Le vol sans battement/Courants ascendants

Édition Aérienne (p. 261-265).

COURANTS ASCENDANTS


Il a été souvent parlé de ce genre de courant d’air. On a mis sur son compte beaucoup d’explications qui, sans lui, seraient restées en détresse. Il est, au reste, d’un emploi commode dans le vol plané, car il simplifie tout. Avec le courant ascendant, il n’y a plus de difficulté d’ascension. Donnez-lui une certaine puissance et tout monte en l’air, même les pierres, même les toits des maisons.

Il n’a qu’un défaut, c’est d’être d’une rareté désespérante.

Effectivement, il ne peut se produire que dans quelques cas.

Un flanc de montagne contre lequel le vent frappe et s’échappe par le haut.

La trombe produite ordinairement par la rencontre de deux couches d’air se mouvant en sens contraire, mais aussi d’autres fois sans cause appréciable.

Enfin, les grands phénomènes aériens, comme le courant circulaire qui transporte l’air froid du pôle à l’équateur et vice versa : mouvement trop vaste pour pouvoir servir aux oiseaux.

De ce genre de courants, les plus petits sont seuls utilisables dans le vol plané. Je n’ai jamais vu un oiseau s’approcher de la trombe, même de ces petites colon- nes du désert qui n’ont quelquefois que cinquante centimètres de diamètre.

Ces tourbillons minuscules sont un phénomène aérien bien curieux. Ayant été forcé de beaucoup pratiquer le désert, je puis en parler savamment, en ayant vu bien des centaines.

Certains jours d’été, jours tout aussi immuablement bleus que les autres, on voit les trombes se former. Qui les produit ? Malgré mes bons yeux, je n’ai pu ni voir, ni saisir la cause qui les détermine. Le temps est à l’éternel beau fixe : pas un nuage dans le ciel, le vent est moyen, la température est celle de l’été, ni plus forte, ni plus basse que les autres jours ; en somme rien en climatologie ne permet d’assigner une cause sensée à la production de ces tourbillons ; et, cependant, il s’en élève en grand nombre. J’en ai vu souvent cinq ou six ensemble sur seulement le quart de l’horizon. Elles ont lieu généralement sur le sol du désert ; rarement sur le sol cultivé.

Voici comment elles apparaissent. On voit d’abord un petit filet de poussière s’élever du sol, son diamètre est souvent très minime, un décimètre seulement. Le mouvement giratoire est très vif. La poussière ne s’élève qu’à quelques mètres, puis, le cône d’aspiration s’élargissant, ce sable s’éparpille et n’est presque plus visible. En quelques instants la colonne grandit en hauteur et grossit, et, un quart d’heure après son apparition, la trombe est en pleine activité. Elle a alors de un à cinq mètres de diamètre et une hauteur qu’on peut estimer souvent à beaucoup plus de mille mètres, ce qui est peu de chose dans ce ciel bleu sans fin.

Les contours de ces tourbillons sont d’une netteté surprenante, ce n’est plus de la poussière qui monte, c’est une colonne de sable et de graviers, souvent gros comme des pois, qui s’élève dans l’atmosphère. La vitesse réelle, c’est celle d’un homme qui marche. La durée de l’ensemble du phénomène est d’environ une demi-heure.

Je me suis offert ce coup de vent.

Passant un jour près d’une de ces petites trombes, je me dirigeai sur elle. Ma monture ne voulut rien entendre, je fus obligé d’y aller à pied malgré les supplications de mon saïs qui croyait que j’allais être enlevé.

Son action fut très vive ; je fus à moitié déshabillé. Mon parasol que j’abandonnai au moment où il allait se retourner fit seul l’ascension. Je Le vis monter à plus de cinquante mètres, là il abandonna le courant et retomba à terre sans être détérioré. Je n’ai reçu aucun coup de foudre, ni ressenti la moindre action d’un courant électrique ; mais je dois dire que, malgré la bénignité de l’effet produit, si cet air en mouvement avait rencontré les grandes surfaces d’un aéroplane, il aurait assurément brisé l’appareil.

J’ai eu aussi l’occasion d’étudier les trombes marititmes.

Là, le phénomène est autre, il est explicable. On voit les nuages ; les vents contraires peuvent être invoqués.

C’est un splendide spectacle !

Un jour, le vapeur sur lequel j’étais, s’est trouvé, par le travers des Baléares, entre trois de ces immenses colonnes d’eau qui remontent la mer dans les nues comme d’énormes siphons. Le ciel était couleur d’encre, la mer d’un calme presque plat semblait phosphorescente ; le vent nul cependant, mais l’électricité était affolée. En haut, les sombres nuages se heurtaient dans toutes les directions ; Les éclairs se succédaient sans arrêt sous cette voûte noire sous laquelle nous allions nous engager ; et ces trois terribles voisins rôdaient autour de nous. L’une d’elles, celle que j’ai pu le mieux voir devait avoir au moins dix mètres de diamètre dans sa partie la plus mince. Elle passa à moins de cinq cents mètres de nous. A cette distance on voyait et on entendait le bouleversement de l’eau attirée par cet épouvantable aspirateur.

Heureusement nous ne l’avons pas vue de plus près.

Restent les petits courants ascendants artificiels, c’est-à-dire produits par la configuration du terrain.

Un beau spécimen de ce genre de courant est juste situé en vue de mes fenêtres. Le perchoir des vautours, dont j’ai déjà parlé, est une immense carrière demi-circulaire, ayant des parois verticales de cinquante à soixante mètres de hauteur. Une lunette des anciens télégraphes est braquée à poste fixe sur ce point ; je n’ai donc qu’à enlever l’obturateur pour être transporté par le grossissement assez près du perchoir pour ne rien perdre de ce s’y passe. Voici ce qu’on y voit quand le vent du nord-est souffle fort.

Tout oiseau qui vole dans cette moitié de cirque semble être changé en ballon ; il produit l’ascension sans le vouloir. Il n’a plus à lutter contre l’attraction, mais contre le courant ascendant, et s’il a l’intention de ne pas s’élever il est forcé de plier fortement les ailes.

Si on va étudier de près cette action particulière du vent et qu’on se place au sommet de la carrière, le spectacle devient souverainement intéressant. La raison reste confondue par la vue de ces ascensions aérostatiques des énormes vautours qui montent devant le spectateur comme autant de ballons.

L’oiseau sait deviner ces courants, cela se voit ; il a la prescience des mouvements de l’air, aussi se livre-t-il avec plaisir à cet ascenseur dès qu’il a à monter.

C’est un bien étrange spectacle assurément, mais je l’ai déjà dit, il n’a lieu que par le nord-est ; par tout autre vent le phénomène n’a pas lieu, et par le vent du sud c’est au contraire un courant plongeant qui se produit.

Les actes d’ascension décrits dans le Vol sans battement et dans le Vol des voiliers[1] n’ont rien à faire avec ce genre de courant. Dans les pays montagneux, on peut, à la rigueur, arguer de leur présence, mais en plaine, mais en mer, on ne peut y avoir recours qu’en supposant une trombe ou une aspiration d’en-haut : faits aussi rares l’un que l’autre et qu’on doit abandonner si on veut rester dans les limites de la saine raison. Au reste, ces ascensions des grands voiliers faites en pays de montagne sont souvent si élevées qu’on a conscience qu’à l’altitude où se trouve l’oiseau, un pareil courant est éteint depuis longtemps.

Le courant ascendant peut donc être considéré comme un accident excessivement rare.

  1. Voir p. 43 et suiv. de l’Empire de l’Air.