Le vol sans battement/Parachute

Édition Aérienne (p. 396-404).

PARACHUTE


Instrument qui n’est pas pratique. Il est un contresens et c’est pour cela qu’il est peu utilisé.

De temps en temps, quelques acrobates se livrent encore à cette descente périlleuse, au grand émoi des populations spectatrices qui ont cinq minutes de véritable angoisse. Comme l’homme se tient vigoureusement, et que l’atterrissage est très doux, il n’arrive pas d’accidents.

De la manière dont est construit et employé cet engin, il n’offre absolument comme intérêt que celui d’une créature humaine qui se livre à un exercice dangereux. Ce n’est pas un but digne d’un appareil d’aviation. L’effet produit par la vue d’une descente en parachute est épouvantable, on plaint le malheureux qui se livre à de pareilles oscillations.

Un jour, quelqu’un qui pensait juste, retourna cet appareil ; il eut le tort de le mal construire et de s’y confier sans l’avoir essayé préalablement. Le parachute se brisa, l’homme fut tué, et le parachute n’en est pas revenu.

Expérimentons et cherchons à détruire ce mouvement de pendule qui est un vice rédhibitoire de cet appareil.

Si nous prenons un petit parachute d’un mètre carré de surface, que nous le chargions d’un kilogramme, poids dont on le charge dans les ascensions où il est donné en spectacle, si nous nous offrons la descente de cet appareil d’une hauteur un peu considérable, nous reproduisons cet épouvantable effet de balancement que tout le monde a vu.

La première idée qui se présente comme correction à faire est celle de l’agrandissement du trou par où l’air s’échappe. Après l’avoir augmenté de grandeur, nous livrons le parachute à l’espace. Nous remarquons que le balancement n’est pas entravé d’une manière sensible. Nous agrandissons encore ce trou et nous continuons d’expérimenter. L’effet de pendule se continue. À force de coups de ciseaux, nous sommes arrivés à avoir réduit le parachute à avoir la tournure d’une couronne ; la moitié de sa surface y a passé. Nous le livrons à la chute, et constatons que la descente devient de plus en plus rapide, et que l’oscillation s’agrandit comme amplitude au point de rendre l’engin inutilisable.

Il n’y a donc rien à faire avec ce système.

Reprenons cette idée par un moyen différent, qui a tué un homme, c’est vrai, mais qui n’est pas faux pour cela.

Nous prenons un parapluie, nous l’enlevons de sa canne, le remettons en place en le retournant, de façon que le sommet soit du côté du manche. Nous chargeons la poignée du poids à faire supporter, et nous livrons le tout à la descente. Nous constatons du premier coup que l’oscillation est absolument entravée ; le parapluie choit droit comme un plomb qui tombe.

Il n’y a donc pas à chercher autre chose. C’est par ce procédé que le parachute doit être construit ; seulement, il faut le faire solide.

À quoi peut-on employer cet appareil ?

À part le côté spectacle, qui est l’envers de ce que désire l’aviateur, il peut être bon à accoutumer l’homme à la vue et à la sensation de la chute dans l’espace, ce qui est déjà quelque chose d’important ; car il n’y a pas à se le dissimuler, l’aviation demandera des études préliminaires, une accoutumance progressive, comme au reste tous les exercices corporels, on ne nage pas du premier coup, l’être à peur de l’eau comme du vide, dans le patinage, le vélocipède, dans l’équitation, partout il en est de même. Ce n’est que peu à peu, par un entraînement lent, qu’on arrive à permettre à nos nerfs de se calmer et d’agir avec justesse, qu’on parvient à produire ces effets d’équilibre qui stupéfient ceux qui n’y sont pas faits.

Cet engin permet à un voyageur de quitter un ballon en marche, quand il y a d’autres aéronautes dans la nacelle, ou qu’on se décide à perdre le ballon ; fait qui est rarement utile.

Il pourrait encore servir à des amusements : ainsi un excursionniste muni d’un parachute, qui serait un fort parapluie construit pour cette destination, pourrait descendre une montagne sans s’occuper des routes. Il pourrait assurément, s’il rencontrait un flanc perpendiculaire, se précipiter sans crainte et tomber doucement au bas. Cela raccourcirait peut-être un peu le chemin, mais, à part la sensation produite, ne vaudrait probablement pas la peine qu’a coûtée cette charge, qu’il lui a fallu monter avec lui. L’intérêt n’est donc jusqu’ici qu’absolument pittoresque.

On pourrait encore, comme le racontait M. de la Landelle, éviter la descente des escaliers, en se précipitant de la fenêtre ; mais ce ne serait nullement pratique, surtout pour les dames.

Comme on le voit, il est peu facile de faire du parachute un instrument sérieux. Son grand défaut est de n’être pas dirigeable. Celui qui s’en sert tombe au hasard de la perpendiculaire dérangée par le courant aérien, de sorte qu’on ne sait jamais où on va choir : ce qui n’est pas récréatif.

Il s’agirait donc, pour rendre cet appareil intéressant, de pouvoir légèrement le diriger dans sa chute.

On y arriverait par le moyen suivant :

Soit un bâton de deux mètres de longueur, en bois souple et fort, de la grosseur d’une barre de trapèze, terminé par un renflement du bois, qui sera destiné à arrêter d’une manière formelle la ferrure du haut du parapluie. L’autre bout se termine par une barre en travers, de cinquante centimètres de longueur, sur laquelle l’aviateur peut se mettre à cheval. Il a donc, en acte de descente, la position suivante : des deux mains il tient le bâton de deux mètres et ses cuisses reposent sur cette béquille, dont chaque côté offre un appui de vingt-cinq centimètres.

Le parapluie sera ainsi fait. Une ferrure forgée en acier excellent, possédant 24 charnières, où viendront se loger les têtes des baleines. Ces baleines sont de fortes badines, de la grosseur du doigt. Ces 24 petits bâtons sont reliés entre eux afin de régulariser l’écartement. L’ouverture du parapluie sera, le bâton étant perpendiculaire, l’horizontalité exacte.

Il sera circulaire ou carré, peu importe. S’il est rond, on pourra donner deux mètres dix de longueur aux baleines, dont deux mètres seront entoilés, les dix centimètres qui dépassent seront utilisés plus tard.

Elles sont relevées par le procédé ordinaire qu’on emploie pour le parapluie. Cette tige de fer et cette glissière n’ont pas besoin d’une très grande solidité, parce qu’elles n’ont d’autre but que de permettre d’ouvrir le parapluie et de le maintenir ouvert.

Pour retenir en position horizontale, sous la pression violente de l’air, ces 24 baleines, il faudra 48 cordelettes, toujours d’une solidité éprouvée, et venant s’attacher une à l’extrémité de la baleine et l’autre au milieu, afin de ne pas permettre la formation d’un arc.

Le parapluie étant ouvert, il est fortement immobilisé : 1° par les petites barres de fer qui le poussent en haut ; 2° par les 48 cordes fines qui l’empêchent de dépasser l’horizontalité.

Toutes ces cordes sont attachées au manche au-dessous de la glissière de remontée, d’une façon qu’on peut laisser à la sollicitude de l’expérimentateur, puisque ce sont elles qui vont le soutenir.

L’étoffe à employer est tout simplement une soie écrue très vigoureuse, fixée par une foule de points aux baleines, et à chaque maille du filet de cordon de soie qui doit les recouvrir et les relier entre elles.

Ceci n’est que la moitié du parachute, qui n’est pas encore légèrement dirigeable.

L’autre moitié est ainsi faite :

Les bouts des baleines du parapluie dépassent la toile et sa bordure de dix centimètres. On profite de ces morceaux de bois libres pour ajouter une annexe au parachute. Pour le faire, on peut se servir de douilles, semblables à celles qui, dans l’appuie-main des peintres, relient entre eux les tronçons de cet outil. Ces douilles en fer ont pour but de joindre aux baleines des allonges de lᵐ50 de longueur, faites en bois souple, tel que des joncs bien huilés et pas piqués des vers, ou encore des badines, du bois avec lequel on fait les fouets de rouliers. Ce bois est nerveux et souple, quand il est bien graissé, il peut donc remplir facilement le rôle de ressort que nous lui destinons, d’autant mieux qu’il ne casse jamais.

Avec le premier parachute rond, de 12ᵐ56 carrés de surface, d’une forme plate et horizontale, on n’a pas un parachute. Si on le livrait à une descente, il reproduirait ce mouvement de balancement du parachute ordinaire d’une manière probablement exagérée, et notre but est de détruire ce mouvement. Avec cette annexe de 24 allonges de 1ᵐ50 de long, qui sont unies entre elles par une étoffe de soie, on a d’abord ajouté à l’appareil une surface de 25ᵐ90, à opposer à l’action de retenue de l’air. Le parachute a donc maintenant 38mq46, et en action environ 30 mètres. Puis on a supprimé le balancement. Livré à la descente, chargé d’un aviateur du poids de 65 kilog., il tombe avec une vitesse régulière et perpendiculaire, qui sera probablement, d’après des expériences en petit, d’un peu moins de 5 mètres à la seconde.

Cette vitesse de chute, sous l’action de ces ressorts qui ont produit des surfaces fuyantes, est devenue régulière et sans aucune oscillation. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à construire cet appareil dans des proportions réduites, et on est édifié sur la régularité de la descente.

Mais là ne se borne pas l’effet cherché. Nous désirons le rendre légèrement dirigeable, afin de pouvoir préciser, dans les bases de l’action de cet appareil, le point où on veut atterrir. Il est assurément intéressant de pouvoir éviter de tomber sur une maison, une rivière, en somme de choisir son endroit.

Si nous attachons à l’extrémité des pointes une cordelette, et qu’en descente nous tirions sur celle qui est devant nous par exemple, assez fortement pour, non seulement la ramener à l’horizontale, mais la lui faire dépasser, de façon à faire légèrement le creux en dessous, nous créons un acte directeur. Le parachute ne tombe plus perpendiculairement mais nous dirige, en tombant, devant nous ; et cela d’une quantité qui peut aller jusqu’à produire un angle de 45 degrés.

On pourrait donc fournir 24 sens de directions différentes puisqu’on a 24 pointes à déformer. Rien n’empêche d’en tirer deux à la fois et même un plus grand nombre ; si on relie par exemple les six cordelettes qui sont devant l’aviateur par un bâton qui les commandera toutes les six, en appuyant au milieu du bâton, ou à gauche, ou à droite, on se dirige ou devant, ou à gauche, ou à droite.

Les cordes qui actionnent les pointes qui sont devant l’aviateur sont celles dont on aura le plus souvent à se servir, car il est plus naturel de se diriger devant soi que derrière ; toutes les autres peuvent, à la rigueur, être supprimées.

Cette direction en avant pourra être facilitée par l’emploi simultané d’un gouvernail, pareil à celui dont il a été parlé au ballon alpestre. On pourrait le fixer horizontalement sous la traverse sur laquelle repose l’aviateur, et il pourrait être mû par les genoux. Ce gouvernail pourrait facilement ne peser que 1.500 grammes, et cependant avoir 5 mètres de longueur, et à peu près un mètre carré de surface ; il’ serait donc très maniable, et aurait l’avantage de pouvoir donner des coups de force, qui n’emprunteraient rien à la vitesse.

Mais, nous remarquons, à notre grand déplaisir, que cet acte directeur produit un balancement très fort, et quand on y réfléchit, on trouve que c’est naturel. Toute force, qui trouble l’équilibre de tombée, actionne ce pendule, et lui communique un mouvement, qui ne se continuera pas indéfiniment, parce qu’il sera entravé par les plans offerts par le parachute à l’air qu’il rencontre, mais qui durera cependant assez longtemps. Je n’ai pu étudier ce balancement que sur des chutes qui ne dépassaient pas la hauteur de 24 mètres.

J’ai expérimenté le parachute avec une surface carrée, elle produit le même effet que sur la surface ronde. J’ai produit ensuite une surface rectangulaire de deux mètres de longueur sur un mètre de largeur. La direction en travers se-produit très activement et est plus rapide que dans les formes rondes et carrées, mais le balancement semble augmenter.

Tout ce qui précède a été expérimenté un grand nombre de fois ; ce qui va suivre est de la spéculation intuitive.

La première expérience qui se présente à l’esprit est l’allongement du pendule, afin d’agrandir l’amplitude des oscillations, les rendre plus douces et moins nombreuses.

La seconde a trait à la forme à donner à la surface portante.

Dans le rectangle de deux sur un, on voit poindre l’aéroplane, et c’est ce que je cherchais. La translation est facilitée par la faible largeur du parachute, et c’est naturel, car le traînement diminue.

Je voulais aller ainsi jusqu’à l’absurde : 10 : 1, et bien au-delà, même. Je me proposais également de raccourcir progressivement la longueur du pendule. Ce que produira ce raccourcissement, je l’ignore. Il est à espérer, si le pendule est ferme, c’est-à-dire si c’est une barre de bois bien liée à la surface portante, que les oscillations seront diminuées. Le raccourcissement peut aller jusqu’à annulation complète du pendule ; la charge serait en fin de compte logée en plein parachute tout comme le corps de l’oiseau. Là le nom de l’appareil doit changer, ce n’est plus parachute qu’on doit le nommer, mais aéroplane.

Je crois fermement que les deux engins se lient par ces deux points : le raccourcissement absolu du pendule, et par la disproportion de la longueur à la largeur de la surface portante ; mais ce ne sont que des suppositions, qu’il convient de faire passer au critérium de la pratique.

J’ai été si souvent induit en erreur par le raisonnement, l’expérimentation a si souvent infirmé des spéculations imaginatives qui semblaient bien établies, que je n’ose rien avancer si je ne l’ai vu expérimenter par l’oiseau, ou si je n ’ai produit moi-même l’expérience.