Le vol sans battement/Direction horizontale

Édition Aérienne (p. 203-229).

DIRECTION HORIZONTALE


Le chapitre qui, dans l’Empire de l’Air, a pour titre « Équilibre vertical et horizontal », page 27, est tellement écourté que je crois devoir lui ajouter ici une annexe.

L’explication de la direction horizontale n’était pas suffisante. Reprenons-la donc, car ce point est une des grandes difficultés de l’aviation.

Il est dit, démontré et prouvé que la sustention existe : plusieurs personnes ont été portées par l’air. Moi-même, j’ai parcouru 42 mètres sans toucher terre, ayant, pour me soutenir, un aéroplane de 12 mètres carrés de surface. L’air porte donc.

Au fait, puisque j’en parle, voici comment le fait s’est passé :

C’est encore dans mon jeune temps que cela m’est arrivé, dans ma ferme de la Mitidja, et avec mon appareil no 3, le léger, celui que je portais comme une plume.

Cette expérience précède de quelques jours celle que j’indique dans l’Empire de l’Air et qui se termina par un petit accident [1].

J’avais réussi, à force de combinaisons profondes et un déploiement de roueries à n’y pas croire, à être seul dans la ferme. J’avais déjà essayé les effets de mon appareil, sauté de quelques mètres de hauteur, je voyais qu’il portait, mais je n’osais expérimenter devant le public de chez moi ; et le temps me durait de mieux voir ce que cet aéroplane était capable de faire.

J’avais donc envoyé tout mon monde... à la campagne, et je me promenais dans la prairie avec mon appareil sur les épaules, courant contre le vent et étudiant son action de soutènement. Le vent était presque nul, la brise n’était pas encore levée, et je l’attendais.

Près de là se trouvait une route qui s’élevait d’un mètre et demi au-dessus de la plaine ; elle avait été ainsi exhaussée par l’apport des fossés de trois mètres de largeur qui la bordaient.

L’idée me vint de sauter ce fossé.

Sans mon appareil je le franchissais facilement, je voulus essayer de le faire muni de mon aéroplane. Je courus donc sur le travers de la route et je sautai le fossé comme à l’ordinaire. Mais, oh horreur ! arrivé sur l’autre bord, mes pieds ne touchèrent pas le sol. Je courais sur l’air, faisant des efforts inutiles pour atterrir : mon aéroplane était fixé. Je n’étais qu’à un pied de terre et je ne pouvais l’atteindre ; et je glissais sans pouvoir m’arrêter. Enfin, mes pieds finirent par rencontrer le sol. Je tombai sur les mains, cassai une rémige, et tout fut fini. Mais quelle peur j’avais eue ! Je me disais que si un simple léger coup de vent arrivait il me lançait à 10 ou 15 mètres en l’air, et que là-haut j’étais renversé forcément et que je retombais sur le dos. Je savais cela parfaitement, je connaissais les imperfections de mon appareil et les effets qu’il devait produire. Je n’avais pas pu m’offrir un aéroplane complet.

Heureusement tout se termina bien. Je mesurai ensuite la distance qu’il y avait de la marque de mes pieds au bord de la route et je trouvai 42 mètres.

Voici ce qui a dû arriver. Par le saut j’atteignais une vitesse de 5 à 6 mètres, et, au moment où je franchissai le fossé, j’ai rencontré une bouffée de la brise qui essayait de s’établir. Elle avait probablement 4 ou 5 mètres de rapidité, ce qui fit un total... capable de me supporter.

Je ne dirai pas que j’ai eu là l’occasion de savourer les voluptés de la vitesse, non, loin de là, — j’avais trop peur ! − mais cependant je ne saurais oublier cet étrange effet de glissement que je ressentis.

Comment se fait-il qu’après une expérience pareille je n’aie pas continué mes recherches pratiques ? En voici la raison dans toute sa simplicité. Le fait se produisait en 1865 au mois d’avril. Je ne voulais plus me servir de cet aéroplane incomplet et me proposais d’en construire un autre que je pourrais diriger exactement. Au mois de septembre, les circonstances voulurent que je louai ma ferme ; je quittai l’Algérie et me fixai en Egypte. Là, .je ne retrouvai plus les conditions d’expérience que j’avais dans la Mitidja : j’habitais une grande ville et non la campagne, il m’était donc impossible de rien faire sans me livrer à des déplacements considérables. Sur ces entrefaites la maladie survint : je fus immobilisé comme mouvement ; l’ancien gymnasiarque devint un impotent auquel il n’est resté que la tête.

Cette face du problème est donc jugée.

Il reste la direction dans le sens horizontal.

Je me suis beaucoup servi de l’observation, mais je dois avouer que, malgré que les bons modèles ne m’aient pas manqué, ce point est bien celui qui a nécessité de ma part le plus d’attention. On a beau voir, et cela tout le long du jour, si on ne comprend pas, ou, ce qui est plus dangereux, si on comprend faux, on arrive à se forger des idées erronées qui, plus tard, sont démolies pièce à pièce par l’expérimentation ; mais d’autant plus lentement que l’idée préconçue était plus enracinée. Ainsi, expérimentons.

Ne pouvant martyriser constamment les oiseaux, puis surtout trouvant en eux des êtres qui n’obéissent pas, ne produisent pas les manœuvres que nous voulons étudier et comprendre, adressons-nous à un appareil mécanique.

Nous prenons un aéroplane élémentaire : deux ailes, un corps et une queue, le tout fixe, en papier. La queue fait un troisième point d’appui et permet un pli correcteur qui assurera l’équilibre vertical.

Nous avons établi ce pli de façon à ce que nous ayons une chute aussi faible que possible ; c’est donc un point éliminé. Notre aéroplane chemine en produisant un parcours horizontal de cinq ou six fois la hauteur de sa chute. Beste à le faire aller soit d’une manière rectiligne, soit à gauche, soit à droite ; enfin d’être maître de sa direction horizontale.

Nous chargeons ce petit appareil avec une pièce de monnaie garnie de cire. Ce poids éloigné du point de charge utile, fixé à droite ou a gauche, fait tourner l’appareil du côté où est la charge. Il produit la direction horizontale que nous cherchons, mais nous remarquons que son action est faible et que ce n’est pas ce procédé que nous devons employer pour nous procurer une direction active. Il peut servir pour décider le sens de direction d’un grand cercle, mais est inutilisable dans toute manœuvre rapide.

Essayons d’un autre système. Renversons la question, c’est-à-dire prenons un aéroplane à mouvement de mains variables.

Après l’avoir mis à l’angle qui produit le moins de chute possible, conservons cette même surface totale, ’ mais changeons la position et la surface respective des deux mains ; c’est-à-dire, en en augmentant une et diminuant l’autre de la même quantité ; portant l’une en avant et l’autre en arrière.

Nous remarquons que ce genre de déséquilibrement est plus actif que le précédent, l’appareil se met à tourner comme je l’ai énoncé page 229[2], c’est-à-dire qu’il se met à décrire des cercles dans lesquels l’aile pliée est dirigée vers le centre et l’aile étendue vers la circonférence.

A ce propos je dois mettre le lecteur, qui voudrait répéter cette expérience, en garde contre les difficultés qu’elle présente. Je relaterai seulement celle-ci :

Il arrive très souvent que l’aéroplane tourne du côté de l’aile la plus longue, et cela avec un entêtement qui engage non seulement à mettre en doute cette action de direction mais même à la nier et à démontrer positivement le contraire. On arrive même à penser qu’il est juste que l’aile la plus longue retarde sur l’aile la plus courte et que le cercle décrit ait la grande aile pour centre, car elle fait levier.

L’expérience et le raisonnement donnent donc tort aux oiseaux.

N’abandonnons pas pour cela cette étude. L’observation indique que les oiseaux se servent très souvent de ce moyen et l’observation est un fait sérieux.

Il faut pour arriver à l’explication de ce cas difficile, raisonner encore mieux et expérimenter avec plus de précision.

L’appareil avec lequel on opère est un aéroplane défectueux, à surfaces inégales et à courbes dissemblables au repos, qu’est-il sous pression de marche ? — Probablement encore plus imparfait. Tandis que l’oiseau a deux ailes de surfaces égales et surtout de courbes absolument identiques. Avec cela, quand l’aéroplane est chargé du poids de l’oiseau, l’appareil vivant, loin de se déformer, gagne tellement en perfection qu’on peut dire que ces deux ailes n’éprouvent aucune difficulté à pénétrer l’air. C’est tellement vrai, que la vue de l’oiseau se mouvant sans effort dans le fluide aérien, a fait naître l’idée de l’aspiration : fait impossible, mais si l’aspiration n’existe pas, la faculté de pénétration est telle chez certains volateurs, que le retard que peut donner la tranche de l’aile peut être considérée comme une quantité négligeable.

Il est donc compréhensible qu’une manœuvre d’une action faible, mais faite par un appareil aussi perfectionné que l’aéroplane-oiseau, produise un résultat précis que nous ne pouvons répéter que difficilement avec nos instruments défectueux.

En opérant cependant avec un aéroplane très soigné, on voit se reproduire alors d’une manière ponctuelle les phénomènes de direction produits par l’oiseau.

Toutes ces reprises d’expériences — car on ne réussit pas du premier coup — nous font remarquer que ce déséquilibrement est, comme le précédent, d’une action assez faible, et qu’il ne nous permettrait pas d’expliquer les brusques évolutions que l’oiseau se permet en pleine vitesse, d’autant plus que l’action de cette manœuvre est plus accentuée par les vitesses faibles que par les fortes.

L’oiseau a donc ces deux moyens de déséquilibrement, mais il doit en avoir d’autres plus actifs. Il s’agit de les découvrir.

Allons étudier. Voyons sur nature opérer les professeurs : c’est le véritable moyen d’apprendre. Le milan, qui a le vol si torturé, nous indiquera le procédé qu’il emploie.

Nous venons de recevoir une bonne leçon : vent fort, 15 mètres à la seconde. Mes milans, qui ne me craignent nullement, planent à moins de 10 mètres au-dessus de ma tête et me permettent de les regarder sans s’effrayer et se mettent à ramer. C’est donc tout à fait le plein vol en chambre, visible, facile à étudier, et durant tant qu’on veut ; et même avec reprise de l’exercice quand on n’a pas bien compris. En somme aujourd’hui, il est commode au possible d’étudier ce point délicat du vol : la direction horizontale.

Voici ce qu’on voit, revoit, ce que ces bons milans me ressassent à chaque minute.

Ils ont nécessairement le bec au vent. Comme la désorientation est de chaque instant il y a, à chaque changement de direction, un effort de l’annulaire qui remet l’oiseau dans la bonne direction. − Je donne le nom de plume annulaire à la sixième plume de l’aile.

La queue fonctionne en même temps, mais on saisit parfaitement son peu d’action ; au reste, pour ces oiseaux, plus le courant d’air est fort, moins ils se servent de cet organe qui devient alors plus gênant qu’utile ; son emploi est dans d’autres actes de la vie que nous n’avons pas à reproduire, chasse et lutte, et par conséquent pas à étudier.

L’annulaire travaille donc en permanence. Aussi, étudiez sur l’oiseau si vous le pouvez, sur les gravures de l’Empire de l’Air, qui sont calquées sur l’animal, la puissance de cette sixième plume. C’est elle qui a le plus de surface de toutes les plumes de l’être ailé. Sa construction est spéciale. On sent en elle un organe à part, qui a des fonctions précises : elle n’est pas faite comme les autres, aussi sert-elle plus que les autres.

Voici ce qu’on voit faire aux milans, et ce qu’après on découvre facilement dans les évolutions de tous les voiliers.

Lorsque l’oiseau perd sa direction, c’est-à-dire quand le courant d’air varie légèrement de point d’arrivée, l’oiseau corrige sa marche en tordant la pointe de l’aile, en l’accrochant avec cette large plume et se procure ainsi un retard de ce côté. L’aile qui a fait cette manœuvre n’a donc pas été aussi vite que l’autre ; elle est restée en arrière, et comme les ailes sont étendues avec rigidité, ce mouvement s’est communiqué à tout l’aéroplane et le changement de direction a été opéré.

Quand l’oiseau veut varier intentionnellement sa direction, cette manœuvre est plus accentuée et devient par conséquent plus visible que dans le cas précédent. On voit alors l’annulaire quitter franchement le plan horizontal de l’aile, entraîner par son contact les plumes avoisinantes et communiquer ce mouvement de torsion jusqu’à la fin de la main. L’action de cette déformation du plan de l’aile se traduit à l’instant par un changement subit dans le sens d’aller horizontal.

Ce n’est pas à la longue que cet effet se produit, c’est à l’instant même. Cette manœuvre est donc infiniment plus active que les déséquilibrements produits par le transport à gauche ou à droite du centre de gravité qui est procuré le plus souvent, en petit, par la tête qui se porte du côté où veut aller l’oiseau, en plus accentué par le transport général de tout l’être vers ce côté ; puis enfin, par le ploiement de l’aile du même côté.

L’action de l’annulaire est beaucoup plus énergique que tous ces procédés anodins, qui sont surtout d’une action très lente et qui ne sont utilisés que dans le planement.

Les besoins du vol dépassent de beaucoup les manœuvres dont nous venons de parler. Par les grands vents, il arrive souvent que l’oiseau a à passer subitement du courant actif de l’air à un contre-courant, ce qui l’oblige à changer de direction avec une célérité excessive. S’il n’employait que les moyens décrits plus haut, il serait souvent lancé où il ne veut pas aller. Dans ce cas l’oiseau exagère l’action de l’annulaire, il n’accroche pas l’air, il le barre complètement et arrête absolument de ce côté le mouvement de translation ce qui fait alors tourner dans le milieu aérien comme si chaque coup pivot.

En avançant encore plus loin dans les évolutions indispensables à l’existence de ces animaux : chasse et lutte, on voit des cas nombreux où l’air n’est plus seulement barré mais est frappé énergiquement et avec toute la force dont dispose le volateur ; c’est une claque nette portée sur un corps dense, car l’air attaqué avec cette rapidité résiste comme un solide. Dans ce cas le rôle de l’annulaire est dépassé, l’aile entière entre en action mue par toute la puissance musculaire des pectoraux : puissance qui, quoiqu’on en ait dit, n’a rien de similaire comme action avec les muscles correspondants des grands animaux ; témoin ce fait : une hulotte que je tenais par les pattes s’est brisé une aile en frappant l’air pour s’échapper de mes mains.

En somme, cette déviation du sens de cours, cette direction horizontale est, hors les cas extrêmes, produite par l’annulaire ; elle est le vrai gouvernail du vol de parcours. Si on lui joint l’action excessive de la présentation des plans des ailes on atteint les déviations extra-rapides de la lutte.

Voilà les procédés employés par l’oiseau pour agir activement. Ce sont eux qui permettent au grand-duc de se tordre de force et non par action de chute dans le dédale de la forêt. Ce sont les moyens utilisés par les oiseaux de proie dans la bataille. Ils leur permettent de se mettre le ventre en l’air, de se tourner et de se retourner à l’instant l’oiseau sur lui-même comme sur un d’aile portait sur un corps dense.

L’attraction n’est pour rien dans ces manœuvres : elle est trop lente, trop inactive, pour pouvoir suffire à la brièveté de ces évolutions.

Ce sont des coups de force et non des effets de décomposition de force.

C’est donc un coup de gouvernail, qui se nomme la pointe de l’annulaire.

Pour résumer en quelques mots cette question de la direction horizontale, on peut dire que le premier indice de direction, celui qui décide du sens d’un cercle de planement, n’est pas discernable ; il est probablement produit par une imperfection, plume qui manque ou par un transport de l’être qui appuie sur un côté. Viennent ensuite les manœuvres qui peuvent s’apercevoir :

Tête portée du côté du centre ;

Aile de ce côté légèrement repliée ;

Annulaire commençant à entrer en jeu et augmentant son action de retenue jusqu’à communiquer un mouvement à toutes les plumes de la main qui la suivent ;

Pointe entière de l’aile tordue pour les directions actives ;

Changement de plan de l’aile qui produit le retard avec pression active des pectoraux.

Enfin, coups de force, produisant les mouvements excessivement rapides dont l’oiseau a besoin dans la lutte.

C’est bien ici le cas de faire remarquer que, dans l’article Equilibre vertical, toujours trop écourté, il n’a été question que des effets de l’attraction sur la masse de l’oiseau. J’y ai analysé le volateur comme s’il était un être inactif. L’aéroplane animé, l’oiseau, joint à tous ces déséquilibrements verticaux des coups de forces, plus ou moins puissants suivant le besoin, qui vont de la pression indiscernable au tour entier sur lui-même n’ayant pour diamètre que son envergure. Manœuvre que produit souvent l’hirondelle de cheminée parcourant une rue et arrivant à fin de course contre une maison par exemple : là, pour se retourner, elle fait quelquefois le tour sur elle-même verticalement, c’est-à-dire qu’elle a un instant le ventre exactement en l’air.

Mais, ce qui se voit bien mieux et produit un tout autre effet, c’est cette évolution produite par un aquiliné de forte taille.

Les aigles, milans, faucons usent très souvent dans la lutte de cette position qui leur est favorable, car les serres sont alors en bonne position pour atteindre l’ennemi qui vole au-dessus d’eux. Dans les attaques manquées, l’oiseau de proie qui s’est mis le ventre en l’air trouve quelquefois qu’il est plus rapide pour lui de faire tour complet sur lui-même que de reprendre sa position normale de vol par action de chute, qui est lente comme le sont les effets de l’attraction.

On voit donc en résumé que toutes les fois que l’oiseau a besoin d’une célérité dépassant les effets de la gravitation entrant en action, il supplée à la lenteur de cette force par un apport de puissance personnelle ; qu’il aide, en somme, l’action de l’attraction, n’ayant pas le temps d’en attendre les effets, et cela non seulement dans les évolutions horizontales, mais même dans celles du sens vertical qui sont infiniment plus rapides.

Ces deux directions adaptées à une surface capable de porter font l’aviation exacte. C’est pour n’avoir pas analysé ces deux moyens de se diriger qu’on en est encore à chercher ce mode de locomotion.

Pour nous en convaincre, passons une revue succinte de ce qui a été fait en fait d’appareils destinés à parcourir les airs et donnons-nous pour objectif ce point spécial : la direction.

Nous ne trouverons pas grand’chose, mais cependant comme c’est seulement par cette voie qu’arrivera le succès, le moindre fait prend un intérêt sérieux. Nous y verrons parfaitement que c’est dans ce manque de direction que gît l’imperfection de presque tous ces appareils.

Il est dit à leur article que les ballons pourront probablement arriver à une vitesse de dix mètres à la seconde. Ce n’est pas suffisant, puis ils seront toujours très encombrants et excessivement coûteux : passons donc.

Les appareils rameurs demandent encore quelques insuccès pour être jugés définitivement. Ils le seront bientôt.

Restent les hélicoptères, les hélices, enfin l’ordre d’idées émis par La Landelle [3] et qui a produit entre autre le roman de Robur de Jules Verne [4] dans lequel la puissance est tellement indéfinie que les hélices sont invisibles tant elles tournent vite. C’est absolument du domaine de la fantaisie, nous ne pouvons le suivre. Qu’il y a loin de ces complications à la simplicité stupéfiante du mode trouvé par la Nature dans le vol à voile : une surface suffisante et deux directions ; c’est tout ! Il ne s’agit que de savoir et d’oser s’en servir.

Cette imitation de l’être qui sait voler sans dépense de force semble avoir été ridée dominante des appareils qui ont fonctionné ; car il n’y a pas à se le dissimuler, l’humanité a réussi ce problème bien des fois.

Icare s’est tué, donc il a réussi la navigation aérienne. Je néglige l’accident qui n’a rien à voir avec le résultat.

Simoni magicien, sous Néron, réussit si bien à s’élever dans les airs que saint Pierre, qui croyait voir en cet exercice l’œuvre du Démon, se mit en prière pendant que cet aviateur planait ; et Simon tomba sur le Forum et se tua. Donc il a réussi.

Olivier de Malmesbury, bénédictin anglais, partant du haut d’une tour, parcourut 120 pas au moyen d’un aéroplane et se cassa la jambe : autre commencement de succès.

Paul Guidotti, architecte de Lucques, en 1569, exécuta avec des ailes plusieurs expériences qui réussirent. Dans celle où il se brisa une cuisse, il parcourut un quart de mille : soit environ 400 mètres. Succès très intéressant. Que ne donnerait-on pour avoir cet appareil !

Il est parlé, dans tous les ouvrages, de l’aviateur Dante et de ses évolutions sur le lac Trasimène. A quel système ranger l’appareil qui lui a procuré un tel succès ? Car ou le récit est faux, ou il y a eu succès absolument complet. L’accident qui lui survint ne signifie rien au point de vue de la réussite ; il n’infirme rien des procédés employés par Dante. C’est comme si on voulait nier l’existence des modes actuels de locomotion parce qu’il arrive des accidents.

Qu’a-t-il employé ?

A l’époque où fut réussi ce problème que nous recherchons encore aujourd’hui, la mécanique était dans l’enfance : on peut dire que tout était ignoré. Dante fut donc obligé de se servir d’un appareil tout à fait élémentaire, car où trouver le moteur d’un rameur à cette époque où la vapeur et l’électricité n’étaient pas nées ? Puis, la tradition nous relatant le fait parle d’un grand fer qui s’est rompu, d’ailes, enfin elle donne l’impression d’un aéroplane. Dante avait donc trouvé le vol à la voile ; et il n’est pas possible de lui supposer une trouvaille {autre qui aurait été inexécutable à cette époque où rien en mécanique n’était faisable.

C’est donc très probablement le vol à la voile qu’il a utilisé. Nous sommes portés à le croire par une foule de considérations. Il avait fait ses premiers essais sur l’eau : excellente idée ! et s’il les avait continués sur le lac son malheureux accident n’aurait pas eu lieu. Les perfectionnements de l’appareil seraient survenus et l’aviation était une science acquise à l’humanité. Au lieu de cela il se laisse tenter par le désir de plaire au souverain, exécute ses expériences sur la terre ferme : un accident survient. Sur le lac ce petit malheur était un simple bain, sur terre ce fut une jambe brisée et l’aviation arrêtée dans son étude.

Ces trois jambes brisées : Malmesbury, Guidotti et Dante ; accidents absolument semblables, nous portent à penser que les appareils étaient à peu près les mêmes. On peut supposer que la position de l’homme était la verticale, puisqu’ils sont tombés sur les jambes qu’ils se sont rompues. Cette position debout implique un appareil simple, quelque chose de ressemblant à celui dont je me suis servi sous la rubrique 3ᵉ essai [5].

Et cette autre réussite récente Francisco Urujo aurait fait en 1863, d’après le Courrier d’Andalousie, de Malaga, une lieue en moins d’un quart d’heure, parcours mesuré en ligne droite, mais qui par le fait a dû être bien plus long.

Ce paysan espagnol, assurément mal outillé, peu lettré, c’est probable, et qui fournit cependant un résultat complet !

D’abord le-fait est-il vrai ?

Il est presque certain qu’il n’est pas faux, car la tradition et même des écrits ne sont généralement pas si inventifs que cela. Dire que ce qu’on raconte est absolument exact et peut-être un peu exagéré, mais la légende doit reposer sur un fait positif ; il n’y a pas de fumée sans feu. Urujo avait probablement vu les planeurs exécuter leurs évolutions qui ne demandent aucune dépense de force. Il avait eu la possibilité d’étudier dans son pays le gyps occidentalis des sierras, qui vole parfaitement ; il s’était dit que ce problème n’est qu’un tour d’adresse et avec de la patience et beaucoup de bon sens il était parvenu à l’imiter.

Servons-nous maintenant pour nous diriger dans cette revue de ce qui a été fait du tableau d’aviation de M. E. Dieuaide[6].

Le premier, 1.500, de Léonard de Vinci, est tout à fait, d’après le peu qu’on en voit, mon essai n °1 [7]. Il est, au reste, difficile de s’en faire une idée précise. Ce qui en est représenté indique qu’on a affaire comme pensée dominante à un rameur, mais on ne peut aller plus loin, car rien n’est indiqué comme direction et comme surface.

1678. — C’est l’intéressant appareil de Besnier. Ce système a fait rêver nombre d’intelligences, surtout étant donné le résultat.

Mais malgré l’ascension obtenue, à ce que l’on dit, nous ne voyons pas comment il peut se diriger. Puis, cette station n’est possible que pendant un temps excessivement court. Il est impossible de penser à aller loin. C’est donc un appareil jouet et rien autre.

1709. — N’est pas sérieux : passons.

1742. — De Baqueville n’a pu se casser la cuisse avec un appareil semblable à celui qui est dessiné dans ce tableau. Cet engin ne porte pas.

Rétif de la Bretonne est une rêverie. 1784. — Gérard. Il est difficile de discerner quelque chose dans ce dessin. Quel est le propulseur ? Où est la direction ?

1784. — Launoy et Bienvenu. Hélicoptère.

1806. — Jacob Degen. Toujours l’idée d’enlèvement, de sustention, mais rien n’apparaît comme direction. L’idée de l’ascension prime sur celle du glissement. Le rameur a plus impressionné Fauteur de ce système que le voilier.

1842. — Henson. Il ne manque que la faculté de pouvoir déplacer le centre de gravité. La queue y est. Les deux hélices qui doivent procurer la vitesse sont en place. Avec cet engin, et donnant aux hélices la force désirable, on irait à peu près où le hasard mènerait.

1845. — Cossus. Hélices, pas de direction visible.

1851. — Aubaud. Appareil qu’il serait intéressant de mieux connaître. C’est l’idée fournie par la vue des grandes flèches ou traîneaux aériens. Il y a là tout un ordre d’idées nouvelles en aviation à poursuivre. Pour faire le premier pas dans cette étude, on n’a qu’à étudier la marche d’une flèche de grande taille, type lent, c’est-à-dire à grande surface à l’arrière. Dès que cet engin atteint deux mètres de surface, il captive par la lenteur de sa marche ; c’est tout à fait le mouvement des grands planeurs.

1852. — LETUR. Embryon du vol à la voile et des aéroplanes superposés. Letur aurait dû être pourvu d’un béret parachute et n’étudier que sur l’eau. Il n’aurait pas produit le vol plané, mais il l’aurait ébauché.

1852- MICHEL LOUP. Impossible de comprendre cet appareil d’après le dessin.

1854.− BRÉANT. Rêverie.

1856. — CARLINGFORT. Ombre de l’autour volant à toute vitesse ; mais c’est tout ce qu’on peut y distinguer. Hélice admise suffisante et parfaite, mais qui dirigera l’appareil ? Fortement lancé, la queue aura assez d’action pour le diriger verticalement, mais quant à la direction horizontale, on n’en voit pas la trace.

1857. — LE BRIS. Premier appareil. Essayé, d’après de la Landelle, sur la route de Douarnenez, au moyen d’une charrette lancée au grand galop. Les ailes devaient être fixées pendant cette expérience. Il eut un demi-succès.

1857. — DU TEMPLE. Cet appareil se distingue des autres par un bâti extraordinairement simple. On doit cependant lui reprocher le défaut de sa qualité, qui est le manque de tenue dans deux sens. Au reste, nulle direction, autre que celle que peut donner la queue, n’est indiquée.

1859. — BRIGHT. Hélices.

1860. — SMYTHIÈS. Combinaison indéchiffrable.

1863. — DE PONTON D’AMÉCOURT. Charmant petit appareil qu’on peut voir au musée de la Société de la Navigation Aérienne. Malgré la perfection de cette petite machine à vapeur, le résultat a été négatif : l’appareil n’ a pas pu s’enlever. Mais l’aurait-il pu, où serait-il allé ? On est toujours à côté de la question.

1863 — G. DE LA LANDELLE. Même idée que la précédente, mais agrandie. Le roman de Robur' est échafaudé sur cette rêverie.

1863 — DE LOUVRIÉ. Surface mise en mouvement par un moteur quelconque. Pas d’organisme de direction.

1864. — D’ESTEKNO. Aéroplane ayant la tournure de l’épervier. C’est assurément, au point de vue du vol à la voile, l’appareil le plus parfait qui soit dans ce tableau. Cependant, d’après ce dessin, nous devons dire que rien ne décèle les organes de la direction horizontale. Comme la queue est insuffisante, puisqu’elle n’agit que par les grandes vitesses et n’a presque d’action que dans la direction verticale, il manque donc une direction. Cet appareil n’est donc pas dirigeable.

1864. — DE GROOF. Si son système était tel que la gravure nous le représente, il n’est pas étonnant qu’il se soit tué.

1864. — STRUVE ET TELESCHEFF. Rêverie.

1864. — CLAUDEL. Appareil qu’il faudrait pouvoir étudier en détail. Que sont ces ailes tournantes ?

1866. — BOURCART. Système Besnier perfectionné, mêmes effets produits.

1867. — LE BRIS. Essai de Brest. Faute de vent et surtout de facilité dans l’expérimentation, cet appareil s’est mal enlevé. C’était l’essai du désespoir, fait à vide, par conséquent le résultat en était certain. D’après la photographie qui est à la Société d’aviation, la surface est suffisante, mais avec ces ailes fixes d’une seule pièce, la direction verticale est insuffisante : elle ne réside que dans l’action de la queue. La direction horizontale ne paraît nulle part ; par conséquent cet appareil est comme les autres, indirigeable.

1867. — KAUFMANN. Mélange de planeur et de rameur. Il y a assurément quelque chose dans cette idée, qui n’est pas neuve entre autres ; mais, qu’il faut faire grand pour pouvoir sustenter une machine à vapeur à action presque constante, plus sa provision de charbon ! Toujours sans direction.

1867. — SMYTH. Même sujet, mû par un moteur à gaz. Où met-on la provision de gaz ?

1867. — BUTLER et EDWARDS. Flèche ordinaire, type rapide actionné par un moteur quelconque. Direction verticale presque suffisante, direction horizontale invisible. Cette idée sera reprise plus tard : elle a de l’avenir. La direction horizontale peut être fournie par un simple gouvernail de bateau.

1868. − STRIXGFELOW. — Aéroplanes superposés. Appareil à étudier. L’intérêt de ces aéroplanes n’a été qu’entrevu. La nature l’indique comme capable de diminuer l’étendue, et c’est d’un intérêt de premier ordre en construction. Comme appareil d’aviation, tel qu’il est représenté, il est, comme ses prédécesseurs, ingouvernable.

1871. — PRÉGENT. Rameur à quatre ailes. Il y a bien des inconnus dans un tel appareil. Deux ailes sont bien difficiles à diriger ; que sera-ce quand on en aura quatre à soigner ? Puis, il y a la vapeur ! Jusqu’à ce que les appareils légers soient entrés dans le domaine de la pratique, il convient de s’abstenir. L’idée qui a pesé sur cette conception est le désir de voler par le calme. En adaptant à ce système des organes de direction suffisants, il est probable qu’il fonctionnerait dans l’air tranquille, mais à coup sûr, par un vent actif, il ne supporterait pas mieux le courant que ne le supporte son modèle, la libellule, malgré ce qu’on dit de cet insecte.

1871. — DAUJARD. Il a manqué à cet inventeur la vue des grands modèles. Il est difficile de tout créer. Les propulseurs sont insuffisants, et l’aéroplane est en longueur au lieu d’être en largeur. Le type qui a inspiré cette construction semble être l’insecte coléoptère. Appareil qui, pourvu d’une direction horizontale, fonctionnerait lentement dans l’air calme.

1871. — POMÈS et DE LA PAUZE. Hélicoptère actionné par un moteur à poudre. En supposant ce moteur trouvé pratiquement, on n’aurait pas pour cela la navigation aérienne. Cet appareil pourrait monter en l’air, mais ne saurait ni y stationner, ni s’y diriger.

1871. — THOMAS MOY. Appareil possible en chambre, mais impraticable en pratique. Supposons-le là-haut, par mille mètres, aux prises avec une de ces brises d’hiver qui n’ont pas moins de 25 mètres de vitesse à la seconde, et supposons que la route à suivre soit contre le vent : rien que d’y penser fait peur ! Pour résister à des courants pareils, il faut une autre rigidité que cela : pas tant de ficelles qui barrent l’air, tout comme une surface, pas de bâtis pareils, de grappins ; et surtout pas d’hélices de cette taille, qui jamais n’arriveront à tourner assez vite pour produire un travail utile dans un courant de 25 mètres. Regardez l’être créé pour se mouvoir dans de pareils courants : quelle simplicité de forme ! quelle correction de coupe !

1871. — PENAUD. Flèche animée, poussée par l’action d’un ressort en caoutchouc tordu sur une hélice. C’est plutôt un jouet qu’un appareil d’aviation.

1871. — JOBERT. Oiseau mécanique.

1872. — HUREAU DE VILLENEUVE. Même sujet.

1872. — PENAUD. Même sujet.

1872. — JOBERT. Même sujet à quatre ailes.

Ces quatre petits chefs-d’œuvre sont inspirés par les modèles que leurs auteurs ont pu étudier : les rameurs. S’ils avaient eu sous les yeux des voiliers, nul doute qu’ils auraient reproduit ce vol bien plus facile à imiter.

1874. — ARCHEMBACH. Machine difficile à comprendre : passons.

1876. — PENAUD et GAUCHOT. Il est peu commode de se former une idée sérieuse d’un appareil d’après une seule vue. Le point intéressant de cet aéroplane doit être dessous ; comment le comprendre ? Pénaud était trop fort pour faire une œuvre absolument incomplète. Ici, on ne voit presque rien : deux petits gouvernails horizontaux et un vertical ; tous trois insuffisants comme action. Les deux hélices telles qu’elles sont dessinées pourraient être supprimées. Comment part cet appareil ?

Il y aurait un petit livre bien intéressant à faire, c’est le compte rendu détaillé de tout ce qui a été produit par l’aviation, avec dessins sérieux à l’appui, coupe, plan, détails, enfin tout ce qu’il faut pour bien faire comprendre un sujet mécanique. Les archives de la Société de Navigation Aérienne doivent contenir des documents assez nombreux pour permettre de produire cet ouvrage, qui aurait entre autre utilité celle d’éviter d’inventer des appareils déjà construits.

1877. — E. DIEUAIDE. Toujours la perpétuelle obsession de l’ascension. Un bon ballon vaudra toujours mieux pour s’élever dans les airs que le meilleur hélicoptère ; et surtout pour en redescendre.

1877. — MÉLlKOFF. Même sujet. Hélice intéressante.

1877. — DE LOUVRIÉ. Rameur dont les ailes sont actionnées par un moteur. Direction verticale insuffisante et absence de direction horizontale.

1878. — CASTEL, et

1878. — FORLANINI. Deux hélicoptères qui ont fonctionné. Qu’il y a loin de l’hélicoptère à l’aviation telle qu’on la désire.

1878. — POMÈS. Pour que cet appareil ait pu fonctionner il faut qu’il ne ressemble pas au dessin.

1879. — BRÉAREY. Aéroplane ayant la tournure d’une raie. Il n’est pas impossible d’obtenir un léger succès avec cet appareil par un temps calme, surtout si on parvient par des organes absents à le diriger horizontalement.

1879. — TATIN. Aéroplane qui, malgré qu’il ait quitté le sol, n’est pas maniable. Cette expérience démontre qu’à 8 mètres de rapidité la résistance de l’air sur cette surface était suffisante pour soutenir son poids. Combien de données manquent pour pouvoir se faire une idée sérieuse de ce problème. L’expérience est-elle faite par le calme ? Quel est le poids de l’appareil ? Quelle en est la surface ? et quels sont les organes directeurs ?

1879. — DANDRIEUX. Retour à la machine Besnier.

1880. — EDISON. Est-ce que sérieusement le grand électricien aurait produit une œuvre aussi enfantine ? Je ne puis le croire.

En résumé nous voyons que de tous les appareils contenus dans ce tableau, aucun n’est dirigeable. Ils portent presque tous, mais la direction en est absolument impossible. Donc aucun n’a fonctionné et ne pouvait fonctionner. C’est, pour la plupart, l’imitation imparfaite de l’être qui vole. L’étendue de surface portante a frappé tous les chercheurs, mais là s’est arrêtée l’étude.

Ce que je prêche, c’est l’appareil complet muni de ses directions. C’est le voilier reproduit de la manière la plus simple possible. Les deux directions sont copiées sur l’oiseau : elles sont exactement les mêmes, par conséquent il n’y a pas d’erreur.

Le voilier vole, son imitation précise doit pouvoir voler.

L’aéroplane indiqué page 250 de l’Empire de l’Air, peut fonctionner. Si on lui joint deux organes pouvant jouer le rôle de l’annulaire de l’aile d’un oiseau, et qui ne sont pas indiqués dans la gravure faute d’espace, on aura les directions pareilles à celles qu’emploient les grands voiliers dans leur vol de parcours.

Le vol de longueur, celui que nous désirons produire est donc possible.

Je reconnais cependant que cet appareil est bien loin d’être complet. Pour arriver à la perfection du vol de lutte, il lui manque. une foule de choses :

1° La torsion possible de l’aile sur la tête de l’humérus. Mouvement impossible dans cet appareil, mais qui est presque compensé par la forte déformation qu’on peut produire dans la région de l’aile que j’ai nommée place de l’annulaire. Cette torsion destinée à produire un plan qui accroche l’air à l’extrémité de l’aile et qui produit ainsi un retard et un changement de direction horizontale, s’obtient très facilement et de beaucoup de manières différentes ; toutes bonnes du reste : l’essentiel est d’arriver à barrer l’air.

Ainsi on produit cet effet au moyen d’une simple corde cheminant dans des anneaux fixés sous l’aile, afin d’éviter le traînement, arrivant à la place où se tiendrait le pouce dans cette main emplumée, ét s’attachant à l’extrémité de l’annulaire. Il est clair qu’une traction exercée sur cette corde se transmettra à ce point d’attache et aura pour effet de le rapprocher de l’autre point d’attache et par conséquent de creuser l’aile ; seulement, comme le côté d’avant est ferme et même très rigide et que le côté arrière est élastique, c’est l’arrière qui se déformera, c’est l’annulaire qui présentera alors son plan à l’air ; plan qui, par conséquent, ne glissera pas comme le reste de l’aéroplane et surtout comme la partie pareille de l’autre aile qu’on n’aura pas déformée. Il n’y aura donc plus égalité de faculté de glissement ; l’aile intacte glissera mieux dans l’air que l’aile déformée.

Dans l’aéroplane de Massia-Biot, j’avais employé un autre moyen pour arriver au même résultat : la’ déformation de l’aile qui doit rester en retard. Ce gauchissement-était ainsi produit.

Les premières rémiges de chaque aile, formées par deux bambous légèrement courbes avaient en acte de vol ordinaire leurs convexités placées du côté de l’aile. Ces bambous étaient chacun emprisonnés dans deux douilles qui les serraient assez pour les maintenir en position, mais leur permettaient, sous l’action d’un effort de la main, de tourner sur eux-mêmes. Comme leurs deux bouts dépassaient d’un mètre environ chaque douille, ils servaient en même temps d’organes de direction pour l’avance ou le recul des extrémités des ailes. Ces deux barres venaient presque toucher la poitrine de l’aviateur, qui s’en servait pour porter les pointes des ailes en avant ou en arrière suivant les besoins de l’équilibre vertical. En même temps, on pouvait, en les tordant, les faire tourner sur eux-mêmes dans leurs douilles, par conséquent, porter leurs extrémités en l’air. La courbure de ces bambous faisait que la toile fixée sur eux formait alors un plan relevé, allant du premier au second bambou ; place qui devenait différente de celui du reste de l’aile.

Il est clair que l’aile qui présentait ce plan de relèvement ne fendait plus aussi facilement l’air que celle qui était restée intacte ; cette aile déformée restait donc en retard sur l’autre : c’était l’effet cherché.

À l’article « Gouvernail vertical », je parle d’une autre variante de direction horizontale. Il y a cent moyens différents à employer, qui, tous produisent cet effet, hors duquel on va à peu de chose près, horizontalement, où le vent veut bien vous pousser.

2o  Il manque encore à cet aéroplane, pour être complet, la flexion du coude qui existe dans le bras de l’oiseau : flexion dont il se sert à chaque instant, mais qui n’est pas cependant indispensable, comme je vais le prouver. Il y a un fin volateur qui, on peut le dire, ne se sert pas de cette flexion : c’est le martinet. On peut considérer son aile comme faite d’un seul morceau, lié au corps par une charnière. Les hirondelles ont l’aile disposée de la même façon, mais moins accentuée, puis viennent, à ce point de vue spécial, les engoulevents et les podarges.

Ce type d’aile en deux morceaux, on pourrait même dire avec justesse en un seul morceau, est infiniment plus facile à reproduire que celui de l’aile en deux parties. Le premier ne demande qu’une charnière et le second en exige deux.

Rien n’est délicat à construire comme cet organe de flexion. Dans mon deuxième essai, je m’étais permis l’aile en trois temps. J’avoue avoir eu un insuccès complet ; il était visible, à mesure que l’aéroplane s’achevait, qu’il pécherait par le manque de solidité. Aussi, à l’essai, ne tint-il pas ; ces quatre charnières jouèrent à qui mieux mieux.

Généralement, dans toute conception, on procède du compliqué au simple. Pour mon compte, j’ai fait comme tout le monde. Mes premiers aéroplanes, premier, et deuxième essai, avaient l’aile en trois temps. Celui qui est dessiné à la page 250, n’en avait déjà plus que deux. Celui que je décrirai plus loin, a l’aile d’un seul morceau et possède cependant les deux directions il peut donc tout aussi bien fonctionner que les autres, malgré sa simplicité.

3° Enfin, il manque à l’aéroplane tel que je l’indique un monde de perfections, et surtout de savoir s’en servir, d’avoir la science du vol, l’accoutumance du vide : cet affreux vide qui paralyse toutes les facultées. Mais cependant, tel qu’il est, il peut produire de bons résultats, et cela, malgré sa gaucherie forcée, car nous ne lui ferons pas faire de tours de force ; malgré ses imperfections de glissement, sa puissante masse corrigera ce défaut et fera qu’il coulera dans l’air bien plus facilement que ne le fait le petit oiseau.

Il gagnera comme régularité d’évolution. Nul volateur n’approchera de l’ampleur d’allure de cet énorme aéroplane chargé de 80 kilog. Les manœuvres y seront lentes. Il sera lent à tourner, lent à monter, et lent à descendre ; mais quand un mouvement sera bien décidé, il faudra un temps très long pour le changer de direction. Il sera en somme la charge très amplifiée des grands planeurs.

Construisez donc, et surtout faites les essais dans de bonnes conditions. Puis persuadez-vous bien que c’est un exercice qu’on ne réussit pas du premier coup, aurait-on pour l’exécuter des ailes aussi perfectionnées que celles de l’oiseau.

L’être ailé parfaitement en plumes, au complet, mais qui est resté longtemps en cage, nous enseigne qu’il faut être entraîné pour bien voler.

Ceci me remet en mémoire une expérience qui me fut racontée par M. Hureau de Villeneuve. Plusieurs aviateurs, désirant voir le vol du grand vautour, obtinrent de la direction du Jardin des Plantes qu’on donnerait la liberté a un Gyps fulvus. On lâcha donc l’oiseau, mais à leur grande surprise, ce voilier incomparable ne savait pas voler ; il fut impossible de rien tirer de lui.

Le volateur, pour posséder ses facultés, doit voler tous les jours. La confiance en ses ailes s’éteint avec l’absence d’exercice. Un vautour, un aigle, qui n’ont pas plané depuis longtemps, mis en liberté, seront, au départ, des rameurs ; ils ont oublié que l’aile fait des merveilles de glissement, et ce savoir ne leur revient que lentement. Je l’ai expérimenté plusieurs fois. Un jour, mon grand aigle réussit à s’enfuir. Quand j’arrivai le matin, je le vis sur un toit : il n’avait pas osé aller plus loin. Je n’eus rien de plus pressé que de lui montrer sa pitance. Il revint tranquillement en ramant et rentra la manger. Un busard Montaigu que j’avais lâché exprès, resta une quinzaine de jours en vue et ne voulait pas se décider à partir. Voilà donc deux oiseaux, possédant leurs ailes au complet, qui, par le fait de la stabilisation prolongée, ont perdu confiance en leurs organes de locomotion.

L’homme fera assurément encore bien plus mal que l’oiseau. Ce n’est que lentement qu’il s’accoutumera à cet exercice insolite. Ne vous découragez donc pas des premiers insuccès, persévérez et dites-vous que la science du vol ne vient que lentement, même aux oiseaux.

  1. Voici le passage auquel il est fait allusion : « Il y avait du bon dans cet aéroplane, mais il avait été fait trop précipitamment. − L’essai fut fait par un vent trop fort ; je ne voulais pas me montrer, je fus obligé de saisir un moment où j’étais seul... Je me suis mis donc dehors avec mon appareil, je courus contre le vent : la sustentation était très forte.
    « Je n’avais pas confiance, je l’ai dit, en la solidité de mon aéroplane. Un coup de vent violent survint : il m’enleva ; je pris peur, je cédai devant lui et me laissai renverser. J’eus une épaule luxée par la pression des deux ailes, qui avaient été ramenées l’une contre l’autre comme celles d’un papillon au repos. » (L’empire de l’Air, p.248).
  2. Voir l’Empire de l’Air, où il est dit à la page 229 :
    « Quand un oiseau décrit un rond, l’aile du côté du centre est toujours moins étendue que celle dont la pointe décrit la circonférence : de sorte que, en voyant un voilier ployer légèrement une aile, on sait qu’il va tourner de ce côté. »
  3. La Landelle (Guillaume-Joseph-Gabriel de), né à Montpellier en 1812, fut lieutenant de vaisseau, collabora à La Flotte et publia des poésies et des romans maritimes.
  4. La Publication de Robur le Conquérant (1886) est postérieure à celle de l’Empire de l’Air. Jules Verne avait inauguré la série de romans scientifiques avec « Cinq semaines en Ballon » voyage de découverte, publié dans le Magasin d’éducation et de récréation d’Hetzel, puis en volume en 1863.
  5. Voir l’Empire de l’Air, p. 247.
  6. M. Dieuaide, secrétaire de la Société Française de Navigation aérienne, dressa en 1880 son Tableau d’aviation, d’après des documents
  7. Voir l’Empire de l’Air, p. 242