L’Encyclopédie/1re édition/LETTRES

LETTRÉS  ►

LETTRES, s. f. (Gramm.) on appelle ainsi les caracteres représentatifs des élémens de la voix. Ce mot nous vient du latin littera, dont les étymologistes assignent bien des origines différentes.

Priscien, lib. I. de litterâ, le fait venir par syncope de legitera, eo quòd lagendi iter præbeat, ce qui me semble prouver que ce grammairien n’étoit pas difficile à contenter. Il ajoute ensuite que d’autres tirent ce mot de legitera, quòd plerùmque in ceratis tabulis antiqui scribere solebant, & posteà delere ; mais si littera vient de litura, je doute fort que ce soit par cette raison, & qu’on ait tiré la dénomination des lettres de la possibilité qu’il y a de les effacer : il auroit été, me semble, bien plus raisonnable en ce cas de prendre litura dans le sens d’onction, & d’en tirer litera, de même que le mot grec correspondant γράμμα est dérivé de γράφω je peins, parce que l’écriture est en effet l’art de peindre la parole. Cependant il resteroit encore contre cette étymologie une difficulté réelle, & qui mérite attention : la premiere syllabe de litura est breve, au lieu que litera a la premiere longue, & s’écrit même communément littera.

Jul. Scaliger, de caus. l. L. cap. jv. croit que ces caracteres furent appellés originairement lineaturæ, & qu’insensiblement l’usage a réduit ce mot à literæ, parce qu’ils sont composés en effet de petites lignes. Quoique la quantité des premieres syllabes ne réclame point contre cette origine, j’y apperçois encore quelque chose de si arbitraire, que je ne la crois pas propre à réunir tous les suffrages.

D’après Hesychius, Vossius dans son étymologicon l. L. verbo , dérive ce mot de l’adjectif grec λιτός tenuis, exilis, parce que les lettres sont en effet des traits minces & déliés ; c’est la raison qu’il en allegue ; & M. le président de Brosses juge cette étymologie préférable à toutes les autres, persuadé que quand les lettres commencerent à être d’usage pour remplir l’écriture symbolique, dont les caracteres étoient nécessairement étendus, compliqués, & embarrassans, on dut être frappé sur-tout de la simplicité & de la grande réduction des nouveaux caracteres, ce qui put donner lieu à leur nomination. Qu’il me soit permis d’observer que l’origine des lettres latines qui viennent incontestablement des lettres greques, & par elles des phéniciennes, prouve qu’elles n’ont pas dû être désignées en Italie par une dénomination qui tînt à la premiere impression de l’invention de l’alphabet ; ce n’étoit plus là une nouveauté qui dût paroître prodigieuse, puisque d’autres peuples en avoient l’usage. Que ne dit-on plutôt que les lettres sont les images des parties les plus petites de la voix, & que c’est pour cela que le nom latin a été tiré du grec λιτός, en sorte que litteræ est pour notæ literæ, ou notæ elementares, notæ partium vocis tenuissimarum ?

Que chacun pense au reste comme il lui plaira, sur l’étymologie de ce mot : ce qu’il importe le plus ici de faire connoître, c’est l’usage & la véritable nature des lettres considérées en général ; car ce qui appartient à chacune en particulier, est traité amplement dans les différens articles qui les concernent.

Les diverses nations qui couvrent la terre, ne different pas seulement les unes des autres, par la figure & par le tempérament, mais encore par l’organisation intérieure qui doit nécessairement se ressentir de l’influence du climat, & de l’impression des habitudes nationales. Or il doit résulter de cette différence d’organisation, une différence considérable dans les sons & articulations dont les peuples font usage. De-là vient qu’il nous est difficile, pour ne pas dire impossible, de prononcer l’articulation que les Allemands représentent par ch, qu’eux-mêmes ont peine à prononcer notre u qu’ils confondent avec notre ou ; que les Chinois ne connoissent pas notre articulation r, &c. Les élémens de la voix usités dans une langue, ne sont donc pas toûjours les mêmes que ceux d’une autre ; & dans ce cas les mêmes lettres ne peuvent pas y servir, du moins de la même maniere ; c’est pourquoi il est impossible de faire connoître à quelqu’un par écrit, la prononciation exacte d’une langue étrangere, sur-tout s’il est question d’un son ou d’une articulation inusitée dans la langue de celui à qui l’on parle.

Il n’est pas plus possible d’imaginer un corps de lettres élémentaires qui soient communes à toutes les nations ; & les caracteres chinois ne sont connus des peuples voisins, que parce qu’ils ne sont pas les types des élémens de la voix, mais les symboles immédiats des choses & des idées : aussi les mêmes caracteres sont-ils lûs diversement par les différens peuples qui en font usage, parce que chacun d’eux exprime selon le génie de sa langue, les différentes idées dont il a les symboles sous les yeux. Voyez Écriture chinoise.

Chaque langue doit donc avoir son corps propre de lettres élémentaires ; & il seroit à souhaiter que chaque alphabet comprît précisément autant de lettres qu’il y a d’élémens de la voix usités dans la langue ; que le même élément ne fût pas représenté par divers caracteres ; & que le même caractere ne fût pas chargé de diverses représentations. Mais il n’est aucune langue qui jouisse de cet avantage ; & il faut prendre le parti de se conformer sur ce point à toutes les bisarreries de l’usage, dont l’empire après tout est aussi raisonnable & aussi nécessaire sur l’écriture que sur la parole, puisque les lettres n’ont & ne peuvent avoir qu’une signification conventionnelle, & que cette convention ne peut avoir d’autre titre que l’usage le plus reçu. Voyez Orthographe.

Comme nous distinguons dans la voix deux sortes d’élémens, les sons & les articulations ; nous devons pareillement distinguer deux sortes de lettres, les voyelles pour représenter les sons, & les consonnes pour représenter les articulations. Voyez Consonne, son. (Gramm.) Voyelle, H, & Hiatus. Cette premiere distinction devoit être, ce semble, le premier principe de l’ordre qu’il falloit suivre dans la table des lettres ; les voyelles auroient dû être placées les premieres, & les consonnes ensuite. La considération des différentes ouvertures de la bouche auroit pu aider la fixation de l’ordre des voyelles entre elles : on auroit pu classifier les consonnes par la nature de l’organe dont l’impression est la plus sensible dans leur production, & régler ensuite l’ordre des classes entre elles, & celui des consonnes dans chaque classe par des vûes d’analogie. D’autres causes ont produit par-tout un autre arrangement, car rien ne se fait sans cause : mais celles qui ont produit l’ordre alphabétique tel que nous l’avons, n’étoient peut-être par rapport à nous qu’une suite de hasards, auxquels on peut opposer ce que la raison paroît insinuer, sinon pour réformer l’usage, du moins pour l’éclairer. M. du Marsais désiroit que l’on proposât un nouvel alphabet adapté à nos usage présens, (Voyez Alphabet), débarrassé des inutilités, des contradictions & des doubles emplois qui gâtent celui que nous avons, & enrichi des caracteres qui y manquent. Qu’il me soit permis de poser ici les principes qui peuvent servir de fondement à ce système.

Notre langue me paroit avoir admis huit sons fondamentaux qu’on auroit pu caractériser par autant de lettres, & dont les autres sons usités sont dérivés par de légeres variations : les voici écrits selon notre orthographe actuelle, avec des exemples où ils sont sensibles.

a, Comme dans la premiere syllabe de cadre ;
ê, tête ;
é, lésard ;
i, misère ;
eu, meunier ;
o, poser ;
u, humain ;
ou, poudre.

Il me semble que j’ai arrangé ces sons à peu-près selon l’analogie des dispositions de la bouche lors de leur production. A est à la tête, parce qu’il paroît être le plus naturel, puisque c’est le premier ou du moins le plus fréquent dans la bouche des enfans : je ne citerai point en faveur de cette primauté le verset 8. du ch. j. de l’Apocalypse, pour en conclure, comme Wachter dans les prolégomenes de son Glossaire germanique, sect. 11. §. 32, qu’elle est de droit divin ; mais je remarquerai que l’ouverture de la bouche nécessaire à la production de l’a, est de toutes la plus aisée & celle qui laisse le cours le plus libre à l’air intérieur. Le canal semble se retrécir de plus en plus pour les autres. La langue s’éleve & se porte en avant pour ê ; un peu plus pour é ; les mâchoires se rapprochent pour i ; les levres font la même chose pour eu ; elles se serrent davantage & se portent en avant pour o ; encore plus pour u ; mais pour le son ou, elles se serrent & s’avancent plus que pour aucun autre.

J’ai dit que les autres sons usités dans notre langue dérivent de ceux-là par de legeres variations : ces variations peuvent dépendre ou du canal par où se fait l’émission de l’air, ou de la durée de cette émission.

L’air peut sortir entierement par l’ouverture ordinaire de la bouche, & dans ce cas on peut dire que le son est oral ; il peut aussi sortir partie par la bouche & partie par le nez, & alors on peut dire que le son est nasal. Le premier de ces deux états est naturel, & par conséquent il ne faudroit pour le peindre, que la voyelle même destinée à la représentation du son : le second état est, pour ainsi dire, violent, mais il ne faudroit pas pour cela une autre voyelle ; la même suffiroit, pourvu qu’on la surmontât d’une espece d’accent, de celui, par exemple, que nous appellons aujourd’hui circonflexe, & qui ne serviroit plus à autre chose, vû la distinction de caractere que l’on propose ici. Or, il n’y a que quatre de nos huit sons fondamentaux, dont chacun puisse être ou oral, ou nasal ; ce sont le premier, le troisieme, le cinquiéme & le sixieme. C’est ce que nous entendons dans les monosyllabes, ban, pain, jeun, bon. Cette remarque peut indiquer comment il faudroit disposer les voyelles dans le nouvel alphabet : celles qui sont constantes, ou dont l’émission se fait toujours par la bouche, feroient une classe ; celles qui sont variables, ou qui peuvent être tantôt orales & tantôt nasales, feroient une autre classe : la voyelle a assure la prééminence à la classe des variables ; & ce qui précede fixe assez l’ordre dans chacune des deux classes.

Par rapport à la durée de l’émission, un son peut être bref ou long ; & ces différences, quand même on voudroit les indiquer, comme il conviendroit en effet, n’augmenteroient pas davantage le nombre de nos voyelles : tout le monde connoît les notes grammaticales qui indiquent la brieveté ou la longueur. Voyez Breve.

Si nous voulons maintenant fixer le nombre & l’ordre des articulations usitées dans notre langue, afin de construire la table des consonnes qui pourroient entrer dans un nouvel alphabet ; il faut considérer les articulations dans leur cause & dans leur nature.

Considérées dans leur cause, elles sont ou labiales, ou linguales, ou gutturales, selon qu’elles paroissent dépendre plus particulierement du mouvement ou des levres, ou de la langue, ou de la trachée-artere que le peuple appelle gosier : & cet ordre même me paroît le plus raisonnable, parce que les articulations labiales sont les plus faciles, & les premieres en effet qui entrent dans le langage des enfans, auquel on ne donne le nom de balbutie, que par une onomatopée fondée sur cela même ; d’ailleurs l’articulation gutturale suppose un effort que toutes les autres n’exigent point, ce qui lui assigne naturellement le dernier rang : au surplus cet ordre caracterise à merveille la succession des parties organiques ; les levres sont extérieures, la langue est en dedans, & la trachée-artere beaucoup plus intérieure.

Les articulations linguales se soudivisent assez communement en quatre especes, que l’on nomme dentales, sifflantes, liquides & mouillées : Voyez Linguale. Cette division a son utilité, & je ne trouverois pas hors de propos qu’on la suivît pour régler l’ordre des articulations linguales entre elles, avec l’attention de mettre toujours les premieres dans chaque classe, celles dont la production est la plus facile. Ce discernement tient à un principe certain ; les plus difficiles s’operent toujours plus près du fond de la bouche ; les plus aisées se rapprochent davantage de l’exterieur.

Les articulations considerées dans leur nature, sont constantes ou variables, selon que le degré de force, dans la partie organique qui les produit, est ou n’est pas susceptible d’augmentation ou de diminution ; par conséquent, les articulations variables sont foibles ou fortes, selon qu’elles supposent moins de force ou plus de force dans le mouvement organique qui en est le principe. D’où il suit que dans l’ordre alphabétique, il ne faut pas séparer la foible de la forte, puisque c’est la même au fond ; & que la foible doit préceder la forte, par la raison du plus de facilité. Voici dans une espece de tableau le systême & l’ordre des articulations, tel que je viens de l’exposer ; & vis-à-vis, une suite de mots où l’on remarque l’articulation dont il est question, représentée selon notre orthographe actuelle.

Système figuré des articulations.
Considérés dans leur nature.
Constantes. Variables. Exemples.
Considérés
dans leur
cause.
Foibles. Fortes.
Labiales. ve. fe. Vendre. Fendre.
be. pe. Baquet. Paquet.
Nasales. me. Mort.
ne. Nort.
Linguales Dentales de. te. Dome. Tome.
gue. que. Gage. Cage.
Sifflantes. ze. se. Zélé. Scélé.
je. che. Japon. Chapon.
Liquides. le. re. Loi. Roi.
Mouillées lle gne. Pillard. Mignard.
Gutturales. he. Heros.


Voilà donc en tout dix-neuf articulations dans notre langue, ce qui exige dans notre alphabet dix-neuf consonnes : ainsi, en y ajoutant les huit voyelles dont on a vû ci-devant la nécessité, le nouvel alphabet ne seroit que de vingt-sept lettres. C’est assez, non-seulement pour ne pas surcharger la multitude de trop de caracteres, mais encore pour exprimer toutes les modifications essentielles de notre langue, au moyen des accents que l’on y ajouteroit, comme je l’ai déja dit.

Me permettra-t-on encore une remarque qui peut paroître minutieuse, mais qui me semble pourtant raisonnable ? C’est que je crois qu’il pourroit y avoir quelque utilité à donner aux lettres d’une même classe une forme analogue, & distinguée de la forme commune aux lettres d’une autre classe : par exemple, à n’avoir que des voyelles sans queue, & formées de traits arrondis, comme a, e, o, 8 ; c, s, 3, a : à former les consonnes de traits droits ; les cinq labiales, par exemple, sans queue, comme n, m, u, m, z : toutes les linguales avec queue ; les dentales par en haut, les sifflantes par en bas ; les foibles en deux traits, les fortes en trois ; les liquides & les mouillées, d’une queue droite & d’un trait rond, la queue en haut pour les premieres, & en bas pour les autres : notre gutturale, comme la plus difficile pourroit avoir une figure plus irréguliere, comme le k, le x, ou le &. Je sens très-bien qu’il n’y a aucun fonds à faire sur une pareille innovation ; mais je ne pense pas qu’il faille pour cela en dédaigner le projet, ne pût-il que servir à montrer comment on envisage en général & en détail un objet qu’on a intérêt de connoître. L’art d’analyser, qui est peut-être le seul art de faire usage de la raison, est aussi difficile que nécessaire ; & l’on ne doit rien mépriser de ce qui peut servir à le perfectionner.

Il est évident, par la définition que j’ai donnée des lettres, qu’il y a une grande différence entre ces caracteres & les élémens de la voix dont ils sont les signes : hoc interest, dit Priscien, inter elementa & litteras, quod elementa propriè dicuntur ipsæ pronunciationes ; notæ autem earum litteræ, lib. I. de litterâ. Il semble que les Grecs aient fait aussi attention à cette différence, puisqu’ils avoient deux mots différens pour ces deux objets, στοιχεῖα, élémens, & γραμμωτα, peintures, quoique l’auteur de la méthode grecque de P. R. les présente comme synonymes ; mais il est bien plus naturel de croire que dans l’origine le premier de ces mots exprimoit en effet les élémens de la voix, indépendamment de leur représentation, & que le second en exprimoit les signes représentatifs ou de peinture. Il est cependant arrivé par le laps de tems, que sous le nom du signe on a compris indistinctement & le signe & la chose signifiée. Priscien, ibid. remarque cet abus : abusivè tamen & elementa pro litteris & litteræ pro elementis vocantur. Cet usage contraire à la premiere institution, est venu, sans doute de ce que, pour désigner tel ou tel élément de la voix, on s’est contenté de l’indiquer par la lettre qui en étoit le signe, afin d’éviter les circonlocutions toujours superflues & très-sujettes à l’équivoque dans la matiere dont il est question. Ainsi, au lieu d’écrire & de dire, par exemple, l’articulation foible produite par la réunion des deux levres, on a dit & écrit le b, & ainsi des autres. Au reste, cette confusion d’idées n’a pas de grands inconvéniens, si même on peut dire qu’elle en ait. Tout le monde entend très-bien que le mot lettres, dans la bouche d’un maître d’écriture, s’entend des signes représentatifs des élémens de la voix ; que dans celle d’un fondeur ou d’un imprimeur il signifie les petites pieces de métal qui portent les empreintes de ces signes pour les transmettre sur le papier au moyen d’une encre ; & que dans celle d’un grammairien il indique tantôt les signes & tantôt les élémens mêmes de la voix, selon que les circonstances designent qu’il s’agit ou d’orthologie ou d’ortographe. Je ne m’écarterai donc pas du langage ordinaire dans ce qui me reste à dire sur l’attraction & la permutation des lettres : on verra assez que je ne veux parler que des élémens de la voix prononcée, dont les lettres écrites suivent assez communément le sort, parce qu’elles sont les dépositaires de la parole. Hic enim usus est litterarum, ut custodiant voces, & velut depositum reddant legentibus. Quintil. inst. orat. I. jv.

Nous avons vu qu’il y a entre les lettres d’une même classe une sorte d’affinité & d’analogie qui laissent souvent entr’elles assez peu de différence : c’est cette affinité qui est le premier fondement & la seule cause raisonnable de ce que l’on appelle l’attraction & la permutation des lettres.

L’attraction est une opération par laquelle l’usage introduit dans un mot une lettre qui n’y étoit point originairement, mais que l’homogénéité d’une autre lettre préexistante semble seule y avoir attirée. C’est ainsi que les verbes latins ambio, ambigo, composés de l’ancienne particule am, équivalente à circùm, & des verbes eo & ago, ont reçu la consonne labiale b, attirée par la consonne m, également labiale : c’est la même chose dans comburo, composé de cùm & d’uro. Notre verbe françois trembler, dérivé de tremere, & nombre, dérivé de numerus, présentent le même méchanisme.

La permutation est une opération par laquelle dans la formation d’un mot tiré d’un autre mot pris dans la même langue ou dans une langue étrangere, on remplace une lettre par une autre. Ainsi du mot grec ποῦς, les Latins ont fait pes, en changeant ου en e, & les Allemands ont fait fuss, en changeant πen f, car leur u répond à l’ου des Grecs quant à la prononciation.

Je l’ai déja dit, & la saine philosophie le dit aussi, rien ne se fait sans cause ; & il est très-important dans les recherches étymologiques de bien connoître les fondemens & les causes de ces deux sortes de changemens de lettres, sans quoi il est difficile de débrouiller la génération & les différentes métamorphoses des mots. Or le grand principe qui autorise ou l’attraction ou la permutation des lettres, c’est, comme je l’ai déja insinué, leur homogénéité.

Ainsi, 1°. toutes les voyelles sont commuables entr’elles pour cette raison d’affinité, qui est si grande à l’égard des voyelles, que M. le président des Brosses regarde toutes les voyelles comme une seule, variée seulement selon les différences de l’état du tuyau par où sort la voix, & qui, à cause de sa flexibilité, peut être conduit par dégradation insensible depuis son plus large diametre & sa plus grande longueur, jusqu’à son état le plus resserré & le plus raccourci. C’est ainsi que nous voyons l’a de capio changé en e dans particeps, en i dans participare, & en u dans aucupium ; que l’a du grec πάλλω est changé en e dans le latin pello, cet e changé en u dans le supin pulsum, que nous conservons dans impulsion, & que nous changeons en ou dans pousser ; que l’i du grec ἴλη est changé en a dans le latin ala, & en ê, que nous écrivons ai, dans le françois aile, &c. Il seroit superflu d’accumuler ici un plus grand nombre d’exemples : on n’a qu’à ouvrir les Dictionnaires étymologiques de Vossius pour le latin, de Ménage pour le françois ; de Wachter pour l’allemand, &c. & lire sur-tout le traité de Vossius de litterarum permutatione : on en trouvera de toutes les especes.

2°. Par la même raison les consonnes labiales sont commuables entre elles, voyez Labiales, & l’une peut aisément attirer l’autre, comme on l’a vu dans la définition que j’ai donnée de l’attraction.

3°. Il en est de même de toutes les consonnes linguales, mais dans un degré de facilité proportionné à celui de l’affinité qui est entr’elles ; les dentales se changent ou s’allient plus aisément avec les dentales, les sifflantes avec les sifflantes, &c. & par la même raison dans chacune de ces classes, & dans toute autre où la remarque peut avoir lieu, la foible & la forte ont le plus de disposition à se mettre l’une pour l’autre, ou l’une avec l’autre. Voyez les exemples à l’article Linguale.

4°. Il arrive encore assez souvent que des consonnes, sans aucuns degrés prochains d’affinité, ne laissent pas de se mettre les unes pour les autres dans les dérivations des mots, sur le seul fondement d’affinité qui résulte de leur nature commune : dans ce cas néanmoins la permutation est déterminée par une cause prochaine, quoiqu’accidentelle ; communément c’est que dans la langue qui emprunte, l’organe joint à la prononciation de la lettre changée l’inflexion d’une autre partie organique, & c’est la partie organique de la lettre substituée. Comment avons-nous substitué c à la lettre t, une sifflante à une dentale, dans notre mot place venu de platea ? c’est que nous sommes accoutumés à prononcer le t en sifflant comme s dans plusieurs mots, comme action, ambitieux, patient, martial, &c. que d’autre part nous prononçons de même la lettre c devant e, i, ou devant les autres voyelles quand elle est cédillée : or l’axiome dit quæ sunt eadem uni tertio sunt eadem inter se ; donc le c & le t peuvent se prendre l’un pour l’autre dans le système usuel de notre langue : l’une & l’autre avec s peuvent aussi être commuables. D’autres vûes autorisées par l’usage contre les principes naturels de la prononciation, donneront ailleurs d’autres permutations éloignées des lois générales.

Pour ce qui concerne l’histoire des lettres & la génération des alphabets qui ont eu cours ou qui sont aujourd’hui en usage, on peut consulter le ch. xx. du liv. I. de la seconde partie de la Géographie sacrée de Bochart ; le livre du P. Herman Hugo, jésuite, de ratione scribendi apud veteres ; Vossius de arte Grammaticâ, ch. ix. & x. Baudelot de Daireval, de l’utilité des voyages & de l’avantage que la recherche des antiquités procure aux Savans ; les œuvres de dom Bernard de Montfaucon ; l’art de vérifier les dates des faits historiques, par des religieux Bénédictins de la congrégation de S. Maur ; le livre IV. de l’introduction à l’histoire des Juifs de Prideaux, par M. Shuckford ; nos Pl. d’Alph. anc. & mod. plus riches qu’aucun de ces ouvrages. (B. E. R. M.)

Lettres, (Imprimerie.) Les Imprimeurs nomment ainsi, & sans acception de corps ou de grandeur, chaque piece mobile & séparée dont sont assortis les différens caracteres en usage dans l’Imprimerie, mais ils en distinguent de quatre sortes dans chaque corps de caracteres, qui sont les capitales, petites capitales, ou majuscules & minuscules, les lettres du bas de casse & lettres doubles, tels que le si, le fi, le double ssi & le double ffi, & quelqu’autres. Il y a outre ces corps & grandeurs un nombre de lettres pour l’impression des affiches & placards, que l’on nomme, à cause de leur grandeur & de leur usage, grosses & moyennes : elles sont de fonte ou de bois ; ces corps n’ont ni petites capitales ni lettres du bas de casse. Voyez nos Pl. d’Imprimerie.

Lettre capitale, (Ecrit. Imprim.) grande lettre, lettre majuscule. Les anciens manuscrits grecs & latins sont entierement écrits en lettres capitales ; & lors de la naissance de l’Imprimerie, on mit au jour quelques livres, tout en capitales. Nous avons un Homere, une Anthologie grecque, un Appollonius imprimés de cette façon : on en doit l’idée à Jean Lascaris, surnommé Rhyndacène, mais on lui doit bien mieux, c’est d’avoir le premier apporté en Occident la plûpart des plus beaux manuscrits grecs que l’on y connoisse. Il finit ses jours à Rome en 1535. (D. J.)

Lettre grise, (Imprimerie.) Les Imprimeurs appellent ainsi des lettres entourées d’ornemens de gravure, soit en bois, soit en taille-douce ; elles sont d’usage pour commencer la matiere d’un ouvrage aux pages où il y a une vignette en bois. Voyez Vignette, Voyez Table des Caracteres.

Lettre tremblée, (Ecrivain.) est dans l’écriture un caractere qui, quoique sorti d’une main libre & sûre, imite le tremblé naturel, parce que ses traits ont la même attitude que s’ils partoient d’un style foible.

Voyez tom. II. 2. part. aux Planches de notre Ecriture moderne.

Lettres grecques, (Gramm. orig. des langues.) γράμματα ἑλληνῶν, caracteres de l’écriture des anciens grecs.

Joseph Scaliger, suivi par Walton, Bochart, & plusieurs autres savans, a tâché de prouver dans ses notes sur la chronique d’Eusebe, que les caracteres grecs tiroient leur origine des lettres phéniciennes ou hébraïques.

Le chevalier Marsham, dans son Canon chronicus egyptiacus, ouvrage excellent par la méthode, la clarté, la briéveté & l’érudition dont il est rempli, rejette le sentiment de Scaliger, & prétend que Cadmus, égyptien de naissance, ne porta pas de Phénicie en Grece les lettres phéniciennes, mais les caracteres épistoliques des Egyptiens, dont Theut ou Thoot, un des hermès des Grecs, étoit l’inventeur, & que de plus les Hébreux mêmes ont tiré leurs lettres des Egyptiens, ainsi que diverses autres choses.

Cette hypothèse a le désavantage de n’être pas étayée par des témoignages positifs de l’antiquité, & par la vûe des caracteres épistoliques des Egyptiens, que nous n’avons plus, au lieu que les caracteres phéniciens ou hébraïques ont passé jusqu’à nous.

Aussi les partisans de Scaliger appuient beaucoup en faveur de son opinion, sur la ressemblance de forme entre les anciennes lettres grecques & les caracteres phéniciens ; mais malheureusement cette similitude n’est pas concluante, parce qu’elle est trop foible, trop legere, parce qu’elle ne se rencontre que dans quelques lettres des deux alphabets, & parce qu’enfin Rudbeck ne prouve pas mal que les lettres runiques ont encore plus d’affinité avec les lettres grecques, par le nombre, par l’ordre & par la valeur que les lettres phéniciennes.

Il se pourroit donc bien que les sectateurs de Scaliger & de Marsham fussent également dans l’erreur, & que les Grecs, avant l’arrivée de Cadmus, qui leur fit connoître les caracteres phéniciens ou égyptiens, il n’importe, eussent déja leur propre écriture, leur propre alphabet, composé de seize lettres, & qu’ils enrichirent cet alphabet qu’ils possédoient de quelques autres lettres de celui de Cadmus.

Après tout, quand on examine sans prévention combien le système de l’écriture grecque est différent de celui de l’écriture phénicienne, on a bien de la peine à se persuader qu’il en émane.

1°. Les Grecs exprimoient toutes les voyelles par des caracteres séparés, & les Phéniciens ne les exprimoient point du tout ; 2°. les Grecs n’eurent que seize lettres jusqu’au siége de Troie, & les Phéniciens en ont toujours eu vingt-deux ; 3°. les Phéniciens écrivoient de droite à gauche, & les Grecs au contraire de gauche à droite. S’ils s’en sont écartés quelques fois, ç’a été par bisarrerie & pour s’accommoder à la forme des monumens sur lesquels on gravoit les inscriptions, ou même sur les monumens élevés par des phéniciens, ou pour des phéniciens de la colonie de Cadmus. Les Thébains eux-mêmes sont revenus à la méthode commune de disposer les caracteres grecs de la gauche à la droite, qui étoit la méthode ordinaire & universelle de la nation.

Ces différences, dont il seroit superflu de rapporter la preuve, étant une fois posées, est il vraissemblable que les Grecs eussent fait de si grands changemens à l’écriture phénicienne, s’ils n’eussent pas déja été accoutumés à une autre maniere d’écrire, & à un autre alphabet auquel apparemment ils ajouterent les caracteres phéniciens de Cadmus ? Ils retournerent ceux-ci de la gauche à la droite, donnerent à quelques-uns la force de voyelles, parce qu’ils en avoient dans leur écriture, & rejetterent absolument ceux qui exprimoient des sons dont ils ne se servoient point. (D. J.)

Lettres les, (Encyclopédie.) ce mot désigne en général les lumieres que procurent l’étude, & en particulier celle des belles-lettres ou de la littérature. Dans ce dernier sens, on distingue les gens de lettres, qui cultivent seulement l’érudition variée & pleine d’aménités, de ceux qui s’attachent aux sciences abstraites, & à celles d’une utilité plus sensible. Mais on ne peut les acquérir à un degré éminent sans la connoissance des lettres, il en résulte que les lettres & les sciences proprement dites, ont entr’elles l’enchaînement, les liaisons, & les rapports les plus étroits ; c’est dans l’Encyclopédie qu’il importe de le démontrer, & je n’en veux pour preuve que l’exemple des siecles d’Athenes & de Rome.

Si nous les rappellons à notre mémoire, nous verrons que chez les Grecs l’étude des lettres embellissoit celle des sciences, & que l’étude des sciences donnoit aux lettres un nouvel éclat. La Grece a dû tout son lustre à cet assemblage heureux ; c’est par-là qu’elle joignit au mérite le plus solide, la plus brillante réputation. Les lettres & les sciences y marcherent toujours d’un pas égal, & se servirent mutuellement d’appui. Quoique les muses présidassent les unes à la Poésie & à l’Histoire, les autres à la Dialectique, à la Géométrie & à l’Astronomie, on les regardoit comme des sœurs inséparables, qui ne formoient qu’un seul chœur. Homere & Hésiode les invoquent toutes dans leurs poëmes, & Pythagore leur sacrifia, sans les séparer, un hécatombe philosophique en reconnoissance de la découverte qu’il fit de l’égalité du quarré de l’hypothénuse dans le triangle-rectangle, avec les quarrés des deux autres côtés.

Sous Auguste, les lettres fleurirent avec les sciences & marcherent de front Rome, déja maîtresse d’Athenes par la force de ses armes, vint à concourir avec elle pour un avantage plus flatteur, celui d’une érudition agréable & d’une science profonde.

Dans le dernier siecle, si glorieux à la France à cet égard, l’intelligence des langues savantes & l’étude de la nôtre furent les premiers fruits de la culture de l’esprit. Pendant que l’éloquence de la chaire & celle du barreau brilloient avec tant d’éclat ; que la Poésie étaloit tous ses charmes ; que l’Histoire se faisoit lire avec avidité dans ses sources, & dans des traductions élégantes ; que l’antiquité sembloit nous dévoiler ses trésors ; qu’un examen judicieux portoit par-tout le flambeau de la critique : la Philosophie réformoit les idées, la Physique s’ouvroit de nouvelles routes pleines de lumieres, les Mathématiques s’élevoient à la perfection ; enfin les lettres & les sciences s’enrichissoient mutuellement par l’intimité de leur commerce.

Ces exemples des siecles brillans prouvent que les sciences ne sauroient subsister dans un pays que les lettres n’y soient cultivées. Sans elles une nation seroit hors d’état de goûter les sciences, & de travailler à les acquérir. Aucun particulier ne peut profiter des lumieres des autres, & s’entretenir avec les Ecrivains de tous les pays & de tous les tems, s’il n’est savant dans les lettres par lui-même, ou du moins, si des gens de lettres ne lui servent d’interprete. Faute d’un tel secours, le voile qui cache les sciences, devient impénétrable.

Disons encore que les principes des sciences seroient trop rebutans, si les lettres ne leur prétoient des charmes. Elles embellissent tous les sujets qu’elles touchent : les vérités dans leurs mains deviennent plus sensibles par les tours ingénieux, par les images riantes, & par les fictions même sous lesquelles elles les offrent à l’esprit. Elles répandent des fleurs sur les matieres les plus abstraites, & savent les rendre intéressantes. Personne n’ignore avec quels succès les sages de la Grece & de Rome employerent les ornemens de l’éloquence dans leurs écrits philosophiques.

Les scholastiques, au lieu de marcher sur les traces de ces grands maîtres, n’ont conduit personne à la science de la sagesse, ou à la connoissance de la nature. Leurs ouvrages sont un jargon également inintelligible, & méprisé de tout le monde.

Mais si les lettres servent de clé aux sciences, les sciences de leur côté concourent à la perfection des lettres. Elles ne feroient que bégayer dans une nation où les connoissances sublimes n’auroient aucun accès. Pour les rendre florissantes, il faut que l’esprit philosophique, & par conséquent les sciences qui le produisent, se rencontre dans l’homme de lettres, ou du moins dans le corps de la nation. Voyez Gens de Lettres.

La Grammaire, l’Eloquence, la Poésie, l’Histoire, la Critique, en un mot, toutes les parties de la Littérature seroient extrèmement défectueuses, si les sciences ne les reformoient & ne les perfectionnoient : elles sont sur-tout nécessaires aux ouvrages didactiques en matiere de rhétorique, de poétique & d’histoire. Pour y réussir, il faut être philosophe autant qu’Homme de lettres. Aussi, dans l’ancienne Grece, l’érudition polie & le profond savoir faisoient le partage des génies du premier ordre. Empédocle, Epicharme, Parménide, Archelaüs sont célebres parmi les Poëtes, comme parmi les Philosophes. Socrate cultivoit également la philosophie, l’éloquence & la poésie. Xénophon son disciple sut allier dans sa personne l’orateur, l’historien & le savant, avec l’homme d’état, l’homme de guerre & l’homme du monde. Au seul nom de Platon, toute l’élévation des sciences & toute l’aménité des lettres se présente à l’esprit. Aristote, ce génie universel, porta la lumiere & dans tous les genres de littérature, & dans toutes les parties des sciences. Pline, Lucien, & les autres écrivains font l’éloge d’Eratosthene, & en parlent comme d’un homme qui avoit réuni avec le plus de gloire, les lettres & les sciences.

Lucrece, parmi les Romains, employa les muses latines à chanter les matieres philosophiques. Varron, le plus savant de son pays, partageoit son loisir entre la Philosophie, l’Histoire, l’étude des antiquités, les recherches de la Grammaire & les délassemens de la Poésie. Brutus étoit philosophe, orateur, & possédoit à fond la jurisprudence. Cicéron, qui porta jusqu’au prodige l’union de l’Eloquence & de la Philosophie, déclaroit lui-même que s’il avoit un rang parmi les orateurs de son siecle, il en étoit plus redevable aux promenades de l’académie, qu’aux écoles des rhéteurs. Tant il est vrai, que la multitude des talens est nécessaire pour la perfection de chaque talent particulier, & que les lettres & les sciences ne peuvent souffrir de divorce.

Enfin si l’homme attaché aux sciences & l’homme de lettres ont des liaisons intimes par des intérêts communs & des besoins mutuels, ils se conviennent encore par la ressemblance de leurs occupations, par la supériorité des lumieres, par la noblesse des vûes, & par leur genre de vie, honnête, tranquille & retiré.

J’ose donc dire sans préjugé en faveur des lettres & des sciences, que ce sont elles qui font fleurir une nation, & qui répandent dans le cœur des hommes les regles de la droite raison, & les semences de douceur, de vertu & d’humanité si nécessaires au bonheur de la société.

Je conclus avec Raoul de Presles, dans son vieux langage du xiv. siecle, que « Ociosité, sans lettres & sans science, est sépulture d’homme vif ». Cependant le goût des lettres, je suis bien éloigné de dire la passion des lettres, tombe tous les jours davantage dans ce pays, & c’est un malheur dont nous tâcherons de dévoiler les causes au mot Littérature.

Lettre, Epitre, Missive, (Littérat.) les lettres des Grecs & des Romains avoient, comme les nôtres, leurs formules : voici celles que les Grecs mettoient au commencement de leurs missives.

Philippe, roi de Macédoine, à tout magistrat, salut, & pour indiquer le terme grec, χαίρειν. Les mots χαίρειν, εὐπράττειν, ὑγιαίνειν, dont ils se servoient, & qui signifioient joie, prospérité, santé, étoient des especes de formules affectées au style épistolaire, & particulierement à la décoration du frontispice de chaque lettre.

Ces sortes de formules ne signifioient pas plus en elles-mêmes, que signifient celles de nos lettres modernes ; c’étoient de vains complimens d’étiquettes. Lorsqu’on écrivoit à quelqu’un, on lui souhaitoit au moins en apparence la santé par ὑγιαίνειν, la prospérité par εὐπράττειν, la joie & la satisfaction par χαίρειν.

Comme on mettoit à la tête des lettres, χαίρειν, εὐπράττειν, ὑγιαίνειν, on mettoit à la fin, ἔῤῥωσο, εὐτυχεῖ ; & quand on adressoit sa lettre à plusieurs, ἔῤῥωσθε, εὐτυχεῖτε, portez-vous bien, soyez heureux, ce qui équivaloit (mais plus sensément) à notre formule, votre très-humble serviteur.

S’il s’agissoit de donner des exemples de leurs lettres, je vous citerois d’abord celle de Philippe à Aristote, au sujet de la naissance d’Alexandre.

« Vous savez que j’ai un fils ; je rends graces aux dieux, non pas tant de me l’avoir donné, que de me l’avoir donné du vivant d’Aristote. J’ai lieu de me promettre que vous formerez en lui un successeur digne de nous, & un roi digne de la Macédoine ». Aristote ne remplit pas mal les espérances de Philippe. Voici la lettre que son éleve devenu maître du monde, lui écrivit sur les débris du trône de Cyrus.

« J’apprends que tu publies tes écrits acromatiques. Quelle supériorité me reste-t-il maintenant sur les autres hommes ? Les hautes sciences que tu m’a enseignées, vont devenir communes ; & tu n’ignores pas cependant que j’aime encore mieux surpasser les hommes par la science des choses sublimes, que par la puissance. Adieu ».

Les Romains ne firent qu’imiter les formules des Grecs dans leurs lettres ; elles finissoient de même par le mot vale, portez-vous bien ; elles commençoient semblablement par le nom de celui qui les écrivoit, & par celui de la personne à qui elles étoient adressées. On observoit seulement lorsqu’on écrivoit à une personne d’un rang supérieur, comme à un consul ou à un empereur, de mettre d’abord le nom du consul ou de l’empereur.

Quand un consul ou empereur écrivoit, il mettoit toujours son nom avant celui de la personne à qui il écrivoit. Les lettres des empereurs, pour les affaires d’importance, étoient cachetées d’un double cachet.

Les successeurs d’Auguste ne se contenterent pas de souffrir qu’on leur donnât le titre de seigneurs, dans les lettres qu’on leur adressoit, mais ils agréerent qu’on joignit à leur nom les épithetes magnifiques de très-grand, très-auguste, très-débonnaire, invincible & sacré. Dans le corps de la lettre, on employoit les termes de votre clémence, votre piété, & autres semblables. Par cette nouvelle introduction de formules inouies jusqu’alors, il arriva que le ton noble épistolaire des Romains sous la république ne connut plus sous les empereurs d’autre style, que celui de la bassesse & de la flatterie.

Lettres des Sciences, (Littérat.) l’usage d’écrire des lettres, des épîtres, des billets, des missives, des dépêches, est aussi ancien que l’écriture ; car on ne peut pas douter que dès que les hommes eurent trouvé cet art, ils n’en ayent profité pour communiquer leurs pensées à des personnes éloignées. Nous voyons dans l’Iliade, liv. VI. v. 69, Bellerophon porter une lettre de Proëtus à Jobatès. Il seroit ridicule de répondre que c’étoit un codicile, c’est-à-dire de simples feuilles de bois couvertes de cire, & écrites avec une plume de métal ; car quand on écrivoit des codiciles, on écrivoit sans doute des lettres, & même ce codicile en seroit une essentiellement, si la définition que donne Cicéron d’une épître est juste, quand il dit que son usage est de marquer à la personne à qui elle est adressée, des choses qu’il ignore.

Nous n’avons de vraiment bonnes lettres que celles de ce même Cicéron & d’autres grands hommes de son tems, qu’on a recueillies avec les siennes & les lettres de Pline ; comme les premieres sur-tout sont admirables & même uniques, j’espere qu’on me permettra de m’y arrêter quelques momens.

Il n’est point d’écrits qui fassent tant de plaisir que les lettres des grands hommes ; elles touchent le cœur du lecteur, en déployant celui de l’écrivain. Les lettres des beaux génies, des savans profonds, des hommes d’état sont toutes estimées dans leur genre différent ; mais il n’y eut jamais de collection dans tous les genres égale à celle de Cicéron, soit qu’on considere la pureté du style, l’importance des matieres, ou l’éminence des personnes qui y sont intéressées.

Nous avons près de mille lettres de Cicéron qui subsistent encore, & qu’il fit après l’âge de quarante ans ; cependant ce grand nombre ne fait qu’une petite partie, non seulement de celles qu’il écrivit, mais même de celles qui furent publiées après sa mort par son secrétaire Tyro. Il y en a plusieurs volumes qui se sont perdus ; nous n’avons plus le premier volume des lettres de ce grand homme à Lucinius Calvus ; le premier volume de celles qu’il adressa à Q. Axius ; le second volume de ses lettres à son fils ; un autre second volume de ses lettres à Cornelius Nepos ; le troisieme livre de celles qu’il écrivit à Jules-César, à Octave, à Pansa ; un huitieme volume de semblables lettres à Brutus ; & un neuvieme à A. Hirtius.

Mais ce qui rend les lettres de Cicéron très-précieuses, c’est qu’il ne les destina jamais à être publiques, & qu’il n’en garda jamais de copies. Ainsi nous y trouvons l’homme au naturel, sans déguisement & sans affectation ; nous voyons qu’il parle à Atticus avec la même franchise, qu’il se parloit à lui-même, & qu’il n’entre dans aucune affaire sans l’avoir auparavant consulté.

D’ailleurs, les lettres de Cicéron contiennent les matériaux les plus authentiques de l’histoire de son siecle, & dévoilent les motifs de tous les grands événemens qui s’y passerent, & dans lesquels il joua lui-même un si beau rôle.

Dans ses lettres familieres, il ne court point après l’élégance ou le choix des termes, il prend le premier qui se présente, & qui est d’usage dans la conversation ; son enjouement est aisé, naturel, & coule du sujet ; il se permet un joli badinage, & même quelquefois des jeux de mots : cependant dans le reproche qu’il fait à Antoine, d’avoir montré une de ses lettres, il a raison de lui dire : « Vous n’ignoriez pas qu’il y a des choses bonnes dans notre société, qui rendues publiques, ne sont que folles ou ridicules ».

Dans ses lettres de complimens, & quelques-unes sont adressées aux plus grands hommes qui vécurent jamais, son desir de plaire y est exprimé de la maniere la plus conforme à la nature & à la raison, avec toute la délicatesse du sentiment & de la diction ; mais sans aucun de ces titres pompeux, de ces épithetes fastueuses que nos usages modernes donnent aux grands, & qu’ils ont marqués au coin de la politesse, tandis qu’ils ne présentent que des restes de barbarisme, fruit de la servitude & de la décadence du goût.

Dans ses lettres politiques, toutes ses maximes sont tirées de la profonde connoissance des hommes, & des affaires. Il frappe toujours au but, prévoit le danger, & annonce les événemens : Quæ nunc usu veniunt, cecinit ut vates, dit Cornelius Nepos.

Dans ses lettres de recommendation, c’est la bienfaisance, c’est le cœur, c’est la chaleur du sentiment qui parle. Voyez Lettre de recommendation.

Enfin, les lettres qui composent le recueil donné sous le nom de Cicéron, me paroissent d’un prix infini en ce point particulier, que ce sont les seuls monumens qui subsistent de Rome libre. Elles soupirent les dernieres paroles de la liberté mourante. La plus grande partie de ces lettres ont paru, si l’on peut parler ainsi, au moment que la république étoit dans la crise de sa ruine, & qu’il falloit enflammer tout l’amour qui restoit encore dans le cœur des vertueux & courageux citoyens pour la défense de leur patrie.

Les avantages de cette conjoncture sauteront aux yeux de ceux qui compareront ces lettres avec celles d’un des plus honnêtes hommes & des plus beaux génies qui se montrerent sous le regne des empereurs. On voit bien que j’entends les lettres de Pline ; elles méritent certainement nos regards & nos éloges, parce qu’elles viennent d’une ame vraiment noble, épurée par tous les agrémens possibles de l’esprit, du savoir & du goût. Cependant, on apperçoit dans le charmant auteur des lettres dont nous parlons, je ne sais quelle stérilité dans les faits, & quelle réserve dans les pensées, qui décelent la crainte d’un maître. Tous les détails du disciple de Quintilien, & toutes ses réflexions, ne portent que sur la vie privée. Sa politique n’a rien de vraiment intéressant ; elle ne développe point le ressort des grandes affaires, ni les motifs des conseils, ni ceux des événemens publics.

Pline a obtenu les mêmes charges que Cicéron ; il s’est fait une gloire de l’imiter à cet égard, comme dans ses études : Lætaris, écrit-il à un de ses amis, lætaris quòd honoribus ejus insistam, quem emulari in studiis cupio. Epist. 4. 8. Néanmoins, s’il tâcha de suivre l’orateur romain dans ses études & dans ses emplois ; toutes les dignités dont il fut après lui revêtu, n’étoient que des dignités de nom. Elles lui furent conférées par le pouvoir impérial, & il les remplit conformément aux vues de ce pouvoir. En vain je trouve Pline décoré de ces vieux titres de consul & de proconsul, je vois qu’il leur manque l’homme d’état, le magistrat suprème. Dans le commandement de province, où Cicéron gouvernoit toutes choses avec une autorité sans bornes, où des rois venoient recevoir ses ordres, Pline n’ose pas réparer des bains, punir un esclave fugitif, établir un corps d’artisans nécessaire, jusqu’à ce qu’il en ait informé l’empereur : Tu domine, lui mande-t-il, despice, an instituendum putes collegium Fabrorum : mais Lépide, mais Antoine, mais Pompée, mais César, mais Octave craignent & respectent Cicéron ; ils le ménagent, ils le courtisent, ils cherchent sans succès à le gagner, & à le détacher du parti de Cassius, de Brutus & de Caton. Quelle distance à cet égard entre l’auteur des Philippiques & l’écrivain du panégyrique de Trajan ! (D. J.)

Lettres Socratiques, (Littérat.) c’est ainsi qu’on nomme chez les Littérateurs le recueil de diverses lettres au nombre de trente-cinq, que Léo Allatius fit imprimer à Paris, l’an 1637, en grec, avec une version latine & des notes, sous le nom de Socrate & de ses disciples. Les sept premieres lettres sont attribuées à ce philosophe même ; les autres à Antisthène, Aristippe, Xénophon, Platon, &c. Elles furent reçues avec applaudissement, & elles le méritent à plusieurs égards ; cependant on a depuis considéré ce recueil avec plus d’attention qu’on ne le fit quand il vit le jour ; & M. Fabricius s’est attaché à prouver que ces lettres sont des pieces supposées, & qu’elles sont l’ouvrage de quelques sophistes plus modernes que les philosophes dont elles portent le nom ; c’est ce qu’il tache d’établir, tant par les caracteres du style, que par le silence des anciens. Le célébre Pearson avoit déja dans ses Vindic. Ignatii, part. II. pag. 12. donné plusieurs raisons tirées de la chronologie, pour justifier que ces lettres ne peuvent être de Socrate & des autres philosophes auxquels on les donne ; enfin c’est aujourd’hui le sentiment général de la plûpart des savans. Il est vrai que M. Stanley semble avoir eu dessein de réhabiliter l’authenticité de ces lettres dans la vie des philosophes, auxquels Léo Allatius les attribue ; mais le soin qu’a pris l’illustre anglois dont nous venons de parler, n’a pu faire pancher la balance en sa faveur.

Cependant quels que soient les auteurs des lettres socratiques, on les lit avec plaisir, parce qu’elles sont bien écrites, ingénieuses & intéressantes ; mais comme il est vraissemblable que la plûpart des lecteurs ne les connoissent guere, j’en vais transcrire deux pour exemple. La premiere est celle qu’Aristippe, fondateur de la secte cyrénaïque, écrit à Antisthene, fondateur de la secte des cyniques, à qui la maniere de vivre d’Aristippe déplaisoit. Elle est dans le style ironique d’un bout à l’autre, comme vous le verrez.

Aristippe à Antisthène.

« Aristippe est malheureux au-delà de ce que l’on peut s’imaginer ; & cela peut-il être autrement ? Réduit à vivre avec un tyran, à avoir une table délicate, à être vêtu magnifiquement, à se parfumer des parfums les plus exquis ? Ce qu’il y a d’affligeant, c’est que personne ne veut me délivrer de la cruauté de ce tyran, qui ne me retient pas sur le pié d’un homme grossier & ignorant, mais comme un disciple de Socrate, parfaitement instruit de ses principes ; ce tyran me fournit abondamment tout ce dont j’ai besoin, ne craignant le jugement ni des dieux ni des hommes ; & pour mettre le comble à mes infortunes, il m’a fait présent de trois belles filles Siciliennes, & de beaucoup de vaisselle d’argent.

» Ce qu’il y a de fâcheux encore, c’est que j’ignore quand il finira de pareils traitemens. C’est donc bien fait à vous d’avoir pitié de la misere de vos prochains ; & pour vous en témoigner ma reconnoissance, je me réjouis avec vous du rare bonheur dont vous jouissez, & j’y prends toute la part possible. Conservez pour l’hiver prochain les figues & la farine de Crete que vous avez : cela vaut bien mieux que toutes les richesses du monde. Lavez-vous & vous désaltérez à la fontaine d’Ennéacrune ; portez hiver & été le même habit, & qu’il soit mal-propre, comme il convient à un homme qui vit dans la libre république d’Athènes.

» Pour moi en venant dans un pays gouverné par un monarque, je prévoyois bien que je serois exposé à une partie des maux que vous me dépeignez dans votre lettre ; & à présent les Syracusains, les Agrigentins, les Géléens, & en général tous les Siciliens ont pitié de moi, en m’admirant. Pour me punir d’avoir eu la folie de me jetter inconsidérément dans ce malheur, je souhaite d’être accablé toujours de ces mêmes maux, puisqu’étant en âge de raison, & instruit des maximes de la sagesse, je n’ai pu me résoudre à souffrir la faim & la soif, à mépriser la gloire, & à porter une longue barbe.

» Je vous enverrai provision de pois, après que vous aurez fait l’Hercule devant les enfans ; parce qu’on dit que vous ne vous faites pas de peine d’en parler dans vos discours & dans vos écrits. Mais, si quelqu’un se mêloit de parler de pois devant Denys, je crois que ce seroit pécher contre les lois de la tyrannie. Du reste, je vous permets d’aller vous entretenir avec Simon le corroyeur, parce que je sais que vous n’estimez personne plus sage que lui : pour moi qui dépends des autres, il ne m’est pas trop permis de vivre en intimité, ni de converser familierement avec des artisans de ce mérite ».

La seconde lettre d’Aristippe, qui est adressée à Arete sa fille, est d’un tout autre ton. Il l’écrivit peu avant que de mourir selon Léon Allatius ; c’est la trente-septieme de son recueil. La voici :

« Télée m’a remis votre lettre, par laquelle vous me sollicitez de faire diligence pour me rendre à Cyrène, parce que vos affaires ne vont pas bien avec les magistrats, & que la grande modestie de votre mari, & la vie retirée qu’il a toujours menée, le rendent moins propre à avoir soin de ses affaires domestiques. Aussi-tôt que j’ai eu obtenu mon congé de Denys, je me suis mis en voyage pour arriver auprès de vous ; mais je suis tombé malade à Lipara, où les amis de Sonicus prennent de moi tous les soins possibles, avec toute l’amitié qu’on peut desirer quand on est près du tombeau.

» Quant à ce que vous me demandez, quels égards vous devez à mes affranchis, qui déclarent qu’ils n’abandonneront jamais Aristippe tant qu’il leur restera des forces, mais qu’ils le serviront toujours aussi-bien que vous ; vous pouvez avoir une entiere confiance en eux, car ils ont appris de moi à n’être pas faux. Par rapport à ce qui vous regarde personnellement, je vous conseille de vous mettre bien avec vos magistrats, & cet avis vous sera utile, si vous ne desirez pas trop ; vous ne vivrez jamais plus contente, que quand vous mépriserez le superflu ; car ils ne seront pas assez injustes pour vous laisser dans la nécessité.

» Il vous reste deux vergers, qui peuvent vous fournir abondamment de quoi vivre ; & le bien que vous avez en Bernice vous suffiroit, quand vous n’auriez pas d’autre revenu. Ce n’est pas que je vous conseille de négliger les petites choses ; je veux seulement qu’elles ne vous causent ni inquiétude ni tourment d’esprit, qui ne servent de rien, même pour les grands objets. En cas qu’il arrive qu’après ma mort vous souhaitiez de savoir mes sentimens sur l’éducation du jeune Aristippe, rendez-vous à Athènes, & estimez principalement Xantippe & Myrto, qui m’ont souvent prié de vous amener à la célébration des mysteres d’Eléusis ; tandis que vous vivrez agréablement avec elles, laissez les magistrats donner un libre cours à leurs injustices, si vous ne pouvez les en empêcher par votre bonne conduite avec eux. Après tout, ils ne peuvent vous faire tort par rapport à votre fin naturelle.

» Tâchez de vous conduire avec Xantippe & Myrto comme je faisois autrefois avec Socrate : conformez-vous à leurs manieres ; l’orgueil seroit mal placé là. Si Tyroclès, fils de Socrate, qui a demeuré avec moi à Mégare, vient à Cyrène, ayez soin de lui, & le traitez comme s’il étoit votre fils. Si vous ne voulez pas allaiter votre fille, à cause de l’embarras que cela vous causeroit, faites venir la fille d’Euboïs, à qui vous avez donné à ma considération le nom de ma mere, & que moi-même j’ai souvent appellée mon amie.

» Prenez soin sur-tout du jeune Aristippe pour qu’il soit digne de nous, & de la Philosophie que je lui laisse en héritage réel ; car le reste de ses biens est exposé aux injustices des magistrats de Cyrène. Vous ne me dites pas du-moins que personne ait entrepris de vous enlever à la Philosophie. Réjouissez-vous, ma chere fille, dans la possession de ce trésor, & procurez-en la jouissance à votre fils, que je souhaiterois qu’il fût déja le mien ; mais étant privé de cette consolation, je meurs dans l’assurance que vous le conduirez sur les pas des gens de bien. Adieu ; ne vous affligez pas à cause de moi ». (D. J.)

Lettres des Modernes, (genre epistol.) nos lettres modernes, bien différentes de celles dont nous venons de parler, peuvent avoir à leur louange le style simple, libre, familier, vif & naturel ; mais elles ne contiennent que de petits faits, de petites nouvelles, & ne peignent que le jargon d’un tems & d’un siecle où la fausse politesse a mis le mensonge par-tout : ce ne sont que frivoles complimens de gens qui veulent se tromper, & qui ne se trompent point : c’est un remplissage d’idées futiles de société, que nous appellons devoirs. Nos lettres roulent rarement sur de grands intérêts, sur de véritables sentimens, sur des épanchemens de confiance d’amis, qui ne se déguisent rien, & qui cherchent à se tout dire ; enfin elles ont presque toutes une espece de monotonie, qui commence & qui finit de même.

Ce n’est pas parmi nous qu’il faut agiter la question de Plutarque, si la lecture d’une lettre peut être différée : ce délai fut fatal à César & à Archias, tyran de Thèbes ; mais nous ne manions point d’assez grandes affaires pour que nous ne puissions remettre sans péril l’ouverture de nos paquets au lendemain.

Quant à nos lettres de correspondance dans les pays étrangers, elles ne regardent presque que des affaires de Commerce ; & cependant en tems de guerre, les ministres qui ont l’intendance des postes, prennent le soin de les décacheter & de les lire avant nous. Les Athéniens, dans de semblables conjonctures, respecterent les lettres que Philippe écrivoit à Olympie ; mais nos politiques ne seroient pas si délicats : les états, disent-ils avec le duc d’Albe, ne se gouvernent point par des scrupules.

Au reste, on peut voir au mot épistolaire, un jugement sur quelques recueils de lettres de nos écrivains célebres ; j’ajouterai seulement qu’on en a publié sous le nom d’Abailard & d’Héloïse, & sous celui d’une religieuse portugaise, qui sont de vives peintures de l’amour. Nous avons encore assez bien réussi dans un nouveau genre de lettres, moitié vers, moitié prose : telle est la lettre dans laquelle Chapelle fait un récit de son voyage de Montpellier, & celle du comte de Pléneuf de celui de Danemark : telles sont quelques lettres d’Hamilton, de Pavillon, de la Fare, de Chaulieu, & sur-tout celles de M. de Voltaire au roi de Prusse.

Lettre de recommandation, (style épist.) c’est le cœur, c’est l’intérêt que nous prenons à quelqu’un, qui dicte ces sortes de lettres ; & c’est ici que Cicéron est encore admirable : si ses autres lettres montrent son esprit & ses talens, celles-ci peignent sa bienfaisance & sa probité. Il parle, il sollicite pour ses amis avec cette chaleur & cette force d’expression dont il étoit si bien le maître, & il apporte toujours quelque raison décisive, ou qui lui est personnelle dans l’affaire & dans le sujet qu’il recommande, au point que finalement son honneur est intéressé dans le succès de la chose qu’il requiert avec tant de vivacité.

Je ne connois dans Horace qu’une seule lettre de recommandation ; c’est celle qu’il écrit à Tibere en 731, pour placer Septimius auprès de lui dans un voyage que ce jeune prince alloit faire à la tête d’une armée pour visiter les provinces d’Orient.

La recommandation eut son effet ; Septimius fut agréé de Tibere, qui lui donna beaucoup de part dans sa bienveillance, & le fit ensuite connoître d’Auguste, dont il gagna bien-tôt l’affection. Une douzaine de lignes d’Horace porterent son ami aussi loin que celui-ci pouvoit porter ses espérances : aussi est-il difficile d’écrire en si peu de mots une lettre de recommandation, où le zele & la retenue se trouvent alliés avec un plus sage tempérament ; le lecteur en jugera : voici cette lettre.

« Septimius est apparamment le seul informé de la part que je puis avoir à votre estime, quand il me conjure, ou plûtôt quand il me force d’oser vous écrire, pour vous le recommander comme un homme digne d’entrer dans la maison d’un prince qui ne veut auprès de lui que d’honnêtes gens. Quand il se persuade que vous m’honorez d’une étroite familiarité, il faut qu’il ait de mon crédit une plus haute idée que je n’en ai moi-même. Je lui ai allégué bien des raisons pour me dispenser de remplir ses desirs ; mais enfin j’ai appréhendé qu’il n’imaginât que la retenue avoit moins de part à mes excuses que la dissimulation & l’intérêt. J’ai donc mieux aimé faire une faute, en prenant une liberté qu’on n’accorde qu’aux courtisans les plus assidus, que de m’attirer le reproche honteux d’avoir manqué aux devoirs de l’amitié. Si vous ne trouvez pas mauvais que j’aye pris cette hardiesse, par déférence aux ordres d’un ami, je vous supplie de recevoir Septimius auprès de vous, & de croire qu’il a toutes les belles qualités qui peuvent lui faire mériter cet honneur ». Epist. tx. l. I.

Je tiens pour des divinités tutélaires ces hommes bien nés, qui s’occupent du soin de procurer la fortune & le bonheur de leurs amis. Il est impossible, au récit de leurs services généreux, de ne pas sentir un plaisir secret, qui s’empare de nos cœurs lors même que nous n’y avons pas le moindre intérêt. On éprouvera sans doute cette sorte d’émotion à la lecture de la lettre suivante, où Pline le jeune recommande un de ses amis à Maxime de la maniere du monde la plus pressante & la plus honnête. L’on voudroit même, après l’avoir lue, que cet aimable écrivain nous eût appris la réussite de sa recommandation, comme nous avons sû le succès de celle d’Horace : voici cette lettre en françois ; c’est la seconde du troisieme livre.

Pline à Maxime. « Je crois être en droit de vous demander pour mes amis ce que je vous offrirois pour les vôtres si j’étois à votre place. Arrianus Maturius tient le premier rang parmi les Altinates. Quand je parle de rangs, je ne les regle pas sur les biens de la fortune dont il est comblé, mais sur la pureté des mœurs, sur la justice, sur l’intégrité, sur la prudence. Ses conseils dirigent mes affaires, & son goût préside à mes études ; il a toute la droiture, toute la sincérité, toute l’intelligence qui se peut desirer. Il m’aime autant que vous m’aimez vous-même, & je ne puis rien dire de plus. Il ne connoît point l’ambition ; il s’est tenu dans l’ordre des chevaliers, quoiqu’aisément il eût pû monter aux plus grandes dignités. Je voudrois de toute mon ame le tirer de l’obscurité où le laisse sa modestie, ayant la plus forte passion de l’élever à quelque poste éminent sans qu’il y pense, sans qu’il le sache, & peut-être même sans qu’il y consente ; mais je veux un poste qui lui fasse beaucoup d’honneur, & lui donne peu d’embarras. C’est une faveur que je vous demande avec vivacité, à la premiere occasion qui s’en présentera : lui & moi nous en aurons une parfaite reconnoissance ; car quoiqu’il ne cherche point ces sortes de graces, il les recevra comme s’il les avoit ambitionnées. Adieu ».

Si quelqu’un connoît de meilleurs modeles de lettres de recommandation dans nos écrits modernes, il peut les ajoûter à cet article.

Lettre géminée, (Art numismat.) les lettres géminées dans les inscriptions & les médailles, marquent toujours deux personnes : c’est ainsi qu’on y trouve COSS. pour les deux consuls, IMPP. pour deux empereurs, AUGG. pour deux Augustes, & ainsi de toute autre médaille ou inscription. Quand il y avoit trois personnes de même rang, on triploit les lettres en cette sorte, IMPPP. AUGGG. & les monétaires avoient sur ce sujet des formules invariables. (D. J.)

Lettres, (Jurisprud.) ce terme, usité dans le droit & dans la pratique de la chancellerie & du palais, a plusieurs significations différentes ; il signifie souvent un acte rédigé par écrit au châtelet de Paris & dans plusieurs autres tribunaux. On dit donner lettres à une partie d’une déclaration faite par son adversaire ; c’est-à-dire lui en donner acte ; ou, pour parler plus clairement, c’est lui donner un écrit authentique, qui constate ce que l’autre partie a dit ou fait.

Quelquefois lettres signifie un contrat.

Lettres d’abréviation d’assises, sont des lettres de chancellerie usitées pour la province d’Anjou, qui dispensent le seigneur de faire continuer ses assises dans sa terre, & lui permettent de les faire tenir dans la ville la plus prochaine par emprunt de territoire. La forme de ces lettres se trouve dans le style de la chancellerie par de Pimont. (A)

Lettres d’abolition, sont des lettres de chancellerie scellées du grand sceau, par lesquelles le roi, par la plénitude de sa puissance, abolit le crime commis par l’impétrant ; sa majesté déclare être bien informée du fait dont il s’agit, sans même qu’il soit énoncé dans les lettres qu’elle entend que le crime soit entierement aboli & éteint, & elle en accorde le pardon, de quelque maniere que le fait soit arrivé, sans que l’impétrant puisse être inquiété à ce sujet.

Lorsque ces lettres sont obtenues avant le jugement, elles lient les mains au juge, & elles effacent le crime de maniere qu’il ne reste aucune note d’infamie, ainsi que l’enseigne Julius Clarus, lib. sentent. tractatu de injuriâ ; au lieu que si elles ne sont obtenues qu’après le jugement, elles ne lavent point l’infamie : c’est en ce sens que l’on dit ordinairement quos princeps absolvit, notat.

L’ordonnance de 1670 porte que les lettres d’abolition seront entérinées si elles sont conformes aux charges.

L’effet de ces sortes de lettres est plus étendu que celui des lettres de rémission ; en ce que celles-ci contiennent toujours la clause, s’il est ainsi qu’il est exposé, au lieu que par les lettres d’abolition, le roi pardonne le crime de quelque maniere qu’il soit arrivé.

Il y a des lettres d’abolition générales qui s’accordent à une province entiere, à une ville, à un corps & à une communauté, & d’autres particulieres qui ne s’accordent qu’à une seule personne.

On ne doit point accorder de lettres d’abolition ni de rémission pour les duels ni pour les assassinats prémédités, tant aux principaux auteurs qu’à leurs complices, ni à ceux qui ont procuré l’évasion des prisonniers détenus pour crime, ni pour rapt de violence, ni à ceux qui ont excédé quelque officier de justice dans ses fonctions.

L’impétrant n’est pas recevable à présenter ses lettres d’abolition qu’il ne soit prisonnier & écroué pendant l’instruction, & jusqu’au jugement définitif ; il doit les présenter comme les autres lettres de grace à l’audience, nue tête & à genoux, & affirmer qu’elles contiennent vérité. Voyez l’ordonnance de 1670, tit. xvj. (A)

Lettres d’acquitpatent. Voyez Acquitpatent.

Lettres d’affranchissement, sont des lettres du grand sceau, par lesquelles le roi, pour des causes particulieres, affranchit & exempte les habitans d’une ville, bourg ou village des tailles, ou autres impositions & contributions auxquelles ils étoient naturellement sujets. (A)

Lettres d’amortissement, sont des lettres du grand sceau, par lesquelles le roi, moyennant une certaine finance, accorde à des gens de mainmorte la permission d’acquérir, ou conserver & posséder des héritages sans qu’ils soient obligés d’en vuider leurs mains, les gens de main morte ne pouvant posséder aucuns héritages sans ces lettres. Voyez Amortissement & Main morte. (A)

Lettres d’amnistie, sont des lettres patentes qui contiennent un pardon général accordé par le roi à des peuples qui ont exercé des actes d’hostilité, ou qui se sont révoltés. (A)

Lettres d’ampliation de rémission, sont des lettres de chancellerie que l’on accorde à celui qui a déja obtenu des lettres de rémission pour un crime, lorsque dans ces premieres il a omis quelque circonstance qui pourroit causer la nullité des premieres lettres. Par les lettres d’ampliation on rappelle ce qui avoit été omis, & le roi ordonne que les premieres lettres ayent leur effet, nonobstant les circonstances qui avoient été oubliées. (A)

Lettres d’annoblissement, ou Lettres de noblesse, sont des lettres du grand sceau, par lesquelles le roi, de sa grace spéciale, annoblit un roturier & toute sa postérité, à l’effet de jouir par l’impétrant & ses descendans, des droits, priviléges, exemptions & prérogatives des nobles.

Ces sortes de lettres sont expédiées par un secrétaire d’état, & scellées de cire verte.

Elles doivent être registrées au parlement, à la chambre des comptes & à la cour des aydes. Voyez Noblesse. (A)

Lettres d’anticipation, sont des lettres du petit sceau, qui portent commandement au premier huissier ou sergent d’ajourner ou anticiper l’appellant sur son appel. Voyez Anticipation & Anticiper. (A)

Lettres d’appel, qu’on appelle plus communément relief d’appel, sont des lettres de petit sceau, portant mandement au premier huissier ou sergent sur ce requis, d’ajourner à certain & compétent jour en la cour un tel, pour procéder sur l’appel que l’impétrant a interjetté ou qu’il interjette par lesdites lettres, de la sentence rendue avec celui qu’il fait ajourner pour procéder sur son appel. Voyez Appel & relief d’appel. (A)

Lettres apostoliques sont les lettres des papes ; on les appelle plus communément depuis plusieurs siecles, rescrits, bulles, brefs. Voyez Brefs, Bulles, Decrétales, Rescrits. (A)

Lettres d’appel comme d’abus, sont des lettres du petit sceau, qui portent commandement au premier huissier ou sergent d’assigner au parlement sur un appel comme d’abus. Elles doivent être libellées & contenir sommairement les moyens d’abus, avec le nom des trois avocats qui ont donné leur consultation pour interjetter cet appel, & la consultation doit être attachée aux lettres. Voyez Abus & Appel comme d’abus. (A)

Lettres pour articuler faits nouveaux. Avant l’ordonnance de 1667 l’on ne recevoit point de faits nouveaux, soit d’un appellant en cause d’appel, ou en premiere instance, sans lettres royaux, comme en fait de rescision & restitution en entier ; mais par l’art. XXVI. du tit. xj. de l’ordonnance de 1667, il est dit qu’il ne sera expédié à l’avenir aucunes lettres pour articuler nouveaux faits, mais que les faits seront posés par une simple requête, qui sera signifiée & jointe au procès, sauf au défendeur à y répondre par une autre requête. (A)

Lettres d’assiette, sont des lettres de chancellerie, qui ordonnent aux trésoriers de France d’asseoir & imposer sur chaque habitant la part qu’il doit supporter d’une somme qui est dûe par la communauté. On leve de cette maniere les dépenses faites pour la communauté, pour des réparations & autres dépenses publiques, & les condamnations de dépens, dommages & intérêts obtenues contre une communauté d’habitans.

Les commissaires départis par le roi dans les provinces, peuvent, en vertu de leur ordonnance seule, faire l’assiette des sommes qui n’excedent pas 150 liv. mais au-dessus de cette somme, il faut des lettres de chancellerie, ou un arrêt du conseil pour faire l’assiette. (A)

Lettres d’attache sont des lettres qui sont jointes & attachées à d’autres pour les faire mettre à exécution. Ces lettres sont de plusieurs sortes.

Il y en a qui émanent du Roi, telles que les lettres d’attache que l’on obtient en grande chancellerie pour pouvoir mettre à exécution dans le royaume des bulles du pape, ou quelque ordonnance d’un chef d’ordre établi dans le royaume, sans quoi ces lettres n’auroient point d’effets.

On comprend aussi quelquefois sous les termes généraux de lettres d’attache, les lettres de pareatis qui s’obtiennent, soit en la grande ou en la petite chancellerie, pour pouvoir mettre à exécution un jugement dans l’étendue d’une autre jurisdiction que celle où il a été rendu.

Les commissions que les cours & autres tribunaux font expédier sous leur sceau pour l’exécution de quelques ordonnances ou arrêts, ou autres jugemens, sont aussi considérées comme des lettres d’attache.

Enfin, on regarde encore comme des lettres d’attache les ordonnances que donne un gouverneur de province, ou à son défaut le lieutenant de roi, ou le commandant pour faire mettre à exécution les ordres du Roi qui lui sont présentés. (A)

Lettres d’Attribution sont des lettres patentes du grand sceau qui attribuent à un tribunal la connoissance de certaines contestations qui, sans ces lettres, auroient dû être portées devant d’autres juges.

On appelle aussi lettres d’attribution de jurisdiction des lettres du petit sceau, qui s’obtiennent par un poursuivant criées, lorsqu’il y a des héritages saisis réellement, situés en différentes jurisdictions du ressort d’un même parlement. Ces lettres, dont l’objet est d’éviter à frais, s’accordent après que les criées des biens saisis ont été vérifiées par les juges des lieux. Elles autorisent le juge du lieu où la plus grande partie des héritages est située, à procéder à la vente & adjudication par decret de la totalité des biens saisis. Voyez Criées, Decret, Saisie réelle. (A)

Lettres avocatoires sont une ordonnance par laquelle le souverain d’un état rappelle les naturels du pays de chez l’étranger où ils servent. Voyez le traité du droit de la nature par Puffendorf, tome III. liv. VIII. ch. xj. p. 437. (A)

Lettres de Baccalauréat sont des lettres expédiées par le greffier d’une des facultés d’une université, qui attestent que celui auquel ces lettres ont été accordées, après avoir soutenu les actes probatoires nécessaires, a été décoré du grade de Bachelier dans cette faculté. Voy. Bachelier, Docteur, Licentié, Lettres de licence. (A)

Lettres de bénéfice d’age ou d’Emancipation, sont des lettres du petit sceau que l’on accorde à un mineur qui demande à être émancipé, elles sont adressées au juge ordinaire du domicile, auquel elles enjoignent de permettre à l’impétrant de jouir de ses meubles & du revenu de ses immeubles.

Ces lettres n’ont point d’effet qu’elles ne soient entérinées par le juge, lequel ne procede à cet entérinement que sur un avis des parens & amis du mineur, au cas qu’ils estiment le mineur capable de gouverner ses biens.

On n’accorde guere ces lettres qu’à des mineurs qui ont atteint la pleine puberté ; cependant on en accorde quelquefois plûtôt, cela dépend des circonstances & de la capacité du mineur. Voyez Emancipation. (A)

Lettres de bénéfice d’inventaire, sont des lettres du petit sceau par lesquelles le roi permet à un héritier présomptif de se porter héritier par bénéfice d’inventaire, à l’effet de ne point confondre ses créances, & de n’être tenu des dettes que jusqu’à concurrence de ce qu’il amende de la succession.

Ces lettres se peuvent obtenir en tout tems, même jusqu’à l’expiration des trente années depuis l’ouverture de la succession, pourvû qu’on n’ait point fait acte d’héritier pur & simple ; & si c’est un collatéral, il faut qu’il n’y ait point d’autre héritier.

En pays de droit écrit, il n’est pas besoin de lettres pour jouir du bénéfice d’inventaire. Voyez Bénéfice d’inventaire, Héritier bénéficiaire & Inventaire. (A)

Lettres de Bourgeoisie ; c’étoit un acte dressé par le juge royal ou seigneurial par lequel un particulier non noble, non clerc & non bâtard, qui vouloit jouir des privileges accordés aux personnes libres & de franche condition, étoit reconnu pour bourgeois du roi ou d’un autre seigneur, selon qu’il s’adressoit pour cet effet à l’un ou à l’autre.

L’ordonnance de Philippe le Bel donnée au parlement, de la pentecôte 1287, touchant les bourgeoisies, explique ainsi la forme d’obtenir les lettres de bourgeoisie. Quand aucun vouloit entrer en aucune bourgeoisie, il devoit aller au lieu dont il requiéroit être bourgeois, & devoit venir au prevôt du lieu ou à son lieutenant ou au maire des lieux qui reçoivent des bourgeois sans prevôt, & dire à cet officier : « Sire, je vous requiere la bourgeoisie de cette ville, & suis appareillé de faire ce que je dois ». Alors le prevôt ou le maire ou leur lieutenant, en la présence de deux ou de trois bourgeois de la ville, du nom desquels les lettres devoient faire mention, recevoit sûreté de l’entrée de la bourgeoisie, & que le (récipiendaire) feroit ou acheteroit, pour raison de la bourgeoisie, une maison dans l’an & jour de la valeur de 60 sols parisis au moins. Cela fait & registré, le prevôt ou le maire donnoit à l’impétrant un sergent pour aller avec lui par devers le seigneur sous lequel il étoit départi, ou devant son lieutenant, pour lui faire savoir que l’impétrant étoit entré en la bourgeoisie de telle ville à tel jour & en tel an, ainsi qu’il étoit contenu dans les lettres de bourgeoisie. (A)

Lettres de cachet, appellées aussi autrefois lettres closes ou clauses, lettres du petit cachet ou du petit signet du roi, sont des lettres émanées du souverain, signées de lui, & contresignées d’un secrétaire d’état, écrites sur simple papier, & pliées de maniere qu’on ne peut les lire sans rompre le cachet dont elles sont fermées ; à la différence des lettres appellées lettres patentes qui sont toutes ouvertes, n’ayant qu’un seul repli au-dessous de l’écriture, qui n’empêchent point de lire ce qu’elles contiennent.

On n’appelle pas lettres de cachet toutes les lettres missives que le prince écrit selon les occasions, mais seulement celles qui contiennent quelque ordre, commandement ou avis de la part du prince.

La lettre commence par le nom de celui ou ceux auxquels elle s’adresse, par exemple : Monsieur *** (ensuite sont le nom & les qualités) je vous fais cette lettre pour vous dire que ma volonté est que vous fassiez telle chose dans tel tems, si n’y faites faute. Sur ce, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte & digne garde.

La suscription de la lettre est à celui ou ceux à qui ou auxquels la lettre est adressée.

Ces sortes de lettres sont portées à leur destination par quelque officier de police, ou même par quelque personne qualifiée, selon les personnes auxquelles la lettre s’adresse.

Celui qui est chargé de remettre la lettre fait une espece de procès-verbal de l’exécution de sa commission, en tête duquel la lettre est transcrite ; & au bas, il fait donner à celui qui l’a reçûe une reconnoissance comme elle lui a été remise ; ou s’il ne trouve personne, il fait mention des perquisitions qu’il a faites.

L’objet des lettres de cachet est souvent d’envoyer quelqu’un en exil, ou pour le faire enlever & constituer prisonnier, ou pour enjoindre à certains corps politiques de s’assembler & de faire quelque chose, ou au contraire pour leur enjoindre de délibérer sur certaine matiere. Ces sortes de lettres ont aussi souvent pour objet l’ordre qui doit être regardé dans certaines cérémonies, comme pour le te Deum, processions solemnelles, &c.

Le plus ancien exemple que l’on trouve des lettres de cachet, entant qu’on les emploie pour exiler quelqu’un, est l’ordre qui fut donné par Thierry ou par Brunehaut contre S. Colomban pour le faire sortir de son monastere de Luxeuil, & l’exiler dans un autre lieu pour y demeurer jusqu’à nouvel ordre, quoadusque regalis sententia quod voluisset decerneret. Le saint y fut conduit de force, ne voulant pas y déférer autrement ; mais aussi-tôt que les gardes furent retirés, il revint à son monastere : sur quoi il y eut de nouveaux ordres adressés au comte juge du lieu.

Nos rois sont depuis fort long-tems dans l’usage de se servir de différens sceaux ou cachets selon les lettres qu’ils veulent sceller.

On tient communément que Louis le jeune fut le premier qui, outre le grand sceau royal dont on scelloit dès-lors toutes les lettres patentes, eut un autre scel plus petit, appellé scel du secret, dont il scelloit certaines lettres particulieres qui n’étoient point publiques, comme les lettres patentes. Les lettres scellées de ce scel secret, étoient appellées lettres closes ou encloses dudit scel : il est parlé de ces lettres closes dans des lettres de Charles V. alors lieutenant du roi Jean son pere, du 10 Avril 1357. Ce scel secret étoit porté par le grand chambellan, & l’on s’en servoit en l’absence du grand sceau pour sceller les lettres patentes.

Il y eut même un tems où l’on ne devoit apposer le grand sceau à aucunes lettres patentes qu’elles n’eussent été envoyées au chancelier étant closes de ce scel secret, comme il est dit dans une ordonnance de Philippe V. du 16 Novembre 1318. Ce scel secret s’apposoit aussi au revers du grand scel, d’où il fut appellé contre-scel, & de-là est venu l’usage des contre-sceaux que l’on appose présentement à la gauche du grand scel ; mais Charles V. dont on a déja parlé, étant régent du royaume, fit le 14 Mai 1358 une ordonnance portant entre autres choses, que plusieurs lettres patentes avoient été au tems passé scellées du scel secret, sans qu’elles eussent été vûes ni examinées en la chancellerie, il ordonna en conséquence que dorênavant nulles lettres patentes ne seroient scellées pour quelconque cause de ce scel secret, mais seulement les lettres closes. Voyez ordonnances royaux, tome, &c. Ce même prince, étant encore régent du royaume, fit une autre ordonnance le 27 Janvier 1359, portant que l’on ne scelleroit nulles lettres ou cédules ouvertes du scel secret, à moins que ce ne fussent des lettres très-hatives touchant Monsieur ou Nous, & en l’absence du grand scel & du scel du châtelot & non autrement, ni en autre cas ; & que si quelques-unes étoient scellées autrement, l’on n’y obéiroit pas.

Le roi Jean donna, le 3 Novembre 1361, des lettres ou mandement pour faire exécuter les ordonnances qui avoient fixé le prix des monnoies. Lettres scellées du grand scel du roi furent envoyées à tous les baillifs & sénéchaux, dans une boîte scellée du contre-scel du châtelet de Paris, avec des lettres closes du 6 du même mois, scellées du scel secret du roi, par lesquelles il leur étoit ordonné de n’ouvrir la boîte que le 15 Novembre, & de ne publier que ce jour-là les lettres qu’ils y trouveroient. La forme de ces lettres closes étoit telle :

De par le Roi..... bailli de ..... nous vous envoyons certaines lettres ouvertes scellées de notre grand scel, encloses en une boîte scellée du contre scel de la prevôté de Paris : si vous mandons que le contenu d’icelles vous fassiez tenir & garder plus diligemment que vous n’avez fait au tems passé, & bien vous gardez que icelle boîte ne soit ouverte, & que lesdites lettres vous ne véez jusqu’au quinzieme jour de ce présent mois de Novembre, auquel jour nous voulons que le contenu d’icelles vous fassiez crier & publier par tout votre bailliage & ressort d’icelui, & non avant. Si gardez si cher comme vous doutez encourre en notre indignation que de ce faire n’ait aucun défaut. Donné à Paris le 6 Novembre 1361. Ainsi signé Collors.

Il y avoit pourtant dès-lors outre le scel secret un autre cachet ou petit cachet du roi, qui est celui dont ces sortes de lettres sont présentement fermées ; c’est pourquoi on les a appellées lettres de cachet ou de petit cachet. Ce cachet du roi étoit autrefois appellé le petit signet : le roi le portoit sur soi, à la différence du scel secret, qui étoit porté par un des chambellans. Le roi appliquoit quelquefois ce petit signet aux lettres-patentes, pour faire connoître qu’elles étoient scellées de sa volonté. C’est ce que l’on voit dans des lettres de Philippe VI. du 16 Juin 1349, adressées à la chambre des comptes, à la fin desquelles il est dit : & ce voulons être tenu & gardé.... sans rien faire au contraire pour quelconques prieres que ce soit, ne par lettres se notre petit signet que nous portons n’y étoit plaqué & apparent. On trouve dans les ordonnances de la troisieme race deux lettres closes ou de cachet, du 19 Juillet 1367, l’une adressée au parlement, l’autre aux avocat & procureur général du roi pour l’exécution de lettres patentes du même mois. Ces lettres de cachet qui sont visées dans d’autres lettres patentes du 27 du même mois, sont dites signées de la propre main du roi, sub signeto annuli nostri secreto. Ainsi le petit signet ou cachet, ou petit cachet du roi, étoit alors l’anneau qu’il portoit à son doigt.

L’ordonnance de Charles V. du dernier Février 1378, porte que le roi aura un signet pour mettre ès-lettres, sans lequel nul denier du domaine ne sera payé.

Il est aussi ordonné que les assignations d’arrérages, dons, transports, aliénations, changemens de terre, ventes & compositions de ventes à tems, à vie, à héritage ou à volonté, seront signées de ce signet, & autrement n’auront point d’effet.

Que les gages des gens des comptes seront renouvellés par chacun an par mandement & lettres du roi, signées de ce signet, & ainsi seront payés & non autrement.

Les lettres que le roi adresse à ses cours concernant l’administration de la justice, sont toûjours des lettres patentes & non des lettres closes ou de cachet, parce que ce qui a rapport à la justice, doit être public & connu de tous, & doit porter la marque la plus authentique & la plus solemnelle de l’autorité du roi.

Dutillet, en son recueil des ord. des rois de France, part. I. p. 416. parle d’une ordonnance de Philippe-le-Long, alors régent du royaume, faite à S. Germain-en-Laie au mois de Juin 1316. (cette ordonnance ne se trouve pourtant pas dans le recueil de celles de la troisieme race) après avoir rapporté ce qui est dit par cette ordonnance sur l’ordre que l’on devoit observer pour l’expédition, signature, & sceau des lettres de justice : il dit que « de cette ordonnance est tirée la maxime reçue, qu’en fait de justice on n’a regard à lettres missives, & que le grand scel du roi y est nécessaire non sans grande raison ; car les chanceliers de France & maîtres des requêtes sont institues à la suite du roi, pour avoir le premier œil à la justice de laquelle le roi est débiteur ; & l’autre œil est aux officiers ordonnés par les provinces pour l’administration de ladite justice mêmement souveraine, & faut pour en acquitter la conscience du roi & des officiers de ladite justice, tant près la personne dudit roi, que par ses provinces, qu’ils y apportent tous une volonté conforme à l’intégrité de ladite justice, sans contention d’autorité, ne passion particuliere qui engendrent injustice, provoquent & attirent l’ire de Dieu sur l’universel. Ladite ordonnance, ajoute du Tillet, étoit sainte ; & par icelle les rois ont montré la crainte qu’ils avoient qu’aucune injustice se fît en leur royaume, y mettant l’ordre susdit pour se garder de surprise en cet endroit, qui est leur principale charge ».

Il y a même plusieurs ordonnances qui ont expressément défendu à tous juges d’avoir aucun égard aux lettres closes ou de cachet qui seroient accordées sur le fait de la justice.

La premiere est l’ordonnance d’Orléans, art. 3.

La seconde est l’ordonnance de Blois, art. 281.

La troisieme est l’ordonnance de Moulins, qui est encore plus générale & plus précise sur ce sujet ; sur quoi on peut voir dans Néron les remarques tirées de M. Pardoux du Prat, savoir que pour le fait de la justice, les lettres doivent absolument être patentes, & que l’on ne doit avoir en cela aucun égard aux lettres closes. Voyez aussi Theveneau, lib. III. tit. 15. article 2.

On trouve néanmoins quelques lettres de cachet registrées au parlement ; mais il s’agissoit de lettres qui ne contenoient que des ordres particuliers & non de nouveaux réglemens. On peut mettre dans cette classe celle d’Henri II. du 3 Décembre 1551, qui fut registrée au parlement le lendemain, & dont il est fait mention dans le traité de la police, tome I. livre I. chap. ij. page 133. col. premiere. Le roi dit dans cette lettre, qu’ayant fait examiner en son conseil les ordonnances sur le fait de la police, il n’avoit rien trouvé à y ajouter ; il mande au parlement d’y tenir la main, &c.

La déclaration du roi, du 24 Février 1673, porte que les ordonnances, édits, déclarations, & lettres patentes, concernant les affaires publiques, soit de justice ou de finances, émanées de la seule autorité & propre mouvement du roi, sans parties qui seront envoyées à son procureur général avec ses lettres de cachet portant ses ordres pour l’enregistrement, seront présentées par le procureur général en l’assemblée des chambres avec lesdites lettres de cachet.

Lorsqu’un homme est détenu prisonnier en vertu d’une lettre de cachet, on ne reçoit point les recommandations que ses créanciers voudroient faire, & il ne peut être retenu en prison en vertu de telles recommandations. (A)

Lettres canoniques, étoient la même chose que les lettres commendatices ou pacifiques. Voyez ci-après ces deux articles. (A)

Lettres de Cession, sont celles qu’un débiteur obtient en chancellerie pour être reçu à faire cession & abandonnement de biens à ses créanciers ; & par ce moyen se mettre à couvert de leurs poursuites. Voyez Abandonnement, Bénéfice de cession, Cession. (A)

Lettres de Chancellerie, qu’on appelle aussi lettres royaux, sont toutes les lettres émanées du souverain, & qui s’expédient en la chancellerie en France : il y en a de plusieurs sortes ; les unes qui s’expédient en la grande chancellerie de France, & que l’on appelle par cette raison lettres de grande chancellerie, ou lettres du grand sceau ; les autres qu’on appelle lettres de petite chancellerie, ou du petit sceau, lesquelles s’expédient dans les chancelleries établies près les cours ou près des présidiaux.

Toutes les lettres de grande ou de petite chancellerie, sont de justice ou de grace. Elles sont réputées surannées un an après la date de leur expédition. Voyez Surannation. (A)

Lettre de Change, est une espece de mandement qu’un banquier, marchand ou négociant donne à quelqu’un pour faire payer dans une autre ville à celui qui sera porteur de ce mandement la somme qui y est exprimée.

Pour former une lettre de change, il faut que trois choses concourent.

1°. Que le change soit réel & effectif, c’est-à-dire, que la lettre soit tirée d’une place pour être payée dans une autre. Ainsi une lettre tirée de Paris sur Paris, n’est qu’un mandement ordinaire & non une véritable lettre de change.

2°. Il faut que le tireur, c’est-à-dire celui qui donne cette lettre, ait une somme pareille à celle qu’il reçoit entre les mains de la personne sur laquelle il tire ce mandement, ou bien qu’il le tire sur son crédit ; autrement ce ne seroit qu’un simple mandement ou rescription.

3°. Il faut que la lettre de change soit faite dans la forme prescite par l’article premier, du tit. V. de l’ordonnance du mois de Mars 1673, qu’elle porte valeur reçue soit en deniers, marchandises, ou autres effets. C’est ce qui distingue les lettres de change des billets de change qui ne sont point pour valeur fournie en deniers, marchandises, ou autres effets, mais pour lettres de change fournies ou à fournir.

La forme la plus ordinaire d’une lettre de change est telle.

« A Paris, ce premier Janvier 1756.
» Monsieur,

» A vue il vous plaira payer par cette premiere de change à M. Siméon ou à son ordre, la somme de deux mille livres, valeur reçue comptant dudit sieur, ou d’un autre dont on exprime le nom, & mettez à compte, comme par l’avis, &c. »

A Monsieur Hilaire,
à Lyon.
Votre très-humble
serviteur, Lucien.

Le contrat qui se forme par ces lettres entre les différentes personnes qui y ont part, n’a pas été connu des anciens ; car ce qui est dit au digeste de eo quod certo loco dari oportet, & dans plusieurs lois au sujet de ceux que l’on appelloit numularii, argentarii, & trapesitæ, n’a point de rapport avec le change de place en place par lettres, tel qu’il se pratique présentement.

Les anciens ne connoissoient d’autre change que celui d’une monnoie contre une autre ; ils ignoroient l’usage de changer de l’argent contre des lettres.

On est fort incertain du tems où cette maniere de commercer a commencé, aussi-bien que de ceux qui en ont été les inventeurs.

Quelques auteurs, tels que Giovan, Villani, en son histoire universelle, & Savary dans son parfait négociant, attribuent l’invention des lettres de change aux Juifs qui furent bannis du royaume.

Sous le regne de Dagobert I. en 640, sous Philippe Auguste, en 1181, & sous Philippe le Long, en 1316, ils tiennent que ces Juifs s’étant retirés en Lombardie, pour y toucher l’argent qu’ils avoient déposé en sortant de France entre les mains de leurs amis, ils se servirent de l’entremise des voyageurs & marchands étrangers qui venoient en France, auxquels ils donnerent des lettres en style concis, à l’effet de toucher ces deniers.

Cette opinion est réfutée par de la Serra, tant parce qu’elle laisse dans l’incertitude de savoir si l’usage des lettres de change a été inventé dès l’an 640, ou seulement en 1316, ce qui fait une différence de plus de 600 ans, qu’à cause que le bannissement des Juifs étant la punition de leurs rapines & de leurs malversations, leur ayant attiré la haine publique, cet auteur ne présume pas que quelqu’un voulût se charger de leur argent en dépôt, les assister & avoir commerce avec eux, au préjudice des défenses portées par les ordonnances.

Il est cependant difficile de penser que les Juifs n’ayent pas pris des mesures pour recupérer en Lombardie la valeur de leurs biens ; ce qui ne se pouvoit faire que par le moyen des lettres de change. Ainsi il y a assez d’apparence qu’ils en furent les premiers inventeurs.

Les Italiens Lombards qui commerçoient en France, ayant trouvé cette invention propre à couvrir leurs usures, introduisirent aussi en France l’usage des lettres de change.

De Rubys, en son histoire de la ville de Lyon, page 289, attribue cette invention aux Florentins spécialement, lesquels, dit-il, ayant été chassés de leur pays par les Gibelins, se retirerent en France, où ils commencerent, selon lui, le commerce des lettres de change, pour tirer de leur pays, soit le principal, soit le revenu de leurs biens. Cette opinion est même celle qui paroît la plus probable à de la Serra, auteur du traité des lettres de change.

Il est à croire que cet usage commença dans la ville de Lyon, qui est la ville de commerce la plus proche de l’Italie : & en effet, la place où les marchands s’assemblent dans cette ville pour y faire leurs négociations de lettres de change, & autres semblables, s’appelle encore la place du change.

Les Gibelins chassés d’Italie par la faction des Guelphes, s’étant retirés à Amsterdam, se servirent aussi de la voie des lettres de change pour retirer les effets qu’ils avoient en Italie ; ils établirent donc à Amsterdam le commerce des lettres de change, qu’ils appellerent polizza di cambio. Ce furent eux pareillement qui inventerent le rechange, quand les lettres qui leur étoient fournies revenoient à protêt, prenant ce droit par forme de dommages & intérêts. La place des marchands à Amsterdam, est encore appellée aujourd’hui la place Lombarde, à cause que les Gibelins s’assembloient en ce lieu pour y exercer le change : les négocians d’Amsterdam répandirent dans toute l’Europe le commerce des lettres de change par le moyen de leurs correspondans, & particulierement en France.

Ainsi les Juifs retirés en Lombardie, ont probablement inventé l’usage des lettres de change, & les Italiens & négocians d’Amsterdam en ont établi l’usage en France.

Ce qui est de certain, c’est que les Italiens & particulierement les Génois & les Florentins étoient dans l’habitude, dès le commencement du xiij. siecle, de commercer en France, & de fréquenter les foires de Champagne & de Lyon, tellement que Philippe le bel fit en 1294 une convention avec le capitaine & les corps de ces marchands & changeurs italiens, contenant que de toutes les marchandises qu’ils acheteroient & vendroient dans les foires & ailleurs, il seroit payé au roi un denier par le vendeur & un par l’acheteur ; & que pour chaque livre de petits tournois, à quoi monteroient les contrats de change qu’ils feroient dans les foires de Champagne & de Brie, & dans les villes de Paris & de Nismes, ils payeroient une pite. Cette convention fut confirmée par les rois Louis Hutin, Philippe de Valois, Charles V. & Charles VI.

On voit aussi que dès le commencement du xiv. siecle il s’étoit introduit dans le royaume beaucoup de florins, qui étoient la monnoie de Florence ; ce qui provenoit, sans doute, du commerce que les florentins & autres italiens faisoient dans le royaume.

Mais comme il n’étoit pas facile aux florentins & autres italiens de transporter de l’argent en France pour payer les marchandises qu’ils y achetoient, ni aux françois d’en envoyer en Italie pour payer les marchandises qu’ils tiroient d’Italie, ce fut ce qui donna lieu aux florentins, à autres italiens d’inventer les lettres de change, par le moyen desquelles on fit tenir de l’argent d’un lieu dans un autre sans le transporter.

Les anciennes ordonnances font bien quelque mention de lettres de change, mais elles n’entendent par là que les lettres que le roi accordoit à certaines personnes pour tenir publiquement le change des monnoies ; & dans les lettres-patentes de Philippe de Valois, du 6 Août 1349, concernant les privileges des foires de Brie & de Champagne, ce qui est dit des lettres passées dans ces foires ne doit s’entendre que des obligations & contrats qui étoient passés sous le scel de ces foires, soit pour prêt d’argent, soit pour vente de marchandises, mais on n’y trouve rien qui dénote qu’il fût question de lettres tirées de place en place, qui est ce qui caractérise essentiellement les lettres de change.

La plus ancienne ordonnance que j’aie trouvé où il soit véritablement parlé de ces sortes de lettres, c’est l’édit du roi Louis XI. du mois de Mars 1462, portant confirmation des foires de Lyon. L’article 7 ordonne que comme dans les foires les marchands ont accoutumé user de changes, arriere-changes & intérêts, toutes personnes, de quelqu’état, nation ou condition qu’ils soient, puissent donner, prendre & remettre leur argent par lettres de change, en quelque pays que ce soit, touchant le fait de marchandise, excepté la nation d’Angleterre, &c.

L’article suivant ajoute que si à l’occasion de quelques lettres touchant les changes faits ès foires de Lyon pour payer & rendre argent autre part ou des lettres qui seroient faites ailleurs pour rendre de l’argent auxdites foires de Lyon, lequel argent ne seroit pas payé selon lesdites lettres, en faisant aucune protestation ainsi qu’ont accoutumé de faire les marchands fréquentant les foires, tant dans le royaume qu’ailleurs, qu’en ce cas ceux qui seront tenus de payer ledit argent tant pour le principal que pour les dommages & intérêts, y seront contraints, tant à à cause des changes, arriere changes, qu’autrement, ainsi qu’on a coutume de faire ès foires de Pezenas, Montignac, Bourges, Genève, & autres foires du royaume.

On voit par ces dispositions que les lettres de change tirées de place en place étoient déja en usage, non seulement à Lyon, mais aussi dans les autres foires & ailleurs.

La jurisdiction consulaire de Toulouse, établie en 1549, celle de Paris établie en 1563, & les autres qui ont été ensuite établies dans plusieurs autres villes du royaume, ont entr’autres choses pour objet de connoître du fait des lettres de change entre marchands.

L’ordonnance de 1673 pour le Commerce, est la premiere qui ait établi des regles fixes & invariables pour l’usage des lettres de change ; c’est ce qui fait l’objet du titre V, intitulé des lettres & billets de change & des promesses d’en fournir ; & du titre 6, des intérêts du change & rechange.

L’usage des lettres de change n’a d’abord été introduit que parmi les marchands, banquiers & négocians, pour la facilité du Commerce qu’ils font, soit avec les provinces, soit dans les pays étrangers. Il a été ensuite étendu aux receveurs des tailles, receveurs généraux des finances, fermiers du roi, traitans, & autres gens d’affaire & de finance, à cause du rapport qu’il y a entr’eux & les marchands & négocians pour retirer des provinces les deniers de leur recette, au lieu de les faire voiturer ; & comme ces sortes de personnes négocient leur argent & leurs lettres de change, ils deviennent à cet égard justiciables de la jurisdiction consulaire.

Les personnes d’une autre profession qui tirent, endossent ou acceptent des lettres de change, deviennent pareillement justiciables de la jurisdiction consulaire, & même soumis à la contrainte par corps ; c’est pourquoi il ne convient point à ceux qui ont des bienséances à garder dans leur état, de tirer, endosser ou accepter des lettres de change ; mais toutes sortes de personnes peuvent sans aucun inconvénient être porteurs d’une lettre de change tirée à leur profit.

Les ecclésiastiques ne peuvent se mêler du commerce des lettres de change : les lettres qu’ils adressent à leurs fermiers ou receveurs ne sont que de simples rescriptions ou mandemens qui n’emportent point de contrainte par corps, quoique ces mandemens aient été négociés.

Il se forme, par le moyen d’une lettre de change un contrat entre le tireur & celui qui donne la valeur ; le tireur s’oblige de faire payer le montant de la lettre de change.

Il entre même dans ce contrat jusqu’à quatre personnes ou du-moins trois, savoir celui qui en fournit la valeur, le tireur, celui sur qui la lettre de change est tirée & qui doit l’acquittement, & celui à qui elle est payable ; mais ces deux derniers ne contractent aucune obligation envers le tireur, & n’entrent dans le contrat que pour l’exécution, quoique suivant les cas ils puissent avoir des actions pour l’exécution de la convention.

Le contrat qui se forme par le moyen d’une lettre de change n’est point un prêt, c’est un contrat du droit des gens & de bonne foi, un contrat nommé contrat de change : c’est une espece d’achat & vente de même que les cessions & transports, car celui qui tire la lettre de change, vend, cede & transporte la créance qu’il a sur celui qui la doit payer.

Ce contrat est parfait par le seul consentement, comme l’achat & la vente ; tellement que lorsqu’on traite d’un change pour quelque payement ou foire dont l’échéance est éloignée, il peut arriver que l’on ne délivre pas pour lors la lettre de change ; mais pour la preuve de la convention, il faut qu’il y ait un billet portant promesse de fournir la lettre de change, ce billet est ce que l’on appelle billet de change, lequel, comme l’on voit, est totalement différent de la lettre même ; & si la valeur de la lettre de change n’a pas non plus été fournie, le billet de change doit être fait double, afin de pouvoir prouver respectivement le consentement.

Les termes ou échanges des payemens des lettres de change, sont de cinq sortes.

La premiere est des lettres payables à vûe ou à volonté : celles-ci doivent être payées aussi-tôt qu’elles sont présentées.

La seconde est des lettres payables à tant de jours de vûe : en ce cas le délai ne commence à courir que du jour que la lettre a été présentée.

La troisieme est des lettres payables à tant de jours d’un tel mois, & alors l’échéance est déterminée par la lettre même.

La quatrieme est à une ou plusieurs usances, qui est un terme déterminé par l’usage du lieu où la lettre de change doit être payée, & qui commence à courir ou du jour de la date de la lettre de change ou du jour de l’acceptation, il est plus long ou plus court, suivant l’usage de chaque place. En France les usances sont fixées à trente jours par l’ordonnance du Commerce, titre V, ce qui a toujours lieu, encore que les mois ayent plus ou moins de trente jours ; mais dans les places étrangeres il y a beaucoup de diversité. A Londres, par exemple, l’usance des lettres de France est du mois de la date ; en Espagne deux mois ; à Venise, Gènes & Livourne trois mois, & ainsi des autres pays : on peut voir à ce sujet le parfait négociant de Savary.

La cinquieme espece de terme pour les lettres de change est en payemens ou aux foires, ce qui n’a lieu que pour les places où il y a des foires établies, comme à Lyon, Francfort & autres endroits, & ce tems est déterminé par les réglemens & statuts de ces foires.

Les lettres de change doivent contenir sommairement le nom de ceux auxquels le contenu doit en être payé, le tems du payement, le nom de celui qui en a donné la valeur, & expliquer si cette valeur a été fournie en deniers, marchandises ou autres effets.

Toutes lettres de change doivent être acceptées par écrit purement & simplement ; les acceptations verbales & celles qui se faisoient en ces termes, vû sans accepter, ou accepté pour répondre à tems, & toutes autres acceptations sous conditions, ont été abrogées par l’ordonnance du Commerce, & passent présentement pour des refus en conséquence desquels on peut faire protester les lettres.

En cas de protest d’une lettre de change, elle peut être acquittée par tout autre que celui sur qui elle a été tirée, & au moyen du payement il demeurera subrogé en tous les droits du porteur de la lettre, quoiqu’il n’en ait point de transport, subrogation ni ordre.

Les porteurs de lettres de change qui ont été acceptées, ou dont le payement échet à jour certain, sont tenus, suivant l’ordonnance, de les faire payer ou protester dans dix jours après celui de l’échéance ; mais la déclaration du 10 Mai 1686 a reglé que les dix jours accordés par le protêt des lettres & billets de change ne seront comptés que du lendemain de l’échéance des lettres & billets, sans que le jour de l’échéance y puisse être compris, mais seulement celui du protêt, des dimanches & des fêtes mêmes solemnelles qui y seront compris.

La ville de Lyon a sur cette matiere un réglement particulier du 2 Juin 1667, auquel l’ordonnance n’a point dérogé.

Après le protêt, celui a accepté la lettre peut être poursuivi à la requête de celui qui en est le porteur.

Les porteurs peuvent aussi, par la permission du juge, saisir les effets de ceux qui ont tiré ou endossé les lettres, encore qu’elles aient été acceptées, même les effets de ceux sur lesquels elles ont été tirées, en cas qu’ils les ayent acceptées.

Ceux qui ont tiré ou endossé des lettres doivent être poursuivis en garantie dans la quinzaine, s’ils sont domiciliés dans la distance de dix lieues & au-delà, à raison d’un jour pour cinq lieues, sans distinction du ressort des parlemens, pour les personnes domiciliées dans le royaume ; & hors d’icelui, les délais sont de deux mois pour les personnes domiciliées en Angleterre, Flandre ou Hollande ; de trois mois pour l’Italie, l’Allemagne & les Cantons suisses ; quatre mois pour l’Espagne, six pour le Portugal, la Suede & le Danemark.

Faute par les porteurs des lettres de change d’avoir fait leurs diligences dans ces délais, ils sont non-recevables dans toute action en garantie contre les tireurs & endosseurs.

En cas de dénégation, les tireurs & endosseurs sont tenus de prouver que ceux sur qui elles étoient tirées leur étoient redevables ou avoient provision au tems qu’elles ont dû être protestées, sinon ils seront tenus de les garantir.

Si depuis le tems reglé pour le protêt les tireurs ou endosseurs ont reçu la valeur en argent ou marchandises, par compte, compensation ou autrement, ils sont aussi tenus de la garantie.

Si la lettre de change, payable à un tel particulier, se trouve adhirée, le payement peut en être fait en vertu d’une seconde lettre sans donner caution, en faisant mention que c’est une seconde lettre, & que la premiere ou autre précédente demeurera nulle. Un arrêt de réglement du 30 Août 1714, décide qu’en ce cas celui qui est porteur de la lettre de change doit s’adresser au dernier endosseur de la lettre adhirée pour en avoir une autre de la même valeur & qualité que la premiere, & que le dernier endosseur, sur la réquisition qui lui en sera faite par écrit, doit prêter ses offres auprès du précédent endosseur, & ainsi en remontant d’un endosseur à un autre jusqu’au tireur, &c.

Si la lettre adhirée est payable au porteur ou à ordre, le payement n’en sera fait que par ordonnance du juge & en donnant caution.

Au bout de trois ans, les cautions sont déchargées lorsqu’il n’y a point de poursuites.

Les lettres ou billets de change sont réputés acquittés après cinq ans de cessation de demande & poursuite, à compter du lendemain de l’échéance ou du protêt, ou derniere poursuite, en affirmant néanmoins, par ceux que l’on prétend en être débiteurs, qu’ils ne sont plus redevables.

Les deux fins de non-recevoir dont on vient de parler ont lieu même contre les mineurs & les absens.

Les signatures au dos des lettres de change ne servent que d’endossement & non d’ordre, s’il n’est daté & ne contient le nom de celui qui a payé la valeur en argent, marchandise ou autrement.

Les lettres de change endossées dans la forme qui vient d’être dite, appartiennent à celui du nom duquel l’ordre est rempli, sans qu’il ait besoin de transport ni signification.

Au cas que l’endossement ne soit pas dans la forme qui vient d’être expliquée, les lettres sont réputées appartenir à celui qui les a endossées, & peuvent être saisies par ses créanciers, & compensées par ses débiteurs.

Il est défendu d’antidater les ordres, à peine de faux.

Ceux qui ont mis leur aval sur des lettres de change, sur des promesses d’en fournir, sur des ordres ou des acceptations, sur des billets de change ou autres actes de pareille qualité concernant le Commerce, seront tenus solidairement avec les tireurs, prometteurs, endosseurs & accepteurs, encore qu’il n’en soit pas fait mention dans l’aval.

Voyez Scace. De commercis cambiorum ; Dupuy de la Serra en son traité de l’art des lettres de change ; Clarac, en son traité de l’usance du négoce ; le parfait négociant de Savary ; Bornier sur le titre 5. de l’ordonnance du Commerce.

Voyez aussi les mots Acceptation, Billet de change a ordre, au porteur, Change, Endossement, Protest, Rechange. (A)

Lettres de chartre, ou en forme de Chartre, sont des lettres de grande chancellerie, qui ordonnent quelque chose pour toûjours. Voyez au mot Chartre, (lettre de.)

Lettres closes, c’est ainsi que l’on appelloit anciennement ce que nous nommons aujourd’hui lettre de cachet. Voyez Lettres de cachet.

Lettres en commandement, sont des lettres de faveur expédiées en grande chancellerie, qui sont contre signées par un secretaire d’état ; elles sont de deux sortes, les unes, que le secretaire d’état de la province donne toutes signées, & que l’on scelle ensuite ; d’autres qui sont du ressort ou du chancelier ou du garde des sceaux, & qui sont scellées avant d’être signées par le secretaire d’état. (A)

Lettres commendatices, litteræ commendatitiæ, c’est ainsi que dans la pratique de cour d’église, on appelle les lettres de recommendation qu’un supérieur ecclésiastique donne à quelqu’un, adressantes aux évêques voisins, ou autres supérieurs ecclésiastiques. Les réguliers ne peuvent donner des lettres commendatices ni testimoniales, à des séculiers ni même à des réguliers qui ne sont pas de leur ordre. Mémoires du clergé, tom. 6. p. 1177. (A)

Lettres de commission, sont une commission que l’on prend en chancellerie pour faire assigner quelqu’un à comparoître dans une cour souveraine, en conséquence de quelque instance qui y est pendante entre d’autres parties, ou pour constituer nouveau procureur, ou reprendre une instance ou procès, ou pour faire déclarer un arrêt exécutoire contre des héritiers.

On entend aussi par lettres de commission, un pareatis, ou le mandement qui est donné à un juge royal de faire procéder à l’exécution de quelque arrêt, à la fin duquel mandement il est enjoint au premier huissier ou sergent, de mettre à exécution cet arrêt.

Lettres de Committimus, sont celles que le roi accorde à ses commensaux & autres privilégiés, en vertu desquelles il peut faire renvoyer toutes leurs causes civiles, possessoires & mixtes, devant le juge de leur privilege.

Ces lettres s’obtiennent au grand sceau ou au petit sceau, selon le droit du privilégié. Voyez Committimus.

Lettres communicatoires, étoient la même chose que les lettres commendatices. Voyez Lettres commendatices, & Lettres pacifiques.

Lettres de commutation de peine, sont des lettres de grande chancellerie, par lesquelles le roi commue la peine à laquelle l’accusé étoit condamné, en une autre peine plus douce, comme lorsque la peine de mort est commuée en un bannissement, ou en un certain tems de prison. Voyez l’ordonnance de 1670, tit. XVI. art. 5.

Lettres de compensation, étoient des lettres de chancellerie que l’on obtenoit autrefois dans les pays coutumiers, pour pouvoir opposer la compensation ; présentement il n’est plus d’usage d’en prendre. Voyez Compensation.

Lettres de Compulsoire, sont des lettres de chancellerie que l’on obtient pour contraindre le dépositaire d’une piece, de la représenter à l’effet d’en tirer une expédition, ou de faire collation d’une expédition ou copie à l’original. Voyez Compulsoire.

Lettres de confirmation, sont celles par lesquelles le roi confirme l’impétrant dans la jouissance de quelque droit ou privilege qui lui avoit été accordé précédemment.

Lettres de confortemain. Voyez Confortemain.

Lettres de créance, sont des lettres émanées du souverain ou de quelque autre personne constituée en dignité, portant que l’on peut ajouter foi à ce que dira celui qui est muni de ces lettres. Les ambassadeurs plénipotentiaires, envoyés, & autres ministres qui vont dans une cour étrangere, ne partent point sans avoir des lettres de créance ; & la premiere chose qu’ils font lorsqu’on leur donne audience, est de présenter leurs lettres de créance.

On entend aussi quelquefois par lettre de créance, la même chose que par lettre de crédit. Voyez au mot Créance, lettre de créance.

Lettre de crédit. Voyez au mot Crédit, (Jurisp.) à l’art. Lettre de crédit.

Lettres pour cumuler le pétitoire avec le possessoire. C’étoient des lettres que l’on obtenoit en chancellerie pour pouvoir cumuler le pétitoire, quoiqu’on ne fût poursuivi qu’au possessoire ; mais l’usage de ces lettres fut défendu par l’ordonnance de Charles VII. en 1453, art. 8. par celle de Louis XII. en 1507, art. 41. François I. en 1535, chap. jx. art. 1. Cette défense a été renouvellée par l’ordonnance de 1667, tit. 18. art. 5.

Lettres de debitis. Voyez Debitis.

Lettres de déclaration, ou en forme de déclaration, sont des lettres patentes du grand sceau, signées en commandement, par lesquelles le roi explique ses intentions sur l’interprétation de quelque ordonnance ou édit.

On appelle aussi lettres de déclaration, celles que le roi donne à des regnicoles qui ayant été longtems absens, étoient réputés avoir abdiqué leur patrie, & néanmoins sont revenus en France ; ils n’ont pas besoin de lettres de naturalité, parce qu’ils ne sont pas étrangers ; mais il leur faut des lettres de déclaration, pour purger le vice de leur longue absence. On appelle de même lettres de déclaration, celles par lesquelles quelqu’un qui est déja noble, est déclaré tel par le roi, pour prévenir les difficultés qu’on auroit pû lui faire. Ce sont proprement des lettres de confirmation de noblesse. Voyez Déclaration, Édit, & ci-après Lettres-patentes & Ordonnance.

Lettres de denication, sont des especes de lettres de naturalité, que les étrangers obtiennent en Angleterre, à l’effet seulement de posséder des bénéfices. Voyez Basnage, sur l’art. 235. de la coutume de Normandie.

Lettres de déprécation, sont des lettres par lesquelles quelqu’un, en vertu d’un privilege particulier, présente un accusé au prince, à l’effet d’obtenir de lui des lettres de grace, s’il y échet.

Ce terme paroît emprunté des Romains, chez lesquels la déprécation étoit la supplication qu’une personne accusée d’homicide involontaire faisoit au sénat, lequel avoit en ce cas le pouvoir d’accorder à l’accusé sa grace.

L’édit du mois de Novembre 1753, qui a réglé l’étendue du privilege dont les évêques d’Orléans jouissent à leur avenement, de faire grace à certains criminels, a réglé que dans les cas où ce privilege peut avoir lieu, l’évêque donnera au criminel des lettres d’intercession & de déprécation, sur lesquelles le roi fera expédier des lettres de grace.

Lettres de désertion, sont des lettres de chancellerie, que l’intimé obtient à l’effet d’assigner l’appellant, pour voir déclarer son appel desert, faute par lui de l’avoir relevé dans le tems de l’ordonnance. Voyez Appel, Désertion illico, & Relief d’appel.

Lettres de Diaconat, sont l’acte par lequel un évêque confere à un sous-diacre l’ordre du diaconat. Voyez Diaconat & Diacre.

Lettres de dispense, sont celles par lesquelles l’impétrant est déchargé de satisfaire à quelque chose que la regle exige.

Le roi accorde en chancellerie des dispenses d’âges, de tems d’étude, & autres semblables.

Le pape, les archevêques & évêques en accordent pour le spirituel, comme des dispenses de ban, de parenté pour les mariages, d’interstice pour les ordres, &c. Voyez Dispense.

Lettres de docteur, ou de doctorat, sont des lettres accordées dans quelque faculté d’une université, qui conferent à un licencié le grade de docteur. Voyez Docteur.

Lettres de don gratuit, sont des lettres du grand sceau, par lesquelles le roi permet aux états d’une province de faire don d’une somme au gouverneur, lieutenant de roi, ou autre officier à qui Sa Majesté permet de l’accepter. Les ordonnances défendent de faire, ni de recevoir ces sortes de dons, sans la permission du prince.

Lettres ecclésiastiques, étoient la même chose que les lettres canoniques ou pacifiques. Voyez ces différens articles. (A)

Lettres d’Ecolier Juré sont la même chose que lettres de scholarité. Voyez Ecolier Juré, Garde-gardienne, & Lettres de Scholarité & Scholarité. (A)

Lettres d’émancipation ou de bénéfice d’age. Voyez ci devant Lettres de bénéfice d’age.

Lettres pour ester a droit, sont des lettres de grande chancellerie que le roi accorde à ceux qui étant in reatu, ont laissé écouler les cinq années sans se présenter & purger leur contumace. Le roi par le bénéfice de ces lettres les releve de tems qui s’est passé, & les reçoit à ester à droit & à se purger des cas à eux imposés, quoiqu’il y ait plus de cinq ans passés, tout ainsi qu’ils auroient pu faire avant le jugement de contumace, à la charge de se mettre en état dans trois mois du jour de l’obtention, lors de la présentation des lettres, de refonder les frais de contumace, de consigner les amendes & les sommes si aucunes ont été adjugées aux parties civiles, & à la charge que foi sera ajoûtée aux témoins recolés & décédés, ou morts civilement pendant la contumace.

Le roi dispense quelquefois par les lettres de consigner les amendes, soit à cause de la pauvreté de l’impétrant, ou par quelqu’autre considération.

On obtient quelquefois des lettres de cette espece même dans les cinq années de la contumace, à l’effet d’être reçu à ester à droit, sans consigner les amendes adjugées au roi. (A)

Lettres d’Etat, sont des lettres de grande chancellerie contresignées d’un sécrétaire d’état, que le roi accorde aux ambassadeurs, aux officiers de guerre & autres personnes qui sont absentes pour le service de l’état, par lesquelles le roi ordonne de surseoir toutes les poursuites qui pourroient être faites en justice contre eux, en matiere civile, durant le tems porté par ces lettres.

Quelques-uns ont prétendu trouver l’origine des lettres d’état jusque dans la loi des 12 tables, art. 40. & 41. où il est dit : Si judex vel alter ex litigatoribus morbo sentico impediatur, judicii dies diffusus esto.

Ulpien dans la loi 2. § 3. ff. si quis caution. dit que toute sorte de maladies ou d’infirmités qui empêche l’une des parties de poursuivre, arrête aussi le cours des poursuites contre cette même partie.

Mais ce qui est dit à ce sujet, soit dans cette loi ou dans celle des 12 tables, fait proprement la matiere des délais & surséances que le juge peut accorder selon le mérite du procès, l’excuse des parties ou autres causes légitimes.

Ce que dit Tite-Live, liv. II. de son histoire romaine, a plus de rapport aux lettres d’etat. Il parle d’un édit de Pub. Servilius & d’Appius Claudius consuls : ne quis militis donec in castris esset bona possideret aut venderet.

Le jurisconsulte Callistrate en parle aussi fort clairement en la loi 36, au digeste de judiciis. Ex justis causis, dit-il, & certis personis sustinendæ sunt cognitiones, veluti si instrumenta litis apud eos esse dicantur qui reipublicæ causâ absunt.

Ce même privilege est établi par la 140e regle de droit : absentia ejus qui reipublicæ causâ abest, neque ei, neque alii damnosa esse debet.

Dans les anciennes ordonnances les lettres d’état sont appellées lettres de surséance ; il en est parlé dans celles de Philippe le Bel en 1316, sur le fait des aides ; art. 8. de Philippe VI. en 1358 ; du roi Jean, en 1364 ; de Charles VII. en 1453, articles 55, 56 & 57.

Mais anciennement pour jouir de ce bénéfice, il falloit que l’absent ne fût pas salarié de son absence, autrement elle étoit regardée comme affectée, comme il fut jugé au parlement de Paris en 1391, contre le baillif d’Auxerre, étant en Bourgogne pour une enquête, en une cause concernant le roi, sur les deniers duquel il étoit payé chaque jour.

L’ordonnance de 1669, tit. des lettres d’état, veut qu’on n’en accorde qu’aux personnes employées aux affaires importantes pour le service du roi ; ce qui s’applique à tous les officiers actuellement employés à quelque expédition militaire. Pour obtenir des lettres d’état, il faut qu’ils rapportent un certificat du secrétaire d’état ayant le département de la guerre, de leur service actuel, à peine de nullité.

Autrefois les lieutenans du roi dans les armées royales avoient le pouvoir d’accorder de ces sortes de lettres, mais elles furent rejettées par un arrêt du parlement de l’an 1393, & depuis ce droit a été reservé au roi seul.

Ces sortes de lettres ne s’accordent ordinairement que pour six mois, à compter du jour de l’impétration, & ne peuvent être renouvellées que quinze jours avant l’expiration des précédentes ; & il faut que ce soit pour de justes considérations qui soient exprimées dans les lettres.

Quand les lettres sont débattues d’obreption ou de subreption, les parties doivent se retirer par devant le roi pour leur être pourvû ; les juges ne peuvent passer outre à l’instruction & jugement des procès, au préjudice de la signification des lettres.

Elles n’empêchent pas néanmoins les créanciers de faire saisir réellement les immeubles de leur débiteur, & de faire registrer la saisie ; mais on ne peut procéder au bail judiciaire ; & si les lettres ont été signifiées depuis le bail, les criées peuvent être continuées jusqu’au congé d’adjuger inclusivement. Les opposans au decret ne peuvent se servir de telles lettres pour arrêter la poursuite, ni le bail ou l’adjudication.

Les opposans à une saisie mobiliaire, ne peuvent pas non plus s’en servir pour retarder la vente des meubles saisis.

Les lettres d’état n’ont point d’effet dans les affaires où le roi a intérêt, ni dans les affaires criminelles ; ce qui comprend le faux tant principal qu’incident.

Celui qui a obtenu des lettres d’état ne peut s’en servir que dans les affaires où il a personnellement intérêt, sans que ses pere & mere ou autres parens, ni ses coobligés, cautions & certificateurs, puissent s’aider de ces mêmes lettres.

Néanmoins les femmes, quoique séparées de biens, peuvent se servir des lettres d’état de leurs maris dans les procès qu’elles ont de leur chef, contre d’autres personnes que leurs maris.

Les tuteurs honoraires & onéraires, & les curateurs, ne peuvent se servir pour eux des lettres qu’ils ont obtenues pour ceux qui sont sous leur tutelle & curatelle.

Les lettres d’état ne peuvent empêcher qu’il soit passé outre au jugement d’un procès ou instance, lorsque les juges ont commencé à opiner avant la signification des lettres.

On ne peut à la faveur des lettres d’état se dispenser de payer le prix d’une charge, ni pour le prix d’un bien adjugé par justice, ni pour se dispenser de consigner ou de rembourser l’acquéreur en matiere de retrait féodal ou lignager, ni de rendre compte, ni pour arrêter un partage.

Elles n’ont pas lieu non plus en matiere de restitution de dot, payement de douaire & conventions matrimoniales, payement de légitime, alimens, médicamens, loyers de maison, gages de domestiques, journées d’artisans, reliquats de compte de tutele, dépôt nécessaire, & maniement de deniers publics, lettres & billets de change, exécution de sociétés de commerce, caution judiciaire, frais funéraires, arrérages de rentes seigneuriales & foncieres, & redevances de baux emphitéotiques.

Ceux qui interviennent dans un procès, ne peuvent faire signifier des lettres d’état pour arrêter le jugement, que leur intervention n’ait été reçue ; & s’ils interviennent comme donataires ou cessionnaires, autrement que par contrat de mariage ou partage de famille, ils ne peuvent faire signifier de lettres que six mois après, à compter du jour que la donation aura été insinuée, ou que le transport aura été signifié, & si le titre de créance est sous seing privé, ils ne pourront se servir de lettres d’état qu’un an après que le titre aura été produit & reconnu en justice.

Les lettres d’état ne peuvent être opposées à l’hôtel-Dieu, ni à l’hôpital général, & à celui des enfans trouvés de Paris. Voyez la déclaration du 23 Mars 1680, celle du 23 Décembre 1702.

Le roi a quelquefois accordé une surséance générale à tous les officiers qui avoient servi dans les dernieres guerres, par la déclaration du premier Février 1698, & leur accorda trois ans.

Cette surséance fut prorogée pendant une année par une autre déclaration du 15 Février 1701.

Il y eut encore une surséance de trois ans accordée par déclaration du 24 Juillet 1714. (A)

Lettres d’Etat ou de contre-Etat, étoient des lettres de provision, c’est-à dire provisoires, que les parties obtenoient autrefois en chancellerie avant le jugement, qui maintenoient ou chargeoient l’état des choses contestées ; les jugemens définitifs faisoient toujours mention de ces lettres. (A)

Lettres d’evocation, sont des lettres de grande chancellerie, par lesquelles le roi, pour des considérations particulieres, évoque à soi une affaire pendante devant quelque juge, & en attribue la connoissance à son conseil, ou la renvoye devant un autre tribunal. Voyez Evocation. (A)

Lettres d’exeat, Voyez exeat.

Lettres exécutoires, ce terme est quelquefois employé pour signifier des lettres apostoliques dont les papes usoient pour la collation des bénéfices comme il sera expliqué ci-après à l’article Lettres monitoires. (A)

Lettres exécutoires, en Normandie & dans quelques autres Coutumes, signifient des titres authentiques, tels que contrats & obligations, sentences, arrêts & jugemens qui sont en forme exécutoire, & deviennent par ce moyen des titres parés, quod paratam habent executionem : Voy. les art. 546, 560 & 561 de la Coutume de Normandie. (A)

Lettres en ferme. On appelle ainsi dans le Cambresis, le double des actes authentiques qui est déposé dans l’hôtel-de-ville ; il en est parlé dans la coutume de Cambray, tit. 5. art. 5. Comme dans ce pays il n’y a point de garde-notes publics & en titre d’office, ainsi que le remarque M. Pinault sur l’article que l’on vient de citer, on y a suppléé en établissant dans chaque hôtel-de-ville une chambre où chacun a la liberté de mettre un double authentique des lettres ou actes qu’il a passés devant notaire, & comme cette chambre est appellée ferme, quasi firmitas, sureté, assurance ; les actes qui s’y conservent sont appellés lettres en ferme, pour que le double des lettres qu’on met dans ce dépôt ne puisse être changé, & qu’on puisse être certain de l’identité de celui qui y a été mis ; le notaire qui doit écrire les deux doubles fait d’abord au milieu d’une grande peau de parchemin de gros caracteres, il coupe ensuite la peau & les caracteres par le milieu, & sur chaque partie de la peau, où il y a la moitié des caracteres coupés, il transcrit le contrat, selon l’intention des parties ; on dépose un des doubles à l’hôtel-de-ville, & l’on donne l’autre à celui qui doit avoir le titre en main ; cette peau ainsi coupée en deux, est ce que l’on appelle charta partita, d’où est venu le mot de charte partie, usité sur mer. V. Amans, Arches d’Amans, Charte partie, & l’art. 47. des coutumes de Mons. (A)

Lettres en forme de Requeste civile. Voy. Lettres de Requeste civile, & au mot Requeste civile. (A)

Lettres formées dans la coutume d’Anjou, art. 471 & 509. & dans celle de Tours, art. 369. sont les actes authentiques qui sont en forme exécutoire.

On appelle requête de lettre formée, lorsque le juge rend son ordonnance sur requête, portant mandement au sergent de saisir les biens du débiteur & de les mettre en la main de justice, s’il ne paye, ce qui ne s’accorde par le juge, que quand il lui appert d’un acte authentique & exécutoire, que la coutume appelle lettre formée. Voy. Dupineau sur l’art. 471. de la coutume d’Anjou. (A)

On entendoit aussi autrefois par lettres formées des lettres de recommandation, qu’un évêque donnoit à un clerc pour un autre évêque, on les appelloit formées, formatæ, à cause de toutes les figures d’abbréviation dont elles étoient remplies. Voyez l’histoire de Verdun, p. 144. (A)

Lettres de France. On appelloit autrefois ainsi en style de chancellerie, les lettres qui s’expedioient pour les provinces de l’ancien patrimoine de la couronne, à la différence de celles qui s’expedioient pour la Champagne ou pour le royaume de Navarre, que l’on appelloit lettres de Champagne, lettres de Navarre. (A)

Lettres de garde-gardienne, sont des lettres du grand sceau, que le Roi accorde à des abbayes & autres églises, universités, colleges & communautés, par lesquelles il les prend sous sa protection speciale, & leur assigne des juges devant lesquels toutes leurs causes sont commises. Voyez conservateur & garde-gardienne. (A)

Lettres de grace, sont des lettres de chancellerie que le prince accorde par faveur à qui bon lui semble, sans y être obligé par aucun motif de justice, ni d’équité, tellement qu’il peut les refuser quand il le juge à propos ; telles sont en général les lettres de don & autres qui contiennent quelque libéralité ou quelque dispense ; telles que les lettres de bénéfice d’âge & d’inventaire, les lettres de terriers, de committimus, les séparations de biens en la coutume d’Auvergne, les attributions de jurisdiction pour criées ; les validations & autorisations de criées en la coutume de Vitry, les abbréviations d’assises en la coutume d’Anjou ; les lettres de subrogation au lieu & place en la coutume de Normandie, lettres de main souveraine, les lettres de permission de vendre du bien substitué au pays d’Artois ; autres lettres de permission pour autoriser une veuve à vendre du bien propre à ses enfans dans la même province, & les lettres de permission de produire qu’on obtient pour le même pays, les rémissions & pardons ; les lettres d’assietes ; les lettres de naturalité, de légitimation, de noblesse, de réhabilitation, &c.

Ces lettres sont opposées à celles qu’on appelle lettres de justice : Voyez ci-après Lettres de justice. (A)

Lettres de grace en matiere criminelle, est un nom commun à plusieurs sortes de lettres de chancellerie, telles que les lettres d’abolition, de rémission & pardon, par lesquelles le roi décharge un accusé de toutes poursuites que l’on auroit pû faire contre lui, & lui remet la peine que méritoit son crime.

On comprend quelquefois aussi sous ce terme de lettres de grace les lettres pour ester à droit, celles de rappel de ban ou de galeres, de commutation de peine, de réhabilitation & révision de procès.

Comme ces lettres ont chacune leurs regles particulieres, on renvoye le lecteur à ce qui est dit sur chacune de ces lettres en son lieu & au mot Grace. (A)

Lettres de grace. On donnoit aussi autrefois ce nom à certaines lettres par lesquelles on fondoit remise de l’argent qui étoit dû au roi ; lorsque ces lettres étoient données par des lieutenans du roi, elles devoient être confirmées par lui & passées à la chambre des comptes, ainsi qu’il est dit dans des lettres du roi Jean du 2 Octobre 1354. Charles V. étant régent du royaume fit une ordonnance le 19 Mars 1359, portant défenses aux présidens du parlement commis pour rendre la justice, le parlement non séant, d’obéir à ces lettres, lorsqu’elles seroient contre le bien de la justice, quand elles auroient été accordées par le régent même ou par le connétable, les maréchaux de France, le maître des arbalétriers, ou par des capitaines ; cette défense ne concernoit pas seulement les lettres de don, mais aussi celles de rémission & pardon. (A)

Lettres d’honoraire, sont des lettres de grande chancellerie, par lesquelles le roi accorde les honneurs & privileges de vétéran à quelque magistrat.

Celles que l’on accorde à d’autres officiers inférieurs, s’appellent simplement lettres de vétérance.

On ne les accorde ordinairement qu’au bout de vingt années de service, à moins que le roi par des considérations particulieres ne dispense l’officier d’une partie de ce tems.

Elles sont nécessaires pour jouir des honneurs & privileges, & doivent être registrées.

On n’en donne point au chef de compagnies, parce qu’ils ne peuvent après leur démission, conserver la même place.

Ceux qui ont obtenu des lettres d’honoraire n’ont point de part aux émolumens ; cependant en 1513, la chambre des comptes en enregistrant celles d’un auditeur, ordonna qu’il jouiroit de ses gages ordinaires pendant deux ans, en se rendant sujet au service comme les autres & à la résidence, & sans tirer à conséquence, & on lui fit prêter un nouveau serment contre lequel les auditeurs protesterent.

On trouve un exemple de lettres d’honoraire, accordées à une personne décedée ; sçavoir, celles qui furent accordées le 18 Septembre 1671 pour feu messire Charles de la Vieuville, surintendant des finances. Voyez Tessereau, histoire de la chancellerie, & les mémoires de la chambre des comptes. (A)

Lettres d’hypoteque ; c’est un écrit, contrat ou jugement, portant reconnoissance de l’hypoteque ou droit réel qu’un créancier ou bailleur de fond a sur un bien possedé par celui qui donne cette reconnoissance. On demande à chaque nouveau détenteur de nouvelles lettres d’hypoteque. (A)

Lettres d’innocence ou de pardon. On les appelle plus communément de ce dernier nom. Voy. ci-après Lettres de pardon. (A)

Lettres d’intercession. V. ci-devant Lettres de déprecation.

Lettres de jussion, sont des lettres du grand sceau, par lesquelles le roi ordonne à ses cours de procéder à l’enregistrement de quelque ordonnance, édit ou déclaration que les cours n’ont pas crû devoir enregistrer sans faire auparavant de très humbles remontrances au roi.

Lorsque le roi ne juge pas à propos d’y déferer, il donne des lettres de jussion sur lesquelles les cours font encore quelquefois de très-humbles représentations ; & si le roi n’y defere pas, il donne de secondes lettres de jussion sur lesquelles les cours ordonnent encore quelquefois d’itératives représentations.

Il y a eu dans certaines occasions jusqu’à quatre lettres de jussion données successivement pour le même enregistrement, comme il arriva par rapport à l’édit du mois de Juin 1635, portant création de plusieurs officiers en la cour des monnoies.

Lorsque les cours enregistrent en conséquence de lettres de jussion, elles ajoutent ordinairement dans leur arrêt d’enregistrement du très-exprès commandement de S. M.

Il est parlé de jussion dans deux novelles de Justinien : l’une est la novelle 125 qui porte pour titre, ut judices non expectent sacras jussiones sed quas videntur eis decernant ; l’autre est la 113 qui porte ne ex divinis jussionibus à principe impetratis sed antiquis legibus lites dirimantur ; mais le terme de jussion n’est pas pris dans ces endroits dans le même sens que nous entendons les lettres de jussion ; ces novelles ne veulent dire autre chose, sinon que les juges ne doivent point attendre des ordres particuliers du prince pour juger ; mais qu’ils doivent juger selon les anciennes loix, & ce qui leur paroîtra juste. Voy. Parlement & Remontrances. (A)

Lettres de justice, sont des lettres de chancellerie qui sont fondées sur le droit commun, ou qui portent mandement de rendre la justice, & que le roi accorde moins par faveur que pour subvenir au besoin de ses sujets, suivant la justice & l’équité. Tels sont les reliefs d’appel simple ou comme d’abus, les anticipations, désertions, compulsoires, debitis, commission pour assigner, les paréatis sur sentence ou arrêt, les rescisions, les requêtes civiles & autres semblables, &c. (A)

Ces sortes de lettres sont ainsi appellées par opposition à celles qu’on nomme lettres de grace. Voy. ci-devant Lettres de grace. (A)

Lettres de légitimation, sont des lettres du grand sceau, par lesquelles le roi légitime un bâtard, & veut que dans tous les actes il soit réputé légitime, & jouisse de tous les privileges accordés à ses autres sujets nés en légitime mariage. Voy. ci-devant Légitimation. (A)

Lettres de licence, sont des lettres expédiées par le greffier d’une des facultés d’une université, qui attestent qu’un tel, bachelier de cette faculté, après avoir soutenu les actes nécessaires, a été décoré du titre de licencié. Voyez Bachelier, Docteur & Licencié. (A)

Lettres lombardes : on donnoit ce nom anciennement aux lettres de chancellerie qui s’expédioient en faveur des Lombards, Italiens & autres étrangers qui vouloient trafiquer ou tenir banque en France ; on comprenoit même sous ce terme de lettres lombardes, toutes celles qui s’expédioient pour tous changeurs, banquiers, revendeurs & usuriers, que l’on appelloit tous Lombards, de quelque nation qu’ils fussent ; on les taxoit au double des autres en haine des usures que commettoient les Lombards. (A)

Lettre lue, en Normandie signifie un contrat de vente ou de fieffe à rente rachetable qui a été lecturé, c’est-à-dire publié en la forme prescrite par l’article 455 de la coutume. Voyez Clameur a droit de lettre lue, & Lecture. (A)

Lettres de majorité, on appelle ainsi dans quelques provinces, & notamment en Bourbonnois, les lettres d’émancipation, ce qui vient de ce que l’émancipation donne au mineur la même capacité que la loi donne à celui qui est majeur de majorité coutumiere. (A)

Lettres de main souveraine, sont des lettres qui s’obtiennent en la petite chancellerie par un vassal, lorsqu’il y a combat de fief entre deux seigneurs pour la mouvance, à l’effet de se faire recevoir en foi par main souveraine, & d’avoir main-levée de la saisie féodale. Voyez Foi & Hommage & Réception en foi par main souveraine . (A)

Lettre de maitre ès Arts, sont des lettres accordées à quelqu’un par une université pour pouvoir enseigner la Grammaire, la Rhétorique, la Philosophie & autres Arts libéraux. Voyez Maitre ès Arts. (A)

Lettres de maitrise, sont des lettres de privilege que le roi accorde à quelques marchands ou artisans pour les autoriser à exercer un certain commerce ou métier, sans qu’ils aient fait leur apprentissage & chef-d’œuvre, ni été reçus maîtres par les autres maîtres du même commerce ou métier.

Les communautés donnent aussi des lettres de maîtrise à ceux qui ont passé par les épreuves nécessaires. Voyez Maitre & Maitrise. (A)

Lettres de maitrise, (Police.) on nomme ainsi, dans ce royaume, des actes en forme que les maîtres & gardes, & maîtres jurés délivrent à ceux qu’ils ont admis à la maîtrise, après examen, chef-d’œuvre ou expérience qu’ils ont fait ; c’est en vertu de ces lettres qu’ils ont droit de tenir magasin, ouvrir boutique, exercer le négoce ou métier, soit du corps, soit de la communauté dans laquelle ils ont été reçus ; mais on ne leur expédie ces lettres qu’après qu’ils ont prêté serment & payé les droits de confrairie.

Exposons ici les réflexions d’un auteur moderne, à qui l’Encyclopédie doit beaucoup, & qui a joint à de grandes connoissances du commerce & des finances, les vues désintéressées d’un bon citoyen.

Il est parlé dans les anciens capitulaires de chef d’œuvre d’ouvriers, mais nulle part de lettres de maîtrise ; la raison ne favorise en aucune maniere l’idée d’obliger les artisans, de prendre de telles lettres, & de payer tant au roi qu’aux communautés, un droit de réception. Le monarque n’est pas fait pour accepter en tribut le fruit du labeur d’un malheureux artisan, ni pour vouloir astreindre ses sujets à un seul genre d’industrie, lorsqu’ils sont en état d’en professer plusieurs. L’origine des communautés est dûe vraissemblablement au soutien que les particuliers industrieux chercherent contre la violence des autres. Les rois prirent ces communautés sous leur protection, & leur accorderent des privileges. Dans les villes où l’on eut besoin d’établir certains métiers, l’entrée en fut accordée libéralement, en faisant épreuve, & en payant seulement une légere rétribution pour les frais communs.

Henri III. voulant combattre le parti de la ligue, & étant trompé par ce même parti, ordonna le premier en 1581, que tous négocians, marchands, artisans, gens de métier, résidens dans les bourgs & villes du royaume, seroient établis en corps, maîtrise & jurande, sans qu’aucun pût s’en dispenser. Les motifs d’ordre & de regle, ne furent point oubliés dans cet édit ; mais un second qui suivit en 1583, dévoila le mystere. Le roi déclara que la permission de travailler étoit un droit royal & domanial ; en conséquence, il prescrivit les sommes qui seroient payées par les aspirans, tant au domaine qu’aux jurés & communautés.

Pour dédommager les artisans de cette nouvelle taxe, on leur accorda la permission de limiter leur nombre, c’est-à-dire d’exercer des monopoles. Enfin, l’on vendit des lettres de maîtrise, sans que les titulaires fussent tenus à faire épreuve ni apprentissage ; il falloit de l’argent pour les mignons.

Cependant le peuple en corps ne cessa de reclamer la liberté de l’industrie. Nous vous supplions, Sire, dit le tiers-état dans ses placets, « que toutes maîtrises de métiers soient à jamais éteintes ; que les exercices desdits métiers soient laissés libres à vos pauvres sujets, sous visite de leurs ouvrages & marchandises par experts & prud’hommes, qui à ce seront commis par les juges de la police : nous vous supplions, Sire, que tous édits d’Arts & Métiers, accordés en faveur d’entrées, mariages, naissances ou d’autres causes, soient révoqués ; que les marchands & artisans ne payent rien pour leur réception, levement de boutique, salaire, droits de confrairie, & ne fassent banquets ou autres frais quelconques à ce sujet, dont la dépense ne tend qu’à la ruine de l’état, &c ».

Malgré ces humbles & justes supplications, il continua toujours d’être défendu de travailler à ceux qui n’avoient point d’argent pour en acheter la permission, ou que les communautés ne vouloient pas recevoir, pour s’épargner de nouveaux concurrens.

M. le duc de Sully modéra bien certains abus éclatans des lettres de maîtrise ; mais il confirma l’invention, n’appercevant que de l’ordre dans un établissement dont les gênes & les contraintes, si nuisibles au bien politique, sautent aux yeux.

Sous Louis XIV. on continua de créer de nouvelles places de maîtres dans chaque communauté, & ces créations devinrent si communes, qu’il en fut accordé quelques-unes en pur don, indépendamment de celles qu’on vendit par brigue.

Tout cela cependant ne présente que d’onéreuses taxes sur l’industrie & sur le commerce. De-là sont venues les permissions accordées aux communautés d’emprunter, de lever sur les récipiendaires & les marchandises, les sommes nécessaires pour rembourser ou payer les intérêts.

Les seuls inconvéniens qui sont émanés de ces permissions d’emprunter, méritent la réforme du gouvernement. Il est telle communauté à Paris, qui doit quatre à cinq cent milles livres, dont la rente est une charge sur le public, & une occasion de rapines ; car chaque communauté endettée obtient la permission de lever un droit, dont le produit excédant la rente, tourne au profit des gardes. Ces sortes d’abus regnent également dans les provinces, excepté que les emprunts & les droits n’y sont pas si considérables, mais la proportion est la même ; ne doutons point que la multiplicité des débiteurs ne soit une des causes qui tiennent l’argent cher en France au milieu de la paix.

Ce qui doit paroître encore plus extraordinaire, c’est qu’une partie de ces sommes ait été & soit journellement consommée en procès & en frais de justice. Les communautés de Paris, grace aux lettres de maîtrise, dépensent annuellement près d’un million de cette maniere ; c’est un fait avéré par leur registre. A ne compter dans le royaume que vingt mille corps de jurande ou de communautés d’artisans, & dans chacun une dette de cinq mille livres, l’un portant l’autre ; si l’on faisoit ce dépouillement, on trouveroit beaucoup au-delà ; ce sont cent millions de dettes, dont l’intérêt à cinq pour cent se leve sur les marchandises consommées, tant au-dedans qu’au dehors ; c’est donc une imposition réelle dont l’état ne profite point.

Si l’on daigne approfondir ce sujet, comme on le fera sans doute un jour, on trouvera que la plûpart des autres statuts de M. Colbert, concernant les lettres de maîtrise & les corps de métiers, favorisent les monopoles au lieu de les extirper, détruisent la concurrence, & fomentent la discorde & les procès entre les classes du peuple, dont il est le plus important de réunir les affections du côté du travail, & de ménager le tems & la bourse.

Enfin, l’on y trouvera des bisarreries, dont les raisons sont inconcevables. Pourquoi, par exemple, un teinturier en fil n’a-t-il pas la permission de teindre ses étoffes ? Pourquoi est-il défendu aux teinturiers d’avoir plus de deux apprentifs ? Pourquoi leurs veuves sont-elles dépouillées de ce droit ? Pourquoi les chapeliers sont-ils privés en même tems de faire le commerce de la bonneterie ? La liste des pourquoi seroit grande, si je voulois la continuer ; on ne peut donner à ces sortes de questions d’autre réponse, sinon que les statuts le réglent ainsi ; mais d’autres statuts plus éclairés réformeroient ceux des tems d’ignorance, & feroient fleurir l’industrie. (D. J.)

Lettres de marque ou de représailles, sont des lettres qu’un souverain accorde pour reprendre sur les ennemis l’équivalent de ce qu’ils ont pris à ses sujets, & dont le souverain ennemi n’a pas voulu faire justice ; elles sont appellées lettres de marques ou plutôt de marche, quasi jus concessum in alterius principis marchas seu limites transeundi sibique jus faciendi.

Il fut ordonné en 1443, que ces sortes de lettres ne seroient accordées qu’à ceux à qui le prince étranger auroit refusé la justice par trois fois ; c’est principalement pour les prises sur mer que ces sortes de lettres s’accordent. Voyez Représailles. (A)

Lettres de mer, sont des lettres patentes qu’on obtient pour naviguer sur mer. (A)

Lettre missive, on appelle ainsi les lettres privées que l’on envoye d’un lieu dans un autre, soit par le courier ou par voie d’ami, ou que l’on fait porter à quelqu’un dans le même lieu par une autre personne.

On ne doit point abuser de ces sortes de lettres pour rendre public ce qui a été écrit confidemment ; il est sur-tout odieux de les remettre à un tiers qui peut en abuser ; c’est un abus de confiance.

Une reconnoissance d’une dette faite par une lettre missive, est valable ; il en seroit autrement s’il s’agissoit d’un acte qui de sa nature dût être synallagmatique, & conséquemment fait double, à moins qu’il ne soit passé par-devant notaire.

L’ordonnance des testamens déclare nulles les dispositions faites par des lettres missives. Voyez Cicéron D. Philipp. 2. & le Journal des audiences, au 9 Mars 1645. (A)

Lettres de mixtion : la coutume de Normandie, art. 4, appelle ainsi les lettres de chancellerie, que l’on appelle communément lettres d’attribution de jurisdiction pour criées, lesquelles s’accordent quand il y a des héritages saisis réellement en différentes jurisdictions du ressort d’un même parlement, pour attribuer au juge, dans le ressort duquel est la plus grande partie des héritages, le droit de procéder à l’adjudication du total après que les criées ont été certifiées par les juges des lieux. La coutume de Normandie, en parlant du bailli ou de son lieutenant, dit qu’il a aussi la connoissance des lettres de mixtion, quand les terres contentieuses sont assises en deux vicomtés royales, en cas que l’une soit dans le ressort d’un haut justicier : on obtient aussi des lettres de mixtion pour attribuer au vicomte le droit de vendre par decret les biens roturiers situés en diverses sergenteries ou en une ou plusieurs hautes justices de la vicomté. Voyez les art. 4 & 8 de la coutume. (A)

Lettres monitoires ou monitoriales, étoient des lettres par lesquelles le pape prioit autrefois les ordinaires de ne pas conférer certains bénéfices ; ils envoyerent ensuite des lettres préceptoriales, pour les obliger sous quelque peine à obéir ; & comme les lettres ne suffisoient pas pour rendre la collation des ordinaires nulle, ils renvoyoient des lettres exécutoires non seulement pour punir la coutumace de l’ordinaire, mais encore pour annuller sa collation.

Lettres de Naturalité, sont des lettres du grand sceau, par lesquelles le roi ordonne qu’un étranger sera réputé naturel, sujet & régnicole, à l’effet de jouir de tous les droits, privileges, franchises & libertés dont jouissent les vrais originaires françois, & qu’il soit capable d’aspirer à tous les honneurs civils. Voyez Naturalité.

Lettres de Noblesse sont la même chose que les lettres d’annoblissement. Voyez ci-devant Lettres d’Annoblissement.

Lettres pacifiques, on appelloit ainsi autrefois des lettres que les évêques ou les chorévêques donnoient aux prêtres qui étoient obligés de faire quelques voyages : c’étoient proprement des lettres de recommandation, ou, comme on dit aujourd’hui, des lettres testimoniales, par lesquelles on attestoit que celui auquel on les donnoit, étoit catholique & uni avec le chef de l’Eglise ; on les nommoit aussi lettres canoniques, lettres communicatoires, lettres ecclésiastiques, & lettres formées. La vie du pape Sixte I. tirée du pontificat du pape Damase, dit que ce fut ce saint pontife qui établit l’usage de ces lettres. Voyez les remarques de Dinius sur cette vie, tome I. des conciles, édit. du P. Labbe, p. 553 & 554.

Le concile d’Antioche de l’an 341 défend de recevoir aucun étranger, s’il n’a des lettres pacifiques ; il défend aussi aux prêtres de la campagne d’en donner ni d’autres lettres canoniques, sinon aux évêques voisins, mais il permet aux évêques de donner des lettres pacifiques. Voyez Lettres commendatices, Lettres formées & Lettres testimoniales.

Lettres de Pardon, sont une espece de lettres de grace que l’on obtient en chancellerie dans les cas où il n’échet pas peine de mort naturelle ou civile, ni aucune autre peine corporelle, & qui néanmoins ne peuvent être excusés.

Elles ont beaucoup de rapport avec ce que les Romains appelloient purgation, laquelle s’obtenoit de l’autorité des magistrats & juges inférieurs.

On les intitule à tous ceux qui ces présentes lettres verront, & on les date du jour de l’expédition, & elles sont scellées en cire jaune, au lieu que celles de remission se datent du mois seulement, & sont scellées en cire verte & intitulées à tous présens & à venir, parce qu’elles sont ad perpetuam rei memoriam. Voyez Grace, Lettres d’abolition & de Grace, & ci-après Lettres de Remission, & au mot Remission.

Lettres de Paréatis sont des lettres du grand ou du petit sceau, qui ont pour objet de faire mettre un jugement à exécution. Voyez Paréatis.

Lettres Patentes sont des lettres émanées du roi, scellées du grand sceau & contresignées par un secrétaire d’état.

On les appelle patentes, parce qu’elles sont toutes ouvertes, n’ayant qu’un simple repli au bas, lequel n’empêche pas de lire ce qui est contenu dans ces lettres, à la différence des lettres closes ou de cachet, que l’on ne peut lire sans les ouvrir.

On comprend en général sous le terme de lettres patentes toutes les lettres scellées du grand sceau, telles que les ordonnances, édits & déclarations, qui forment des lois générales ; mais on entend plus ordinairement par le terme de lettres patentes celles qui sont données à une province, ville ou communauté, ou à quelque particulier, à l’effet de leur accorder quelque grace, privilege ou autre droit.

Ces sortes de lettres n’étoient désignées anciennement que sous le terme de lettres royaux ; ce qui peut venir de ce qu’alors l’usage des lettres closes ou de cachet étoit plus rare, & aussi de ce qu’il n’y avoit point alors de petites chancelleries.

Présentement le terme des lettres royaux comprend toutes sortes de lettres, soit de grandes ou de petites chancelleries, toutes lettres de chancellerie en général sont des lettres royaux, mais toutes ne sont pas des lettres patentes ; car quoique les lettres qu’on expédie dans les petites chancelleries soient ouvertes, de même que celles du grand sceau, il n’est pas d’usage de les appeller lettres patentes.

On appelloit anciennement charte ce que nous appellons présentement lettres patentes, & les premieres lettres qui soient ainsi qualifiées dans la table des ordonnances par Blanchard, sont des lettres de l’an 993, portant confirmation de l’abbaye de saint Pierre de Bourgueil, données à Paris la huitieme année du regne de Hugues & de Robert, rois de France.

Mais le plus ancien exemple que j’ai trouvé dans les ordonnances même de la dénomination de lettres patentes & de la distinction de ces sortes de lettres d’avec les lettres closes ou de cachet, est dans des lettres de Charles V. alors lieutenant du roi Jean, datées le 10 Avril 1357, par lesquelles il défend de payer aucune des dettes du roi, nonobstant quelconques lettres patentes ou closes de monsieur, de nous, des lieutenans de monsieur & de nous, &c.

Ce même prince, par une ordonnance du 14 Mai 1358, défendit de sceller aucunes lettres patentes du scel secret du roi, mais seulement les lettres closes à moins que ce ne fût en cas de nécessité.

Ainsi lorsque nos rois commencerent à user de différens sceaux ou cachets, le grand sceau fut réservé pour les lettres patentes, & l’on ne se servit du scel secret qui depuis est appellé contrescel, qu’au défaut du grand sceau, & même en l’absence de celui-ci au défaut du scel de châtelet ; c’est ce que nous apprend une ordonnance du 27 Janvier 1359, donnée par Charles V. alors régent du royaume, dans laquelle on peut aussi remarquer que les lettres patentes étoient aussi appellées cédules ouvertes ; il ordonne en effet que l’on ne scellera nulles lettres ou cédules ouvertes de notre scel secret, si ce ne sont lettres très-hâtives touchant monsieur ou nous, & en l’absence du grand scel & du scel du châtelet, non autrement, ni en autre cas, & que si aucunes sont autrement scellées, l’on n’y obéira pas.

Les lettres patentes commencent par ces mots : « A tous présens & avenir, parce qu’elles sont ad perpetuam rei memoriam ; » elles sont signées du roi, & en commandement par un secrétaire d’état ; elles sont scellées du grand sceau de cire verte.

Aucunes lettres patentes n’ont leur effet qu’elles n’ayent été enregistrées au parlement ; voyez ce qui a été dit ci-devant au mot Enregistrement.

Celles qui sont accordées à des corps ou particuliers sont susceptibles d’opposition, lorsqu’elles préjudicient à un tiers. Voyez ci-devant Lettres de cachet.

Lettres de la Pénitencerie de Rome sont celles qu’on obtient du tribunal de la pénitencerie, dans le cas où l’on doit s’adresser à ce tribunal pour des dispenses sur les empêchemens de mariage, pour des absolutions de censures, &c.

Lettres perpétuelles, la coûtume de Bourbonnois, art. 78. appelle ainsi les testamens, contrats de mariage, constitutions de rente fonciere, ventes, donations, échanges, & autres actes translatifs de propriété, & qui sont faits pour avoir lieu à perpétuité, à la différence des obligations, quittances, baux & autres actes semblables, dont l’effet n’est nécessaire que pour un certain tems, & desquels par cette raison on ne garde souvent point de minute.

Lettres préceptoriales, ce mot est expliqué ci-devant à l’article Lettres monitoires.

Lettres de Prêtrise sont l’acte par lequel un évêque confere à un diacre l’ordre de prêtrise. Voyez Prêtre & Prêtrise.

Lettres de Privilege sont des lettres patentes du grand sceau, qui accordent à l’impétrant quelque droit, comme de faire imprimer un ouvrage, d’établir un coche, une manufacture, &c. Voyez Privilege.

Lettres de Rappel de Ban, appellées en droit remeatus, comme on voit à la loi Relegati ff. de pænis, sont parmi nous des lettres de grande chancellerie, par lesquelles le roi rappelle & décharge celui qui avoit été condamné au bannissement à tems ou perpétuel, du bannissement perpétuel, ou pour le tems qui restoit à écouler, & remet & restitue l’impétrant en sa bonne renommée & en ses biens qui ne sont pas d’ailleurs confisqués ; à la charge par lui de satisfaire aux autres condamnations portées par le jugement. Ces lettres doivent être enthérinées par les juges à qui l’adresse en est faite, sans examiner si elles sont conformes aux charges & informations, sauf à faire des remontrances, suivant l’article 7 du tit. 16 de l’Ordonnance de 1670.

Lettres de Rappel des Galeres sont des lettres de grande chancellerie, par lesquelles le roi rappelle & décharge des galeres celui qui y est, ou de la peine des galeres, à laquelle il avoit été condamné, s’il n’y est pas effectivement, & le remet & restitue en sa bonne renommée. Ces lettres sont sujettes aux mêmes regles que celles de rappel de ban. Voyez ci-devant Lettres de Rappel de Ban.

Lettres de Ratification sont des lettres du grand sceau que l’acquéreur d’un contrat de rente constitué sur le domaine du roi, sur les tailles, sur les aydes & gabelles, & sur le clergé, obtient à l’effet de purger les hypotéques qui pourroient procéder du chef de son vendeur. Voyez ci devant Conservateur des Hypoteques & Ratification.

Lettres de Recommandation sont des lettres missives, ou lettres écrites par un particulier à un autre en faveur d’un tiers, par lesquelles celui qui écrit recommande à l’autre celui dont il lui parle, prie de lui faire plaisir & de lui rendre service : ces sortes de lettres ne produisent aucune obligation de la part de celui qui les a écrites, quand même il assûreroit que celui dont il parle est homme d’honneur & de probité, qu’il est bon & solvable, ou en état de s’acquitter d’un tel emploi ; il en seroit autrement, si celui qui écrit ces lettres marquoit qu’il répond des faits de celui qu’il recommande, & des sommes qu’on pourroit lui confier. Alors ce n’est plus une simple recommandation, mais un cautionnement. Voyez Papon, liv. X. ch. iv. n°. 12. & Bouvot, tome I. part. II. verbo lettres de recommandation. Maynard, liv. VIII. ch. 29. Leprêtre, cent. IV. ch. xlij. Bouchel, en sa Bibliotheque, verbo preuves. Boniface, tome II. liv. IV. tit. 2. Voyez Recommandation.

Lettres en Réglement de Juges sont des lettres du grand sceau, par lesquelles le roi regle en laquelle de deux jurisdictions l’on doit procéder, lorsqu’il y a conflit entre deux cours, ou autres jurisdictions inférieures indépendantes l’une de l’autre. Voyez Conflit & Réglement de Juges.

Lettres de Réhabilitation du Condamné, s’obtiennent en la grande chancellerie, pour remettre le condamné en sa bonne renommée, & biens non d’ailleurs confiqués. Voyez l’Ordonnance de 1670. tit. 16. art. 5. & Réhabilitation.

On obtient aussi des lettres de réhabilitation de noblesse. Voyez Noblesse.

Enfin il y a des lettres de réhabilitation de cession, que l’on accorde à celui qui a fait cession, lorsqu’il a entierement payé ses créanciers, ou qu’il s’est accordé avec eux : ces lettres le rétablissent en sa bonne renommée. Voyez Cession.

Lettres de relief de laps de tems, sont des lettres de grande chancellerie, par lesquelles l’impétrant est relevé du tems qu’il a laissé écouler à son préjudice, à l’effet de pouvoir obtenir des lettres de requête civile, quoique le délai prescrit par l’ordonnance soit écoulé. Voyez Relief de laps de tems. (A)

Lettres de rémission, sont des lettres de grace qui s’obtiennent au grand ou au petit sceau pour les homicides involontaires, ou commis dans la nécessité d’une légitime défense : c’est ce que l’on appelloit chez les Romains déprécation. Voyez ci-devant Lettres de déprécation, Lettres d’abolition, Lettres de grace, Lettres de pardon, & au mot Rémission. (A)

Lettres de répi, que l’on devroit écrire respi, étant ainsi appellées à respirando, sont des lettres du grand sceau, par lesquelles un débiteur obtient surséance ou délai de payer ses créanciers. Voy. Répi. (A)

Lettres de représailles. Voyez Lettres de marque.

Lettres de reprise, sont une commission que l’on prend en chancellerie pour faire assigner quelqu’un en reprise d’une cause, instance ou procès. Voyez Reprise. (A)

Lettres de requête civile, ou, comme il est dit dans les ordonnances, en forme de requête civile, sont des lettres du petit sceau, tendantes à faire rétracter quelque arrêt ou jugement en dernier ressort, ou contre un jugement présidial au premier chef de l’édit, au cas que quelqu’une des ouvertures ou moyens de requête civile exprimées dans ces lettres se trouve vérifiée. Voyez Requête civile. (A)

Lettres de rescision, sont des lettres de chancellerie que l’on obtient ordinairement au petit sceau pour se faire relever de quelque acte que l’on a passé à son préjudice, & auquel on a été induit, soit par force ou par dol, ou qui cause une lésion considérable à celui qui obtient ces lettres.

On en accorde aux majeurs aussi-bien qu’aux mineurs : elles doivent être obtenues dans les dix ans, à compter de l’acte ou du jour de la majorité, si l’acte a été passé par un mineur. Voyez Lésion, Mineur, Rescision & Restitution en entier. (A)

Lettres de rétablissement, sont des lettres du grand sceau, par lesquelles le roi rétablit un office, une rente, ou autre chose qui avoit été supprimée, ou remet une personne dans le même état qu’elle étoit avant ces lettres : elles operent à l’égard des personnes qui n’étoient pas integri statûs, le même effet que les lettres de réhabilitation.

On obtient aussi des lettres de rétablissement pour avoir la permission de rétablir une justice, un poteau ou piloris, des fourches patibulaires, une maison rasée pour crime. (A)

Lettres de révision, sont des lettres que l’on obtient en grande chancellerie dans les matieres criminelles, lorsque celui qui a été jugé par arrêt ou autre jugement en dernier ressort, prétend qu’il a été injustement condamné ; ces lettres autorisent les juges auxquels elles sont adressées, à revoir de nouveau le procès : on les adresse ordinairement à la même chambre, à moins qu’il n’y ait quelque raison pour en user autrement. Voyez Révision. (A)

Lettres rogatoires sont la même chose que commission rogatoire : on se sert même ordinairement du terme de commission. Voyez Commission rogatoire. (A)

Lettres royaux se dit, en style de chancellerie, pour exprimer toutes sortes de lettres émanées du roi, & scellées du grand ou du petit sceau.

Ces lettres sont toujours intitulées du nom du roi ; & lorsqu’elles sont destinées pour le Dauphiné ou pour la province, on ajoûte, après ses qualités de roi de France & de Navarre, celles de dauphin de Viennois, comte de Valentinois & Diois, ou bien comte de Provence, Forcalquier & terres adjacentes.

L’adresse de ces sortes de lettres ne se fait jamais qu’aux juges royaux, ou à des huissiers ou sergens royaux ; de sorte que quand il est nécessaire d’avoir des lettres royaux en quelque procès pendant devant un juge non royal, le roi adresse ses lettres, non pas au juge, mais au premier huissier ou sergent royal sur ce requis, auquel il mande de faire commandement au juge de faire telle chose s’il lui appert, &c.

Ces sortes de lettres ne sont jamais censées être accordées au préjudice des droits du roi ni de ceux d’un tiers ; c’est pourquoi la clause, sauf le droit du roi & celui d’autrui, y est toujours sous-entendue.

La minute de ces lettres est en papier, mais l’expédition se fait en parchemin ; il faut qu’elle soit lisible, sans ratures ni interlignes, renvois ni apostilles.

Les lettres de grande chancellerie sont signées en cette forme : par le roi en son conseil ; si c’est pour le Dauphiné, on met par le roi dauphin ; si c’est pour la Provence, on met par le roi, comte de Provence. Celles du petit sceau sont signées par le conseil.

Toutes les lettres royaux sont de grace ou de justice. Voyez Lettres de grace & Lettres de justice. (A)

Lettres de sang, ou Lettres de grace en matiere criminelle : il en est parlé dans le sciendum de la chancellerie & dans l’ordonnance de Charles V. alors régent du royaume, du 27 Janvier 1359, art. xxij. (A)

Lettres de santé sont des certificats délivrés par les officiers de ville ou par le juge du lieu, que l’on donne à ceux qui voyagent sur terre ou sur mer lorsque la peste est en quelque pays, pour montrer qu’ils ne viennent pas des lieux qui en sont infectés. (A)

Lettres du grand sceau, sont des lettres qui s’expédient en la grande chancellerie, & qui sont scellées du grand sceau du roi.

L’avantage que ces sortes de lettres ont sur celles qui ne sont expédiées qu’au petit sceau, est qu’elles sont exécutoires dans toute l’étendue du royaume sans visa ni pareatis ; au lieu que celles du petit sceau ne peuvent s’exécuter que dans le ressort de la petite chancellerie où elles ont été obtenues, à moins que l’on n’obtienne un pareatis du juge en la jurisdiction duquel on veut s’en servir, lorsqu’elle est hors le ressort de la chancellerie dont les lettres sont émanées.

Il y a des lettres que l’on peut obtenir indifféremment au grand ou au petit sceau ; mais il y en a d’autres qui ne peuvent être expédiées qu’au grand sceau, en présence de M. le garde des sceaux qui y préside.

Telles sont les lettres de rémission, d’annoblissement, de légitimation, de naturalité, de réhabilitation, amortissemens, priviléges, évocations, exemptions, dons & autres semblables.

Ces sortes de lettres ne peuvent être expédiées que par les secrétaires du roi servant près la grande chancellerie. Voyez ci-après Lettres du petit sceau. (A)

Lettres du petit sceau, sont celles qui s’expédient dans les petites chancelleries établies près les cours & présidiaux, & qui sont scellées du petit sceau, à la différence des lettres de grande chancellerie, qui sont scellées du petit sceau.

Telles sont les émancipations ou bénéfice d’âge, les lettres de bénéfice d’inventaire, lettres de terriers, d’attribution de jurisdiction pour criées, les committimus au petit sceau, les lettres de main-souveraine, les lettres d’assiette, les reliefs d’appel simple ou comme d’abus, les anticipations, désertions, compulsoires, rescisions, requêtes civiles & autres, dont la plûpart ne concernent que l’instruction & la procédure.

Quelques-unes de ces lettres ne peuvent être dressées que par les secrétaires du roi ; d’autres peuvent l’être aussi par les référendaires concurremment avec eux.

Ces lettres ne sont exécutoires que dans le ressort de la chancellerie où elles ont été obtenues.

On obtient quelquefois au grand sceau des lettres que l’on auroit pu aussi obtenir au petit sceau : on le fait alors pour qu’elles puissent être exécutées dans tout le royaume sans visa ni pareatis. Voyez ci-devant Lettres du grand sceau. (A)

Lettres de scholarité, sont des lettres testimoniales ou attestations qu’un tel est écolier juré de l’université qui lui a accordé ces lettres. Voyez Garde gardienne & Scholarité. (A)

Lettres de séparation, sont des lettres du petit sceau que l’on obtient dans les provinces d’Auvergne, Artois, Saint-Omer & quelques autres pays, pour autoriser la femme à former sa demande en séparation de biens. (A)

Lettres simples, en style de chancellerie, sont celles qui payent le simple droit, lequel est moindre que celui qui est dû pour les lettres appellées doubles.

On met dans la classe des lettres simples tous arrêts, tant du conseil que des cours souveraines, qui portent seulement assigné & défenses de poursuites, pareatis sur lesdits arrêts & sentences, relief d’adresse, surannation & autres lettres, selon que les droits en sont reglés en connoissance de cause.

Les lettres simples civiles sont ordinaires ou extraordinaires ; les premieres sont celles dont on parle d’abord ; on appelle simples, civiles, extraordinaires les reglemens de juges & toutes autres commissions pour assigner au conseil. En matiere criminelle, il y a de même deux sortes de lettres simples, les unes ordinaires & les autres extraordinaires.

Lettres de souffrance sont la même chose que les lettres de main-souveraine : elles sont plus connues sous ce dernier nom. Voyez ci-devant Lettres de main-souveraine. (A)

Lettres de soudiaconat, sont l’acte par lequel un évêque confere à un clerc l’ordre de soudiacre. Voyez Diaconat & Soudiaconat. (A)

Lettres de subrogation, sont des lettres du petit sceau usitées pour la province de Normandie ; elles s’accordent au créancier lorsque son débiteur est absent depuis long-tems, & qu’il a laisse des héritages vacans & abandonnés par ses héritiers présomptifs. Lorsque ces héritages ne peuvent supporter les frais d’un decret, le créancier est recevable à prendre des lettres portant subrogation à son profit au lieu & place de l’absent, pour jouir par lui de ces héritages & autres biens de son débiteur, à la charge néanmoins par lui de rendre bon & fidele compte des jouissances au débiteur au cas qu’il revienne. L’adresse de ces lettres se fait au juge royal dans la jurisdiction duquel les biens sont situés. (A)

Lettres de surannation s’obtiennent en grande ou petite chancellerie, selon que les lettres auxquelles elles doivent être adaptées sont émanées de l’une ou de l’autre. L’objet de ces lettres est d’en valider de précédentes, nonobstant qu’elles soient surannées ; car toutes lettres de chancellerie ne sont valables que pour un an. Les lettres de surannation s’attachent sur les anciennes. (A)

Lettres de surséance signifient souvent la même chose que les lettres d’état ; cependant par lettres de surséance on peut entendre plus particulierement une surséance générale que l’on accorde en certain cas à tous les officiers, à la différence des lettres d’état, qui se donnent à chaque particulier séparément.

Le premier exemple que l’on trouve de ces surséances générales est sous Charles VI. en 1383. Ce prince, averti de l’arrivée des Anglois en Flandres ; assembla promptement sa noblesse ; elle se rendit à ses ordres au nombre de 16000 hommes d’armes, & lui demanda en grace, que tant qu’elle seroit occupée au service, on ne pût faire contr’elle aucunes procédures de justice ; ce que Charles VI. lui accorda. Daniel, Hist. de France, tom. II. p. 768. Voyez ci-devant Lettres d’état, & ci-après Lettres de répi, & au mot Répi. (A)

Lettres de terrier, sont une commission générale qui s’obtient en chancellerie par les seigneurs qui ont de grands territoires & beaucoup de redevances seigneuriales, pour faire appeller pardevant un ou deux notaires à ce commis, tous les débiteurs de ces redevances, afin de les reconnoître, exhiber leurs titres, payer les arrérages qui sont dûs, & passer des déclarations en forme authentique. Voyez Terrier. (A)

Lettres testimoniales, en cour d’église sont celles qu’un supérieur ecclésiastique donne à quelqu’un de ceux qui lui sont subordonnés ; telles sont les lettres que l’évêque donne à des clercs pour attester qu’ils ont reçu la tonsure, les quatre mineurs ou les ordres sacrés ; telles sont aussi les lettres qu’un supérieur régulier donne à quelqu’un de ses religieux pour attester ses bonne vie & mœurs, ou le congé qu’on lui a donné, &c.

Les lettres de scholarité sont aussi des lettres testimoniales. Voyez Scholarité, & ci-devant Lettres commendatices. (A)

Lettres de validation de criées ; il est d’usage dans les coûtumes de Vitry, Château-neuf & quelques autres, avant de certifier les criées, d’obtenir en la petite chancellerie des lettres de validation ou autorisation de criées, dont l’objet est de couvrir les défauts qui pourroient se trouver dans la signification des criées, en ce qu’elles n’auroient pas été toutes signifiées en parlant à la personne du saisi, comme l’exigent ces coûtumes. Ces lettres s’adressent au juge du siége où les criées sont pendantes. (A)

Lettres de vétérance sont des lettres du grand sceau, par lesquelles le roi conserve à un ancien officier de sa maison ou de justice qui a servi 20 ans, les mêmes honneurs & priviléges que s’il possédoit encore son office. Voyez Vétérance. (A)

Lettres de vicariat général sont de trois sortes ; savoir, celles que les évêques donnent à quelques ecclésiastiques pour exercer en leur nom & à leur décharge la jurisdiction volontaire dans leur diocèse. Voyez Grands Vicaires.

On appelle de même celles qu’un évêque donne à un conseiller-clerc du parlement pour instruire, conjointement avec l’official, le procès à un ecclésiastique accusé de cas privilégié. Voyez Cas privilégié & Délit commun.

Enfin on appelle encore lettres de vicariat général celles qu’un curé donne à son vicaire. Voyez Vicaire. (A)

Lettre de voiture est une lettre ouverte que l’on adresse à celui auquel on envoie, par des rouliers & autres voituriers, quelques marchandises sujettes aux droits du roi ; elle contient le nom du voiturier, la qualité & la quantité des marchandises, leur destination, & l’adresse de celui auquel elles sont destinées, & est signée de celui qui fait l’envoi.

L’ordonnance des aides veut que les lettres de voiture que l’on donne pour conduire du vin, soient passées devant notaire. Voyez le titre V. article 2. & 3. & le Dictionnaire des aides, au mot lettres de voiture. (A)

Lettre a usances ou a une, deux ou trois usances, est une lettre de change qui n’est payable qu’au bout d’un, deux ou trois mois ; car en style de change, une usance signifie le délai d’un mois composé de trente jours, encore que le mois fût plus ou moins long. Voyez l’ordonnance du commerce, titre V. article v. & ci-devant Lettres de change. (A)

Lettre a vue est une lettre de change qui est payable aussi-tôt qu’elle est présentée à celui sur lequel elle est tirée, à la différence de celles qui ne sont exigibles qu’après un certain délai. Quand les lettres sont payables à tant de jours de vûe, le délai ne court que du jour que la lettre a été présentée. Voyez Lettre de change. (A)

Lettres, s. f. (Gramm.) on comprend sous ce nom tous les caracteres qui composent l’alphabet des différentes nations. L’écriture est l’art de former ces caracteres, de les assembler, & d’en composer des mots tracés d’une maniere claire, nette, exacte, distincte, élégante & facile ; ce qui s’exécute communément sur le papier avec une plume & de l’encre. Voyez les articles Papier, Plume & Encre.

L’écriture étoit une invention trop heureuse pour n’être pas regardée dans son commencement avec la plus grande surprise. Tous les peuples qui en ont successivement eu la connoissance, n’ont pû s’empêcher de l’admirer, & ont senti que de cet art simple en lui-même les hommes retireroient toujours de grands avantages. Jaloux d’en paroitre les inventeurs, les Egyptiens & les Phéniciens s’en sont long-tems disputé la gloire ; ce qui met encore aujourd’hui en question à laquelle de ces deux nations on doit véritablement l’attribuer.

L’Europe ignora les caracteres de l’écriture jusques vers l’an du monde 2620, que Cadmus passant de Phénicie en Grece pour faire la conquête de la Bœotie, en donna la connoissance aux Grecs ; & 200 ans après, les Latins la reçurent d’Evandre, à qui Latinus leur roi donna pour récompense une grande étendue de terre qu’il partagea avec les Arcadiens qui l’avoient accompagné.

L’écriture étoit devenue trop utile à toutes les nations policées pour éprouver le sort de plusieurs autres découvertes qui se sont entiérement perdues. Depuis sa naissance jusqu’au tems d’Auguste, il paroit qu’elle a fait l’étude de plusieurs savans qui, par les corrections qu’ils y ont faites, l’ont portée à ce degré de perfection où on la voit sous cet empereur. On ne peut disconvenir que l’écriture n’ait dégénéré par la suite de la beauté de sa formation ; & qu’elle ne soit retombée dans la grossiereté de son origine, lorsque les Barbares, répandus dans toute l’Europe comme un torrent, vinrent fondre sur l’empire romain, & porterent aux Arts les coups les plus terribles. Mais, toute défectueuse qu’elle étoit, on la recherchoit, & ceux qui la possédoient, étoient regardés comme des savans du premier ordre. A la renaissance des Sciences & des Arts, l’écriture fut, pour ainsi dire, la premiere à laquelle on s’appliqua le plus, comme à un art utile, & qui conduisoit à l’intelligence des autres. Comme on fit un principe de le rendre simple, on retrancha peu-à-peu les traits inutiles qui l’embarrassoient ; & en suivant toujours cette méthode, on est enfin parvenu à lui donner cette forme gracieuse dont le travail n’est point difficile. N’est-il pas singulier que l’écriture si nécessaire à l’homme dans tous les états, qu’il ne peut l’ignorer sans s’avilir aux yeux des autres, à qui nous sommes redevables de tant de connoissances qui ont formé notre esprit & policé nos mœurs : n’est-il pas, dis-je, singulier qu’un art d’une si grande conséquence soit regardé aujourd’hui avec autant d’indifférence qu’il étoit recherché avec ardeur, quand il n’étoit qu’à peine dégrossi & privé des graces que le bon goût lui a fait acquérir ? L’histoire nous fournit cent exemples du cas que les empereurs & les rois faisoient de cet art, & de la protection qu’ils lui accordoient. Entre autres, Suétone nous rapporte dans la vie d’Auguste, que cet empereur enseignoit à écrire à ses petits-fils. Constantin le Grand chérissoit la belle écriture au point qu’il recommanda à Eusebe de Palestine, que les livres ne fussent écrits que par d’excellens ouvriers, comme ils ne devoient être composés que par de bons auteurs. Pierre Messie en ses leçons, liv. III. chap. j. Charlemagne s’exerçoit à former le grand caractere romain. Hist. littéraire de la France. Selon la nouvelle diplomatique, tome II. p. 437. Charles V. & Charles VII. rois de France, écrivoient avec élégance & mieux qu’aucun maître de leur tems. Nous avons eu deux ministres, célebres par leur mérite, MM. Colbert & Desmarets, qui écrivoient avec la plus grande propreté. Le premier sur-tout aimoit & se connoissoit à cet art. Il suffisoit de lui présenter des pieces élégamment écrites pour obtenir des emplois. Ce siecle, où les belles mains étoient récompensées, a disparu trop tôt ; celui auquel nous vivons, n’offre que rarement à la plume de si heureux avantages. Un trait arrivé presque de nos jours à Rome, & attesté par M. l’abbé Molardini, secrétaire du saint-office della propaganda fide, fera connoître que l’écriture trouve encore des admirateurs, & qu’elle peut conduire aux dignités les plus éminentes ; il a assuré qu’un cardinal de la création de Clément XII. dût en partie son élévation à l’adresse qu’il avoit de bien écrire. Ce fait, tout véritable qu’il soit, paroitra extraordinaire & même douteux à beaucoup des personnes, mais les Italiens pensent autrement que nous sur l’écriture ; un habile écrivain parmi eux est autant estimé qu’un fameux peintre ; il est décoré du titre de virtuoso, & l’art jouit de la prérogative d’être libre.

S’il est indispensable de savoir écrire avec art & avec méthode, il est aussi honteux de ne le pas savoir ou de le savoir mal. Sans entrer ici dans les détails, & faire sentir les malheurs que cette ignorance occasionne, je ne m’arrêterai qu’à quelques faits. Quintillien, instit. orat. liv. I. chap. j. se plaint que de son tems on négligeoit cet art, non pas jusqu’à dédaigner d’apprendre à écrire, mais jusqu’à ne point se soucier de le faire avec élégance & promptitude. L’empereur Carin est blâmé par Vopisque d’avoir porté le dégoût pour l’écriture jusqu’à se décharger sur un secrétaire du soin de contrefaire sa signature. Egnate, liv. I. rapporte que l’empereur Licinius fut méprisé, parce qu’il ignoroit les lettres, & qu’il ne pouvoit placer son nom au bas de ses ordonnances. J’ai appris d’un homme très-connu par de savans ouvrages, & dont je tairai le nom, un trait singulier de M. le maréchal de Villars. Dans une de ses campagnes, ce héros conçut un projet qu’il écrivit de sa main. Voulant l’envoyer à la cour, il chargea un secrétaire de le transcrire ; mais il étoit si mal écrit que ce secrétaire ne put le déchiffrer, & eut recours dans cet embarras au maréchal, qui ne pouvant lui-même lire ce que sa main avoit tracé, dit, que l’on avoit tort de faire négliger l’écriture aux jeunes seigneurs, laquelle étoit si nécessaire à un homme de guerre, qui en avoit besoin pour le secret, & pour que ses ordres étant bien lus, pussent être aussi exécutés ponctuellement. Ce trait prouve bien la nécessité de savoir écrire proprement. L’écriture est une ressource toujours avantageuse, & l’on peut dire qu’elle fait souvent sortir un homme de la sphere commune pour l’élever par degrés à un état plus heureux, où souvent il n’arriveroit pas s’il ne possédoit ce talent. Un jeune gentilhomme, étant à l’armée, sollicitoit à la cour une place très-avantageuse dans une ville frontiere. Il étoit sur le point de l’obtenir, lorsqu’il envoya au ministre un mémoire qui étant mal écrit & mal conçu, fit voir une ignorance qui n’est pas pardonnable dans un homme de condition, & que le poste qu’il désiroit ne supportoit point ; aussi n’en fut-il point pourvû.

On voit par cet exemple que l’art d’écrire est aussi nécessaire aux grands qu’aux petits. Un roi, un prince, un ministre, un magistrat, un officier, peuvent se dispenser de savoir peindre, jouer d’un instrument, mais ils ne peuvent assez ignorer l’écriture pour ne la pas former au moins dans un goût simple & facile à lire. Ce n’est pas, me dira-t-on, qu’on refuse de leur donner des maîtres dans leur bas âge, il est vrai, mais a-t-on fait un bon choix ? Il arrive tous les jours que des gens inconnus & d’une foible capacité sont admis pour instruire d’un art dont ils n’ont eux-mêmes qu’une légere teinture, & sur-tout de celui d’écrire, qui a le caractere unique d’être utile jusqu’au dernier instant de la vie. Dans tel genre de talens que ce soit, un bon maître doit être recherché, considéré & récompensé. Par son habileté & son expérience, on apprend dans le beau, dans le naturel, & d’une maniere qui ne se corrompt point, & qui se soutient toujours, parce que son enseignement est établi sur des principes certains & vrais. Je ne puis mieux donner pour imitation que ce qui a été observé aux éducations de deux princes vivans pour le bonheur des hommes. Ce sont M. le duc d’Orléans & M. le prince de Condé. Tous deux écrivent avec goût & avec grace ; tous deux ont appris de maîtres titrés, écrivains habiles, & qui avoient donné des preuves de leur supériorité. Ce qui s’est exécuté dans l’établissement de l’école royale militaire, assure encore mon sentiment. On a fait choix pour l’écriture de maîtres connus, approuvés, & connoissant à fond leur art ; ce qui prouve que M. Paris du Verney, à qui rien n’échappe, le regarde comme une des parties essentielles de l’éducation de la jeune noblesse qu’on y éleve. On peut dire, à la louange de ce grand homme, que les talens sont bien reçus chez lui, & que l’écriture y tient une place honorable. Le siecle de Colbert renaîtroit assurément, s’il étoit à portée, comme ce ministre, de favoriser les bons écrivains.

Je me suis un peu étendu sur l’art d’écrire, parce que j’ai cru qu’il étoit nécessaire de faire sentir combien on avoit tort de le négliger. Une fois persuadé de cette vérité, on doit encore être certain que l’écriture ne s’apprend que par des principes. Personne, je crois, ne met en doute qu’il n’est point d’art qui n’en soit pourvu, & il seroit absurde de soutenir que l’écriture en est exemte. Si elle étoit naturelle à l’homme, c’est-à-dire, qu’il pût écrire avec grace & proprement dès qu’il en auroit la volonté & sans l’avoir apprise, alors je conviendrois que cet art seroit le seul qui ne fût pas fondé sur les regles. Mais on sait que les arts ne s’apprennent point sans le secours des maîtres & sans les principes. Comme il faut tous ces secours, moins à la vérité pour des seigneurs, qui n’ont besoin que d’une écriture simple & réguliere, & plus pour ceux qui veulent approfondir l’art, il est clair que dans l’un & l’autre cas, on doit être enseigné par de bons maîtres & par les principes. Mais il ne faut pas que ces principes soient confus & multipliés ; ils doivent être au contraire simples, naturels & démontrés si sensiblement, qu’on puisse soi-même connoître les défauts de son caractere, lorsqu’il n’est pas tracé dans la forme que le maître a peint à l’imagination. Tous les arts, dit avec raison M. de Voltaire, sont accablés par un nombre prodigieux de regles, dont la plûpart sont inutiles ou fausses. En effet, la multiplicité des regles & l’obscurité dont l’artiste enveloppe ses démonstrations, rebutent souvent l’éleve, qui ne peut les éclaircir par son peu d’intelligence ou de volonté.

Je n’irai pas plus loin sur la nécessité des principes dans les arts, je passe à l’origine des écritures qui sont en usage en France & à leurs caracteres distinctifs.

Trois écritures sont en usage ; la françoise ou la ronde, l’italienne ou la batarde, la coulée ou de permission.

La ronde tire son origine des caracteres gothiques modernes qui prirent naissance dans le douzieme siecle. On l’appelle françoise, parce qu’elle est la seule écriture qui soit particulierement affectée à cette nation si connue pour la perfection qu’elle communique aux arts. Voilà pour sa naissance, voyons son caractere propre.

La ronde est une écriture pleine, frappante & majestueuse. La difformité la déguise entierement. Elle veut une composition abondante ; ce n’est pas qu’elle ne flatte dans la simplicité, mais quand elle produit des effets mâles & recherchés, & qu’il y a une union intime entr’eux, elle acquiert beaucoup plus de valeur. Elle exige la perfection dans sa forme, la justesse dans ses majeures, le goût & la rectitude dans le choix & l’arrangement de ses caracteres, la délicatesse dans le toucher & la grace dans l’ensemble. Elle admet les passes & autres mouvemens, tantôt simples & tantôt compliqués, mais elle les veut conçus avec jugement, exécutés avec une vive modération & proportionnés à sa grandeur. Elle demande encore dans l’accessoire, qui sont les cadeaux & les lettres capitales, de la variété, de la hardiesse & du piquant. Cette écriture est la plus convenable à la langue françoise, qui est féconde en parties courbes.

L’italienne ou la bâtarde tire son origine des caracteres des anciens romains. Elle a le surnom de bâtarde, lequel vient, suivant les uns, de ce qu’elle n’est point en France l’écriture nationale ; & suivant les autres, de sa pente de droite à gauche. Cette pente n’a commencé à paroître dans cette écriture, qu’après les ravages que firent en Italie les Goths ou les Lombards.

L’essentiel de cette écriture consiste dans la simplicité & la précision. Elle ne veut que peu d’ornemens dans sa composition ; encore les exige-t-elle naturels & de facile imitation. Elle rejette tout ce qui sent l’extraordinaire & le surprenant. Elle a dans son caractere uni bien des difficultés à rassembler pour la peindre dans sa perfection. Il lui faut nécessairement pour flatter les yeux, une position de plume soutenue, une pente juste, des majeures simples & correctes, des liaisons délicates, de la légereté dans les rondeurs, du tendre & du moëlleux dans le toucher. Son accessoire a pour fondement le rare & le simple. Rien de mieux que les caracteres de cette écriture pour exécuter la langue latine, qui est extrémement abondante en parties droites ou jambages.

La coulée ou l’écriture de permission dérive également des deux écritures dont je viens de parler : on l’appelle de permission, parce que chacun en l’écrivant y ajoûte beaucoup de son imagination. L’origine de cette écriture est du commencement de ce siecle.

Cette écriture la plus usitée de toutes, tient comme le milieu entre les deux autres. Elle n’a ni la force & la magnificence de la premiere, ni la simplicité de le seconde. Elle approche de toutes les deux, mais sans leur ressembler ; elle reçoit dans sa composition toutes sortes de mouvemens & de variétés. Son essence est de paroître plus prompte & plus animée que les autres écritures. Elle demande dans son exécution de la facilité ; dans son expédition, de la vîtesse ; dans sa pente, de la régularité ; dans ses liaisons, de la finesse ; dans ses majeures, du feu & du principe ; & dans son toucher, un frappant qui donne du relief avec de la douceur. Son accessoire ne doit être ni trop chargé, ni trop uni. Cette écriture si ordinaire à tous les états, n’est nullement propre à écrire le latin.

Après cette idée des écritures, qui est suffisante pour faire sentir que le caprice n’en doit diriger aucune, il est à propos de dire un mot sur l’esprit qui a fait composer les Planches qui les concernent. L’auteur fixé à 15, n’a pu s’étendre autant qu’il l’auroit desiré ; néanmoins voulant rendre son ouvrage utile, & à la portée de toutes les personnes, il ne s’est point écarté du simple & du naturel. En rassemblant le tout à peu de démonstrations & de mots, il a rejetté tous les principes introduits par la nouveauté, & consacrés par un faux goût. Toute simple que soit l’écriture, elle est déja assez difficile par elle-même, sans encore chercher à l’embarrasser par des proportions superflues multipliées, & à la démontrer avec des termes peu connus, & qui chargent la mémoire sans aucun fruit.

On terminera cet article par la composition des différentes encres, & par un moyen de révivifier l’écriture effacée, lorsque cela est possible.

Les trois principales drogues qui servent à la composition des encres, sont la noix de galle, la couperose verte & la gomme arabique.

La noix de galle est bonne lorsqu’elle est menue, très-velue, ferme ou bien pleine en-dedans, & qu’elle n’est point poudreuse.

La bonne couperose se connoît quand elle est de couleur céleste, tant dans l’intérieur que dans l’extérieur.

La gomme arabique est bonne, lorsqu’elle est claire & qu’elle se brise facilement.

Encres à l’usage des maîtres Ecrivains. Il faut prendre quatre onces de noix de galle les plus noires, épineuses & non trouées, & les concasser seulement. Un morceau de bois d’inde, gros comme une moyenne plume, & long comme le petit doigt, que l’on réduit en petits morceaux ; un morceau d’écorce de figuier, de la grosseur de quatre doigts. On mettra ces trois choses dans un coquemar de terre neuf, avec deux pintes d’eau du ciel ou de riviere, mesure de Paris : on fera bouillir le tout jusqu’à diminution de moitié, en observant que la liqueur ne se répande pas en bouillant.

Ensuite on prendra quatre onces de vitriol romain que l’on fera calciner, & une demi-livre ou plus de gomme arabique. On mettra le vitriol calciné dans un linge, & on l’attachera en mode de poupée. On mettra la gomme dans un plat de terre neuf. On posera dans le même plat la poupée où sera le vitriol ; puis quand l’encre sera diminuée comme on vient de l’expliquer, on mettra un linge blanc sur le plat dans lequel sera la gomme & la poupée de vitriol, & on passera l’encre toute bouillante par ce linge, laquelle tombera dans le plat qui sera pour cet effet sur un réchaud de feu, prenant garde pourtant qu’elle ne bouille pas dans ce plat, car alors l’encre ne vaudroit rien. On remuera l’encre en cet état avec un bâton de figuier assez fort pour empêcher la gomme de s’attacher au fond du plat, & cela de tems en tems. On pressera la poupée de vitriol avec le bâton, & on essayera cette encre de moment en moment, pour lui donner le degré de noir que l’on voudra, & jusqu’à ce que la gomme soit fondue.

On peut recommencer une seconde fois sur les mêmes drogues, en y ajoûtant pareille quantité d’eau, de bois d’inde & d’écorce de figuier ; la seconde se trouve quelquefois la meilleure.

Cette encre qui est très-belle, donne à l’écriture beaucoup de brillant & de délicatesse.

Autre. Une once de gomme arabique bien concassée, deux onces de noix de galle triée & aussi-bien concassée ; trois ou quatre petits morceaux de bois d’inde, & gros comme une noix de suc candi.

Il faut dans un pot de terre vernissé, contenant cinq demi-setiers, faire infuser dans une pinte de bierre rouge ou blanche, les quatre drogues ci dessus pendant trois quarts d’heure auprès d’un feu bien chaud sans bouillir ; ensuite on y mettra une demi-once de couperose verte, que l’on laissera encore au feu pendant une demi-heure, toujours sans bouillir. Lorsque l’encre est faite, il faut la passer & la mettre à la cave pour la mieux conserver : cette encre est très-belle & très-luisante.

Encre grise. L’encre grise se fait de la même maniere & avec les mêmes drogues que la précédente, à l’exception de la couperose verte que l’on ne met point. On ne la doit laisser au feu qu’une bonne heure sans bouillir : on passe cette encre, & on la met à la cave ainsi que l’autre.

L’encre grise se mêle dans le cornet avec l’encre noire ; on met moitié de l’une & moitié de l’autre. Si la noire cependant étoit trop foncée ou trop épaisse, il faudroit augmenter la dose de l’encre grise pour la rendre plus légere & plus coulante.

Encre pour le parchemin. Toutes sortes d’encres ne conviennent point pour écrire sur le parchemin ; la luisante devient jaune ; la légere boit, & la trop gommée s’écaille : en voici une qui est exempte de ces inconvéniens.

Prenez un quarteron & demi de noix de galle de la plus noire, & un quarteron & demi de gomme arabique, demi-livre de couperose d’Hongrie, & faites piler le tout dans un mortier, puis vous mettrez le tout ensemble dans une cruche de terre avec trois pintes d’eau de pluie ou de vin blanc, mesure de Paris. Il faut avoir soin pendant trois ou quatre jours de la remuer souvent avec un petit bâton sans la faire bouillir ; elle sera bien blanche en écrivant, & d’un noir suffisant vingt-quatre heures après.

Encre de communication. On appelle ainsi une encre qui sert pour les écritures que l’on veut faire graver. Elle se détache du papier, & se fixe sur la cire blanche que le graveur a mise sur la planche.

Cette encre est composée de poudre à canon, à volonté, réduite en poudre très-fine, avec une même quantité du plus beau noir d’impression ; à ces deux choses on ajoûte un peu de vitriol romain : le tout se met dans un petit vase avec de l’eau. Il faut avoir le soin lorsque l’on fait usage de cette liqueur, de remuer beaucoup à chaque lettre le vase dans lequel elle se trouve. Si cette encre devenoit trop épaisse, il faudroit y mettre de l’eau, & si au contraire elle étoit trop foible, on la laisseroit reposer, pour en ôter après un peu d’eau.

Encre rouge. Il faut avoir quatre onces de bois de brésil, un sol d’alun de rome, un sol ou six liards de gomme arabique, & deux sols de suc candi. On fera d’abord bouillir les quatre onces de bois de brésil dans une pinte d’eau pendant un bon quart-d’heure, puis on y ajoûtera le reste des drogues que l’on laissera bouillir encore un quart-d’heure.

Cette encre se conserve long-tems ; & plus elle est vieille, & plus elle est rouge.

Encre blanche pour écrire sur le papier noir. Il y a deux sortes d’encres blanches. La premiere consiste à mettre dans l’eau gommée, une suffisante quantité de blanc de plomb pulvérisé, de maniere que la liqueur ne soit ni trop épaisse ni trop fluide ; la seconde est plus composée, & elle vaut mieux : la voici.

Prenez coquilles d’œufs frais bien lavées & bien blanchies ; ôtez la petite peau qui est en dedans de la coque, & broyez-les sur le marbre bien nettoyé avec de l’eau claire ; mettez-les ensuite dans un vase bien net, & laissez les reposer jusqu’à ce que la poudre soit descendue au fond. Vuidez ensuite légérement l’eau qui reste dessus, & faites sécher la poudre au soleil ; & lorsqu’elle sera bien seche vous la serrerez proprement. Quand vous en voudrez faire usage, prenez de la gomme ammoniaque, de celle qui est en larmes & en morceaux ronds ou ovales, blancs dans leur intérieur, & jaunâtres au-dehors, très-bien lavée, & émondée de la peau jaune qui la couvre. Mettez-la ensuite détremper l’espace d’une nuit dans du vinaigre distillé, que vous trouverez le lendemain de la plus grande blancheur ; vous passerez le tout ensuite à-travers un linge bien propre, & vous y mêlerez de la poudre de coquilles d’œufs. Cette encre est si blanche qu’elle peut se voir sur le papier.

Moyen de révivifier l’encre effacée. Prenez un demi-poisson d’esprit-de-vin, cinq petites noix de galle (plus ces noix seront petites, meilleures elles seront) ; concassez-les, reduisez-les en une poudre menue ; mettez cette poudre dans l’esprit-de-vin. Prenez votre parchemin ou papier, exposez-le deux minutes à la vapeur de l’esprit-de-vin échauffé. Ayez un petit pinceau, ou du coton ; trempez-le dans le mélange de noix de galle & d’esprit-de-vin, & passez-le sur l’écriture : l’écriture effacée reparoîtra, s’il est possible qu’elle reparoisse. Article de M. Paillasson, expert écrivain-juré.