L’Encyclopédie/1re édition/DESERTION

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DESERTION D’APPEL, (Jurispr.) est la négligence de relever dans le tems marqué par la loi un appel que l’on a interjetté d’une sentence ou autre acte.

Un appel est desert ou abandonné, lorsqu’il n’est pas relevé dans le tems.

La peine de la desertion d’appel est que l’appel est déclaré nul & comme non-avenu.

On observoit la même chose chez les Romains ; l’appellant ne pouvoit poursuivre son appel qu’il n’obtînt du juge à quo des apôtres. C’est ainsi que l’on appelloit des lettres dimissoires ou libelles appellatoires, par lesquelles le juge à quo certifioit l’appel interjetté de sa sentence au juge où devoit ressortir l’appel ; il falloit que l’appellant fît apparoir de ces lettres avant d’être reçû à la poursuite de son appel. Ces lettres devoient être obtenues dans les trente jours de l’appel, faute de quoi l’appel étoit réputé desert, & l’effet de cette desertion étoit qu’on pouvoit mettre à exécution la sentence, à moins que les parties n’eussent transigé.

L’usage de ces apôtres ou libelles appellatoires a été observé dans les provinces de France régies par le droit écrit, jusqu’à l’ordonnance de 1539, qui les a abroges art. 117. Voyez Relief d’appel.

Présentement l’usage général est que l’appel doit être relevé par des lettres de chancellerie dans le tems de l’ordonnance, autrement il est desert : mais cette desertion n’est pas acquise de plein droit, il faut la faire prononcer ; & pour cet effet l’intimé obtient en chancellerie des lettres de desertion, en vertu desquelles il fait assigner l’appellant pour voir declarer son appel desert.

Lorsque l’appellant a comparu sur cette demande en desertion, on lui offre un appointement devant un ancien avocat conformément à l’ordonnance, qui veut que ces sortes de demandes soient vuidées par l’avis d’un ancien avocat.

Si la desertion est acquise, l’avocat donne son avis portant que l’appel est desert ; si au contraire la desertion n’est pas acquise, il convertit la demande en desertion, en anticipation.

Le premier appel étant déclaré desert, l’appellant en peut interjetter un autre en refondant les dépens, pourvu qu’il soit encore dans le tems d’appeller : en quoi la desertion differe de la péremption ; car quand un appel relevé est péri par le défaut de poursuites pendant trois ans, on ne peut ni le poursuivre, ni en interjetter un autre.

Pour éviter le circuit d’un nouvel appel, l’intimé accélere, au lieu de demander la desertion, obtient des lettres d’anticipation : il a même été fait une délibération de la communauté des procureurs du parlement en 1692, portant que les procureurs passeront arrêt par lequel la desertion sera convertie en anticipation, & que les parties concluront comme en procès par écrit, joint les fins de non-recevoir, défenses au contraire ; au moyen dequoi l’on n’examine plus si la desertion est acquise ou non, que pour la refusion des dépens.

La desertion d’appel n’a pas lieu dans les appels comme d’abus ni en matieres criminelles ; ce qui est conforme à la loi properandum, cod. de judiciis, & fondé sur ce que la négligence d’un particulier ne doit pas préjudicier à l’intérêt public. Voyez au cod. liv. VII. tit. lxiij. l. 2. & liv. VIII. tit. lxij. l. 18 : Ordonn. de 1667. tit. vj. art. 4. Journ. du palais. Arrêt du 31. Mai 1672. (A)

Desertion d’un bénéfice, est lorsqu’un bénéficier a disparu sans que l’on sache ce qu’il est devenu : après un an de son absence, on peut obtenir des provisions de son bénéfice comme vacant par desertion ; & celui qui est ainsi pourvû doit être maintenu quant à présent préférablement à celui qui est pourvû per obitum, jusqu’à ce que la vérité du fait soit éclaircie, parce la présomption de droit est qu’il est vivant. Au reste cette maintenue n’est qu’une espece de provision qui cesse dès que l’ancien titulaire reparoît. Voyez le journ. des aud. tome V. pag. 1015. arr. du 14 Juill. 1699. (A)

Desertion des maisons, terres, et autres héritages ; c’est lorsque celui qui en étoit propriétaire ou possesseur les abandonne, & les laisse vuides, vagues, & en friche.

La desertion des héritages est fort différente du déguerpissement qui se fait entre les mains du bailleur de fonds, & du délaissement soit par hypotheque ou délaissement simple pro derelicto, qui prive à l’instant le propriétaire de sa chose & la défere au premier occupant. La desertion se fait sans aucun acte ou formalité, par la seule négligence du détenteur qui laisse les héritages vacans, & néanmoins ne laisse pas d’en demeurer toûjours propriétaire, comme le remarque Cujas sur le titre de omni agro deserto.

Les terres desertes sont encore différentes de celles que les coûtumes appellent terres hermes, terres gayves, communes, ou vains pâturages, qui sont des terres stériles & de nulle valeur, ou qui n’ont jamais été occupées par aucun particulier.

Si les héritages deserts sont chargés de rentes foncieres, le bailleur n’est pas pour cela en droit de rentrer aussi-tôt dans son héritage : il faudroit qu’il y eût cessation de payement pendant trois années ; encore la peine n’est-elle que comminatoire, & cesse-t-elle par le payement des arrérages.

Quelques coûtumes portent que si le propriétaire étoit trois ans sans labourer, le seigneur peut reprendre les héritages & les réunir à son domaine : telles sont les coûtumes de la Marche, Berri, Vastang, Clermont, Romorentin, & Blois. Mais cela est particulier à ces coûtumes ; & ailleurs le seigneur ou bailleur n’a qu’une action pour son cens ou sa rente, & pour ses dommages & intérêts.

On fait seulement une différence pour les vignes tenues à rente ; car si le détenteur est un an sans les tailler, quelques-uns tiennent que le bailleur peut s’en faire envoyer en possession, à cause qu’elles seroient ruinées pour toûjours si on les négligeoit plus long-tems. C’est l’opinion de Balde sur l’auth. qui rem, & la disposition de la coûtume de Poitou, art. 61. cependant cette loi pénale ne s’étendroit pas non plus aux autres coûtumes ; le bailleur auroit seulement son action en dommages & intérêts comme pour les autres héritages.

Si la rente dûe sur l’héritage est à prendre en nature de fruits, en ce cas le bailleur seroit bien fondé à faire cultiver l’héritage pour assûrer sa rente.

Il y a même quelques coûtumes qui permettent au premier occupant de cultiver les terres desertes, & cela pour le bien public ; mais hors ces coûtumes, le cultivateur ne gagneroit pas les fruits, & seroit tenu de les rendre au propriétaire qui les reclameroit, à la déduction seulement des frais de labours & semences. Voyez Terres hermes, Terres desertes, & Loyseau du déguerpissement, liv. VI. ch. xj. (A)