L’Encyclopédie/1re édition/CRIÉE

CRIER  ►

CRIÉE, (Jurisp.) est une proclamation publique qui se fait par un huissier ou sergent, pour parvenir à la vente par decret de quelqu’immeuble.

On usoit chez les Romains de semblables proclamations, qui étoient appellées bonorum publicationes præconia.

Ces proclamations se faisoient sub hastâ, de même que la vente forcée des effets mobiliers ; d’où est venu le terme de subhastations, qui est encore usité dans quelques provinces : on en parlera en son lieu.

Les titres du droit qui ont rapport à nos criées, sont de rebus autoritate judicis possidendis seu vendendis, au digeste & au code ; & le titre de fide & jure hastæ fiscalis & adjectionibus, au code.

L’usage des criées en France est fort ancien, comme il paroît par le style du parlement dans Dumolin, qui en fait mention sous le titre de cridis & subhastationibus.

La plûpart des coûtumes ont reglé la forme des criées. Celle de Ponthieu, qui fut la premiere rédigée par écrit, en exécution de l’ordonnance de Charles VII. y a pourvû.

Les ordonnances anciennes & nouvelles contiennent aussi plusieurs dispositions sur cette matiere. Il y a entr’autres l’ordonnance d’Henri II. du 23 Novembre 1351, connue sous le nom d’édit des criées, qui fait un reglement général pour la forme des criées.

On confond quelquefois parmi nous les criées avec la saisie réelle, & même avec toute la poursuite de la saisie réelle, & la vente & adjudication par decret. En effet, on dit souvent que l’on met un bien en criées, pour exprimer en général qu’on le fait saisir réellement, & que l’on en poursuit la vente par decret ; & dans la plûpart des coûtumes on a mis sous le titre des criées, tout ce qui y est ordonné par rapport aux saisies réelles & ventes par decret. C’est aussi dans ce même sens que quelques auteurs qui ont traité des saisies réelles, criées & vente par decret, ont intitulé leurs traités simplement traité des criées, comme M. le Maitre, Gouget, Forget & Bruneau.

Il paroît que dans ces occasions on a pris la partie pour le tout, & que l’on a principalement envisagé les criées comme étant la plus importante formalité de la poursuite d’un decret.

Au reste il est constant que les criées sont des procédures totalement distinctes & séparées de la saisie réelle qui les précede toûjours, & de la vente par decret qui ne peut être faite qu’après les criées.

Aussi les derniers auteurs qui ont traité cette matiere, n’ont-ils pas intitulé leurs ouvrages traité des criées, mais traité de la vente des immeubles par decret ; tels que M. d’Héricourt, qui en a donné un fort bon traité ; & M. Thibaut procureur au parlement de Dijon, qui en a donné aussi un suivant l’usage du duché de Bourgogne.

Les criées proprement dites ne sont donc parmi nous qu’une des formalités des decrets ; ce sont des proclamations publiques qui se font après la saisie réelle, à certains jours, par le ministere d’un huissier ou sergent, pour faire savoir à tous ceux qui peuvent y avoir intérêt, que le bien saisi réellement sera vendu & adjugé par decret.

On appelle poursuivant criées, celui qui poursuit la vente par decret.

Dans quelques provinces les criées sont connues sous le terme d’inquants.

L’édit des criées ne dit point qu’il y ait aucun délai à observer entre la saisie réelle & la premiere criée ; c’est pourquoi on peut commencer la premiere criée aussitôt après la saisie réelle, pourvû que ce soit un dimanche.

Il est seulement ordonné par l’édit, qu’incontinent après la saisie réelle, & avant que de faire la premiere criée, il sera établi un commissaire au régime & gouvernement des choses criées, à peine de nullité des criées ; ce qui doit s’entendre au cas que l’exploit de saisie réelle ne contînt pas d’établissement de commissaire, à quoi l’on ne manque guere ordinairement : en tout cas cette formalité pourroit être suppléée après-coup avant les criées.

Il faut aussi faire signifier la saisie réelle & l’établissement de commissaire à la partie saisie, après quoi on peut procéder à la premiere criée, quand même la saisie réelle ne seroit pas encore enregistrée.

Il faut encore, avant de procéder aux criées, que l’huissier ou sergent appose une affiche ou panonceau aux armes du Roi, où l’on marque quand se feront les criées des biens saisis, & où l’on avertit ceux qui prétendent quelques droits sur les biens saisis, de former leur opposition. Le procès-verbal d’apposition de cette affiche, doit être signifié à la partie saisie.

Le nombre des criées n’est point fixé par l’édit de 1551, ainsi il faut suivre à cet égard la coûtume du lieu & l’usage.

Il y a des pays où l’on fait trois criées de huitaine en huitaine : le parlement de Bretagne l’a ainsi ordonné par provision en 1545. On en use de même au parlement de Toulouse. On ne fait aussi que trois criées en Auvergne de quinzaine en quinzaine, ou, pour parler plus exactement, de quatorzaine en quatorzaine, comme le disent quelques coûtumes ; ainsi la premiere criée étant faite un dimanche, la seconde ne peut être faite que le second dimanche ensuite.

La coûtume d’Amiens, article 255, veut que l’on fasse quatre criées par quatre quinzaines ; ce qui doit s’entendre de la maniere qui vient d’être expliquée.

Celle de Paris ne regle rien pour le nombre des criées, ni pour le délai que l’on doit observer entre les criées ; mais on a toûjours pratiqué l’usage des quatre criées de quatorzaine en quatorzaine, suivant l’ancienne coûtume, où le titre des criées étoit aussi intitulé, des quatre quatorzaines

Quand on craint qu’il ne manque quelque chose aux criées, pour la régularité on ordonne souvent qu’il sera fait une quinte & surabondante criée.

Au surplus, tel nombre de criées que l’on soit oblige de faire, & tel délai que l’on y doive observer, suivant la coûtume ou l’usage, il faut les faire, suivant l’édit des criées, aux jours de dimanche à l’issue de la messe paroissiale ; ce qui s’observe dans les villes aussi-bien que dans les villages. Il n’est plus d’usage de les faire au marché ni à l’audience, comme cela se pratiquoit autrefois dans quelques provinces avant l’édit d’Henri II. car ce qu’on appelle au châtelet l’audience des criées, n’est pas le lieu où elles se font, mais celui où elles se certifient.

En quelques pays, comme en Bretagne & à Nevers, on fait une quatrieme criée au marché ; mais l’édit des criées ne l’ordonnant point, on ne croit pas qu’il y eût nullité pour avoir omis cette formalité.

L’obligation de faire les criées le dimanche, est une exception aux canons & ordonnances, qui défendent de faire ces jours-là aucunes procédures ; & une dérogation à quelques coûtumes qui défendent spécialement de faire les criées le dimanche, comme celle de Nevers. Cette exception a été introduite à cause de la nécessité qu’il y a de faire les criées dans le lieu où le peuple se trouve assemblé en plus grand nombre ; ensorte qu’une criée faite le jour même de la Pentecôte, a été jugée valable : on excepte seulement le jour de Pâques.

Les criées doivent être faites à l’issue de la messe paroissiale, & non à l’issue de vêpres, même dans les coûtumes qui paroissent l’autoriser ainsi, attendu que l’édit veut, à peine de nullité, que ce soit à l’issue de la messe de paroisse.

Le procès-verbal que l’huissier fait pour chaque criée, doit contenir en substance qu’il s’est transporté à la grande porte & principale entrée de l’église paroissiale, à l’issue de la grande messe, les paroissiens sortant en grand nombre : & l’huissier doit en nommer & désigner le plus qu’il peut, & ajoûter qu’en leur présence il a fait lecture de l’affiche pour la premiere criée ; laquelle affiche il transcrit dans son procès-verbal.

Cette affiche commence par ces mots, De par le Roi, & l’on ajoûte le nom du juge de l’autorité duquel se poursuit le decret : ensuite que l’on fait à savoir à tous qu’il appartiendra, que . . . . . . (En cet endroit de l’affiche est transcrit le procès-verbal dont on vient de parler.) L’huissier déclare que c’est la premiere, seconde, troisieme ou quatrieme criée ; que les autres se continueront sans interruption à pareil jour de dimanche, à ce que si quelqu’un prétend droit de propriété ou créance sur les biens saisis réellement, il ait à le déclarer & s’opposer pendant le cours des criées, sinon que le decret étant scellé & délivré, nul n’y sera plus reçû.

L’huissier fait aussi mention dans son procès-verbal, si en procédant aux criées il est survenu ou non quelqu’opposition.

Lorsque les biens saisis réellement, soit fief ou roture, sont situés en différentes paroisses, on se sert de différens huissiers pour faire les criées.

S’il y a des biens dans le territorie d’une église succursale, & que l’on y dise une messe de paroisse, il faut y faire les criées pour ces biens

Au cas que la messe de paroisse manquât un dimanche, l’huissier doit en dresser son procès-verbal signé de témoins, afin de pouvoir continuer les criées le dimanche suivant, & qu’il n’y ait point d’interruption.

En Normandie il y a quelques formalités particulieres pour les criées des héritages : celles des rotures se font quarante jours après la saisie ; si la paroisse où sont les biens est hors le ressort de Normandie, les criées se font au jour ordinaire du marché plus prochain du lieu où sont les biens saisis. Les criées des fiefs ne peuvent y être faites que trois mois après la saisie ; & si le fief porte le nom d’une paroisse, & que le principal manoir soit dans une autre, il faut faire les criées dans les deux paroisses. Le sergent doit aussi dans toutes criées appeller trois témoins, outre ses records ordinaires.

Les criées des rentes assignées sur les hôtels-de-ville, doivent être faites à la porte de la paroisse de l’hôtel-de-ville, comme l’ordonne la coûtume d’Orléans.

Celles des rentes foncieres se font en la paroisse de l’héritage chargé de la rente.

Pour ce qui est des rentes sur particuliers, les coûtumes de Paris, Orléans, & Calais, veulent que les criées s’en fassent en la paroisse de la partie saisie ; ce qui s’observe de même dans les coûtumes qui n’y ont pas pourvû. En Normandie elles se font en la paroisse du débiteur, suivant l’art. 4 du réglement de 1666.

A l’égard des offices, l’édit de Février 1683 veut qu’on en fasse trois publications ou criées de quinzaine en quinzaine aux lieux accoûtumés ; savoir à la paroisse du lieu où se fait le principal exercice, & au lieu où la saisie réelle est enregistrée.

Les criées des vaisseaux doivent être faites par trois dimanches consécutifs, à la porte de la paroisse du lieu où le vaisseau est amarré.

En Artois, où l’édit de 1551 n’est point observé, les criées doivent être faites dans l’année de la mise à prix, sinon la saisie réelle tombe en péremption : on ne peut les commencer avant le huitieme jour de la mise à prix. On les fait au marché breteque, c’est-à-dire destiné pour les proclamations. L’intervalle est de huitaine en huitaine, pour les rotures, & de quinzaine pour les fiefs & pour les rotures saisies avec un fief. Le dimanche qui suit chaque criée faite au marché, on en fait une à l’issue de la messe paroissiale. Il en faut quatre, tant au marché qu’à la porte de l’église.

En Franche-Comté les quatre criées se font au marché de quinzaine en quinzaine, & après les proclamations on met une affiche générale à la porte de l’église paroissiale.

Quand l’échéance est un jour de fête, on remet la criée au marché suivant, en indiquant la remise.

Suivant l’usage commun il n’est pas nécessaire de signifier les criées à la partie saisie, si ce n’est dans les coûtumes qui l’ordonnent expressément.

Les criées finies, on doit les faire certifier. La certification est une sentence qui les déclare bien & valablement faites. Cette formalité étoit déjà usitée long-tems avant l’ordonnance de 1539. L’édit de 1551 veut que les criées soient certifiées devant les juges des lieux, après que la lecture en aura été faite au jour des plaids, & iceux tenant.

Quoique le decret se poursuive dans une jurisdiction d’attribution particuliere, la certification des criées se fait toûjours devant le juge ordinaire du lieu.

Le juge de seigneur peut certifier les criées qui se font dans sa justice, pourvû qu’il y ait un nombre suffisant de praticiens pour examiner si elles sont bien faites.

Le châtelet de Paris joüit à cet égard d’un droit singulier, qui est que l’on y certifie les criées de tous les biens saisis réellement dans la prevôté de Paris, en quelque jurisdiction royale, ordinaire, ou seigneuriale, qu’ils soient situés.

Le rapport des criées qui précede la certification, se faisoit anciennement par le premier praticien du siége qui en étoit requis ; & en Normandie, par le sergent qui les avoit faites.

Au mois de Septembre 1581, Henri III. créa deux rapporteurs & certificateurs de criées en titre d’office en chaque jurisdiction royale, pour faire le rapport des criées exclusivement à tous autres.

Ces charges furent supprimées par Henri III. lequel, par une déclaration du 12 Juin 1587, en établit d’autres sous le Être de rapporteurs vérificateurs des criées ; ce qui fut confirmé par Henri IV. au mois de Juillet 1597.

Ce même prince créa aussi en 1606 des conseillers rapporteurs des criées, dans chaque jurisdiction royale de Normandie.

Mais tous ces édits ayant été regardés comme bursaux, eurent peu d’exécution. Dans plusieurs siéges ces nouveaux offices ne furent point levés ; dans d’autres on les laissa tomber aux parties casuelles ; ce qui donna lieu à l’édit du mois d’Octobre 1694, par lequel toutes ces charges de rapporteurs & de vérificateurs des criées furent supprimées. Le roi créa par le même édit des certificateurs de criées dans toutes les justices royales, & même dans les justices seigneuriales où il jugeroit à propos d’en établir.

La plûpart de ces nouvelles charges n’ayant point encore été levées, Louis XIV. en 1695 les réunit, moyennant finance, aux communautés des procureurs, dans tous les siéges où il n’y avoit point encore de vérificateurs en titre ; au moyen de quoi il y a présentement des justices, tant royales que seigneuriales, où le rapport des criées se fait par un certificateur en titre, & d’autres où il se fait par un des procureurs du siége.

Pour parvenir à la certification des criées, le poursuivant remet au certificateur en titre, ou à celui qui en fait les fonctions, le commandement recordé, la saisie réelle, l’affiche, la signification de la saisie réelle & de l’affiche à la partie saisie, le procès-verbal des criées, & les autres procédures requises par la coûtume du lieu : le certificateur en fait son rapport à l’audience ; & ensuite le juge, après avoir pris l’avis des avocats & procureurs de son siége, déclare les criées bien faites, & donne acte au poursuivant.

Les ordonnances n’ont point réglé la qualité ni le nombre de ceux dont on doit prendre l’avis sur la validité des criées : la coûtume de Normandie veut qu’elles soient certifiées par sept avocats, y compris le juge, qui doivent tous signer la minute. S’il n’y a pas d’avocats, on fait certifier les criées aux plaids suivans, ou au siége royal du ressort. Un arrêt de reglement du parlement de Rouen du 16 Décembre 1662, veut que les suffrages uniformes des proches parens ne soient comptés que pour un.

Dans les autres parlemens il est d’usage de prendre l’avis des avocats & procureurs ; & à défaut de ceux-ci, on prend l’avis des notaires & sergens du siége.

Au châtelet de Paris on fait mention que l’on a pris l’avis des anciens avocats & procureurs ; mais ce n’est qu’un style, car pour l’ordinaire les avocats & procureurs n’entendent pas un mot du rapport, & le juge prononce sans avoir pris leur avis ; ce qui se pratique de même dans plusieurs autres siéges.

Suivant la jurisprudence du parlement de Paris, on doit prendre l’avis de dix avocats, procureurs, ou autres praticiens.

Au parlement de Toulouse, il suffit qu’il y en ait quatre ou cinq.

Si le juge du lieu refusoit de certifier les criées, il faudroit s’adresser au juge supérieur, qui lui enjoindroit de faire la certification, ou commettroit à cet effet un autre juge royal le plus prochain.

Quand les biens saisis sont situés en différentes jurisdictions, & que l’on veut éviter de multiplier les frais des certifications, on obtient des lettres en chancellerie qui renvoyent toutes les criées devant le juge qui a la plus grande partie des biens dans son ressort.

Si les criées se trouvent mal faites, on les rejette comme nulles : l’huissier ou sergent est tenu, suivant l’édit de 1694, des dommages & intérêts du poursuivant, & condamné en 60 livres d’amende, dont un tiers pour le Roi, un tiers au poursuivant, l’autre tiers pour le certificateur.

Le certificateur, le juge, ni les avocats, procureurs, & autres dont il prend l’avis, ne sont point responsables de la validité des criées, ni du bien ou mal jugé de la sentence de certification.

En débattant la procédure du decret, on peut attaquer, soit par moyen de nullité, soit par appel, les criées & la sentence de certification : la nullité de la certification n’emporte pas celle des criées.

Quand on en fait de surabondantes, il n’est pas besoin de les certifier.

On ne certifie pas non plus les criées qui se font pour les offices, ni celles qui se font pour les vaisseaux, attendu que l’édit de 1683 & l’ordonnance de la Marine n’exigent pas cette formalité.

Il y a aussi quelques pays où l’on ne fait point de certification, comme en Bresse, où les biens se vendent suivant les anciens statuts des ducs de Savoie ; on y fait seulement crier trois fois à haute voix par un huissier, que le bien sera vendu : ces proclamations se font de huitaine en huitaine, au marché, à la porte de l’église, devant le château ou l’auditoire, suivant l’usage du lieu.

Pendant que l’on procede aux criées, le commissaire établi à la saisie doit de sa part faire procéder au bail judiciaire, ou s’il y en a un conventionnel, le faire convertir en judiciaire.

Celui qui se fait subroger à la saisie & criées, n’a pas besoin de reprendre l’instance au greffe ; le jugement qui le subroge le met aux droits du poursuivant.

Les criées tombent en péremption, comme les autres procédures, par le laps de trois ans sans poursuites.

S’il survient quelques oppositions aux criées ou au decret, ce qui est la même chose, il faut y faire statuer avant de passer outre à l’adjudication.

Les criées finies & duement certifiées, sans aucune opposition subsistante, on obtient le congé d’adjuger.

Pour la suite de la procédure, voyez Congé d’adjuger, Enchere de quarantaine, Adjudication, Saisie réelle, Vente par decret.

Sur les criées, voyez Bouchel, en sa biblioth. aux mots Criées & Decret ; les commentateurs des coûtumes sur le titre des criées, & les traités des criées que l’on a cités ci-devant. (A)