L’Encyclopédie/1re édition/CHANGE

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* CHANGE, s. m. (Gramm. Synon. & Comm.) action ou convention par laquelle on cede une chose pour une autre : il y a le troc, l’échange, & la permutation. M. l’abbé Girard prétend, dans ses Synonymes, que change non-seulement n’exprime pas, mais exclut toute idée de rapport : ce qui ne me paroît pas exact ; car changer est un mot relatif, dont le correlatif est de persister dans la possession. On ne peut entendre le terme change sans avoir l’idée de la chose qu’on a, & celle de la chose pour laquelle on la cede. Il désigne l’action de donner & de recevoir. Il y a peu de changes où la bonne-foi soit entiere : il arrive même communément que les deux contractans pensent s’attraper l’un l’autre. S’il y a une inégalité convenue entre les choses qu’on change, la compensation de cette inégalité s’appelle échange. Qu’avez-vous donné en échange ? Echange est cependant aussi synonyme à change ; mais il ne s’applique qu’aux charges, aux terres, & aux personnes : on dit faire un échange d’état, de biens, & de prisonniers. Si le change est de meubles, d’ustensiles, ou d’animaux, il se nomme troc : on troque des bijoux & des chevaux. Quant à la permutation, elle n’a lieu que dans le change des dignités ecclésiastiques : on permute sa cure, son canonicat avec un autre bénéfice. Voyez les Syn. de M. l’abbé Girard.

Le mot change a un grand nombre d’autres acceptions différentes. Il y a celui qu’on appelle menu, ou pur, ou naturel, ou commun : il consiste à prendre des monnoies ou défectueuses, ou étrangeres, ou hors de cours, pour des monnoies du pays & courantes. Cette fonction est exercée dans toutes les villes par des changeurs, moyennant un bénéfice prescrit par le roi. Ce bénéfice s’appelle aussi change. Voyez Changeurs. Change se dit de l’intérêt pour trois mois qu’exige un marchand qui prete à un autre : il se dit de l’escompte d’un billet ; du profit qu’on retire d’avances faites dans le commerce ; de la différence qu’il y a entre l’argent de banque & l’argent courant ; du lieu où se fait le commerce du change dans une ville, voy. l’artic. Change, Architecture ; du revenu usuraire qu’on tire d’un argent prété sans aliénation & sans risque du fond. La suite de cet article, où le mot change est considéré dans son acception la plus importante, la plus étendue, & la plus difficile à examiner, nous a été communiquée par Mr V. D. F.


Il n’y a que deux especes de changes permis dans le commerce.

Le premier est l’échange réel, qui se fait sous un certain droit d’une monnoie pour une autre monnoie, chez les changeurs publics. Voyez Changeurs.

Le second change est une négociation par laquelle un négociant transporte à un autre les fonds qu’il a dans un pays étranger, à un prix dont ils conviennent.

Il faut distinguer deux objets dans cette négociation ; le transport, & le prix de ce transport.

Le transport se fait par un contrat mercantil appellé lettre de change, qui représente les fonds dont on fait la cession. Voyez Lettre de change.

Le prix de ce transport est une compensation de valeur d’un pays à un autre : on l’appelle prix du change. Il se divise en deux parties : l’une est son pair, l’autre son cours.

L’exacte égalité de la monnoie d’un pays à celle d’un autre pays, est le pair du prix du change.

Lorsque les circonstances du commerce éloignent cette compensation de son pair, les variations qui en résultent sont le cours du prix du change.

Le prix du change peut être défini en général, une compensation momentanée des monnoies de deux pays, en raison des dettes réciproques.

Pour rendre ces définitions plus sensibles, il est à propos de considérer le change sous ses divers aspects, & dans toutes ses parties.

Nous examinerons l’origine du change comme transport qu’un négociant fait à un autre des fonds qu’il a dans un pays étranger quelconque, sa nature, son objet, son effet : nous expliquerons l’origine du prix du change, ou de la compensation des monnoies ; son essence, son pair, son cours, la propriété de ce cours, le commerce qui en résulte.

Le premier commerce entre les hommes se fit par échange : la communication s’accrut, & les besoins réciproques augmenterent avec le nombre des denrées. Bientôt une nation se trouva moins de marchandises à échanger, que de besoins ; ou celles qu’elle pouvoit donner, ne convenoient pas à la nation de qui elle en recevoit dans ce moment. Pour payer cette inégalité, l’on eut recours à des signes qui représentassent les marchandises.

Afin que ces signes fussent durables & susceptibles de beaucoup de division sans se détruire, on choisit les métaux, & l’on choisit les plus rares pour en faciliter le transport.

L’or, l’argent, & le cuivre devinrent la mesure des ventes & des achats : leurs portions eurent dans chaque état une valeur proportionnée à la finesse & au poids qu’on leur y donna arbitrairement ; chaque législateur y mit son empreinte, afin que la forme en répondît. Ces portions de métaux d’un certain titre & d’un certain poids furent appellées monnoies. Voyez Monnoie.

A mesure que le commerce s’étendit, les dettes réciproques se multiplierent, & le transport des métaux représentans la marchandise devint pénible : on chercha des signes des métaux mêmes.

Chaque pays achete des denrées, ainsi qu’il en vend ; & par conséquent se trouve tout à la fois débiteur & créancier. On en conclut que pour payer les dettes réciproques, il suffisoit de se transporter mutuellement les créances réciproques d’un pays à un autre, & même à plusieurs, qui seroient en correspondance entre eux. Il fut convenu que les métaux seroient représentés par un ordre que le créancier donneroit par écrit à son débiteur, d’en payer le prix au porteur de l’ordre.

La multiplicité des dettes réciproques est donc l’origine du change considéré comme le transport qu’un négociant fait à un autre des fonds qu’il a dans un pays étranger.

Puisqu’il suppose des dettes réciproques, sa nature consiste dans l’échange de ces dettes, ou des débiteurs. Si les dettes n’étoient pas réciproques, la négociation du change seroit impossible, & le payement de la marchandise se feroit nécessairement par le transport des métaux.

L’objet du change est conséquemment d’épargner le risque & les frais de ce transport.

Son effet est que les contrats qu’il employe ou les lettres de change, représentent tellement les métaux, qu’il n’y a aucune différence quant à l’effet.

Un exemple mettra ces propositions dans un plus grand jour.

Supposons Pierre de Londres débiteur de Paul de Paris, pour des marchandises qu’il lui a demandées ; & qu’en même tems Antoine de Paris en a acheté de Jacques de Londres pour une somme pareille : si les deux créanciers Paul de Paris & Jacques de Londres échangent leurs débiteurs, tout transport de métaux est superflu. Pierre de Londres comptera à Jacques de la même ville, la somme qu’il doit à Paul de Paris ; & pour cette somme, Jacques lui transportera par un ordre écrit, celle qu’il a à Paris entre les mains d’Antoine. Pierre, propriétaire de cet ordre, le transportera à Paul son créancier à Paris ; & Paul, en le représentant à Antoine, en recevra le payement.

Si aucun négociant de Paris n’eût dû à Londres, Pierre eût été obligé de transporter ses métaux à Paris pour acquitter sa dette : ou si Jacques n’avoit vendu à Paris que pour la moitié de la somme que Pierre y devoit, la moitié de la dette de Pierre eût été acquittée par échange, & l’autre moitié par un transport d’especes.

Il est donc évident que le change suppose des dettes réciproques, que sans elles il n’existeroit point, & qu’il consiste dans l’échange des débiteurs.

L’exemple proposé prouve également que l’objet du change est d’épargner le transport des métaux. Supposons les dettes de chacune des deux villes de 10 marcs d’argent, & évaluons le risque avec les frais du commerce à un demi-marc : on voit que sans l’échange des débiteurs il en eût coûté 10 marcs & demi à chacun d’eux, au lieu de dix marcs.

L’effet du change est aussi parfaitement démontré dans cet exemple, puisque la lettre de change tirée par Jacques de Londres sur Antoine de Paris étoit tellement le signe des métaux, que Paul de Paris, à qui elle a été envoyée, a réellement reçu 10 marcs d’argent en la représentant.

Cette partie du change que nous avons définie, le transport qu’un négociant fait à un autre des fonds qu’il a dans un pays étranger, s’applique à la représentation des métaux : la seconde partie, ou le prix du change, s’applique à la chose représentée.

Lorsque l’or, l’argent, & le cuivre, furent introduits dans le commerce pour y être les signes des marchandises, & qu’ils furent convertis en monnoie d’un certain titre & d’un certain poids, les monnoies prirent leur dénomination du poids qu’on leur donna ; c’est-à-dire, qu’une livre pesant d’argent fut appellée une livre.

Les besoins ou la mauvaise foi firent retrancher du poids de chaque piece de monnoie, qui conserva cependant sa dénomination.

Ainsi il y a dans chaque pays une monnoie réelle, & une monnoie idéale.

On a conservé les monnoies idéales dans les comptes pour la commodité : ce sont des noms collectifs, qui comprennent sous eux un certain nombre de monnoies réelles.

Les altérations survenues dans les monnoies, n’ont pas été les mêmes dans tous les pays : le rapport des poids n’est pas égal, non plus que celui du titre ; la dénomination est souvent différente : telle est l’origine de la comparaison qu’il faut faire de ces monnoies pour les échanger l’une contre l’autre, ou les compenser.

Le besoin plus ou moins grand que l’on a de cet échange, sa facilité ou sa difficulté, enfin sa convenance & ses frais, ont une valeur dans le commerce ; & cette valeur influe sur le prix de la compensation des monnoies.

Ainsi leur compensation ou le prix du change, renferme deux rapports qu’il faut examiner.

Ce sont ces rapports qui sont son essence ; car si les monnoies de tous les pays étoient encore réelles, si elles étoient d’un même titre, d’un même poids ; enfin si les convenances particulieres n’étoient point évaluées dans le commerce, il ne pourroit y avoir de différence entre les monnoies ; & dès-lors il n’y auroit point de compensation à faire ; une lettre de change seroit simplement la représentation d’un certain poids d’or ou d’argent.

Une lettre de change sur Londres de 100 livres, représenteroit 100 livres, qui dans cette hypothese seroient réelles & parfaitement égales.

Mais dans l’ordre actuel des choses, la différence entre les monnoies de France & d’Angleterre, & les circonstances du commerce, influeront sur la quantité qu’il faut de l’une de ces monnoies pour payer une quantité de l’autre.

De ces deux rapports, celui qui résulte de la combinaison des monnoies est le plus essentiel, & la base nécessaire de la compensation ou du prix du change.

Pour trouver ce rapport juste de la combinaison des deux monnoies, il faut connoître avec la plus grande précision le poids, le titre, la valeur idéale de chacune, & le rapport des poids dont on se sert dans l’un & l’autre pays pour peser les métaux.

L’argent monnoyé en Angleterre est du même titre que l’argent monnoyé de France ; c’est-à-dire, à 11 deniers de fin, 2 deniers de remede de loi. Voyez Remede de loi.

La livre sterling est une monnoie idéale, ou un nom collectif qui comprend sous lui plusieurs monnoies réelles, comme les écus ou crowns de 60 sous courans, les demi-crowns, les schelins de 12 s. &c.

Les écus ou crowns pesent chacun une once trois deniers treize grains ; mais l’once de la livre de troy (Voyez Livre de troy) ne pese que 480 grains ; ainsi le crown en pese 565, & il vaut 5 s. ou 60 d. sterling.

En France nous avons deux sortes d’écus ; l’écu de change ou de compte, toûjours estimé trois liv. ou 60 f. tournois, valeurs également idéales.

La seconde espece de nos écus, est celle des pieces réelles d’argent que nous appellons écus : ils sont, comme ceux d’Angleterre, au titre effectif de 10 deniers 22 grains de fin : ils sont à la taille de au marc ; le marc de huit onces ; l’once de 576 grains : ils passent pour la valeur de 60 s. mais ils n’en valent intrinséquement que , le marc à 46 liv. 18 s.

Cette différence vient du droit de seigneuriage, & des frais de brassage ou fabrication, évalués à 2 livres 18 sous par marc. Voyez Seigneuriage & Brassage

Tout cela posé, pour connoître combien de parties d’un crown ou de 60 den. sterling acquittera notre écu de la valeur intrinseque de 56 s. 6 den. il faut comparer ensemble les poids & les valeurs ; les titres étant égaux, il n’en résulteroit aucune différence : il est inutile de les comparer.

938 s. prix du marc de France = 8 onces de France
)( once de France = 576 grains de poids.
565 grains poids d’un crown = 60 den. sterling.
X = valeur intrinseque de l’écu courant.

Le rapport 29 den. .

Le nombre trouvé de 29 d. sterling, est le rapport juste de la comparaison des deux monnoies, ou le pair du prix du change ; c’est-à-dire que notre écu réel de la valeur intrinseque de 56 s. 6 den. porté à Londres, y vaudra 29 den. sterling, ou 29 s. 6 d. courans : or notre écu de compte de 3 liv. ou 60 s. tournois représentant l’écu réel, il s’ensuit que sa valeur est la même.

Si conservant le titre, la France augmentoit sa monnoie du double, c’est-à-dire, que le marc d’argent hors d’œuvre à 46 liv. 18 s. montât à 93 liv. 16 s. nos écus réels qui ont cours pour 3 liv. doubleroient de dénomination ; ils prendroient la place des écus qui ont cours pour 6 liv. & ces derniers auroient cours pour douze : mais leur valeur de poids & de titre n’ayant point augmenté, ils ne vaudroient que le même prix relativement à l’Angleterre ; on substitueroit aux écus de 56 s. 6 den. actuels, d’autres écus qui auroient cours pour 3 liv. de au marc : ces écus dont le poids seroit diminué de moitié, ne vaudroient à Londres que 14 den. sterling ; & l’écu de compte représentant toûjours l’écu de 3 liv. réel, la parfaite égalité de la compensation, ou le pair du prix du change seroit à 14 den. sterling.

Si au contraire l’espece diminuoit de moitié, si le marc d’argent hors d’œuvre baissoit de 46 liv. 18 s. à 23 liv. 9 s. le marc, en conservant le titre, nos écus réels qui ont aujourd’hui cours pour 3 liv. ne seroient plus que des pieces de 30 s. valeur numéraire : mais le poids & le titre n’ayant point changé, ces pieces de 30 s. vaudroient toûjours à Londres 29 den. sterling ; les écus qui ont aujourd’hui cours pour 6 liv. de la valeur intrinseque de 113 s. & à la taille de au marc, ne seroient plus que des écus de 3 liv. valeur numéraire, & de 56 s. 6 den. valeur intrinseque : mais le poids de cet écu se trouvant doublé, ils seroient évalués à Londres à 59 den. sterling.

C’est donc le poids & le titre d’une monnoie qui forment évidemment sa valeur relative avec une autre monnoie ; & les valeurs numéraires ne servent qu’à la dénomination de cette valeur relative.

Ce rapport qui indique la quantité précise qu’il faut de l’une pour égaler une quantité de l’autre, est appellé le pair du prix du change : tant qu’il est la mesure de l’échange des monnoies, la compensation est dans une parfaite égalité.

Jusqu’à présent nous n’avons parlé du pair réel du change, que sur la proportion des monnoies d’argent entr’elles ; parce que ce métal étant d’un plus grand usage dans sa circulation, c’est lui qu’on a choisi pour faire l’évaluation de l’échange des monnoies. On se tromperoit cependant si l’on jugeoit toûjours sur ce pié-la du bénéfice que fait une nation dans son change avec les étrangers.

On sait qu’outre la proportion générale & uniforme dans tous les pays, entre les degrés de bonté de l’or & de l’argent, il y en a une particuliere dans chaque état entre la valeur de ces métaux : elle est réglée sur la quantité qui circule de l’une & de l’autre, & sur la proportion que gardent les peuples voisins : car si une nation s’en éloignoit trop, elle perdroit bien-tôt la portion de métal dont il y auroit du profit à faire l’extraction.

L’Angleterre nous fournit l’exemple d’un second pair réel du change : on vient de voir que le pair réel de nos écus de la valeur intrinseque de 56 s. 6 den. est den. sterling ; ainsi les huit valent 236 den. sterling.

La guinée est au même titre que notre loüis d’or à 22 karats : elle pese 2 gros 12 grains, en tout 156 grains, qui valent 21 schelins, ou 252 den. sterling.

Notre loüis d’or pese 2 gros 9 grains, en toüt 153 grains, qui valent par conséquent 247 den. sterling : ainsi les huit écus qui en argent valent 236 d. sterling, en valent 247 den. lorsqu’ils sont représentés par l’or. La différence est de 4 den. sterling ; & il est evident qu’étant repartie sur les huit écus représentés par le loüis d’or, le change de chacun est à 30 den. sterling, au lieu de 29 den. .

Le change étant à 30 den. avec l’Angleterre, nous pourrions lui payer une balance considérable, quoique le pair du prix de l’argent indiquât un bénéfice.

Cette différence vient de ce qu’en France on donne 153 grains d’or pour 2216 grains d’argent, poids des huit écus ; ce qui établit la proportion entre ces deux métaux, comme de 1 à .

En Angleterre on donne 156 grains d’or pour 21 schelins, qui pesent chacun 113 grains d’argent, & en tout 2373 grains ; ainsi la proportion y est comme de 1 à .

Dès-lors si nous avons à payer en Angleterre en especes, il y a de l’avantage à porter des matieres d’or ; & il y en aura pour l’Angleterre à payer en France avec les monnoies d’argent : car la guinée ne vaut dans nos monnoies que 22 liv. 14 s. 7 den. & les schelins qu’elle représente pesant 2373 grains, y seront payés 24 liv. 2 s. 10 den.

Diverses circonstances éloignent le prix du change de celui du pair réel ; & comme ces accidens se varient à l’infini, l’altération de l’égalité parcourt sans cesse différens degrés : cette altération est appellée le cours du prix du change.

Les causes de l’altération du pair du prix du change, sont l’altération du crédit public, & l’abondance ou la rareté des créances d’un pays sur un autre.

Une variation dans les monnoies est un exemple de l’altération que le discrédit public jette dans le pair du prix du change : quoique l’instant même du changement dans la monnoie donne un nouveau pair réel du prix du change ; la confiance publique disparoissant, à cause de l’incertitude de la propriété, & les especes ne circulant pas, il est nécessaire que le signe qui les représente soit au-dessous de sa valeur.

La seconde cause de l’altération du pair dans le prix du change, est l’abondance ou la rareté des créances d’un pays sur un autre ; & cette abondance ou cette rareté ont elles-mêmes deux sources ordinaires.

L’une est le besoin qui oblige le corps politique d’un état à faire passer de grandes sommes d’argent dans l’étranger, comme la circonstance d’une guerre.

L’autre source est dans la proportion des dettes courantes réciproques entre les particuliers.

Les particuliers de deux nations peuvent contracter entre eux deux sortes de dettes réciproques.

L’inégalité des ventes réciproques formera une premiere espece de dettes.

Si l’une des deux nations a chez elle beaucoup d’argent, à un intérêt plus foible que l’on n’en paye dans l’autre nation, les particuliers riches de la premiere acheteront les papiers publics de la seconde, qui paye les intérets de l’argent plus cher : le produit de ces effets qui doit lui être payé tous les ans, forme une seconde espece de dette : elle peut être regardée comme le produit d’un commerce, puisque les fonds publics d’un état se négocient, & que ce placement ne peut être regardé que comme une spéculation : dans ce cas, & dans plusieurs autres, l’argent est marchandise ; ainsi ces deux dettes appartiennent à ce que l’on appelle proprement la balance du commerce ; & elles occasionneront une rareté ou une abondance des créances d’un pays sur un autre. Voyez Commerce.

Lorsque deux nations veulent faire la balance de leur commerce, c’est-à-dire payer leurs dettes réciproques, elles ont recours à l’échange des débiteurs : mais si les dettes réciproques ne sont pas égales, l’échange des débiteurs ne payera qu’une partie de ces dettes ; le surplus, qui est ce que l’on appelle la balance du commerce, devra être payé en especes.

L’objet du change est d’épargner le transport des métaux, parce qu’il est coûteux & risquable : par conséquent chaque particulier, avant de s’y déterminer, cherchera des créances sur le pays où il doit.

Ces créances seront cheres à mesure qu’elles seront plus difficiles à acquérir : par conséquent, pour en avoir la préférence, on les payera au-dessus de leur valeur ; si elles sont communes, on les payera au-dessous.

Supposons que les marchands de Paris doivent aux fabriquans de Roüen vingt mille livres, & que ceux-ci doivent dix mille livres à des banquiers de Paris : pour solder ces dettes, il faudra faire l’échange des dix mille livres de créances réciproques, & voiturer dix mille livres de Paris à Roüen.

Supposons encore les frais & les risques de ce transport à cinq livres par mille livres.

Chaque marchand de Paris tâchera de s’épargner cette dépense ; il cherchera à acheter une créance de mille livres sur Roüen : mais comme ces créances sont rares & recherchées, il donnera volontiers 1004 liv. pour en avoir la préférence, & il s’épargnera une livre de frais par 1000 liv. ainsi la rareté des lettres de change sur Rouen baissera le prix de ce change au-dessous de son pair de quatre liv. par 1000 liv.

Il est bon d’observer que la hausse ou la baisse du prix du change s’entend toûjours du pays sur lequel on voudroit tirer une lettre de change : le change est bas, quand ce pays paye moins de valeur réelle en acquittant une lettre de change, qu’elle n’en a coûté à l’acquéreur : le change est haut, quand ce pays paye plus de valeur réelle en acquittant une lettre de change, qu’elle n’en a coûté à l’acquéreur.

Le pair du prix du change entre Paris & Londres, étant à 29 den. sterling pour un écu de 3 liv. de France ; si le change de Londres baisse à 29 den. Londres payera notre écu au-dessous de sa valeur intrinseque ; si ce change hausse à 30 den. Londres payera notre écu au-dessus de sa valeur réelle.

Pour reprendre l’exemple proposé ci-dessus, on vient de voir qu’à Paris la rareté des créances sur Roüen, fait payer aux acquéreurs des lettres de change 1004 liv. pour recevoir 1000 liv. à Roüen.

Le contraire arrivera dans cette derniere : Paris lui devant beaucoup, les créances sur Paris y seront abondantes : les fabriquans de Roüen qui doivent à Paris, donneront ordre au banquier de tirer sur eux, parce qu’ils savent qu’avec 1000 liv. sur Roüen, ils acquitteront 1004 liv. à Paris ; ou si on leur propose des créances sur Paris, ils les acheteront sous le même bénéfice que les créances sur Roüen sont à Paris ; ce qui haussera ce change au profit de Roüen de quatre liv. par 1000 liv. ainsi d’une lettre de change de 1000 liv. ils ne donneront que 996 liv. Lorsque les dettes réciproques seront acquittées, il faudra que Paris fasse voiturer à Roüen l’excédent en especes. Mais en attendant, il est clair que dans le payement des dettes réciproques, Roüen aura acquitté 1000 liv. de dettes avec 996 liv. & que Paris n’a pû acquitter 1000 liv. qu’avec 1004 liv.

Si le change subsiste long-tems sur ce pié entre ces deux villes, il sera évident que Paris doit à Rouen, plus que Rouen ne doit à Paris.

D’où l’on peut conclure que la propriété du cours du prix du change, est d’indiquer de quel côté panche la balance du commerce.

L’on a déjà vû que le pair du prix du change est la compensation des monnoies de deux pays : cette compensation s’éloigne souvent de son égalité, ainsi elle est momentanée ; son cours indique de quel côté panche la balance du commerce, ainsi le prix du change est une compensation momentanée des monnoies de deux pays en raison des dettes réciproques.

La nature des accidens du commerce qui alterent l’égalité de la compensation des monnoies, ou le pair du prix du change, étant de varier sans cesse, le cours du prix du change doit varier avec ces accidens.

L’instabilité de ce cours a deux effets : l’un de rendre indécise d’un jour à l’autre la quantité de monnoie qu’un état donnera en compensation de telle quantité de monnoie d’un autre état : le second effet de l’instabilité de ce cours, est un commerce d’argent par le moyen des représentations d’especes, ou des lettres de change.

De ce que la quantité de monnoie qu’un état donnera en compensation d’une telle quantité de monnoie d’un autre état, est indécise d’une semaine à l’autre. il s’ensuit qu’entre ces deux états, l’un propose un prix certain, & l’autre un prix incertain ; parce que tout rapport suppose une unité qui soit la mesure commune des deux termes de ce rapport, & qui serve à l’évaluer.

Supposons que Londres donne aujourd’hui 30 d. sterling pour un écu à Paris, il est certain que Paris donnera toûjours un écu à Londres, quel que soit le cours du prix du change les jours suivans ; mais il est incertain que Londres continue de donner 30 d. sterling pour la valeur d’un écu : c’est ce qu’en termes de change on appelle donner le certain ou l’incertain.

Si les quantités étoient certaines de part & d’autre, il n’y auroit point de variation dans le pair du prix du change, & par conséquent point de cours.

Cette différence, qui ne tombe que sur l’énoncé du prix du change, s’est introduite dans chaque pays, selon la diversité des monnoies de compte : elle fixe une quantité dont l’évaluation servira de second terme pour évaluer une autre quantité de même espece que la premiere.

Si, par exemple, un écu vaut 30 den. sterling, combien cent écus vaudront-ils de ces deniers, que l’on réduit ensuite en livres ? Ainsi entre deux places, l’une doit toûjours proposer une quantité certaine de sa monnoie, pour une quantité incertaine que lui donnera l’autre.

Mais tandis qu’une place donne le certain à une autre, elle donne quelquefois l’incertain à une troisieme. Paris donne à Londres le certain, c’est-à-dire un écu, pour avoir de à 33 den. sterling : mais Paris reçoit de Cadix une piastre, pour une quantité incertaine de sous depuis 75 à 80 par piastres, suivant que les accidens du commerce le déterminent.

Le second effet de l’instabilité du cours dans le prix du change, est un commerce d’argent par le moyen des représentations d’especes ou des lettres de change.

Le négociant ou le banquier veille sans cesse aux changemens qui surviennent dans le cours du prix du change, entre les diverses places qui ont une correspondance mutuelle : il compare ces changemens entre eux, & ce qui en résulte ; il en recherche les causes, pour en prévoir les suites : le fruit de cet examen est de faire passer ses créances sur une ville, dans celle qui les payera le plus cher. Mais cet objet seul ne remplit pas les vûes du négociant qui fait ce commerce : avant de vendre ses créances dans un endroit, il doit prévoir le profit ou la perte qu’il y aura à retirer ses fonds de cet endroit : si le cours du prix du change n’y est pas avantageux avec le lieu de sa résidence, il cherchera des routes écartées, mais plus lucratives ; & ce ne sera qu’après différens circuits que la rentrée de son argent terminera l’opération. La science de ce commerce consiste donc à saisir toutes les inégalités favorables que présentent les prix du change entre deux villes, & entre ces deux villes & les autres : car si cinq places de commerce s’éloignent entre elles du pair du prix du change dans la même proportion, il n’y aura aucune opération lucrative à faire entre elles ; l’intérêt de l’argent, & les frais de commission, tourneroient en pure perte. Cette égalité réciproque entre le cours du prix du change, de plusieurs places, s’appelle le pair politique.

Si nous convenons de cette parité,

a = b
b = c
c = a
il est constant que a, b, & c, étant des quantités égales, il n’y aura aucun bénéfice à les échanger l’une contre l’autre ; ce qui répond au pair réel du prix du change. Supposons à présent
a = b
b = c
c = a + d,
la parité sera rompue ; il faudra échanger b contre c, qui lui donnera a + d : or nous avons supposé a = b, ainsi le profit de cet échange sera d. Cette différence répond aux inégalités du cours du prix du change entre deux ou plusieurs places. La parité sera rétablie si ces quantités augmentent entre elles également :
a + d = b + d
b + d = c + d
c + d = a + d ;
cette parité répond au pair politique du prix du change, ou à l’égalité de son cours entre plusieurs places.
La parité sera de nouveau altérée, si
a + d = b + d
b + d = c + d
c + d = a + d + f :
dans ce cas l’échange devra se faire comme on vient de le voir ; & le profit de b + d sera f. Si (tout le reste égal) a + df = c + d, & que l’on échange ces deux quantités l’une contre l’autre, il est clair que le propriétaire de c + d recevra de moins la quantité f : ainsi pour eviter cette perte, il échangera c + d contre b + d, qui est égal à la quantité a + d.

Il est évident que l’opération du change consiste à échanger des quantités l’une contre l’autre ; que celui qui est forcé d’échanger une quantité contre une autre quantité moindre que la sienne, en cherche une troisieme qui soit égale à la sienne, & qui soit réputée égale à celle qu’il est forcé d’échanger, afin de s’épargner une perte ; que celui qui fait le commerce du change, s’occupe à échanger de moindres quantités contre de plus grandes : par conséquent son profit est l’excédent de la quantité que divers échanges lui ont procuré dans son pays, sur la quantité qu’il a fournie pour le premier.

Ce commerce n’est lucratif, qu’autant qu’il rend un bénéfice plus fort que ne l’eût été l’intérêt de l’argent placé pendant le même tems dans le pays de celui qui fait l’opération : d’où il s’ensuit que le peuple chez lequel l’argent est à plus bas prix, aura la supériorité dans ce commerce sur celui qui paye l’intérêt de l’argent plus cher ; que si ce peuple qui paye les intérêts de l’argent à plus bas prix, en a abondamment, il nuira beaucoup à l’autre dans la concurrence de ce commerce ; & que ce dernier aura peine à faire entrer chez lui l’argent étranger par cette voie.

Ce commerce n’est pas celui de tous qui augmente le plus la masse d’argent dans un état ; mais il est le plus savant & le plus lié avec les opérations politiques du gouvernement : il résulte des variations continuelles dans le prix du change, à l’occasion de l’inégalité des dettes réciproques entre divers pays, comme le change lui-même doit sa naissance à la multiplicité des dettes réciproques.

De tout ce que nous avons dit sur le change, on peut tirer ces principes généraux.

1°. L’on connoîtra si la balance générale du commerce d’un état pendant un certain espace de tems lui a été avantageuse, par le cours mitoyen de ses changes avec tous les autres états pendant le même espace de tems.

2°. Tout excédent des dettes réciproques de deux nations, ou toute balance de commerce, doit être payée en argent, ou par des créances sur une troisieme nation ; ce qui est toûjours une perte, puisque l’argent qui lui seroit revenu est transporté ailleurs.

3°. Le peuple redevable d’une balance, perd dans l’échange qui se fait des débiteurs une partie du bénéfice qu’il avoit pû faire sur ses ventes, outre l’argent qu’il est obligé de transporter pour l’excédent des dettes réciproques ; & le peuple créancier gagne, outre cet argent, une partie de sa dette réciproque dans l’échange qui se fait des débiteurs.

4°. Dans le cas où une nation doit à une autre, pour quelque raison politique, des sommes capables d’opérer une baisse considérable sur le change, il est plus avantageux de transporter l’argent en nature, que d’augmenter sa perte en la faisant ressentir au commerce.

Les livres françois qui ont le mieux traité du change dans ses principes, sont l’essai politique sur le commerce de M. Melon ; les réflexions politiques de M. Dutot ; l’examen des réflexions politiques.

Pour la pratique, on peut consulter Savary, dans son parfait négociant ; la banque rendue facile, par Pierre Giraudeau de Genève ; la bibliotheque des jeunes négocians par le sieur J. Laure ; la combinaison générale des changes par M. Darius ; le traité des changes étrangers par M. Dernis. Cet article nous a été communiqué par Mr. V. D. F.

Change, (Architecture.) bâtiment public connu sous différens noms, où les banquiers & négocians d’une capitale s’assemblent certains jours de la semaine pour le commerce, & l’escompte des billets & lettres de change. Ces édifices doivent être pourvûs de portiques pour se promener à couvert, de grandes salles, de bureaux, &c. On nomme le change à Paris, place ; à Lyon, loge du change ; à Londres, à Anvers, à Amsterdam, bourse. La place ou change à Paris, est située rue Vivienne, & fait partie de l’hôtel de la compagnie des Indes. Voyez sa distribution dans le troisieme volume de l’Architecture Françoise. (P)

Change, (Vénerie & Fauconnerie.) Prendre le change, se dit du chien ou de l’oiseau qui abandonne son gibier pour en suivre un autre. Ainsi l’on dit, l’oiseau ou le chien a pris le change.