Le vol sans battement/Cerf-volant voile

Édition Aérienne (p. 364-376).

CERF-VOLANT VOILE


Est-il absolument irrationnel d’aller plus loin encore, c’est-à-dire de penser à transformer le cerf-volant en un appareil d’aviation pur, c’est-à-dire de songer à se faire transporter sans toucher la terre.

La difficulté est de trouver le point d’attache, le point de retenue du cerf-volant en dehors de la terre ; le trouver c’est résoudre le problème.

Par les grands vents fixes, qui balayent une zone de pays de la surface aux confins de l’atmosphère, il n’y faut pas penser, la vitesse est environ la même partout, et les petites différences qu’il y a entre les grandes hauteurs et la surface ne sont pas capables de produire un point d’attache de traction utile.

Un petit appareil ingénieux traîné sur terre ou sur eau suffirait peut-être, une simple corde produirait peut-être un retard suffisant, mais en plein air, sans contact aucun avec la terre, par ce vent régulier, à moins de songer à des propulseurs en sens inverse, c’est-à-dire faisant retenue, à des battements contre l’air, choses qui sont peu pratiques, qui en tous cas sont un appareil complet qui n’entre pas dans cette étude, il est difficile de trouver à quoi se retenir. Une voile n’agira pas plus là qu’un ballon. Il faut donc dans ce cas y renoncer.

Mais si on a affaire à un vent moins entier que celui du problème précédent, si on se trouve avoir affaire à un de ces vents ordinaires qui augmentent en rapidité en raison de l’altitude, on voit tout de suite que la résistance sur l’air de la moindre voile au bas de la corde sera un point d’attache sur lequel on pourra compter.

Maintenant, si nous dépassons, si nous nous trouvons en face de vents croisés, c’est-à-dire de vents qui ont une direction contraire l’un avec l’autre, nous nous trouvons dans des conditions qui permettent de songer à attaquer la direction aérienne par ce côté. Effectivement on réduit le problème à celui d’un aéroplane mu par un propulseur. Là le propulseur est le cerf-volant. L’aéroplane est non seulement traîné mais porté.

Le cerf-volant dirigeable peut devenir très utile en se transformant en agent de traction. Dans ce cas, on a une voile dans l’espace, à une hauteur facilement considérable, qui a l’avantage sur les voiles ras-l’eau d’avoir une action bien plus constante et surtout pas de poids.

Effectivement, les vents faibles à la surface du sol sont ordinairement actifs à cent mètres de hauteur. Cette brise inutilisable près de terre, qui a un ou deux mètres de vitesse, est là-haut de dix mètres et, fait une pression sur la surface du cerf-volant capable non seulement de le soutenir, mais a encore un excédent de force dont on peut se servir pour traîner un véhicule. De sorte qu’il arrive très souvent pour les bateaux que ceux à voiles ordinairement seront réduits à l’immobilité quand ceux à voile cerf-volant seront encore en pleine action.

La traction ne se borne pas à être directe, car alors elle ne serait utilisable que vent arrière ; elle peut produire d’autres effets que celui-ci. Si le bateau, par sa longueur et la puissance d’action de sa quille, a un sillage bien franc, c’est-à-dire qu’il ait, sous l’action d’une force qui le pousse par le travers, la plus petite dérive possible, au moyen d’un gouvernail actif on pourra produire un angle de déviation sur la ligne de tirage qui, théoriquement, est de 90 degrés, moins les imperfections.

Admettons, ce qui ne sera pas loin de la réalité, que cet angle soit pratiquement de 45 degrés, fait que l’on produit très facilement toutes les fois qu’on fait traîner une embarcation allongée par une corde longue attachée presque au centre du bateau. Cet angle de déviation sera augmenté par la manœuvre qui va suivre : déplacement du point de traction. Si au lieu de laisser le cerf-volant où le vent le fixe, on fait agir la corde qui est du côté du sens où on se dirige, on change le plan du cerf-volant ; on peut ainsi l’amener à faire un angle avec le vent de 90 degrés moins les imperfections, qui est variable avec la tenue plus ou moins rigide de cette surface et avec le traînement du courant aérien sur la corde, mais que nous estimerons être égal au précédent, soit 45 degrés. Cette déviation nous en permet maintenant une pareille sur le bateau qui, par cette manœuvre, était tiré en tête.

Nous avons donc deux déviations de la direction du vent de chacune 45 degrés ; total 90 degrés. C’est donc une course au plus près, qui sera souvent dépassée parce que une yole longue à quille puissante produit très facilement un angle de plus de 45 degrés.

Combien de voiliers n’arrivent à produire cet angle qu’en ayant une dérive déplorable.

Mais là n’est pas l’intérêt de cette idée ; il est dans la hauteur à laquelle est placée la voile, hauteur qui lui fait trouver un courant actif quand le calme règne à la surface, puis dans l’énorme plan que peut se permettre un bateau léger sans se charger et même en s’allégeant.

Le cerf-volant à employer doit être démontable afin de tenir le moins de place possible quand il n’est pas en activité ; sa forme importe peu, supposons cependant la tournure suivante : (figure 9).

Un immense éventail allongé en hauteur, le plus grand possible — on peut sans grande difficulté arriver à 25 mq. de surface — formé d’une série de bambous se reliant tout au bas à une charnière qui forme l’angle inférieur de l’engin. Cet éventail est rendu rigide par un bambou attaché en travers aux deux angles extérieurs. Cet appareil peut donc se monter simplement en le développant, et fixant cette barre par des attaches. Ramené en un seul paquet et lié, il occupe peu de place. A la charnière on met une queue.

La corde maîtresse, qui est l’organe de traction, doit être un solide câble de soie d’un centimètre de diamètre capable de supporter un tirage énorme. On lui joint adroitement, tous les mètres, afin de bien faire corps avec elle, les quatre cordes de direction ;

On comprend que cet appareil attaché à une longue yole de course, par le point juste où le tirage procure le soulagement de l’avant, doit procurer des vitesses souvent effrayantes. Quand le vent est bien actif la yole doit porter seulement sur l’arrière.

En allant plus loin, il serait peut-être praticable de diviser le poids à faire traîner et à faire porter en deux ; l’homme serait suspendu d’une manière commode à une certaine hauteur au dessus de la mer, une dizaine de mètres au-dessus (fig. 9). La retenue du cerf-volant serait faite par un bateau fuseau qui serait remorqué. Au moyen d’élastiques métalliques, de ressorts ou points de suspension, et près du bateau, on arriverait à éteindre toutes les secousses données par chaque vague qui rendraient le séjour du bateau bien pénible, surtout dès que l’on n’irait pas exactement vent en arrière. Le bateau, en cas de calme, servirait de refuge ; on y réintégrerait le cerf-volant. Pour y redescendre il suffirait de s’y laisser glisser (moyen adroit) — Dans les saisons de vent et dans les parages où le vent est régulier, il serait possible de faire de très grandes traversées ainsi et à très peu de frais.

Rien n’est simple, quand on veut s’arrêter, comme de faire descendre, au moyen des quatre cordes, ce cerf-volant sur le point que l’on juge propice à l’atterrissage. Ceci est le moyen d’arrêt élémentaire, ainsi que celui de couper la corde dans un cas de danger ; pour bien faire, il faudrait avoir un grand et solide dévidoir, sur lequel on rentrerait la corde et le cerf-volant au bout.

Le lancement de cet immense éventail n’offrira de difficultés que quand le vent sera faible. Dans ce même cas, les voiles n’auront pas d’action.

Dans les bâtiments voiliers, on pourra se servir des mats, qui faciliteront beaucoup son départ. C’est affaire aux manœuvriers.

On peut donc se servir de ce jouet comme d’un moteur d’une plus longue action que la voile et pouvant s’employer simultanément avec elle.

J’espère que les canotiers s’empareront de cette idée, car je me souviens des heures fastidieuses passées à tirer le cordeau sur la berge, au gros soleil et au petit pas. Il était bien plus simple de se faire remorquer par cette haute voile qui aurait su trouver du vent par-dessus les collines de la Saône ou de la Seine.

Il est certain que, à part son utilité pour les bateaux à voile, il y a dans cet engin les éléments de plusieurs sports intéressants. La promenade en canot à la voile est entravée à chaque instant, sur nos rivières, par l’absence du vent. Cet engin régularise la possibilité de ces courses. Sur les grandes nappes d’eau, il procurera une célérité qui permettra de grands voyages. Adapté aux traineaux, sur les lacs gelés, il sera bien supérieur aux voiles employées jusqu’ici. C’est en somme un agent de traction qui, dans certaines contrées plates, donnera de bons résultats.

Quelles courses étranges il est permis de rêver avec ce moteur ! Les originaux, les intrépides vont pouvoir s’en donner à cœur joie. Pour rendre. possibles ces courses folles de vitesse que peuvent donner les vents impétueux agissant sur d’énormes surfaces, on pourrait songer à la disposition suivante : employer un bateau fuseau, ponté, pouvant filer comme une flèche ; prendre pour moteur un cerf-volant de cinquante mètres de surface, qui produira par un vent de vingt mètres à la seconde une traction de cinq cents kilogrammes et une rapidité de 25 nœuds à l’heure.

Voile immense, 50 mq. de surface, traînant en mer avec une vitesse de 25 nœuds à l’heure un long fuseau ponté. Chariot léger parcourant les steppes avec une vélocité folle. Un accident de terrain, le lit d’un torrent, une broussaille, ne seraient pas un obstacle sérieux pour cet appareil qui, au moyen d’une disposition adroite, parviendrait facilement à les franchir.

Traîneau rapide distançant ses lourds confrères sur les lacs glacés et parcourant ces surfaces quand les traîneaux à voile restent en détresse faute de vent, etc., etc. On va loin en cultivant cette idée que je livre aux réflexions du lecteur. On pourrait bien aller plus loin, mais alors nous tombons en pleine rêverie. Cependant, comme cela ne nuit à personne… Cependant je crois devoir attirer l’attention sur le cas suivant :

Faire agir le cerf-volant sur un aéroplane. — On peut le faire d’une foule de façons ; il y a là toute une mine d’idées à exploiter ; je présente donc la suivante :

Si à un chariot léger, muni de trois grandes roues du genre de celles des vélocipèdes, de trois ou quatre mètres de diamètre et plus si c’est possible, on adapte deux ailes possédant les deux directions, et une vaste queue, qu’on fasse traîner ce chariot par un cerf-volant dirigeable, on obtient un engin dont on peut espérer pouvoir demander les manœuvres suivantes :

Rapidité, direction dans la moitié de la surface du cercle, et même aller jusqu’à aborder le près du vent ; possibilité de franchir des obstacles, et peut-être, si on l’ose, attaquer franchement l’aviation.

Voici un croquis de ce chariot aéroplane (figure 11).

Soit A un bâti auquel est fixé un essieu qui a deux grandes roues et dont les écrous sont les supports des ailes.

En B roues directrices se menant par deux cordes.

La queue qui est fermée sur ce dessin, car l’appareil est représenté dans sa tournure de course contre le vent, communique aux ailes par les organes C C’. En élargissant la queue, les ailes sont portées à l’avant, il y a donc transport du centre de gravité à l’arrière et augmentation de surface de toute la queue.

Comme cet appareil ne doit pas positivement voler, il peut être chargé de 10 kilogrammes par mètre carré ; soit 35 mètres de surface. On aura donc 12 mètres de longueur des ailes, soit 6 mètres l’une sur 2 mètres de largeur, qui font 24 mètres carrés de surface, plus 11 pour la queue, total 35. Le type est donc 6 : 1.

Cet aéroplane peut planer, car en tenant compte de la progression inconnue de faculté de soutènement des grandes surfaces et des fortes masses, il doit se trouver correspondre à peu près à la proportion du grand vautour. C’est l’imitation du procédé employé chez la grue, l’argala, la grande outarde, enfin par tous les oiseaux de grands poids qui ont peu de surface, mais qui ont de grandes jambes pour procurer la vitesse qui permet à l’air de porter ; dans ce cas le cerf-volant remplace les pattes.

Il reste a réfléchir sur l’action de ce cerf-volant.

Quand le chariot va vent en arrière, si nous admettons un vent d’égale vitesse à cent mètres en l’air, hauteur ou sera le cerf-volant, et celui de la surface du sol, nous n’avons qu’une simple voiture traînée. Mais ce fait est rare. Dès qu’une différence de vitesse s’établira entre la zône haute et la zône de surface, les ailes porteront sur l’air en raison de cette différence.

La rapidité que doit pouvoir atteindre ce vélocipède vent arrière est celle de l’air moins le traînement. Par les grands vents, elle aura celle des chemins de fer. Sur la glace, surface unie, il y aura peu de difficulté à le conduire, mais l’aéroplane n’aura pour ainsi dire pas à entrer en action, si ce n’est peut-être pour franchir une fente ou un glaçon ; au reste, sur une surface aussi unie que celle d’un lac gelé, l’appareil de vol doit avoir peu de puissance de soutènement ; car la différence de vitesse des deux zônes doit être faible, mais en place, dans les pays ondulés, steppe, désert, où le courant de surface est souvent brisé, il en aura davantage. Or, à chaque instant, on aura à franchir un buisson, un ruisseau, une dépression, et c’est l’aéroplane qui permettra de faire ce saut. Les pointes plus ou moins portées en avant, et l’obstacle sera franchi.

Il faudra, si on se propose d’attaquer l’aviation par ce moyen, pouvoir abandonner le cerf-volant avec une grande célérité. Je laisse à chercher ce moyen, ainsi qu’une foule de détails, entre autres celui du mouvement de la queue et, par conséquent, des ailes ; ce sont seulement les grandes lignes que je trace ici. Assurément, que si on propose de se retourner contre le vent, il ne faudra plus être attaché. Le cerf-volant sera perdu ou retrouvé, peu importe à ce problème. Qui ne l’abandonnerait bien des fois pour se trouver vent debout ? Vent qu’on ne supportera que les pointes à fond en arrière, même avec cette charge de dix kilogrammes par mètre carré. Mais pour y arriver, à ce retournement, il faut absolument quitter le sol, avoir l’espace dessous l’appareil. Au fait, il faut bien s’y décider à quitter la terre solide, puisque c’est ce que nous cherchons.

On pourra le faire sans grand risque en étudiant auparavant la marche de cet appareil dans l’air. Il sera facile de le lancer dans le vide, en le faisant courir sur une, pente qui se termine par un à pic. Il pourra aller choir dans l’eau, où aucun choc ne le détériorera, et où il sera facile de le faire flotter. Dans cette expérience, l’avancement des pointes devra se faire automatiquement, par un moyen quelconque.

Il va de soi que les ailes doivent être en V ; 100 degrés ne sont pas trop, pour avoir un équilibre absolument stable, et obtenir que les bouts des rémiges soient assez élevés au-dessus du sol, pour qu’elles ne rencontrent rien.

Le filet et les cordes doivent être en dessus, et la toile en dessous, afin de ne rien accrocher.

L’aéroplane doit être complet, c’est-à-dire avoir les deux directions. Les plans mobiles des annulaires doivent être exagérés, car ils aideront souvent à la direction du chariot sur le sol.

La direction de ce tricycle se fait en agissant sur la roue de devant, qui peut produire un angle total de direction de 75 degrés, auquel on doit joindre celui produit par le cerf-volant dirigeable ; on peut donc se permettre une course d’une ligne excessivement variée.

Nous n’avons envisagé jusqu’ici que ce qui se passe par vent exactement arrière, nous n’avons vu que cette allure, mais, dès que ce tricycle et son aéroplane suivront une autre direction que celle de l’air, les effets de l’aéroplane changeront d’autant plus que la direction s’écartera davantage de la ligne du vent. Il se passera alors des phénomènes qu’il vaut mieux étudier pratiquement qu’analyser d’intuition, vu leur complication. Ils iront probablement en augmentant comme soulagement de l’appareil, depuis la ligne normale du courant aérien jusqu’à l’angle droit, qu’on atteindra assurément sans difficulté.

Un point qui sera bien curieux à étudier sera celui de l’action des ailes sur le vent, si on arrive par la perfection du chariot, du cerf-volant, et surtout de la manœuvre, à aller légèrement au plus près. Dans cette circonstance, par le vent très actif, l’enlèvement de l’appareil devient un fait possible.

Voici approximativement ce que peut peser cet engin :

Admettons pour les trois roues 20+20+15 = 55 k.
Bâti et essieu 100 k.
Aéroplane 45 k.
Charge deux hommes 150 k.

Total  350 k.

qui peuvent être réduits à 250 kilos, s’il n’y a qu’un aviateur..

Ces 350 kilos sont, à mon sens, ce qu’on peut espérer faire de plus lourd, entravé que l’on est par la résistance des matériaux.

Un tricycle aéroplane pour homme léger, pour enfant, peut encore fortement diminuer comme poids et dimensions, mais il n’y aura rien de trop dans l’énergie de l’adulte, pour parer à tous les accidents de terrain qu’on rencontrera, et dont la manœuvre devra être d’une décision rapide que l’enfant ne serait peut-être pas susceptible d’avoir.

Il faut des roues capables de supporter ce poids, et même plus, car dans le saut, l’atterrissage sera toujours un choc, plus ou moins fort, suivant l’adresse que l’on déploiera ; mais il y aura toujours un coup reçu par les roues. Il faudrait donc songer à faire des roues élastiques, ce qui est faisable. Ceci est l’affaire des constructeurs de vélocipèdes.

Si nous admettons que la hauteur du cerf-volant puisse atteindre 250 mètres, ce qui est assez difficile à cause de l’action du vent sur une corde aussi longue, mais qui est d’autant plus possible que la surface du cerf-volant devient plus grande ; si, spéculant sur cette grande hauteur, nous admettons un fait assez fréquent dans les pays tempérés, c’est-à-dire deux vents de directions différentes, nous abordons dans ce cas à une autre mine de spéculations nouvelles que je me borne à indiquer.

...ainsi que les accouplements divers du ballon et du cerf-volant. Dans ce cas, la mission de l’aéroplane change, il devient un frein du cerf-volant, tout en s’élevant.

Mais laissons ces idées qui sembleraient probablement des rêveries à la génération actuelle, qui n’est pas encore assez initiée aux phénomènes pour les admettre, sans expérience concluante à l’appui.