Édition Aérienne (p. 476-478).

ADIEU


Je ne voudrais pas quitter le lecteur sans lui faire mes adieux, car ma mission est finie. Je n’en sais pas davantage.

Un problème pareil use la vie d’un homme, et la mienne est finie.

Je me retire de la lutte attristé de n’avoir pas été cru.

J’ai constaté, à mon grand regret, qu’on n’a généralement pas su démêler dans ces exposés humoristiques le fond sérieux qui les recouvraient.

J’ai d’abord tout simplement écrit les choses comme je l’ai pu, n’ayant aucune ambition au titre d’écrivain. J’ai dépeint l’oiseau avec mon tempérament ; la forme en est trop souvent incorrecte et bizarre, mais le mobile était bon. Il me fallait un récit léger pour faire admettre une idée difficile à saisir, ou, qu’on me permette une comparaison vulgaire, une sauce pour faire passer un ragout indigeste.

J’avais à apprendre le vol de l’oiseau à ceux qui ne le connaissaient pas, et ils sont nombreux ; il fallu le faire revivre et évoluer devant eux. Je ne regrette aucune de mes incorrections si j’y suis parvenu.

J’étais forcé de le faire, parce que je sais qu’on ne peut s’instruire sur ce point : aucun livre ne traite de ce sujet ; l’observation est pour beaucoup impossible, je voudrais cependant qu’ils entrevissent ce qu’est le vol de l’oiseau. J’ai donc été forcé d’écrire.

J’ai eu à lutter contre le ballon, le rameur et l’emploi intempestif des mathématiques ; je l’ai fait avec virulence, j’en conviens humblement ; mais c’est contre les idées que j’ai lutté et non contre leurs partisans, je ne pense donc pas avoir blessé personne. En tous cas, s’il en est qui se soient crus atteints je leur fais mes plus sincères excuses ; j’espère qu’ils me pardonneront et se diront que je suis comme eux un convaincu.

Il faut excuser le voyant, il faut tenir compte de l’ardeur de sa foi dans le vol à la voile. Ses critiques des autres systèmes de navigation aérienne ont été souvent d’une énergie excessive, mais il faut y voir non un effet de la violence de la lutte, mais simplement l’angoisse éprouvée de voir s’engager dans une voie sans issue une somme d’intelligence et d’action qui, lancée, dans ce qui est, j’en suis absolument certain, la bonne direction, aurait produit le résultat. Les courants d’idées divers ont été attaqués dans ces deux livres, les personnes jamais.

L’auteur n’a pu faire toucher du doigt le vol sans battement aux lecteurs ni aux aviateurs qu’il a eu l’occasion d’entretenir ; même, hélas ! au Caire, il n’a pu montrer le grand vautour que d’une manière tout à fait imparfaite, et nullement concluante, je le reconnais. Les modèles étaient absents dans l’instant. C’est assurément un grand malheur. L’observation est de longue haleine. Il ne me suffit plus, même au Caire, de faire jeter les yeux dans l’atmosphère à un aviateur pour y faire rencontrer le Maître, il faut encore qu’il soit dans le ciel. Il devient rare, ce démonstrateur du vol sans dépense de force !

Cependant il existe ; mais je dois reconnaître qu’il n’est plus visible à point nommé comme il l’était autrefois.

Ce que je puis dire, c’est que celui des aviateurs qui aura la chance de pouvoir l’étudier ne pourra dire qu’une chose des descriptions que j’en ai faites : c’est qu’elles sont plutôt éteintes qu’exagérées.

C’est seulement le manque de bons modèles qui amène ces divergences d’opinions, ces routes diverses que suivent les intelligences qui se vouent à l’étude de la navigation aérienne. La vue d’un seul vol de ces oiseaux privilégiés aurait pour effet de rallier au vol à la voile, d’un seul coup de filet, en un seul faisceau, les partisans de tous les systèmes différents qui divisent l’étude de ce phénomène, car ils sont tous intelligents, ces chercheurs ; la vue de cette merveille les illuminerait de sa simple grandeur, et ferait qu’il n’y aurait plus qu’une voie à cette étude, celle du vol sans battement.