Le vol sans battement/Etudes d’oiseaux

Édition Aérienne (p. 196-200).

ETUDES D’OISEAUX


Voici quelques mesures que j’ai pu recueillir depuis 1881.

C’est bien peu, je l’avoue, mais je ne chasse plus que très rarement. Elles combleront cependant quelques-unes des lacunes qui existent dans mes tableaux.

Les procédés n’ont pas changé : c’est toujours la mesure totale dans la surface [1].

Il est inutile de dire que j’y ai mis la même bonne foi dans les calculs.

Je me permets cette affirmation, parce qu’il m’est revenu plusieurs fois des signes de scepticisme sur la véracité de ces données. Heureusement, je possède encore une grande partie de ces silhouettes avec leurs calculs à l’appui. Elles ont fortement frappé quelques fervents du vol à la voile qui m’honoraient de leur visite.

Quand on y réfléchit bien, on arrive à penser qu’il est plus difficile d’inventer que d’être véridique. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à essayer de crayonner une ombre d’oiseau : là, quelque talent de dessinateur qu’on ait, on sera arrêté net ; et c’est seulement le premier pas. Reste ensuite la donnée ornithologique qu’il ne faut pas froisser, sans cela on n’arrive qu’à produire une œuvre informe qui ne supporte pas un instant l’examen.

Les chiffres et les dessins que j’ai donnés sont donc une œuvre honnête. On peut s’y fier. En les contrôlant, oiseau en main, on peut cependant trouver des différences importantes, mais en contrôlant encore mieux, on arrivera à rencontrer juste avec mes tableaux ; la différence reposera alors sur l’âge ou sur le sexe de l’animal que je n’ai pas toujours précisés.

J’ai cependant une correction à faire au tableau type larus, page 120. Les chiffres attribués au pétrel géant sont ceux du flammant. C’est donc une simple erreur de typographie [2].

j Je ne l’ai jamais vu, hélas ! ce pétrel, ni le condor, ni la harpye, non plus que la grande catharte des montagnes rocheuses. L’albatros m’est moins inconnu, car j’ai eu le plaisir d’apercevoir sur la mer Rouge trois exemplaires du genre diomedea qui devaient être d.fulinigosa. Mais est-ce connaître un oiseau que d’en avoir vu trois sujets perdus, égarés sur cette mer sans issue, posés au loin sur l’eau et ne s’enlevant que pour disparaître dans le lointain ?

Il y a donc encore beaucoup à étudier.

J’ai fait ma part ; aux autres de faire le reste.

Quand l’échelle des êtres ailés sera parfaitement connue, il sera alors facile de voir que les remarques que j’ai exposées sous forme d’aphorismes sont absolument exactes.

A ce propos, ne conviendrait-il pas pour l’enrichissement du savoir de tous, de poursuivre cette étude ? Ce que je n’ai pu achever, d’autres peuvent le finir. Ainsi il est triste de dire qu’un seul des grands maîtres de la science du vol à la voile a été étudié. Il ne m’est pas parvenu qu’on puisse parler du poids, de l’envergure ou de la surface des oiseaux suivants, qui doivent dépasser de beaucoup comme intérêt les gyps fulvus : les condors divers, représentés par plusieurs variétés, au moins trois. Là doit être le roi des voiliers, et, pour ma part, j’ignore tellement cet oiseau, malgré les cinq exemplaires que j’ai vus en différentes fois au Jardin des Plantes, malgré les descriptions d’Humboldt, etc., que c’est comme s’il n’existait pas.

Et le plus grand des planeurs rapides : l’albatros, qui saurait en parler sérieusement ? Là encore, il faut des observations nombreuses, car si l’on en croit Lesson, Quoy et Gaimard, et d’autres, il y en a beaucoup de variétés.

La Société de Navigation Aérienne doit posséder des marins parmi ses membres. Ne pourrait-on pas les prier de nous fournir ces données ? Les voyageurs seraient aussi en position de nous rendre bien des services, car ce n’est que dans les pays inexplorés que se trouvent ces oiseaux intéressants.

Seulement, si ces messieurs veulent bien se charger de ces recherches, il faut absolument les engager à procéder de la même manière que sont établis mes tableaux, c’est-à-dire :

Indiquer tant bien que faire se pourra à quel oiseau on a affaire. Ce point est difficile, mais il ne doit pas nous arrêter, car devrait-on remplacer le nom scientifique de l’animal par un X, il resterait toujours son poids, qui pour nous, aviateurs, serait presque une dénomination suffisante. On ne peut demander aux explorateurs d’être des ornithologistes ; une bonne description bien détaillée nous permettra probablement de poser un nom sur un inconnu.

La question poids est aussi pour eux bien difficile. Ils s’en tireront au moyen d’un dynamomètre de 0 à 25 kilogrammes. Cet instrument peut être réduit au volume d’un simple ressort rigoureusement gradué.

Puis, prendre bien exactement l’envergure de l’oiseau, la largeur moyenne de l’aile. On y parvient en notant plusieurs largeurs à des hauteurs de l’aile différentes, et en en prenant la moyenne. Enfin mesure de la pointe du bec au bout de la queue.

Avec ces grandeurs on peut déjà, au moyen de méthodes empiriques, approcher d’assez près la surface exacte de l’oiseau.

Voici la formule dont je me sers au besoin, mais le moins possible.

Surface = Envergure x largeur de l’aile + 1/10 du produit.

S’il était possible d avoir une silhouette de l’oiseau étendu à l’allure vent 0 à la seconde, c’est-à-dire à la tournure qu’il prend quand il vole sans vent, cette feuille de papier deviendrait un point de repère pour l’aviation. Mais c’est probablement trop demander aux explorateurs dont les nombreuses périgrinations s’opposent à ces transports.

Les marins, au contraire, auraient toutes facilités de reproduire l’albatros sous toutes ses allures. Dans ces dessins il est à leur recommander de laisser absolument de côté leur savoir de dessinateur. Ce qui nous fera plaisir c’est le tracé simple, fait avec un crayon tenu perpendiculairement au sujet. Dans cette position il est impossible de se livrer à aucun écart d’imagination ; l’animal a son contour reproduit avec une naïveté qui est la qualité que nous désirons.

Donc, nous nous permettrons de demander :

A ceux d’entre nous qui visiteront les Andes, les Cordillères, ou les Montagnes Rocheuses : les condors, la grande catharte (catharta californianus), le varcoramphe papa.

Aux voyageurs qui visiteront le Brésil et la Colombie, le grand autour de l’équateur américain (trasactus harpyia).

A ceux qui parcourront l’Afrique centrale, le grand autour des pays nègres, oiseau inconnu, que je demande la permission de nommer A. Arnouxii, du nom du voyageur tué à Obock qui, le premier, en rapporta les plumes que j’ai vues.

Dans ces régions se rencontreront facilement le gypaëte abyssin, celui des monts de la Lune, les vautours : arrian, oricous divers, et, un autre grand vautour inconnu dont j’ai souvent entendu parler par les nègres originaires des contrées équatoriales de ce continent. Ils décrivent cet oiseau, dans leur style exagéré comme ils décrivaient le roch. Celui-ci n’a pas de nom, mais il a un poids !

Aux voyageurs de l’Extrême-Orient, surtout à ceux qui parcourront en détail les îles de la Sonde, les poids et mesures de la grande chauve-souris acerodon Meyerii, et, en général, de toutes les grandes roussettes de ces pays où chaque île a sa variété.

Maintenant, messieurs les marins, nous désirerions tous et ardemment savoir comment sont construits les albatros, les fous, les frégates et tous les oiseaux de mer que nous n’avons aperçus que dans les Museums. Vous pouvez facilement nous tirer d’embarras : un coup de fusil heureux, deux ou trois vieux journaux collés ensemble sur lesquels vous traceriez une silhouette, une pesée et c’est tout ce qu’il faut pour poser un jalon sérieux dans l’étude de l’aviation.

  1. Voir page 33 de « l’œuvre ignorée de Louis Mouillard », l’exposé de la méthode de mesure empolyée par l’auteur.
  2. Ces chiffres du flammant mâle (Phœnicopterus antiquorum) sont comme suit :
    Allure V O’’; Poids : 2880 ; Surface : 0,378130 ; Envergure : 1.75 ; Largeur moyenne : 0,21 Proportions : 8,33 : 1 ; Un gramme est porté par 0.000131 ; Un mètre carré porte : 7616 grammes ; 80 kilogs seraient portés par 10 mg, 48.