L’Encyclopédie/1re édition/VÉTÉRAN

◄  VETERA

VÉTÉRAN, (Art milit. des Romains.) soldat qui avoit fini son tems de service : ce tems marqué par les lois romaines, étoit depuis dix-sept ans jusqu’à quarante-six, & chez les Athéniens jusqu’à quarante ans ; un soldat vétéran est appellé dans les auteurs latins miles veteranus.

L’usage de ce mot ne s’est introduit que vers la fin de la république ; mais son origine doit être rapportée à la premiere distribution que Servius Tullius fit du peuple romain en classes & en centuries, & où il distingua les centuries des vieillards, de celles des jeunes gens ; il appella les compagnies qu’il forma des uns centuriæ juniorum, & celles qu’il forma des autres, centuriæ seniorum. Ceux-ci qui étoient de vieux soldats furent destinés à la garde de la ville ; au-lieu que le partage des autres étoit d’aller chercher l’ennemi, & de lui porter la guerre dans son propre pays : cette disposition subsista fort longtems.

Après que les Romains eurent reculés leurs frontieres, les vieux soldats qui dans les commencemens défendoient les murs & les environs de Rome, furent employés à la garde du camp, pendant que la jeunesse combattoit en pleine campagne ; ou s’il s’agissoit d’une action générale, ils étoient à la troisieme ligne sous le nom de triarii.

Le peuple romain s’étant fort multiplié, & réussissant toujours dans les guerres qu’il portoit au-dehors, l’amour de la patrie & la gloire du service militaire fournissoient des hommes au-delà du besoin ; & il n’y avoit rien qui s’accordât plus aisément par les magistrats que la dispense d’aller à la guerre, & le congé d’en revenir.

Alors les soldats qui avoient servi quelques années, étoient appellés veteres, anciens, non pour avoir fait un certain nombre de campagnes, mais pour n’être pas confondus avec ceux qui ne faisoient que d’entrer dans le service, & qui étoient appellés par les Latins novitii, tirones. Quand les historiens, long-tems après même, parlent des vieilles troupes, ils le font encore dans les mêmes termes, & confondent veteres, & veterani. Le nom de vétéran n’emportoit alors ni dispense bien marquée, ni avantage bien considérable.

Dans la suite tous les Romains furent obligés de servir pendant un nombre déterminé des campagnes, après lesquelles ils étoient déclarés vetérans, & ne pouvoient être contraints à reprendre les armes que dans les plus pressans besoins de la république.

Mais l’amour du butin, les liaisons d’amitié, les relations de dépendance ou de clientele, les espérances de protection, la reconnoissance des bienfaits, les sollicitations des commandans, rappelloient souvent les vétérans du sein de leur retraite aux armées, & leur faisoient entreprendre encore plusieurs campagnes de surérogation. Ces vétérans qui reprenoient ainsi le metier de la guerre, sont appellés par les écrivains du bon siecle, evocaei ; ils avoient leurs étendards & leurs commandans particuliers.

Les récompenses des vétérans étoient peu de chose dans les premiers tems de la république romaine : ce n’étoit que quelques arpens de terre dans un pays étranger, qui sous le nom de colonie, éloignoient un homme pour toujours de la vue de sa patrie, de sa famille, & de ses amis. Aussi étoit-ce un présent qui ne se faisoit pas moins à ceux qui n’étoient jamais sortis de Rome, & qui n’avoient jamais ceint le baudrier, qu’à ceux qui avoient dévoué toute leur jeunesse à la défense ou à la gloire de l’état ; mais enfin, les récompenses des vétérans devinrent immenses. Tiberius Gracchus leur fit distribuer les trésors d’Attale, qui avoit nommé le peuple romain son hétitier. Auguste voulant se les concilier, fit un reglement pour assurer leur fortune par des récompenses pécuniaires ; & presque tous ses successeurs augmenterent leurs privileges. (D. J.)

On donne encore aujourd’hui en France le nom de vétérans aux officiers qui ont rempli un poste pendant vingt ans, & qui jouissent des honneurs & des privileges attachés à leur charge, même après qu’ils s’en sont démis.

Un conseiller vétéran ou honoraire a voix ou séance aux audiences, mais non pas dans les procès par écrit. Un secrétaire du roi acquiert par la vétérance le droit de noblesse pour lui & ses enfans. Quand au bout de vingt ans de possession d’une charge, on veut en conserver les privileges, il faut obtenir des lettres de vétérance.