Le vol sans battement/Gouvernail vertical

Édition Aérienne (p. 230-233).

GOUVERNAIL VERTICAL


Ce mot de gouvernail, qui se trouve dans le chapitre précédent, fait, de suite, penser à un gouvernail perpendiculaire, quelque chose comme celui des bateaux qui n’ont besoin que de la direction horizontale.

Un appareil d’aviation un peu important ne serait pas déparé par cet organe, malgré son étrangeté, et s’il était utile, on passerait sans honte sur beaucoup de considérations esthétiques. Ce serait, il est vrai, le premier gouvernail de ce genre qui fonctionnerait dans la nature, mais il lui serait tout pardonné s’il produisait de bons effets.

La nature n’a pas positivement inventé cet appareil, au moins pour les oiseaux, mais elle l’a indiqué plusieurs fois : dans le milan qui dispose quelquefois verticalement le plan de sa queue, dans l’hirondelle, qui produit aussi très souvent cette manœuvre, dans le naucler, ce milan exagéré de l’Amérique, qui se dirige d’une manière si curieuse avec les deux longues plumes extrêmes de sa queue fourchue, dans le gypaëte, enfin dans tous les oiseaux de grand vol qui ont un appendice caudal développé. Puis, ce que la nature n’a pas fait est cependant faisable : elle n’a pas tout inventé, témoin la roue, l’hélice, etc...

J’ai construit plusieurs aéroplanes à gouvernails verticaux, tous ont bien fonctionné. Cet organe est un véri- table régulateur de la direction horizontale, mais il a le défaut d’exiger pour devenir efficace beaucoup de vitesse de translation. C’est, en résumé, toujours la queue avec ses qualités et ses défauts ; elle n’agit que quand l’air la frotte vivement.

Un de ces appareils était assez intéressant pour mériter une description.

Je cherchais la direction automatique contre le vent et j’ai eu recours au gouvernail vertical pour la produire.

L’appareil se composait d’un aéroplane ordinaire de 1 m. 75 d’envergure. L’attache du gouvernail qui devait régler l’orientation était une tige de fer plantée verticalement où serait la tête de l’oiseau, c’est donc au milieu de l’avant. Sur cette tige se fixait un drapeau mobile, parfaitement rigide. La longueur était égale à l’envergure de l’appareil : il dépassait donc de beaucoup la queue, ce qui faisait un gouvernail de 1 m. 75, placé verticalement sur le dos de l’aéroplane. 11 était construit en plumes de paon ébarbées et en papier de Chine.

Au bout de chaque aile, à la place de la sixième rémige, de l’annulaire ; j’avais établi deux petits plans mobiles collés à ces deux points. Il s’agissait de faire mouvoir ces plans, de leur faire présenter au moment opportun un angle qui ferait retenue sur l’air, l’accrocherait et produirait ainsi une action directrice.

Deux simples cordonnets attachés à l’extrémité de chacun de ces plans mobiles, passant par un anneau fixé à la place du pouce, et l’autre bout fixé au gouvernail vertical firent l’affaire. Les deux cordonnets étaient attachés à 0 m. 25 de la tige de fer faisant charnière, ce qui faisait que l’effort de l’air était augmenté de toute l’action du levier.

Quand l’aéroplane en marche voulait suivre une autre direction que celle de vent debout, ce drapeau rigide suivait le courant d’air, déviait de la ligne qui va du bec à la queue. Cette déviation se traduisait à l’instant par une traction sur le cordonnet opposé à cette nouvelle direction du drapeau ; le plan était amené à faire résistance sur l’air et par conséquent à ramener l’appareil contre le vent.

C’était un commencement d’exécution d’un ordre de pensées qui me poursuit depuis longtemps, mais que faute de moyens et de temps, je ne puis produire : c’est l’appareil aviateur automatique.

Son but final est de faire enlever et diriger dans une direction précise un aéroplane de 80 kilogrammes. Ce n’est assurément pas beaucoup plus difficile à combiner et à exécuter que les petits appareils inventés par MM. Penaud, Hureau de Villeneuve, Jobert et autres...

J’avais commencé un appareil de 5 mètres d’envergure, type pélican, devant partir de l’eau et se reposer sur l’eau [1], et fournir entre le départ et le repos une course planée qui par certains jours de vent devait être bien intéressante.

Le départ devait être produit par la vitesse procurée par des pattes de palmipèdes [2], et par une dizaine de battements énergiques d’ailes du système décrit dans le présent livre, à la fin de l’Aviation [3].

Le repos automatique était décidé par l’approche de la surface de l’eau : un petit lock pendu à une corde attrapait l’eau, ce tirage ouvrait un robinet et le gaz comprimé faisait battre cinq fois les ailes dans la position qui arrête la translation ; l’appareil immobilisé se posait sur l’eau.

Le moteur était l’acide carbonique. Au moyen d’une outre de caoutchouc d’un centimètre d’épaisseur, de la contenance de vingt litres, de bicarbonate de soude et d’un peu d’acide sulfurique étendu, on obtient une pression qui se chiffre exactement. Un pareil récipient peut supporter facilement sans se rompre et sans trop augmenter de volume une pression de dix atmosphères. Il pèse, avec sa charge, cinq à six kilos. C’est en même temps le foyer, le laboratoire et la chaudière. On disposait donc ainsi de cent litres de gaz utilisable comme force motrice.

Il y avait à répartir ces cent litres en quinze fractions de volumes progressifs, puisque la pression, l’exiguité du récipient, allait en s’éteignant, ce qui était chose facile, et entre la course des pattes palmées.

Le but de cette rêverie, qui fut abandonné au reste ainsi que beaucoup d’autres choses, était d’arriver au grand appareil automatique, capable de porter le poids d’un homme.

C’est, comme on le voit, toujours la pensée d’habituer l’aviateur à ce mode curieux de véhiculation qui me poursuit. Il est clair que, si cet appareil était construit, la vue de cette expérience souvent répétée, ferait certainement naître chez une individualité hardie l’idée de remplacer la charge par un être humain. Et, si cette intelligence était bien persuadée, bien imprégnée du vol des voiliers, il est à peu près certain que le problème serait résolu.

Au reste, s’il est absolument constaté que l’effroi du vide est la véritable cause qui empêche l’homme de pratiquer l’aviation, et c’est mon opinion bien arrêtée, les appareils automatiques sont la seule voie à suivre pour le décider et l’accoutumer à ce mode de translation qui ne doit pas plus donner le vertige que n’en donne l’aérostat.

  1. Cf. Dans l’Empire de l’air, p. 258 : « Le désideratum de la direction aérienne est, nous l’avons dit, une machine pouvant partir par un temps calme, de la surface de l’eau »
  2. Voir: Empire de l’Aire, p. 259 et suiv.
  3. Voir plus loin « Le Vol ramé » p. 138 et suiv.