement l’exercice le plus difficile du vol : la station immobile de l’oiseau de proie dans le courant d’air. Il sera singulièrement facilité par les quatre cordes qui feront régulateur dans les quatre sens de dérivation possible. On n’aura donc à pourvoir qu’à celui de la verticale. Ce terrible problème, disséqué de cette façon, devient alors facile, ce n’est plus qu’une question d’adresse. Il se trouvera au bout de quelque temps, parmi les amateurs de cet article, des adroits qui le réussiront dans la perfection.

Quand la quiétude sera revenue, l’expérimentateur pourra sortir sa corde d’arrière, ce qui lui permettra un léger mouvement en avant en portant ses pointes à l’arrière d’une quantité un peu supérieure à celle nécessitée pour l’immobilisation.

Pour pouvoir suppléer à l’action des deux cordes qui s’attachent aux deux bouts des ailes, il faut que l’appareil possède une direction horizontale extrêmement active, afin de pouvoir ramener rapidement l’aéroplane qui voudrait s’éloigner de la droite du vent.

Il ne reste donc plus maintenant que la première attache, celle qui empêche le recul. La suppression de ces trois cordes permet déjà des évolutions bien intéressantes en avant. Quand on sera arrivé à manier sur l’eau — car là il faut y revenir — un aéroplane attaché par une corde de cent mètres, on pourra alors se détacher sans crainte, car on saura par expérience qu’on possède l’en-avant. Toutes les autres manœuvres deviennent alors faciles, maintenant que par habitude, la vue du vide ne produit plus aucun effet.

Pour résister sur terre à un vent actif, avec un aéroplane sur les épaules, pour n’être pas entraîné par lui, il faut avoir la figure au vent et les pointes tout à fait portées à l’arrière ; dans toute autre position on est roulé, renversé. Regardez les oiseaux, leur bec indique toujours d’où vient le vent. C’est la plus sûre girouette de campagne qu’on puisse désirer. Si par jeunesse, inexpérience, il se laisse prendre en arrière par le vent, il est obligé de faire la culbute. On ne voit, au reste, cette maladresse commise seulement par les oiseaux domestiques ; l’ailé sauvage ne la commet jamais.

Le vent lui-même par son action de gouvernail fait donc présenter la tranche d’avant à sa pression, et une fois dans cette position empêche toute présentation de plan intempestive. Les pointes en arrière sont deux gouvernails actifs qui maintiennent l’appareil dans la bonne position d’enlèvement, et cela, je l’ai dit, d’autant plus qu’elles sont plus longues.

Les oiseaux qui ont à se tenir dans les courants d’air rapides les ont toutes très allongées : oiseaux de mer, chez lesquels l’aile devient de plus en plus étroite que le vent à supporter est plus violent. Celui qui essayera de se passer de la corde fera donc bien de se servir d’un aéroplane à rémiges très allongées, comparées au bras et à l’avant-bras, parce que, étant donné le manque de savoir de tout commençant, il lui arrivera probablement d’être renversé par le courant d’air, ce qui m’est arrivé bien des fois. Il oubliera ou ne portera pas à temps les pointes en arrière, il fera inconsciemment un effort pour résister, se tiendra à une allure qu’il ne pourra soutenir ; alors le vent soulèvera l’avant et la culbute en arrière aura lieu avant qu’il ait eu la présence d’esprit de la parer.

Pour employer ce mode de départ, il faut donc des ailes de la proportion d’au moins 7 : 1. Les types à ailes larges doivent être formellement rejetés. On y perdra comme surface, mais comme l’expérience se passera sur l’eau, le danger de l’abordage brutal sera écarté.

Malgré que, pour les essais, une grande surface est bien utile, elle procure la lenteur dans la course et dans l’atterrissage. Enfin elle évite l’emploi des vents impétueux. Il faudrait pouvoir concilier ces deux cas, c’est-à-dire construire un appareil d’essai d’au moins 25 mètres carré de surface et fait dans les proportions de l’oiseau de mer. C’est chose faisable, mais il faut reconnaître que ce n’est pas facile à construire. On se trouve toujours en face de cette terrible difficulté : faire léger et fort, qui sera bien difficile à vaincre.

Les gens spéciaux en construction, habitant les capitales, où tout se trouve, auront certainement des facilités pour produire que ne rencontreront jamais le constructeur d’occasion, comme moi par exemple, inhabile, mal outillé, rêvant des dispositions qu’il ne pourra exécuter, parce que tout lui manque et qu’il ne sait pas faire, qu’il n’a ni temps, ni loisirs, ni capital suffisant.

Il y a là un effort sérieux à faire de la part de l’humanité désireuse d’arriver au résultat. Depuis vingt ans, nous avons produit entre tous comme apport incontestable un fait qui a bien son importance, c’est d’avoir tiré ce problème de la boue du scepticisme et de la moquerie. C’est un pas fait et un grand, malgré qu’il soit insuffisant. C’est le saut qu’il faut faire ! ce n’est pas la tolérance à laquelle il faut arriver, mais à l’engouement ! Alors, seulement, le capital se présentera de lui-même au constructeur dont on espérera des résultats heureux. Alors, seulement surviendront la quiétude, le bien-être, la réflexion calme et de longue haleine qui produiront le résultat sérieux.

Tant que le malheureux chercheur sera, comme j’en connais trop, hélas, obligé d’attaquer ce monstre terrible à temps perdu et avec ses menus plaisirs, on est certain de la non-réussite. Il est absolument sûr qu’on ne fera que des semblants d’essais, mal faits comme appareils et encore plus mal expérimentés.

Jugez-en, lecteurs, par ce qu’il faudrait pour le réussir, assurément, certainement, d’une manière absolue.

Les expérimentateurs de ce problème, car l’humanité ne devrait pas s’en tenir à un seul individu qui peut être plus ou moins bien disposé, plus ou moins hardi, même plus ou moins capable, les expérimentateurs, dis-je, devraient être hors des soucis de la vie. S’ils ont à songer au lendemain, ils sont perdus, pensent à ce lendemain, et pas à l’aviation.

Ils devraient avoir un atelier de construction sérieux, auquel on adjoindrait un ou quelques mécaniciens spéciaux ; praticiens émérites capables de tirer les aviateurs des difficultés qu’ils rencontreront à chaque pas. Pensez donc que, à une époque où je comptais, moins qu’aujourd’hui, il est vrai, je me suis offert des boulons à 18 francs la pièce ; et c’était une erreur par dessus le marché, ils ne servirent pas. A chaque pas se rencontrent de petites absurdités comme celle-là, qui sont un détail, en somme, pour le capital sérieux, mais qui sont un écueil pour le capital menu-plaisir. On craint de renouveler l’erreur qui épuise les fonds, on perd son temps en réflexions inutiles et... on ne fait rien.

Il faut une certaine marge dans l’action. Il faut pouvoir oser. Il faut surtout des conseillers. Là est un grand pas à faire faire à l’intelligence humaine. Le capital n’est assurément pas facile à décider, mais il sera probablement encore moins rebelle que l’esprit de cachoterie de l’inventeur. Il est de fait que l’inventeur est un individu bien curieux à étudier ! surtout quand il est peu au courant de la question. Mais laissons cette catégorie dont l’éducation serait un peu longue à faire et adressons-nous à ceux qui sont au fait depuis longtemps du savoir du jour. Adressons-nous à ceux qui ont déjà essayé et maintes fois leurs forces, dont les illusions sont envolées depuis de longues années. Il est probable qu’avec ceux-ci on pourra arriver à former un faisceau d’intelligences diverses, qui, bien uni, s’entr’aidant de leurs savoirs particuliers, arriveront au résultat.

Effectivement, les uns seront les penseurs, les autres les forgerons, ajusteurs, menuisiers, et les aviateurs. Je forge bien mal pour mon compte, la menuiserie que je produis est absolument incorrecte. Une simple soudure me demande l’aide d’un praticien ; et ainsi de suite pour chaque détail. Et il en est pour les autres comme pour moi, puisqu’on prétend que je puis être classé parmi les adroits.

Oui, tous s’entr’aidant, ne se cachant rien, empoignant ensemble ce problème, qui est déjà bien mûr, bien mâché, doivent arriver au résultat.

Il faut l’association, et forcément, car on ne peut pas tout être à la fois. Supposez, ce qui a été une fois, que j’aie entre les mains un appareil, je ne dirai pas parfait, mais à peu près utilisable, qu’en ferai-je, moi qui, certains jours, suis obligé de prendre des précautions pour descendre sans secousse du trottoir sur la chaussée ? Il arrivera ce qui est arrivé, que je détruirai cet appareil pour en construire un plus parfait, ce qui est exact. Seulement, ce nouvel appareil est resté en détresse, faute de... Oh ! pas de réflexions assurément, ni de bon vouloir. Ce simple exemple indique qu’il faut le bien-être, l’aisance, la tranquillité et surtout l’aide d’autrui.

j’avais eu sous la main un gymnasiarque instruit de la question, j’aurais probablement tenté l’effort de l’essai, tandis que réduit à mes seules ressources, j’ai abandonné, et cela sans avoir même pu essayer ce que produirait ce nouvel engin.

Non seulement la collection d’aviateurs devrait avoir la tranquillité d’esprit, mais elle devrait être pourvue d’un local spécial, permettant la construction et facilitant l’expérience.

L’atelier est peu de chose et n’a rien de particulier : c’est un vaste local situé dans un grand centre. Paris, autant que possible, afin d’avoir tout sous la main et perdre le moins de temps possible. Mais, en place, le lieu d’expérimentation demanderait d’une manière impérieuse des qualités particulières qui sont cependant faciles à réunir.

Il faudrait sur le bord de la Méditerranée[31], mer chaude, une propriété faisant falaise afin d’avoir des à pics, des barques ; être installé là d’une manière commode. Un petit atelier de réparation bien fourni, parce que, dans les expériences on est maladroit, on casse beaucoup. Il conviendrait qu’il y eût un docteur dans la société, cela donne de la hardiesse, on ne se sent pas abandonné.

Assurément qu’un faisceau de quelques aviateurs, parfaitement choisis, munis de toutes ces facultés d’exécution et d’expérimentation, arriveraient à faire de bon ouvrage. Ils construiraient divers appareils en hiver et les essayeraient dans la saison chaude, quand les bains sont possibles.

Que faudrait-il pour réunir ces quelques personnes chargées d’élaborer ce problème, insoluble jusqu’à ce jour par l’unité ? Peu de chose comparativement. L’Etat a produit cette association pour la construction des ballons de guerre. Il a réussi dans la limite du possible. Le capital particulier est grandement de taille à se mesurer avec cette dépense ; depuis longtemps il en a fait bien d’autres et plus importantes. Si le quart de la somme dépensée à l’observatoire de Nice avait été attribuée à cette idée, ce problème irritant serait résolu depuis longtemps.

Il serait réussi, il n’y a pas à en douter, car, en somme, ce n’est qu’une manière particulière d’apprendre à patiner. La seule difficulté qu’il présente est de se familiariser avec le vide, et c’est pour arriver à vaincre notre peur qu’il faut loisirs, temps et argent.

Laissons les digressions et revenons aux aéroplanes.

Il est assurément bien pénible de dire que l’homme ne peut pas se tenir par sa propre force dans la position de l’oiseau qui plane, à moins de transporter si loin dans l’aile l’attache des pieds, que le battement en est réduit au point de le rendre inutile ; mais enfin, c’est un fait qu’il ne faut point cacher.

Les ailes attachées au plafond au point où siège la pression utile, le centre réel de l’aile — c’est un point qui ne correspond pas du tout avec le centre de figure ; il se trouve, d’après mon estimation, pour l’exprimer en termes simples, dans la main de l’oiseau, à l’endroit situé dans la main humaine, un peu plus bas que les jointures de l’index et du doigt du milieu, plus près de ce dernier que du premier et un peu plus avant dans le centre de la main, — les ailes attachées à ce point, permettent la sustension quelques instants au prix du plus grand effort, mais songer à stationner de longues heures avec un pareil poids sur les épaules est absolument impossible. Il faudra forcément pouvoir rendre l’aéroplane fixe, c’est-à-dire faire supporter cette pression Ipar autre chose que l’effort de l’homme. Un petit tour d’adresse suffira : il y a cent moyens de le faire.

Ceci implique que je pense toujours à l’aéroplane à battements. Il est assurément bien pénible de penser qu’on doit avoir pour se porter une machine aussi inerte que l’aéroplane fixe. On désire instinctivement pouvoir aider à la manœuvre, cela soulève d’autant, c’est autant d’aide à la puissance de sustension de l’appareil. Il est certain que cela peut être utile ; mais il faut reconnaître d’un autre côté que cela exige un tel poids en plus et une telle complication d’organes que c’est à se demander s’il y a bénéfice ou s’il y a perte.

Ceci, au reste, est un problème posé aux constructeurs qui savent construire et qui ont tout sous la main pour bien faire, mais il n’en ressort pas moins que, comme grandes lignes, comme emploi d’appareils de parcours devant stationner longtemps dans les airs, on ne se servira que de l’aéroplane immobile ou immobilisable.

Avec l’aéroplane fixe, l’homme ne pourra pas produire le départ comme l’oiseau se le permet ordinairement. Il faut perdre de vue les passereaux et même presque tous les oiseaux et ne regarder que le gyps fulvus, et encore dans un seul cas, c’est celui du départ de son perchoir. Quand il a à se mettre au vol sur un terrain plat et qu’il n’y a pas de vent, ce n’est qu’au prix des plus grands efforts qu’il parvient à prendre le grand vol. C’est bien l’oiseau de la création le plus lourd à s’enlever. Je les ai vus souvent dans cette circonstance sous l’action de la chaleur torride, du manque de courant d’air et d’un excès de nourriture emmagasinée dans leur jabot, remonter sans honte à pieds, en battant des ailes, sur quelque éminence d’où ils se lançaient ensuite à toute vitesse, profitant de la descente pour acquérir la rapidité indispensable à leur genre de vol.

N’est-ce pas déjà, en moins, le cas de la lourde masse humaine, voulant se faire porter par l’atmosphère. C’est le même genre de difficultés que cet oiseau a à vaincre. Seulement, l’homme a sur le gyp fulvus l’avantage de n’avoir pas la crainte, ce qui lui permettra de prendre son temps et des mesures qui lui donneront la facilité de résoudre cette difficulté.

...Rien n’est plus facile aussi que de se donner la possibilité de battre et ensuite de fixer en marche l’aéroplane.

...Il est facile d’immobiliser les bras et de laisser libre les mains.


AÉROPLANE D’ESSAI


Qu’il est difficile d’être logique dans l’étude de la reproduction du vol des oiseaux ! Il semble à première réflexion qu’en étudiant consciencieusement le volateur, en se persuadant du pourquoi de tous ses actes, sachant, en un mot, le vol théorique comme lui-même, il n’y a qu’à construire un aéroplane reproduisant le type qu’on choisit comme modèle pour être dans la voie qui mène au résultat.

Il n’en est rien. On erre complètement !

Cependant les calculs des tableaux de l’Empire de l’Air nous donnent des chiffres vrais et précis. Nous pouvons choisir et comparer. Notre dévolu est jeté sur le gyps fulvus, et nous trouvons qu’une surface de llᵐl4 correspond au poids de 80 kilogrammes. Nous sommes donc certains de construire un appareil en relation avec l’aéroplane de ce maître voilier, qui vole si aisément, que ses évolutions font rêver, tant elles sont ce que nous désirons reproduire.

Nous sommes dans le vrai, assurément, en donnant à notre aéroplane une surface de 11ᵐ40. Nous avons pour bénéfice la différence qui doit s’établir entre la masse de 7.500 grammes et celle de 80.000 grammes. Je n’ai pu l’établir ; et c’était là une véritable occasion de faire des X, mais le meilleur a manqué, c’est-à-dire la base. Ces travaux sont trop incomplets ; il leur manque surtout l’étude des masses supérieures à 7.500 grammes et à sustentation similaire.

En leur absence, on ne peut qu’envisager d’instinct cette question délicate. L’instinct permet d’affirmer que le bénéfice de sustentation se continue, que la forte masse gagne toujours la masse faible, que, par conséquent, l’aéroplane de 80 kilog, établi comme l’aéroplane de 7.500 grammes, aura plus d’aisance à se faire supporter que ce dernier qui est le grand vautour.

Ce raisonnement est donc absolument juste ; c’est la nature étudiée sur le fait et photographiée : cependant c’est faux, archi-faux !

C’est faux et c’est juste : juste au point de vue théorique ; faux au point de vue pratique.

Effectivement, il n’y a pas à douter un seul instant que le gyps fulvus, grandi au point de peser 80 kilog., ne se trouverait plus facilement soutenu par cette surface de llᵐ40 qu’il ne l’est par son mètre carré ; nous mêmes, hommes, serons exactement dans le même cas, nous volerons au moyen de cette surface de 11 mètres plus facilement qu’il ne vole.

Seulement, il y a une petite différence qui provient du point de départ. Nous volerons certainement plus facilement que lui... quand nous saurons voler.

Ce point de départ est donc absolument faux. Nous avons construit des appareils bons assurément pour le maître, mais tout à fait insuffisants pour l’élève terrien qui ne sait pas voler.

Il faut donc, pour être dans le vrai, renverser le raisonnement et se dire ceci :

Je ne sais pas voler ! J’ai horreur du vide ! Le choc est mon effroi ! La grande vitesse me fait une peur terrible !

Réduisons le plus possible toutes ces causes d’insuccès qui paralysent tout, qui font qu’on y regarde à deux fois avant de passer de la théorie à la pratique ; que la vue de l’aéroplane construit, fini, solidement fait ; ne vous dit rien qui vaille ; que surtout, quand on l’essaye, on remarque que, par le calme, il ne porte presque pas, et que par le grand vent, il vous bouleverse, qu’on ne sait plus s’en servir, qu’on perd la tête et qu’on n’ose retourner à s’exposer ainsi ; que, en résumé, pour tout individu qui n’est absolument enflammé, rongé par ce problème, il est sage de laisser les ailes aux oiseaux et de ne pas s’en affubler, si on ne veut pas se casser le cou.

J’ai eu cette sensation tout autant qu’un autre, et plusieurs fois, je parle donc par expérience. L’aéroplane qui ne porte pas ou qui vous bouleverse n’a rien d’enlevant ou l’est trop. J’ai bien réussi quinze secondes, mais je dois avouer que ce n’est pas ma faute : c’est le vent qui a réussi à se mettre d’accord bien malgré moi avec ma vitesse et ma surface.

Résumée : il est bien difficile de réussir en s’y prenant ainsi.

Pour arriver à quelque chose de plus sensé, il faut bien se pénétrer de l’horreur que notre organisme a du vide.

Impressionné par cette idée, on arrive à se demander ce que notre instinct dirait s’il se trouvait en face d’un aéroplane dont le mètre carré, au lieu d’être chargé de 7.500 grammes, ne l’était plus que de 1.000 grammes.

Il est de fait que si on pouvait construire une pareille machine, qu’elle fût complète comme direction verticale et horizontale, l’instinct de la conservation aurait peu-à dire.

Essayé par le calme, cet appareil donnerait un arrêt de chute tellement sensible qu’il solliciterait le retour de l’expérience, la reproduction de cette sensation étrange de tombée en parachute.

La descente de 5 mètres de hauteur faite avec des aéroplanes de 12 mètres et même de 15 mètres carrés est supportable, mais n’est pas une jouissance. En tout cas, pour mon compte, j’avoue, qu’elle ne m’engageait pas à augmenter la hauteur de la chute. Avec l’appareil d’un mètre carré de surface par kilogramme de poids, il doit en être tout autrement. Quel effet produit-il ? Je l’ignore, ne l’ayant jamais construit, vu la difficulté de l’exécuter, mais j’espère bien y parvenir avant d’aller rendre compte de mes actes au grand Dieu de l’Aviation. D’autres, en tout cas, le savent. Tous ceux qui sont descendus en parachute étaient dans ces conditions de ralentissement de l’effet de l’attraction, car en pratique, un parachute est environ chargé d’un kilogramme par mètre carré et tombe de 2ᵐ50 par seconde, ce qui est insignifiant pour un homme actif.

La bête qui, en nous, regimbe devant le danger sera donc calmée ; elle envisagera petit à petit, sans épouvante, cet exercice curieux, et finira par s’y accommoder et le trouver amusant. Il ne restera plus alors qu’à voir ce qu’elle dira des autres évolutions.

Pour ne pas l’effrayer, nous supprimons le départ par la chute, car autre est de choir verticalement, lentement, la queue étalée et les ailes en avant, autre est de se lancer la tête la première dans le vide, la queue repliée et les pointes en arrière, afin d’acquérir la vitesse qui soutient. Donc, nous nous adressons à un autre mode de départ.

Par un vent de 10 à 15 mètres, les oiseaux de proie, les oiseaux de mer s’enlèvent très souvent en ouvrant simplement les ailes. J’ai parlé longuement de cet enlèvement dans un autre chapitre.

C’est ce moyen qu’il faut employer. Seulement, au lieu d’être obligé de braver l’action d’un courant de 10 à 15 mètres de rapidité, qui est un véritable vent, par conséquent difficilement maniable, on pourra très probablement, grâce à cette immense surface de 1 mq par chaque kilogramme de charge, produire cette même manœuvre par une vitesse de courant d’air de 5 mètres qui est une gentille brise qui n’effrayera pas. Cette grande surface permettra donc les évolutions du vol par un vent minime. Là est le but cherché : ne pas effrayer par la vitesse. Assurément qu’il faudra craindre les vents plus rapides et même fortement les redouter, mais, comme nous en sommes aux essais, aux premiers pas dans l’air, nous choisirons notre temps et ne nous livrerons qu’à l’action d’un vent faible et cesserons dès que l’activité du courant deviendra une gêne.

En résumé, au moyen de cette immense surface, nous atténuons le choc de tombée verticale et le rendons tout à fait supportable, puis, nous faisons passer la vitesse réelle du vent ou de translation nécessaire de 10 mètres à 5 mètres. C’est donc le choc et la vitesse diminués, c’est l’essai bénin, en chambre, que cet aéroplane nous procure.

Assurément on ne possédera pas un appareil pratique, mais on aura l’outil qui permettra d’accoutumer nos nerfs à l’acte insolite du vol auquel ils ne veulent pas se soumettre.

Comment arriver à construire un pareil aéroplane ?

Il faut que son poids soit faible ; 25 kilogrammes environ sont tout ce qu’on peut admettre de plus lourd. On est donc cerné par le poids.

J’avoue n’avoir pas absolument élucidé la question, puisque je ne l’ai pas construit ; cependant, exposée comme elle va l’être, on sent qu’on approche du but.

Gêné de beaucoup de côtés par les difficultés de construction, de résistance de matériaux, etc., j’abandonne
le type aéroplane dans lequel l’aile est construite en

deux portions reliées par une charnière, organe difficile à produire, pour employer l’aile en un seul morceau, qui est d’une construction infiniment plus simple et plus solide.

Un moyen de la faire rigide et légère est de s’adresser à un fort bambou (fig. 5), jeune, par conséquent qui n’est pas encore plein ni lourd ; se servir de cette puissante tige de 0ᵐ10 ou 0ᵐl2 centimètres de diamètre comme élément osseux de l’aile et des tiges fines qui sont sa ramure, parfaitement fixées à lui-même par la nature, comme pennes de plumes.

On peut également employer la hampe d’agave ou celle du grand fucroya spinosa, bois légers, fibreux et parfaitement résistants, qui pourront remplir ce même emploi d’ossature de l’aile.

On aura eu grand soin de choisir les bambous ou les hampes de courbes pareilles et contraires. C’est un point intéressant à soigner, si on ne veut pas être ensuite obligé de corriger constamment les défauts de marche produits par la dissemblance des plans. On arrive assez facilement à obtenir des formes correctes et semblables en prenant les bambous ou les hampes avant leur maturité. A cet état, toutes les parties ont la souplesse du bois vert. On courbe toutes ces branches fines, toutes ces tiges ; on les dévie de manière à fournir le bâti cherché. Comme elles sont fixées à la grosse tige par leur attache naturelle, elles tiennent donc parfaitement.

Ces hampes ou ces bambous ne sont jamais absolument droits ; on profite de cette courbe pour faire avec la pointe la bordure du bout de l’aile. Pour cela faire, on cintre l’extrémité et on la maintient dans cette position de ressort tendu au moyen d’une attache. On dispose ensuite les petites branches, à chaud s’il le faut, de façon à produire avec elles un bâti fixe sur lequel viendra s’étendre la toile.

Quand tout a bonne figure on laisse sécher ce bois qui conserve alors la position qu’on lui a donnée.

Enfin, on fixe sur cette carcasse un filet en cordonnet de soie, bien étiré, bien attaché aux cordes, aux branches et aux tiges. Les mailles de ce filet peuvent avoir 5 à 6 centimètres de côté. Le filet est là pour lier, par un grand nombre de points, une étoffe de soie excessivement légère, dont le poids sera d’environ 50 grammes par mètre carré.

On peut, au besoin, remplacer la soie par du papier de Chine qui n’a qu’un défaut, c’est de craindre l’eau. Huilé, il ne se mouille pas, mais perd sa propriété spéciale qui est la légèreté.

Pour obtenir le transport à l’avant ou à l’arrière des pointes des ailes, voici comment on peut s’y prendre : L’homme doit être muni d’un corselet solide (fig. 6), auquel viennent se lier les ailes. Il doit être fait en bois et en bonnes lames d’acier, le tout recouvert de parchemin bien tendu. Ce corselet a des bretelles ; il emboîte bien le thorax, sans gêner la respiration, et doit coller sur l’aviateur comme le fait un corset de femme. Ces bretelles ont pour mission de pouvoir supporter l’aéroplane sans ombre de souffrance. Du bas de ce costume partent de nombreuses courroies qui passent entre les jambes, s’attachent à de larges jarretières, à des sous-pieds et à une foule de points de tout le bas du corps. C’est donc un costume complet. Corselet et costume demandent à être un chef-d’œuvre, car ils portent l’appareil et l’aviateur ; on comprend donc qu’on doit donner tous ses soins à un organe aussi important. C’est donc affaire à un corsetier expert de mouler parfaitement les formes du sujet dans ce vêtement particulier et de construire solidement.

Le but de ce corset si précis est de relier les deux ailes au corps de l’homme. Pour cela faire, il a devant la poitrine un busc très fort qui est fait d’une large plaque d’acier sur lequel sont fixés deux crochets A A’ dans lesquels viendront se poser les armatures de fer des ailes.

Ces deux armatures sont le point délicat de cet aéroplane ; c’est à cet endroit que se produit le grand effort de suspension et souvent de suspension et de pression. Il faut donc leur donner tous les soins imaginables, car rien n’est plus mauvais qu’un appareil auquel on n’a pas une confiance absolue.

Voici comment on pourrait s’y prendre pour faire solide et léger.

S’adresser au bois avec lequel on fait les fauteuils balançoire. Ce bois se courbe au feu dans la perfection et il a une force remarquable. Produire avec deux morceaux courbes de ce bois, reliés entre eux d’une façon parfaitement solide l’organe ci-dessous.

En A A’ sont les deux crochets fixés, rivés à la plaque d’acier qui fait le busc du corset. Ce sont deux morceaux d’acier qui supportent l’aviateur, donc il faut leur donner tous nos soins. On aura, au reste, l’occasion de les essayer nombre de fois en chambre avant de s’en servir sérieusement, et on aura sur leur solidité une idée absolument faite. Sur ces deux crochets faisant âme de charnière, les deux ailes peuvent se mouvoir en avant ou en arrière.

Au point B, se trouve un autre ajout. Ces deux bois que nous venons de décrire, reliés ensemble dans la perfection, ne faisant qu’un, ont à se joindre au bambou. Cela est assez facile, grâce au creux évidé du bambou dans lequel il est facile de les loger d’une façon précise. Ces deux raccords demandent un ajustage parfait, des garnitures légères mais énergiques, et des colles qui ne lâchent pas.

Voyons maintenant comment se produit la direction verticale.

L’aviateur a son corset ; les deux ailes y sont fixées et retenues par leurs écrous. Elles peuvent donc avancer ou reculer à se toucher à l’avant et également en arrière.

Si la construction se bornait là, il arriverait ceci, c’est que les ailes, dès que l’horizontalité ne serait pas absolue, tomberaient par leur propre poids en avant ou en arrière ; peut-être même une en avant et une en arrière ; il faut donc régler ce mouvement intempestif qui occuperait constamment les mains et l’attention. Pour cela faire, on peut se servir de la rubrique suivante :

L’aile, du côté du corps, est terminée par un bambou solide, diamètre 0,03 à 0,04. Il est fixé à la tige du flox, la hampe d’agave ou le gros bambou au moyen d’une ligature en fer blanc le tenant en position d’une manière absolument rigide. Ce bambou long comme les autres pennes dépasse au contraire en avant d’une longueur d’un mètre. On se sert des deux extrémités de ce bambou pour l’immobiliser au moyen de cordes solides, qui vont s’attacher au loin dans les parties solides de la pointe de l’aile. Il fait donc légèrement l’arc sous le tirant des deux cordes, mais il est devenu absolument rigide, étant fixé au milieu par sa ligature solide en fer blanc fort et vigoureusement soudé et par les deux ou plusieurs cordes qui tirent fortement.

Il y a donc deux bambous pareils que l’aviateur peut toucher en tendant les mains, un à chaque aile. On relie les deux bouts qui dépassent d’un mètre en avant par une corde en caoutchouc grosse comme un porte-plume et les deux bouts d’arrière par un pareil caoutchouc. Ces deux cordes élastiques sont fixées avec une tension étudiée, telle, que ce mouvement en avant ou en arrière des ailes est exactement entravé. Il faut que les ailes pendues verticalement n’accusent pas de mouvement bien sensible, n’obéissent presque pas à la pesanteur. Si un caoutchouc ne suffit pas, cm en met un second, jusqu’à ce qu’on ait entravé complètement la possibilité de ce mouvement.

Les ailes sont donc immobilisées tant qu’elles ne sont attirées que par l’attraction, et c’est ce qui est cherché, mais il faut cependant pouvoir produire des mouvements et en avant et en arrière. On y parvient en attirant ou en repoussant les ailes avec les mains, soit en tenant les tiges des bambous d’arrière, soit en tirant sur les cordes de caoutchouc qui sont tendues transversalement devant et derrière l’aviateur. On trouble donc par sa force personnelle cet équilibre de tension des cordes élastiques.

Il s’agit maintenant de rendre d’autres mouvements impossibles, tels que, par exemple : un transport exagéré des pointes en arrière qui produirait une chute qu’on ne pourrait plus entraver, ou encore un transport excessif des ailes en avant qui ferait tomber l’aéroplane en arrière. On y parvient en attachant à ces deux bambous, non plus des cordes élastiques, mais au contraire de véritables cordes, parfaitement solides, incassables, à triple exemplaire, qui, celles-ci, n’arriveront à être tendues que quand ce mouvement de va-et-vient de l’aile arrivera à l’amplitude extrême qu’on veut permettre. Elles faciliteront en même temps l’intervention des mains. Effectivement, l’aviateur aura devant et derrière lui, une espèce d’échelle dont les bambous formeront les montants ; et les six cordes à l’avant et autant à l’arrière feront les échelons sur lesquels une traction communiquera un mouvement d’avance ou de recul à la pointe des ailes.

Il est clair que toutes ces cordes, élastiques ou non, doivent être réglées comme longueur et comme tension de la manière la plus précise. Le tout doit être d’une solidité à toute épreuve, malgré que nous n’ayons affaire qu’à un appareil d’expérimentation. C’est, au reste, pour cela, que nous nous permettons des ressorts de caoutchouc qui gèlent, qui brûlent au soleil, mais qui cependant sont suffisants pour produire un essai sérieux.

Dans la tension des cordes en caoutchouc, il faut viser à mettre les ailes dans une position telle, à trouver par une série d’expériences préliminaires, que l’aéroplane et sa charge fonctionne bien dans l’espace. Il faut donc que les caoutchoucs, non seulement détruisent par leur tenue les effets de l’attraction, mais aussi la légère action de traînement de l’aile dans l’air.

Il faut, avant de se décider à remplacer le corps qui représente comme volume et comme poids l’aviateur, que l’angle de course de 10 degrés environ de chute ait été fourni un grand nombre de fois ; alors seulement, on peut songer à le remplacer. Dans ces conditions, on sait une chose et qui doit être certaine, c’est que, par le calme, en n’intervenant en rien, on possède l’équilibre vertical ; et c’est déjà un point intéressant qui est tranché.

Cette étude préliminaire de l’angle des ailes qui procure une course régulière de chute minime, doit être faite au moyen de la tombée verticale de l’aéroplane et de sa charge. Pour cela faire, il faut prendre l’appareil par l’arrière, admettons pour la simplicité de l’exposé que ce soit par la queue, d’une hauteur que j’estime à au moins 25 mètres. L’aéroplane pendu la tête en bas est abandonné à la chute.

Il tombe donc, mais se retourne lentement, c’est-à-dire se met à courir sur les creux de ses ailes, si elles ont été mises légèrement en V, et non sur le dos. L’angle utile de ce V me semble être de 170 degrés entre les deux branches du V ; c’est presque l’horizontale, mais c’est plus que suffisant. Il se retourne donc, et arrive à glisser horizontalement, après 25 mètres de chute, si l’angle précis, nécessaire à cette évolution, a été trouvé du premier coup.

Admettons, ce qui sera assurément, que cet angle ne soit pas juste. Il sera ou trop fort ou trop faible. S’il est trop fort, c’est-à-dire si les pointes des ailes sont trop en avant, l’aéroplane se retournera bien avant d’être tombé de 25 mètres. Non seulement, dans ce cas, il atteindra rapidement l’horizontale, mais la dépassera de suite. Arrivé au sommet de la montée, il rechutera pour remonter encore, pour remonter et retomber, et ainsi de suite. La course qu’il produira ne sera donc pas une droite, mais sera la ligne du haut de la figure 7.

J’ai éliminé le cas où les ailes auraient été tellement portées en avant qu’elles auraient forcé l’aéroplane à produire une série de révolutions sur lui-même.

L’aéroplane ne produit donc que des ressauts. Pour corriger ce défaut de marche, il suffit de régler les ailes de manière à ce que l’angle soit légèrement plus aigu. Nous reproduisons, alors, comme marche, la seconde

ligne de la figure 7. C’est déjà mieux. En portant de plus en plus les pointes en arrière, nous arrivons à produire des chutes de plus en plus régulières, dont le graphique sera la troisième, la quatrième et finalement la cinquième ligne de la figure 7.

Là, nous y sommes ! c’est la marche cherchée, rectiligne et sans le moindre ressaut : par le calme.

Reste l’autre cas, c’est-à-dire celui dans lequel l’angle comme première expérience est trop aigu. — Là, il n’y a pas d’erreur, c’est la continuation de la chute la tête la première. Le relèvement s’indique, c’est vrai, mais dans les 25 mètres, il n’a que le temps de se figurer plus ou moins et non de se produire. L’aéroplane va donc piquer une tête dans l’eau.

Pour corriger cette mauvaise marche, il faut reporter un peu les pointes à l’avant, lentement, et on obtiendra alors, par une série d’expériences à l’inverse des précédentes, des chutes de plus en plus relevées qui ramèneront à la course rectiligne.

Il convient, pour ne rien briser, de construire auparavant un petit aéroplane, parfaitement semblable au grand, en carton et papier, et d’expérimenter avec lui. Quand l’angle pratique est trouvé, on le reproduit vigoureusement sur le grand aéroplane ; on est sûr alors de n’être pas bien loin de compte. On peut dire que c’est comme tournure quelque chose comme l’aéroplane qui serait entre le n° 2 et le n° 3 de la fig. 8 (patge 328).

Cet angle trouvé, fixé par les élastiques d’une manière précise, ne correspond qu’au calme absolu. S’il y a du vent, l’action de ce courant d’air produit le même effet sur l’aéroplane que si les pointes étaient trop portées en avant ; c’est là que la vie doit intervenir. Pour détruire cet apport de force, il faut que l’aviateur transporte de force ses pointes à l’arrière ; et ce transport devra être d’autant plus accentué que le vent sera plus actif.

Une fois l’angle des ailes établi, pour produire dans l’air calme la chute la plus minime et la course absolument rectiligne, voyons comment on devra expérimenter pour le départ ou l’enlèvement par le vent, acte de vol bien moins effrayant que la chute de 25 mètres de hauteur.

Du premier coup, il s’agit d’intervenir à outrance, c’est-à-dire tirer à fond sur les cordes d’arrière afin de porter le plus possible les pointes des ailes à l’arrière.

On peut poser comme principe, par rapport à cet aéroplane particulier, que devant un courant aérien de 30 mètres de vitesse, les ailes complètement portées à l’arrière, ne seraient pas un déplacement suffisant du centre de pression pour équilibrer ce courant ; l’appareil serait enlevé. Par 25 mètres, par 20 mètres, le même effet serait produit très probablement. Ceci nous indique que ce sont des courants auxquels il ne faut pas s’exposer, parce que l’aéroplane n’est pas disposé pour pouvoir leur tenir tête. L’oiseau peut diminuer sa surface jusqu’à fermer les ailes, cette manœuvre ne nous est pas permise. Là, est la différence.

Mais c’est le cas extrême qui est exposé là.

On aura grand soin de n’expérimenter que par des vents de 10 mètres au plus. A cette vitesse de l’air, les ailes portées en plein à l’arrière seront un déséquilibrement suffisant pour pouvoir rester à terre. Tel est du moins l’enseignement que fournit l’oiseau, quand on l’étudie dans ce cas spécial.

Pour être enlevé, il s’agira seulement de moins tirer sur les cordes. En tirant moins, les pointes reviendront toutes seules à l’avant de la quantité que leur permettra la traction. Quand elles seront assez à l’avant, l’enlèvement se produira.

Pour tirer commodément sur ces cordes de l’arrière, il conviendra de les faire correspondre à l’avant, par un moyen adroit, tel que deux poulies par exemple sur lesquelles passeront des cordes se reliant aux élastiques qui font échelons ; elles seront ainsi à la main et la traction sera bien plus facile à opérer.

Si l’expérience présente pouvait se faire par un courant absolument régulier, l’enlèvement serait absolument précis quand les ailes arriveraient à atteindre comme position en avant le point utile ; mais l’air n’a jamais des vitesses régulières ; c’est pour cela qu’il faut la vie pour parer à tous ces écarts de rapidité de l’onde aérienne.

Avec un courant parfaitement ponctuel comme vitesse, on pourrait songer à obtenir l’enlèvement automatique, mais il n’en est pas ainsi ; l’irrégularité commande l’appréciation instinctive de nos organes ; c’est ce qui fait, qu’au moins pour commencer, la mécanique automatique doit être laissée de côté.

Afin de donner de la stabilité à l’appareil, pour éviter le tour de force de l’équilibre instable perpétuel des oiseaux sans queue, pour fournir un troisième point d’appui tout à fait commode à utiliser, on doit construire un appareil caudal. Il faut partir de ce principe que, par un vent actif, la queue est toujours fermée chez l’oiseau. L’être qui sait voler ne l’étale, ne commence à s’en servir, ne l’utilise en un mot, que quand le vent diminue et arrive à avoir moins de dix mètres de vitesse, ou que sa vitesse n’est que de dix mètres, ce qui est toujours tout un.

C’est donc un organe de vol lent.

Une queue étalée par un frottement d’air de plus de dix mètres est un contre-sens, c’est pour cela que je m’occupe peu de cet organe dans le vol de parcours. Elle est indispensable dans le vol lent qui est le cas présent, mais est au moins inutile dans le vol rapide ; la preuve en est qu’une infinité de fins volateurs n’en ont pour ainsi dire pas : canard, oie, pélican, flammant, puffin, albatros, enfin tous les oiseaux qui ont les ailes étroites.

Ce serait bien le cas d’émettre l’aphorisme suivant :

L’oiseau qui a l’aile étroite n’a pas de queue, et celui qui l’a large a la queue très développée, témoin les gallinacés, les passereaux, corbeaux, etc.

Comme nous n’avons qu’un désir, c’est d’aller le plus lentement possible, elle est donc obligatoire dans cet aéroplane et doit même avoir une réelle importance.

La queue devra être produite par l’allongement des deux barres de l’arrière. Ces deux finales de l’aile du côté du corps de l’aviateur, devront faire les deux tiges rectrices de la queue, et cela en laissant leurs bouts fins s’allonger d’un mètre et demi plus loin que le bord de l’aile. Je ne les ai séparés, coupés momentanément que pour rendre la description de l’appareil plus facile.

Cette queue, comme on la voit indiquée dans les figures de La planche 8, est donc nulle pour les grandes vitesses, augmente de surface à mesure que la rapidité du frottement d’air à supporter devient moins forte et finalement par le calme absolu, vent 0, arrive à son plus grand développement. C’est alors, l’allure du planeur, toutes voiles au vent, présentant à la brise, trop faible pour le porter, jusqu’à la dernière de ses plumes de support.

Dans la direction verticale de cet aéroplane, c’est-à-dire évolutions faisant monter ou baisser l’appareil, on peut donc dire qu’il n’y a que deux manœuvres, et qui ne sont jamais simultanées : ouverture et fermeture des ailes. Une seule traction pour l’un ou pour l’autre de ces actes, et cette traction pourra très facilement, si on le juge nécessaire, commander du même coup l’enlèvement ou l’abaissement de la queue.

La direction horizontale, c’est-à-dire l’organe qui permet de se diriger dans un plan horizontal, est visible sur le dessin 3 en A. Comme on le voit, il est composé d’un plan spécial situé où sont les plumes annulaires dans l’oiseau. Cette surface est garnie de lames minces de jonc, parfaitement souples, recouvertes comme le reste de l’aéroplane.

Il s’agit pour se diriger horizontalement, pour gêner la translation d’une aile, pour qu’en un mot elle aille moins vite que l’autre, de gauchir par une traction

opérée au point cette portion de la surface portante,
afin de se procurer un retard de glissement. Une simple

corde courant dans de petits anneaux produit cet effet. Cette corde vient aboutir à portée des mains dont l’ouvrage presque spécial sera d’avoir à fournir à ce genre de direction. La direction verticale qui demande beaucoup plus de force devra être faite par les jambes qui sont inoccupées ; les mains auront donc relativement beaucoup de liberté.

Il va de soi que ce plan directeur n’est libre et souple que de haut en bas. Quand il n’est pas en action, il doit porter tout comme le reste de l’aile. On doit donc l’empêcher de courber en haut sous l’action de la pression de l’air. On y arrive tout simplement en laissant continuer le bâti et le filet contre lequel il viendra se plaquer ; seulement cette portion de la surface qui est un organe à part n’y est pas attaché.

Voici copie de quelques spéculations sur les dimensions à donner à cet aéroplane à grande surface, mais nullement pratique, je le répète, et les moyens de le construire.

La figure 8 représente cet appareil sous quatre allures.

1° Vent le plus violent que l’aéroplane peut supporter ; c’est la position à avoir pour résister au courant aérien. Queue nulle, complètement fermée, charge absolument à l’avant ; il faut donc pour être enlevé à cette allure, malgré la grande surface de cet appareil, un vent qu’on peut estimer à environ dix mètres de rapidité. Il est déjà dit que, au delà de cette vitesse de courant, on doit s’abstenir de toute expérimentation. Il y aurait à craindre l’effet suivant qui se produirait certainement : l’aéroplane serait enlevé, pointerait en l’air, repiquerait en avant, et si, à cet instant, la manœuvre juste n’était pas faite, la chute serait très rapide. On pourrait la parer en possédant bien le sentiment du vol ; il s’agit seulement de laisser aller les pointes en avant, la chute serait arrêtée net, mais, en somme, quoique ce soit une manœuvre ordinaire, elle serait tellement exagérée qu’elle deviendrait dangereuse.

2° Dans ce croquis, on a déjà la compréhension de la stabilité de cet appareil. C’est la tournure de marche du planeur par le vent moyen. C’est sous cet aspect qu’on le voit généralement.

3° Tournure de l’aéroplane par le vent de cinq mètres. La queue se développe et entre en action ;

4° Air immobile. Aspect du grand vautour produisant des orbes dans lesquels la chute est excessivement minime et attendant l’arrivée de la brise qui le rehaussera. Comparez, ce croquis à l’ombre du gyps fulvus. Je n’ai pu faire plus ressemblant.

Voyons du premier coup ce qu’on peut rêver de plus grand comme surface.

Voici quelques notes précises qui vont nous être utiles.

Je possède les bambous suivants dont voici les mesures et les poids :

Longueur 8ᵐ10 Poids 6762 grammes
3ᵐ80 1190
3ᵐ68 1050
3ᵐ68 850

Les pointes de ces quatre exemplaires sont coupées ; ils pourraient facilement avoir cinq mètres de longueur sans peser beaucoup plus. Ils sont exactement secs. A l’état vert, leur poids est au moins double de celui qu’ils ont quand ils sont complètement desséchés.

Le premier de ces bambous est le bambou gigantea des îles de la Sonde, il atteint souvent 25 mètres de hauteur et a 0.30 de diamètre. Les trois autres sont la variété commune ; ils ont poussé dans l’alluvion du Nil.

Je me suis aperçu, en utilisant des bambous du midi de la France, que la ténacité, l’élasticité et la légèreté de ce végétal varient beaucoup. Ceux qui poussent en Egypte sont infiniment plus résistants et beaucoup plus légers. La nature du sol dans lequel ils croissent et, peut-être, l’action du climat doivent fortement influer sur ces qualités.

L’âge auquel est coupé ce végétal a aussi une grande importance ; un bambou très jeune n’a presque pas d’épaisseur. Quand il est bien sec, il se déforme assez souvent, sans cependant casser. Cette déformation lui sort peu de sa force. Il est alors d’une légèreté qui surprend. Un sujet pareil âgé de trois ans, doit peser certainement cinq fois plus que celui qui est coupé l’année de sa croissance. Plus âgé, les vides intérieurs diminuent, et cette tige prend alors une densité qui est au moins égale à celle du chêne.

Il est donc possible de construire le bambou suivant en ajoutant ensemble deux bambous d’espèces différentes :

 Prendre 5 mètres de la partie utile du bambou géant, partie qui pèserait environ 4 kilogrammes, auquel on ajouterait un bambou plus mince du genre du type n°2, auquel on laisserait sa pointe fine. Il aurait facilement 5ᵐ50 de longueur pour un poit de 6 kilogr. Soit pour deux


12.000



gr.
Ajoutons pour les petites ramures diverses des ailes 2.000
L’appareil qui lie l’aéroplane au corset, bois et métal 1.500
Les deux bamous de l’arrière des ailes 2.500
Les cinq rectrices de la queue 2.500
Les cordes de caoutchouc 2.000 gr.
Le corset 2.500
Filet, cordes de tendue et papier de Chine 2.000
Divers 1.000
 Poids de l’aviateur 55.000

Total   83.000

Qui sont supportés par :

Envergure 21 mètres plus 1.50 (appareil liant l’aile au corset) soit 22,50. Largeur de l’aile 6 : 1=3,75 ; ce qui produit pour la surface des ailes 84mq37
Queue=1/3 de la surface des ailes 28mq12

qui font un total de    112mq49

Le mètre carré est donc chargé de 738 grammes. C’est presque la nyctionome !

Si nous tenons compte des surfaces que l’on peut ajouter en B. fig. 5 ; nous arrivons à la charge de cette chauve-souris qui est de 637 grammes.

C’est donc l’excessif dans la légèreté, mais cet appareil n’a aucune tenue ; ces bras de levier de 11ᵐ25, chargés chacun à leur extrémité de la moitié de 55 kilog. font que tout plie et se déforme. Ce n’est donc pas pratique.

Cependant, il y a un moyen de tourner cette difficulté.

La première idée de cet appareil d’essai était, afin de mettre toutes les chances de notre côté et d’éteindre autant que faire se peut les difficultés de construction, de s’adresser à l’enfance. Effectivement, les différences de poids entre l’adulte et l’enfant vont du simple au double, soit : 60 et 30 kilog. ; masses auxquelles correspondent des diminutions de surface proportionnelles. Cela diminue beaucoup l’envergure qui est l’écueil sérieux de ce problème. Les deux bambous qui font l’ossature du présent aéroplane, qui plient d’une façon qui les rend inutilisables sous les 60 kilog. qui font le poids de l’homme, reprennent une courbure pratique sous celui de 30 kilog., poids de l’enfant.

Mais l’enfant a de grands défauts, il manque de jugement, de hardiesse et de réflexion. Il faut une éducation spéciale et de longue haleine pour arriver à lui faire comprendre que l’air porte et qu’on peut patiner sur lui comme on le fait sur la glace.

Voyons maintenant quelque chose de plus pratique.

Servons-nous de bambous de 6,25 seulement de longueur ; soit 12,50 pour les deux, auxquels nous ajoutons 1,50 de charnières. Ce qui fait une envergure de 14 mètres. Nous avons donc :

Largeur de l’aile 6 : 1=2,33.

Soit donc, surface des ailes 32mq62
Queue 1/3 de la surface des ailes 10mq87
Surfaces ajoutées à l’avant et à l’arrière, soit une demi-aile 8mq15

Total  51mq64
Qui sont chargés du poids de l’aviateur 55 kilog
Et de celui de l’aéroplane, soit 25

Total  80

Le mètre carré est donc chargé de 1.545 grammes. Ce n’est pas le kilogramme promis par mètre carré, mais c’est un appareil qu’il est possible de construire ; en tous cas c’est la charge des oiseaux extra-légers : alouette 1.592, hirondelle de cheminée 1.564 grammes.

Il y aurait assurément à s’entretenir d’une foule d’autres évolutions possibles avec cet aéroplane tout ankylosé qu’il est. Ainsi, il est possible de lui faire produire toute la série de manœuvres suivantes :

Aile gauche en avant et aile droite en arrière et vice versa, à tous les développements et fermetures possibles auxquels on peut joindre le retard de mouvement de translation horizontale, soit d’un côté, soit de l’autre. Il est facile, en réfléchissant, d’entrevoir la complication de mouvements qui résulte de ces déséquilibrements et directions différentes.

La queue, elle-même, entrant complètement en action, produit des combinaisons d’effets très singuliers. Pour la rendre apte à produire ces évolutions utiles de direction, il faut lui permettre d’autres mouvements que ceux de la verticale. On y parvient très facilement au moyen d’une série de cordes minces s’attachant à chaque pointe de bambou, et se réunissant devant l’aviateur en un faisceau organisé pour le mouvoir facilement.

L’enseignement fourni par l’oiseau va assurément bien au delà de ce qui est écrit dans ces deux ouvrages [32] ; le maître-voilier n’est pas avare de leçons. Ce serait à ce point précis que devrait-être placé le chapître qui a nom « Du vol théorique » [33] ; mais en y réfléchissant mieux, en jugeant sainement l’absence complète de savoir de l’aviateur, son ignorance forcée de par le manque de sujets d’étude, en voyant avec quelle incrédulité on a accepté le vol à la voile, décrit dans l’Empire de l’Air, il semble qu’il convient de s’arrêter là.

Cette fraction de savoir du vol du planeur, dans lequel les deux pointes des ailes ont des mouvements similaires comme avancement ou recul, suffit amplement pour arriver à produire les premières démonstrations. Dès qu’elles auront été produites pratiquement, elles lanceront à toute vitesse les réflexions des aviateurs dans cette voie, où ils n’osent actuellement s’engager faute d’exemples ; alors les recherches des manœuvres nouvelles seront de tous les instants, et la perfection du vol arrivera rapidement et dépasserai assurément de bien loin le chapitre du vol théorique qui a si fort prêté à la critique.


AÉROPLANE A MOTEUR


Poussé d’un côté par mon inactivité et de l’autre par le désir de pratiquer l’aviation, je reprends à nouveau le chapitre Aéroplane à moteur, de l’Empire de l’Air, seul moyen qu’il me reste de produire le vol à la voile. Je le simplifie et je dis qu’il est bien difficile de concevoir la possibilité de faire ramer des ailes de 25 à 30 mètres d’envergure. Le battement produirait sur une pareille longueur des mouvements élastiques bien intempestifs, qui assurément seraient d’un grand danger pour la solidité. Arrivé à cette grandeur, l’élasticité des corps d’une part, la charge de l’appareil qui fait levier de l’autre, produisent des effets qu’il faut avoir vus pour s’en rendre compte.

Il convient donc de ne pas penser au battement, le problème de la construction d’un aéroplane fixe, c’est-à-dire dont les ailes sont immobilisées, est déjà assez compliqué pour commencer.

J’ai déjà dit que le battement des ailes n’est pas obligatoire pour enlever un appareil, la force du vent suffit à produire ce départ. Seulement il faut un courant d’air très vif, qui ne se rencontre pas tous les jours, surtout à la surface du sol. Je pense donc qu’en procurant un instant à un grand appareil qui peut flotter une vitesse de 10 mètres à la seconde, les ailes quoique fixes pour- ront enlever l’aéronef au moyen d’un simple changement de place du centre de gravité qu’on recule en portant les pointes des ailes en avant.

Ce départ insolite sur lequel est basée cette expérience, peut être observé en Europe, malgré la rareté des voiliers. L’aviateur qui voudra le voir se produire, pourra étudier les goélands et les mouettes posés sur l’eau, quand il fait un grand vent. Dans Paris même, on peut voir l’enlèvement sans élancé. Il faut pour cela, un jour où le vent est très actif, monter à la tour Notre-Dame. Cette tour où sont les cloches n’est pas habitée par les oiseaux, mais l’autre avait de mon temps, le beau temps où j’étais étudiant, beaucoup de choucas. En 1881, ils y étaient encore. Par les grands vents, tous les oiseaux du genre corvus semblent jouer. Cette activité de l’air leur procure une gaîté folle ; ils se livrent à des exercices bizarres, montent, descendent, se poursuivent, semblent jouer aux barres, et très souvent, dans ce cas, ce genre de départ se produit. L’oiseau est perché, le bec au vent, se retenant fortement avec lies griffes, afin de n’être pas emporté, et pour se mettre au vol, il se contente d’ouvrir légèrement les ailes. L’élancé des pattes est dans ce cas très souvent nul. L’oiseau s’élève sans frapper l’air et est à l’instant en plein vol.

J’ai encore observé le même fait aux ruines de la Cour des Comptes où il y avait également des choucas.

C’est un spectacle que je ne manquais jamais de m’offrir autrefois. Je demeurais dans l’Ile ; de mes fenêtres je voyais les tours, et à chaque grand vent du Nord, je faisais l’ascension dans le seul but d’aller voir exécuter cet exercice qui est très rare par d’autres temps.

L’aviateur, qui est prévenu, verra de suite cet acte de vol. Il ne sera pas exécuté d’une manière rigoureusement précise, parce que le choucas est trop léger, mais enfin, il se convaincra que, dès que l’air a une rapidité suffisante et qu’il agit sur un aéroplane pesant, ce genre d’ascension peut se faire.

Plus tard, quand il se trouvera en face d’un voilier lourd, il pourra se délecter à la vue de cette ascension majestueuse dans sa singulière lenteur. L’aigle, ce grand maître, non seulement s’y livre assez souvent, mais même y ajoute parfois le coup de pouce : il s’élève et avance lentement contre le vent.

Je me souviens d’une observation de ce genre d’enlèvement qui m’a fortement irrité. Je suivais en plein été un canal de la Basse-Egypte ; j’allais de l’autre côté, en face, à quelques centaines de mètres et il me fallait faire encore une grande heure de route pour traverser l’eau à l’écluse, et autant pour revenir. Il était onze heures, l’astre, infiniment trop radieux, inondait le pays de ses rayons d’un éclat insoutenable. La chaleur était torride, mais était cependant presque soutenable grâce à la brise de mer qui était très active. Je suivais donc avec une philosophie forcée cet interminable canal, quand je fis lever un grand faucon qui était posé sur la berge que je suivais. Il partit presque de mes pieds, ouvrit simplement un peu les ailes au vent qui venait de l’autre bord, avança contre le courant avec une lenteur de moins d’un mètre à la seconde et aborda paisiblement sur l’autre côté du canal sans avoir produit l’ombre d’un battement.

La manœuvre était splendide de simplicité. Dans cette traversée, le faucon faisait l’acte impossible, l’avancement, contre le vent, sans élancé et sans effort ; c’était un remarquable exemple de ce qu’on nomme l’aspiration. Mais ce qui me rendit furieux c’était de comparer ma course pénible et sans fin à cette traversée d’un bord à l’autre faite avec si peu d’effort.

Qu’avait fait l’oiseau en somme ? Rien qu’étendre les ailes, tenir tout à fait ses pointes a l’arrière, se soutenir, et l’attraction, en lutte avec le vent, avait fait le reste. Il n’avait assurément pas pris chaud à exécuter ce passage, et moi, je n’en pouvais pas dire autant.

Aussi, comme tout le long de la route je maugréais contre l’ineptie de l’homme qui n’ose pas songer à l’aéroplane, parce qu’il est effrayé par l’énorme force qu’il se figure être nécessaire pour s’enlever et se diriger surtout contre le vent.

Toutes ces leçons de l’oiseau, nous permettent de dire qu’un aéroplane fixe, animé sur l’eau d’une vitesse de 10 mètres environ à la seconde, ne pourra réussir cette manœuvre qu’à la condition d’avoir les pointes des ailes portées exactement à l’arrière, et que le transport des ailes à l’avant, dans la position du vol ordinaire moyen, suffira, non seulement pour l’enlever de l’eau, mais même pour le projeter assez haut en l’air pour que l’appareil se trouve dans des conditions rationnelles de planement.

Le tout est d’avoir un appareil pouvant être propulsé avec une vitesse de 10 mètres à la seconde contre un vent moyen.

Voici une ébauche de cet aéronef, tel que je le conçois. Je vais essayer de la présenter sous sa forme la plus simple[34].

Je conserve cette carcasse d’osier sous laquelle est fixée une feuille d’aluminium. L’ensemble de ce bateau ressemble à une grande carapace de tortue de mer dont le côté arrière fait l’avant du flotteur. Le tout est presque plat et n’enfonce que de 0ᵐ10 au plus dans l’eau ; la surface de flottaison est grande, c’est 4 mètres de longueur sur 3 mètres de largeur ; cela fait l’effet d’un grand bouclier flottant.

Au milieu de ce bateau plat est fixé un bâti puissant.

Là, j’hésite entre deux corps pour le construire : l’aluminium et le nambag (Ambatch) (herminiera) Schweinfurth.

Avec des feuilles d’aluminium de 0ᵐ03 d’épaisseur on ferait un bâti creux très solide et assez léger. Avec des troncs de nambag collés ensemble, puis le tout verni avec un vernis sec et dur comme celui des Chinois, on aurait un assemblage très fort aussi et bien léger. Là, je crois qu’il est prudent d’essayer les deux manières et de choisir la meilleure.

Ce bâti a pour mission de porter :

1° Une machine rotative excessivement simple et légère. L’aluminium est tout indiqué. Cette rotative est quelque chose comme la machine de ce genre de Wath, mais plus simple encore. Elle actionne les pattes qui sont deux barres d’acier aux bouts desquels sont les pieds palmés qui font office de rames.

2° Un réservoir à gaz comprimé.

3° L’organe dans lequel fonctionnent les barreaux d’acier pour produire les pas. C’est une douille très fortement enclavée dans le bâti, car c’est ce point qui supporte tout l’effort que produit la machine.

4° Enfin, de porter les deux bras des ailes qui sont fixés en position de vol et aux extrémités desquels sont liées par des charnières les deux grandes surfaces mobiles qui représentent les mains de l’oiseau. C’est cet organe variable de position et de courbure qui produit les deux directions qui permettent le vol des voiliers.

Reprenons donc en détail cet aéronef intéressant pour tout individu qui ne peut se livrer aux exercices relativement violents que demande l’aéroplane simple.

Le danger dans cet appareil est bien moindre que dans l’aéroplane personnel à grande surface. Le départ et l’abordage sur l’eau évitent les chocs et le départ effrayant par la plongée dans le vide, exercice obligatoire toutes les fois que le vent est insuffisant. L’enlèvement et l’atterrissement sont progressifs et c’est là un fait heureux au point de vue de l’accoutumance de nos nerfs.

Nous sommes donc sur l’eau, dans un grand bouclier plat qui a des pattes de palmipède pour le mouvoir et deux grandes et vastes ailes suffisantes comme surface pour porter l’appareil, mais qui ne peuvent pas frapper l’air. Pour faire planer un aéronef aussi impotent, nous avons vu qu’il faut lui procurer, par un temps calme, au moyen des pattes, une vitesse de 10 mètres à la seconde. Une fois cette vitesse acquise, la surface porte, l’appareil peut, au moyen d’un avancement plus ou moins grand des pointes, du bout des mains si on peut s’exprimer ainsi, produire les évolutions suivantes : Un léger avancement plus accentué produit un relèvement plus fort, et ainsi de suite, jusqu’à l’ascension verticale, et si ce transport à l’avant est suffisant, par cette vitesse de 10 mètres, l’évolution peut aller jusqu’au tour complet de l’appareil sur lui même.

C’est tout ce que peut faire cet aéroplane sans battement par le calme. L’acte de vol le plus heureux, dans cette circonstance d’atmosphère sans mouvement, est un léger enlèvement de l’appareil qui n’use pas toute la vitesse produite par les pattes. Dans ce cas il se produit une glissade descendante, sous un angle très minime, qui va en progressant jusqu’à atteindre 10 degrés sur l’horizontale, et qui finit sous cet angle par l’affleurement de la surface de l’eau.

C’est la manœuvre la plus heureuse. L’ascension verticale produit une chute presque verticale ; le parcours est donc nul. Le tour complet sur lui-même est une fausse manœuvre qui doit être très dangeureuse.

Mais qu’au lieu du calme, il y ait un mouvement de l’air de 5 mètres environ, l’effet produit est complètement différent. Cet appareil sous l’action de la puissance de ce courant vivificateur, de cette force qui est un apport étranger à lui-même, arrive à être en plein acte de vol. Non seulement il est supporté par l’air, mais il peut puiser dans cette source de puissance la force qui l’élèvera et lui permettra de reproduire les manœuvres qui sont analysées au chapitre « Aspiration » qui sont le nec plus ultra des actes de vol des voiliers. C’est le vol sans battement qui s’établit.

Pour que ce fait fût faux, il faudrait que l’observation fût fausse, ce qui est impossible ; son explication serait-elle absolument erronnée que le fait n’en resterait pas moins un jalon absolument fixe et exact auquel on peut se fier bien plus sûrement qu’à toutes les analyses possibles.

L’expérience, la preuve à donner que l’aéroplane peut voler consiste donc à construire l’appareil que je décris : qu’on arrive à produire cette vitesse de translation de dix mètres contre le plus léger vent, qu’on porte les pointes en avant et on verra bien si la preuve se fait, si l’enlèvement se produit. Les dangers sont nuls ; il n’est pas nécessaire de s’élever beaucoup : deux ou trois mètres sont suffisants, on verra bien, et sans rien risquer, si on peut arriver à neutraliser, au moyen de l’utilisation adroite de la force du courant, cette chute inéluctable par le calme d’un angle de dix degrés.

On ne pourra arguer dans ce cas des dangers à courir, de la non suffisance de l’activité humaine, la manœuvre est simple et lente. Il y aura assurément à acquérir le tour de main juste ; on ne réussira pas du premier coup, mais en procédant avec douceur, en portant successivement, et de plus en plus les pointes en avant, on obtiendra : d’abord un soulagement de l’appareil, puis son enlèvement d’une quantité aussi minime qu’on le voudra, puis, s’enhardissant petit à petit, on s’élèvera davantage, et tout cela progressivement, sans rien brusquer, ni rien risquer.

Il n’y a donc aucun danger, en expérimentant avec prudence ; ceci est indiscutable. Reste à savoir si on s’enlèvera. Si on ne s’enlève pas, le danger n’existe pas et j’ai dit faux ! Si on s’enlève avec prudence, j’ai dit vrai et on ne court aucun danger.

Que ceux qui sont en position de construire cet appareil le fassent, ils n’ont à risquer qu’une perte de temps et d’argent. Il est beaucoup de gens pour qui ces deux pertes sont négligeables, je puis leur assurer, que les oiseaux ne mentent pas, que j’ai bien vu, et qu’ils réussiront.

Voici les détails de cet aéronef.

Cherchons d’abord la machine propulsive, qui procurera à l’appareil ce mouvement en avant de 10 mètres à la seconde, car la question aviation est hors de cause, ou l’Empire de l’Air et le Vol sans battement sont des œuvres creuses et insensées.

A quel moteur nous adresserons-nous ?

Pour répondre il faut auparavant bien se persuader, bien comprendre la nature de l’effort à produire. Ce que nous désirons, c’est faire faire aux pattes palmées une quinzaine de pas au plus ; davantage est inutile. Ce vaste bouclier doit être d’abord propulsé, puis peu à peu non seulement poussé en avant mais soulevé par les pattes. (L’appareil dessiné fig. 31 de l’Empire de l’air, peut produire ces deux effets). Nous y reviendrons au reste, ici nous cherchons le moteur de ces pieds palmés.

Que nous donnerait l’électricité, si à la mode aujourd’hui ?

Rien de ce que nous désirons assurément. Les accumulateurs Renard, Demazure et ceux qu’on cherche ont précisément les propriétés contraires de ce que nous désirons. Leur action est lente, la restitution de l’électricité emmagasinée, est combinée pour pouvoir se faire en un nombre d’heures fixé, et nous voulons n’agir qu’une demi-minute ; ce n’est donc pas cela qu’il nous faut. Puis il faut songer au poids formidable de ces accumulateurs, et surtout à l’impossibilité absolue de les recharger hors du voisinage de certaines usines. Il n’y a donc pas à insister plus longtemps sur ce moteur.

Les machines à vapeur légères seraient déjà un peu mieux ce que nous désirons, mais là encore le poids intervient d’une façon désastreuse. La machine est légère assurément, mais le combustible, houille ou pétrole, et tous les accessoires sont lourds. Puis son action est encore de longue durée et il nous faut presque l’explosion.

A ce compte, les moteurs à poudre sont tout indiqués ; malheureusement, ils n’ont pas encore été trouvés pratiquement.

En leur absence, bien regrettable assurément, car là est la vraie machine que nous désirons, il ne nous reste que les gaz comprimés.

L’acide carbonique, ce gaz peu coûteux, qu’on peut se procurer dans le commerce, liquéfié dans des tubes, qui peut se produire rapidement, de toutes pièces, et donne des pressions formidables, est, faute de mieux, ce qu’il nous faut.

Il s’agit donc de pouvoir emmagasiner assez de gaz acide carbonique ou autre, d’air même si on y tient, au moyen d’une pompe de compression, pour pouvoir produire les quinze pas nécessaires à la production d’un départ d’essai.

Ce gaz quelconque demande un récipient pour le contenir ; là est le point délicat. Il doit avoir capacité et résistance, par conséquent il doit être, comme tout ce dont on a besoin en aviation, fort et léger. Ce sera donc une chaudière en acier le plus résistant possible, d’une épaisseur de 0,015, formé d’un cylindre de 0,25 de hauteur et de 0,50 de diamètre fermé par deux calottes demi-sphériques.

Le récipient aura peut-être à supporter quelques instants 40 atmosphères.

La capacité serait donc de 100 litres, et son poids d’environ 100 kilog. suivant régularité d’épaisseur et variation de densité.

Le poids de l’aéronef, homme compris serait environ 500 kilogrammes.

La machine rotative faite d’une seule roue, soit le système de Wath, compose à elle seule toute la mécanique de l’appareil ; pas de tiroir, pas de bielles, c’est donc tout à fait simple et léger, surtout si elle est construite en aluminium et bien comprise.

La section sur laquelle agit la pression sera 0,50 sur 0,05.

Le diamètre de la roue est de 0,60.

Les coudes qui actionnent les pattes ont 0,30.

Les pattes dans leur plus long allongement 1,20.

Enfin, nous supposons, pour la facilité de l’étude, que la machine rend 50 0/0.

Nous avons donc :

Capacité du récipient : 100 litres à 20 atmosphères ;

Section de pression : 0,50 sur 0,05 =250emq, qui, à 20 atmosphères, font une pression de 5.000 kilog.

Ces 5.000 kilog. sont eux-mêmes à diviser par 4, puisque la longueur de la patte est 4 fois celle du bras du levier qui l’actionne : soit 625 kilog.

L’appareil qui pèse 500 kilog. est donc enlevé.

Il le sera d’autant plus qu’il y a de fortes économies à faire sur ce poids de 500 kilog. que pèse l’appareil, puis que, chose à noter, son poids diminue à mesure que la vitesse croît, car, alors, l’action de soutènement des ailes entre en fonction et porte de plus en plus, ce qui permet l’enlèvement de l’aéronef de la surface de l’eau, évite le frottement, ce qui fait qu’à fin de course les pattes portent seules sur l’eau.

Voyons maintenant si le récipient pourra alimenter cette course de 14 pas.

Ces pas doivent se produire en 30 secondes.

Les deux premiers sont très lents ; il faut mettre l’aéronef en mouvement ; ils dépensent donc très peu de gaz. Le troisième et le quatrième, qui agissent sur un corps qui se meut, peuvent être plus actifs ; le volume de gaz dépensé est double et ainsi de suite.

Voici les dépenses de ces sept paires de pas :

1-2-5-10-20-30-30 litres de gaz à 20 atmosphères, dont le total fait 98 litres.

Le récipient est donc vidé ; nous avons fait produire 14 pas qui ont dû nous procurer 10 mètres de vitesse à la seconde, ce qui permet aux ailes de porter par le calme absolu.

Le vent serait d’un rapport d’autant plus important pour faciliter l’enlèvement, qu’il serait plus fort. S’il arrivait à avoir 10 mètres de vitesse, l’économie de gaz, au départ, pourrait être complète, puisque sa force, seule utilisée en reculant le centre de gravité, suffirait pour enlever l’aéronef.

Revenons maintenant aux pattes, cet organe si délicat et par conséquent difficile à construire.

Il faut qu’elles puissent supporter un effort rapide de 5.000 kilog. et qu’elles soient longues de lᵐ20. La résistance de l’acier damassé est peu connue ; ce que l’on sait quand on a vu beaucoup de sabres d’Orient ou encore d’anciennes lames de Tolède, c’est qu’elle est de beaucoup supérieure à nos meilleurs aciers d’Occident. Il s’agit d’économiser du poids, c’est un point auquel on doit tout sacrifier, et c’est là, à cet acier spécial, qu’il faudra s’adresser. Nous pensons donc être dans le vrai, comme résistance, qu’un barreau d’une section ovée de 0,08 sur 0,04 de diamètre pourrait supporter ce poids. Il pèserait aproximativement 15 kilog. ; soit pour deux : 30 kilog. pour les deux pieds palmés ; ce qui fait un total de 40 kilogrammes. Mettons en 50 et n’en parlons plus.

C’est l’organe le plus difficile à produire. Il faut un acier nerveux au possible, souple, pliant légèrement sous cet effort énorme, mais revenant sans se briser ni se déformer ; pouvant, en somme, avaler l’à-coup et rendre ensuite l’effort emmagasiné par son élasticité.

Les deux pieds palmés doivent être un chef-d’œuvre de mécanique. Pour modèle du tout, patte et pied, s’inspirer de la conformation du puffinus kulhii, qui est ce qu’on peut rencontrer de plus parfait comme modèle du cas présent et représente le mieux ce que nous désirons produire.

Il est à peu près inutile de chercher à se procurer cet oiseau vivant ; je n’ai eu cette chance qu’une seule fois. J’en ai vu à chaque traversée de la Méditerranée, mais en liberté et de loin. L’oiseau empaillé peut suffire ; il existe aux muséums de Paris et de Lyon. En tous cas, on en aura une idée saine en relisant le chapitre : « Action de la vitesse » de l’Empire de l’Air, la description de cette organe de locomotion y est assez exacte pour qu’on puisse se rendre compte de sa forme.

L’aéroplane n’a rien de particulier : ce sont deux bras immobiles, dirigés légèrement en avant et en l’air, aux bout desquels viennent se fixer les deux pointes d’ailes.

Les bras ont 6 mètres ; or bâti et les pointes 8 mètres. Ce qui fait comme envergure 8+6=14×2=28 plus bâti 3=31.

Largeur moyenne de l’aile : 7:1=4.43.

La surface des ailes est donc de 137mq. Si nous ajoutons celle de la queue, organe subordonné au mouvement en avant des pointes, qui se développe quand la surface est nécessaire, soit un tiers de la surface des ailes, nous avons 137+45=182mq. La charge du mètre carré est donc de 2.747 grammes.

Il faut donc absolument, arrivé à cette immense surface, abandonner la fiction de l’oiseau de petite taille ; le héron gris, qui est le gros oiseau le plus léger, a son mq chargé de 4.000 grammes.

Cette proportion de 7 : 1 donne donc la tournure de l’oiseau de mer.

Au départ, les pointes des ailes portées à fond à l’arrière toucheront l’eau. Dans cette position, par leur contact, elles régulariseront et équilibreront la course de l’aéronef, détruiront ce balancement produit par la marche des jambes très écartées, si disgracieuse chez les palmipèdes. Plus tard, au moment où elles sont étendues, le même effet se produira par la retenue qu’elles prendront sur l’air.

Cet aéronef, dont l’exécution demande l’emploi d’un capital assez important, peut être essayé en petit, à bien moins de frais. On peut s’y prendre de la manière suivante :

Le bateau plat est réduit à une feuille mince de cuivre repoussée au marteau. Le bâti, les pattes, la machine rotative ne changent pas, mais sont réduits de volume. L’aéroplane est le même, mais n’a plus que 8 mètres d’envergure : 1 mètre, pour chaque bras immobile, 2,50 pour chaque main et 1 mètre d’écartement du bâti. Le bateau plat a donc 1 mètre de largeur aux épaules, où sont fixés les bras des ailes, et 1ᵐ25 de longueur. Il semble que cette grandeur est nécessaire pour avoir des données proportionnelles sérieuses, des relations utilisables, afin de ne pas se trouver devant le cas de la machine qui fonctionne en petit et pas en grand.

La différence de ce petit appareil avec le grand est, d’abord, qu’il n’a pas à porter l’aviateur, puis, dans le récipient d’acier, organe difficile à produire et qu’on peut remplacer dans cet aéronef d’essai par une outre de caoutchouc.

Il s’agirait de produire une poire de 50 litres environ de contenance et de 2 à 3 centimètres d’épaisseur. J’ai essayé de la faire au moyen du caoutchouc dissout dans l’éther ; ce procédé n’a rien donné de bon comme résistance. Il semblerait convenir de s’adresser directement au système qu’on emploie pour faire les poires du Brésil : le liquide végétal qui produit le caoutchouc enduisant par couches successives un vase de terre qui est ensuite brisé et extrait par le col.

Une pareille outre de caoutchouc bien nerveux doit pouvoir supporter une pression difficile à estimer sans manomètre, mais qui assurément est très forte. Dix ou quinze atmosphères ne semblent pas exagérées. 50 litres de contenance à 10 atmosphères de pression font 500 litres, allant comme poussée de 10 atmosphères à 0. Il s’agit d’utiliser cette force restreinte pour procurer le départ.

Sur l’axe de la rotative qui actionne les pattes, il faudra greffer plusieurs organes : d’abord celui qui permet le nombre de pas nécessaires pour acquérir la vitesse utile, puis celui qui au bout de ce nombre de pas calculé d’avance transporte les pointes des ailes de l’arrière à l’avant d’une quantité permise et décidée par l’étude. Une simple corde s’enroulant sur l’axe un nombre de fois déterminé peut produire ces deux effets. Il faudra encore y fixer l’organe qui donnera la détente, c’est-à-dire qui fera que l’émission de gaz dans la rotation sera progressif, soit 1-2-4-6-9-13-15 litres.

Il conviendrait d’adjoindre à cet appareil la direction horizontale automatique. On peut y arriver à peu de frais et de poids par le moyen que j’ai indiqué au chapitre de ce livre : « Gouvernail vertical ».

On peut résumer ainsi les évolutions que peut produire cet aéronef : enlèvement de la surface de l’eau ; élévation dans l’air qui sera réglée par le plus ou moins de transport à l’avant des pointes des ailes, puis glissement plus ou moins long, et finalement abordage de la surface liquide sous l’angle de 10 degrés environ.

C’est à peu près tout ce qu’on peut demander d’un appareil d’essai ; les évolutions s’arrêteront là, car il manque la vie qui permet de pondérer les deux directions qui font le vol plané.

La vie elle-même n’est pas absolument indispensable. On peut songer à la remplacer, ou pour dire plus juste, à la déplacer.

Si, dans cet appareil ou dans le grand aéronef, on subordonne le mouvement en avant ou en arrière des pointes des ailes à l’action d’un courant électrique, l’aéronef n’aura qu’à porter l’appareil qui produit ce mouvement ; système aussi facile à trouver que long à décrire ; c’est tout à fait du domaine de la mécanique récréative sur laquelle je n’ai pas le temps de m’appesantir ; dans ce cas, le générateur du courant pourra rester à terre. Il sera alors possible de guider de loin non seulement le départ de l’aéroplane, mais encore de le diriger dans les actes de vol verticaux et horizontaux, tant que le permettront la longueur des fils conducteurs.

L’aviateur se convaincra par ce moyen que son poids est enlevé et dans quelle condition il l’est. Il se persuadera des manœuvres à produire et de leurs effets ; il fournira peut-être l’ascension, si les circonstances de vent sont favorables et si les mouvements nécessaires sont parfaitement exécutés. En tous les cas, il jouira pour les produire de toutes ses facultés, puisqu’il sera resté en terre ferme.

Il n’y a qu’un léger écueil, qui est le traînement dans l’eau du fil conducteur, traînement qui augmente avec la longueur de la course, par conséquent à mesure que l’intérêt croît. Qu’y faire ? Essayer de placer très haut ce fil, de manière à ce qu’il ne traîne pas ; disposition difficile à produire. Il faudrait un ballon captif faisant partir de très haut les fils conducteurs roulés en ressort afin de ne pas peser et ne pas tremper. Ou encore, infiniment mieux, oser supprimer l’attache ; fait qui se produira d’abord forcément à peu près à chaque expérience, puis, d’une façon bien plus sérieuse, quand le résultat viendra éclairer l’intelligence.


FORME DE L’AÉROPLANE SOUS PRESSION


Nous avons vu à l’article « Direction horizontale », qu’il est intéressant de connaître la forme de l’aéroplane lorsqu’il est chargé, forme qui non seulement change énormément sous l’action de la flexion de l’ensemble de l’appareil, mais même perd, hélas trop souvent, sa forme normale et utile de marche.

Si on était obligé d’attendre les données fournies par l’expérience, ce serait d’abord très long, puis surtout excessivement dangereux ; ce serait en somme se livrer à un appareil absolument inconnu, car un aéroplane très correct au repos, peut devenir, une fois chargé, tout à fait défectueux.

Voici le procédé que j’ai employé pour étudier, en chambre, sa forme sous pression.

Au plafond du couvert sous lequel est l’aéroplane, je plante 250 clous auxquels j’attache autant de fils de caoutchouc pouvant supporter chacun, sans être à bout de force, 300 grammes ; ce qui fait une force de suspension totale de 75 kilogrammes.

J’ai eu soin de poser ces clous dans le dessin d’une silhouette de l’aéroplane tracé au plafond. Les 250 fils sont donc tous perpendiculaires.

J’attache l’appareil par 250 points différents, et me livrant à la suspension, on voit de suite se produire la déformation qu’aura l’aéroplane lorsqu’il sera en marche.

J’avais soumis le n°3 à cet essai, et je dois constater que j’ai eu à renformer et à amincir beaucoup de points défectueux.

Ce procédé a deux défauts, il est d’abord très long à établir et est ensuite assez coûteux. Les fils de caoutchouc, à l’époque, étaient très chers, puis il en faut 375 mètres. Mais, quand tout est en position, on éprouve une réelle satisfaction à se faire porter par tous ces points différents, qui, tirant tous également, font l’office d’autant de filets d’air de forces égales.

Si on remplace son individu par un poids pareil, on peut, en tournant autour, comme un sculpteur tourne autour de son œuvre, avoir une foule de points de vue différents qui font juger sainement de la bonne ou mauvaise tournure de l’aéroplane.

Le plus grand des défauts de ce système est de crever le cœur, en mettant à nu une quantité de défauts qu’on n’aurait jamais soupçonnés sans lui.

Un moyen bien moins coûteux, plus expéditif, mais qui donne des résultats renversés, par conséquent d’une étude bien moins facile, consiste à pendre au plafond l’aéroplane retourné.

On a eu soin de le fixer dans une position normale de marche, c’est-à-dire légèrement en V. Il suffit alors de lui pendre par le plus de points possible une charge de 75 à 80 kg. de plomb, qu’on a divisée en morceaux d’un poids minime : quelque chose comme une balle de fusil. Ces petits plombs, attachés par une ficelle munie d’un crochet, sont accrochés deux par deux, un à chaque aile, à des points correspondants, se contresemplant (sic) en un mot. La charge est donc ainsi divisée en deux parties, de poids égaux, de nombres égaux, et de points similaires d’attaches. Les effets de cette charge représenteront donc, d’une manière à peu près exacte, les points de pression de l’air qui supporte l’appareil, quand il est en fonction.

Les choses se passent-elles comme cela dans l’aéroplane qui chemine ? A première réflexion on penserait que oui, l’effort se répartissant également sur chaque portion de la surface offerte à l’action de la résistance aérienne, le centimètre carré du bout de l’aile supportant le même effort que le centimètre carré du corps de l’oiseau.

J’ai déjà indiqué dans cette étude que je ne croyais pas à l’égale répartition de l’effort dans l’aéroplane.

Ce centre de la main dont j’ai parlé, ce point utile de l’aile, qu’il ne faut pas toucher sous peine de suppression du vol, indique d’une manière probante que l’effort, non seulement en vol ramé, mais même en vol plané, va en progression de la ligne médiane passant de l’épaule à la queue, à la pointe de la rémige la plus longue ; en d’autres termes l’effort augmente en allant du centre de l’oiseau à l’extrémité de l’aile.

Je m’en suis persuadé en coupant à des milans toutes les plumes du bras et de l’avant-bras. L’oiseau ainsi mutilé avait un aspect curieux : il ressemblait à un squelette. Les mains et deux plumes de l’avant-bras étaient intactes. Il n’avait plus que douze plumes à chaque aile et cependant il a pu vivre. Je le voyais chaque jour et il était facile à distinguer de ses congénères.

Ce fait indique donc que la répartition des plombs doit être progressive du centre à l’extrémité. Mais dans quelle progression ? Je l’ignore. — C’est pour cela que je m’en suis tenu à l’égalité de la charge sur tous les points de l’appareil.

Le premier procédé est donc meilleur que ce dernier, en ce qu’il esquive ce point litigieux tout en le démontrant, car la tension ou l’allongement plus ou moins grand des fils de caoutchouc indique la pression que supporte chaque point.


CERF-VOLANT


Le cerf-volant existe depuis que le monde est monde. Il semble venir de l’Extrême-Orient : Japon, Inde, Chine surtout. Ces peuples ont eu des loisirs quand les occidentaux en étaient encore à chasser le renne.

En Asie Mineure, il est encore pour la jeunesse une récréation bien plus prisée que chez nous. A Smyrne, ville qui croit être la patrie de ce jouet, il y a des forts à ce jeu. Au reste, on assure que c’est dans cette ville qu’un certain Archytras, contemporain du divin Platon, lança le premier cerf-volant. Il n’est donc pas étonnant que les jeunes y soient défendus par les adultes, qui ne dédaignent pas de prendre en main la ficelle, afin de capturer avec leur cerf-volant celui de la terrasse voisine.

De mars à fin mai, chaque jour de fête, il y a mille cerfs-volants au pied du Pagus.

Il y a deux camps, comme au temps d’Homère : l’Orient et l’Occident : les Grecs et les Turcs, et souvent la journée se termine par des batailles en règle.

Ces luttes ont des clauses précises qui sont exécutées de part et d’autre. On convient que le vainqueur gardera le cerf-volant du vaincu ou seulement le déshonorera en arrachant la queue. Puis viennent une foule d’autres conventions que je passe ; cependant relatons celle-ci entre autres réglant l’attaque :

La prise doit être opérée de dessous en dessus et jamais de dessus en dessous, cas qui est considéré comme un acte de félonie qualifié.

Gommer on le voit, c’est une lutte tout à fait sérieuse.

Ils ont une pratique de ce jouet dont on ne se doute pas en Occident. Chez nous, on se borne à faire voler le cerf-volant ; c’est donc à celui qui ira le plus haut, ou pour mieux dire celui qui aura le plus de ficelle et par conséquent le plus grand cerf-volant. En Orient c’est autre chose. La grandeur importe peu. Comme forme, ils ont à peu près la nôtre : c’est un arc tendu par une corde, le vulgaire cercle de tonneau aminci et emmanché sur un axe. Mais au lieu de viser à l’immobilité, ils visent au contraire au mouvement. Leur but est d’accrocher le cerf-volant du voisin et de le prendre en retirant rapidement la corde. Ordinairement ils sont perdus tous les deux ; ils vont tomber sur une terrasse inaccessible et y restent ; mais la victoire n’en est pas moins à celui qui a capturé le voisin.

Comment font-ils pour arriver à imprimer une direction précise autre que celle donnée par la direction du vent ? Ils y parviennent en donnant une série de secousses quand le cerf-volant se trouve avoir la pointe dirigée du côté du but vers lequel ils tendent. Là est le coup de main. C’est au reste, une manœuvre assez difficile à bien exécuter, et qu’on ne réussit pas du premier coup, mais avec de l’exercice et un bon outil, on arrive à produire des écarts sur la ligne du vent qu’on peut estimer à au moins vingt degrés.

Au moyen de ces secousses, ils parviennent à faire remonter leur cerf-volant bien au-dessus de la position que désigne la corde qui règle ce jouet. C’est donc une portion du ciel qu’ils peuvent parcourir, qui n’a pas moins de quarante degrés de diamètre. En frappant de droite à gauche, et de haut en bas, le cerf-volant se dirige à droite et vice versa. Pour le faire monter, ils retirent vivement la ficelle, et pour le faire descendre, pour voler bas, ils en lâchent beaucoup.

Ils sont arrivés à produire des faits intéressants dans cet ordre d’idées. Ainsi ils ont le cerf-volant chanteur — hurleur serait plus juste — qui est de forme carrée, et qui a, une lame vibrante en papier, montée sur les barres de la tète. D’autres fois, ils font monter excessivement haut sept ou huit de ces jouets attachés les uns après les autres à la même corde ; dans ce cas la difficulté est de trouver le point d’attache juste.

Ils ont trouvé l’immobilité en attachant la queue à une corde lâche dont les deux bouts sont fixés aux deux angles du bas d’un cerf-volant carré ; dans ce cas, le bas du carré et la ficelle forment les trois côtés d’un triangle isocèle. Ils ont encore d’autres dispositions pour entraver la mobilité de ce jouet : ainsi ils attachent une longue queue à l’autre angle, ce qui donne beaucoup de fixité à l’appareil.

Ils s’amusent en plaine à lui faire traîner une pierre, un petit chariot. En faisant monter en l’air un mouchoir plein de gravier, ils parviennent au moyen de secousses à le faire tomber chez les voisins.

Mais la plus curieuse de leurs créations dans ce genre est le Tcharpïn (polisson) : c’est un cerf-volant petit, excessivement mobile, et surtout bien conduit. Ils le lancent sans aide, comme une fronde, en trois mouvements. C’est avec ce jouet qu’ils décrochent les linges étendus aux fenêtres (il y en a souvent en Orient), attaquent même les passants, enfin font toutes ces farces de la rue qui leur ont valu une réputation dans toute l’Asie Mineure.

Le Tcharpïn n’a pas plus de vingt mètres de corde. Il demande une grande adresse. Dans la queue le glissement est bien plus parfait que dans le nôtre dont les barres de papier en travers produisent un traînement considérable ; chez le Tcharpïn elle retient très peu et fait seulement contre-poids. En somme, un cerf-volant de Smyrne, en bon « tricapeli » (papier qui a trois chapeaux pour marque), qui est bien mené, peut faire une foule de tours de force, entre autres celui-ci : tomber derrière celui qui le fait voler.

Comme on le voit, ils sont bien plus fort que nous. En Chine, c’est bien autre chose, ils ont maîtrisé absolument cet appareil.

Depuis quelques années les cerfs-volants à poches sont arrivés en France, et vous avez pu voir quelle foule de modèles différents ils produisent. Il y a nombre de ces petits jouets qui une fois réglés comme point d’attache produisent parfaitement l’immobilité.

Nous venons de voir ce que cet appareil mis entre bonnes mains peut produire avec une seule corde, voyons maintenant ce qu’il peut faier si on lui en met deux.

En remplaçant la corde unique par deux cordes attachées, l’une au sommet et l’autre au bas du cerf-volant, on obtient en tirant sur l’une ou sur l’autre une déviation du plan normal, et par conséquent tous les effets d’ascension et de descente qu’on désire ; cela se comprend sans qu’il soit nécessaire de s’étendre davantage sur ce point. En attachant aux deux extrémités de la barre transversale, on produit également en tirant légèrement l’une plus que l’autre un écart sur la direction normale du vent : cela aussi n’a pas besoin d’explication.

Cet écart varie suivant la rigidité du plan offert au vent. Il dépasse facilement 45° de chaque côté, soit un total de plus de 90°.

Pour exécuter facilement ce systèmes de deux cordes, il faut, pour éviter tout embrouillement de ficelle, mettre une troisième corde maîtresse, qui est la corde ordinaire sur laquelle sont fixées avec adresse les deux cordes minces de direction. J’y suis parvenu au moyen de simples boutons de caleçons à cinq trous en corne, retenus entre deux nœuds tous les cinq mètres environ. La forte corde maîtresse passait dans le trou du milieu, légèrement agrandi, et dans deux autres trous opposés l’un à l’autre passaient les deux cordes directrices, qui étaient des cordonnets de soie très résistants.

On lance donc l’appareil comme s’il n’avait qu’une corde, et quand il est en pleine action, on tend les deux cordonnets de direction qu’on a eu le soin de tenir un peu lâches. En tirant sur l’un ou sur l’autre, on fait présenter au cerf-volant sa surface sous un angle qui n’est pas normal à la course du vent ; il y a donc aussitôt déplacement de l’appareil.

A quatre cordes, c’est le même effet, mais doublé. On a donc direction verticale et horizontale de la surface offerte au vent.

Mais à trois cordes l’action, quoique se simplifiant, se complique comme adresse à dépenser ; le cerf-volant devient plus perfectible comme effets possibles.

Il faut toujours pour le lancer une corde maîtresse ; cependant je suis arrivé à m’en passer.

J’ai utilisé dans ma jeunesse cet appareil pour chasser un oiseau bien difficile à approcher.

Il y avait en Algérie à portée de ma lunette un terrain marécageux qui avait au reste la configuration de tous les marais pâturés, mais comme ce cas est très rare en France, je le décris :

Ce sol tourbeux sous l’action des pluies d’hiver se détrempait outre mesure. Quand le bétail y passait, les pas faisaient des ornières régulières, c’étaient des chemins de boue très liquides, vieux comme le monde, laissant entre eux de larges mottes ayant le niveau ordinaire de la prairie et sur le sommet desquelles croissait l’herbe. Ces chemins étaient un paradis pour les bécassines et les oiseaux d’eau.

En été, quand le marais était asséché, le sol était transformé en glaise dure comme la pierre ; la configuration du terrain était immobilisée par ce durcissement. C’étaient donc des chemins creux de trente centimètres de profondeur, larges de vingt, souvent couverts par les herbes qui croissaient en abondance sur le sommet de ces mottes régulières.

A cette époque de l’année arrivait l’outarde canepétière, magnifique gallinacé de la grosseur d’une petite femelle de dinde. C’est un des plus beaux coups de fusil qu’on puisse faire, vu la beauté de l’oiseau et la succulence de sa chair. Je les voyais de mon observatoire à la lunette, se dissimulant dans ces passages creux : les têtes seules étaient visibles ; elles étaient là bien cachées de leurs deux ennemis : les aigles et les hommes. Dès qu’un aigle apparaissait au loin, il était signalé ; la bande se tapissait dans les endroits couverts et le rapace, ne voyant rien, continuait sa route.

Pendant deux étés j’essayai au moins cent fois de leur donner la chasse, mais ces oiseaux sont d’une défiance telle qu’à deux cents mètres la compagnie prenait le vol avec ce bruit extraordinaire qui stupéfie le chasseur le plus endurci. Les Arabes, pour dépeindre le vacarme que fait cette outarde en s’envolant, l’ont tout simplement nommée le tonnerre (el raad).

Tant est-il que je n’en tuais jamais.

Si je n’avais rencontré par hasard quelques individus isolés qui se laissèrent surprendre, j’aurais abandonné cette chasse à cause de sa difficulté, mais c’était un si bel oiseau ! et, surtout, si bon cuit à la broche que je m’ingéniais à pouvoir l’approcher.

L’idée me vint d’utiliser le cerf-volant ; voici comme je m’y suis pris :

Je construisis une carcasse d’oiseau les ailes étendues en osier et roseaux de quatre mètres d’envergure. Cela simulait tout à fait un gros aigle. Il fut recouvert de papier sur lequel je peignis l’oiseau avec toutes ses plumes.

Ce cerf-volant d’un nouveau genre avait trois cordes, une à la naissance de la queue et les deux autres attachées aux jointures des ailes. Ces trois cordes étaient à l’autre bout fixées au trois branches d’un trépied. Je décris cet appareil, malgré sa rusticité, pour faire comprendre le principe qui permettait de reproduire les évolutions de l’oiseau qui plane.

Il est admis qu’à la campagne on fait comme on peut. J’avais donc jeté mon dévolu sur un guéridon de jardin à trois pieds qui était assez léger. La colonne qui supportait la table fut sciée au ras du moyeu dans lequel s’encastrent les pieds, et elle-même fut coupée quarante centimètres plus haut. Le moyeu fut troué bien au milieu, et fut transversé par une forte vis de quinze centimètres de longueur, qui elle-même fut vissée dans ce tronçon de colonne. Le trou du trépied était légèrement plus grand que la vis ; il tournait donc librement sur cette âme, vu surtout qu’il était parfaitement graissé. En tenant à deux mains ce tronçon de colonne, il était facile de figurer le plan utile à la présentation au vent du cerf-volant, plan qui se reproduisait sur l’aigle en papier par la tension des cordes.

Pour me servir de cet engin, je faisais transporter le cerf-volant au sommet de la maison, j’étendais les cordes, je prenais en main le trépied et, sans corde maîtresse, après avoir bien égalisé mes trois ficelles comme longueur, je mettais l’appareil au vol.

Comme la brise en été est toujours active, je n’avais pas besoin de bouger de place ; on le lâchait seulement et il s’élevait. Dès l’instant de son départ, il essayait de tournoyer. J’entravais ce mouvement en lui faisant présenter un plan qui décidait le mouvement contraire. Il montait ainsi à peu près directement en l’air, la tête en avant, en serpentant à chaque correction, jusqu’à environ cent mètres, hauteur maximum que la longueur des cordes lui permettait d’atteindre. Alors, le tenant aussi immobile que possible comme écart de mouvement, je me dirigeais vers le point de chasse, et je finissais par l’amener au dessus du marais. Là j’entrais le tronçon de colonne dans un trou fait d’avance à un pilier de bois planté dans le sol. La direction de ce trou, foré à une inclinaison de 55 degrés faisait reproduire ce plan au trépied et par conséquent au cerf-volant. J’abandonnais alors l’appareil à lui-même, et il se mettait à tourner à son aise comme un énorme oiseau qui plane. Le trépied sollicité par les cordes tournait à peu près comme lui sur son tourillon très mobile, ce qui permettait aux trois cordes de rester à peu près dans leurs positions respectives. Alors je prenais mon fusil, mon chien m’indiquait le gibier, et je parvenais, sous l’action de la terreur inspirée par ce gros aigle en papier, à approcher les outardes à dix mètres.


CERF-VOLANT VOILE


Est-il absolument irrationnel d’aller plus loin encore, c’est-à-dire de penser à transformer le cerf-volant en un appareil d’aviation pur, c’est-à-dire de songer à se faire transporter sans toucher la terre.

La difficulté est de trouver le point d’attache, le point de retenue du cerf-volant en dehors de la terre ; le trouver c’est résoudre le problème.

Par les grands vents fixes, qui balayent une zone de pays de la surface aux confins de l’atmosphère, il n’y faut pas penser, la vitesse est environ la même partout, et les petites différences qu’il y a entre les grandes hauteurs et la surface ne sont pas capables de produire un point d’attache de traction utile.

Un petit appareil ingénieux traîné sur terre ou sur eau suffirait peut-être, une simple corde produirait peut-être un retard suffisant, mais en plein air, sans contact aucun avec la terre, par ce vent régulier, à moins de songer à des propulseurs en sens inverse, c’est-à-dire faisant retenue, à des battements contre l’air, choses qui sont peu pratiques, qui en tous cas sont un appareil complet qui n’entre pas dans cette étude, il est difficile de trouver à quoi se retenir. Une voile n’agira pas plus là qu’un ballon. Il faut donc dans ce cas y renoncer.

Mais si on a affaire à un vent moins entier que celui du problème précédent, si on se trouve avoir affaire à un de ces vents ordinaires qui augmentent en rapidité en raison de l’altitude, on voit tout de suite que la résistance sur l’air de la moindre voile au bas de la corde sera un point d’attache sur lequel on pourra compter.

Maintenant, si nous dépassons, si nous nous trouvons en face de vents croisés, c’est-à-dire de vents qui ont une direction contraire l’un avec l’autre, nous nous trouvons dans des conditions qui permettent de songer à attaquer la direction aérienne par ce côté. Effectivement on réduit le problème à celui d’un aéroplane mu par un propulseur. Là le propulseur est le cerf-volant. L’aéroplane est non seulement traîné mais porté.

Le cerf-volant dirigeable peut devenir très utile en se transformant en agent de traction. Dans ce cas, on a une voile dans l’espace, à une hauteur facilement considérable, qui a l’avantage sur les voiles ras-l’eau d’avoir une action bien plus constante et surtout pas de poids.

Effectivement, les vents faibles à la surface du sol sont ordinairement actifs à cent mètres de hauteur. Cette brise inutilisable près de terre, qui a un ou deux mètres de vitesse, est là-haut de dix mètres et, fait une pression sur la surface du cerf-volant capable non seulement de le soutenir, mais a encore un excédent de force dont on peut se servir pour traîner un véhicule. De sorte qu’il arrive très souvent pour les bateaux que ceux à voiles ordinairement seront réduits à l’immobilité quand ceux à voile cerf-volant seront encore en pleine action.

La traction ne se borne pas à être directe, car alors elle ne serait utilisable que vent arrière ; elle peut produire d’autres effets que celui-ci. Si le bateau, par sa longueur et la puissance d’action de sa quille, a un sillage bien franc, c’est-à-dire qu’il ait, sous l’action d’une force qui le pousse par le travers, la plus petite dérive possible, au moyen d’un gouvernail actif on pourra produire un angle de déviation sur la ligne de tirage qui, théoriquement, est de 90 degrés, moins les imperfections.

Admettons, ce qui ne sera pas loin de la réalité, que cet angle soit pratiquement de 45 degrés, fait que l’on produit très facilement toutes les fois qu’on fait traîner une embarcation allongée par une corde longue attachée presque au centre du bateau. Cet angle de déviation sera augmenté par la manœuvre qui va suivre : déplacement du point de traction. Si au lieu de laisser le cerf-volant où le vent le fixe, on fait agir la corde qui est du côté du sens où on se dirige, on change le plan du cerf-volant ; on peut ainsi l’amener à faire un angle avec le vent de 90 degrés moins les imperfections, qui est variable avec la tenue plus ou moins rigide de cette surface et avec le traînement du courant aérien sur la corde, mais que nous estimerons être égal au précédent, soit 45 degrés. Cette déviation nous en permet maintenant une pareille sur le bateau qui, par cette manœuvre, était tiré en tête.

Nous avons donc deux déviations de la direction du vent de chacune 45 degrés ; total 90 degrés. C’est donc une course au plus près, qui sera souvent dépassée parce que une yole longue à quille puissante produit très facilement un angle de plus de 45 degrés.

Combien de voiliers n’arrivent à produire cet angle qu’en ayant une dérive déplorable.

Mais là n’est pas l’intérêt de cette idée ; il est dans la hauteur à laquelle est placée la voile, hauteur qui lui fait trouver un courant actif quand le calme règne à la surface, puis dans l’énorme plan que peut se permettre un bateau léger sans se charger et même en s’allégeant.

Le cerf-volant à employer doit être démontable afin de tenir le moins de place possible quand il n’est pas en activité ; sa forme importe peu, supposons cependant la tournure suivante : (figure 9).

Un immense éventail allongé en hauteur, le plus grand possible — on peut sans grande difficulté arriver à 25 mq. de surface — formé d’une série de bambous se reliant tout au bas à une charnière qui forme l’angle inférieur de l’engin. Cet éventail est rendu rigide par un bambou attaché en travers aux deux angles extérieurs. Cet appareil peut donc se monter simplement en le développant, et fixant cette barre par des attaches. Ramené en un seul paquet et lié, il occupe peu de place. A la charnière on met une queue.

La corde maîtresse, qui est l’organe de traction, doit être un solide câble de soie d’un centimètre de diamètre capable de supporter un tirage énorme. On lui joint adroitement, tous les mètres, afin de bien faire corps avec elle, les quatre cordes de direction ;

On comprend que cet appareil attaché à une longue yole de course, par le point juste où le tirage procure le soulagement de l’avant, doit procurer des vitesses souvent effrayantes. Quand le vent est bien actif la yole doit porter seulement sur l’arrière.

En allant plus loin, il serait peut-être praticable de diviser le poids à faire traîner et à faire porter en deux ; l’homme serait suspendu d’une manière commode à une certaine hauteur au dessus de la mer, une dizaine de mètres au-dessus (fig. 9). La retenue du cerf-volant serait faite par un bateau fuseau qui serait remorqué. Au moyen d’élastiques métalliques, de ressorts ou points de suspension, et près du bateau, on arriverait à éteindre toutes les secousses données par chaque vague qui rendraient le séjour du bateau bien pénible, surtout dès que l’on n’irait pas exactement vent en arrière. Le bateau, en cas de calme, servirait de refuge ; on y réintégrerait le cerf-volant. Pour y redescendre il suffirait de s’y laisser glisser (moyen adroit) — Dans les saisons de vent et dans les parages où le vent est régulier, il serait possible de faire de très grandes traversées ainsi et à très peu de frais.

Rien n’est simple, quand on veut s’arrêter, comme de faire descendre, au moyen des quatre cordes, ce cerf-volant sur le point que l’on juge propice à l’atterrissage. Ceci est le moyen d’arrêt élémentaire, ainsi que celui de couper la corde dans un cas de danger ; pour bien faire, il faudrait avoir un grand et solide dévidoir, sur lequel on rentrerait la corde et le cerf-volant au bout.

Le lancement de cet immense éventail n’offrira de difficultés que quand le vent sera faible. Dans ce même cas, les voiles n’auront pas d’action.

Dans les bâtiments voiliers, on pourra se servir des mats, qui faciliteront beaucoup son départ. C’est affaire aux manœuvriers.

On peut donc se servir de ce jouet comme d’un moteur d’une plus longue action que la voile et pouvant s’employer simultanément avec elle.

J’espère que les canotiers s’empareront de cette idée, car je me souviens des heures fastidieuses passées à tirer le cordeau sur la berge, au gros soleil et au petit pas. Il était bien plus simple de se faire remorquer par cette haute voile qui aurait su trouver du vent par-dessus les collines de la Saône ou de la Seine.

Il est certain que, à part son utilité pour les bateaux à voile, il y a dans cet engin les éléments de plusieurs sports intéressants. La promenade en canot à la voile est entravée à chaque instant, sur nos rivières, par l’absence du vent. Cet engin régularise la possibilité de ces courses. Sur les grandes nappes d’eau, il procurera une célérité qui permettra de grands voyages. Adapté aux traineaux, sur les lacs gelés, il sera bien supérieur aux voiles employées jusqu’ici. C’est en somme un agent de traction qui, dans certaines contrées plates, donnera de bons résultats.

Quelles courses étranges il est permis de rêver avec ce moteur ! Les originaux, les intrépides vont pouvoir s’en donner à cœur joie. Pour rendre. possibles ces courses folles de vitesse que peuvent donner les vents impétueux agissant sur d’énormes surfaces, on pourrait songer à la disposition suivante : employer un bateau fuseau, ponté, pouvant filer comme une flèche ; prendre pour moteur un cerf-volant de cinquante mètres de surface, qui produira par un vent de vingt mètres à la seconde une traction de cinq cents kilogrammes et une rapidité de 25 nœuds à l’heure.

Voile immense, 50 mq. de surface, traînant en mer avec une vitesse de 25 nœuds à l’heure un long fuseau ponté. Chariot léger parcourant les steppes avec une vélocité folle. Un accident de terrain, le lit d’un torrent, une broussaille, ne seraient pas un obstacle sérieux pour cet appareil qui, au moyen d’une disposition adroite, parviendrait facilement à les franchir.

Traîneau rapide distançant ses lourds confrères sur les lacs glacés et parcourant ces surfaces quand les traîneaux à voile restent en détresse faute de vent, etc., etc. On va loin en cultivant cette idée que je livre aux réflexions du lecteur. On pourrait bien aller plus loin, mais alors nous tombons en pleine rêverie. Cependant, comme cela ne nuit à personne… Cependant je crois devoir attirer l’attention sur le cas suivant :

Faire agir le cerf-volant sur un aéroplane. — On peut le faire d’une foule de façons ; il y a là toute une mine d’idées à exploiter ; je présente donc la suivante :

Si à un chariot léger, muni de trois grandes roues du genre de celles des vélocipèdes, de trois ou quatre mètres de diamètre et plus si c’est possible, on adapte deux ailes possédant les deux directions, et une vaste queue, qu’on fasse traîner ce chariot par un cerf-volant dirigeable, on obtient un engin dont on peut espérer pouvoir demander les manœuvres suivantes :

Rapidité, direction dans la moitié de la surface du cercle, et même aller jusqu’à aborder le près du vent ; possibilité de franchir des obstacles, et peut-être, si on l’ose, attaquer franchement l’aviation.

Voici un croquis de ce chariot aéroplane (figure 11).

Soit A un bâti auquel est fixé un essieu qui a deux grandes roues et dont les écrous sont les supports des ailes.

En B roues directrices se menant par deux cordes.

La queue qui est fermée sur ce dessin, car l’appareil est représenté dans sa tournure de course contre le vent, communique aux ailes par les organes C C’. En élargissant la queue, les ailes sont portées à l’avant, il y a donc transport du centre de gravité à l’arrière et augmentation de surface de toute la queue.

Comme cet appareil ne doit pas positivement voler, il peut être chargé de 10 kilogrammes par mètre carré ; soit 35 mètres de surface. On aura donc 12 mètres de longueur des ailes, soit 6 mètres l’une sur 2 mètres de largeur, qui font 24 mètres carrés de surface, plus 11 pour la queue, total 35. Le type est donc 6 : 1.

Cet aéroplane peut planer, car en tenant compte de la progression inconnue de faculté de soutènement des grandes surfaces et des fortes masses, il doit se trouver correspondre à peu près à la proportion du grand vautour. C’est l’imitation du procédé employé chez la grue, l’argala, la grande outarde, enfin par tous les oiseaux de grands poids qui ont peu de surface, mais qui ont de grandes jambes pour procurer la vitesse qui permet à l’air de porter ; dans ce cas le cerf-volant remplace les pattes.

Il reste a réfléchir sur l’action de ce cerf-volant.

Quand le chariot va vent en arrière, si nous admettons un vent d’égale vitesse à cent mètres en l’air, hauteur ou sera le cerf-volant, et celui de la surface du sol, nous n’avons qu’une simple voiture traînée. Mais ce fait est rare. Dès qu’une différence de vitesse s’établira entre la zône haute et la zône de surface, les ailes porteront sur l’air en raison de cette différence.

La rapidité que doit pouvoir atteindre ce vélocipède vent arrière est celle de l’air moins le traînement. Par les grands vents, elle aura celle des chemins de fer. Sur la glace, surface unie, il y aura peu de difficulté à le conduire, mais l’aéroplane n’aura pour ainsi dire pas à entrer en action, si ce n’est peut-être pour franchir une fente ou un glaçon ; au reste, sur une surface aussi unie que celle d’un lac gelé, l’appareil de vol doit avoir peu de puissance de soutènement ; car la différence de vitesse des deux zônes doit être faible, mais en place, dans les pays ondulés, steppe, désert, où le courant de surface est souvent brisé, il en aura davantage. Or, à chaque instant, on aura à franchir un buisson, un ruisseau, une dépression, et c’est l’aéroplane qui permettra de faire ce saut. Les pointes plus ou moins portées en avant, et l’obstacle sera franchi.

Il faudra, si on se propose d’attaquer l’aviation par ce moyen, pouvoir abandonner le cerf-volant avec une grande célérité. Je laisse à chercher ce moyen, ainsi qu’une foule de détails, entre autres celui du mouvement de la queue et, par conséquent, des ailes ; ce sont seulement les grandes lignes que je trace ici. Assurément, que si on propose de se retourner contre le vent, il ne faudra plus être attaché. Le cerf-volant sera perdu ou retrouvé, peu importe à ce problème. Qui ne l’abandonnerait bien des fois pour se trouver vent debout ? Vent qu’on ne supportera que les pointes à fond en arrière, même avec cette charge de dix kilogrammes par mètre carré. Mais pour y arriver, à ce retournement, il faut absolument quitter le sol, avoir l’espace dessous l’appareil. Au fait, il faut bien s’y décider à quitter la terre solide, puisque c’est ce que nous cherchons.

On pourra le faire sans grand risque en étudiant auparavant la marche de cet appareil dans l’air. Il sera facile de le lancer dans le vide, en le faisant courir sur une, pente qui se termine par un à pic. Il pourra aller choir dans l’eau, où aucun choc ne le détériorera, et où il sera facile de le faire flotter. Dans cette expérience, l’avancement des pointes devra se faire automatiquement, par un moyen quelconque.

Il va de soi que les ailes doivent être en V ; 100 degrés ne sont pas trop, pour avoir un équilibre absolument stable, et obtenir que les bouts des rémiges soient assez élevés au-dessus du sol, pour qu’elles ne rencontrent rien.

Le filet et les cordes doivent être en dessus, et la toile en dessous, afin de ne rien accrocher.

L’aéroplane doit être complet, c’est-à-dire avoir les deux directions. Les plans mobiles des annulaires doivent être exagérés, car ils aideront souvent à la direction du chariot sur le sol.

La direction de ce tricycle se fait en agissant sur la roue de devant, qui peut produire un angle total de direction de 75 degrés, auquel on doit joindre celui produit par le cerf-volant dirigeable ; on peut donc se permettre une course d’une ligne excessivement variée.

Nous n’avons envisagé jusqu’ici que ce qui se passe par vent exactement arrière, nous n’avons vu que cette allure, mais, dès que ce tricycle et son aéroplane suivront une autre direction que celle de l’air, les effets de l’aéroplane changeront d’autant plus que la direction s’écartera davantage de la ligne du vent. Il se passera alors des phénomènes qu’il vaut mieux étudier pratiquement qu’analyser d’intuition, vu leur complication. Ils iront probablement en augmentant comme soulagement de l’appareil, depuis la ligne normale du courant aérien jusqu’à l’angle droit, qu’on atteindra assurément sans difficulté.

Un point qui sera bien curieux à étudier sera celui de l’action des ailes sur le vent, si on arrive par la perfection du chariot, du cerf-volant, et surtout de la manœuvre, à aller légèrement au plus près. Dans cette circonstance, par le vent très actif, l’enlèvement de l’appareil devient un fait possible.

Voici approximativement ce que peut peser cet engin :

Admettons pour les trois roues 20+20+15 = 55 k.
Bâti et essieu 100 k.
Aéroplane 45 k.
Charge deux hommes 150 k.

Total  350 k.

qui peuvent être réduits à 250 kilos, s’il n’y a qu’un aviateur..

Ces 350 kilos sont, à mon sens, ce qu’on peut espérer faire de plus lourd, entravé que l’on est par la résistance des matériaux.

Un tricycle aéroplane pour homme léger, pour enfant, peut encore fortement diminuer comme poids et dimensions, mais il n’y aura rien de trop dans l’énergie de l’adulte, pour parer à tous les accidents de terrain qu’on rencontrera, et dont la manœuvre devra être d’une décision rapide que l’enfant ne serait peut-être pas susceptible d’avoir.

Il faut des roues capables de supporter ce poids, et même plus, car dans le saut, l’atterrissage sera toujours un choc, plus ou moins fort, suivant l’adresse que l’on déploiera ; mais il y aura toujours un coup reçu par les roues. Il faudrait donc songer à faire des roues élastiques, ce qui est faisable. Ceci est l’affaire des constructeurs de vélocipèdes.

Si nous admettons que la hauteur du cerf-volant puisse atteindre 250 mètres, ce qui est assez difficile à cause de l’action du vent sur une corde aussi longue, mais qui est d’autant plus possible que la surface du cerf-volant devient plus grande ; si, spéculant sur cette grande hauteur, nous admettons un fait assez fréquent dans les pays tempérés, c’est-à-dire deux vents de directions différentes, nous abordons dans ce cas à une autre mine de spéculations nouvelles que je me borne à indiquer.

...ainsi que les accouplements divers du ballon et du cerf-volant. Dans ce cas, la mission de l’aéroplane change, il devient un frein du cerf-volant, tout en s’élevant.

Mais laissons ces idées qui sembleraient probablement des rêveries à la génération actuelle, qui n’est pas encore assez initiée aux phénomènes pour les admettre, sans expérience concluante à l’appui.


BALLON


Depuis la publication de l’Empire de l’air, un grand malheur est arrivé à l’aviation. Les ballons de l’Etat ont eu un commencement de réussite comme direction. Ils ont réussi à équilibrer un courant d’air de dix mètres à la seconde[35].

Cette ombre de résultat a suffi pour arrêter toute étude. On n’a plus voulu entendre parler que des ballons dirigeables, tout autre ordre d’idées a été écarté. Cela se calme cependant ; les ballons aussi. On commence à réfléchir et à analyser ce qui a été offert comme expérience sérieuse, et on attend le complément.

L’humanité se dit : la France à coups de millions dépensés, a réussi à obtenir un petit résultat, assurément intéressant, mais qui, en somme, est absolument insuffisant ; ce n’est pas du tout ce qu’on demande. Le résultat obtenu a peut-être un intérêt comme manœuvre de guerre, mais ne dépasse assurément pas cela. L’humanité, en général, n’a pas l’emploi de ces faibles vitesses ; elle attend une rapidité plus grande, avec une patience remarquable, il faut le reconnaître.

Les gouvernants, qui, certainement, n’ont pas fait des études spéciales sur cette question, se disent : en n’économisant rien on arrivera : c’est une question de moteur. Il faut léger et puissant ; avec du temps et de l’argent la réussite est certaine.

Si ce raisonnement était juste, on arriverait assurément, mais il ne l’est pas, et on n’aboutira pas par ce chemin.

Il était cependant à croire que beaucoup de dépenses, beaucoup d’intelligence, des découvertes nouvelles, des moteurs plus puissants, permettraient d’activer les propulseurs jusqu’au point de pouvoir atteindre une vitesse utile.

C’est là qu’apparaît l’écueil.

Afin de ne pas perdre de temps à attendre que ce moteur soit trouvé, nous allons en faire un ; c’est la locomotive.

Attacher à cette machine, par le point choisi, le ballon. Opérer par le calme ; marcher seulement à la vitesse de 3G kilomètres à l’heure, qui est celle des trains omnibus, pendant 10 heures, et voir ce que sera devenu le ballon.

Il est inutile d’insister.

C’est la faiblesse de l’enveloppe qui est la pierre d’achoppement. C’est le point faible du ballon ; et c’est un vice d’origine.

Le ballon animé est par la faiblesse de l’enveloppe destiné à durer très peu. Dans l’aérostat ordinaire, on n’a qu’à soigner la dilatation. Avec de l’attention, on est sur qu’il ne crèvera pas, mais, dans celui qui avance contre le vent, on perçoit l’usure qui se produit à chaque instant sur cette mince pellicule ; on comprend, qu’un peu plus tôt, un peu plus tard, le frottement aura raison de ce rien qui soutient.

Et ce frottement est constant ; le ballon avance donc constamment vers la destruction, chaque fois qu’il sort de son rôle de flotteur. Plus la vitesse est grande, plus le danger croît. En l’exagérant, on arrive fatalement à l’écrasement final.

Pour atténuer ce vice de naissance, il faut franchir un pas immense. Il faut grossir démesurément l’aéronef.

Attaquons d’emblée le million de mètres cubes.

Nous nous trouvons en face d’un ballon qui, s’il est sphérique, a, à peu près, 125 mètres de diamètre, grandeur qui est acceptable ; ce n’est en somme pas si monstrueux qu’on le suppose à première vue.

Nous obtenons par cet énorme volume : bénéfice de frottement, bénéfice de solidité et bénéfice de commodité.

Le frottement diminue dans une proportion qui doit avoir une certaine corrélation avec la diminution de la surface. Malgré qu’on ne puisse la préciser, on peut assurer qu’elle est énorme. N’insistons cependant pas trop sur ce point, malgré la donnée réconfortante qui dit que les surfaces croissent comme les carrés et les volumes comme les cubes, car, malgré cette assurance heureuse, il ne serait pas absolument impossible qu’on se trouvât en face de difficultés non encore entrevues par la mécanique pratique, qui n’a au reste jamais eu l’occasion d’étudier l’action du vent sur d’aussi vastes surfaces.

Avec un énorme cube, la solidité de l’enveloppe peut être attaquée sérieusement. Ce n’est plus la pellicule, la pelure d’oignon à laquelle on aurait affaire, c’est un cuir complexe d’un centimètre d’épaisseur, auquel on pourrait demander résistance et étanchéité complète.

Sur les commodités qui seraient permises par le fait de cette force ascensionnelle, nous ne nous étendrons pas. Nous attirerons seulement l’attention sur les perfectionnements qu’il sera permis de donner aux propulseurs et aux machines.

Oui, il y a à faire et beaucoup dans le ballon ! Notre ennemi, pour arriver à posséder toutes ses facultés, doit grossir énormément, au contraire, dans des proportions remarquables. Reste la question financière. Il n’est pas probable qu’une machine et une enveloppe soient au-dessus des moyens pécuniaires de notre époque.

Bien ! Le ballon de nos rêves existe, le million de mètres est construit, parfait comme solidité, comme perfection, comme puissance. À quoi arrivera-t-il comme vitesse ? Atteindra-t-il six mètres à la seconde ?

Non seulement nous l’espérons, mais nous le croyons.

Est-ce le résultat que nous cherchions ? Est-ce ce que l’humanité désire ?

Non, assurément ! elle veut aller autrement vite que cela et par d’autres temps. Si le voyage aérien n’est possible que dans des jours spéciaux et rares, malgré que la statistique dise le contraire, il n’entrera forcément pas dans la pratique. Ce sera toujours une expérience plus ou moins bien réussie, plus ou moins drôle, mais la masse ne l’utilisera pas.

Dix mètres de vitesse, par le calme absolu, telle semble être la limite de l’aéronef de l’avenir ; ce qui fait la vitesse des trains omnibus dans l’air parfaitement calme, ou l’arrêt par un léger vent.

À cette vitesse, nos aéroplanes, à nous aviateurs, commenceront seulement à entrer en action ; il faut cette rapidité de vent pour qu’ils puissent supporter leur charge. Maintenant quant à celle qu’il pourront braver, c’est autre chose. Il n’y a pas grande difficulté à construire, même en grand, un appareil capable de lutter contre un vent de 25 mètres et avancer sur lui de 5 mètres. Il s’agit seulement de pouvoir déplacer assez le centre de gravité, le porter assez à l’avant pour être en équilibre avec cette vitesse, puis avoir un appareil assez perfectionné pour pouvoir diminuer la surface en s’attaquant à la largeur de l’aile de la quantité que comporte ce courant d’air rapide.

Là sont les seules difficultés ; sauf celle du capital.

Il finira bien par venir à nous. A force de mécomptes, l’humanité sera bien forcée de regarder de notre côté, et de chercher si dans nos timides essais il n’y a pas quelque chose de bon.

En tous cas, le résultat est à nous aviateurs, et aviateurs à la voile seulement. Nous seuls sommes appelés à résoudre le problème de la station presque perpétuelle dans l’air ; et station économique, démocratique, à l’usage de tous, du pauvre comme du riche, la machine à cent francs, et non le monstre qui coûte des millions.

Pourquoi alors ne l’avez-vous pas fait ? Pourquoi les quelques aviateurs que vous avez ralliés au vol à la voile ne l’ont-ils pas exécuté ? Ils n’étaient pas entravés comme vous l’êtes par la maladie et les besoins de la vie ; eux pouvaient agir et cependant, ils n’ont rien produit ! Tandis que nous, les partisans du ballon dirigeable, nous avons tenu tète à un vent léger. Comme vous venez de le dire, c’est insuffisant, mais c’est un résultat positif et d’ici peu, nous ferons mieux.

Nous, les aviateurs rameurs, nous avons produit des oiseaux qui volent en pleine séance ; pour nous aussi, ce résultat positif ira en progressant. Vous n’avez donc pas raison d’être aussi exclusifs que vous l’êtes !

Ce qu’on nous reproche est exact, mais à cela nous pouvons répondre que, si le problème n’a pas été démontré par nous, si nous n’avons pas eu la quantité de vie et d’action suffisante pour mener à bien ce problème, ce n’est pas une preuve qu’il ne le sera pas un jour par d’autres plus actifs, plus hardis qui suivront notre voie. Puis, si l’homme n’a pas encore osé se livrer sérieusement à ce glissement sur l’air, des oiseaux de masse presque comparable à la sienne s’y livrent chaque jour… et nous montrent que nous sommes dans le bon chemin. Pour vous il n’en est pas ainsi ; vous n’êtes pas avec la Nature ; nul ballon n’a été créé par elle ; nul rameur de forte masse n’a été construit par cette mécanicienne divine qui sait tout, qui fait tout plier à sa volonté, qui crée l’organe et l’anime.

Non, vous ne la suivez pas ! et nous, c’est pas à pas que nous nous mettons à sa suite, que nous tâchons de la comprendre et de l’imiter.

Il est donc compréhensible que notre croyance soit énergique.



BALLON ALPESTRE


Je m’étais bien proposé de le construire ; mais, pour cela comme pour beaucoup d’autres choses, je n’ai pas dépassé l’intention. Ce qui prouve qu’on ne fait pas tout ce que l’on veut dans la vie de ce monde.

Dans ma jeunesse, j’ai beaucoup parcouru les pays montagneux : Bugey, Suisse et Savoie. Il m’est arrivé bien souvent d’être obligé de faire plusieurs lieues pour franchir seulement en droite ligne moins d’un kilomètre. Cette dépense inutile de temps et de force m’irritait. Quand je pensais que le point que je voulais atteindre était là en face, à un jet de pierre, et que, pour Y arriver, il me fallait plusieurs heures de marche pénible, il me venait à l’idée de chercher à esquiver cette difficulté.

Le besoin crée l’outil.

J’avais donc pensé construire un ballon ainsi fait :

Faire en soie très fine, très légère et parfaitement résistante, un petit ballon de cent et quelques mètres cubes. L’imperméabiliser de la manière la plus absolue possible ; faire en somme qu’il puisse fonctionner sans perte trop sensible pendant une journée. Lui mettre un filet en cordonnet de soie pour éviter la charge : en somme, produire un ballon où rien n’a été épargné pour bien faire. Cela est facile au reste, il n’a que six mètres de diamètre : c’est presque un jouet.

A cet appareil, pas de soupape et pas de nacelle. L’aéronaute est pendu à un système de courroie très solide qui lui laisse toute liberté de mouvements.

Afin de procurer une demi-direction, l’aéronaute sera pourvu d’un aéroplane léger lui aussi. La forme de cet aéroplane sera à peu près celle de mon essai n° 3[36] ; seulement, on lui ajoutera une direction horizontale active. Il est un rameur et un planeur. Pour le rendre actif comme rameur, on recouvre la carcasse de l’aéroplane d’un filet en cordonnet de soie à mailles larges de cinq centimètres de côté, bien tendu, et sur ce filet on colle par un des côtés des bandes de papier du Japon de dix centimètres de largeur sur un mètre de longueur. Ces bandes sont fixées par le côté avant, en dessous de l’appareil, sur un centimètre de largeur, les neuf autres sont donc flottants ; ils pendent perpendiculairement. Sur le bord libre de ces bandes on fixe dans un repli de papier des tiges de plumes ébarbées bien fines, bien résistantes. Je m’étais adressé aux rémiges du martinet ; mais, vu la difficulté de se procurer cet oiseau en Europe, les rémiges de pigeon suffiront.

A ces petites barres, on attache un fil de soie, qui va se fixer par l’autre bout à une maille du filet. Le but cherché est d’empêcher la feuille de papier d’atteindre la perpendiculaire, ce qui pourrait faire qu’à un battement par le calme ou vent arrière, elle ne s’applique sur le côté avant, ce qui ne remplirait nullement l’effet cherché. L’ouverture permise par la longueur du fil est de 45 degrés. Collé du côté avant, bord pendant dirigé à l’arrière.

Il est facile de comprendre le mécanisme de ces soupapes. Quand l’aile se relève, toutes ces soupapes sont ouvertes et laissent passer l’air, quand l’aile s’abaisse, la pression les applique énergiquement contre le filet. J’ai construit un plan rigide de deux mètres carrés de surface sur ce système, qui a donné des différences entre l’effort d’enlèvement et celui d’abaissement que les ailes des grands oiseaux n’atteignent pas.

C’est un appareil un peu long et très délicat à construire, mais qui est parfaitement solide. Certain papier chinois ou japonais de première qualité, car il y a une foule de qualités, est résistant comme une étoffe et léger comme du papier à cigarettes. Les coutures à la colle tiennent parfaitement. Il est certain que, si l’on a à craindre la pluie, on peut se servir d’étoffe de soie très légère.

On aura certainement des appréhensions de se confier à un appareil en papier, mais, quand on aura bien palpé ses effets, on s’y confiera. Puis, dans le cas présent, ce n’est pas lui qui est le support, c’est le ballon ; l’aéroplane n’est là que pour diriger autant qu’il le peut, l’aviateur et l’aérostat.

Le tout bien construit, bien établi, il reste à s’en servir. Le ballon enlève pratiquement 100 kilog. L’aéronaute et ses annexes pèsent 70 kilog., le ballon et son aéroplane 5 kilog., total 95 kilog. Il reste donc une force ascensionnelle de 5 kilog. qu’on équilibre au moyen de 10 kilogrammes de plomb de chasse disposés dans les poches des vêtements.

L’homme, le ballon et l’aéroplane pèsent donc 5 kilog., c’est-à-dire qu’ils ne s’enlèveront que sous l’effort produit par l’aéroplane, effort très minime au reste — 5 kilog., ce n’est rien — et qu’on entretient égal en se délestant au fur et à mesure du besoin.

Maintenant on comprend que, lorsque le chemin est grand comme l’air et qu’on ne pèse que 5 kilog., ou même moins si l’on veut, — car rien ne gêne, si on veut faire une petite ascension, de se l’offrir en se délestant, — en comprend, dis-je, quelle facilité on doit avoir pour se mouvoir par le temps calme, condition expresse de l’emploi de cet appareil. Mais cette condition est facile à trouver dans les beaux jours de l’été ; il n’y a guère que les sommets sur lesquels le calme ne s’établit pas. Dans les vallées à mi-côte, on rencontre très souvent, dans la saison chaude, cette immobilité de l’atmosphère que nous recherchons pour cet appareil.

On voit quelle facilité de se mouvoir on possède avec cet engin. Les flancs perpendiculaires des montagnes alpestres n’existent plus. L’ascension fatigante est annulée. On se précipitera avec enthousiasme dans le vide, et on abordera sans grand effort sur le flanc opposé. Une descente du Mont-Blanc devient un jeu tout comme sa montée. Là, plus de crainte de l’avalanche, et mieux, on joue avec l’abîme.

Coût, quelques centaines de francs.

Il y aura bien un revers à la médaille, mais il n’est pas bien déplaisant. L’écueil, c’est le vent ! L’ascension n’est certainement pas faisable à heure ni même à jour fixe ; à cela on lui répond en choisissant bien son temps et son heure. La matinée, jusqu’à dix heures, est très souvent utilisable, et en six heures, on fait bien du chemin et on voit bien des choses. Si cependant on était pris par un courant d’air gênant, il resterait toujours le moyen de se délester et de fuir avec lui. On irait tomber loin, on serait un peu dépaysé, mais le cas ne serait pas mortel.

Pour pouvoir présenter toujours le visage au point vers lequel on se dirige, il faudra se munir d’un bambou fin et long de 5 à 6 mètres, à l’extrémité fine duquel sera fixée une palette, d’un mètre environ de longueur sur cinquante centimètres de largeur. Cette palette légère, en étoffe tendue sur un léger bâti, servira de gouvernail. Il sera facile, avec un faible effort sur ce long levier, de se retourner du côté où on voudra aller. L’extrême pointe du bambou sera ferrée, toujours très légèrement, d’un outil d’acier, pouvant remplir l’office de gaffe, harpon, crochet, etc., etc.

Le point difficile, dans cet appareil, est la production de l’hydrogène sur place, au pied des montagnes. Mais rien ne prouve que, si ce genre de divertissement était demandé, appareils et hydrogène ne soient fournis par les grands hôtels qui exploitent les sites pittoresques. C’est assurément, une annexe intéressante pour ces établissements, et, quand l’ascension se trouvera prête, et qu’elle sera réduite à une question d’argent, les aéronautes se trouveront.

Ce qui décidera les timides, et qui formera par la suite autant d’aéronautes, c’est le sentiment qu’on aura d’être absolument l’arbitre de ses mouvements. Avec le ballon ordinaire, on est emporté à la diable. Il y a bien certainement quelques aéronautes qui sont assez maîtres de leur lest pour se tenir à une hauteur régulièrement la même, mais ils sont rares, ce sont les professeurs de l’art ; puis, quand leur lest est épuisé, cette tenue dans l’altitude est finie. Dans cet appareil, la question lest est exactement la même ; il faudra apprendre à s’en servir, mais l’important n’est pas là : c’est l’aéroplane qui est l’outil intéressant. Il permet, en ramant, de monter presque sans fatigue, puisqu’on ne pèse presque pas ; pour redescendre, il suffit de ne plus agir, on tombe alors lentement. L’aéroplane, par son action de glissement sur l’air et l’inclinaison des plans qu’il peut présenter, puis par ses organes de direction horizontale, permet d’imprimer un sens de mouvement, qui est d’autant plus actif et précis que le calme est plus grand et le poids de l’ensemble plus considérable ; par conséquent l’aéronaute qui se dirigera le mieux sera celui qui sera le plus chargé.

Comme on le comprend de suite, il y aura là, comme partout au reste, un léger apprentissage à faire ; mais il n’offrira aucun danger. En tout cas, il sera aidé par le désir qu’auront les opérateurs de renouveler les impressions curieuses qu’ils auront déjà ressenties, et le désir de mieux faire comme direction.

C’est cet aéroballon qui formera les timides ; c’est lui qui créera la demoiselle aéronaute !

Ceci semble, à première vue, un peu avancé ; mais nous ne le croyons pas. Effectivement, quand une jeune personne aura eu la curiosité de se boucler les attaches du ballon, d’enfourcher l’aéroplane, quand elle verra qu’elle reste à terre exactement comme auparavant, elle s’enhardira. Au bout de quelques minutes, elle se permettra une légère pression sur les ailes. L’effet produit sera un petit saut d’un mètre environ nullement effrayant. Encouragée par l’innocuité de cette manœuvre, elle s’en permettra un second, puis un troisième, etc., et, finalement, au bout de quelques séances, elle deviendra une aéronaute accomplie.

Et nous aurons formé ainsi une pléiade d’ascensionnistes des deux sexes, nous aurons créé une nouvelle couche de pratiquants du royaume de l’air. Le ballon quittera un peu la fête foraine pour entrer définitivement dans le sport ; et ce ne sera pas malheureux ! Il ne restera plus alors que l’ascension scientifique et l’ascension humoristique.

L’apport sérieux de cet appareil sera de familiariser l’homme avec l’emploi de l’aéroplane. Il apprendra à s’en servir, à compter sur lui, et, au moyen de certains tours d’adresse, arrivera par instant à ne porter que sur lui. Il s’ingéniera à se passer de plus en plus de son support, le ballon, tout comme un nageur novice diminue de plus en plus la puissance de ses lièges, ou comme l’enfant qui apprend à marcher quitte peu à peu son petit chariot roulant.

Voilà comment l’humanité timide s’enhardiera et arrivera par une série d’études préparatoires à se confier à l’aéroplane.


ETUDE DE L’ATMOSPHÈRE
PAR LE BALLON


Les physiciens ne savent que peu de chose sur la hauteur de l’atmosphère, sur sa composition, sa température, son état hygrométrique, électrique, etc., etc. Avec les appareils enregistreurs automatiques il semble facile de trancher toutes ces questions.

Effectivement, si, au lieu de faire faire cette étude par des observateurs, qui perdent leurs facultés dès qu’ils atteignent 5 ou 6 mille mètres, qui, en tous cas, ne peuvent dépasser 10.000 mètres sous peine de mort, on se contente d’y envoyer des instruments, on ne sera plus arrêté par le froid ou le manque d’air ; et les observations n’en seront pas moins bien faites.

Ces instruments, il faut bien les reconnaître, non seulement dans ce cas suppriment l’aéronaute, mais le dépassent comme action, et comme garantie des faits observés.

Voici comment on pourrait s’y prendre pour obtenir ces résultats :

Si on prend un petit ballon en baudruche de 20 mètres cubes, qu’on le gonfle à moitié avec de l’hydrogène, soit 10 mètres cubes, on aura une force ascensionnelle de 10 kilogrammes, qui sera équilibrée par :

Poids du ballon en baudruche 2.000 grammes
Poids du filet de soie 250
Poids d’un parachute 1.500
Poids d’un ozonomètre enregistreur 500
Poids d’un thermomètre enregistreur 500
Poids d’un ballon de verre à fermeture automatique 500

5.750 grammes
Force ascensionnelle 4.250

Total 10.000 grammes

Il reste donc une force ascensionnelle de 4.250 grammes qui ne diminuera qu’arrivé à une très haute altitude, puisque la dilatation est possible, le ballon n’étant rempli qu’à moitié.

Il est facile, en grandissant le volume du ballon, d’arriver à ne le gonfler que d’une fraction minime, et d’avoir cependant une force ascensionnelle considérable afin de monter rapidement ; la dilatation pourrait, dans ce cas, arriver à tolérer une hauteur à laquelle on n’a pas encore pu songer.

Au filet de soie est suspendu un parachute chargé des appareils d’observation. Ce parachute est commandé par un appareil léger, d’un système quelconque, qui le détachera du ballon au bout d’un laps de temps précisé. Au bout de ce temps, mis en liberté, il transportera sa charge doucement à terre, où elle pourra être recueillie et remise à l’expérimentateur.

Si on a eu soin de :

Choisir un jour sans vent, d’opérer loin de la mer, d’avoir fait prévenir le pays par les journaux, de s’être précautionné contre la submersion des appareils, enfin de promettre une récompense sérieuse à celui qui trouvera et fera parvenir les enregistreurs, on peut être à peu près certain de les retrouver.

Nous avons donc là le moyen de savoir :

Si l’atmosphère n’a réellement que la hauteur que les traités de physique classiques lui accordent, soit 50 à 60 kilomètres, chiffres que des observations d’acoustique semble fortement infirmer ;

Si la composition de l’air à ces énormes altitudes est la même que celle des couches qui avoisinent la surface du globe : point qui est aussi l’objet de nombreuses spéculations ;

Puis quelle est la température de ces hautes régions ;

Et, enfin, quels sont les états hygrométriques, ozonométriques de l’atmosphère ?

Toutes questions sur lesquelles on en est réduit aux hypothèses.

La transformation de tous ces inconnus en faits acquis demanderait une dépense bien minime. Le coût de l’ensemble des appareils serait de quelques centaines de francs, somme insignifiante comparée à l’importance des données fournies.


SOUPAPE DE BALLON


C’est bien la partie du ballon qui est la plus délicate et qui a fait le moins de progrès.

Depuis les ballons de guerre de la Première République, il y a eu beaucoup de formes nouvelles de soupapes présentées, mais on en reste, malgré ces nouveautés, à la vieille soupape à emplâtre de farine de lin. Malgré tous ses défauts, les aéronautes ne se servent que d’elle ; on dirait qu’ils n’ont pas confiance dans les autres systèmes. Cependant elle est bien peu propre ! Cet énorme cataplasme est d’une confection peu ragoûtante. Puis, une fois un coup de soupape donné, il faut à peu près songer à la descente, car elle ne se referme plus hermétiquement, il y a donc une déperdition de gaz rapide qui fait qu’il faut songer à atterrir.

Je propose, pour parer à ce défaut, d’expérimenter l’idée suivante, que je n’ai jamais essayée, ni en grand ni en petit, mais qui me semble être bonne et simple.

Remplacer l’ancienne soupape par un tuyau en étoffe de cinquante centimètres de diamètre pour un ballon de 500 mètres cubes et long de quatre mètres. Un bout de ce tube est cousu au sommet du ballon, à la place où se met la soupape, l’autre extrémité, qui pend au milieu de l’aérostat, est garnie d’un cercle léger en jonc. Quatre ou cinq ficelles fortes, longues d’un mètre environ, sont attachées à égale distance sur ce cercle. On les réunit à leurs extrémités libres, et on attache ce faisceau de ficelles à une cordelette qui est la corde de cette soupape.

Le gaz cherchant à sortir doit comprimer ce tube souple en étoffe et l’appliquer contre la paroi du ballon. On peut, au reste, l’aider à prendre cette position en l’attachant par quelques fils de caoutchouc.

Le tube étant bouché par la pression qui l’aplatit contre l’aérostat, n’est plus un tube, par conséquent la déperdition du gaz doit être impossible. Pour se servir de cet appareil, pour rendre possible la sortie du gaz, il faut reconstituer le tuyau. On y parvient en tirant la corde qui passe par la manche du ballon. Sous l’action de cette traction le tube d’étoffe reprend sa forme et la position perpendiculaire. Son ouverture, tenue béante par le cercle de jonc, se trouve être juste au centre du ballon ; le gaz passera donc d’autant plus facilement que cette manche, sous l’action de la traction plus ou moins forte, sera redevenue tube.

Il y a certainement à craindre les déchirures en tirant trop fort ; mais si on a eu soin de mettre dans cette longueur de tuyau un ou plusieurs petits cercles encore plus légers que celui de l’ouverture, cet engin doit pouvoir, sous une faible traction, reprendre la forme utile au passage du gaz. Au reste, pour donner de la solidité, il sera facile de doubler le premier mètre de tube et son point d’attache au ballon, partie où une rupture serait dangereuse.

Cette soupape devrait, pour plus de sécurité, et pour éviter la déperdition du gaz, être construite en velours ou en peluche dont l’envers serait imperméabilisé.

Le principal avantage qu’offre cet appareil est de, précisément, parer le défaut de l’ancien système, c’est-à-dire de permettre de donner autant de coups de soupape que l’on voudra, et de régler la déperdition du gaz comme temps d’ouverture et même comme largeur d’ouverture, car avec un peu d’adresse et de pratique, on arrivera facilement à ne laisser passer qu’un filet de gaz.


PARACHUTE


Instrument qui n’est pas pratique. Il est un contresens et c’est pour cela qu’il est peu utilisé.

De temps en temps, quelques acrobates se livrent encore à cette descente périlleuse, au grand émoi des populations spectatrices qui ont cinq minutes de véritable angoisse. Comme l’homme se tient vigoureusement, et que l’atterrissage est très doux, il n’arrive pas d’accidents.

De la manière dont est construit et employé cet engin, il n’offre absolument comme intérêt que celui d’une créature humaine qui se livre à un exercice dangereux. Ce n’est pas un but digne d’un appareil d’aviation. L’effet produit par la vue d’une descente en parachute est épouvantable, on plaint le malheureux qui se livre à de pareilles oscillations.

Un jour, quelqu’un qui pensait juste, retourna cet appareil ; il eut le tort de le mal construire et de s’y confier sans l’avoir essayé préalablement. Le parachute se brisa, l’homme fut tué, et le parachute n’en est pas revenu.

Expérimentons et cherchons à détruire ce mouvement de pendule qui est un vice rédhibitoire de cet appareil.

Si nous prenons un petit parachute d’un mètre carré de surface, que nous le chargions d’un kilogramme, poids dont on le charge dans les ascensions où il est donné en spectacle, si nous nous offrons la descente de cet appareil d’une hauteur un peu considérable, nous reproduisons cet épouvantable effet de balancement que tout le monde a vu.

La première idée qui se présente comme correction à faire est celle de l’agrandissement du trou par où l’air s’échappe. Après l’avoir augmenté de grandeur, nous livrons le parachute à l’espace. Nous remarquons que le balancement n’est pas entravé d’une manière sensible. Nous agrandissons encore ce trou et nous continuons d’expérimenter. L’effet de pendule se continue. À force de coups de ciseaux, nous sommes arrivés à avoir réduit le parachute à avoir la tournure d’une couronne ; la moitié de sa surface y a passé. Nous le livrons à la chute, et constatons que la descente devient de plus en plus rapide, et que l’oscillation s’agrandit comme amplitude au point de rendre l’engin inutilisable.

Il n’y a donc rien à faire avec ce système.

Reprenons cette idée par un moyen différent, qui a tué un homme, c’est vrai, mais qui n’est pas faux pour cela.

Nous prenons un parapluie, nous l’enlevons de sa canne, le remettons en place en le retournant, de façon que le sommet soit du côté du manche. Nous chargeons la poignée du poids à faire supporter, et nous livrons le tout à la descente. Nous constatons du premier coup que l’oscillation est absolument entravée ; le parapluie choit droit comme un plomb qui tombe.

Il n’y a donc pas à chercher autre chose. C’est par ce procédé que le parachute doit être construit ; seulement, il faut le faire solide.

À quoi peut-on employer cet appareil ?

À part le côté spectacle, qui est l’envers de ce que désire l’aviateur, il peut être bon à accoutumer l’homme à la vue et à la sensation de la chute dans l’espace, ce qui est déjà quelque chose d’important ; car il n’y a pas à se le dissimuler, l’aviation demandera des études préliminaires, une accoutumance progressive, comme au reste tous les exercices corporels, on ne nage pas du premier coup, l’être à peur de l’eau comme du vide, dans le patinage, le vélocipède, dans l’équitation, partout il en est de même. Ce n’est que peu à peu, par un entraînement lent, qu’on arrive à permettre à nos nerfs de se calmer et d’agir avec justesse, qu’on parvient à produire ces effets d’équilibre qui stupéfient ceux qui n’y sont pas faits.

Cet engin permet à un voyageur de quitter un ballon en marche, quand il y a d’autres aéronautes dans la nacelle, ou qu’on se décide à perdre le ballon ; fait qui est rarement utile.

Il pourrait encore servir à des amusements : ainsi un excursionniste muni d’un parachute, qui serait un fort parapluie construit pour cette destination, pourrait descendre une montagne sans s’occuper des routes. Il pourrait assurément, s’il rencontrait un flanc perpendiculaire, se précipiter sans crainte et tomber doucement au bas. Cela raccourcirait peut-être un peu le chemin, mais, à part la sensation produite, ne vaudrait probablement pas la peine qu’a coûtée cette charge, qu’il lui a fallu monter avec lui. L’intérêt n’est donc jusqu’ici qu’absolument pittoresque.

On pourrait encore, comme le racontait M. de la Landelle, éviter la descente des escaliers, en se précipitant de la fenêtre ; mais ce ne serait nullement pratique, surtout pour les dames.

Comme on le voit, il est peu facile de faire du parachute un instrument sérieux. Son grand défaut est de n’être pas dirigeable. Celui qui s’en sert tombe au hasard de la perpendiculaire dérangée par le courant aérien, de sorte qu’on ne sait jamais où on va choir : ce qui n’est pas récréatif.

Il s’agirait donc, pour rendre cet appareil intéressant, de pouvoir légèrement le diriger dans sa chute.

On y arriverait par le moyen suivant :

Soit un bâton de deux mètres de longueur, en bois souple et fort, de la grosseur d’une barre de trapèze, terminé par un renflement du bois, qui sera destiné à arrêter d’une manière formelle la ferrure du haut du parapluie. L’autre bout se termine par une barre en travers, de cinquante centimètres de longueur, sur laquelle l’aviateur peut se mettre à cheval. Il a donc, en acte de descente, la position suivante : des deux mains il tient le bâton de deux mètres et ses cuisses reposent sur cette béquille, dont chaque côté offre un appui de vingt-cinq centimètres.

Le parapluie sera ainsi fait. Une ferrure forgée en acier excellent, possédant 24 charnières, où viendront se loger les têtes des baleines. Ces baleines sont de fortes badines, de la grosseur du doigt. Ces 24 petits bâtons sont reliés entre eux afin de régulariser l’écartement. L’ouverture du parapluie sera, le bâton étant perpendiculaire, l’horizontalité exacte.

Il sera circulaire ou carré, peu importe. S’il est rond, on pourra donner deux mètres dix de longueur aux baleines, dont deux mètres seront entoilés, les dix centimètres qui dépassent seront utilisés plus tard.

Elles sont relevées par le procédé ordinaire qu’on emploie pour le parapluie. Cette tige de fer et cette glissière n’ont pas besoin d’une très grande solidité, parce qu’elles n’ont d’autre but que de permettre d’ouvrir le parapluie et de le maintenir ouvert.

Pour retenir en position horizontale, sous la pression violente de l’air, ces 24 baleines, il faudra 48 cordelettes, toujours d’une solidité éprouvée, et venant s’attacher une à l’extrémité de la baleine et l’autre au milieu, afin de ne pas permettre la formation d’un arc.

Le parapluie étant ouvert, il est fortement immobilisé : 1° par les petites barres de fer qui le poussent en haut ; 2° par les 48 cordes fines qui l’empêchent de dépasser l’horizontalité.

Toutes ces cordes sont attachées au manche au-dessous de la glissière de remontée, d’une façon qu’on peut laisser à la sollicitude de l’expérimentateur, puisque ce sont elles qui vont le soutenir.

L’étoffe à employer est tout simplement une soie écrue très vigoureuse, fixée par une foule de points aux baleines, et à chaque maille du filet de cordon de soie qui doit les recouvrir et les relier entre elles.

Ceci n’est que la moitié du parachute, qui n’est pas encore légèrement dirigeable.

L’autre moitié est ainsi faite :

Les bouts des baleines du parapluie dépassent la toile et sa bordure de dix centimètres. On profite de ces morceaux de bois libres pour ajouter une annexe au parachute. Pour le faire, on peut se servir de douilles, semblables à celles qui, dans l’appuie-main des peintres, relient entre eux les tronçons de cet outil. Ces douilles en fer ont pour but de joindre aux baleines des allonges de lᵐ50 de longueur, faites en bois souple, tel que des joncs bien huilés et pas piqués des vers, ou encore des badines, du bois avec lequel on fait les fouets de rouliers. Ce bois est nerveux et souple, quand il est bien graissé, il peut donc remplir facilement le rôle de ressort que nous lui destinons, d’autant mieux qu’il ne casse jamais.

Avec le premier parachute rond, de 12ᵐ56 carrés de surface, d’une forme plate et horizontale, on n’a pas un parachute. Si on le livrait à une descente, il reproduirait ce mouvement de balancement du parachute ordinaire d’une manière probablement exagérée, et notre but est de détruire ce mouvement. Avec cette annexe de 24 allonges de 1ᵐ50 de long, qui sont unies entre elles par une étoffe de soie, on a d’abord ajouté à l’appareil une surface de 25ᵐ90, à opposer à l’action de retenue de l’air. Le parachute a donc maintenant 38mq46, et en action environ 30 mètres. Puis on a supprimé le balancement. Livré à la descente, chargé d’un aviateur du poids de 65 kilog., il tombe avec une vitesse régulière et perpendiculaire, qui sera probablement, d’après des expériences en petit, d’un peu moins de 5 mètres à la seconde.

Cette vitesse de chute, sous l’action de ces ressorts qui ont produit des surfaces fuyantes, est devenue régulière et sans aucune oscillation. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à construire cet appareil dans des proportions réduites, et on est édifié sur la régularité de la descente.

Mais là ne se borne pas l’effet cherché. Nous désirons le rendre légèrement dirigeable, afin de pouvoir préciser, dans les bases de l’action de cet appareil, le point où on veut atterrir. Il est assurément intéressant de pouvoir éviter de tomber sur une maison, une rivière, en somme de choisir son endroit.

Si nous attachons à l’extrémité des pointes une cordelette, et qu’en descente nous tirions sur celle qui est devant nous par exemple, assez fortement pour, non seulement la ramener à l’horizontale, mais la lui faire dépasser, de façon à faire légèrement le creux en dessous, nous créons un acte directeur. Le parachute ne tombe plus perpendiculairement mais nous dirige, en tombant, devant nous ; et cela d’une quantité qui peut aller jusqu’à produire un angle de 45 degrés.

On pourrait donc fournir 24 sens de directions différentes puisqu’on a 24 pointes à déformer. Rien n’empêche d’en tirer deux à la fois et même un plus grand nombre ; si on relie par exemple les six cordelettes qui sont devant l’aviateur par un bâton qui les commandera toutes les six, en appuyant au milieu du bâton, ou à gauche, ou à droite, on se dirige ou devant, ou à gauche, ou à droite.

Les cordes qui actionnent les pointes qui sont devant l’aviateur sont celles dont on aura le plus souvent à se servir, car il est plus naturel de se diriger devant soi que derrière ; toutes les autres peuvent, à la rigueur, être supprimées.

Cette direction en avant pourra être facilitée par l’emploi simultané d’un gouvernail, pareil à celui dont il a été parlé au ballon alpestre. On pourrait le fixer horizontalement sous la traverse sur laquelle repose l’aviateur, et il pourrait être mû par les genoux. Ce gouvernail pourrait facilement ne peser que 1.500 grammes, et cependant avoir 5 mètres de longueur, et à peu près un mètre carré de surface ; il’ serait donc très maniable, et aurait l’avantage de pouvoir donner des coups de force, qui n’emprunteraient rien à la vitesse.

Mais, nous remarquons, à notre grand déplaisir, que cet acte directeur produit un balancement très fort, et quand on y réfléchit, on trouve que c’est naturel. Toute force, qui trouble l’équilibre de tombée, actionne ce pendule, et lui communique un mouvement, qui ne se continuera pas indéfiniment, parce qu’il sera entravé par les plans offerts par le parachute à l’air qu’il rencontre, mais qui durera cependant assez longtemps. Je n’ai pu étudier ce balancement que sur des chutes qui ne dépassaient pas la hauteur de 24 mètres.

J’ai expérimenté le parachute avec une surface carrée, elle produit le même effet que sur la surface ronde. J’ai produit ensuite une surface rectangulaire de deux mètres de longueur sur un mètre de largeur. La direction en travers se-produit très activement et est plus rapide que dans les formes rondes et carrées, mais le balancement semble augmenter.

Tout ce qui précède a été expérimenté un grand nombre de fois ; ce qui va suivre est de la spéculation intuitive.

La première expérience qui se présente à l’esprit est l’allongement du pendule, afin d’agrandir l’amplitude des oscillations, les rendre plus douces et moins nombreuses.

La seconde a trait à la forme à donner à la surface portante.

Dans le rectangle de deux sur un, on voit poindre l’aéroplane, et c’est ce que je cherchais. La translation est facilitée par la faible largeur du parachute, et c’est naturel, car le traînement diminue.

Je voulais aller ainsi jusqu’à l’absurde : 10 : 1, et bien au-delà, même. Je me proposais également de raccourcir progressivement la longueur du pendule. Ce que produira ce raccourcissement, je l’ignore. Il est à espérer, si le pendule est ferme, c’est-à-dire si c’est une barre de bois bien liée à la surface portante, que les oscillations seront diminuées. Le raccourcissement peut aller jusqu’à annulation complète du pendule ; la charge serait en fin de compte logée en plein parachute tout comme le corps de l’oiseau. Là le nom de l’appareil doit changer, ce n’est plus parachute qu’on doit le nommer, mais aéroplane.

Je crois fermement que les deux engins se lient par ces deux points : le raccourcissement absolu du pendule, et par la disproportion de la longueur à la largeur de la surface portante ; mais ce ne sont que des suppositions, qu’il convient de faire passer au critérium de la pratique.

J’ai été si souvent induit en erreur par le raisonnement, l’expérimentation a si souvent infirmé des spéculations imaginatives qui semblaient bien établies, que je n’ose rien avancer si je ne l’ai vu expérimenter par l’oiseau, ou si je n ’ai produit moi-même l’expérience.


TROISIÈME PARTIE



CAUSERIES

APHORISMES


Je me permettrai de redire, et cela sans crainte de me répéter, qu’il faut étudier beaucoup l’oiseau, le connaître comme ornithologie, comme anatomie, comme mœurs, et surtout comme manière de voler, puisque c’est surtout ce point qui est le sujet de mes réflexions.

Le moins qu’on puisse faire quand on a un professeur, c’est de suivre ses exemples et ses conseils ; et quel est maître plus savant que celui-ci ? Il n’est pas phraseur, il ne vous dira aucun fait avancé ; en cette matière, l’aviation, il ne dira même rien : il démontre, il exécute le vol plus ou moins bien suivant son savoir, on pourrait dire sans jeu de mot suivant sa capacité.

Son étude, poursuivie avec passion depuis quarante ans, m’a permis d’affirmer dans l’Empire de l’air, sous forme d’axiomes, une série de propositions que, depuis 1881, je me suis appliqué à revoir. Je ne trouve que peu de chose à changer et peu à y ajouter.

Les voici réunies en un seul groupe.

Page 31 : Chez l’oiseau « La force proportionnelle est en raison de la petitesse. »

Page 33 : « La vitesse est en raison inverse de la grandeur de la surface. »

Page 36 : « L’aptitude au changement de direction est en relation avec l’ampleur et la puissance de la queue. »

Page 37 : « Les oiseaux sans queue ont tous l’avant-bras très long. »

Page 63 : « Dans la navigation aérienne la question de base est la vitesse. »

Page 69 : « La quantité de surface proportionnelle nécessaire à un oiseau pour un genre de vol donné diminue avec l’augmentation du poids de l’oiseau. »

Page 210 : « Quand un corps se meut, son centre de gravité (ou son centre de pression) se déplace et se transporte en arrière du sens de mouvement. »

Page 236 : « Dans le vol des oiseaux voiliers, l’exhaussement est produit par l’emploi adroit de la force du vent, et la direction par l’adresse ; de sorte qu’avec un vent moyen, on peut, avec un aéroplane qui n’est pourvu d’aucun appareil pour s’exhausser, s’élever dans les airs et se diriger même contre le vent. »

Page 237 : « L’ascension est produite par l’utilisation adroite de la puissance du vent, et nulle force autre n’est nécessaire pour s’élever. »

Dans le présent livre nous trouvons celle-ci au chapitre «  Aéropane d’essa i » : « L’oiseau qui a l’aile étroite n’a presque pas de queue, et celui qui a l’aile large a la queue très développée. »

Je n’ai malheureusement pu étudier que peu d’oiseaux, l’observation des voiliers africains et américains pourra probablement suggérer d’autres exposés de principes. Il faut donc étudier le volateur vivant en liberté, en pleine action de vie, suivre avec ardeur le professeur dans ses démonstrations, s’en pénétrer et les analyser sagement.

Là est la voie ; il n’y en a pas d’autre !

L’étude crée et détruit. Elle crée la science de l’aviation et détruit les errements produits par l’imagination.

L’imagination, c’est le sentiment faux de la mécanique ; c’est, et cela sans ombre de paradoxe, la spéculation mathématique mal étayée, qui se fourvoie chaque fois que les bases sont fausses, et elles le sont toujours, puisqu’on ne sait encore rien de précis. Puis, il faut l’avouer, ce sont les observation inexactes.

Cette dernière assertion est un danger bien sérieux. On commence à écouter l’observation et à croire son dire, elle doit être la vérité même ; si par malheur elle est fausse, c’est un désastre pour l’entendement humain.

Il y a eu beaucoup d’observations ; ce ne sont pas les yeux du corps qui ont commis ces erreurs, ce sont les yeux de l’intelligence qui ont cru voir, ou même qui ont dit : J’ai vu !

N’insistons pas. Soyons sérieux, soyons véridiques, l’aviation s’en trouvera mieux. Il ne faut parler sur cette matière que quand on sait bien.

Laissons de côté les inexactitudes des autres, et voyons celles de l’auteur.

Que n’a-t-on pas dit sur la rapidité des volateurs ? J’ai consacré un chapitre à ce sujet où, tout en baissant la note généralement admise comme chiffre de rapidité de l’être ailé, j’ai été encore du côté de l’exagération.

Ainsi il y est dit que l’oiseau à vol rapide fait 60 kilomètres à l’heure, soit 1 kilomètre à la minute, soit 16 mètres 66 à la seconde. C’est trop, beaucoup trop ; l’oiseau va bien moins vite que cela, et je parle là des pigeons et des tourterelles. Dix ans de plus d’observation m’engagent à diminuer cette estimation et à la reporter, pour ces deux oiseaux, à 10 ou 12 mètres environ seulement pour le vol usuel moyen.

Au reste, dans cette question de vitesse, les chiffres sérieux ne pourront être donnés, que quand on s’accordera pour ne l’estimer que par le calme absolu ; c’est dans ce cas seulement qu’on comptera juste.

Il est clair que si l’on néglige la vitesse du vent on va à l’absurde. Ainsi, supposons un vent de 20 mètres à la seconde ; c’est le grand vent du nord. Faites qu’un pigeon voyageur ait à aller contre lui pour rejoindre son pigeonnier, vous constaterez qu’il n’arrive pas dans la plupart du cas ; ce vent n’est pas pénétrable pour lui sur un long parcours. D’après cette expérience on ne pourra cependant pas dire avec raison que le pigeon ne vole pas. Si, maintenant, c’est le cas contraire qui est posé, le pigeon allant avec le vent, il aura une vitesse de 20 mètres qui est celle du courant d’air plus la sienne propre par le calme qui est de 12 mètres, qui font un total de 32 mètres à la seconde produits sans se forcer. C’est 115 kilomètres à l’heure ; et cependant le pigeon ne peut avoir cette vitesse que quand il est ainsi poussé.

Dernièrement il a été parlé sérieusement d’hirondelle produisant 200 kilomètres à l’heure. On ne peut pas dire que c’est faux, mais on peut assurer que, si c’est exact, le vent avec lequel elle allait avait 175 kilomètres de rapidité.

L’hirondelle va lentement. Expérimentez vous-mêmes, vous le pouvez facilement ayant beaucoup de ces oiseaux sous les yeux. Choisissez un temps pluvieux dans lequel elle vole bas. Etudiez-la suivant un chemin, une rue, de son vol ordinaire de chasse et vous constaterez qu’elle ne fait que 6 à 7 mètres à la seconde. Adressez-vous à l’hirondelle de cheminée (rustica) qui est très familière et qui est la plus véloce des oiseaux de ce genre de France.

Puis ne croyez pas que c’est un vol de circonstance. Je les ai vues en voyage, en pleine mer, bien des fois : c’est le même rythme absolument que celui que vous lui voyez produire sur le sol. L’hirondelle ne se presse que quand, irritée et effrayée, elle poursuit un émouchet ; il y a dans ce cas grande accélération de vitesse, les ressorts la poussent vivement en avant, mais qu’est cet excès de rapidité comparé à 200 kilomètres ? Au fait il reste un vent de 175 kilomètres à l’heure, voyons ce qu’il est. − C’est plus de 48 mètres à la seconde ! N’insistons pas.

Le fait important qui ressort de cette digression est la compréhension de la vitesse minime de l’hirondelle et de généralement tous les petits oiseaux à vol rapide. Cette faiblesse dans la translation est forcée, car ces oiseaux sont de petite taille, de masse faible, ils ont avec cela une grande surface, par conséquent le traînement est énorme. Ces oiseaux le détruisent ce traînement par une succession de coups de force ; mais ces efforts ne sont pas illimités. Il faut pour aller vite non seulement être fort mais peser beaucoup. Voyez les canards. Le pigeon est déjà bien plus lourd que l’hirondelle, aussi doit-il donner aux pigonniers de guerre des résultats bien plus certains que les hirondelliers.

A ce propos, de faire servir à la guerre ces petits oiseaux, que peut-on espérer tirer d’un volateur qui n’habite l’Europe que fin avril à fin septembre, soit cinq mois ? Le pigeon offre bien plus de garanties : il est à poste fixe, il s’élève, s’éduque, s’entraîne, apprend son métier de voyageur ; c’est beaucoup à son avoir. Ne devrait-on pas cependant lui substituer un de ses congénères qui le dépasse de beaucoup dans toutes ces aptitudes. Il y a en Egypte beaucoup de bizets (colomba livia), variété africaine. Celui-ci est le vrai type du voyageur : ailes étroites, pectoraux énormes, volateur émérite et sociable ; il habite ici des pigeonniers. Comme vol, il laisse de bien loin en arrière tous les pigeons du Caire, et vous savez que toutes les variétés de pigeons d’Europe viennent de cette ville où les amateurs de ces oiseaux sont très nombreux. Il y a un marché spécial de pigeons qui se tient chaque vendredi sur lequel on voit régulièrement des variétés qui ne se trouvent pas en Europe. Les amateurs font des folies pour ces volatiles. Leur grande récréation est de les faire voler au-dessus de la vieille ville, le matin et le soir. Vous rencontrerez à ce marché non seulement les paons trembleurs d’une pureté de race remarquable les chanteurs aux roucoulements curieux et interminables, les énormes pigeons turcs, etc., et tous ceux qui volent mal, mais vous remarquerez que où l’Egyptien montre un savoir de sélection tout particulier, c’est dans le choix des variétés de voyageurs. Tous les becs courts à ailes longues que vous pouvez posséder sont présents ici : les grandes et les petites tailles sans parler du plumage, depuis le 0ᵐ90 d’envergure jusqu’au minuscule blanc à manteau noir gros comme une tourterelle. Hé bien ! quand un bizet passe à travers tous ces vols, du premier coup d’œil on saisit que c’est un oiseau sauvage. La vitesse de l’un et des autres n’est pas comparable ; elle est probablement d’un tiers en plus, puis, la route suivie est rectiligne et très haute ; tout-à-fait hors de portée d’un coup de fusil.

Ils font ainsi, sans y être poussés par autre chose que leur instinct, de véritables voyages qui indiquent que ces pigeons ont la géographie infuse dans leur petite tête : ils n’auraient donc pas besoin d’être entraînés.

Il serait facile de s’en procurer quelques centaines de paires d’un seul coup. Comme manger c’est un gibier.

Les rameurs même les plus rapides vont donc lentement dans l’air calme. On a toujours des tendances à exagérer leur vélocité. Quant aux voiliers c’est encore pire. Le milan vise à planer sur place, le vautour a le même but et y réussit ; c’est donc l’envers de la vitesse.

Dans certains cas, qu’on ne considère généralement pas comme des exceptions, il y a des tours de force qui sont produits. C’est surtout dans les pays montagneux que ce mode de locomotion fait des effets extraordinaires. Ainsi, dans la montagne, les routes sont excessivement sinueuses, et le chemin de l’air est droit ; une contrée accidentée, comme la Suisse ou la Savoie par exemple, demande pour être traversée sur terre un temps très long ; par la route de l’air c’est peu de chose : de là l’illusion.

Malgré toutes ces considérations sur la lenteur des êtres ailés il n’en reste pas moins qu’il faut 8 à 10 mètres de rapidité par le calme pour être porté par un aéroplane à grande surface, ce qui est encore trop pour que, sans éducation préalable, l’homme ose s’y livrer.

Il a été dit plusieurs fois dans ces deux études que plus la surface augmente pour une charge donnée, plus le ralentissement croît. Ce ralentissement produit une très curieuse impression, c’est encore un effet inconnu de l’entendement usuel et sur lequel il est bon d’insister.

Une flèche de grande taille, de deux mètres carrés de surface et du poids de 3.500 grammes va avec une vitesse d’environ cinq mètres à la seconde dans l’air immobile. Un aéroplane de 5 mètres d’envergure et de 4 mètres carrés de surface est d’une lenteur singulière dans sa marche. J’ai cet appareil tout construit depuis dix ans, je l’ai vu en acte de vol, mais malheureusement d’une façon trop sommaire. Sa note frappante est le ralentissement dans le parcours. Nous devons donc, pour les premiers essais, nous servir de surfaces les plus grandes possibles, afin de n’être pas effrayés par la vitesse.


ARRÊT DE PÉNÉTRATION


L’absence de traînement dont j’ai parlé doit être considérée comme une fiction. Il doit y avoir assurément production d’un retard quelconque dans tout corps qui pénètre un milieu, c’est absolument certain, et cela, quelque forme qu’on lui donne. Le fond de la pensée est celui-ci : c’est que ce retard est infime, absolument négligeable et ne doit pas occuper nos réflexions.

Quand on suppute bien attentivement la fluidité de l’air, on comprend que cette manière d’envisager la résistance offerte par le milieu aérien est juste, surtout pour les fortes masses. Dans l’oiseau, l’aile ne traîne pas sensiblement ; il n’y a que le corps qui peut avoir de la difficulté à pénétrer le fluide, mais ce corps dans les volateurs est tellement bien construit que l’intelligence fait, de suite, comprendre combien doit être facile cette retenue.

Elle se fait voir cependant lorsque le courant devient très violent et peut alors être estimée. On pourra dire dans ce cas qu’elle est égale à telle vitesse de courant ou à telle rapidité par le calme.

L’arrêt de la marche de l’aéroplane-oiseau dans un courant aérien puissant, est variable avec l’espèce. La faculté de pénétration est, à gabaris égaux, en relation exacte avec l’importance du poids : ainsi un goëland pénètre plus facilement l’air qu’une mouette, tous deux étant sensiblement de même construction.

Ce qui fait que le gros oiseau a plus de facilité de pénétration que le petit, c’est que sa surface est moindre. (Voir les tableaux de l’Empire de l’Air où cette proportionnalité est indiquée dans chaque dernière colonne pour tous les genres de vol.) Comme toujours nous laissons de côté les rameurs et nous ne nous adressons qu’aux voiliers. Cependant nous répéterons que la faculté de pénétration dans les grands courants d’air est en relation avec l’étroitesse de l’aile, soit dans le vol ramé, soit dans le vol plané. Ainsi, le rameur pluvier et le planeur puffin admettent des vents qui forcent au repos le rameur perdrix et le planeur vautour.

Mes observations sur le vol des oiseaux m’engagent à classer ainsi ces quelques sujets :

RAMEURS Plénitude
de Facultés

mètres
Arrêt

mètres
VOILIERS Plénitude
de Facultés

mètres
Arrêt

mètres
Colombus Imbrim 35 50 Albatros divers 25 40
− miner 30 45 Puffins divers 20 35
Grdes Outardes 20 35 Percnoptère 10 25
Pluviers divers 15 25 Milan 10 25
Pigeons 10 20 Effraye 5 15
Moineau 5 15

Ces quelques chiffres sont des estimations qui n’acquièreront de l’importance que quand on aura pu vérifier combien ils approchent de la vérité. Je les ai revus et corrigés vingt fois pendant dix ans ; ils sont donc étudiés autant que j’ai pu le faire.

Si ces données sont justes, on voit donc que, chez le volateur bien construit, cette expression « Absence de traînement » peut être considérée, vue en gros, comme une vérité. Elle en approche d’autant plus que la masse devient plus forte ; ceci est un fait indiscutable prouvé par plus de cent mensurations, qui sont dans les tableaux que j’ai présentés dans ces deux études. Quand, au lieu de s’adresser à une masse du poids de 7.500 grammes on aura affaire à celle de 75.000 grammes, soit dix fois plus, il est probable que cette formule approchera dix fois plus de la vérité.

Il est facile de comprendre que la surface offerte par l’homme qui pèse dix n’est, dans certaines positions heureuses, que le double ou le triple de celle du pélican ou du vautour qui pèse un. Or, si chez ces oiseaux, la retenue est déjà presque indiscernable, ne sera-t-elle pas pour la masse humaine absolument négligeable ?


MÉCANIQUE DE L’OISEAU


La machinerie de l’oiseau est aussi merveilleuse que son imitation produite par l’homme est grossière et imparfaite. Regardons de près un de ces énormes voiliers, un vautour, un pélican, un aigle, et délectons-nous devant cette collection de tours de force de mécanique vivante qui composent cet aéroplane animé.

Tout vit dans le volateur, tout pousse, tout croît, s’use et se répare. La plume importante, la rémige, renaît, garantie par ses voisines qui la préservent d’un effort trop grand et lui impriment la bonne direction. Elle fait son travail de plume pendant deux ou trois ans et meurt, c’est-à-dire tombe à son tour, et, dans cette rotation établie dans la chute de ces organes indispensables à l’oiseau, jamais deux voisines ne tombent ensemble ; le vol en serait atteint et la reconstitution prêterait à des accidents.

La croissance de ces longues rémiges qui supportent tant d’efforts, qui braveront les terribles courants aériens, est intéressante au possible. Avec quel soin l’oiseau les soigne ! Le bec, plusieurs fois par jour, vient couper la pellicule qui l’enveloppe. Ces coups de bec attaquent légèrement les barbes, et marquent la plume de crans réguliers espacés entre eux d’un demi-centimètre.

Tous ces soins et la vie font la plume, chose inimitable. Les os, les jointures, ces longs tendons, ces cordes élastiques, tout cela ne peut se reproduire, c’est la substance vivante ; il n’y faut toucher. Puis, si on étudie l’ensemble de l’aéroplane, ce qu’il lui est permis de faire, les mouvements compliqués que l’oiseau peut se permettre dans le vol, on reste atterré ; c’est à renoncer à essayer de produire même une grossière contrefaçon.

Qu’avons-nous pour imiter ces splendeurs ? Rien ou presque rien : les bambous, les hampes d’agave, les caisses légères, les tubes d’aluminium et les étoffes. Avec ces faibles ressources, il sera difficile de faire quelque chose de suffisant. Ce serait à abandonner si le cerveau humain ne venait en aide à la mécanique et à ses faibles moyens d’imitation. La pensée, heureusement, vient éliminer une forte partie des difficultés présentées par le vol ; elle finit par le réduire à sa plus simple expression qui est le vol sans battement. Elle refait au reste, dans ce cas, le même travail d’élimination de difficultés que celui qui a été fait par la nature.

Le vol réduit à ces proportions (qui sont cependant tout ce qu’on désire) est difficile, mais pas impossible à reproduire.

Le chapitre « Aéroplane » traite de ce sujet, mais il n’est que la grossière et difficile ombre de cette merveille. Cependant, tout imparfait qu’il est présenté, il peut suffire pour aller bien haut et bien loin.

Plus tard on fera mieux, on fractionnera l’étude du modèle, on essaiera de transformer ces plans rigides en surfaces variables. La pointe de l’aile, la main, est à créer du haut en bas. Dans les machines perfectionnées, elle devra être fermable et développable comme celle de l’oiseau. Toutes les surfaces, au reste, doivent être éminemment variables si on veut pouvoir perfectionner le vol.

Chez l’oiseau, non seulement la pointe de l’aile peut s’étendre, décupler de surface, mais même les plumes axillaires sont susceptibles de produire ces variations ...et en produisant cette variation de surface nous ne ferons qu’imiter la Nature qui se sert de ce moyen.

Vous devez avoir remarqué que les plumes portantes du manteau, celles qui sont implantées sur les os du bras et de l’avant-bras de l’oiseau, les axillaires en un mot, sont tordues d’une façon très accusée chez certains volateurs, précisément chez ceux qui ont à supporter de grands vents ou à produire des vols très rapides. Ces plumes, au repos, ont une courbure très accusée qui raccourcit leur longueur, chez le canard par exemple de près de deux centimètres, chez le goéland d’une quantité proportionnelle encore plus grande. Joignez à cela qu’elles sont toutes implantées absolument en biais. Ces dispositions produisent les effets suivants : Toutes les fois que le volateur a à lutter contre un courant aérien puissant, il ne le fait que les pointes en arrière ; les pointe sen avant seraient un contre-sens de vol qui empêcherait la translation et la transformerait en ascension. L’aile est donc très peu étendue, les plumes que nous examinons gardent simplement leur courbure et leur inclinaison, et la surface est alors la plus petite possible ; non seulement la surface est minime, mais l’aile est diminuée dans sa largeur, disposition spécialement utile pour la pénétration. Mais, si l’oiseau rencontre peu de courant, ou s’il a à aller lentement, ou encore à s’élever, il a alors besoin d’une plus grande surface et d’une plus grande largeur de l’aile ; il obtient ces deux excédents de support en étendant l’aile complètement. Par cette extension il se produit l’effet suivant ; sous l’action de retenue des barbes entre elles toutes ces plumes peuvent être considérées comme collées ensemble ; cet entraînement en avant ne peut se produire qu’en détruisant cette disposition inclinée de l’ensemble de tous ces supports, les ramenant à la perpendiculaire, par conséquent en élargissant l’aile, puis en redressant toutes ces courbures et les ramenant à la droite, et même en élargissant toutes les plumes, car le même effet qui se produit sur les canons se reproduit sur les barbes ; de là, changement de largeur et augmentation de surface dans cette partie de l’aile : effets bien moins étudiés que celui des variations produites dans le même cas par la pointe de l’aile.

Pour voir facilement cette disposition particulière, regardez le pélican chez qui les ailes fermées n’ont pour ainsi dire aucune largeur ; toutes les plumes semblent roulées ensemble comme un parapluie roulé dans son fourreau. Chez l’albatros, la frégate, le fou, cet effet est encore plus accusé, et, comme antithèse, voyez l’énorme surface présentée par les axillaires chez les aigles et les vautours qui ont cette partie de l’aile immuable. − Pour voir cet effet de variation de surface bien accusé, adressez-vous au martinet ; vous trouverez chez ce volateur la plume tellement adhésive qu’elle semble vivante : elle mord sa voisine avec une énergie qui étonne, on est surpris de sa faculté de reconstitution ; en ouvrant et fermant l’aile, on voit se redresser ou se recourber les plumes que nous observons.


Ce sera une disposition à copier, dès qu’on sera sorti des aéroplanes élémentaires. Il n’y a qu’à copier et à adapter l’effet, aux substances que nous utiliserons.

Chercher à copier de trop près la nature semble bien osé ; il convient de se borner à l’interpréter, car ce mécanisme de mouvements divers de plumes ne se borne pas à l’action adhésive des barbes. Quand on dissèque une aile de grand volateur à ailes étroites et variables, on voit, rien qu’en enlevant les plumes de couverture qui gènent la vision du mécanisme des portantes, combien est compliquée dans l’être la production de ces mouvements. Il y a des muscles peaussiers, des tendons, des ligaments larges qui concourent à fixer, à mouvoir, à redresser et à retourner légèrement sur elles-mêmes toutes ces plumes qui, chez les oiseaux à ailes très allongées, sont excessivement nombreuses. Cela à tout-à-fait la tournure, comme complication, d’un clavier de piano qui serait vivant. Pour bien saisir le fonctionnement de ces mouvements, point n’est besoin d’avoir recours au scalpel ; ces tendons et ces muscles que la graisse n’encombre pas sont d’une netteté de vision bien suffisante, la peau qui les recouvre est pour ainsi dire transparente ; en allongeant ou racourcissant l’aile, on saisit de suite le jeu de tous ces organes. Mais autre est de comprendre, autre est de reproduire.

On pourrait se borner à imiter ainsi dans les appareils perfectionnés ce chef-d’œuvre qu’on ne fait qu’apercevoir. S’adresser pour ce genre d’aéroplane à l’aile en deux morceaux. Nous admettons pour un instant que le mécanisme qui produit la variabilité de la main a été trouvé. Les surfaces variables que nous cherchons à reproduire doivent être fixées sur la partie qui remplace le bras et l’avant-bras ; elles seraient formées d’une série d’âmes, joncs ou bambous, qui rempliraient le rôle de canons de plumes et sur lesquels serait tendue une étoffe élastique telle qu’un tricot. La main de l’aéroplane commanderait ce mouvement de sorte que, quand on le porterait en avant, toutes les âmes élastiques seraient tirées et redressées ; elles entraîneraient et élargiraient les étoffes de tricot et l’augmentation de surface serait produite.

On pourrait encore adapter à chaque canon élastique une surface particulière indépendante ; ce serait alors l’imitation beaucoup plus rigoureuse de la plume ; ou encore une série de plans rigides s’imbriquant les uns sur les autres qui seraient mis en mouvement, redressés et développés par le mouvement en avant de la main.


DU CHOIX DANS L’OBSERVATION


Quand on étudie l’oiseau, il ne faut jamais considérer ce qu’il fait mais ce qu’il peut faire. On ne doit pas voir ce qu’il fait dans l’instant, mais ce qu’il fait par moment. Ainsi, on voit un voilier excessif ramer à outrance sous l’action du besoin, on ne doit pas se dire : cet oiseau est un rameur, mais, au contraire, l’étudier longuement, le voir dans l’ensemble de ses actes de vol et se dire : il ne rame que par accident et est, au contraire, un voilier.

En étudiant l’être ailé avec intelligence, au point de vue exclusif de l’aviation à la voile, on doit dépasser de beaucoup l’observation attentive de l’ensemble de son vol. Ainsi, son vol de voilier est composé d’une foule d’actes différents ; les uns simples, les autres compliqués : on doit chercher d’abord à se les expliquer tous, puis laisser de côté ceux qui s’éloignent du vol simple de parcours et ne conserver que ceux dont l’exécution est facile.

Un voilier peu imitable, observé à ce point de vue spécial des actes qui peuvent être utiles, devient alors un excellent professeur.

Ainsi le milan, ce professeur perpétuel de difficultés inimitables a, lui-même, de bons instants ; il produit, de loin en loin, des manœuvres d’une simplicité surprenante. On se demande en le voyant voler de ce vol naïf : pourquoi n’emploie-t-il pas toujours ce procédé infiniment moins compliqué que ceux qui lui sont usuels ? C’est que interviennent une foule de raisons qui n’ont aucun rapport avec l’aviation ; c’est qu’il est milan, oiseau actif, énergique, puis, qu’il vole pour lui et non pour professer.

Pour pouvoir faire un pareil choix dans les évolutions des volateurs il faut assurément avoir un grand nombre d’exemples sous les yeux. La quantité des oiseaux qu’on a à portée de la vue est beaucoup, mais ce n’est cependant pas tout ; il faut regarder et assidûment. Il y a des gens qui ont des yeux pour ne pas voir. Combien dans notre bonne ville du Caire, véritable paradis des voiliers, n’ont pour ainsi dire pas remarqué qu’il y a plus de milans qu’ailleurs, et qui par dessus le marché n’ont jamais vu ni pélican ni vautour ? Quand on sait voir on trouve dans les airs des êtres ailés de grande taille qui passent tout à fait inaperçus des gens qui n’observent pas. Ainsi, en 1881, en pleine rue de Paris, j’ai montré à un groupe de connaissances deux aigles qui passaient au-dessus de nous. Il fallut de l’attention à ces gens qui n’étaient pas initiés à cette. recherche pour arriver à comprendre que ces deux oiseaux, qu’ils prenaient pour des pigeons, avaient un mètre cinquante au moins d’envergure, mais enfin, une fois leur attention bien éveillée, ils convinrent que, si je ne les avait pas fait remarquer, ils ne les auraient pas soupçonnés.

Il faut apprendre à voir ! L’observation est comme le dessin, elle demande non seulement une aptitude et une conformation spéciale de l’œil, mais même une gymnastique et un entraînement particuliers. Le lecteur qui aura fait des études sérieuses sur ce qu’on nomme, en dessin de figure « la ligne » me comprendra ; pour ceux qui n’ont pas poussé jusque là je dirai simplement qu’il faut d’abord avoir une belle vue, puis l’amour de cette étude.

Généralement, on ne se sert pas de ses yeux, on ne voit rien, on est distrait. Il faut que l’oiseau vienne positivement vous heurter pour qu’il éveille votre attention ; tandis que, quand on est né ou devenu observateur, un rien, un point qui passe là-haut avec une tournure qui n’est pas naturelle attire votre regard.

Cet oubli de voir ce qui existe, cette paresse de l’œil même bien conformé, est extrême ; c’est à confondre celui qui sait voir. Les pays dépourvus d’oiseaux en ont cependant suffisamment pour permettre l’étude du vol, ce n’est pas précisément là qu’est l’écueil, il est dans l’inattention de la vue. Ainsi on peut voir en Europe l’ascension par le planement produite dans de mauvaises conditions, c’est vrai, mais enfin fournie d’une façon exacte par la crécerelle, et cela en pleine ville, par certains jours de changement de temps. Le vol de parcours plané n’est pas plus rare ; dans chaque port de mer on peut l’observer toutes les fois que le vent est un peu vif ; par une bonne brise, les oiseaux marins rament peu. Ces deux exemples d’oiseaux faciles à rencontrer démontrent le vol de parcours et l’ascension ; quand l’observateur aura aperçu ces deux genres de locomotion, lorsqu’il aura saisi leur économie, lorsque seulement il sera persuadé qu’ils existent, il se dira alors qu’il y a des oiseaux qui font mieux ces exercices que ceux qu’il étudie ; qui, par le fait de leur grosseur sont plus aptes à fournir une démonstration plus facile à analyser ; alors, il cherchera à voir ces gros volateurs et le sentiment de l’observation sera né chez lui.

Ce qu’il verra alors l’étonnera ; il se demandera souvent pourquoi, auparavant, il n’avait jamais soupçonné ce qui lui crève les yeux maintenant. Il m’a été dit souvent ceci : depuis que j’ai vu l’Empire de l’Air mon attention est éveillée, et je vois des oiseaux où avant je n’en voyais pas. Oui assurément les êtres ailés auront décuplé pour l’observateur dont l’esprit s’est ouvert à cette étude. Il en verra partout, dans la forêt, dans les buissons, dans la plaine, dans l’immensité des cieux, et même dans la nuit. — Les gens qui ont visité le Caire ne sont pas rares. Demandez-leur combien ils ont vu de chauves-souris, de 0 m. 50 de diamètre. Ils vous diront certainement : aucune. Cependant le soir, sans se déranger, sur ma terrasse, je leur en ferai voir un cent en une heure. Elles auront toutes de 0.40 à 0.50 d’un bout d’une aile à l’autre, ce qui est respectable ; et ils verront cela, sans l’ombre de fatigue, étendus sur un divan, tournant le dos à la lune et en prenant le frais. On les entendra même voler s’il fait un peu de brise. Et cependant neuf cairotes sur dix ne les soupçonnent pas. Du même coup, on apercevra le scops qui est juste gros comme la rousselle, l’effraye, l’otis brachyotus qui plane si merveilleusement dans l’air calme de la nuit, et enfin, peut-être, le duc africain. Celui-ci vaut le dérangement ; on ne l’oubliera pas facilement.

Il faut donc décidément se résoudre à regarder en l’air et non sur le papier. Il faut agir, quitter les villes, fréquenter la campagne, visiter les pays éloignés où se trouvent les oiseaux de grande taille, ou laisser l’aviation où elle est, c’est-à-dire en pleine ornière. Il faut abandonner le chapeau, l’ombrelle et le parapluie. Pour voir ce qui se passe dans le ciel, il ne faut pas de visière ; c’est quelquefois ennuyeux, mais c’est comme cela. Vous figurez-vous la longue carabine avec un chapeau ! Quand vous chassez l’oiseau, s’il arrive par derrière et passe au-dessus de vous, vous ne le verrez, ayant un chapeau, que quand il sera hors de portée. La moitié du champ de vision est supprimée et c’est bien à considérer. Il faut avoir la vue libre si on veut bien voir et c’est naturel.


VOL RETENU
(Vol lent)


À quoi peut bien nous être utile le coup de poussée ?

À rien, surtout dans le commencement. La vitesse produite par la chute de l’aéroplane, sa marche simple cherchons à l’augmenter. À quoi pense-t-on ? Cette course naturelle de 5 à 10 mètres de vitesse, suivant les surfaces proportionnelles, nous stupéfie, trouble notre instinct de conservation et nous comptons l’activer. Que faisons-nous de notre bons sens ?

C’est au contraire le retard qu’il faut cultiver.

Voyons la nature, regardons comment elle s’y prend dans le cas présent ; on fait toujours bien de l’étudier, c’est infiniment plus facile que d’inventer. Elle a eu souvent à s’occuper de cette question du ralentissement du vol. Elle a eu, au reste, à s’occuper de tous les cas : rapidité excessive, vélocité moyenne, vol dans les courants d’air, vol perpétuel ou peu s’en faut, locomotion de l’oiseau qui ne vole presque pas, etc., enfin vol retenu.

Et retenu forcément, parce que l’être qui en est fourni en à besoin pour ne pas se tuer dans sa translation nocturne à travers mille obstacles, ce qui est le fait des chauves-souris et des oiseaux de nuit.

On doit partir de ce principe, qui rompt un peu avec les idées reçues, mais qui n’en est pas moins vrai pour cela, c’est que ces nocturnes malgré leurs yeux extraordinaires y voient souvent à peine pour se conduire. Dans la nuit complète, au reste, ils ne volent pas, je m’en suis assuré bien des fois en faisant l’obscurité absolue. Mes chouettes et même mes grands-ducs n’osaient plus s’envoler, et c’était naturel car l’organe de la vision ne crée pas la lumière ; quand il n’y en a pas il ne peut pas la trouver. Un oiseau de nuit dans l’obscurité précise, un chat, même une chauve-souris, être qui possède cette faculté à un degré encore bien supérieur, dans le noir exact n’y voit pas plus que nous.

Cependant j’ai été longtemps à me persuader de ce fait, ma conviction était entravée par un cas étrange qui s’était passé sous mes yeux et que je ne m’explique pas.

Dans ces expériences sur l’action de l’obscurité complète sur les yeux des oiseaux, j’y soumis des chauves-souris vulgaires. À mon grand étonnement elles volaient presque aussi facilement que dans la lumière de la nuit ordinaire. Je repris l’expérience avec plus de soin, produisis le noir le plus exact et créai même une difficulté, c’était le passage d’une chambre à une autre par un gros tuyau de cheminée en tôle de 0,40 centimètres de diamètre et long de plusieurs mètres. Ce tuyau allait aboutir dans un réduit sans ouverture ; l’obscurité y était donc absolue. Je remarquai aux battements des ailes que le vol était fortement gêné, cependant il n’y avait jamais choc contre les murs. Elles ne savaient presque plus s’accrocher au plafond, manquaient souvent leur abordage, mais cependant, à ma grande surprise, elles passèrent toutes, en quelques minutes de tâtonnements, dans le tuyau et de là dans le réduit, afin de fuir la présence de l’homme dont leur organe olfactif leur indiquait la présence dans la grande chambre. Dans cette même obscurité, hulotte, grand-duc, chevêche, effraye …et scops étaient immobilisés.

Je parlai de cette expérience à mon maître feu Jourdan, le Geoffroy Saint-Hilaire de Lyon, qui s’intéressait à mes études, et il vint s’assurer que l’expérience était bien faite.

Voici l’explication qu’il en donna quelques jours après dans une leçon de Zoologie « Chez la chauve-souris, comme chez tout être, quand la lumière est absente, la rétine, quelque acuité qu’elle possède, ne peut être impressionnée, il faut donc mettre la possibilité du vol de ce mammifère sur une autre fonction. » Il attribua au sens du toucher cette possibilité de direction. Ces grandes membranes des ailes doivent posséder une faculté de tact excessive. Le battement produit sur l’air qui avoisine un corps dense, un mur par exemple, n’a plus la même élasticité que celui qui est au large. Cette simple différence devait suffire à la chauve-souris pour être avertie de l’approche d’un corps contre lequel elle allait se heurter ; et comme, chez elle, la masse est minime, et que, en plus, elle possède une faculté de présentation de plans divers que nul petit oiseau n’atteint même de loin, ajoutez à ces qualités une force de pectoraux incomparable, on arrive à comprendre comment elle parvenait à se mouvoir dans le noir au moyen du tact, comme si la vue avait perfectionné.

La nature a fourni aux volateurs nocturnes, mammifères ou oiseaux, des organes spéciaux qui leur permettent d’éviter les chocs que produirait fatalement la faible intensité de la lumière qui leur permet de se diriger. Ces organes sont, d’abord, une grande surface par rapport à la masse, fait qui prouve forcément le vol lent. Puis la faculté qu’ils ont de changer le plan de leurs ailes d’une façon tellement brève et active que l’oiseau de nuit volant dans un espace restreint est une révélation pour l’observateur, qui n’a jamais rencontré dans les oiseaux diurnes des facultés de direction qui leur ressemblent.

À l’article « Grand-Duc » j’en ai dit quelques mots, mais je n’ai pas assez insisté sur ce vol étrange par sa mobilité dans la direction et par son silence. Dans une chambre d’environ 10 mètres de longueur sur 6 mètres de hauteur, je les ai vus planer en descendant, décrire une spirale ellipsoïdale, passer deux fois devant moi avant d’atteindre le sol, et cela sans bruit. Les nocturnes sont les oiseaux qui volent dans l’espace le plus restreint, et cela à cause des organes qu’ils possèdent pour produire le vol lent.

Une des dispositions de l’être qui permet ce retard est la grande surface plane qu’ils présentent à l’avant. Les nocturnes ont tous un disque facial qui est un organe d’arrêt actif. Ce grand plan qui est formé, non par l’ossature de la tête de l’oiseau, mais par des plumes rigides actionnées par des muscles actifs, peut disparaître à volonté de l’animal. Au repos, au vol contre le vent, l’accipitre nocturne qui voit clairement sa route n’a plus de disque : il est complètement effacé : l’oiseau ne se ressemble plus. Un grand-duc qui, lorsqu’on le regarde, a la face large de deux centimètres carrés, n’a plus, en acte de vol de pénétration, que le quart de cette surface d’arrêt ; ses aigrettes ont même disparu, elles sont aplaties sur la tête et ne sont plus retenues.

Mais que sont ces écrans à côté des oreilles mobiles des chauves-souris ? Regardez attentivement l’oreillard (plecotus auritus) et vous comprendrez de suite le véritable but que s’est proposé la Nature en créant cet appareil auditif qui est de grandeur hors de toute proportion.

ANGLE D’ATTAQUE


Cet angle moyen sous lequel l’aéroplane prend le vent, afin d’être supporté, qu’à tort on s’ingénie à chercher, nul ne peut le mesurer, parce qu’il est variable avec le vent qu’il fait dans l’instant, avec l’orientation de la course de l’oiseau par rapport à la direction du courant d’air, et enfin avec le but que le volateur se propose d’atteindre. On pourrait même encore adjoindre une foule d’autres considérations qui finalement font comprendre que cette recherche devient tellement compliquée qu’elle est absolument inextricable. C’est la vie, la locomotion intraduisible en chiffres ou en angles, parce que le changement est de tous les instants, c’est la gymnastique, en un mot, devant laquelle les données précises s’inclinent, et sont remplacées par l’intelligence spéciale qui chez l’être régit l’acte de mouvement de l’instant.

Cet angle est sous la pondération des centres nerveux qui sont à l’arrière de la tête : cervelet et moelle allongée, et non des masses cérébrales qui sont sur le devant de l’encéphale.

Pour essayer de faire comprendre la variété d’importance que peut avoir cet angle, je vais tâcher de décrire quelques-uns de ces exercices que fait l’oiseau voilier, et cela en termes les plus simples afin d’être compris de tous.

Le premier, celui qui est classique, est le mouvement produit par la chute, qui donne à l’aéroplane la vitesse suffisante pour être supporté, puis sa remontée pour atteindre un autre perchoir moins élevé ; le tout exécuté par le calme exact.

Cet exercice est produit par mes deux milans. Il y a vingt ans que j’assiste à cette manœuvre, elle est donc bien étudiée. Ils partent du sommet d’un observatoire et vont se poser à 75 mètres de là et ont fourni comme ensemble de course un angle de 12 degrés. Ces mesures, sans être exactes, sont très approchées. − La course produite a cette forme (fig. 12).−

Un seul battement est généralement donné au départ, il a pour but d’aider l’effort de projection en avant ; le reste de la course, abordage compris, est du glissement pur. Par cette chute d’un angle de douze degrés, l’angle de prise de vent n’est pas discernable, malgré les centaines d’évolutions étudiées avec la plus grand attention à ce point de vue spécial.

Je revois dans mes souvenirs une manœuvre à peu près pareille produite par la cigogne. Je l’ai perdu de vue ce charmant oiseau, elle ne niche pas ici. En Algérie, j’en avais un nid sur ma propriété. Il était placé au sommet de grands frênes, à la hauteur de 22 mètres, mesurée au moyen de l’ombre qu’il projetait. Souvent ces oiseaux se lançaient dans le vide de cette hauteur et se mettaient à glisser sans battement jusqu’à excinction. Encore là l’angle est nul, au moins dans la plus grande partie de la course. Dans la finale, la cigogne doit le produire ; mais comment s’en assurer et surtout le mesurer ? L’étude simple de l’espace parcouru par cet oiseau dans cette chute n’est même pas permise, parce que les renseignements qu’elle fournit sont faux. Je m’offris cependant quelques mesures ; la chose était facile, je comptais combien il y avait de pas du pied de l’arbre au buisson ou à la touffe d’herbe près de laquelle elle s’était posée, et chaque opération variait de la précédente de quantités énormes ; jusqu’à ce qu’un jour j’y renonçai, l’ayant vu produire une course indéfinie. Je la perdis de vue. Elle avait dû rencontrer un courant aérien qu’elle utilisait et qui n’existait pas sur le point d’où je l’observais, car je choisissais naturellement un moment de calme pour étudier ce cas.

On arrive à constater la presque impossibilité de l’analyse précise de l’évolution. Tout manque pour le faire : les mesures, l’absence de certitude que l’oiseau a volé dans le calme exact, et,., et,. Quand on étudie le volateur dans un courant, on ne sait jamais quelle est l’activité de ce mouvement ; toujours les données sérieuses échappent et entravent tout calcul.

On ne tranchera les premiers éléments de ces questions qu’au moyen d’expériences faites avec des surfaces, des poids, des formes connues et expérimentées dans des endroits fermés.

Si nous passons à l’étude du vol de parcours, je dois avoir avoué n’avoir discerné nettement l’angle de présentation que chez un oiseau : le milan, et dans un seul cas : c’est quand l’air du soir est absolument au repos. Dans cette circonstance, l’angle est visible à l’œil nu ; il est quelquefois très accentué. L’oiseau se traîne péniblement dans cet air lourd et embrumé qui ne semble pas porter comme dans les autres heures du jour. Le dénivellement entre le bec et le bout de la queue est souvent estimable à 15 degrés. C’est l’angle utile pour ce cas particulier, pour cet air électrisé qui a des effets physiques et physiologiques curieux absolument inconnus de l’Europe, entre autres, certaines fois, celui-ci : soutenir les poussières d’une façon incroyable. J’ai vu un soir la trace du passage d’un homme marquée par un petit nuage d’un mètre d’épaisseur, d’une dizaine de mètres de largeur, et qui se soutenait indéfiniment à 50 centimètres du sol, sans s’élever ni retomber.

Ceux que la recherche de l’angle de prise de l’air intéresse, trouveront ce renseignement au moyen de la photographie instantanée ; l’appareil de M. Marey le leur fournira. L’allure de l’aéroplane copié dans cet instant précisera cet angle d’une manière exacte pour la vitesse de ce moment, et pour l’aéroplane qu’on aura photographié. Si on opère sur un autre aéroplane, l’angle trouvé sera différent. Si, maintenant, on photographie un aéroplane mal réglé, c’est-à-dire produisant une course qui a des ressauts, on obtient autant d’angles différents qu’on obtient d’épreuves, et cela, parce que l’angle d’attaque de l’air a varié progressivement avec la variation de la vitesse de translation. Cet angle n’est précis que quand la course est précisément régulière ; sitôt que l’aéroplane animé ou inanimé quitte cette translation ponctuellement la même, sitôt l’angle est changé. Et il est bien entendu que toutes ces expériences sont faites dans l’air tranquille ; s’il y a un mouvement aérien, tout est encore à changer.

Ce qu’il y a de singulier dans cette recherche, c’est que ce ne sont pas les aviateurs à la voile qui s’en préoccupent le plus, mais au contraire, ceux qui cherchent à produire l’aviation par une propulsion quelconque. Au point de vue où ils se placent, l’aéroplane poussé par une force qui procure plus que la sustention, ils devraient négliger cet angle qui devient absolument inutile, puisque l’excès de vitesse, celle qu’il y a en plus de la sustentation, permet la direction et même l’ascension de l’appareil.

Ceux, au contraire, qui doivent s’en occuper sont les aviateurs voiliers, parce que, dans le vol à la voile, la vitesse et la sustentation sont données assez souvent par cet angle. Seulement il est à espérer que ces considérations feront comprendre qu’il est souverainement variable ; il est dispensateur du mouvement, c’est vrai, mais, comme le mouvement dans l’air est tout à fait irrégulier, il doit l’être également.

Le cas où il semblerait utile de le chercher par la théorie plutôt que par la pratique est celui du parcours régulier de longueur : l’aéroplane partant du haut et baissant jusqu’à arriver à toucher la terre. Si nous consultons le gyps fulvus, le grand maître sur ce mode de translation, l’oiseau qui semble ne pas ressentir l’action du traînement, nous voyons quelquefois une course inclinée descendante de 5 degrés environ, absolument régulière ; son aéroplane est pour ainsi dire immobilisé ; c’est donc bien le cas d’étudier cet angle. La difficulté est d’abord de le faire. Il est assurément inutile de songer à le photographier autrement que vu par dessous, il faut donc renoncer à ce moyen ; un autre système de reproduction de son allure est encore à trouver, il ne reste donc que la réflexion.

La réflexion commence par faire cette remarque : qui doit servir de base à l’estimation de cet angle ; est-ce la ligne d’horizon qui doit le mesurer ? Dans le cas présent, la base ne serait pas bonne puisqu’elle donnerait un angle négatif, étant d’observation très exacte que, dans sa course descendante, le gyps fulvus ne fait aucun angle visible sur la ligne qu’il poursuit. Force est donc de prendre pour base cette ligne qu’il parcourt.

L’angle est donc, dans ce cas, égal à 0 sur cette ligne. Maintenant comment esquive-t-il tous les apports d’exhaussement qui lui sont fournis par l’onde aérienne et qui devraient le déniveler. Comment les détruit-il, sans changer sa voilure, car rien ne varie, dans la tournure de son aéroplane, observation précise. — Il faut admettre, absolument, l’effet d’une inertie prépondérante fournie par la masse de 7500 grammes, supportée par un mètre carré qui permet et tolère cette continuité dans le mouvement.

Nous ne trouvons donc pas d’angle dans ce parcours qui est cependant un exemple choisi, et nous ne commençons à le soupçonner que quand cette course, au lieu d’être descendante, est horizontale ou même légèrement ascensionnelle.

Cette digression nous amène à envisager une autre manœuvre importante : l’ascension.

Que dire de sérieux sur une évolution qu’on voit constamment d’en bas et toujours de très loin ? On approche difficilement le vautour à cent mètres. Je l’ai vu de très près en ascension, mais dans un cas particulier de courant ascendant ; on ne peut donc que faire des estimations instinctives.

La vue de cet acte de vol fait remarquer que, dans l’orbe ascensionnel, cet angle existe dans une partie de la courbe qui est le moment où l’exhaussement se produit et l’instant où l’oiseau va contre le vent. Il s’éteint ensuite, et c’est logique, dans la partie où, poussé par le vent, il fait provision de vitesse.

Mais toutes les ascensions ne sont pas aussi simples que celle-là il en est d’autres qui semblent inexplicables ; ainsi celle-ci la courbe entière est une montée presque régulière, sans ressaut, et même presque concentrique, c’est-à-dire dont toutes les parties de l’orbe sont presque semblables entre elles. C’est une spirale inclinée qui n’est presque pas déformée. Le milan produit ce tour de force quand il est en retard pour prendre le frais et que le vent est actif ; il se dépêche afin de se soustraire le plus vite possible à la chaleur. Sa grande surface doit lui faciliter cette manœuvre extraordinaire ; il doit assurément offrir à l’air un angle très fort ; le courant aérien doit le pousser énergiquement, et le résultat est cette ascension, difficile à admettre, mais dont je m’offre le spectacle presque tous les jours, dans les mois d’été.

Je suis convaincu que cette manœuvre serait plus facile à reproduire qu’à expliquer.

On peut dire avec justesse que cet angle est très fort dans l’instant du départ de l’oiseau qui s’élève du sol plat ; il est tout à fait visible dans ce cas. À chaque battement des ailes correspond un battement de la queue qui a pour effet de transformer l’exhaussement en une résultante qui est l’avancement.

On voit cet effet d’une façon très claire dans le départ des gros voiliers.

L’angle est, aux deux ou trois premiers battements, de plus de 25 degrés ; il diminue ensuite très rapidement ainsi que le battement de la queue, à mesure que l’oiseau s’étale de plus en plus sur l’air. Une fois lancé, le mouvement de la queue cesse, l’angle s’éteint progressivement ; et, dès que le volateur se met à planer, il n’est plus discernable.

Il résulte donc de toutes ces considérations que la grandeur de cet angle est en raison de la réaction que le volateur veut produire sur l’air. Il l’exagère dans le cas du départ, de l’ascension extra-rapide ou du poser, mais ne s’en sert pour ainsi dire pas dans celui de simple parcours.


À PROPOS DU VOL THÉORIQUE


Il est un chapitre dans l’Empire de l’Air qui m’a valu bien des critiques : c’est le « Vol théorique ».

Sur cette question, l’aviation, il faut, d’après les uns, se taire et agir. Ceci est parfait, mais ce n’est pas instructif. — Il est facile d’émettre un aphorisme bien redondant. — D’après les autres, il est bon, quand on s’est trouvé de par le fait du hasard en bonne position pour voir beaucoup, de raconter à ceux qui ont été moins bien partagés ce que l’on a vu. C’est, en somme, le livre, l’instruction par le récit ; il n’y a donc pas à avoir de remords.

Cependant ce chapitre a été trop loin pour beaucoup de gens. Oser dire que plus tard l’homme volera mieux que l’oiseau semble dépasser l’hérésie. Et cependant, rien n’est plus vrai. L’homme volera. Il a déjà volé ! Quand il se remettra à cet exercice, quand, avec l’accoutumance, il reprendra en action la plénitude de ses facultés, il aura ce que l’oiseau n’a pas, des ailes comme lui, bien imparfaites c’est vrai, mais une tête qui, comme analyse et combinaison, n’est pas à comparer avec celle du volatile.

Oui, sans aucune outrecuidance, on peut dire que l’homme, quand il adaptera ses facultés à l’étude de ce problème, fera des merveilles. Voyez-le dans tous les exercices auxquels il s’applique. Voyez le patin, ce qu’il produit ! le vélocipède ! Regardez seulement en gymnastique à quoi il est arrivé ! Quel est le gibbon agile capable de produire les tours de force que font certains clowns ?

Par une espèce de timidité outrée, je n’ai fait qu’effleurer ces problèmes ; celui qui n’est certain que d’une chose, c’est que l’air porte parfaitement, n’avait pas mission de parler ; et cependant les échappées qu’on entrevoit sont vraies, voire même le vol en arrière qu’on m’a fortement reproché.

Ce ne sont pas des réflexions imaginatives qui ont amené ces considérations sur le vol de l’avenir, c’est simplement la vision du phénomène et son analyse.

Le domaine de l’observation et des démonstrations est tellement vaste au Caire qu’il n’est besoin de rien rêver comme manœuvre, la vue seule suffit pour éclairer. Vous voyez l’acte de vol se produire devant vos yeux quelque jour et par quelque vent particulier, phénomène souvent très rare, mais qui ne vous permet pas moins, et cela sans le moindre effort d’intelligence, de vous dire : Mais pourquoi l’oiseau se sert-il si rarement de ce procédé ? C’est un acte à noter et à utiliser plus tard.

Ce vol en arrière qui a surpris nombre de penseurs, mais je le vois se reproduire chaque jour de grand vent. Contre certains à-coups violents du courant aérien, les milans n’osent pas se retourner : ils seraient emportés trop loin et ne veulent pas le permettre. Comme le transport des pointes à l’arrière ne semble pas être suffisant pour résister à cette rafale violente, ils reculent simplement.

Cette marche en arrière est ordinairement peu importante : quelques mètres seulement, mais cependant j’ai vu plusieurs fois les deux ou trois douzaines de ces oiseaux que j’observais reculer d’au moins cent mètres en s’élevant.

Voilà ce qui m’a fait dire que, dans le vol de parcours, l’ascension en reculant devant le vent est possible. Comme on le voit, je n’ai rien inventé, j’ai seulement beaucoup vu.


NÉCESSITÉ DE L’OBSERVATION
DES VOILIERS


Je me rends bien compte que la généralité des aviateurs doit être dans une grande perplexité, lorsqu’elle songe à ces manœuvres de vol qu’elle ne connaît pas.

Il ne suffit pas d’adorer l’aviation, de combiner des appareils, de les chiffrer même à grands renforts de formules, pour se sentir en équilibre sur deux ailes. Non, cela est insuffisant, et le penseur le comprend dès qu’il met la main à la pâte, c’est-à-dire dès qu’il commence à construire.

Il se dit ceci : que ferai-je de ce grand appareil ? Comment m’en servirai-je ? Quelles manœuvres dois-je produire pour glisser avec succès sur l’air ? car songer à le faire ramer est impossible. Là apparaît l’ignorance. L’aviateur ne sait non seulement pas voler, mais même pas comment on vole. À ce moment, il se rend compte que toutes les observations qu’il a faites sur les rameurs n’ont absolument aucune utilité, que là n’est pas … le rythme que doit avoir la grosse bête humaine, l’allure que doit avoir le gros oiseau humain, que ce qu’il a vu n’est pas reproduisible, puisque le battement brise les ailes. Les rares voiliers qu’il a entrevus dans sa vie lui reviennent à la mémoire, et là, devant l’aéroplane, à pied-d’œuvre, il est forcé de se dire : C’est là qu’est la voie ; c’est ce vol qu’il faut apprendre et non celui du rameur.

Ce sont ces mille évolutions qu’il faut posséder comme on a su son catéchisme. Et on ne sait pas ! Oui, il faut absolument posséder le vol à la voile. Chaque aviateur devrait faire comme moi, vivre parmi les planeurs, c’est le seul moyen d’apprendre ; car c’est une science complexe qui ne s’assimile pas du premier coup d’œil. Passer outre, se dire qu’on apprendra en pratiquant n’est pas bien raisonner. Pour voler, il ne s’agit pas d’apprendre, mais de savoir. Quand vous serez lancé avec la vitesse d’un train ou enlevé par le coup de vent, il ne sera plus temps de réfléchir. Si l’observation, si la manœuvre mille fois vue n’a pas fait entrer dans votre instinct le sentiment du mouvement juste à produire, vous ne réussirez pas ; et gare ! en aviation, quand on ne réussit pas, c’est au moins le bain.

J’aimerais pouvoir enseigner ce que je sais, mais je reconnais que c’est absolument impossible sans les exemples à pouvoir mettre à l’appui, puis c’est vouloir dépeindre le mouvement. Cela ressemblerait à l’étude de la natation en calle sèche ou à celle du billard faite dans les livres.

Il faut donc absolument savoir son métier de volateur, puis le pratiquer beaucoup. Hors de cela pas de salut. Donc, beaucoup voir et se fier à son brave instinct qui sortira mieux d’embarras que toutes les réflexions possibles.

Je recommande donc instamment au lecteur d’abandonner complètement l’impression prépondérante, innée chez tout humain, du vol ramé. Cette impression est créée chez nous par la vision perpétuelle du rameur. Depuis notre enfance, nous sommes habitués à voir l’oiseau frapper l’air et non glisser, et nous ne remarquons pas que nous ne voyons que des petits oiseaux.

Ce n’est pas le seul vol ramé que nous étudions ici, c’est l’autre vol, celui qui est malheureusement rare, qui est le glissement. Il est un autre mode de se transporter dans le milieu aérien qui est employé par l’oiseau de forte masse, c’est le vol plané, mode de translation qui est absolument l’antithèse de celui des petits oiseaux, procédé duquel on peut dire que, s’il n’est pas exactement inimitable, il a cependant résisté jusqu’à ce jour à tous les efforts intellectuels de l’humanité qui désirait le reproduire.

Le rameur est pour nous un leurre, un phare trompeur qui nous dirige sur les écueils.

Voyez plutôt le grand voilier, quand il est forcé de ramer. Regardez-le avec attention et vous comprendrez de suite ses efforts et sa souffrance. Quand les grands vautours partent du sol plat, ils font positivement de la peine à voir. Ces ailes trop grandes plient à se rompre ; on ne craint pas pour la plume qui est élastique, mais pour l’os qu’on a peur de voir se briser. Puis, ne croyez-pas qu’il essaye de s’envoler franchement comme un pigeon qui part ; bien au contraire, il s’élance à la course avant même de battre des ailes et, au moyen de sauts nombreux et énergiques, il finit par atteindre la vitesse qui permet aux ailes d’être utiles, de pouvoir le porter. Jamais un gros voilier n’a songé à ramer franchement ; il sait qu’il ne le peut pas, il a conscience de l’impuissance de ses ailes et, aurait-il la force, il n’ose les soumettre à cette épreuve.

Et dire que l’aile du plus grand vautour et du plus grand albatros n’a que rarement un mètre cinquante : 1,50+1,50+0,30 = 3,30 ; il y a peu d’oiseaux de cette envergure. L’aile de nos appareils doit avoir au moins quatre mètres : concluez vous-mêmes.

Il faut donc abandonner l’idée enracinée que, pour voler, il faut absolument frapper l’air, faire l’effort violent de renonciation à nos idées reçues et parfaitement établies, on devrait dire fixées, vissées en nous depuis notre naissance… qui nous disent qu’on ne vole qu’en battant des ailes. Il faut laisser nos rêveries irréalisables du vol gracieux : le passereau, l’insecte doivent être oubliés comme évolution, et reporter nos pensées sur le glissement. Il faut donc le voir ce vol qui se fait sans effort, ou, si on ne le peut, croire ceux qui l’ont vu.

Bien peu de personnes aptes à analyser le vol plané se sont trouvées dans des conditions heureuses pour observer les grands maîtres de ce genre souverainement étrange de translation ; mais cependant beaucoup de gens, qui ont des yeux pour s’en servir ; ont aperçu, non pas la démonstration catégorique du vol sans battement, mais des essais, des ébauches de cette manœuvre. Ainsi, tout habitant du bord de la mer a perpétuellement en vue le goëland, oiseau qui plane à peu près, mais bien rarement ; celui qui réside à la campagne aperçoit de loin en loin la buse, le Jean-le-Blanc, quelquefois le milan, tous oiseaux qui sont très intéressants par moments, mais qui malheureusement ne sont visibles qu’à des intervalles si éloignés les uns des autres que ces observations ne se lient plus.

Il faut donc, maintenant que le vol à la voile est dénoncé à l’étude, observer sans cesse et ne pas se décourager… On passera peut-être un temps-très long sans voir aucun acte de vol digne d’intérêt, mais il ne faut pas abandonner l’étude ; une fois ou l’autre on sera récompensé par la vue d’une évolution qui restera gravée d’une manière indélébile dans l’entendement et qui persuadera que tel acte peut se faire sans ramer.

Toutes ces observations rares et espacées, cousues bout à bout, réunies dans la mémoire, feront comprendre qu’il est un autre point par où la question de l’aviation peut êtrre attaquée avec bon sens et chance de succès. Cette démonstration fractionnée n’aura jamais sur l’entendement cet effet de flamme de Bengale, aveuglante tant elle est lumineuse, d’un grand vautour entrevu seulement cinq minutes, mais avec de l’ordre, un esprit d’analyse bien entendu, on tirera cependant un parti très avantageux de toutes ces bribes éparses d’évolution.


DU REPOS EN ACTE D’AVIATION


Il m’a été souvent demandé comment je pensais disposer l’aviateur pour lui permette de stationner longtemps dans les airs, pour permettre, en un mot, le vol plané dans lequel, une fois parti, le temps ne se mesure plus et peut durer tant que souffle le vent.

La position verticale de l’aviateur indiquée dans les aéroplanes de l’Empire de l’air et de la présente étude n’est assurément pas pénible mais ne peut cependant pas durer plusieurs heures sans fatiguer énormément. Il faut pouvoir changer de position et se mettre à son aise.

Dans le départ et l’atterrissage, cette position debout est excellente, elle permet la course, le lancé et l’abordage. En marche, elle produit un retard qui, pour les premiers essais, sera plutôt un avantage qu’un défaut ; c’est le ralentissement, la course lente, qui sont procurés par cet écran opposé à la marche qu’est la surface du corps de l’homme présentée à l’action du vent.

Une fois lancé, bien en route, ayant atteint le vent actif des hauteurs, il faut pouvoir changer de position afin de se délasser d’abord, puis surtout de mieux couler dans l’air en lui offrant moins de prise. On arrive bien facilement à ce résultat au moyen d’une série de courroies qui permettront de s’asseoir à son aise, d’étendre horizontalement les jambes, de se coucher pour ainsi dire sur le dos, sur un côté ou sur l’autre. On ne sera pas exactement comme sur un lit ; mais, cependant, les positions variées et tout à fait de repos qu’on pourra prendre permettront, au point de vue de la fatigue, la station indéfinie.

Il sera même facile, au moyen de couvertures imperméables, développées au moment où le vol n’est plus qu’une question d’attention et de temps, de s’isoler complètement du courant aérien qui doit être singulièrement âpre en hiver, surtout quand on va contre lui. Il faut bien admettre qu’une fois bien lancé, quand on a atteint une hauteur de deux ou trois cents mètres, que le vent porte franchement, l’acte d’aviation se borne à une simple direction fournie par une faible pression de mains. L’angle des ailes a été étudié, il est fixé par un moyen quelconque, on n’a donc plus à s’inquiéter que de la direction horizontale qui se produit au moyen d’une faible traction sur la corde qui fait présenter un plan de retard à l’un ou à l’autre annulaire. Cette direction fournie par ces plans est, d’après les expériences faites sur des aéroplanes de petite, de moyenne et de grande taille, d’une sensibilité extrême ; une traction égalé à un kilogramme, doit certainement décider bien franchement d’un sens de mouvement : c’est donc une manœuvre très douce.

Il ne faut point croire que, dans le vol de parcours à la voile, l’attention et l’activité aient besoin d’être constamment dans un état de surexcitation fébrile. Certainement que, dans les premiers exercices, il n’en sera pas autrement : la peur, l’inconnu de cette situation nouvelle, l’étrange mouvement auquel on livre son individu ne sont pas sans donner des frissons épouvantables. Cela ne pourrait même pas durer longtemps ; mais, on s’habitue à tout, et on s’habituera à cet exercice comme on s’est fait peu a peu à tous les actes insolites de la gymnastique. La quiétude reviendra et on finira, par l’habitude, à regarder de haut tout aussi tranquillement qu’on regarde les passants dans la rue d’une fenêtre élevée. C’est tout simplement le fait de huit jours d’exercice.

Le ballon nous renseigne sur l’effet que produit la vue de haut. Tous ceux qui s’occupent d’aviation se sont probablement offert ce spectacle. Nous avons donc tous remarqué que le seul moment pénible, celui dans lequel le sentiment de la conservation est ému, est la hauteur du sommet maisons, et cela à la première ascension, quand ce spectacle est absolument nouveau. Plus haut, à cent mètres, cette impression désagréable s’éteint peu à peu ; à cinq cents elle n’existe plus chez la plupart des personnes. J’ai remarqué que des dames qui s’élevaient pour la première fois dans le ballon captif de Giffard[37] avaient repris à cette hauteur tout leur calme ; elles causaient comme à terre, s’inquiétaient des monuments, du spectacle, mais nullement de leur sécurité.

Le vertige n’est sensible, pour la plupart des gens, que jusqu’à 50 mètres, plus haut il s’éteint. Il en sera très probablement de même pour l’aéroplane ; je ne puis cependant l’affirmer, n’ayant pas dépassé dans ma fameuse course la hauteur d’un mètre, mais je le crois fermement et c’est à se le figurer, étant donné surtout que les petites nacelles deviennent tout aussi bien en hauteur votre « chez vous » que la grande plate-forme circulaire du ballon de 1878.

Quant à l’effet produit par la rapidité de la translation, tout le monde le connaît et a remarqué que l’impression ne croît pas avec la vitesse. On regarde passer tout aussi tranquillement le paysage, du rapide que du train omnibus. On sera donc chez soi au bout de quelques jours ; le tout est de s’habituer à l’effet ennuyeux du départ. Au-delà on sait que le danger s’éloigne, qu’il est là-bas, bien loin à la terre, et que pour l’atteindre il faut beaucoup de temps.

L’oiseau nous renseigne sur ces points ; lui-même, l’être qui est né pour voler, est en plein éveil quand il part ou quand il aborde ; il n’a assurément pas peur, mais cependant toutes ses facultés sont en activité. Arrivé à cent mètres, il est visible que son attention diminue.

Beaucoup de voiliers, surtout dans les pays chauds, volent souvent de longues heures, la demi-journée entière, dans le seul but de se soustraire à la chaleur. Le milan est dans ce cas. En été, dans les jours où le thermomètre est à 40°, de dix heures à trois heures de l’après-midi, tout milan qui n’est pas occupé par les soins de son nid disparaît dans les airs. Il stationne à mille mètres environ d’altitude. On les aperçoit par groupes de quinze ou vingt individus paraissant gros comme des hirondelles, volant contre le vent ou le hasard les pousse, puis quand ils sont allés assez loin, revenant au-dessus du point de départ, regagnant par quelques orbes bien sentis la hauteur qu’ils ont perdue et recommençant ce manège pendant de longues heures. C’est dans ce vol inconscient, fait à cette hauteur, qu’on doit supposer le repos de l’oiseau.

Les corbeaux du Caire (corvus cornix) qui sont des rameurs, et qui par conséquent ne peuvent s’offrir cette station dans les hautes régions, cherchent l’ombre pour éviter ce long coup de soleil qui dessèche et brûle tout. On les voit s’ingéniant à trouver un petit coin au Nord où l’infernal soleil d’Egypte ne frappe pas. Ils sont là le bec grand ouvert, jalousant leurs voisins qui vont se rafraîchir là-haut à peu-de frais.

Le corbeau du désert produit l’ascension en planant, mais la corneille mantelée n’a jamais pu réussir cet exercice. Il faut qu’elle frappe l’air quand même. On comprend qu’à sa place on ferait bien mieux qu’elle et qu’il serait facile, ayant sa grande surface et sa masse, d’éviter les neuf dixièmes des efforts auxquels elle se livre intempestivement. Mais revenons aux voiliers.

J’ai vu de nombreuses fautes de vol commises dans cette circonstance particulière, produites par cet oiseau impeccable : le milan. Il n’est possible de se les expliquer qu’en admettant que cet oiseau dormait. Ma conviction est qu’il a là haut des moments de somnolence très accusés ; on perçoit le réveil de la bande entière qui reprend ses sens quand elle a trop baissé ou trop avancé. Je n’oserais en dire autant des vautours, car je n’ai pas pu les étudier à la hauteur où ils se tiennent ordinairement : la lunette n’y porte pas, et, comme je ne parle que de ce que j’ai bien vu, je ne puis affirmer ; mais cependant certains indices l’indiqueraient. Il aurait comme le milan, des moments d’absence, surtout sur le coup de trois heures.

Le sommeil au vol chez l’oiseau étonne à première pensée ; mais, si on y réfléchit, on arrive à comprendre qu’il n’offre aucun danger. Effectivement que peut-il arriver ? Rien de bien désastreux. Si l’évanouissement. de la volonté est complet, comme dans le sommeil profond, les ailes peuvent fléchir, comme j’ai vu le fait se produire chez le grand vautour, ce qui n’est cependant pas certain, mais cette absence ne peut pas être de longue durée ; l’oiseau est, de suite, réveillé par ce déséquilibrement insolite, et se remet de suite en position de vol ; ce n’est donc pas bien dangereux, surtout quand on a un kilomètre au-dessous de soi pour se rattraper.

Il pourrait survenir la rencontre de deux oiseaux. J’ai vu ce fait plusieurs fois chez les milans et une fois entre autres, d’assez près. Ils n’étaient pas à plus de deux cents mètres de hauteur, au beau soleil de midi, par 45 à mon thermomètre, avec, enfin, tout ce qu’il faut pour bien dormir.

Deux oiseaux d’une bande de flaneurs qui prenaient le frais s’approchèrent lentement l’un de l’autre ; la route qu’ils suivaient était presque parallèle mais devait cependant se réunir au sommet de l’angle. Ordinairement, les milans ne s’approchent pas autant que cela sans donner des signes, certains et parfaitement discernables, soit d’amour soit de colère. Là rien ; l’angle diminuait peu à peu et le contact eut lieu. Le réveil fut parfaitement visible. À l’étonnement succéda la colère, et la lutte commença, dès qu’ils se furent remis d’aplomb sur leurs ailes.

Quand l’aviation sera chose faite, on remarquera que le repos de quelques instants, une légère sieste d’une demie-heure, est possible sans s’exposer au moindre danger. — Si d’une hauteur de 3.000 mètres, on laisse l’appareil descendre à son gré, si on abandonne la direction après l’avoir parfaitement fixée comme équilibre vertical, c’est-à-dire si l’angle qui produit la course est immuable, que le vent soit moyen et régulier, comme cela se rencontre très souvent à cette hauteur, en combien de temps l’aéroplane arrivera-t-il à la surface ?

Sa course sera la production de cercles d’autant plus grands que les ailes seront plus semblables. Le parcours rectiligne n’est possible, même pour les oiseaux, qu’au moyen de corrections permanentes fournies par la volonté ; la course en ligne droite doit donc être écartée, car elle est impossible dans ce cas-là. Admettons l’orbe probable d’un aéroplane de cette taille, et donnons-lui 600 mètres de longueur par tour ; enfin supposons le calme dans la descente, afin de pouvoir tabler sur autre chose que sur une foule d’inconnus. Cet aéroplane, vu sa grande taille, sa forte charge, est, par le fait de son importance, pourvu des qualités que donne la masse et que jamais les aéroplanes minimes ne peuvent atteindre. Cet angle de chute que j’ai à tort fixé à 10°, d’après des expériences sans nombre faites avec des aéroplanes en papier, doit être bien moins fort. Faute d’avoir pu étudier ce cas en grand, nous sommes obligés de voir ce que produit l’aéroplane animé de 2.500 grammes et de 7.500 grammes, qui sont pour nous parfaitement connus : le milan et le grand vautour. Ici encore les chiffres précis sont impossibles à fournir, mais l’estimation, le bon juger, porte à dire qu’on peut, sans aucune exagération, le diminuer de la grosse moitié, surtout pour ce cas, et admettre qu’il est en gros de 5 degrés.

Cinq degrés font à peu près 11 m. 70 de parcours pour 1 mètre de chute ; mettons 12 mètres. 3.000 fois cette quantité 12 mètres, puisque nous partons de 3.000 mètres de hauteur, font 36.000 mètres à parcourir. Admettons une translation de 10 mètres à la seconde, ce qui est exagéré, nous trouvons 3.600 secondes qui font juste une heure, temps que durera cette descente. L’aviation aura donc ses instants de repos.

À propos de cette supputation de temps, le lecteur doit remarquer combien sont timides et incertaines toutes les données qui servent de base à ce simple calcul. Les coefficients varient du simple au double ; rien n’est fixe, rien n’est précis ; ce sont, sans jeu de mots, des comptes en l’air. À ceci je répondrai simplement que celui qui a fait l’Empire de l’air et le Vol sans Battement n’en sait pas davantage et qu’il a la loyauté de l’avouer. Ce dont il est certain cependant, c’est que l’angle sous lequel l’air est attaqué pour produire la sustentation est variable avec le but que se propose l’oiseau. Ainsi l’angle employé par le grand vautour pour planer rapidement n’est pas le même que celui qu’il utilise pour figurer l’ascension en attendant la brise, et, pour atteindre du coup l’excessif comme manœuvre, n’est pas celui qu’il emploie dans la tombée verticale, allure dans laquelle tout mouvement de translation est exactement éteint.

Cet angle qu’on a tant cherché n’existe donc pas. Ce n’est pas une donnée fixe, puisqu’il varie avec le vent qu’il fait et ce que l’oiseau veut faire.

ASPECT DE L’AÉROPLANE


Quant à la tournure qu’aura l’aéroplane humain, on en a pu juger par ceux qui ont été construits, malgré qu’on ait à peine osé les essayer. Ce sont et ce seront assurément d’énormes chauves-souris, généralement grises, nullement gracieuses, glissant très lentement dans les airs, ayant toujours peur d’approcher du sol ; d’une lourdeur surprenante, mais possédant cependant une majesté d’allure singulière.

Quand on regarde fonctionner un grand aéroplane de 5 mètres d’envergure, comme celui que j’ai fait évoluer il y a quelque vingt ans, quand, lancé du haut d’une carrière de 75 mètres de hauteur, il se retourne lentement, et se met à courir gravement sur l’air, on se trouve en face d’une allure qu’on n’a jamais vue. Ce mouvement inconnu vous poursuit et devient inoubliable.

J’espère pouvoir m’offrir bientôt ce spectacle en plus grand. Le sommet de cette carrière va devenir, dit-on, un sanatorium auquel on parviendra au moyen d’un chemin de fer. Je pourrai donc m’offrir cette petite course, et je ferai précipiter un aéroplane de neuf mètres d’envergure et de quinze mètres de surface, chargé de poids progressifs. C’est l’appareil dessiné page 251 de l’Empire de l’air. Il est fini depuis dix ans et n’a jamais été essayé ; ce sera un moyen de le faire servir à quelque chose. Il nous fera voir la tournure qu’aura en marche l’aéroplane capable de porter un homme.

On a beaucoup parlé de l’indispensabilité de la plume pour la reproduction du vol ; et, pour beaucoup de personnes, elle est une condition de la station dans l’air. Malgré que je me sois incliné bien bas devant cette merveille, je suis persuadé qu’elle n’est pas indispensable. La membrane a fait mieux et plus grand dans le vol, que la rémige ; les grandes surfaces des ptérodactyles du Jurassique n’ont pas encore été atteintes par la plume et, comme perfection d’effets produits, nul être emplumé ne peut lutter, comme difficultés fournies et exécutées, avec les chauves-souris de petite taille.

Oh pourrait mettre en parallèle les soui-mauga et les colibris, mais on aurait tort ; ces deux oiseaux reproduisent le vol de l’abeille, l’immobilité par le battement. Les chauves-souris, même de forte taille, font souvent cet exercice. Toutes les fois que les roussettes ont à choisir des fruits, elles font leur choix de cette manière. Mais qu’est cette manœuvre, que le premier tiercelet venu fait vingt fois par jour, à côté des mille crochets de la pipistrelle ? — Le plus terrible ennemi de l’insecte, celui auquel il ne peut absolument pas échapper, est la chauve-souris.

Le vol peut donc se passer de la plume. Nous nous servirons forcément de la membrane ; nos appareils seront disgracieux, mais ils voleront.

Beaucoup de personnes ne peuvent admettre que l’appareil qui véhiculera l’homme dans les airs soit aussi lourd que cela. Pour elles, leur rêve est autre. Elles comprennent le vol. dans le genre de celui du rameur, pas même du gros rameur qui est lourd, qui se pose pesamment, mais quelque chose comme la manière de se mouvoir des petits passereaux qui se transportent où ils veulent et tourbillonnent au gré de leurs désirs.

Des dames m’ont avoué avoir pensé aux ailes des anges ; certaines d’entre elles, des jeunes filles, désiraient se mouvoir comme ces phalènes qui pompent le suc des fleurs sans se poser sur elles.

C’est trop demander à une lourde machine qui sera toujours lourdement chargée. Il faut en rabattre et énormément. Regardez la Nature, voyez si elle est toujours élégante. Voyez la grâce du départ d’un argala, d’un vautour où d’un pélican. Il y a de la trivialité dans ces efforts faits pour enlever leur pesante masse.

Hélas ! mesdemoiselles, quand l’homme aura à enlever son énorme individu, soyez sûres qu’il n’aura rien de l’ange, à moins cependant que vous ne vous mettiez de la partie…


HIATUS


Je désirerais élucider un point dans lequel on m’a convaincu que j’ai été tout-à-fait insuffisant. Dans cette étude et dans la précédente, je laisse flotter un brouillard sur un point sérieux du vol à la voile : c’est cette partie de l’orbe dans lequel l’oiseau va avec le vent.

La frayeur que semble m’inspirer ce pas difficile à expliquer est simplement un acte d’imitation, de soumission à l’effroi des autres. Il semble d’après mes réflexions sur ce cas, que, dans l’instant de ce parcours, l’aéroplane n’étant soutenu par rien, doit choir perpendiculairement comme un corps qui tombe.

J’ai eu tort de sacrifier au dire général, de ne pas avoir complètement abandonné le vieil homme et ses frayeurs aussi fausses qu’exagérées.

Ce cas bien analysé peut s’expliquer ainsi :

L’aéroplane, dans cette partie du cercle où il va avec le vent, a pour le soutenir, d’abord un excès d’élancé dont j’ai parlé, et surtout, ce à quoi on ne réfléchit pas, la faculté excessive de glissement que possède l’aéroplane bien construit qui ne choit, par le calme absolu, que d’une quantité de 5 degrés et souvent infiniment moins.

Qu’est cette chute minime dans cette fraction minime de parcours, en comparaison des efforts de soutènement et même d’enlèvement que produit l’activité du courant, quand on lui présente un angle parfaitement pondéré et précis ?

Oui, dans l’orbe, il y a un hiatus d’un instant ; l’aéroplane tombe, c’est vrai, mais c’est d’une quantité si faible qu’elle est négligeable.

On s’est affolé de ce manque de support, on a exagéré son importance, cependant le raisonnement qui s’égarait aurait pu être ramené dans la bonne voie par la démonstration du planeur qui, lui, vous dit : je néglige l’hiatus.


DÉMONSTRATION
DE L’EXPÉRIMENTATION


Après avoir beaucoup vu, ce qu’il faut faire pour s’instruire, c’est expérimenter beaucoup. Quand on a vu une manœuvre et qu’on s’en est donné une explication, il est sage de voir si cette explication est juste. Pour cela faire, rien n’est meilleur que de la faire passer au creuset de la pratique. Quand une théorie résiste à cette expérience, on peut être certain qu’elle est vraie.

Ainsi, exemple, vérifions cette affirmation que la direction horizontale se produit activement au moyen d’une relevée de l’annulaire.

Pour cela faire, prenons un aéroplane en papier de 0,75 à 1 mètre d’envergure. Collons à chaque extrémité des ailes, à la place des plumes annulaires, un morceau de papier nerveux de 0,06 sur 0,03. Nous mettons de la colle sur 0,01 de largeur du côté long et nous les plaçons, la longueur dans le sens de l’envergure. Il y a donc un centimètre qui est collé et deux centimètres qui sont restés libres. Quand ils sont secs, faites voler l’aéroplane, sa marche ne sera pas troublée ; s’il est bien construit pour filer droit, s’il allait d’une manière rectiligne avant cette opération, il ira de même après, les deux surfaces du papier étant en contact, il n’y aura aucun effet de traînement produit : rien n’est changé.

Si, maintenant, nous voulons le faire tourner d’un côté, mais là rapidement, énergiquement, nous n’avons qu’à relever ces deux centimètres de papier de ce côté, nous présenterons maintenant à l’action de l’air une surface perpendiculaire à la marche de l’aéroplane, surface qui aura 2x6, soit 12 centimètres carrés, qui produiront un arrêt forcé de marche de ce côté et feront pivoter l’appareil presque sur ce point.

Pour démontrer la direction verticale avec ces petits appareils, l’expérience est un peu délicate. Pour se persuader absolument de la justesse et de l’efficacité de cette manœuvre, opérez de la manière suivante. C’est ce que j’ai trouvé de plus simple.

Construisez un aéroplane en papier et en carton Bristol en trois morceaux : le premier fait le corps et les deux bras, le second et le troisième font-chacun une extrémité d’aile : une main. Faites les charnières ainsi : prenez deux œillets de cordonnier. Enlevez à l’emporte-pièce les deux trous dans lesquels vous les écraserez ensuite, tout comme on pose un œillet à un soulier pour y passer un cordon. Les deux pointes des ailes seront donc fixées aux deux bras d’une manière assez énergique pour ne pas varier pendant le vol, mais cependant elles pourront, sous une pression des doigts, varier de position.

Nous plaçons ensuite les deux ailes dans la position dans laquelle vous avez vu qu’elles sont chez les planeurs en acte de vol, et nous obtenons le vol rectiligne après quelques tâtonnements. Si, alors, nous avançons les ailes de manière à ce qu’elles soient sensiblement en avant, l’appareil ne vole plus de la même manière, sa marche est changée. Abandonné de quelques mètres de hauteur, il se relève plusieurs fois avant d’avoir atteint le sol. Cet avancement des pointes étant augmenté fait faire à l’aéroplane le tour sur lui-même.

Si, maintenant, nous produisons la manœuvre contraire, c’est-à-dire si nous portons les pointes à l’arrière, nous voyons que le relèvement de l’aéroplane pour atteindre la course horizontale ne se fait plus comme dans le premier cas ; la courbe de redressement devient de plus en plus allongée à mesure que les pointes sont plus portées à l’arrière, et cela jusqu’à arriver à la chute perpendiculaire.

Nous reproduisons donc à la main les deux directions qui sont nécessaires pour voler, pourrons-nous douter maintenant de leur justesse ?


ORNITHORIUM


(De l’étude de l’oiseau, 18 juin 1891… lettre de Drzewiecki…)

Pour la centième fois, je me répète sans honte et je dis qu’il faut étudier l’oiseau. C’est cette étude qui a toujours fait défaut chez les aviateurs.

Il est généralement très difficile d’étudier l’être ailé. Les gens qui habitent les grandes villes sont, sous ce rapport, tout à fait des déshérités ; cependant il y a remède. Le mal vient de ce que l’on dispose mal l’oiseau qu’on possède ; on rend l’observation du vol impossible et c’est ce qui entrave l’essor de l’aviation.

Que fait-on dans les grands centres ? Les grands oiseaux voiliers sans y être nombreux, n’y sont pas absolument inconnus ; les jardins zoologiques possèdent souvent des raretés qu’il est impossible de rencontrer à moins de faire des milliers de lieues, mais on les montre dans les conditions suivantes : ou tout-à-fait au complet, mais en cage ; ou en liberté, mais les ailes coupées. Voyez-vous un oiseau sans ailes !

Il ne serait pas au-dessus des moyens de ces établissements de faire d’immenses cages formées par de simples mâts sur lesquels on fixerait des filets métalliques à mailles de cinq centimètres de côté. Sur ce vaste espace, le plus grand possible, dans lequel le courant aérien circulerait librement, s’ouvriraient toutes les cages des volateurs qu’on voudrait étudier. Ils passeraient donc, à tour de rôle, ou plusieurs ensemble suivant leur sociabilité, de la captivité absolue à la liberté complète.

La rentrée en cage de l’oiseau, qui semble au premier abord le point délicat de cette question, se fait presque automatiquement : la nourriture déposée dans la petite cage décide la rentrée. L’oiseau n’a pas de défense contre ce cas, il ne comprend pas qu’il va être renfermé ; les corbeaux eux-mêmes, qui sont si fins, s’y laissent toujours prendre. Les convoitises de l’estomac priment chez eux toute autre pensée.

Cette grande cage, qui, pour bien faire, devrait avoir des centaines de mètres de côté et au moins vingt mètres de hauteur, et dont la construction se bornerait à des poteaux et à quelques centaines de kilogrammes de fil de fer, offrirait de bien intéressants spectacles. On pourrait y voir tous les grands rapaces qui, hélas ! ne produiraient pas le vol plané, mais l’ébaucheraient souvent. Les petits aigles seront déjà intéressants à la voile, et les oiseaux de la taille de la buse produiront l’illusion du vol, qui, pour être entrevu un instant, demande des voyages longs et coûteux.

On ne verra pas l’orbe ascensionnel, mais cependant on aura une idée de l’oiseau en plein mouvement ; ce ne sera pas la liberté, mais ce sera son ombre.

Au fond, et malgré tout, ce sera toujours l’oiseau captif. Dépassons !

Pourquoi ne se décide-t-on pas à mettre certains oiseaux en liberté ? Pourquoi n’obtenez-vous pas d’avoir des cygnes libres, comme la ville de Genève qui en possède au moins un cent ? Ils ne se sauvent pas. Quelle difficulté y a-t-il d’avoir des pélicans au complet ? Ils iront se promener très loin mais ils reviendront, si on sait les rendre heureux. Si, par hasard, on se décidait à oser ces acclimatations de volateurs et qu’on s’offre quelques pélicans, je ne réponds plus de l’ordre. Le pélican ! mais c’est l’anarchie pure ! Il se moquera parfaitement des règlements et des coutumes sociales. S’il a envie de coucher son gros bêta d’individu là plutôt qu’ailleurs, vous ne le déciderez pas facilement à rentrer dans les rangs. On verrait assurément plus d’une fois au Bois de Boulogne le spectacle suivant ; deux ou trois de ces gros palmipèdes barrer une route et ne pas vouloir céder la place même aux grands chevaux et aux bonnets à poils de la Garde Républicaine ; il ne faudrait rien moins que les balais des cantonniers pour débarrasser le chemin. Ils s’en iraient alors l’air furieux, dandinant lentement leur gros train de derrière, et, au fond, enchantés de la farce qu’ils viendraient de faire. J’ai raconté quelques-unes de leurs polissonneries inoffensives, mais vous trouveriez encore à en glaner une belle collection.

Donnez à ces oiseaux de petites îles pour y habiter comme on l’a fait au parc de Lyon, et vous y verrez nicher canards, mouettes, sternes, et tout ce que vous voudrez. Il est défendu aux barques d’y aborder ; ces défenses sont écrites sur des poteaux bien en vue, et le règlement est observé, parce qu’on a eu le bon esprit de les mettre sous la protection de tous. Celui qui, à Genève ou à Lyon, ferait du mal aux oiseaux se mettrait dans un mauvais cas.

Vous auriez alors une récréation amusante bien autrement instructive que celle qu’offrent les cygnes estropiés des bassins, les ramiers des squares, et l’éternel moineau qui n’a rien d’intéressant.

On objectera qu’à l’époque des émigrations tous les oiseaux partiront et seront perdus. Erreur ! à Lyon, les canards sauvages émigrent régulièrement, mais ils se dépêchent au printemps de venir reprendre possession de leur joli petit îlot de verdure où ils sont si tranquilles.

Il est probable que beaucoup d’oiseaux sauvages ne demandent pas mieux que d’habiter parmi nous, à la simple condition de les laisser vivre. Ainsi, la cigogne ; y a-t-il à douter ses intentions ? Elle niche chez nos voisins les Suisses, les Allemands, les Hollandais : pourquoi ne construirait-elle pas également son nid chez nous ? L’y décider est bien facile : lui donner un nid, laisser croître ses ailes, et surtout-ne pas la tuer comme on le fait en France.

La grue, ce splendide échassier qui vole presque comme un vautour, ne ferait probablement pas beaucoup plus de difficulté que la cigogne ; et il en serait de même d’une foule d’autres insoumis.

On pourrait faire encore bien plus beau et bien plus intéressant.

J’ai bien souvent pensé et envié voir réaliser un autre procédé que j’ai baptisé en moi du nom d’Ornithorium. Voici en quoi il consiste :

Si on disposait dans des rochers factices, quelque chose, mais en plus grand, comme le parc des Buttes-Chaumont, soit sur les bords de la mer soit sur les rives des lacs d’eau douce, comme celui de Genève ou ceux de l’Amérique du Nord, des nids bien placés pour y nicher, il est probable que les oiseaux marins pourraient y vivre heureux et s’y reproduire ; seulement, il faut qu’ils s’y sentent tout aussi en sécurité qu’ils le sont sur les falaises où ils sont nés. − Sur les bords de l’Océan, je suis persuadé qu’on acclimaterait : stercoraires, fous, cormorans, et même l’albatros. La nourriture de toute cette gent ailée coûterait bien peu : la mer serait là pour le principal repas. Lorsque ces oiseaux auraient compris que sur ce point on ne les fusille pas, la confiance naîtrait chez eux et leur permettrait de se reproduire.

Croyez-vous que l’oiseau de mer adore tant que cela les tempêtes de l’eau salée ? Il les subit, mais s’en passe facilement ; témoin leur longue station d’hiver sur l’eau douce. Ils y nichent même ! Il y a des nids sans nombre dans les rochers qui bordent le Nil à la hauteur de Manfalout et de Djebel-Silsileh. Ils sont tranquilles, et c’est tout ce qu’ils demandent. Que l’eau soit douce ou salée, peu importe aux mouettes, aux goélands, aux canards de toute espèce et même aux plongeurs et aux cormorans.

Il y a de bien belles récréations à créer aux aviateurs, aux ornithologues, à tout individu qui aime étudier la nature. On y verra de tout, du grandiose, de l’étrange, du gracieux. Combien doit être intéressante la construction du nid rustique, la ponte, l’éducation de ces grosses boules de duvet qui ont toujours si bon appétit, puis la croissance et enfin les premiers vols. Et cette étude faite sur des êtres dont on ignore tout, même jusqu’au nombre d’œufs dont se compose la ponte ? Il est probable que la première couvée d’albatros fera époque dans les fastes de l’ornithologie.

L’oiseau libre, mais c’est la plus splendide récréation qu’on puisse désirer, et qui n’a aucun rapport avec celle qu’offre le même être quand il est captif.

Qui a vu de près une simple petite sterne privée sans être charmé de sa grâce tout autant au repos qu’au vol ? Quelle aisance élégante elle déploie dans ces battements lents et cadencés ! C’est tout-à-fait l’oiseau des dames, le bijou marin gracieux et sauvage. On ne peut rien voir de plus coquet que cet oiseau rustique ; cette perle de mer se balance sans efforts, avec une aisance indescriptible, sur ses longues baguettes grises, secouant même les plumes de son corps en plein vol, tout comme si elle était posée sur ses pieds, poussant de loin en loin son petit cri étrange et volant à travers les promeneurs.

Ce n’est pas gros une sterne ; cependant j’en ai vu une privée et libre à Nice qui, chaque fois qu’elle volait, stupéfiait tout le monde par le charme singulier qu’elle déployait dans la manière de se mouvoir. Elle produisait sur tous un effet attractif curieux ; au vol, on la suivait des yeux ; posée, on faisait cercle autour d’elle et on contemplait longuement cette petite merveille.

L’impression que produit l’oiseau mutilé ou en cage n’est pas agréable ; il n’attire pas. Passez devant une de ces loges du Jardin des Plantes où est prisonnier un de ces splendides rois des airs, vous serez d’abord suffoqué par une odeur repoussante, puis vous verrez un oiseau immobile, replié sur lui-même, regardant vaguement par delà l’horizon, rêvant les cimes neigeuses, ses grands mélèzes noirs, ses chasses ardentes et son grand ciel tout à lui. Quand il est libre, tant qu’il est couché ou qu’il marche, on a un instant d’illusion, mais dès qu’il ouvre les ailes et montre son malheur, son aile coupée on plaint malgré soi le pauvre estropié et on passe plus peiné que satisfait. Mais, en place, quand on le sait pourvu de ses organes de liberté, l’attention est de suite surexcitée ; on attend, on espère un départ, un soulèvement qui vous montrera une tournure inconnue dans la manière de se mouvoir des êtres ; puis, quand on l’a vu, on veut le revoir, surtout si on a eu le spectacle d’un de ces grands maîtres dont l’allure est tellement étrange qu’on ne s’y habitue jamais.

Il serait bien facile de faire sur le bord de la mer quelque chose de charmant et relativement à peu de frais. Ainsi, par exemple, choisir une petite anse naturelle entourée de rochers, pas bien grande, quelques hectares suffiraient, agrémenter les rochers qui la bordent de la manière suivante : construire, quelques mètres devant eux, un grand mur irrégulier ayant ses fondations dans la mer. Transformer l’espace compris entre ce mur et le rocher en galeries étagées destinées aux visiteurs. Dans ce mur absolument irrégulier on laisserait une foule de vides, de trous, de cavernes destinés aux êtres qu’on veut acclimater. Dans le bas se trouveraient les antres destinés aux phoques, lions marins, etc., et aux oiseaux qui ont l’habitude de nicher dans les excavations qui sont au niveau de l’eau. Plus haut, à quelques mètres d’élévation, on pourrait réserver, en retrait, des terrasses sur lesquelles se plairaient les oiseaux qui ont l’habitude de se réunir en rokerie. On pourrait peut-être réussir à créer ces agglomérations si curieuses que les pêcheurs et les baleiniers seuls connaissent.

Au-dessus de ces terrasses, très irrégulières afin de ne pas froisser la donnée pittoresque, on pourrait disposer dans cette construction de nombreux nids destinés aux fous, mouettes, goëlands, sternes, frégates, ptc. On devrait les faire très nombreux, de grandeurs différentes, d’abords variés afin d’offrir aux diverses variétés de volateurs marins un grand choix de nids. Ce serait une série de rangées de trous disposés presque au hasard, grands, petits, moyens, au choix de ces êtres dont on ignore les goûts ; mais il faut beaucoup de variétés ; il faut copier la nature et non le mur de forteresse, faire, en un mot, une étude sculpturale d’un bord de mer accidenté, d’une de ces côtes agrestes des îles du Nord qui sont criblées de nids et qu’ont seuls entrevu quelques dénicheurs islandais ou norvégiens.

J’aimerais faire le plan de cet ornithorium, je crois qu’il serait adopté par les oiseaux.

Chacune de ces cavernes aurait une ouverture donnant sur la galerie des visiteurs, munie d’une glace qui permettrait de voir ce qui s’y passe et d’étudier l’oiseau. Au moyen d’un subterfuge, il serait facile de bien voir et de n’être pas vu.

Le spectacle qu’offrirait cet ornithorium serait bien curieux. Dans le bas, le repaire des grands amphibies, l’alaitement de leurs petits, les premières leçons de natation, qu’on pourrait suivre si on avait fait un étage-sous-sol, qui serait un aquarium dans la mer libre. On pourrait suivre leurs évolutions très loin dans cette anse, qui serait comme la vraie mer toujours limpide. Plus haut, la rokerie : spectacle inouï, dont on n’a pas d’idée, qui retiendra le visiteur de longues heures en contemplation devant cet ordre social parfait, cette bonne amitié entre tous ces oiseaux d’espèces et même de genres différents. Ces promenades des manchots, pingouins, sphénisques, macareux, marchant droit comme des soldats à la parade, ces rapts d’œufs d’une couveuse à l’autre, et toujours pour le bon motif. Tout cela a un charme, un attrait empoignant qui attirera beaucoup de monde ; les désœuvrés, les indifférents même seront retenus malgré eux. Le gouvernement n’a assurément pas à s’occuper d’une création pareille, mais une ville où il y a des bains de mer pourrait en la créant faire une bonne affaire à cause de l’action attractive qu’un pareil ornithorium aurait pour les visiteurs.

La nidification de tous ces êtres sera accompagnée du magnifique spectacle de l’évolution de l’oiseau tout-à-fait à l’état de nature. Les phoques se croiront. sur leurs rochers populaires. Les pingouins pourront être étudiés dans leurs chasses aquatiques ; et dans l’air on verra en pleine allure de franche liberté les oiseaux marins qu’on n’aperçoit que momifiés dans les vitrines des muséums.

Il serait facile d’alimenter chaque nuit cette petite anse, surtout dans le commencement ; plus tard la grande mer qu’on leur livrerait pourvoierait à la nourriture complète de toutes ces colonies.

Pour qu’une pareille création puisse être établie dans des conditions de réussite, il faut pouvoir défendre sur la terre et sur l’eau les êtres que l’on acclimate. Le gouvernement ou une ville peuvent seuls avoir ce pouvoir.


CONSEILS D’AMI


Tout bien pesé, tout bien analysé, j’ai la conviction profonde que les divergences d’opinions qui divisent ceux qui s’occupent de l’étude de la locomotion aérienne reposent sur le non-savoir.

Les penseurs ont pensé, mais ils n’ont pas vu.

Adressez-moi le plus fanatique des partisans du ballon ou du vol ramé, qu’il reste avec moi seulement quelques jours, et si je n’en fais pas un converti au vol à la voile, non un converti bénin, mais au contraire un fanatique irréductible, je veux bien être frappé de cécité.

Demandez plutôt à M. Albert Bazin à M. S. Drzewiecki ce qu’ils pensent de mon observatoire, combien il y a de milans et de corbeaux en vue, ce qu’ils pensent du vol du percnoptère et surtout du grand vautour, qu’ils n’ont fait, hélas ! qu’entrevoir. Il y a au Caire cent fois plus de voiliers en l’air qu’il n’y a de rameurs en vue à Paris.

Cependant, je dois constater un fait : c’est que cette démonstration patente, de fait établi, s’atténue avec le temps. Je parle dans ce cas non seulement pour les autres, mais de ce que j’ai ressenti.

L’intelligence oublie, la foi comme le parfum s’évapore avec le temps.

Il faut donc voir d’abord, puis voir souvent, si on veut se sentir à chaque instant de force à se mesurer avec les défaillances intellectuelles par la vue de l’évolution.

Au fait, est-ce bien un bon conseil que je donne là ? Est-il réellement bon de s’inoculer un virus aussi actif que celui de l’amour de l’aviation ?

J’en doute fort. Et à ce propos-là, entre nous, en ami bien sincère, si vous n’êtes pas encore pris, précisément empoigné par ce problème, laissez-le, abandonnez-le, n’y pensez plus ; c’est une terrible maladie que vous éviterez.

J’aurais bien dû suivre le conseil que je donne ! mais, je ne savais pas d’abord ; puis je n’aurais pas pu.

J’ai réussi à passer une fois plusieurs mois sans y penser. Je me croyais guéri, quand, un beau jour, levant les yeux en l’air par le plus grand des hasards, je vis un magnifique arrian. Oh ! ce fut fini ! tant qu’il fut en vue, je fus cloué sur place. Et, franchement, il y avait de quoi être immobilisé.

Il passait là-haut luttant lentement contre un vent de tempête pareil à nos grandes bises, avançant peu à peu contre ce puissant courant aérien avec une régularité singulière. De temps en temps, pour résister à ces bourrasques qu’on percevait d’en bas, il s’élevait sans reculer et sans avancer, mais gagnait une hauteur considérable.

C’est surtout cette lenteur qui stupéfie, c’est cette faculté de pénétration quand même dans ce vent violent qui donne le mal de l’aviation. Puis, quand il se mit à décrire ses orbes, ce fut une amplitude indescriptible.

Que Dieu vous préserve d’un pareil spectacle !

Et après qu’il eut disparu, cette majesté dans les allures me poursuivait. Tout ce qu’il avait produit comme acte de vol était d’une analyse simple, il n’y avait aucun mouvement difficile à expliquer ; tout était d’une compréhension si facile que le désir de l’imiter revint d’une façon impérieuse.

Je considère la vue d’un pareil spectacle comme un danger sérieux pour tout cerveau bien organisé pour l’analyse mécanique. Evitez-le donc tant que vous le pourrez, fermez plutôt les yeux afin de ne pas voir.

Si, par malheur, vous êtes infesté, oh ! alors, allez franchement à l’étude, saturez-vous des évolutions des maîtres, voyez souvent, toujours, vous ne saurez jamais trop.

Certainement que cette aspiration de l’intelligence vers la réalisation de ce problème poétique a été un grand mal pour beaucoup de gens. Que de ruines, de temps perdu, d’espérances détruites ! Oui ; c’est vrai, assurément. Mais il y a bien dans tout tableau un coin de ciel bleu. Le penseur étreint aussi fortement ne l’est assurément pas sans éprouver quelque jouissance. Cette pensée qu’il cache ordinairement, mais c’est au fond la joie profonde de son cœur ; ce mal est une douce caresse ; il craint sa passion, sa folie, mais il l’adore et ne peut réussir à l’oublier. Il a eu le malheur d’avoir été charmé par le planement, ce n’est pas un crime.

Ce rythme néfaste poursuit comme certains airs dont on ne peut se débarrasser. C’est un amour particulier de ce genre de mouvement, qui est, au reste, comme tout amour, une maladie ; il ne s’éteint qu’avec le temps, à la condition, cependant, qu’on ne reverra pas. Mais, si on revoit, on est bien, franchement perdu : lutter est impossible.

Heureusement, on avance, on y arrive, on le tient corps à corps, ce terrible problème.

Autrefois, il y a vingt ans, il y avait honte et déchéance à avouer une infirmité morale pareille ; aujourd’hui, il n’en est plus ainsi, on peut presque s’en vanter, et au premier succès on en sera félicité.

ADIEU


Je ne voudrais pas quitter le lecteur sans lui faire mes adieux, car ma mission est finie. Je n’en sais pas davantage.

Un problème pareil use la vie d’un homme, et la mienne est finie.

Je me retire de la lutte attristé de n’avoir pas été cru.

J’ai constaté, à mon grand regret, qu’on n’a généralement pas su démêler dans ces exposés humoristiques le fond sérieux qui les recouvraient.

J’ai d’abord tout simplement écrit les choses comme je l’ai pu, n’ayant aucune ambition au titre d’écrivain. J’ai dépeint l’oiseau avec mon tempérament ; la forme en est trop souvent incorrecte et bizarre, mais le mobile était bon. Il me fallait un récit léger pour faire admettre une idée difficile à saisir, ou, qu’on me permette une comparaison vulgaire, une sauce pour faire passer un ragout indigeste.

J’avais à apprendre le vol de l’oiseau à ceux qui ne le connaissaient pas, et ils sont nombreux ; il fallu le faire revivre et évoluer devant eux. Je ne regrette aucune de mes incorrections si j’y suis parvenu.

J’étais forcé de le faire, parce que je sais qu’on ne peut s’instruire sur ce point : aucun livre ne traite de ce sujet ; l’observation est pour beaucoup impossible, je voudrais cependant qu’ils entrevissent ce qu’est le vol de l’oiseau. J’ai donc été forcé d’écrire.

J’ai eu à lutter contre le ballon, le rameur et l’emploi intempestif des mathématiques ; je l’ai fait avec virulence, j’en conviens humblement ; mais c’est contre les idées que j’ai lutté et non contre leurs partisans, je ne pense donc pas avoir blessé personne. En tous cas, s’il en est qui se soient crus atteints je leur fais mes plus sincères excuses ; j’espère qu’ils me pardonneront et se diront que je suis comme eux un convaincu.

Il faut excuser le voyant, il faut tenir compte de l’ardeur de sa foi dans le vol à la voile. Ses critiques des autres systèmes de navigation aérienne ont été souvent d’une énergie excessive, mais il faut y voir non un effet de la violence de la lutte, mais simplement l’angoisse éprouvée de voir s’engager dans une voie sans issue une somme d’intelligence et d’action qui, lancée, dans ce qui est, j’en suis absolument certain, la bonne direction, aurait produit le résultat. Les courants d’idées divers ont été attaqués dans ces deux livres, les personnes jamais.

L’auteur n’a pu faire toucher du doigt le vol sans battement aux lecteurs ni aux aviateurs qu’il a eu l’occasion d’entretenir ; même, hélas ! au Caire, il n’a pu montrer le grand vautour que d’une manière tout à fait imparfaite, et nullement concluante, je le reconnais. Les modèles étaient absents dans l’instant. C’est assurément un grand malheur. L’observation est de longue haleine. Il ne me suffit plus, même au Caire, de faire jeter les yeux dans l’atmosphère à un aviateur pour y faire rencontrer le Maître, il faut encore qu’il soit dans le ciel. Il devient rare, ce démonstrateur du vol sans dépense de force !

Cependant il existe ; mais je dois reconnaître qu’il n’est plus visible à point nommé comme il l’était autrefois.

Ce que je puis dire, c’est que celui des aviateurs qui aura la chance de pouvoir l’étudier ne pourra dire qu’une chose des descriptions que j’en ai faites : c’est qu’elles sont plutôt éteintes qu’exagérées.

C’est seulement le manque de bons modèles qui amène ces divergences d’opinions, ces routes diverses que suivent les intelligences qui se vouent à l’étude de la navigation aérienne. La vue d’un seul vol de ces oiseaux privilégiés aurait pour effet de rallier au vol à la voile, d’un seul coup de filet, en un seul faisceau, les partisans de tous les systèmes différents qui divisent l’étude de ce phénomène, car ils sont tous intelligents, ces chercheurs ; la vue de cette merveille les illuminerait de sa simple grandeur, et ferait qu’il n’y aurait plus qu’une voie à cette étude, celle du vol sans battement.


RÉSUMÉ


Avant la publication de l’Empire de l’Air la question de la navigation aérienne pouvait se diviser en deux ordres d’idées bien tranchés et franchement opposés l’un à l’autre : le plus léger que l’air et le plus lourd.

L’étude du ballon, malgré le grand effort produit depuis quinze ans, semble être arrêtée par des barrières difficiles à franchir qui sont : la résistance du vent et la faiblesse de l’enveloppe.

Le plus lourd que l’air est la reproduction de l’oiseau rameur ; ce problème n’est pas encore résolu.

L’Empire de l’Air et le Vol sans Battement développent une troisième manière d’envisager la question, qui est le vol plané sans battement.

Cette façon de concevoir le vol a été délaissée parce que, à première vue, elle semble tellement paradoxale qu’elle n’a eu qu’un succès d’estime, ce qui a fait que, à moins de rares exceptions, son étude a été abandonnée, malgré la facilité qu’offre sa reproduction. Puis, parce que son analyse précise, mathématique, n’a pu être donnée à cause de la complication des évolutions. Ensuite, parce qu’elle semblait, pour beaucoup de gens, être une utopie ayant beaucoup de rapports avec le problème du mouvement perpétuel. Enfin, parce qu’elle ne s’établissait que sur l’observation. Comme généralement il faut voir pour croire, et qu’on n’avait pas vu, on n’a pas cru.

L’extrême simplicité de la reproduction du vol sans battement ne se discute pas, surtout si on la compare aux difficultés présentées par les autres ordres d’idées. Ce n’est pas là qu’est l’écueil, il est dans la difficulté qu’éprouvent les intelligences à accepter l’économie grandiose dans sa simplicité de ce vol inventé par la Nature, et que je n’ai fait qu’observer toute ma vie, et décrire comme je l’ai pu.

Malgré les imperfections de toutes les descriptions et des explications contenues dans ces deux études, la vision de l’évolution a été tellement active qu’elle m’a permis d’affirmer comme base fondamentale de ce problème que :

« Dans le vol des oiseaux voiliers, l’exhaussement est produit par l’emploi adroit de la force du vent, et la direction par l’adresse ; de sorte qu’avec un vent moyen, on peut avec un aéroplane qui n’est pourvu d’aucun appareil pour s’exhausser, s’élever dans les airs et se diriger, même contre le vent. L’homme peut donc, avec une surface rigide, bien organisée pour pouvoir être dirigée, répéter les exercices d’ascension et de direction que font les oiseaux planeurs, et n’aura à dépenser en fait de force que celle nécessaire à la direction. » (24 avril 1881. Empire de l’Air.)

L.-P. Mouillard.

 Caire.


PLANCHES I, II, III.

TABLE DES GRAVURES


N° des Pages
Portrait de L.-P. Mouillard. 
Ombre de la Mouette 
 155
Ombre du Corbeau égyptien 
 161
Ombres de l’Ardéa et de l’Effraye 
 192
Aéroplane 
 288
Construction d’une aile 
 315
Construction du corset 
 318
Graphiques 
 323
Allures suivant la vitesse du vent 
 328
Cerf-volant 
 367
Cerf-volant voile 
 368
Chariot aéroplane 
 371
Courbe de Chute 
 434
Tableau de M. Dieuaide 
 Planches I, II et III.

TABLE DES MATIÈRES


Pages
 115
 195
 234
 377
 396
 407
 429
 459
 476
 479
  1. La Société Française de Navigation aérienne.
  2. Voici le passage auquel il fait ici allusion : « Vous le distinguerez cependant très vite à l’angle en avant formé par ses ailes, à l’absence de battements, et surtout à la lenteur et à la régularité avec laquelle il se meut dans l’espace : c’est là un signe infaillible pour le reconnaître à perte de vue. Sa grandeur ne se comprendra que bien plus tard, lorsqu’il ne sera plus qu’à 2 ou 300 mètres ; et, à partir de cette distance, il croîtra avec le rapprochement beaucoup plus que les autres oiseaux.

    « Vous le distinguerez encore à la forme particulière du bout de ses ailes. On peut dire que c’est l’oiseau qui a les rémiges les plus écartées les unes des autres : il y a à l’extrémité, entre chaque plume, un espace vide de cinq largeurs de plume.

    « Puis encore à une autre particularité : la rémige, au lieu d’aller en s’effilant vers la pointe, est construite d’une manière inverse ; elle semble implanté dans le corps de l’aile par le bout mince ; la pointe se trouvant sensiblement plus large que la partie qui semble s’attacher à l’aile et qui précède juste le grand élargissement des barbes. »

  3. Voir page 33 de « l’œuvre ignorée de Louis Mouillard », l’exposé de la méthode de mesure empolyée par l’auteur.
  4. Ces chiffres du flammant mâle (Phœnicopterus antiquorum) sont comme suit :
    Allure V O’’; Poids : 2880 ; Surface : 0,378130 ; Envergure : 1.75 ; Largeur moyenne : 0,21 Proportions : 8,33 : 1 ; Un gramme est porté par 0.000131 ; Un mètre carré porte : 7616 grammes ; 80 kilogs seraient portés par 10 mg, 48.
  5. Voici le passage auquel il est fait allusion : « Il y avait du bon dans cet aéroplane, mais il avait été fait trop précipitamment. − L’essai fut fait par un vent trop fort ; je ne voulais pas me montrer, je fus obligé de saisir un moment où j’étais seul... Je me suis mis donc dehors avec mon appareil, je courus contre le vent : la sustentation était très forte.
    « Je n’avais pas confiance, je l’ai dit, en la solidité de mon aéroplane. Un coup de vent violent survint : il m’enleva ; je pris peur, je cédai devant lui et me laissai renverser. J’eus une épaule luxée par la pression des deux ailes, qui avaient été ramenées l’une contre l’autre comme celles d’un papillon au repos. » (L’empire de l’Air, p.248).
  6. Voir l’Empire de l’Air, où il est dit à la page 229 :
    « Quand un oiseau décrit un rond, l’aile du côté du centre est toujours moins étendue que celle dont la pointe décrit la circonférence : de sorte que, en voyant un voilier ployer légèrement une aile, on sait qu’il va tourner de ce côté. »
  7. La Landelle (Guillaume-Joseph-Gabriel de), né à Montpellier en 1812, fut lieutenant de vaisseau, collabora à La Flotte et publia des poésies et des romans maritimes.
  8. La Publication de Robur le Conquérant (1886) est postérieure à celle de l’Empire de l’Air. Jules Verne avait inauguré la série de romans scientifiques avec « Cinq semaines en Ballon » voyage de découverte, publié dans le Magasin d’éducation et de récréation d’Hetzel, puis en volume en 1863.
  9. Voir l’Empire de l’Air, p. 247.
  10. M. Dieuaide, secrétaire de la Société Française de Navigation aérienne, dressa en 1880 son Tableau d’aviation, d’après des documents
  11. Voir l’Empire de l’Air, p. 242
  12. Cf. Dans l’Empire de l’air, p. 258 : « Le désideratum de la direction aérienne est, nous l’avons dit, une machine pouvant partir par un temps calme, de la surface de l’eau »
  13. Voir: Empire de l’Aire, p. 259 et suiv.
  14. Voir plus loin « Le Vol ramé » p. 138 et suiv.
  15. Voir l’Empire de l’Air, p. 41, le chapitre qui a pour titre Le vol des voiliers
  16. Les caractéristiques données pour cet oiseau au tableau dont il s’agit sont :
    Allure V. O ; poids en grammes : 1270 ; surface : 0.329.178 ; envergure 1.548 ; largeur moyenne : 0.24 ; proportions : 6.45 : 1 ; 1 gramme est porté par 0.000259 ; 1 mètre carré porte : 3.797 ; 80 kilogs sont portés par 20ᵐ79.
    Ces chiffres sont obtenus par application de la méthode décrite à la page 33.
  17. Les considérations qui précèdent ainsi que les deux phrases portées ci-dessus en italique montrent que l’auteur considère l’oiseau comme sou-
  18. La loi de l’attraction de Mouillard s’exprime ainsi : « Quand un corps se meut, son centre de gravité se déplace et se transporte ne arrière du sens du mouvement ». L’impropriété des termes qu’il emploie lui a valu les critiques de maint mathématicien.
  19. G. de La Landelle est l’auteur d’un ouvrage ayant pour titre Aviation ou Navigation aérienne sans ballons, publié en 1863, chez E. Dentu, Editeur-Libraire de la Société des Gens de Lettres à Paris, 17 et 19, Galerie d’Orléans au Palais Royal.
    G. de La Landelle a publié en outre de nombreaux ouvrages sur les gens de mers et la navigation maritime. Dans son ouvrage « Le Tableau de la mer  », le chapitre XII traite de l’ « Aéronef ».
  20. Voir p. 43 et suiv. de l’Empire de l’Air.
  21. Voir plus haut p. 232 et suiv. au chapitre : le Gouvernail vertical. Voir également plus loin, p. 290 et suiv. au chapitre : Aéroplane fixe.
  22. Le ballon « La France », des capitaines Charles Renard et Krebs qui avait fait le premier parcours en circuit fermé le 9 août 1884
  23. Voir plus haut p. 203 et suiv.
  24. Voici le passage auquel il est fait allusion : « Il y avait du bon dans cet aéroplane, mais il avait été fait trop précipitamment. − L’essai fut fait par un vent trop fort ; je ne voulais pas me montrer, je fus obligé de saisir un moment où j’étais seul... Je me suis mis donc dehors avec mon appareil, je courus contre le vent : la sustentation était très forte.
    « Je n’avais pas confiance, je l’ai dit, en la solidité de mon aéroplane. Un coup de vent violent survint : il m’enleva ; je pris peur, je cédai devant lui et me laissai renverser. J’eus une épaule luxée par la pression des deux ailes, qui avaient été ramenées l’une contre l’autre comme celles d’un papillon au repos. » (L’empire de l’Air, p.248).
  25. Les pages qui suivent forment à peu près la matière de l’article que MOUILLARD fit paraître en 1894 dans la revue américaine Aéronautics. Voir vol. 1, n° II de cette publication, l’article intitulé : « A programme for safe experimenting », by L. P. MOUILLARD. Cairo, Egypt. Août 1894, p. 150 et suiv.
  26. Voir l’Empire de l’Air, p. 237
  27. L’allure V 10’’ signifie : les ailes développées comme quand l’oiseau vole cotnre un vent de 10 mètres à la seconde, et de même pour V 8’’. V 6’’, etc.
    L’allure V 0’’ est celle du vol quand il n’y a pas de vent.
  28. On trouvera le croquis de l’appareil de De Groof dans le tableau de M.DIEUAIDE, à la fin du présent volume.
    Le 9 juillet 1873, de Groof qui avait construit un parachute muni d’ailes, se fit enlever en ballon par M.Simmons, à Gremorn Garden, à Londres. La corde qui retenait de Groof et son parachute fut coupée à une certaine hauteur ; les ailes se retournèrent, et l’inventeur fut précipité sur le sol.
  29. Voici le passage auquel il est fait allusion :
    « Je prendrai l’aéroplane chargé à une grande vergue de bateau ; on le hissera aussi haut que possible, et de là-haut on l’abandonnera à sa
  30. Dans son article : « A programme for safe experimenting » (Aéronautique, Vol. I. n° II. Auût 1984, p. 151), L. P. Mouillard s’exprimait ainsi : « For this purpose a location may be selected upon a pier, with water on both sides and broadside to the prevailing wind, or upon a vessel with at least two masts, anchored at a suitable distance from the shore ». (Dans ce but, on peut choisir un emplacement sur une jetée, entourée d’eau des deux côtés, et présentant le flanc au vent habituel, ou sur un navire muni d’au moins deux mâts, ancré à une distance convenable du rivage).
  31. Dans l’article d’Aéronautics, Mouillard proposait aussi le Golfe du Mexique.
  32. L’Empire de l’Air et le Vol sans battement.
  33. Voir l’Empire de l’Air. p. 232
  34. Dans l’Empire de l’Air, p. 262, Mouillard fait de l’appareil, la description suivante :
    « Sur un bâti puissant, en ormeau, châtaignier ou bambou, le plus résistant possible, je fixerai une enveloppe légère en osier, ayant la forme du corps d’un oiseau. »
    « Cette forme d’osier serait recouverte d’une feuille d’aluminium, de manière à faire un bateau. »
  35. Le premier voyage aérien avec retour au point de départ fut réalisé par les capitaines Charles Renard et Krebs, le 9 août 1884. Il fut constitué par un parcours de 7 k. 600 (Chalais-Villaconblay et retour) couvert en 23 minutes.
  36. Voir l’Empire de l’air, p. 247 et 248
  37. Le grand aérostat captif à vapeur de l’ingénieur Henri Giffard, réalisa un millier d’ascensions au cours de l’Exposition de 1878. 35.000 personnes environ furent ainsi enlevées à 500 mètres dans les airs. Le ballon formait une sphère de 36 mètres de diamètre, la nacelle circulaire avait 6 mètres de diamètre. On utilisait, pour la manœuvre du câble de 600 mètres, deux machines à vapeur de 300 chevaux et un frein régulateur à air.