Le vol sans battement/Corbeaux et milans

Édition Aérienne (p. 158-171).

CORBEAUX ET MILANS


Je mets ensemble ces deux oiseaux de vol absolument différent parce que ce sont des voisins. Ils naissent, vivent, chassent et meurent ensemble.

Malgré qu’ils soient loin d’être des amis, la proximité perpétuelle, les appétits semblables, établissent entre eux une connaissance telle que la disparition de l’un semble presque affecter l’autre. Cependant les rapports qu’ils ont n’ont lieu qu’à coups. de bec ou de serres. Ce n’est pas le milan qui attaque ; il est bien trop pacifique pour cela, ce sont ces endiablées corneilles qui ont toujours quelque niche féroce à faire, entre autres voler les œufs.

J’ai en face de ma fenêtre deux gros arbres ; sur l’un nichent mes milans, sur l’autre mes corneilles. J’emploie le prénom possessif, parce que la connaissance est telle entre nous, et si ancienne que je considère ces oiseaux comme une partie de mon bien. Il y a vingt ans que j’habite cette maison. Le couple de milans est le même que le jour de mon arrivée. Quant aux corbeaux il vient de leur arriver un malheur, la femelle est morte ces jours-ci. Elle est rentrée à ce qu’il paraît dans son nid pour y mourir.

Il était onze heures quand la nouvelle en fut annoncée par les cris des jeunes. À l’instant tout le voisinage corbeau fut sur l’arbre, et ce fut toute la journée un concert assourdissant comme quand il meurt quelqu’un chez les Arabes. Il devait certainement y avoir des pleureuses payées, car il n’est pas possible que tout ce monde de corneilles eût une pareille affection pour ma voisine, qui, soit dit entre nous, avait le caractère : assez acariâtre.

Le mâle depuis cette époque a disparu, abandonnant ses trois jeunes, dont l’éducation est au reste achevée.

La femelle sèche dans son nid. Ce doit être pour eux le mode d’inhumation classique.

Les trois petits sont venus coucher, avec beaucoup d’effroi, près du corps de la défunte, qui doit à l’heure actuelle être réduite à l’état de squelette.

Voilà la vie de famille de l’oiseau quand on peut bien étudier ce qu’il fait, lorsqu’on se rend bien compte de ses actes. Cet enterrement ressemble étrangement à ce qui se passe dans la famille d’Orient quand elle perd un de ses membres : même cri de visiteuses, même assemblée bruyante, même expansion outrée de sentiment.

Les milans sont venus voir ceq ui causait ce remue ménage. Ils ont plané sur le nid à maintes reprises, montrant qu’ils prenaient part au malheur qui fondait sur leurs voisins, puis ils remontaient sur un point élevé où ils philosophaient sur les vicissitudes de ce bas monde.

Ce rapprochement excessif de l’oiseau est, quand on l’aime, souverainement intéressant. Il faut être bon pour lui, sans cela on ne voit qu’une bête appeurée qui ne cherche qu’à vous fuir ; mais quand, avec du temps et de la douceur, on a capté son amitié, le spectacle devient charmant. Ainsi, la corneille, le milan, viennent vous reconnaître ; c’est une franche salutation qu’ils vous adressent et qui n’a rien de semblable au dire de l’oiseau qui vous crie : J’ai faim ! n’as-tu pas quelque chose à me donner ? L’oiseau vous parle, le milan par gestes, le corbeau avec la voix. Son cri, qui, pour beaucoup d’inattentifs, est un bruit rauque et désagréable, devient pour l’observateur un glossaire assez complexe.

On dit que le vocabulaire de la langue éléphant contient une soixantaine de mots ; celui du corbeau doit être à peu près aussi complet. A force d’attention je suis arrivé à me persuader que je comprends une vingtaine de leurs cris. Il y a une chose certaine c’est que chaque traduction que je donne est corroborée par l’acte de l’oiseau.

Le milan n’a que cinq ou six intonations différentes. Il doit parler par gestes. Je n’ai jamais réussi à comprendre que le cri de guerre et celui de la découverte.

Ces deux oiseaux nichent à la même époque. Les corneilles font deux nids, quelque fois trois. Ils ressemblent assez, en plus gros, aux nids de pies des campagnes d’Europe. Les milans n’en font qu’un, gros, énorme ; on le voit d’une lieue ; le couveuse y est complètement cachée.

La grande occupation du corbeau mâle est de saisir un moment d’absence du milan et de lui voler ses œufs. Il a réussi cette année, mais les milans se sont remis à l’ouvrage et ont refait une nouvelle nichée qui, cette fois, est venue à bien.

Les milans jeunes sont sans voix ; les jeunes corbeaux en ont au contraire dès le jeune âge une superbe qu’ils gardent au reste toute leur vie.

L’extrême jeunesse est complètement différente dans les deux oiseaux. Les corneilles pouvant à peine voler sautent déjà de branche en branche et visitent tout l’arbre où est le nid. Les milans du même âge sont déjà sérieux comme leurs parents. Ils sont perchés la

journée entière sur le bord du nid et n’ont d’autre oc
(Corvus Corone) Fig.2.− Ombre du Corbeau Egyptien Envergure 0ᵐ 90
cupation que de soigner la croissance de leurs longues

rémiges.

Plus tard, dans les premiers essais de vol, la différence se continue. Ils sont bien intéressants pour l’aviateur, ces premiers coups d’ailes des jeunes milans, qui deviendront dans quelques mois de si fins voiliers. Ils ne savent pas voler. Ils ont peur du vide, ne savent pas se diriger, exagérant l’effort à produire. Il semble qu’ils sont trop légers, et que leurs ailes sont trop grandes. La distance dont ils disposent paraît disproportionnée.

Les premiers planements sont curieux. Ils commencent par quelques tours entiers de l’arbre où est le nid, mais ce planement est souvent interrompu par des battements ; ce n’est que plus tard qu’ils exécutent un cercle complet. Ce savoir ne vient que petit à petit ; on dirait à les voir étudier cette manœuvre qu’elle est difficile à produire, et que là se trouve une sérieuse difficulté.

Les jeunes corneilles qui resteront toute leur vie des rameurs endurcis se tirent de toutes les difficultés par de nombreux battements d’ailes.

Dès les premiers exploits des milans, la lutte entre les deux espèces commence. Les petits corbeaux se lancent à la poursuite de leurs jeunes voisins, dont les premiers orbes gracieux semble irriter les nerfs. Les pères et mères des deux espèces ne se mêlent pas des querelles de la jeunesse, ce qui fait que ces luttes n’ont aucune acrimonie. On sent, en les voyant, que c’est dans le sang des corbeaux de poursuivre des milans, mais qu’au fond ils ne leur en veulent pas autrement.

L’oiseau, malgré ce rapprochement excessif est quelquefois difficile à comprendre. Les actes de sa vie, surtout ceux qui touchent à la vie sociale, à l’ensemble de l’espèce, ne sont pas un livre ouvert pour notre intelligence. On voit des faits se produire, mais on ne sait comment les expliquer ; et cela, malgré la proximité qui permet de bien voir, la répétition de ces faits qui évite la surprise et procure à l’intelligence l’occasion de comprendre.

J’offre celui-ci au lecteur, qui sera peut-être plus heureux que moi, avouant que je n’y ai rien compris.

Depuis l’aurore se sont des criailleries de corbeaux interminables.

Je suis allé voir de quoi il retournait, et j’ai vu l’arbre, sur lequel ont niché mes amies les corneilles mantelées, envahi par un peuple de corneilles tout aussi mantelées qu’elles.

Ceci se passe sur les énormes lebecks qui sont à vingt pas de mes fenêtres.

Il faut dire que les petits sont grands ; ils volent presque comme père et mère, et vont déjà se promener sur les terrasses voisines.

Tous les matins j’ai à peu près ce concert depuis quelques jours, mais cependant beaucoup moins intense. Il se tient tantôt sur le dôme de l’église, tantôt ; sur un observatoire à côté.

Ce matin, l’arbre, la demeure conjugale, là où sont les deux nids, le vrai et le faux, sont criblés d’oiseaux noirs qui gueulent, qui braillent à tue-tête. Je crois comprendre les mots : en avant, en route ; le go on des Anglais le traduit mieux.

Il faut voir le père et la mère corbeau ! Quelle rage ! Ces insolents visiteurs n’ont-ils pas eu le temps d’aller dans le vrai nid voir… la couleur du linge sale.

Le mâle a piqué sur ce tas de curieux qui s’est rondement éclipsé, mais non sans de fortes moqueries en style crôo. Ils ont alors chargé ensemble, père et mère, et les trois quarts de la bande sont allés sur l’observatoire en face et de là les ont incendié de jurements : on aurait dit des femmes arabes.

Moins une douzaine de têtes noires réparties dans l’épaisseur des branches, l’ordre était à peu près rétabli. Mais, pas de chance ! un vol de nouveaux arrivés débarque à tire d’aile sur l’arbre de la famille en sevrage ; car cela semble être un sevrage en toutes règles. Les corbeaux réfugiés sur l’observatoire, voyant aborder les nouveaux venus, piquent tous de là-haut en envahissent de nouveau l’arbre.

Alors la rage de mes voisins n’a plus de borne. Le mâle, dans sa furie frappe les branches à grands coups de bec. Mais que faire ? Ils sont trop nombreux, force est donc de se taire. J’avais envie de leur venir en aide, mais je me souviens du proverbe : Des affaires de corbeaux il ne faut pas se mêler.

Je laissai donc faire.

Dans un coin, cependant, près du vieux nid, un conciliabule s’établissait. Ce qu’on y disait était probablement pas mal irrévérencieux pour mes voisins. − J’ai bien entendu mais pas compris : ce devait être dit en langue verte. −_Quand soudain la femelle se précipita avec fureur sur une de ces commères. Elles s’empoignèrent du bec et des ongles, battant des ailes, tombant de branche en branche, et finalement arrivèrent à terre sans se lâcher.

La bataille était plus que sérieuse. La bande entière descendit pour contempler la prise de bec. Les plumes volaient que c’en était une bénédiction !

Je ne sais ce qui serait arrivé si le combat n’avait été dérangé par une négresse qui venait étendre du linge ; ce qui força combattants et spectateurs à remonter dans l’arbre.

Je fus forcé d’interrompre un moment cette étude. Ce qui se passa pendant ce temps, je ne sais, mais quand je suis revenu, la troupe criarde était maîtresse de l’arbre sacré ; l’asile de la famille était devenu un vulgaire perchoir. On entendait au loin les cris éraillés des jeunes, disant au père et à la mère qu’ils n’entendaient rien à la politique sociale, et que leurs estomacs étaient vides.

Cet acte de communauté, cette émancipation forcée d’une famille par la tribu, me semble intempestif. Il faut une année entière pour élever un corbeau. Ce ne sont pas les premiers dont je vois faire l’éducation. Mes amis avaient raison, les petits sont encore trop petits pour être abandonnés.

Pendant quinze jours ils sont venus tous les matins se poser en masse sur l’arbre.

Leur but n’est pas facile à comprendre. Cependant ils en ont un. Est-ce pour préserver par leur nombre cette jeune famille ? — Ce n’est pas probable, attendu que les petits sortaient et allaient même assez loin ; puis ils resteraient toute la journée, tandis qu’à dix heures tout est fini, chacun est allé à ses affaires.

En somme je n’ai pas compris.

Ils sont une trentaine sur le sommet de ce grand lebeck, ayant l’air de n’avoir d’autres occupations que de croasser. Cela ennuie fort les milans qui ont leur nid sur l’arbre voisin. Toutes les cinq minutes le milan mâle plonge, éparpille ces criards et remonte aussitôt avec une dizaine de corneilles à ses trousses. Il s’élève en décrivant des cercles suivi avec succès par ses poursuivants, mais arrivé à une centaine de mètres de hauteur il faut cesser la poursuite, car pour eux on n’arrive pas là-haut sans battre fort, tandis que le milan monte en tournant, sans se fatiguer, et monterait comme cela indéfiniment. Aussi, l’un après l’autre, les voit-on lâcher la partie, plier les ailes et piquer vers l’arbre.

Si le milan était adroit, s’il employait les moyens dont il dispose, la poursuite des corbeaux ne serait pas possible : il n’aurait qu’à plonger de très haut comme le faucon et utiliser sa chute pour la remontée ; les corbeaux ne le suivraient pas longtemps dans cet exercice. Mais on dirait qu’il n’a pas conscience de cette ressource, car généralement il ne brille pas dans cette poursuite. Il attaque et fuit aussitôt, sans beaucoup de frayeur c’est vrai, mais c’est toujours une retraite.

Il convient de dire que le corbeau l’attaque rarement seul, c’est ordinairement contre le couple que le milan a à faire. Quand les corneilles sont bien animées elles ont presque toujours des plumes de l’ennemi. Celle qui est en dessous occupe le milan, et pendant cet instant celle qui est au dessus plonge et le déplume.

Ce coup est produit avec beaucoup d’adresse et une grande rapidité, car le corbeau n’ose jamais braver la serre du milan qui, quand elle tient, ne lâche plus. On le voit bien quand une bande entière attaque un de ces rapaces. Si le milan est en plein vol, il monte jusqu’à leur faire perdre haleine. S’il est près de son nid, il se pose sur une branche maîtresse, et là, bien campé, attend courageusement l’attaque de la bande criarde. Aucun n’ose alors offrir franchement le combat ; il y aura bien quelque surprise, par derrière, mais en somme rien de bien sérieux ne se passera quand le milan offre le combat.

Malgré ces batailles perpétuelles entre ces deux voisins irréconciliables, je n’ai jamais vu mort de bête ; cela doit tenir aux modes différents de combattre qu’ont ces deux espèces d’oiseaux.

La corneille est bien le gros oiseau le plus vivant de la création. Elle a l’activité fébrile de la mésange, pondérée par un petit cerveau qui est une merveille. Elle est drôle, spirituelle, réfléchie, sage mais méchante, et cela, non seulement contre le milan, ennemi de race, mais contre sa propre espèce.

Un jour, ma femelle corneille devait avoir pondu son œuf ; c’était le 15 mars ; elle couvait avec une assiduité exemplaire. Un corbeau vint au nid, et là, lui donna une distribution de coups de bec épouvantable. Je crus d’abord que c’était le mâle qui usait de son droit d’époux, comme réparation de quelque faute qui m’était inconnue. La pauvre femelle criait comme une malheureuse, mais recevait les coups sans bouger de dessus les œufs : quand soudain je compris ! L’assaillant quittait précipitamment l’attaque et filait au plus vite. Je vis alors, arrivant à toute vitesse, bas dans la rue, le mâle venant au secours des siens.

C’était tout simplement la voisine, qui jalouse de voir une nichée pondue à son heure juste, venait passer sa mauvaise humeur et donner à la couveuse une tirée de plumet homérique.

Le beau côté de cette vulgaire crépée de chignon est la conduite de ma corneille. Si elle s’était levée du nid, si un œuf avait été visible seulement une demi-seconde, il était troué.

Elle les a défendus, ses chers œufs, l’espoir de la famille à venir. Les plumes ont volé au vent, le sang a coulé, la rage de se battre devait la dévorer, car ce sont fières bêtes que les corbeaux, mais elle n’a pas bougé et ses œufs sont intacts.

Voilà le vrai courage ! Commander à ses instincts querelleurs d’une pareille façon est le fait d’un cerveau supérieur.

Il y a souvent des duels de corbeaux. Ils se tiennent par les pattes et frappent du bec. La galerie, toujours nombreuse, surveille les coups et est tellement empoignée par les péripéties du combat que j’ai pu les approcher dans ce cas à quelques mètres. Un jour j’ai pensé prendre les deux combattants. Je crois que si je ne les avais séparés, vu l’acharnement qu’ils y mettaient, ils se seraient battus jusqu’à ce que mort s’ensuivit.

Les milans entre eux se querellent rarement ; on voit cependant quelquefois le spectacle suivant : deux oiseaux attrapés par les griffes, descendre du haut des nues en tournoyant et ne se séparer qu’arrivés presque à terre.

Ordinairement la lutte est moins acharnée que cela, elle se borne à des plongées sur un envahisseur, mais, celui qui se sent en faute prend la fuite avec une telle célérité que la bataille est toujours évitée.

J’ai assisté à un magnifique essai de coup de canif dans le contrat.

Une grosse femelle au temps des amours était posée, attendant… son heure, quand un milan, célibataire probablement, se précipita sur elle.

La résistance fut molle ; cependant il y eut résistance, mais surtout nombreux cris poussés d’appel au secours. Le mâle qui planait par là autour accourut pour défendre son bien. Il le fit en toute conscience, mais où il manqua de caractère, c’est dans la poursuite. Il se contenta de renvoyer à grande vitesse ce laron d’honneur sans avoir l’air de lui en vouloir autrement. On sentait que pour lui, cet acte ou le vol d’un débris de volaille étaient sur le même plan.

Chez les corbeaux, cela ne se serait pas passé comme cela : leur vive intelligence, leur tempérament colère, auraient donné à ce cas une tournure tout à fait sérieuse. Le milan est beaucoup plus pacifique ; la pensée est lente chez lui, son activité n’est grande que dans le vol. Là il est maître absolu ; c’est l’oiseau qui produit les plus grandes difficultés du vol plané.

Etudions-le, regardons-le se promener avec aisance autour de ces miliers de terrasses du Caire pour accomplir en conscience sa mission de nettoyer. — Au vol, le milan a pour note particulière de faire constamment des contorsions curieuses ; sa queue se dirige à gauche, à droite, il avance une aile, baisse l’autre, se retourne subitement sur lui-même. Tous ces mouvements sont non seulement très visibles mais même exagérés.

Quand on réfléchit aux tours de force constants qu’il a à produire on s’explique ces mouvements exorbitants. Ils nous paraissent surtout excessifs quand on les compare à l’allure simple et grandiose des grands voiliers. L’explication de ces différences de procédés dans le vol est simple, elle est de suite indiquée par les effets produits.

Le milan fait ce que l’on pourrait nommer les difficultés de haute école dans le vol des voiliers, tandis que le vautour ne produit que le parcours simple. Aussi le bon sens nous indique-t-il que nous devons prendre ce dernier pour modèle, et non cet espèce d’acrobate sans le vouloir, qui est obligé pour pouvoir vivre d’exécuter constamment les difficultés extrêmes du vol.

Le milan est donc le planeur par excellence ; c’est lui qui peut produire ce vol dans les conditions les plus difficiles. Il lui faut ce talent, qu’il possède du reste à un degré extrême, pour pouvoir voler presque sans battement dans les villes où se trouve son territoire de chasse. A chaque angle, à chaque grande surface, le vent est brisé ; il lui faut donc parer à cette infinité d’angles de vent, de remous, ascendants, descendants, angulaires, circulaires ; et, pour arriver à se sustenter dans ce chaos de courants, il faut avoir ce qu’il possède : la science complète du vol. Dans ces mêmes conditions, tout autre oiseau est perdu, et se met tout de suite à la rame pour en sortir. La corneille, et le percnoptère, qui sont cependant des malins, ne l’approchent pas dans ces manœuvres difficiles, même de loin. Le grand vautour lui-même ne ferait pas beaucoup mieux s’il se trouvait dans le même cas.

Nous trouvons donc en cet oiseau le maître à consulter, dans les cas difficiles. Il est vrai que nous n’en sommes pas encore là ! mais excès de bien ne nuit jamais. Nous devons donc le classer dans nos souvenirs comme un professeur des hautes études. Il n’a en somme qu’un défaut, mais irrémédiable, c’est sa faible masse. Cette légèreté fait que ses évolutions manquent d’ampleur ; aussi, malgré sa grande surface, est-il souvent rameur.

Mais, il est est des jours où il est sublime. — Etonnant ne rend pas ma pensée. — Certain vent particulier, un état spécial de l’atmosphère, l’engagent à exhiber ses tours d’adresse les plus extraordinaires.

C’est alors qu’il produit ces chutes effrayantes de mille mètres de plongée. Il ne permet pas l’accélération excessive — c’est vrai, — mais cependant, ses ailes fournissent tout à fait l’aspect d’un météore fendant les airs.

Après l’avoir YU vivre, voyons-le mourir.

Beaucoup de personnes ont dû se demander comment meurt un oiseau dans la vie sauvage.

Je parle seulement des grands volateurs.

Je m’étais persuadé que l’oiseau, se sentant malade, restait philosophiquement à son perchoir, pour y attendre la mort.

En réfléchissant aux besoins de ces animaux, on arrive à penser que la mort doit ordinairement, ou au moins très souvent, être subite. La maladie d’un jour chez les granivores est la mort certaine par inanition. Chez les insectivores, la résistance à la faim peut durer un peu plus, mais ne dépassera probablement pas deux jours. Les rapaces sont privilégiés. J’en ai eu pour exemple mon grand aigle, que croyant mort, j’ai laissé cinq jours sans boire ni manger, et que, au bout de ce temps, j’ai trouvé perché, lisse, l’œil brillant, et jouissant de toutes ses facultés, surtout de celle de l’estomac.

Cependant, j’ai vu le fait suivant : un milan mourir à trois cents mètres dans les airs. Je le regardais voler par le plus grand des hasards, car au Caire, il y en a tant que, tout fanatique du vol que je suis, je ne leur prête pas toujours une grande attention.

La mort dut être rapide comme un coup de foudre. 11 n’a été tué ni par un coup de fusil ni par un autre oiseau, et de là-haut, trois cents mètres, il est tombé comme un plomb, faisant cependant des écarts énormes, quand le plan d’une de ses ailes, par le fait de la jointure qui ne pouvait plier davantage, portait en plein sur l’air. Malgré sa grande surface la chute fut très rapide.

Je le vis entre les mains des Arabes qui l’avaient ramassé ; il était sans blessure et encore chaud.

Je n’ai pu savoir de quoi il était mort. Il ne m’était pas possible de songer à l’autopsie, brisé comme il était.