Les mausolées français/Texte entier

LES MAUSOLÉES
FRANÇAIS.



RECUEIL
des tombeaux les plus remarquables par leur structure, leurs épitaphes, ou les cendres qu’ils renferment, érigés dans les nouveaux cimetières de paris ;


dessinés d’après nature, lithographiés et décrits


Par F. G. T. DE JOLIMONT,


ex-ingénieur employé au cadastre,
Auteur de plusieurs ouvrages architectonographiques.

Lampe à huile

PARIS,
DE L’IMPRIMERIE DE FIRMIN DIDOT, IMPRIMEUR DU ROI,
rue jacob, no 24.
1821.

DISCOURS.




Le respect pour les morts parait être un sentiment inné dans le cœur des hommes ; le soin de conserver et d’honorer les restes inanimés de ceux qui ont fourni la pénible carrière de la vie, est un usage commun à toutes les nations ; et l’origine des sépultures remonte à l’origine du monde. Le dogme sacré de l’immortalité de l’ame, cette attente inquiète d’une nouvelle vie, la pieuse espérance de fléchir, en faveur de la fragile humanité, la justice suprême, inspira aux peuples la religion des tombeaux ; et celui qui fut sensible aux lois de la piété filiale, à la tendre amitié, à l’élan de la reconnaissance, rendit aux mânes un culte funéraire.

Dans cet âge heureux, aujourd’hui si loin de nous, où, simple encore dans ses affections et naïf dans l’expression de sa pensée, l’homme ne cherchait qu’en lui-même la source de ses plus douces émotions, un peu de terre amoncelée, un faible arbrisseau, indiquaient seuls à la douleur le lieu ou reposaient dans le sommeil éternel un bon père, une épouse chérie, un frère, un ami. Telle fut sans doute la modeste sépulture de celui qui le premier connut le trépas. Quelques fleurs jetées sur ces tertres sacrés, quelques accents plaintifs élevés vers les cieux, composaient alors toutes les cérémonies des funérailles : mais bientôt s’accrut avec rapidité cette grande famille primitive, source des générations ; elle se dispersa, et forma progressivement des peuples différents : la civilisation se développa, les passions naquirent, le moral s’altéra ; les préjuges, la superstition, les fanatismes de tous les genres, l’excès même des sentiments généreux, divisèrent ces peuples dans leur croyance, dans leurs intérêts et dans leurs mœurs : de là la pluralité des religions, les lois opposées, et cette variété dans la manière d’honorer les morts.

Le désir de l’immortalité, l’horreur du néant, les chimériques illusions de la crédulité, enfantèrent mille moyens pour soustraire l’homme à la destruction commune, ou du moins en conserver quelques fragments. Et, si nous parcourons les annales des nations, nous verrons d’abord s’introduire généralement l’usage des cercueils de bois ou de pierre, propres à préserver de la fermentation et de l’humidité. Nous verrons les Égyptiens embaumer les corps avec des parfums et des aromates, et conserver avec une vénération toute particulière leurs précieuses momies ; nous verrons les habitants de l’Éthiopie placer dans leurs festins, au nombre des convives, les squelettes de leurs proches enfermés dans des colonnes de verre ; ailleurs, d’autres qui, considérant le feu comme l’unique principe de la vie, croient s’incorporer en quelque sorte au dieu qu’ils adorent, en livrant aux flammes leur dépouille mortelle dont ils recueillent les cendres dans des urnes ou vases de matière plus ou moins précieuse ou plus ou moins délicatement travaillée : et ces diverses coutumes, adoptées souvent, il est vrai, par des motifs contraires, furent, à quelques modifications près, celles de presque toute l’antiquité. D’autres peuples enfin, comme les Massagètes, par une exagération cruelle d’un culte si pur dans son principe, immolaient, dit-on, leurs vieillards et les dévoraient ensuite, pensant ne pouvoir leur donner de sépulture plus convenable que dans leurs propres entrailles, et croyaient honorer la nature en l’outrageant ainsi.

Mais nous ne prétendons point affliger ici la pensée par le sombre tableau des erreurs populaires : nous ne retracerons à l’imagination ni les funérailles des Druides, ensanglantées par des sacrifices humains, ni le spectacle barbare de ces jeunes veuves religieusement sacrifiées sur le bûcher de leurs époux, chez les adorateurs de Brama. Enfin, nous n’énumérerons point toutes les coutumes bizarres, toutes les pratiques ridicules ou cruelles qu’on mêla trop souvent à l’observance d’un devoir sacré, mais qui dans leurs écarts mêmes ne sont que l’application du sentiment de ce pieux respect que dans tous les temps les hommes ont porté aux mânes, et qui leur inspira souvent des actes du plus grand dévouement. C’est ainsi que les habitants de Géléad marchent toute la nuit et s’exposent aux plus grands dangers pour enlever les corps de Saül et de ses fils ignominieusement exposés sous les murs de Bethsam[1]. Priam ne craint pas de traverser le camp des Grecs ; la colère du cruel Achille n’intimide point sa vieillesse, il pénètre dans la tente du farouche vainqueur et le supplie de rendre à ses larmes les restes inanimés de son fils Hector[2] ; la pieuse Antigone, bravant une mort certaine et les ordres inhumains du roi Créon, met toute sa gloire à donner la sépulture aux membres déchirés de l’infortune Polynice[3] : combien de traits aussi touchants ne pourrions-nous pas citer encore ?

Le principe qui dicta la loi d’épargner à la sensibilité le hideux spectacle de la décomposition physique des corps humains ou de leur honteux abandon, fit naitre aussi le besoin de consacrer à leur dépôt des lieux particuliers : les uns furent destinés aux sépultures communes, soit dans l’intérieur de vastes souterrains comme les catacombes ; soit en plein air, et on les appelait alors champs de repos : les autres étaient réservés aux rois, aux personnages de distinction, ou appartenaient aux familles riches ; et ces lieux mortuaires étaient presque toujours situés hors les villes, sur le bord des routes, dans la campagne ou dans les jardins. L’antiquité la plus reculée nous en offre de nombreux exemples : Abraham, dit l’Écriture, acheta un champ pour y rendre à Sara sa femme les derniers devoirs, et y établir la sépulture de sa famille[4]. Jacob fit jurer à son fils qu’il l’ensevelirait dans le tombeau de ses pères[5], et lui-même prit soin d’élever à Rachel, morte en terre étrangère, un monument connu encore aujourd’hui sous le nom de colonne de Rachel[6]. Asa, descendant des rois de Juda, s’endormit avec ses ancêtres et fut déposé dans le sépulcre que lui-même s’était fait préparer dans la cité de David[7]. On connait ce tombeau célèbre, mis au nombre des sept merveilles, élevé par la tendre Artémise au roi Mausole, son époux ; et les fameuses pyramides du Caire ne furent, selon toute apparence, que d’immenses sépulcres destinés aux souverains de l’Égypte. Tel était encore le tombeau de Ninus[8], construit par Sémiramis, et celui qu’Achille consacra aux mânes de son ami Patrocle, dont Homère nous a conservé la description[9] ; et si nous parcourons les rives du Pausilippe, les bords de l’Averne, les plaines de la Campanie et tous les environs de l’ancienne capitale du monde, particulièrement les milles de la voie Appienne, nous y pourrons contempler encore ces pyramides, ces cippes, ces sarcophages a demi ruinée, jadis dédiés aux cendres des Virgile, des César, des Auguste, des Scipion, des Servilius, des Métellus, des Cicéron, etc. En quelle partie du monde, enfin, ne trouverions-nous pas de précieux vestiges des lieux consacrés au repos des mânes ?

Le culte des morts ne fut pas moins sacré chez les peuples modernes que chez les anciens, et il s’est conservé sans altération jusqu’à nous. Chaque âge a légué aux âges suivants des exemples utiles et des souvenirs attendrissants ; et les lumières du christianisme, en purifiant ce culte dans son objet et dans sa pratique, lui imprimèrent un caractère plus solennel et plus vrai. Mais le mépris de toute vaine gloire fut la première vertu des chrétiens, comme la pauvreté fut leur premier état ; ils durent donc bannir le luxe des tombeaux, et l’égalité la plus parfaite régna long-temps parmi eux dans l’asyle du trépas. Ce ne fut que lorsque l’église eut affermi sa puissance, que s’affaiblit peu-à-peu cette primitive sévérité. La vénération pour les reliques des saints, la reconnaissance due aux princes protecteurs de la religion, furent d’abord les motifs aux quels on doit quelques monuments particuliers élevés sur les cendres des martyrs, des pontifes, des rois ou des guerriers qui avaient combattu pour la foi ; et trop souvent, dans la suite, l’orgueil ou la flatterie s’emparèrent des trophées qui n’étaient dus qu’à la vertu.

Néanmoins les monuments somptueux furent rares, et ne datent parmi nous que d’un petit nombre de siècles. L’usage généralement adopté dans toute la chrétienté de n’ensevelir que dans une terre consacrée par la religion, soit dans les temples mêmes, soit dans des lieux ordinairement peu spacieux, toujours situes près des temples, que nous appelons cimetières, et la nécessité, par conséquent, d’y renouveler souvent les inhumations, ne permirent pas d’établir un grand nombre de monuments riches et durables, et ils furent presque tous réservés aux personnages riches ou de distinction. Jusqu’alors une modeste pierre, une croix de bois, furent le seul hommage que les simples fidèles pussent rendre transitoirement à la mémoire de leurs proches ; mais la France, heureuse rivale de la Grèce et de l’Italie, devait bientôt montrer avec orgueil ses catacombes et ses champs de repos, embellis des chefs-d’œuvre de l’art, témoignages publics et libres de nos affections et de nos sentiments. L’indispensable nécessité de veiller à la salubrité de l’air, surtout dans les villes populeuses, fit regarder comme utile d’éloigner les morts du séjour des vivants ; la raison sut vaincre enfin l’empire des préjugés et de l’habitude : et la fin du dix-huitième siècle vit abolir l’usage inconvenant d’inhumer dans les temples, et disparaitre les cimetières du centre des villes, pour les placer hors de leur enceinte.

Ce fut par suite de ces sages dispositions que l’on résolut d’établir hors des barrières de la ville de Paris, nouvelle capitale du monde, de vastes endroits destinés à la sépulture de sa nombreuse population : alors tous les riches souvenirs de l’antiquité vinrent échauffer l’imagination de nos écrivains et de nos artistes ; chacun s’empressa d’offrir à l’autorité le tribut de son travail et de son génie. Honneur à ceux qui s’occupèrent de ce grand œuvre ! grace à leurs talents, à leur persévérance, les cimetières de Paris n’ont plus cet aspect lugubre qui ne présentait que l’image de l’anéantissement dans toute sa nudité, et laissait l’ame vide de salutaires sensations. Ce ne sont plus ces dépôts confus de cadavres entassés, dont les miasmes putrides repoussaient souvent celui qui avait besoin de déposer sur la tombe le fardeau de sa douleur. Ce sont aujourd’hui les merveilles de l’antique Étrurie ou de la campagne de Rome, transportées sur les hauteurs de Montmartre, de Mont-Louis et de Vaugirard : là, c’est à l’ombre d’un feuillage tutélaire, au milieu des bosquets fleuris, que reposent, sous la pierre ou le marbre délicatement travaillés, les dépouilles mortelles de l’homme de bien, du savant, de l’artiste, du commerçant, du magistrat et du héros. Là, la mort semble n’être qu’un sommeil profond mais point éternel, c’est le repos de la vie, et partout on peut y lire l’espoir du réveil et la certitude consolante d’une nouvelle existence. Là, chaque jour les morts sont visités, chaque jour la reconnaissance ou l’amour vient déposer l’hommage d’une couronne ou d’une fleur ; là, chaque jour enfin, les scènes les plus attendrissantes s’offrent à l’observateur philosophe, et, presqu’à chaque pas, font naitre dans son cœur les plus douces émotions.

Reproduire fidèlement par l’art du dessin les mausolées les plus remarquables dont s’enrichissent tous les jours ces magnifiques champs de repos ; retracer les épitaphes qui les décorent ; rappeler succinctement et avec toute l’impartialité de l’histoire les faits mémorables qui se rattachent aux cendres qu’ils renferment, nous parait un hommage légitime dû aux mânes français, à la gloire de nos arts, à l’illustration de notre siècle, un monument nouveau qui doit attester aux nations lointaines, aux générations futures, notre état de splendeur. Quelque supérieure que soit à nos faibles talents cette noble tache, rassure par le sentiment qui nous anime, nous l’avons entreprise, et nous sommes heureux d’être des premiers à offrir ce recueil à notre patrie, à nos concitoyens, aux familles qui ont elles-mêmes consacré ces monuments à l’objet de leur amour et de leurs regrets !…

T. DE JOLIMONT.

CIMETIÈRE
DE MONT-LOUIS, DIT DU PÈRE LA CHAISE.




Le cimetière de Mont-Louis, quoique le moins ancien, est aujourd’hui le plus important et le plus remarquable par son étendue, sa distribution, la variété du sol, la beauté des points de vue, le nombre et la richesse des monuments qu’il renferme ; et, depuis quelques années, l’usage semble l’avoir plus particulièrement consacré aux sépultures de marque. Le lieu qu’il occupe fut autrefois célèbre, et fut connu sous différents noms. On rapporte qu’un riche marchand de la capitale, frappé de la beauté du site qui règne sur toute la hauteur des coteaux qui s’étendent de Belleville à Charrone, à l’est de Paris, y acheta un terrain d’environ six arpents, nommé alors le Champ-l’Évêque, et fit construire une maison de plaisance, trop somptueuse sans doute pour son rang ou sa fortune, puisque les envieux la nommèrent la folie Regnaud. Les Jésuites firent l’acquisition de cette maison en 1626, et Louis XIV, encore enfant, y fut témoin, dit-on, de la fameuse bataille livrée, dans le faubourg Saint-Antoine, par le maréchal de Turenne au prince de Condé, chef alors des Frondeurs. Depuis ce temps, ce lieu fut appelé Mont-Louis, et fut donné en 1675 au R. P. de La Chaise, confesseur du roi, jésuite fameux, et dont on sait quelle fut l’influence dans les affaires civiles et religieuses. Par les soins du monarque, la maison et les jardins furent considérablement agrandis, et tous les embellissements réunis de l’art et de la nature en firent un lieu de délices, où le révérend père, loin du fracas de la cour, venait souvent sous des bosquets enchantés respirer un air pur, se délasser de ses travaux, et alléger un peu, s’il lui était possible, le redoutable fardeau dont le prince avait chargé sa conscience.

Après sa mort, les Jésuites continuèrent d’habiter cette voluptueuse retraite, qui, vendue lors de leur suppression pour acquitter leurs dettes, appartint depuis successivement à divers particuliers ; mais l’entretien trop dispendieux d’une habitation toute de luxe la fit sans doute bientôt abandonner, et elle tombait presque en ruine lorsque l’administration du département de la Seine en fit l’acquisition pour y établir un cimetière[10].

Étranges contrastes dans les révolutions des siècles ! Ce lieu naguère séjour de plaisir et de vanité, vaste foyer d’intrigues et d’agitations, où l’on vit ramper tour-à-tour les personnages les plus marquants de la cour et de la ville, où se réglèrent arbitrairement les destinées de la France, d’où émanèrent enfin, au nom de la religion, ces décrets homicides dont trop souvent la religion et l’humanité s’affligèrent également, aujourd’hui paisible empire de la mort, terme commun du pouvoir et de la servitude, de la misère et de l’opulence ; toutes les passions, tous les intérêts, tous les rêves de l’ambition viennent s’y évanouir ; les haines, les partis, les sectes s’y confondent, et combien trouvent maintenant un dernier asyle dans ce lieu même d’où furent lancés contre

leurs ancêtres des arrêts de proscription.

HÉLOÏSE ET ABÉLARD.



Ce monument du plus grand intérêt, et qui fit long-temps un des principaux ornements du Musée des Monuments Français[11], est un des premiers qui attirent les regards en entrant dans le cimetière du Mont-Louis, et un des premiers, sans doute, que cherchent à rencontrer ceux qui se rappellent avec émotion l’histoire touchante de ces infortunes amants.

Au milieu d’une chapelle sépulcrale, construite dans le goût du douzième siècle, sur les dessins de M. Lenoir, avec les débris d’une chapelle du Paraclet et de l’abbaye de Saint-Denis, est placé le tombeau ou Pierre de Cluni, dit le Vénérable[12], fit d’abord ensevelir le corps d’Abélard, et qui, resté vide pendant sept siècles, renferme aujourd’hui les restes de ces deux époux indissolublement réunis l’un à l’autre[13]. Sur la pierre qui le couvre, Abélard est représenté couché à la manière du temps, la tête légèrement inclinée et les mains jointes ; près de lui on a placé la figure de son intéressante amie. Les reliefs qui ornent le sarcophage représentent les pères de l’Église ; sur un des cotes on lit :

les restes d’héloïse et d’abélard
les corps d’héloïse et d’abélard
sont réunis dans ce tombeau.
ont été transportés dans ce lieu
en l’an viii


Du cote opposé :

ce tombeau d’abélard
les restes d’héloïse et d’abélard
s. marcel lès chalons-sur-saône
sont réunis dans ce tombeau.
en l’an viii


Du même côté, sur une table de marbre noir :

Pierre Abaillard fondateur de cette abbaye[14] vivait dans le 12 siècle il se distingua par la profondeur de son savoir et par la rareté de son mérite cependant il publia un traité de la trinité qui fut condamné par un conseil tenu à soissons en 1120 il se rétracta aussitôt par une soumission parfaite et pour témoigner qu’il n’avait que des sentimens orthodoxes il fit faire de cette seule pierre ces trois figures qui représentent les trois personnes divines dans une nature[15] après avoir consacré cette église au S. esprit qu’il nomma paraclet par rapport aux consolations qu’il avait goutées pendant la retraite qu’il fit en ce lieu, il avait épousé héloise qui en fut la première abesse. l’amour qui avait uni leurs esprits durant leur vie et qui se conserva dans leur absence par des lettres les plus tendres et des plus spirituelles a réuni leurs corps dans ce tombeau. il mourut le 21 avril l’an 1142 agé de 63 ans après avoir donné l’un et l’autre des marques d’une vie chrétienne et pénitente. Par dame Catherine de la Rochefoucault abbesse.

Sur une autre table de marbre noir, placée sur le pavé du monument au pied du sarcophage, on lit cette inscription que l’on dit avoir été composée par Marmontel.

HIC
Sub eodem marmore jacent
hujus monasterii
conditus Petrus Abœlardus
Et abbatissa prima Heloissa
olim studiis ingenio amore infaustis nuptiis.
et pœnitentia
nunc eterna quod speramus felicitate
conjuncti
Petrus obiit xx prima aprilis anno 1142
Heloïssa xvii maii 1163.

DELILLE.



Sous l’ombrage épais d’un antique berceau de tilleuls, au milieu d’un jardin rempli d’arbustes et de fleurs soigneusement cultivés, repose Delille, le premier des poètes français, le chantre inimitable de la nature, le traducteur illustre de Virgile et de Milton. Son modeste tombeau, élevé par la tendresse conjugale, et tel que lui-même en avait tracé le plan[16], n’est décoré d’aucuns ornements superflus ni d’aucune épitaphe pompeuse. L’entrée, tournée vers le midi, est fermée par une porte de bronze, au-dessus de laquelle est écrit seulement :

JACQUES DELILLE.

Ces mots sont répétés du côté opposé, gravés en lettres d’or sur un marbre blanc, qui semble attendre une plus longue inscription, mais où sans doute tous ceux qui visitent ce tombeau inscrivent d’avance, par la pensée, les titres de ses nombreux et sublimes travaux.

Delille est du petit nombre d’hommes dont la réputation est au-dessus des éloges : il suffit à sa gloire de citer les chefs-d’œuvre qui ont immortalisé son nom, et dont s’enorgueillit sa patrie. Les poëmes de l’Imagination, de la Pitié, des Jardins, de l’Homme des Champs, des Trois Règnes de la Nature, la traduction en vers français des Géorgiques, de l’Énéide, du Paradis perdu, etc., ont fait l’étonnement et l’admiration de toute la république des lettres, et sont de ces trophées impérissables qui survivent à la destruction des tombeaux et triomphent du temps.




Delille naquit en 1740 près de Clermont en Auvergne ; sa mère descendait de l’illustre famille du chancelier de l’Hospital. Il travaillait encore à un poëme sur la Vieillesse, lorsqu’il mourut le 1er mai 1813, à l’âge de soixante-quinze ans. Il écrivait également bien en vers et en prose ; personne n’avait dans le monde un esprit plus facile et plus brillant ; personne ne racontait avec plus de grace, et n’écoutait avec plus de complaisance ; personne enfin ne joignit à un esprit aussi sublime un caractère plus doux, plus aimable et plus modeste.

BOUFFLERS.



Près du tombeau de Delille, et dans le même jardin, un cippe surmonté d’un vase cinéraire, autour duquel serpentent le chèvre-feuille et le lierre, indique la tombe d’un autre poète, dont les productions, d’un genre moins sévère, attestent néanmoins le génie fécond, la verve sémillante et gracieuse, et dont le caractère aimable et enjoué est peint tout entier par ce mot tracé sur le vase, et qu’il semble adresser à ceux qui jouirent de son intimité.

mes amis, croyez que je dors.

Sur la colonne, décorée de ses armes et d’une guirlande de chêne et de laurier délicatement sculptée, on lit :

STANISLAS JEAN
CHEVALIER DE BOUFFLERS.
né a paris en 1738.
mort a paris en 1815.
l’honneur des chevaliers, la fleur des troubadours.
delille.




Le chevalier de Boufflers, de l’ancienne Académie française, prit dès sa jeunesse le parti des armes ; fit, en qualité de capitaine de hussards, la guerre de Sept-Ans, et assista à la sanglante bataille d’Amenebourg.

Il fut député aux états-généraux en 1789 ; et fit décréter en 1791 la propriété des découvertes et inventions en faveur de leurs auteurs.

Retiré en Prusse pendant les troubles de la révolution, il fut reçu de l’académie de Berlin, et trouva dans le roi Frédéric-Guillaume II un protecteur aussi généreux que délicat, auquel il dut des concessions considérables en Pologne, ayant pour but l’établissement d’une colonie en faveur des émigrés français. Rentré en France, il fut admis au nombre des membres de l’Institut, et mourut le 19 Janvier 1815, âgé de soixante-dix-huit ans. Passionné pour les belles-lettres, il s’était acquis, long-temps avant la révolution, une réputation brillante par ses œuvres fugitives ; et il est au rang de nos poëtes les

plus aimables.

MASSÉNA.



Ce monument, érigé à la gloire d’un des plus illustres guerriers Français, est du nombre de ceux dont l’intérêt et le rattache à des souvenirs nationaux. Celui qui, dans les campagnes mémorables de l’Italie et de la Suisse, marcha constamment de conquêtes en conquêtes, et, jeune encore, fut surnommé l’Enfant chéri de la Victoire ; qui depuis, sur les bords du Danube, sut combattre avec avantage Charles et Suwarow[17], et mérita d’être décoré, dans les champs d’Essling, du titre de prince ; enfin, qui pendant plus de trente années a consacré son bras à sa patrie, et dont le courage intrépide, les manœuvres habiles et la fermeté de caractère ont plusieurs fois sauvé l’armée française, a sans doute acquis de justes droits à l’admiration et à la reconnaissance publique, et le nom de Masséna est inscrit au premier rang dans nos fastes militaires.

La mort l’avait oublié dans les combats ; elle est venue l’enlever au sein de sa famille, dans l’âge d’un honorable repos. Le mausolée consacré à sa mémoire est tout entier de marbre et décoré de sculptures précieuses ; il consiste en un cénotaphe élevé sur des degrés et surmonté d’un obélisque sur lequel on lit :

RIVOLI.
ZURICH.
GÊNES.
ESSLING.

Au-dessous :

MASSÉNA.
MORT LE 4 AVRIL 1817.

Sur la face méridionale du cénotaphe, on voit en relief, au-dessus d’une guirlande de chêne et de laurier, soutenue sur deux épées d’honneur, le buste du général sculpté par Bosio. Ses armes et des trophées militaires occupent la face opposée ; les deux autres côtés sont décorés de couronnes de chêne et de laurier, avec les bâtons de maréchal en sautoir. Ce beau monument, qui a vingt et un pieds d’élévation, a été exécuté sur les dessins de M. Vincent, architecte ; et les sculptures sont dues au ciseau de M. Jacques.




Masséna, prince d’Essling, duc de Rivoli, maréchal de France, grand-croix de la Légion-d’Honneur, commandeur de l’ordre royal de Saint-Louis, etc., etc., naquit à Nice en 1758. Il entra au service de la France en 1775, et était parvenu au grade de général de division en 1793. Ses travaux militaires et sa conduite politique lui ont acquis la haute estime de ses contemporains, et un titre à la postérité. Une maladie longue et cruelle, qui a terminé sa carrière à l’âge de cinquante-neuf ans, l’avait seule empêché de recevoir le bâton de maréchal de la main du Roi. S. M. a ordonné au ministre de la guerre de le transmettre à sa famille, pour s’en servir aux

funérailles.

PARMENTIER.



Sous cette tombe, d’une structure simple, mais élégante, gît un savant modeste, un chimiste profond, qui consacra sa vie entière à la recherche des choses utiles à sa patrie : un philanthrope justement célèbre, qui n’eut qu’une seule pensée, qu’une seule ambition, celle de faire du bien à ses semblables ; qui fut assez heureux pour arracher à la nature les secrets les plus précieux pour l’humanité, et s’attacha sur-tout, avec une active persévérance, à multiplier les ressources de l’indigent : l’homme enfin à qui la France doit la culture de cette plante si productive et si nourricière, qu’on dédaigna long-temps sans la connaitre, et qui fournit aujourd’hui un aliment aussi utile qu’agréable sur la table du pauvre et sur celle de l’opulent.

Sur un marbre blanc, à l’un des côtés du monument, est écrit en lettres d’or :

ICI REPOSE
antoine augustin PARMENTIER,
pharmacien,
membre de l’institut de france,
du conseil général
des hospices de paris,
l’un des inspecteurs généraux
du service de santé des armées,
officier de la légion d’honneur.


NÉ A MONTDIDIER EN 1737.
MORT A PARIS EN 1813.

Sur le côté opposé :

MONUMENT
élevé a la mémoire
d’antoine augustin
PARMENTIER
PAR par les pharmaciens
civils et militaires
de france,
ses élèves, ses amis,
ses collègues.

Des bas-reliefs allégoriques ornent les deux autres façades du monument : dans l’un sont représentés une charrue, des épis de blé et de maïs ; dans l’autre un cep de vigne, des instruments de chimie, et une corbeille pleine de pommes de terre, emblèmes des utiles travaux de cet homme infatigable.




Les ouvrages de Parmentier offrent une série d’expériences et de vues nouvelles qui se rapportent principalement à la chimie, à l’agriculture, et à l’économie rurale et domestique. Dans tous, une idée première et dominante se fait principalement remarquer, c’est l’amour de l’humanité. Ses talents et son activité semblaient se multiplier à mesure que l’autorité, d’accord avec l’estime publique, lui confiait de nouveaux emplois. Sans faste comme sans orgueil, il conserva toujours dans ses dignités cette simplicité de caractère, cette bonté de cœur, qui le faisaient aimer de tout le monde ; et, pendant soixante ans, chacun de ses jours fut marqué par des services, des bienfaits, ou des leçons utiles. Il a terminé son honorable carrière à l’age de soixante-seize ans.

Un grand nombre d’écrivains remarquables se sont empressés de payer un tribut à la mémoire de Parmentier ; parmi les éloges qui ont été publiés, nous citerons particulièrement la Notice sur la vie et les ouvrages d’Antoine-Augustin Parmentier, publiée dans la trente-septième livraison, tome IV, du Mémorial universel de l’industrie, par M. Pellissier, l’un de ses plus éloquents panégyristes, et qui nous pardonnera sans doute d’avoir emprunté

ici en partie ses propres expressions.

D’ABOVILLE.



Cette sépulture de famille, construite solidement en pierre et d’une assez grande dimension, est remarquable par l’aspect guerrier que lui donnent les deux canons de fonte qui en décorent la façade et servent de colonnes à l’entablement. Là repose en effet un militaire distingué, dont les services et les connaissances profondes en artillerie ont assure la réputation.

Son buste, sculpté en marbre blanc dans un médaillon entouré de branches de chêne et de laurier, orne le tympan du fronton. Autour du médaillon on lit :

françois marie comte d’aboville, pair de france, lieutenant
général, gde croix de s. louis, grand officier de la légion
d’honneur, né à brest le xxiii janvier mdccxxx, mort
a paris le 1er novembre mdcccxvii.

Au-dessous, sur l’architrave, sont sculptées ses armes ; sur les canons sont indiqués ses principaux faits d’armes ;


Sur celui à gauche on lit :
Sur celui à droite :
Fois MARIE D’ABOVILLE
SIÈGES
BATAILLES
citadelle de tournay
fontenoy
oudenarde
1745
ostende
lawfeld
dendermonde
1747
nieuport
valmy
1745
1792
anvers
COMBATS
mons
rems
charleroi
aminisbourg
1746
1747
maastricht
munster
1748
1759
munster
la hesse
1759
1762
yorck
montagne verte
1781
1794
le quesnoi
karlsbourg
valenciennes
sarbruck
1794
1793



Le comte d’Aboville entra au service de l’artillerie en 1740 ; il parvint successivement au grade de colonel, et fit, en cette qualité, la guerre d’Amérique sous le général Rochambaud. Il remplit depuis avec honneur plusieurs emplois distingués, sous les divers gouvernements qui se sont succédés en France depuis 1789. Il envoya un des premiers, en 1814, son adhésion au rétablissement de la maison de Bourbon. On lui doit l’invention des roues à moyeu de métal, dites roues à voussoir, qui furent admises à l’exposition de 1808, et dont la classe des sciences mathématiques de

l’Institut a parlé avec le plus grand éloge dans son rapport de la même année.

URQUIJO.



On ne peut se défendre d’abord d’une sorte d’étonnement, en considérant au milieu des tombeaux la forme élégante de cette rotonde de marbre blanc, dont la coupole est légèrement soutenue par huit colonnes d’ordre dorique, et dont l’aspect gracieux rappelle plutôt l’idée d’un temple digne de figurer dans les bosquets d’Idalie, que celle d’un monument funéraire. Celui qui en conçut le plan sentit, sans doute, la nécessite d’en justifier l’idée ; et l’on ne peut qu’applaudir à l’heureuse pensée, exprimée en lettres d’or, sur une des faces du cénotaphe placé au milieu de cette colonnade :

il fallait un temple a la vertu,
un asyle a la douleur.


Pensée d’autant plus heureuse, qu’elle renferme un hommage juste dû au mérite du chevalier d’Urquijo.

Du côté opposé est écrit :

a la mémoire
du chevalier d’urquijo.


Sur une autre face du cénotaphe est gravé aussi en lettres d’or :

ici repose
mariano louis de urquijo
ancien ministre
et premier secrétaire d’état
d’espagne,
décédé a paris le 3 mai 1817,
agé de quarante-neuf ans ;
vrai philosophe chrétien,
modeste dans la prospérité,
fort dans l’adversité,
politique éclairé,
savant,
protecteur des sciences et des arts,
bon fils,
fidèle a l’amitié,
compatissant pour les malheureux :
ses amis,
sa famille désolée,
l’humanité entière,
particulièrement l’espagne,
sa bien-aimée patrie,
le regretteront toujours.

terre, sois-lui légère.


La même inscription est répétée en langue espagnole sur la face opposée.

Ce beau monument a été exécuté dans les ateliers de MM. Boudin et Arrault.




Le chevalier d’Urquijo naquit en Espagne en 1768, dans la vieille Castille, et passa une partie de son jeune âge en Angleterre ou il fut élevé. Appelé au ministère dans sa patrie, en 1798, on lui dut de sages réformes ; ses efforts furent principalement dirigés contre l’Inquisition, qu’il parvint à abolir, et dont il employa les biens à des établissements utiles ; mais bientôt en butte à la haine et à la vengeance d’un parti puissant, toute l’estime que lui accordait son souverain ne put le sauver d’une disgrace : les portes des cachots s’ouvrirent pour lui, et l’exil fut la récompense de ses travaux.

Rappelé dans la suite par Charles IV, les événements de 1808 le placèrent, peu de temps après, sous l’autorité de Joseph Napoléon, devenu roi d’Espagne, et qui lui confia le timon des affaires. La chûte de ce nouveau maitre entraîna encore la sienne ; il se réfugia en France en 1814 ; et cet homme, doué des plus éminentes qualités, qui eût mérité de naitre dans des circonstances plus heureuses, est mort dans cette terre d’exil, entouré de ses nombreux compagnons d’infortune, dont il fut souvent encore le

consolateur et le soutien.

THIBAUT DE MONTMORENCY.



Sous ce monument d’une structure simple et d’un aspect mélancolique, git un noble descendant du premier baron chrétien[18], digne héritier des vertus de ses illustres aïeux, preux chevalier, vaillant défenseur des lis, enlevé trop tôt à la société et à sa patrie.

Sur la façade de son tombeau est écrit en lettres d’or, sur un marbre noir :

A LA MEMOIRE
d’anne joseph thibaut,
comte de montmorency,
qu’une chute aussi imprévue
que déplorable
arracha subitement a sa famille
le 21 octobre 1818,
entre les bras d’une sœur, d’une mère,
d’une épouse éplorée.




son noble caractère
et les belles qualités de son cœur
seront toujours présents
au souvenir de ses parents
et de ses amis

Au-dessus de cette inscription on remarque les armes de la famille, en relief de bronze, avec cette antique devise : Dieu aide au premier baron chrétien.

Le comte Thibaut de Montmorency était né en France en 1780 ; et il était colonel de la 5e légion, lorsqu’il est succombé à l’age de trente-huit ans, à la suite du plus funeste accident[19].

Nous croyons ne pouvoir mieux le faire connaitre, qu’en empruntant les propres expressions de celui qui fut chargé de prononcer sur sa tombe son oraison funèbre.

« Quelle famille s’enorgueillit jamais d’un fils plus respectueux et d’un époux plus tendre ? Où l’indigence trouva-t-elle jamais une ame plus compatissante, et des secours plus prompts ? Fut-il un plus ferme appui de l’autel et du trône ? Qui mérite mieux que Thibaut de Montmorency d’avoir part aux titres et aux souvenirs glorieux que lui avait légués le premier baron chrétien ? » (Discours prononcé par le lieutenant-colonel de la douzième légion.)

MME COTTIN.



Sous une simple pierre, sans pompe et sans ornements, repose dans un lieu solitaire et presque ignoré, une femme aussi recommandable par les qualités du cœur que par les agréments de son esprit, l’aimable auteur des romans de Claire d’Albe, de Malvina, de Mathilde, etc., et qui doit occuper un rang distingue parmi nos femmes célèbres.

Un épais buisson de rosiers, de jasmins, de liladiers, de chèvre-feuille, amoureusement entrelacés, ombrage cette tombe et semble vouloir la dérober aux regards ; emblème de l’estimable modestie qui caractérisa toujours cette femme intéressante, au milieu des succès les plus flatteurs.

En écartant d’une main respectueuse le feuillage tutélaire, on lit :


ICI REPOSE
Marie Sophie RISTAUD,
veuve de J. M. COTTIN,
décédée le 25 août
1815.




Madame Cottin, née à Tonneins en 1773, reçut de sa mère une éducation très-soignée, et épousa dès l’age de dix-sept ans un riche banquier de la capitale, qui lui fut ravi dans les troubles de la révolution, après trois ans de la plus douce union. Retirée dans la solitude, elle écrivit pour charmer ses ennuis ; et ses amis purent recueillir une foule de pièces fugitives, en vers ou en prose, dont elle seule ignorait le charme et le mérite. Entraînée par son gout et une facilité extraordinaire, elle conçut un plan, traça de suite deux cents pages, et composa ainsi Claire d’Albe, ouvrage plein de grace et de sentiment[20]. Bientôt on vit Malvina, Amélie de Mansfield, Mathilde, Élisabeth, etc., sortir de sa plume spirituelle et féconde ; et elle travaillait à un livre sur l’éducation, lorsqu’elle fut surprise par une maladie cruelle dans la quarante-deuxième année de son âge.

Madame Cottin en écrivant ne faisait qu’obéir à un penchant irrésistible, et ne cherchait point à satisfaire son amour-propre : car elle avait pour principe qu’une femme ne doit point être auteur. Elle s’est souvent blâmée elle-même d’avoir publié ses ouvrages ; et c’était en quelque sorte pour se faire pardonner ce qu’elle regardait comme un tort, que le produit en était toujours consacré à quelques œuvres de bienfaisance.

On a dit d’elle que d’autres écrivains avaient mieux connu le monde et ses ridicules, mais que personne n’est allé plus avant dans les secrets du cœur, et n’a rendu les sentiments et les passions avec plus d’éloquence et de

vérité.

REGNAULT
DE SAINT-JEAN-D’ANGELY.



PE mausolée, qui fixe d’abord l’attention, et qui, par sa haute dimension et le lieu élevé où il est situé, semble dominer ceux qui l’entourent, est en effet un des plus remarquables du cimetière de Mont-Louis, et est destine à conserver le souvenir d’un homme qui n’occupa pas un poste moins élevé sur le grand théâtre du monde, où la fortune le combla d’honneurs, de richesses et de dignités, mais qui lui réservait un cruel revers.

Son tombeau consiste en une partie principale de forme carrée, solidement construite en pierre, couronnée d’une simple corniche, et qui sert de piédestal à un cénotaphe de marbre blanc, surmonté d’une urne cinéraire : on y lit en gros caractères de bronze en relief :

REGNAULT
DE
S.-JEAN-DANGELY.


Et au-dessous, sur un marbre noir qui parait en fermer l’entrée, le quatrain suivant :

français, de son dernier soupir
il a salué la patrie :
un même jour a vu finir
ses maux, son exil et sa vie.


Ces deux inscriptions sont répétées aussi sur la face postérieure du monument.

Sur le dé du cénotaphe est gravé en lettres d’or :


né a saint-fargeau, département de l’offre 2 novemb. 1760
nommé a l’assemblée constituante en 1789
arrêté a douai en 1793
mis hors la loi en 1794
nommé conseiller d’état, section de l’intérieur 2 décemb. 1799
président de la section de l’intérieur 14 sept. 1802
membre de l’institut, classe de la langue et de la littér. 28 janv. 1803
grand procureur général près la haute cour 6 juillet 1804
conseiller d’état a vie 21 avril 1805
secrétaire d’état 9 aout 1807
grand cordon de l’aigle d’or de wurtemberg en 1807
ministre d’état 15 nov. 1807
comte par lettres patentes 24 aout 1808
grand cordon de l’ordre de léopold d’autriche en 1810
grand croix de l’ordre de la réunion 2 avril 1813
grand aigle de la légion d’honneur 24 nov. 1813
chef de légion de la garde nationale de paris 8 janv. 1814
membre de la chambre des représentants en 1815
vice-président du conseil d’état 4 juin 1815




exilé par ordonnance du 24 juillet 1815
rappelé en février 1819
arrivé a paris a 8 heures du soir 10 mars 1819
mort a 2 heures du matin 11 mars 1819




Que pourrions-nous ajouter à l’histoire de la vie de M. le comte Regnault de Saint-Jean d’Angely ? elle est tout entière écrite sur son tombeau.

VISCONTI.



Tout auprès de la superbe sépulture du comte Regnault de Saint-Jean-d’Angely est un cippe de forme antique, orné de quelques légères sculptures et d’un buste en marbre blanc, dont les traits rappellent un homme justement révéré de toute l’Europe savante ; qui posséda au plus haut degré les connaissances numismatiques et archéologiques, et répandit des lumières encore inconnues dans la science de l’antiquité ; Visconti enfin, un des plus utiles collaborateurs de l’académie française, un de ses plus rares ornements[21], et dont le nom seul doit attacher à ce tombeau le plus vif intérêt.

On y lit pour toute épitaphe,

MEMORIAE

ENNI QVIRINI VISCONTI IOAN
DIEM FVNCTI VII ED FEBR A M. DCCC. X. VIII
ANNO AETATIS LXIV
PETRVS COLLOT AMICVS
THERESIA DORIA VXOR
SIGISMVNDVS ET LVDOVICVS FILII
AMORIS ET PIETATIS CAVSA

POSVERE
.




Ennius Quirinus Visconti, membre de l’Institut (académie des Inscriptions et Belles-Lettres, et académie des Beaux-Arts), conservateur du musée royal des Antiques, chevalier de la Légion-d’honneur, etc., naquit à Borne en 1754. Élevé dans le Vatican même par les soins de J. B. Visconti, son père, homme également recommandable, et qui y était chargé du noble emploi de conserver les précieux monuments de l’art des anciens, et-de les décrire, il y puisa de bonne heure cette vaste érudition, ce goût pur, dont l’influence a si puissamment contribué à détruire une foule d’erreurs accréditées, à découvrir des vérités nouvelles, et à rétablir les bonnes doctrines dans l’empire des arts.

La langue grecque semblait être sa langue naturelle ; rien n’échappait à sa mémoire ; les productions de la littérature ancienne, les ouvrages des artistes de la Grèce et de l’Italie lui étaient également familiers, et l’antiquité vivait pour ainsi dire tout entière dans son esprit.

Ne cherchant que la vérité, aucune prévention, aucun système ne l’égara dans ses recherches, ni ne maîtrisa jamais ses opinions. Chérissant autant les savants que la science, il recherchait et protégeait ceux qui se livraient aux mêmes travaux que lui. Là où les autres deviennent rivaux, il devenait ami ; et sa modestie et ses vertus privées rehaussaient encore l’éclat de ses talents éminents.

À cette époque fameuse où la victoire, fidèle à nos armes, transportait dans les galeries du Louvre les trésors de l’Italie, Visconti fut invité par le chef du gouvernement français à suivre à Paris les marbres et les monuments qu’il avait si savamment étudiés ; et sa nouvelle patrie s’honora de l’adopter comme un de ses enfants.

Ses principaux ouvrages sont la description du musée Pio-Clémentin, commencée par son père, mais à laquelle il eut la principale part ; celle de la Villa Pinciana, qui en peu de mots renferme la plus grande érudition, et qui fonda de bonne heure sa réputation ; son Iconographie grecque et romaine, vaste ouvrage qu’il n’a pu terminer, mais qui, bien qu’incomplet, est un des titres les plus honorables de sa gloire littéraire ; des Notices jointes aux antiques gravés dans le Musée français et dans le Musée royal ; des dissertations, destinées à enrichir les mémoires de l’Académie ; de nombreuses restaurations d’inscriptions grecques, la description des sculptures du Parthénon d’Athènes ; de doctes articles pour le dictionnaire que prépare l’Académie, etc., etc. ; enfin, c’est à lui que nous devons la nouvelle disposition et la classification du musée actuel des antiques. Il mourut le 7 février 1818, à

l’âge de soixante-quatre ans.

MOLIÈRE.



Sur un petit tertre à l’ombre d’un chêne, dans un sarcophage en pierre creusé dans la masse, soutenu sur quatre pilastres, et surmonté d’une coupe en marbre dans laquelle les oiseaux, dit-on, aiment à se désaltérer, sont déposées les cendres de Jean-Baptiste Poquelin de Molière, de ce poëte célèbre, qui, digne émule d’Aristophane, de Plaute et de Térence, créa en France la bonne comédie, corrigea les vices par le ridicule, et sut avec art unir au plaisant badinage, à la gaîté de ses dialogues, la plus saine philosophie ; un des plus beaux génies enfin qui ont illustré le siècle de Louis XIV ; dont la scène française s’honore encore de reproduire chaque jour les chefs-d’œuvre, et que sans doute on ne peut mieux louer que dans ces vers trouvés sur son tombeau :

Disciple ingénieux de Plaute et de Térence,
La gloire de son siècle et l’honneur de la France,
En philosophe aimable il corrigea les mœurs,
Éclaira les esprits, et réjouit les cœurs.
A peindre la nature il est inimitable,
Et reste pour modèle en son art admirable[22].
E. S.

Sur chacune des faces latérales, on lit en caractères de bronze :

MOLIÈRE.

et sur une autre face cette inscription latine :

OSSA

J. B. POQUELIN MOLIERE
PARISINI
COMŒDIÆ PRINCIPIS
HUC TRANSLATA ET CONDITA
A. S. M. D. CCC. XVII
CURANTE
URBIS PRÆFECTO
COMITE GUIL. CHABROL DE VOLVIC.

OBIIT AN. S. M. DC LXXIII ÆTATIS LI
.



J. B. Poquelin naquit à Paris le 15 Janvier 1622[23], d’un père marchand tapissier, et qui, dans la suite, eut le titre de valet-de-chambre tapissier du roi, dont la survivance fut accordée à son fils. Le jeune Poquelin assista aux représentations de quelques comédies de l’hôtel de Bourgogne ; et dès-lors il prit du goût pour le théâtre, et marqua un si grand désir de s’instruire, que son père le plaça au collège, où il fit, entre autres connaissances, celle du célèbre Gassendi qui lui enseigna la philosophie, et compléta son éducation. Obligé d’abord de remplir auprès du roi les fonctions de la place de son père, ce ne fut guère qu’à l’âge de vingt ans qu’il put se livrer tout entier à la comédie pour laquelle il avait une extrême passion. Poquelin prit alors le nom de Molière, forma une petite société avec quelques jeunes gens qui avaient le même goût que lui, établit un théâtre, et fit des petites pièces pour la province.

La première comédie régulière qu’il composa fut l’Étourdi, en cinq actes, représentée à Lyon en 1653. Après avoir obtenu de brillants succès à Béziers, à Grenoble, à Rouen, Molière vint s’établir à Paris, ou il joua long-temps dans la salle des gardes du vieux Louvre, et au Palais-Royal, honoré de la protection du roi et des plus grands personnages. Ses principaux chefs-d’œuvre sont le Misanthrope, le Tartufe, les Femmes savantes, l’Avare, le Festin de Pierre, le Bourgeois gentilhomme, les Précieuses ridicules, etc. Le Malade imaginaire fut son dernier ouvrage : on sait qu’il mourut peu d’heures après la quatrième représentation de cette pièce, le 17 février 1673, dans un accès de

toux où il se rompit une veine, à l’âge de cinquante et un ans.

LA FONTAINE.



Près du tombeau de Molière et dans la même enceinte fermée par un treillage rustique, l’on voit un autre sarcophage en pierre, aussi creusé dans la masse, élevé sur un socle surmonté de la figure d’un renard en marbre noir, et orné de deux bas-reliefs en bronze, représentant la fable du Loup et de l’Agneau, et celle du Loup et de la Cigogne. À ces emblêmes il est facile de reconnaitre que dans ce monument reposent les cendres du bon La Fontaine, de ce poëte qui, dans ses ingénieuses fictions, à l’exemple d’Ésope et de Phèdre, apprit la vérité aux hommes, en prêtant aux animaux le langage de cette douce et saine philosophie qui instruit également et l’enfance et l’âge mur. Poëte inimitable dans sa sublime simplicité, qui a surpassé ses modèles, et qui n’a point d’égal.

Il peignit la nature et garda ses pinceaux.

Depuis plus d’un siècle les cendres de La Fontaine gisaient obscurément près de celles de son ami Molière : l’autorité les fit recueillir en même temps ; et le tombeau que nous décrivons orna aussi le jardin du musée des monuments français, avant d’être transporté au cimetière de Mont-Louis. Sur les côtés latéraux on lit en caractères de bronze :

LA FONTAINE.

et sur une des extrémités, cette inscription latine gravée sur un marbre blanc :

hic jacet
ioh. La Fontaine castro-theodoricus
in æsopiis fabellis condendis
recentiorum unicus
babriæ et phœdri
victor potius quam æmulus
vixit an. lxxiv obiit a. s. m.dc.lxxxxv
guil. chabrol de volvic
comes præfectus urbis
poetæ corpus aliunde translatum
monumento inferri curavit.
a. s. mdcccxvii

La Fontaine naquit à Château-Thierry en Champagne, l’an 1621. La lecture d’une ode de Malherbe développa tout-à-coup en lui ce gout et ce talent pour la poésie, qui le placèrent bientôt au rang des plus beaux génies de son siècle. Après avoir étudié Plutarque et Platon, et s’être nourri de la lecture des meilleurs poëtes latins, et des œuvres de Rabelais, de Marot, de d’Urfé, de Malherbe, de l’Arioste et de Boccace, dont il faisait ses délices, il composa ses Fables, ouvrage immortel, chef-d’œuvre du genre, et ses Contes si spirituels et si piquants, mais dont il condamna lui-même la licence, et qu’il se repentit d’avoir publiés.

Il fut reçu de l’Académie française en 1684.

Ses parents lui firent épouser Marie Éricard, fille du lieutenant-général de La Ferté-Milon, femme d’une grande beauté et de beaucoup d’esprit, qu’il consultait souvent en composant ses ouvrages.

On trouvait en lui le même esprit de simplicité, de candeur et de naïveté qui caractérise ses productions. Plein de probité, doux, sincère, sans ambition, prenant tout en bonne part, vivant bien avec ses confrères ; il compta d’illustres protecteurs, et lia une étroite amitié avec Molière, Racine, Boileau, Chapelle et autres grands hommes de son temps. Il mourut le 13 mars 1695, à l’âge de soixante-quatorze ans.

Tout le monde connait sans doute l’épitaphe suivante qu’il composa plaisamment pour lui-même :

Jean s’en alla comme il était venu,
Mangeant son fonds avec son revenu,
Tint les trésors chose peu nécessaire.
Quant à son temps, bien sut le dispenser :
Deux parts en fit, dont il soulait passer
L’une à dormir, et l’autre à ne rien faire.

PORTRAIT DE LA FONTAINE, PAR LUI-MÊME.

Papillon du Parnasse, et semblable aux abeilles.
A qui le bon Platon compare nos merveilles,
Je suis chose légère, et vole à tout sujet ;
Je vais de fleur en fleur et d’objet en objet :
A beaucoup de plaisir je mêle un peu de gloire.
J’irais plus haut peut-être au temple de Mémoire,
Si dans un genre seul j’avais usé mes jours.
Mais quoi ! je suis volage en vers comme en amours.

MONGE.



Ce beau mausolée d’un style égyptien, élevé a double étage, a été érigé, par les élèves de l’école Polytechnique, à la mémoire de celui qui, par ses soins et son patriotisme, contribua si puissamment à l’établissement de cette école fameuse, à qui nous devons tant d’hommes qui honorent les sciences et la patrie, et dont il fut un des professeurs les plus érudits.

Le buste en marbre de cet homme célèbre décore la partie supérieure du monument sur laquelle on lit :

A GASPARD MONGE.


et sur chaque côté latéral :

les élèves de l’école polytechnique
A G. MONGE,
comte de peluse.


derrière :

AN M.D.CCC.XX.


Dans l’intérieur de la chambre sépulcrale, sur le pavé vis-à-vis la porte d’entrée :

ci git gaspard monge,
comte de peluse,
né a beaune,
département de la cote d’or,
le 10 mai 1746,
membre de l’institut,
ancien membre de l’académie des sciences,
grand officier de la légion d’honneur.
ancien sénateur, et professeur
de l’école polytechnique,
mort a paris le 28 juillet 1818.


Ce tombeau, d’un bel effet, a été construit par M. Clochad, architecte.




Monge se livra des son jeune âge à l’étude des sciences ; à dix-neuf ans il était professeur de mathématiques et de physique à l’école du génie à Mézières. Peu de temps après il se fit connaitre à l’Académie, par des découvertes importantes dans ces deux sciences, et il en devint un des membres les plus célèbres.

Monge s’occupa particulièrement à appliquer les mathématiques aux arts, à les rendre utiles à la société ; et il créa pour ainsi dire une science nouvelle, la géométrie descriptive, destinée à porter la précision dans les travaux manuels, et dont il enseigna l’application aux constructions graphiques.

Il fut un des six chargés d’aller en Italie choisir les monuments des arts que nos armées venaient de conquérir, et fit partie aussi de l’expédition

d’Égypte. Il est mort à l’âge de soixante-douze ans.

FOURCROI.



Ce tombeau, de la plus grande simplicité, n’offre de remarquable qu’un buste en marbre blanc, soigneusement sculpté, placé dans une niche carrée d’un assez médiocre effet ; mais le nom de Fourcroi, gravé au-dessous, rappelle d’utiles travaux et un savant distingué dans l’art des Lavoisier et des Parmentier.



Antoine-François de Fourcroi, conseiller d’état à vie, membre de l’Institut, commandant de la légion d’honneur, naquit à Paris, le 15 juin 1755, d’une famille estimé, mais peu riche[24].

Élève favori de Buquet, célèbre chimiste, il montra de bonne heure des talents et une éloquence si rares, qu’il obtint en 1784 la chaire de chimie du Jardin des Plantes du Roi. La publication de plusieurs ouvrages utiles et savants lui mérita le titre de membre de l’académie des Sciences. Il fut membre du conseil des anciens et appelé au conseil d’état, section de l’intérieur, en 1799. Enfin, directeur de l’instruction publique en 1802. On lui doit un projet pour l’uniformité, des poids et mesures, qu’il fit adopter en 1793.

Il est mort le 16 novembre 1809, à l’age de 54 ans.

Mme  BARILLI.



Ce tombeau en marbre blanc, d’une petite dimension et peu décoré, est élevé à la mémoire d’une cantatrice célèbre, qui joignit à la perfection de son art la réunion des plus précieuses vertus. Sa voix flexible et pure, l’excellence de sa méthode et le fini de son exécution lui méritèrent les témoignages les plus flatteurs de l’admiration publique, et le souvenir de ses rares talents doit être cher aux nombreux appréciateurs de la musique italienne.

Au-dessous d’une lyre d’or, ornement caractéristique, on lit :


CI GIT
Mme  BONDINI femme BARILLI,
Ire cantatrice de l’opéra italien a paris,
née a dresde de parents italiens le 18 8bre 1780,
morte a paris le 25 8bre 1813,
également regrettée de sa famille,
des amis des arts et de tous les gens de bien.




morte
posto hai silenzio a’piu soave accenti
che mai s’udiro.
Petrarca.


o mort
tu as imposé silence aux plus doux accents
Pétrarque.




Madame Barilli, fille de Bondini, italien d’origine, et propriétaire d’un théâtre à Prague, qui fut entièrement consumé par les flammes, perdit son père à la suite de cet événement, dans le voyage qu’il entreprit avec sa famille pour retourner en Italie. Jeune encore, elle se livra à Bologne à l’étude de la musique vocale, et suivit les leçons du célèbre Sartorini. C’est à cette école, où s’était conservée la tradition de la bonne méthode de Farinelli, et plus encore à son goût naturel et à son génie, qu’elle dut cette supériorité de talent qui fit les beaux jours du Théâtre Italien, et lui fit obtenir des succès si brillants dans i Due Gemelli, la Griselda, i Nemici Generosi, la Destruzione di Gerusalemma, le Nozze di Figaro, Cosi fan tutti, et particulièrement la Donna di genio volubile, ou elle s’est surpassée elle-même.

Madame Barilli est morte à l’âge de 33 ans. Le nombreux concours de Français et d’étrangers de tout sexe et de tous rangs qui ont accompagné son convoi, a prouvé plus éloquemment qu’on ne pourrait l’exprimer combien

elle avait été digne de l’estime générale, et combien elle méritait de regrets.

GRÉTRY.



Sous un monument de marbre blanc de forme antique et du goût le plus simple, repose Grétry, l’un de nos premiers compositeurs qui a peut-être le plus contribué à illustrer la comédie lyrique ; qui par son génie naturel, la révolution qu’il était destiné à opérer dans l’art, ce sentiment du vrai répandu dans tous ses ouvrages, sa fécondité extraordinaire ; par ses défauts mêmes enfin, reprochés peut-être avec trop d’amertume, s’est acquis des titres certains à la célébrité.

Au-dessous d’une lyre d’or gravée sur le marbre, on lit :


andré ernest modeste
GRÉTRY,
né a liège le 11 février 1741,
décédé a l’ermitage d’émile,
le 24 septembre 1813,
repose
sous ce monument
érigé en sa mémoire
par ses neveux et ses nièces.


Après quelques années d’études élémentaires dans sa patrie, Grétry fut se perfectionner à Rome, où il porta une incroyable avidité de s’instruire. Disciple de Casali, il étonna par la rapidité de ses progrès, et ses premiers essais justifièrent l’excellence de la méthode du professeur.

Il débuta à Paris, en 1769, par l’opéra du Huron. Les applaudissements furent unanimes, et dès-lors s’ouvrit pour l’auteur cette longue et brillante carrière où presque tous ses pas furent marqués par des succès. Et Marmoutel et Sédaine lui doivent une partie de leurs lauriers.

Honoré à la cour et à la ville, la gloire, la fortune et les honneurs ont été le prix de ses heureux travaux.

Grétry est mort à Ermenonville, à l’âge de 72 ans, dans la maison qui avait appartenu à Rousseau, lieu connu sous le nom de l’Ermitage ; son corps fut apporté à Paris, où on lui fit des obsèques magnifiques[25]

C’est dans ses ouvrages et dans ses écrits sur la musique, qu’il faut suivre la marche de son génie ; c’est la qu’il donne aux jeunes artistes le secret de sa composition, et qu’il les instruit par l’exemple. Nous avons beaucoup de Traités de musique ; pas un, peut-être, dit un de ses panégyristes, n’offre une grammaire aussi raisonnée, une rhétorique aussi complète[26].

MÉHUL.



Un cippe de marbre blanc, décoré d’une lyre d’or, et surmonté d’une urne cinéraire, forme tout le monument érigé à Méhul, compositeur sublime dont le nom et les ouvrages seront révérés en France, tant qu’on y conservera le goût de la bonne musique, l’élève favori de Gluck, le rival et l’ami de Grétry.

Sur le cippe est gravé en lettres d’or :


E. N. MEHUL,

MEMBRE DE L’INSTITUT
ET DE LA LÉGION D’HONNEUR,
NÉ A GIVET
LE 22 JUILLET 1763,
MORТ A PARIS

LE 18 8bre 1817.




E. N. Méhul, membre de l’Académie des Beaux-Arts, professeur de composition à l’École royale de Musique, surintendant de la musique de la chapelle du roi, reçut, dans le lieu de sa naissance, les premières leçons de son art d’un organiste aveugle, et apprit la composition d’un maître allemand versé dans la science du contre-point. Conduit à Paris par le desir de cultiver son talent, il devint un des meilleurs élèves d’Edelmann, célèbre pianiste. Mais bientôt le chevalier Gluck, dont il fit la connaissance[27], et dont il admirait les chefs-d’œuvre jusqu’à l’enthousiasme, sut apprécier ses heureuses dispositions, et l’initia dans la partie philosophique et pratique de l’art musical. Ses premiers ouvrages le mirent en peu de temps au rang des meilleurs compositeurs, et ses débuts à l’Opéra comique eurent un succès éclatant. Euphrosine et Coradin produisirent une sensation difficile à décrire[28], et les charmants opéras de l’Irato[29], du Jeune Henri, d’Une Folie, de la Caravanne, de Joseph, de Baiser et Quittance, des Deux Aveugles ; de la Journée aux Aventures, etc. etc. ; la musique des ballets du Jugement de Paris, de la Dansomanie, d’Andromède, ses Cantates et autres compositions fugitives, ne firent qu’ajouter à sa réputation, et ont attaché à son nom la gloire la plus durable[30].

Méhul, attaqué d’une maladie de langueur, fut habiter quelque temps le beau ciel de la Provence ; mais il ne recouvra point la santé : les destins avaient fixé le terme de sa vie. Il revint à Paris, et y est mort à l’âge de 54 ans. A ses funérailles, 140 musiciens ont exécuté avec pompe une messe de Jomelli, et les muses en pleurs, et les regrets de l’amitié escortèrent son convoi.

VOLNEY.



Cette petite pyramide en pierre, élevée sur le gazon à l’imitation des piles funéraires des anciens, est remarquable par cette inscription laconique :


VOLNEY,
Pair de France.


Ce peu de mots suffisent, sans doute, sur le tombeau de l’homme d’état et du littérateur distingué par ses talents et par sa modestie, dont les écrits philosophiques et politiques répandus dans toute l’Europe ont si puissamment contribué à la propagation des idées libérales.




Le comte de Volney, membre de l’Institut, ancien sénateur, commandant de la Légion-d’Honneur et pair de France, déja connu, avant la révolution française, par son voyage de Syrie et d’Égypte, fut élu député aux états-généraux en 1789. Il plaida en faveur de la souveraineté du peuple, et se prononça pour l’aliénation des biens du clergé. Échappé aux cachots du règne de la terreur, il chercha, dans une terre qui venait de naitre à la liberté[31], un repos qu’il ne trouvait point dans sa patrie, et fut très-bien accueilli par Washington. Un temps plus heureux le ramena à Paris. On le nomma en 1794 professeur à l’École normale pour l’histoire, et il contribua, dit-on, secrètement à la révolution du 18 brumaire. Enfin, en 1814, il vota la déchéance, de Napoléon et le rappel de la maison de Bourbon. Ce fut peu de temps après qu’il siégea au nombre des pairs de France.

Outre son voyage de Syrie et d’Égypte, il a publié plusieurs ouvrages remarquables par des opinions fortement tracées, des systèmes hardis, et un vif amour de la liberté, tels qu’un Voyage aux États-Unis, un Précis sur l’état de la Corse, les Ruines ou méditations sur la chute des empires, et une Méthode nouvelle et facile d’apprendre les langues arabe, persanne et turque avec des caractères européens. Ce dernier ouvrage a pour but de faciliter et de* livraUoo. multiplier pour les hommes les moyens de se communiquer entre eux. Enfin M. de Volney a fait un noble emploi de sa fortune, en fondant un prix annuel de 1200 francs pour les progrès de l’étude philosophique des langues dont il faisait une de ses principales occupations.

Il est mort à Paris, le 25 avril 1820.

NANSOUTY.



En lisant tracé sur une pierre tumulaire ce nom illustré par trente années de gloire acquise dans de mémorables combats, et par une conduite sans reproche, on reconnaît le tombeau d’un brave. Les souvenirs qu’il rappelle, et les nobles sentiments qu’il fait naître, en sont les plus beaux trophées.

On lit alors sans étonnement cette longue série de titres et d’honneurs, justes récompenses des plus éminents services.

ICI REPOSE
ÉTIENNE ANTOINE MARIE CHAMPION,
COMTE DE NANSOUTY,
NÉ EN BOURGOGNE LE 30 MAI 1768,
LIEUTENANT-GÉNÉRAL DES ARMÉES DU ROI,
INSPECTEUR-GÉNÉRAL DES DRAGONS,
CAPITAINE-LIEUTENANT
DE LA 1re COMPAGNIE
DES MOUSQUETAIRES DE LA GARDE DU ROI,
GRAND-CORDON DE LA LÉGION D’HONNEUR,
CHEVALIER DES ORDRES MILITAIRES
ET ROYAUX DE S. LOUIS
ET DE NOTRE-DAME DU MONT CARMEL,
GRAND-CROIX DE L’ORDRE ROYAL
DE L’AIGLE D’OR DE WURTEMBERG ;
DÉCÉDÉ A PARIS LE 12 FÉVRIER 1815.
D. P.

Sur la pierre horizontale qui recouvre la tombe, est écrit :

DANS TOUTE MA VIE
JE N’AI FAIT DE MAL A PERSONNE.




Le comte de Nansouty, dont le père commandait, à Bordeaux, le Château-Trompette, fut élevé à l’École militaire, prit de bonne heure le parti des armes, et parvint rapidement, par un mérite réel et une rare intrépidité, aux grades les plus élevés. Général de division, il fit en 1813 la campagne d’Allemagne, et commandait les cuirassiers au combat de Wertingen ; il se distingua à la bataille d’Austerlitz, et fit des prodiges de valeur à Élau et à Friedland ; aux combats d’Eckmulh, d’Esling, de Wagram, et décida souvent de la victoire. Il ne fut pas cité avec moins de distinction dans la guerre de Russie. Il rendit les plus grands services à Dresde, en 1813 et 1814, à Wachau, à Leipsick, à Hanau ; se surpassa à Champ-Aubert, Mont-Mirail, Craone ; partout, enfin, il sut mériter le titre d’un des généraux les plus distingués de l’armée française, et Napoléon rechercha souvent ses conseils.

Nansouty posséda toutes les qualités qui constituent le grand homme, surtout un rare désintéressement et une grande modestie. Il aimait la patrie plus que la gloire, et n’agissait que pour elle.

Le roi apprécia la sincérité de ses sentiments, et se plut à récompenser des services rendus à la France, en comblant le comte de Nansouty d’honneurs, et en lui accordant toute sa confiance.

La nouvelle de sa mort avait été prématurément annoncée. On crut pouvoir parler au foi de son successeur : « Le général Nansouty n’est pas mort, répondit le roi ; je ne pense à remplacer mes amis qu’après les avoir

pleurés. »

MME GUYOT.



Les nombreux mausolées dont s’enrichit chaque jour le cimetière de Mont-Louis ne sont pas tous érigés à la mémoire d’illustres personnages, ou destinés à perpétuer le souvenir des actions d’éclat. Il en est aussi de non moins somptueux qui nous révèlent, il est vrai, des noms peu connus, mais souvent ennoblis par des vertus privées, et honorés par les témoignages touchants que la piété filiale, la tendresse conjugale, ou la simple amitié, prit soin de leur consacrer. De ce nombre, un des plus anciens et des plus remarquables, est celui de madame Guyot.

Un cénotaphe en marbre, de grande dimension, élevé sur un stylobate aussi de marbre et protégé de l’ombrage épais des pins, des mélèzes et autres arbres funéraires qui l’entourent, offre dans ses ornements des allégories, des épitaphes et des devises curieuses. A l’une des extrémités qui est la principale face, est écrit en lettres d’or :

monument érigé
a
dame adélaïde jacques LEBOUCHER,
décédée le xxix juin
an. m. dcccv de l’ère chrétienne,
xxxi de son age,
xiii de la république française,
i. du règne de napoléon bonaparte,
empereur des français,
roi d’Italie,
par michel pierre GUYOT, son époux.

Au-dessus se voit, dans un petit médaillon de bronze, le buste de madame Guyot.

Du côté opposé, est représenté en bronze un pélican qui se perce le sein pour nourrir ses petits.

Au tour est écrit :

je meurs pour mes enfants.

Et au-dessous ces vers :

sous ce marbre repose une épouse chérie,
chez qui la beauté fut a la sagesse unie :
elle vécut trop peu ; le sort, le cruel sort,
sans pitié, la poussa sous la faux de la mort,
hélas ! dix jours après qu’elle eut donné la vie
a sa fille du nom de françoise eugénie.
ô ! combien ses enfants lui valurent de fleurs !
sur sa tombe, passant, versez, versez des pleurs.

Chacune des faces latérales est ornée de trois petits bas-reliefs symboliques sur une même plaque de bronze, qui représentent :

Du cote du midi ; un soleil éclairant de ses rayons un jeune arbrisseau. Au-dessous est écrit :

il éclaira mes premiers jours.

Une colombe, les ailes déployées, tenant dans ses pattes des branches de myrte et de roses ; et au bas :

un chaste amour fut mon bonheur.

Ensuite une ruche autour de laquelle voltigent des abeilles, et environnée d’arbustes en fleurs avec cette devise :

loin de moi les plaisirs frivoles.

Au-dessous sur le marbre cette sentence :

tout sur la terre se décompose et change de forme ;
la fixité est dans le ciel.

Sur la face du nord ; une faux au pied d’un rosier dont la principale fleur seulement est coupée ; au bas :

du moins épargre mes enfants.

Un hibou tenant dans ses pattes des branches de sensitive et de laurier ; et au-dessous :

la sagesse eut pour moi des charmes.

Un triangle, symbole de la divinité, dans une gloire dont les rayons se dirigent sur un tombeau. Un papillon, image allégorique de l’âme, monte lentement sur un de ses rayons ; au-dessous :

au ciel les regrets m’accompaghent.

Enfin sur le marbre de cette façade est gravée cette dernière inscription :

l’ange de la mort veille sur cette enceinte ;
mortel respecte le dernier asyle de ton semblable.

DE LA MARTILLIÈRE.



Ce monument, d’un style noble et élégant, érigé à la mémoire d’un de nos officiers d’artillerie les plus distingués, est en pierre incrustée de marbre, flanqué aux angles par quatre canons sculptés et surmonté d’un couronnement enrichi d’armoiries et de trophées militaires.

Sur un des côtés on lit gravé en lettres d’or :

ici repose
jean fabre,
comte DE LA MARTILLIÈRE,
né a nismes le 10 mars 1782,
décédé a paris
le 27 mars 1819.

Sur le côté opposé :

lieutenant
général,
ancien inspecteur
général. d’artillerie,
pair de france,
grand officier
de l’ordre royal
de la légion d’honneur,
et chevalier de l’ordre royal
et militaire de s. louis.

aut. du traité des recherches
sur les meilleurs effets
a obtenir dans l’artillerie.


Le comte de la Martillière fit ses premières armes en 1757, prit part à la guerre de Sept-Ans, et servit d’une manière distinguée à la Guadeloupe. Considéré déjà avant la révolution française comme un des plus savants officiers

de l’artillerie, il fit, en qualité de colonel, la guerre de 1789 et de 1792 jusqu’en 1800, et contribua au succès des plus importantes opérations. Chargé du commandement de l’artillerie à l’armée des Pyrénées orientales, il conserva Perpignan, dirigea la défense du fort de Bellegarde, fit le siége de la citadelle de Roses et de celle de la Trinité, et fut blessé à l’attaque de Porutète. Enfin les armés du Rhin et de la Moselle furent aussi témoins de la valeur et des talents de ce général, à qui l’on doit quelques écrits estimés sur l’artillerie et l’art de la fonderie.

RAVRIO.



Artiste célèbre en France et en Europe, par la perfection où il porta l’art de façonner le bronze appliqué aux objets d’ornement, par la richesse de gout, la pureté de style et l’élégance de formes qui distinguent les ouvrages sortis de ses ateliers. Son tombeau élevé par la reconnaissance de M. Le Noir Ravrio, son fils adoptif[32], qui soutient aujourd’hui avec non moins d’éclat la brillante réputation de talent et d’intégrité que lui a légué avec son nom et sa fortune son estimable prédécesseur, est construit en granit noir enrichi d’ornements et de figures en bronze, et du buste également en bronze de M. Ravrio.

Au-dessous on lit :

Ane Adré RAVRIO,
Mort le 4 Xbre 1814 dans sa 55e année,
Célèbre dans l’art de Bronzier-Doreur,
Et connu par ses poésies fugitives.


En mourant il fonda un prix de 3000 fr. pour
être décerné au premier qui trouvera
un remède aux maux que l’emploi du mercure
fait éprouver aux ouvriers doreurs.


Il descend dans la tombe en conjurant l’effet
D’un métal meurtrier, poison lent et funeste :
Son corps n’est déjà plus ; mais la vertu lui reste,
Et son dernier soupir est encore un bienfait.


Du côté opposé, sur une plaque de bronze :

un fils d’anacréon a fini sa carrière ;
il est dans ce tombeau pour jamais endormi :
les enfants des beaux-arts sont privés de leur frère ;
les malheureux ont perdu leur ami.

Antoine André Ravrio naquit à Paris en 1759. Son père, habile fondeur, était généralement estimé par sa droiture et ses talents ; et sa mère, appartenait à la famille Riesner, avantageusement connue dans les arts industriels et libéraux.

Ravrio, après avoir dessiné et modelé à l’Académie, se forma à la pratique de son art sous les plus habiles maîtres, et bientôt la perfection de ses ouvrages, ses compositions ingénieuses, ses imitations parfaites de l’antique, étendirent sa réputation dans toute l’Europe. Ses connaissances variées, ses qualités personnelles favorisèrent beaucoup ses relations commerciales, et le firent agréer dans plusieurs sociétés littéraires et de bienfaisance. Toujours traité avec distinction, son excellent cœur, son obligeance, son hilarité lui concilièrent l’estime générale et firent rechercher son amitié.

Livré entièrement à son état, qu’il aimait avec passion, il n’a cultivé les lettres que fort tard et comme délassement. Cependant il a fait jouer plusieurs vaudevilles qui ont eu du succès, et a publié pour ses amis deux volumes de poésies fugitives pleines de facilité, de sentiment et d’esprit. Si Ravrio eut mieux connu ses heureuses dispositions, et qu’il eut eu plus de loisir, on peut croire qu’il aurait marqué parmi nos poëtes les plus aimables.

Comme sa vie, sa fin fut celle d’un homme de bien, et le tribut qu’il voulut en mourant payer à l’humanité[33], est devenu un bienfait général par l’application que le savant M. Darcet, qui a remporté le prix, a fait de l’heureux résultat de ses recherches à d’autres professions aussi dangereuses pour ceux qui les exercent, que l’était auparavant celle de bronzier-doreur.

VINCENT.



Les amateurs des beaux-arts ne verront point sans intérêt la modeste pierre sous laquelle repose un peintre habile, un de ceux à qui nous devons la conservation de la pureté et de la sévérité du style dans l’art du dessin, un des fondateurs de la nouvelle école française, et qui à ce titre a des droits aux hommages de la postérité et à la reconnaissance des contemporains.

Au-dessous de son Buste, sculpté en demi-relief, seul ornement dont la piété de sa famille et l’amour de ses élèves ont décoré son tombeau.

On lit :

ici repose
françois andré VINCENT,
peintre d’histoire,
membre de l’Institut,
de l’académie des beaux-arts de paris,
des villes de rouen, de dijon,
et de plusieurs autres académies
et sociétés savantes
en france et a l’étranger ;
membre de la légion d’honneur ;
décécédé a paris le 4 aout 1816,
a l’age de 76 ans.
monument érigé par sa famille.




Derrière le monument est gravé :

a françois andré VINCENT
ses élèves autorisés par sa famille,
et a jamais reconnaissants
des utiles conseils,
des savantes leçons,
de l’affection tendre
de leur ami,
de leur maitre,
de leur père,
ont fait exécuter son image sur ce monument.



Vincent est né à Paris en 1746. Il cultiva de bonne heure la peinture, et devint un des élèves les plus distingués de l’école du célèbre Vien, avec lequel il partagea la gloire d’avoir affranchi l’art du mauvais gout qui s’y était introduit au commencement du dernier siècle, et de l’avoir ramené à des principes plus purs. Vincent, à l’âge de vingt ans, remporta le prix de peinture par son tableau de Germanicus. L’auteur fut porté en triomphe par ses camarades ; et sa gloire ne fit point d’envieux. Il partit pour Rome où il se livra à l’étude des ouvrages des grands maitres, et particulièrement de ceux de Michel-Ange dont il était admirateur passionné. Concurrent de David, sorti de la même école, il balança long-temps ses succès, et si la réputation du premier eut dans la suite moins d’éclat que celle du second, on doit l’attribuer à des circonstances particulières indépendantes du talent, aux événements du temps qui favorisèrent l’un, tandis que l’autre, persécuté pendant les troubles révolutionnaires, en butte aux plus odieuses dénonciations, n’échappa au sort qui le menaçait que par les soins de ses amis. Vincent avait été reçu à l’Académie royale de Peinture en 1782, et fut membre de l’Institut lors de sa création. On vante son esprit, le charme de sa conversation, sa connaissance profonde des poëtes et de l’histoire. Et il joignit à l’art du peintre le talent de bien écrire.

Ses principaux tableaux sont : Germanicus haranguant ses troupes, l’Enlèvement d’Orythie, la Piscine miraculeuse, Zeuxis choisissant un modèle parmi les filles de Crotone, Arie et Fetus, Henri IV et Sully, la Clémence d’Auguste, etc. Il a fourni aussi d’excellents articles au nouveau Dictionnaire des Beaux-Arts.

Vincent est mort à Paris d’une maladie de langueur, à l’âge de 70 ans.

DARNAUD.



Une simple pierre, déjà noircie par le temps, et qu’une herbe épaisse et quelques ronces dérobent presqu’entièrement aux regards, indique à peine où furent déposés les restes d’un écrivain estimable qui eut quelque célébrité, et dont le cœur sensible et la plume mélancolique peignit d’une manière si touchante les peines du sentiment et les malheurs de l’amour.

Sur cette pierre, on lit cette inscription à moitié effacée :


CI GIT
M. FRANÇOIS THOMAS
BACULAR DARNAUD,
AUTEUR DU COMTE
DE COMMINGES, ET DES
ÉPREUVES DU SENTIMENT ;
NE LE 15 SEPTEMBRE 1718,
MORT LE 9 NOVEMBRE 1804.




LA PLUSPART DES GENS DE LETTRES
ÉCRIVENT AVEC LEUR TÊTE ET LEURS
MAINS, MAIS M. DARNAUD
ÉCRIT AVEC SON CŒUR.
J.J. ROUSSEAU.




Darnaud né à Paris, d’une famille noble, mais peu riche, fut instruit chez les Jésuites. A neuf ans il faisait assez bien des vers, et composa dans sa jeunesse plusieurs petites pièces de théâtre et trois tragédies[34] qui n’ont point été représentées, mais qui lui valurent l’amitié de Voltaire dont il reçut plusieurs services. Quelques poésies fugitives, et surtout lÉpitre à Manon, le firent connaitre au roi de Prusse qui l’appela à Berlin, d’où, peu de temps après, il passa à Dresde en qualité de conseiller de légation ; enfin, revenu à Paris, il se livra à la composition de ses ouvrages dont le pathétique fit répandre tant de larmes, et où les passions sont peintes avec des couleurs si sombres. Les Épreuves du sentiment, les Délassements de l’homme sensible, les Époux malheureux, furent lus avec avidité, et préparèrent les cœurs de nos sensibles lectrices à ces émotions fortes qu’excite le genre terrible des romanciers anglais si recherchés aujourd’hui. Tout le monde connait son Comte de Comminges, drame qui dut quelque succès à l’horrible nouveauté du spectacle.

Darnaud, trop insouciant pour penser à l’avenir, et trop peu économe pour amasser, est mort pauvre et malheureux, lorsque ses talents auraient pu lui

procurer un sort agréable, à l’âge de 86 ans.

Mademoiselle RAUCOURT.



Sur un simple piédestal en pierre, sans aucuns ornements, mais surmonté d’un buste en marbre dont l’exécution fait honneur à l’artiste[35], et qui nous rappelle parfaitement les traits de cette actrice célèbre à qui le Théâtre Française doit une partie de ses beaux jours, et qui, par sa beauté, son esprit, ses talents, mérita des hommages universels, on lit cette laconique épitaphe :

marie antoinette joseph
RAUCOURT
15 janvier 1815.


Un parterre soigneusement cultivé, émaillé des fleurs les plus rares et environne d’une grille légère, entoure ce modeste monument que l’amitié, sans doute, prend soin de décorer souvent de couronnes de roses et d’immortelles.




Mademoiselle Raucourt, actrice du Théâtre Français, débuta sur la scène en 1782. Ses succès furent brillants, et ses graces, son mérite réel et l’amabilité de son caractère, la firent rechercher par les personnages les plus distingués. Persécutée pendant la tourmente révolutionnaire à cause de ses opinions, elle perdit quelque temps sa liberté, qu’elle ne recouvra qu’en 1794. Elle s’occupa alors de rétablir le Théâtre Français, et parvint à former de ses débris une troupe assez bonne avec laquelle elle joua jusqu’en 1797. Mais bientôt le Directoire fit fermer la salle considérée alors comme le rendez-vous du parti royaliste. Un temps plus heureux venait de la rendre aux vœux de ses nombreux admirateurs, lorsqu’elle sortit de France et passa à Naples qu’elle n’a quitté qu’à la fin du règne du roi Murat. De retour à Paris, elle y est morte en 1815 ; et, sans la prudente intervention de l’autorité, on eut vu se renouveler à ses funérailles les scènes pénibles qui troublèrent plus d’un siècle auparavant celles de Molière.

Mademoiselle Raucourt est auteur d’un drame intitulé Henriette, qui a eu

quelque succès.

SERRURIER.



Parmi les mausolées élevés dans le cimetière de Mont-Louis sur les cendres de tant d’illustres généraux français long-temps épargnés dans les combats, et que la mort a réunis depuis un petit nombre d’années dans cet asyle du repos, brille au premier rang celui du comte Serrurier, guerrier aussi intrépide dans l’action que ferme dans les conseils ; un de ceux qui commandèrent souvent nos phalanges victorieuses dans les guerres d’Italie, et qui, pendant plus de soixante ans consacres au service de sa patrie, sut constamment conquérir l’admiration de ses frères d’armes et l’estime de ses ennemis.

Sur une table de marbre blanc est écrit :


ICI REPOSE
LE COMTE JEAN MATHIEU
PHILIBERT SERRURIER,
MARÉCHAL ET PAIR DE FRANCE,
GRAND CROIX DE L’ORDRE ROYAL
ET MILITAIRE DE SAINT-LOUIS
ET DE LA LÉGION-D’HONNEUR,
GRAND CROIX DE L’ORDRE
DE LA COURONNE DE FER,
NÉ A LAON
LE 8 DÉCEMBRE 1742,
MORT A PARIS
LE 21 DÉCEMBRE 1819.


Ce monument, d’une exécution soignée, a été construit sur les dessins de M. Jacot, architecte, et les sculptures sont de M. Germain.




Le général Serrurier se distingua de bonne heure dans les premières guerres de la révolution et eut un avancement rapide. Nommé général en Italie, il s’illustra au passage du Tagliamento, au blocus de Mantoue, à Saint-Michel, à Mondovi, s’empara de Vérone en 1797. Nommé, à l’affaire de Gradisca, inspecteur-général de l’infanterie française, il commanda une division de l’armée de Scherer, et se tira en homme habile du mauvais pas où il se trouvait près de Peschiera. Mais, moins heureux à Verdorio, en 1799, division fut obligée de mettre bas les armes après une résistance opiniâtre. Fait prisonnier par les Austro-Russes, il reçut de Suwarow l’accueil le plus distingué, rentra en France sur parole, se trouvait à Paris au retour de Bonaparte de l’expédition d’Égypte, et fut un de ceux qui favorisèrent la révolution du 18 brumaire.

Depuis, successivement membre du Sénat-Conservateur, gouverneur des Invalides, maréchal de France, commandant-général de la garde nationale de Paris, il mérita dans ces divers emplois l’estime générale. Enfin, après les événements de 1814, il avait été nommé par le Roi, pair de France et commandeur

de l’ordre de Saint-Louis.

BROGNIART.



Ce monument simple, mais de bon goût, principalement orné d’un médaillon où l’on voit, en demi-relief, la façade du nouveau palais de la Bourse, indique assez qu’il est élevé à la mémoire de l’homme de génie qui conçut le plan de ce bel édifice que le commerce et les arts réclamaient depuis long-temps dans la capitale ; à l’architecte habile et laborieux à qui la ville de Paris doit une partie de ses plus beaux hôtels ainsi que d’utiles embellissements, et qui traça enfin d’une manière si pittoresque la distribution du cimetière de Mont-Louis où trop tôt, hélas ! il devait reposer lui-même. Une figure de femme dans l’attitude de la douleur, une lampe sépulcrale, un sablier, une guirlande de cyprès et d’immortelles attachés à des flambeaux, sont les ornements symboliques qui décorent les autres parties de son tombeau, perpétuellement entouré de fleurs soigneusement cultivées, et sur lequel on trouve souvent une couronne nouvellement déposée par l’amitié.

Sur la pierre horizontale qui couvre la tombe on lit :

ce monument
renferme
les restes matériels
d’alexandre théodore BROGNIART,
architecte,
né a paris en 1738, mort le 6 juin 1813.
sa veuve, ses enfants et ses amis
conservent et transmettront
le souvenir de ses qualités aimables.
les travaux et les artistes
perpétueront
la mémoire de ses talents.




Alexandre Brogniart, fils d’un pharmacien, était destiné par son père à apprendre la médecine ; mais, entraîné par un goût inné pour les beaux-arts, il se livra exclusivement à l’architecture. Il fut élève du célèbre Boulée, et ses premiers travaux lui assignèrent dans son art le rang distingue qu’il y occupa. Un des premiers, il apprit à répandre moins de monotonie dans nos jardins, et à les rendre plus pittoresques en s’éloignant moins des effets de la simple nature. Habile dans l’art des décors et des ornements, il a puissamment contribué à épurer le style dans le dessin des meubles, les décorations intérieures et les peintures sur porcelaine ; la manufacture de Sèvres et beaucoup de fabriques particulières lui doivent, en ce genre, plus de perfection dans leurs produits.

Ses principaux travaux en architecture sont, l’hôtel ou le petit palais du duc d’Orléans, l’hôtel Montesson, Frascati, l’hôtel de la princesse Monaco, l’hôtel de Sainte-Foix, les bains souterrains de l’hôtel de Bensenval, l’église des Capucines, l’hôtel du prince de Condé, les archives de Saint-Lazare, le théâtre Louvois, plusieurs maisons de campagne fort remarquables dans les environs de Paris, beaucoup d’améliorations et d’embellissements utiles à l’Hôtel des Invalides et à l’École Militaire, des distributions nouvelles dans les plantations qui entourent ces édifices. Le parc de Maupertuis, dit l’Élysée, est encore son ouvrage ; et, comme nous l’avons déjà dit, l’ingénieuse métamorphose de l’antique apanage du révérend père Lachaise est un magnifique champ de repos, ou, sous des ombrages frais, dans des bosquets varies de mille manières, l’empire de la mort a perdu son hideux aspect, où l’amitié peut enfin, sans répugnance, épancher sa douleur et rendre aux morts un culte plus touchant. Enfin, le nouveau palais de la Bourse et du Tribunal de Commerce a mis le sceau à la réputation d’Alexandre Brogniart ; il en posa la première pierre, le 24 mars 1808. Il ne put

y travailler que pendant cinq ans, et n’a pu jouir de son plus bel ouvrage.

CHÉNIER (Joseph).



Ce cippe modeste en marbre blanc, ce tombeau sans ornements, sans épitaphe, pompeuse, place sur le simple gazon, et comme au hasard, au milieu de tant de mausolées fastueux, n’en révèle pas moins un nom que des talents littéraires, et plus encore, peut-être, les circonstances politiques, ont rendu célèbre ; et si ce peu de mots graves sur la pierre,

MARIE JOSEPH
DE CHÉNIER,
NÉ A CONSTANTINOPLE,
EN 1764,
MORT A PARIS EN 1811,

réveillent le souvenir des erreurs trop graves sans doute qui signalèrent la conduite politique d’un homme qui fut à la fois homme d’état, orateur, philosophe et poète, ils rappelleront aussi quelques services trop facilement oubliés.


Chénier, ancien député à la Convention nationale, membre de L’Institut, etc., était fils de Louis de Chénier, consul général de France à Constantinople. Amené en France dès l’âge le plus tendre, il embrassa la carrière militaire et devint officier de dragons. Bientôt, ayant renoncé au parti des armes, il se fixa dans la capitale et se livra à la littérature. Ses essais au théâtre ne furent pas heureux et sa première tragédie (Azémir), représentée à Fontainebleau, en 1786, n’eut aucun succès. Mais l’époque de la révolution française, dont il se montra zélé partisan, fut pour lui une source de triomphes ; et quelques pièces de circonstances, dont l’esprit de parti s’empara avec chaleur, le firent préconiser comme le premier poète tragique de la nation. Ce fut alors qu’appelé dans les affaires publiques, on le vit figurer avec ardeur dans les scènes les plus marquantes du drame révolutionnaire. Les bornes de cet ouvrage, le respect que nous devons au paisible asyle des tombeaux, ne nous permettent pas de signaler ici, en détail, la vie politique et les erreurs de Chénier. On peut consulter la-dessus l’histoire et les différents écrits biographiques. Mais, tout en déplorant des fautes trop réelles, on doit rendre justice aux talents éminents qui le distinguèrent comme littérateur.

Écrivant également bien en vers et en prose, il embrassa presque tous les genres et y réussit. Ses nombreux ouvrages se composent de plusieurs tragédies dont les principales sont Henri VIII, la Mort de Galas, Caius Gracchus, Fénélon, Timoléon et Cyrus. Quelques comédies, des odes, des hymnes patriotiques, des chants imités d’Ossian, des poésies satiriques, didactiques, héroïques, des élégies, des discours philosophiques, etc., etc. Enfin, nous rappellerons les droits qu’il a acquis à la reconnaissance publique par l’influence qu’il exerça et l’activité avec laquelle il parla et agit, dans toutes les assemblées législatives, en faveur des arts, des lettres, et de l’instruction publique.

Chénier figurait au nombre de ceux qui envoyaient des têtes à l’échafaud ; son frère, André Chénier, homme de lettres également distingué, mais d’une opinion différente, fut une des victimes. Chénier bientôt regardé et désigné par ses ennemis comme le meurtrier de son frère, fit, dans les vers suivants, une réponse touchante à cette calomnieuse accusation ; c’est lui-même qui parle :

Auprès d’André Chénier avant que de descendre,
J’élèverai la tombe… où manquera sa cendre,
Mais où vivront du moins, et son doux souvenir,
Et sa gloire, et ses vers dictés pour l’avenir.
Là, quand de thermidor la septième journée,
Sous les feux du cancer ramènera l’année,
O mon frère ! je veux, relisant tes écrits,
Chanter l’hymne funèbre à tes mânes proscrits.
Là, souvent tu verras, près de ton mausolée,
Tes frères gémissants, ta mère désolée,
Quelques amis des arts, un peu d’ombre, et des fleurs ;
Et ton jeune laurier grandira sous mes pleurs.

PARNY.



Du milieu d’un buisson de rosiers et d’arbustes fleuris, s’élève un petit obélisque en marbre noir surmonté d’une urne cinéraire. Sur une des faces, au-dessous d’une couronne d’étoiles d’or, on lit :


évariste
parny
mort le 5
décembre 1814
élevé par sa malheureuse
veuve,
ses parents, ses
amis les plus intimes


Le chevalier Évariste de Parny, membre de l’Institut et de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, naquit à Paris, d’une famille noble et distinguée. Nous croyons ne pouvoir mieux le faire connaitre qu’en transcrivant ici presque textuellement une partie des discours qui furent prononcés sur sa tombe.

Doué à la fois d’une ame sensible et d’une imagination ardente, il chercha d’abord la gloire dans la noble profession des armes, devint capitaine de cavalerie, et maniait tout à la fois la lyre et l’épée. Mais sa santé trop faible lui commanda bientôt la retraite. Il n’aspira dès-lors qu’à des succès plus paisibles et à des lauriers plus doux et se plaça bientôt sur le Parnasse français, à côté des écrivains du grand siècle. Ses poésies se distinguent par la grâce, l’harmonie et la délicatesse des pensées ; on reconnait dans ses élégies le langage expressif et vrai du sentiment, et c’est dans son cœur qu’il puisait la tendresse et la sensibilité qui respirent dans ses écrits.

Ami de ses rivaux et soutien de ses jeunes émules, il ignora les passions funestes qui corrompent les douceurs de l’étude, et chanta successivement l’amour, l’amitié et la reconnaissance. Frappé soudain d’un mal qui dévora lentement ses jours, la douleur le trouva impassible, et, jeune encore, il en supporta les plus cruelles atteintes sans s’émouvoir. Il souffrit avec la fermeté d’un stoïcien, et, après une longue agonie, il mourut avec le calme d’un sage.

Outre ses poésies érotiques, il a publié la Guerre des Dieux, le Portefeuille volé, et les Roses Croix, poëmes où il s’est montré l’émule de Voltaire, mais dont on a justement condamné l’immoralité[36].

Comme, dans l’antiquité, Virgile et Tibulle se suivirent de près au tombeau, de même, Delille et Parny, qui ont fait revivre parmi nous ces deux

poètes, furent presque en même temps ravis aux lettres et à l’amitié.

Comtesse DEMIDOFF.



Cette superbe sépulture, élevée à grands frais, dont les marbres apportés d’Italie sont l’ouvrage des meilleurs artistes, et destinée à perpétuer la mémoire d’une princesse étrangère aussi recommandable par son rang que par ses vertus, est, sous le rapport de l’art, un des monuments les plus importants et les plus remarquables du cimetière de Mont-Louis.

Dix colonnes d’ordre dorique avec entablement, élevées sur un stylobate, forment un élégant péristyle au milieu duquel est placé le cénotaphe surmonté d’un double écusson couronné où sont sculptées les armes de la famille. Ce monument, d’un style sévère, et exécuté sur de belles proportions, est tout entier du plus beau marbre de Carrare, et fait honneur aux talents de M. Jannez qui en a donné le plan, et de M. Chatillon qui en a dirigé la construction.

Sur la frise de l’entablement on lit :

ici reposent les cendres d’élisabeth de DEMIDOFF, née baronne de STROGONOFF,
décédée le VIII avril MDCCCXVIII, épouse de S. E. A. DEMIDOFF, conseiller
privé et chambellan actuel de S. M. l’empereur de Russie, commandeur
de l’ordre de saint-jean de jérusalem.




La Comtesse de Demidoff, de l’illustre famille des Strogonoff, sœur de l’ambassadeur actuel de Russie, à Constantinople, femme du comte Demidoff, chambellan de l’empereur Alexandre, conseiller intime et commandeur honoraire de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, etc., était citée comme un modèle de grâces et de bonté ; ses nombreux amis vantent les belles qualités de son cœur, l’amabilité de son caractère, et les malheureux n’ont point oublié ses bienfaits. Le comte son époux, homme distingué, amateur éclairé des arts, descend de l’ancienne famille des Demidoff qui découvrit dans la Sibérie des mines d’or, d’argent, de fer et de cuivre, et reçut du gouvernement, a titre de récompenses, et pour augmenter l’exploitation d’aussi utiles découvertes, des terres considérables, des forêts et des hommes. C’est aux Demidoff qu’on doit, outre d’immenses services, en différents genres, l’introduction des arts et des sciences dans la Sibérie. Le comte Demidoff, digne rejeton de cette noble race, fixé depuis quelques années à Paris, est encore un des plus riches et des plus puissants propriétaires de la Russie où il possède un grand nombre de forges et de mines précieuses.

On a remarqué que, suivant un usage ancien conservé en Russie, la

comtesse Demidoff a été déposée dans le cercueil revêtue d’habits magnifiques.

MORELLET.



Si ce monument est peu remarquable par sa structure, le nom qu’il rappelle est celui d’un homme illustre par une longue carrière consacrée à d’utiles et honorables travaux littéraires ; d’un homme dont la franchise et la probité doivent le faire citer pour exemple aux écrivains de toutes les époques et de tous les pays ; le doyen des membres de l’ancienne Académie française, le patriarche des lettres et l’ami des plus beaux génies du siècle dernier.

Sur une des faces du cippe est gravée cette courte inscription :

ci git
andré MORELLET,
né a laon, le 7 mars 1737,
mort a paris, le 12 janvier
1819



André Morellet, doyen de l’ancienne Acade=émie française, membre de la Légion-d’Honneur, de l’Institut, de la chambre des Députés, et presque reste seul des écrivains qui élevèrent l’Encyclopédie, fut un des hommes de lettres qui trouvèrent dans madame Geoffrin une protectrice éclairée. Il a publié une grande quantité d’ouvrages sur la politique, le commerce et la littérature ; sa vie a été longue, ses travaux considérables ; personne n’a connu mieux que lui l’emploi du temps et le besoin de l’étude. Le bien public fut toujours le but de ses écrits comme la passion de sa vie ; toutes ses actions, toutes ses pensées ont été pour son pays. On a dit de lui[37] : « Citoyen, il a recherché les vraies sources du bien public ; philosophe, il a envisagé la morale dans ses principes les plus élevés, dans ses applications les plus salutaires ; écrivain, sa plume fut toujours l’arme défensive de l’opprimé contre l’oppresseur ; homme privé enfin, il voulut toujours, pour tout ce qui l’environnait, le bonheur qu’il souhaitait pour lui-même. Il n’a étudié les hommes que pour les rendre plus heureux, leurs institutions, qu’afin de les perfectionner. »

Ce fut lui qui, après le 9 thermidor, provoqua le premier, dans un écrit intitulé le Cri des Familles, l’abolition de la loi injuste des confiscations, et demanda la restitution des biens des condamnés à leurs héritiers.

Outre plusieurs articles de métaphysique et de théologie insérés dans l’Encyclopédie, des dissertations grammaticales, des critiques littéraires, des traités sur les arts, etc., ses principaux ouvrages sont : le Manuel des Inquisiteurs, traduit de l’italien, des Délits et des Peines, traduit du marquis de Beccaria, livre qui eut sept éditions en un an ; Recherches sur le style, Mémoire sur la compagnie des Indes, et un grand nombre de traductions de romans anglais, genre de travail auquel il fut obligé de se livrer long-temps pour exister. Il conserva, dans l’âge le plus avancé, toutes ses facultés intellectuelles, et on le vit encore présider l’Académie française, en 1817, dans sa quatre-vingt-dixième

année.

QUINTIN CRAUFURD.



Ce monument, sous la forme d’une pyramide antique, et d’un aspect très-pittoresque, est consacré à la mémoire d’un homme que l’on peut regarder comme une sorte de phénomène dans son genre. Écossais d’origine, M. Craufurd, par une prédilection rare chez les étrangers, a consacré sa vie et ses travaux à l’étude de l’histoire, des mœurs, et particulièrement de la littérature française qu’il a même cultivé avec succès.

On lit, sur la porte de bronze qui ferme l’entrée du tombeau, l’inscription suivante, gravée au-dessous de ses armes :


QUINTIN CRAUFURD
GENTILHOMME ÉCOSSAIS
NÉ A KILWINNING,
LE 22 SEPTEMBRE 1749,
DÉCÉDÉ À PARIS,
LE 23 NOVEMBRE 1819.
ÉRIGÉ PAR SA VEUVE.




M. Quintin Craufurd fut possesseur d’une fortune immense qu’il a consacrée tout entière aux beaux-arts et aux lettres. Suivant son gout irrésistible pour notre belle France, il avait depuis long-temps fixé son domicile à Paris, et avait formé dans son hôtel une collection immense et très-curieuse des portraits des personnages les plus célèbres et les plus distingués de la France, peints par les plus habiles artistes.

Il connaissait à fond notre littérature sous le rapport grammatical et critique. Parmi les différents ouvrages qu’il a publiés, nous citerons, en français, Essai sur la Littérature Française, écrit pour l’usage d’une dame étrangère ; Essai sur Périclès et sur l’Influence des Beaux-Arts, etc. ; en anglais, Esquisses relatives à l’Histoire, la Religion, les Connaissances et les Mœurs des Indous ; Essais historiques sur Swift, et son influence dans le gouvernement de la Grande-Bretagne ; enfin, divers mélanges de littéerature et d’histoire, écrits dans ces deux langues. C’est lui qui communiqua au général Grimoard une suite de lettres de lord Bolingbroke à madame de Ferriol, que ce général a fait imprimer sous le titre de Lettres historiques et politiques de lord vicomte Bolingbroke à Madame de Ferriol.

M. Craufurd n’a fait imprimer ses ouvrages que pour en faire don à ses amis ou en employer le produit à des œuvres de bienfaisance.


Une cause indépendante de la volonté de l’auteur n’a pas permis de joindre à cette livraison les planches représentant les tombeaux du Maréchal Ney et de La Bédoyère.

Nous espérons qu’elles pourront être remises plus tard aux souscripteurs.

NEY.



Celui dont les brillants faits d’armes ont attaché le nom aux plus belles pages de nos annales militaires, qui fut le compagnon, l’émule, et l’ami de Kléber et de Moreau ; celui à qui l’armée décernait avec enthousiasme le titre d’Infatigable et de Brave des braves ; qui, tout entier à sa patrie, à la gloire, ne connut des troubles révolutionnaires que les dangers, et ne participa jamais à ces excès ; cet homme, au plus haut degré que l’ambition put lui faire désirer, comblé des faveurs royales, tout-à-coup forfait à des devoirs qu’il s’était lui-même imposés, à des serments qu’il avait pu ne pas faire, et, jouet infortuné des chances incertaines et des revirements politiques, subit, bientôt après, le supplice réservé aux traitres ! Déjà vingt-cinq années d’illustration et de services éminents sont presque oublies ; une heure de faiblesse en a terni l’éclat : et les cendres du héros gisent sans épitaphe, sans mausolée, dans un endroit presque ignoré du cimetière de Mont-Louis[38] !

Mais la vie militaire et politique, les erreurs et la mort du maréchal Ney, appartiennent à l’histoire. Les contemporains l’ont jugé, la postérité voudra le connaitre, et nous avons dû lui consacrer une page dans ce Recueil.

C’est non loin des pyramides en marbre, des sarcophages pompeux de ses anciens compagnons dont il partagea souvent les lauriers, que sont déposés, sous un humble gazon, sans aucun signe extérieur, les restes oubliés du maréchal Ney. Là, souvent le philosophe arrête ses pas : le hasard lui a révélé le secret de la tombe ! il observe en silence et médite péniblement sur les étranges et funestes effets des dissensions civiles…

Michel Ney, duc d’Elchingen, prince de la Moskowa, maréchal, pair de France, chevalier de Saint-Louis, et officier de la Légion-d’Honneur, naquit à Sarrelouis le 10 Janvier 1769, prit, jeune encore, le parti des armes, et déploya toujours dans les occasions les plus périlleuses et les plus importantes cette justesse de réflexion, cette prodigieuse activité, cette prudence qui devine et surmonte tous les obstacles. Le premier à l’attaque, le dernier dans les retraites, il se signala également par de rares talents et par une valeur intrépide, mais n’oublia jamais les droits de l’humanité et se montra toujours généreux avec les vaincus. Déjà cité avec avantage aux combats de Lahn, d’Altenkirchen, de Monthabor, de Pfartzheim, de Giessen, où commandait Kléber, il se distingua de nouveau sous les ordres de Masséna, et prit, en 1800, avec Moreau une part glorieuse aux victoires de Moeskirch et de Hohenlinden ; mérita en Souabe le titre de duc d’Elchingen, et bientôt la prise d'Inspruck, la capitulation surprenante de Magdebourg, les batailles d’Iéna, de Thorn, Friedland, Tilsitt, le placèrent au rang des plus illustres généraux français. Transporté tout-à-coup des bords du Niémen aux bords de l’Èbre et du Tage, il soutint long-temps une guerre difficile, et fit une retraite habile devant l’armée de Wellington. Enfin, sa conduite dans la dernière guerre de Russie n’est pas moins digne d’éloge ; il sauve plusieurs fois l’armée française, et y reçoit le titre de prince de la Moscowa. Napoléon disait de lui, qu’il avait

l’ame trempée d’acier. Mais de si brillantes destinées devaient avoir un terme. Napoléon succombe ; le maréchal Ney voit dès lors que pour éviter à la patrie les maux affreux d’une guerre civile, il ne restait plus aux Français qu’à embrasser entièrement la cause de ses anciens rois[39]. Il se rend auprès de l’Empereur pour lui exprimer le vœu de la nation[40], et contribue puissamment à son abdication. Quelle étrange versatilité, quelle funeste séduction lui fait trahir la cause qu’il avait librement embrassée et qu’il avait de nouveau juré de défendre !… Ney devint coupable[41] !… Les rapides résultats de la bataille de Waterloo[42] l’éclairent sur sa faute, mais il ne peut fuir ses juges ; arrêté et mis en jugement, il a été condamné par la chambre des Pairs, et fusillé le 7 septembre 1815. Ney est mort avec courage en criant Vive la patrie, vive la nation française !

DE LA BEDOYÈRE.



Le comte De La Bédoyère, jeune militaire aussi distingué par sa valeur que par ses talents, plein d’espérances et de gloire, mais non moins coupable que le maréchal Ney, a payé aussi de sa tête le crime de haute trahison… Les mêmes événements, les mêmes illusions, des souvenirs récents et trop chers, les ont entraînés tous deux. Leur sort a été commun, et une double célébrité réunit leur histoire dans ce Recueil.

Mais tandis que des circonstances particulières et les excès d’un zèle indiscret ont forcé à enlever à la tombe du maréchal Ney tout ce qui pouvait retracer sa mémoire, celle du comte De La Bédoyère conserve encore le modeste monument de tendresse et de douleur élevé d’abord, et cimenté chaque jour par les larmes amères d’une veuve sans consolations et d’un orphelin privé du plus précieux héritage de son père, celui d’une réputation sans tache.

C’est dans un endroit écarté, sous le feuillage épais d’antiques acacias, que l’on découvre avec peine ce monument d’un aspect mélancolique, sous la forme d’un cippe carré en marbre blanc, surmonté de l’urne cinéraire et entouré d’une barrière grossière. Un bas-relief délicatement sculpté attire les regards. Il représente une femme à demi voilée, dans l’attitude de la plus profonde affliction ; elle embrasse un enfant qui semble se réfugier dans ses bras : vis-à-vis d’elle, une urne funèbre ; une épée, un bouclier, une couronne de laurier, caractérisent la cause de ses regrets. Au-dessous est écrit :

mon amour pour mon fils
a pu seul
me retenir a la vie.

Sur la face opposée on lit :

ici repose
charles-angélique-françois
huchet,
comte de la bédoyère,
né le 17 avril 1786.
enlevé
a tout ce qui lui était cher,
le 19 aout 1815.

Charles-Angélique-François-Huchet, comte De La Bédoyère, naquit à Paris, d’une famille distinguée. Il embrassa de bonne heure la carrière des armes, s’y distingua par un grand courage et des talents militaires, et fit plusieurs campagnes avec honneur. Colonel d’infanterie à l’arrivée des alliés en France, il adhéra à la chute de l’Empereur, et embrassa volontairement la cause des Bourbons. Mais, en 1815, envoyé pour s’opposer au retour de Napoléon, il fut le premier qui passa avec son corps du côté de celui qu’il avait promis de combattre, et décida peut-être ainsi de la destinée de toute la nation. Créé pendant les Cent Jours Pair de France, maréchal et aide de camp, il accompagna l’Empereur à Fleurus et à Waterloo. Obligé de fuir, il fut arrêté chez une des amies de sa femme et mis en jugement le 4 août 1815. Il a montré dans tout le cours de la procédure une résignation, un sang-froid, une fermeté d’ame et une présence d’esprit que rien n’a pu altérer. Il est mort en

guerrier français.

MME DUGAZON.



Ce cippe, d’une forme très-simple, surmonté seulement de l’urne funéraire, et autour duquel croissent et s’entrelacent des lauriers et des roses, est un monument d’amour filial à la mémoire d’une artiste aimable, dont le mérite justement apprécié fit long-temps les beaux jours de l’ancienne comédie italienne.

Rien cependant, sur ce tombeau, ne rappelle le souvenir ni de ses talents, ni de ses succès, et on n’y lit, pour toute épitaphe, que cette inscription touchante :


ICI REPOSE
MA MEILLEURE AMIE,
C’ÉTAIT MA MÈRE.
LOUISE
DUGAZON.
1821.




Madame Dugazon était femme de J. B. Dugazon, l’un des acteurs les plus distingués du Théâtre-Français, où il succéda à Préville, dans l’emploi des valets, en 1772[43]. Elle n’eut pas moins de célébrité que son mari au théâtre de l’ancienne comédie italienne où elle jouait les rôles d’amoureuses avec tant de succès qu’elle a donné son nom à plusieurs rôles de son emploi. C’est dans celui de Nina qu’elle excellait, et il n’appartenait qu’à mademoiselle Bigottini de s’y montrer sublime après elle.

BOSQUILLON.



Un homme de bien, un médecin aussi recommandable par son désintéressement et ses vertus privées que par ses connaissances étendues, repose dans ce sarcophage d’un style sévère, imité des monuments égyptiens, et qu’abrite le feuillage d’arbustes verts auxquels s’entrelacent le chèvrefeuille et le jasmin.

A l’une des extrémités, sur une table de marbre, on lit cette épitaphe latine :

hic jacet
vir omnibus desiderandes
Eduardus Franciscus Maria BOSQUILLON, eques,
lector regius, nec non litterarum in collegio regio professor,
facultatis medice Edimburgi socius
qui dum vivebat ægros restituit, egenis opitulatus est,
fuit artis medicæ tironum patronus.
amicus carus ! unica conjugis dilectissimæ cura !
obiit anno reparatæ salutis mdcccxiv.
die vigesima prima novembris, ætatis vero suæ 70.
requiescat in pace.
hoc monumentum amoris pignus erigi curavit dilectissima conjux
Maria NAUDIN.
eodem in sepulchro jubente deo olim recondenda.




Édouard François Bosquillon, régent de la faculté de médecine, professeur royal de langue et de philosophie grecque au collège de France, naquit à Mont-Didier, le 20 mars 1741 : son père prit soin de sa première éducation et lui donna les connaissances préliminaires des langues anciennes. A l’âge de onze ans, placé à Paris dans un collège des jésuites, il y fit de brillantes études et se voua, par prédilection, à la profession de médecin ; à peine reçu maitre ès-arts à l’université, il s’élança dans la carrière qu’il brûlait de parcourir, et obtint, en 1769, le titre de docteur ; étudia avec ardeur la médecine de l’antiquité, donna au public de bonnes traductions des Aphorismes et des Prognostics d’Hippocrate et de plusieurs ouvrages de Cullen, et fut nommé professeur de philosophie grecque au collège royal. Bosquillon pratiqua la médecine avec un zèle et un dévouement qui font honneur à sa philantropie. Les fatigues et les veilles altérèrent sa santé, mais il ne voulait prendre aucun repos. Les malades, disait-il, ont besoin de moi ; je ne puis les faire attendre. On le vit souvent fréquenter le réduit du pauvre ; et la surtout, sa main bienfaisante joignait sans cesse des marques de libéralité aux consolations et aux secours

de son art. Il est mort universellement regretté le 22 novembre 1814.

HÜE.



Ce nom, qui rappelle d’illustres malheurs, des souvenirs si touchants et si douloureux, et qu’on ne peut lire tracé sur la pierre sépulcrale sans un vif intérêt, est celui du plus zélé et du plus fidèle des serviteurs de l’infortuné Louis XVI : homme dont rien n’ébranla la constance ; que les tourments, les cachots et l’exil ne purent arracher aux pénibles devoirs qu’il s’était imposés ; que des vertus enfin d’autant plus recommandables, qu’aucun motif d’intérêt particulier ne peut en ternir l’éclat, ont immortalisé.

Si son mausolée[44], d’une structure simple, mais dans le goût antique, attire moins les regards que le monument fastueux de l’orgueil ou de l’opulence, la postérité n’en conservera pas moins religieusement le souvenir du baron Hüe ; sa mémoire, honorée des plus éclatants témoignages de la reconnaissance royale[45], sera toujours chère à ceux qui sauront apprécier la fidélité, le dévouement et le noble courage dont il donna tant de preuves pour l’auguste famille au service de laquelle il s’était dévoué.

Sur une des faces du monument, on lit :


à françois hüe
honoré des derniers souvenirs
de louis xvi.
la veuve et le fils
ont élevé ce monument
faible témoignage
de leur douleur.
décédé le xix,
inhumé le xxi,
jours expiatoires
de janvier
mdcccxix.

La même épitaphe est répétée en latin sur la face opposée.



François Hüe naquit à Fontainebleau, en 1757, d’une famille depuis longtemps distinguée dans la magistrature. Nommé en 1787 huissier de la chambre du roi, et, en 1791, premier valet de chambre du dauphin, les malheurs de la cour et les dangers qui environnaient les princes redoublèrent son zèle, sans lui faire considérer ce qu’il pouvait avoir à craindre pour lui-même. Et dès lors sa vie ne fut qu’une suite de chagrins, de tourments et de positions périlleuses, dont les détails présentent des singularités pleines d’intérêt. Dans la funeste journée du 20 juin, sa présence d’esprit venait de sauver la personne de la reine et celle du jeune prince, lorsque lui-même, le 10 août suivant, resté seul au château, il n’échappa à la mort qu’en se précipitant d’une fenêtre dans le jardin ; d’où ayant gagné, au milieu d’un feu de mousqueterie, les bords de la rivière, il se sauva à la nage. Il fut le seul qui resta d’abord attaché au service du roi dans la tour du temple : mais, quoiqu’il partageât la prison de l’auguste captif, il ne fut pas plus tranquille ; et bientôt transporté dans les cachots de l’hôtel de ville, il n’y vécut qu’en recevant par une trappe un peu de pain de la femme du concierge. Rendu quelque temps à la liberté, son premier soin est de redemander avec instance à reprendre son service et ses chaînes auprès du roi. N’ayant pu l’obtenir, son zèle ne se ralentit point, et il sut encore se rendre utile au prince, en lui procurant du dehors des renseignements précieux sur divers objets de sa sollicitude. Après la mort du roi, il continua de correspondre avec la famille captive : mais arrêté de nouveau et détenu successivement à la Force, à l’abbaye de Port Royal avec Malesherbes, enfin à la maison d’arrêt du Luxembourg, il ne dut son salut qu’à la chute de Robespierre ; sorti de prison encore une fois, il se hâta de fuir une terre si cruellement ensanglantée, et suivit Madame Royale à la cour de Vienne.

Dans l’exil, toujours attaché au service des princes, chargé de missions importantes, exposé par son zèle à des dangers multipliés, M. Hüe doit être regardé comme le modèle des amis, des serviteurs, et des sujets fidèles.

Le directoire avait décrété que M. Hüe ne serait point réputé émigré, mais, par des raisons secrètes, le gouvernement de Napoléon le comprit toujours au nombre de ceux qui furent maintenus sur cette liste de proscription.

Cependant quelques jours de consolation étaient encore réservés à M. Hüe : le peuple français, sage cette fois dans son étonnante versatilité, restitue le trône à ses anciens rois, et le vertueux serviteur revient dans sa patrie avec les objets de ses plus chères affections ; dans son allégresse il s’écrie : Tous mes vœux sont donc exaucés, j’ai vu le roi rétabli sur le trône de ses pères, et ma cendre ne reposera point en terre étrangère. Mais il devait jouir peu de temps de son bonheur, et, par un rapprochement singulier, il descendit dans la tombe le 21 janvier 1819.

Il est auteur d’un ouvrage intitulé : Dernières années du règne et de la vie de Louis XVI, publié à Londres et réimprimé en France en 1814 et en 1816, et qui a eu le plus grand succès.

M. Hüe a laissé un fils unique, militaire distingué, digne héritier de ses

vertus et de sa fidélité, et qui le remplace aujourd’hui auprès du Roi.

SUARD.



Un cippe en marbre blanc, une urne cinéraire, une épitaphe modeste, tel est le tombeau de M. Suard, membre distingué et secrétaire perpétuel de l’Académie française ; écrivain érudit, philosophe profond et sans pédanterie, moraliste affable et gracieux, qui vécut dans l’intimité des personnages les plus recommandables du siècle dernier, exerça une grande influence sur l’esprit, et même sur les événements de ce siècle, moins, peut-être, par ses écrits, que par ses relations avec les classes les plus élevées de la société et la haute considération dont il jouissait.

Sur le cippe est gravé :

jean baptiste antoine
SUARD,
secrétaire perpétuel
de l’académie française,
officier de l’ordre royal
de la légion d’honneur,
chevalier
de l’ordre de saint michel,
décédé a paris
le 20 juillet 1819,
agé de 85 ans.
il attend son amie.




M. Suard naquit à Besançon en 1732 : son père, secrétaire de l’université, lui donna une éducation soignée : ses études furent brillantes ; quoiqu’il fut supérieur à ses camarades, et qu’il remportât presque tous les premiers prix, l’aménité de son caractère, et les excellentes qualités de son cœur, lui concilièrent toujours l’estime et l’amitié même de ses rivaux.

Après avoir passé treize mois au fort Sainte-Marguerite, poursuivi par la vengeance d’un ministre dont le neveu avait été tué en duel par un jeune homme qui n’était point l’agresseur et dont il était l’ami et avait été le témoin, il vint à Paris, jeune encore, sans fortune, et presque sans recommandation ; il travailla, pour subsister, à la traduction d’une feuille hebdomadaire anglaise qui eut la plus grande vogue, se livra avec ardeur à l’étude et à la littérature, et remporta le premier prix de prose propose par une académie de province pour un éloge de Montesquieu. C’est de ce moment que commencent à dater ses relations avec les hommes célèbres qui se partageaient alors l’empire des lettres, et ses brillants succès dans les salons les plus renommés de la capitale. Nous n’entreprendrons point ici de rapporter les particularités remarquables de la vie de M. Suard, son histoire est presque tout entière celle du siècle où il a vécu et dépasserait les bornes dans lesquelles nous sommes forces de nous restreindre : cette tâche d’ailleurs a été remplie avec autant de talent que d’impartialité dans l’ouvrage publie sur ce sujet par M. Garat. Il nous suffira, pour faire connaitre cet homme extraordinaire, d’emprunter ici une partie des propres expressions de ses plus éloquents panégyristes. Tous s’accordent à vanter « la modération de son caractère, l’ingénieuse délicatesse de son esprit, l’exquise politesse de ses manières, la justesse de ses idées, la facile correction de son style, et cette finesse de gout qui lui faisait unir sans efforts, dans ses écrits, les plus ingénieuses combinaisons de la pensée aux plus savants artifices de la parole[46]. M. Suard, dit M. Garat, a vécu dans toutes les conditions de la société : il a vu dans le cours de sa longue vie les générations paraître et disparaître autour de lui ; toutes ont reçu des exemples propres à tous les états et à tous les âges, et son existence est liée à ce qui s’est fait de grand et de mémorable dans le dix-huitième siècle ».

Ses principaux ouvrages sont : Histoire de Charles Quint, traduite de l’anglais de Robertson ; Mélanges de littérature, Notice sur les écrits et la vie de Labruyère, Notice sur les écrits et la vie de Larochefoucauld etc.

GINGUENÉ.



Ce monument, dont les inscriptions attestent d’honorables sentiments, est celui d’un homme également recommandable, comme diplomate, homme d’état et littérateur.

Sur la face principale est écrit :


P. L. GINGUENÉ,
DE L’INSTITUT DE FRANCE,
NÉ A RENNES
EN AVRIL 1748,
DÉCÉDÉ A PARIS
LE 16 NOVEMBRE 1816.
CELUI DONT LA CENDRE EST ICI
NE SUT, DANS LE COURS DE SA VIE,
QU’AIMER SES AMIS, SA PATRIE,
LES ARTS, L’ÉTUDE ET SA NANCY.


Sur la face opposée, on lit :

C’EST TON PUPILLE, MON AMI,
C’EST TON FILS,
C’EST TON CHER JAMES
QUI GRAVE SON NOM
SUR TA TOMBE.
NOUS TE PLEURONS,
DORS EN PAIX.




Pierre Louis Ginguené, membre de l’Institut, chevalier de l’ordre de la Réunion, est né à Rennes en 1748 ; il vint fort jeune à Paris, et fut d’abord précepteur dans une maison particulière. Il se lia avec Champfort, partagea ses principes politiques et concourut à la rédaction de feuille villageoise. Il se fit néanmoins peu remarquer jusqu’au 9 thermidor, devint alors membre adjoint au comité d’instruction publique, établi par le ministre de l’intérieur, et fut bientôt chargé seul de cette partie, et admis au nombre des membres de l’Institut. Depuis nommé ministre de France près les villes anséatiques, il refusa cette place et passa à l’ambassade de Sardaigne, eut quelques différents avec la cour de Turin relativement à l’application de l’amnistie aux insurgés piémontais, conclut cependant, au mois de juin 1798, l’arrangement qui mit la citadelle de Turin au pouvoir de la France, et fut remplacé peu de temps après par d’Eymar. Ginguené resta sans emploi jusqu’au 18 brumaire qui lui ouvrit la carrière du tribunat, ou il débuta par un discours contre le projet relatif au mode de correspondance entre les premières autorités. L’année suivante, il combattit avec force celui portant création de tribunaux spéciaux, et fut compris dans le premier cinquième des tribuns éliminés en 1802.

Depuis, sans emploi public, il s’est livré à la littérature et a publié plusieurs ouvrages qui font honneur à son talent.

Il est continuateur des Tableaux de la révolution publiés par Champfort.

(Extrait de la Biographie moderne.)

Mme  BLANCHARD.



La forme allégorique de ce monument, inintelligible pour ceux qui n’auraient point entendu parler de madame Blanchard, est destinée à rappeler le souvenir de la rare intrépidité de cette célèbre aéronaute qui, la première, osa donner le spectacle magnifique des ascensions nocturnes au milieu des flammes et des feux d’artifice, et qui, victime d’un événement inoui, trouva la mort dans une des fêtes les plus brillantes du jardin de Tivoli.

Un jet de flammes s’élevant de la partie supérieure d’un aérostat qui couronne le sommet du monument, une nacelle dont les cordages sont rompus, et Inscription suivante, caractérisent l'art que professait madame Blanchard, et sa funeste catastrophe.

a la mémoire
de Mage Sophie Armand,
veuve BLANCHARD,
célèbre aéronaute
victime de son art
et de son intrépidité.
elle fut enlevée
a ses amis
le 6 juillet 1819,
dans sa 43e année.




Madame Blanchard, veuve du célèbre aéronaute de ce nom, était née le 25 mars 1777 dans la commune des Trois-Canons près de la Rochelle ; ses parents s’appelaient Armand, et professaient le culte protestant. Sa mère était près d’accoucher, lorsque le hasard amena devant la maison qu’elle habitait un voyageur inconnu qui lia conversation avec elle, et finit par lui dire : Madame, faites une fille, et elle sera ma femme. Ce voyageur était l'aéronaute Blanchard, qui épousa effectivement mademoiselle Armand presqu’au sortir de l'enfance. Madame Blanchard, familiarisée ainsi de bonne heure avec son art, avait contracté une telle habitude du danger, qu’elle a assuré s’être plusieurs fois endormie pendant la nuit dans sa frêle et étroite nacelle, en attendant que le retour de la lumière lui permit de descendre dans un lieu sûr. Un jour, sur le point d’effectuer une ascension à Francfort-sur-le-Mein, elle s’aperçut que le ballon perdait sensiblement de son gaz, et que, pour peu qu’elle tardât, elle ne pourrait plus s’élever ; aussitôt elle fit détacher la nacelle pour alléger le poids, posa ses pieds sur le cerceau auquel le filet est attaché et s’élança ainsi dans les airs portée debout, sur un faible roseau qu’elle sentait fléchir à chaque minute. On pourrait citer une foule de traits semblables qui prouvent son étonnante intrépidité.

Une colonne monumentale élevée en 1786 auprès de la ville de Guines, constate que son mari avait eu la gloire de franchir le détroit en passant, dans un aérostat, de la côte d’Angleterre sur celle de France. Madame Blanchard, à son imitation, nourrissait le projet plus périlleux peut-être de couronner sa carrière aérostatique en passant de la côte de France sur celle d’Angleterre.

Fixée à Paris depuis plusieurs années, elle avait imaginé la première de suspendre au-dessous de son ballon des pièces d’artifice qu’elle faisait jouer à une certaine hauteur, et qui produisaient dans une ascension nocturne un spectacle aussi magnifique que difficile à décrire ; cette admirable mais trop dangereuse invention causa sa perte, le 6 juillet 1819, à 10 heures du soir, dans une des fêtes du jardin de Tivoli, au milieu d’une réunion aussi nombreuse que brillante. Madame Blanchard, portée par un aérostat élégant, s’élève avec majesté en répandant des fleurs sur l’assemblée ; et bientôt, planant dans les airs au milieu des flammes du Bengale et des tourbillons de feu, elle figure aux yeux des spectateurs émerveillés une divinité portée sur les nuages et montant aux cieux environnée de la foudre et des éclairs : mais à peine l’artifice avait fait son effet, qu’on aperçut à plusieurs reprises une flamme voltigeant autour du ballon et qui bientôt s’y introduisit par l’orifice inférieur ; un cri d’effroi s’élève de toutes parts, au même instant un énorme globe de feu couleur de sang et une légère détonation ne laissent plus de doute sur l’épouvantable accident dont madame Blanchard est victime. Précipité du haut des airs, elle est rapportée sans vie, peu d’instants après, au lieu même de son funeste triomphe. Elle était dans sa 43e année et venait d’effectuer sa 67e ascension.

Madame Blanchard était née avec l’amour des arts et une finesse de goût qui lui concilièrent l’attachement d’une foule d’artistes distingués qui se plaisaient à recueillir ses observations toujours judicieuses. Elle n’était pas moins recommandable par les qualités de son cœur, et l’on cite un grand nombre de traits qui font honneur à sa délicatesse et à sa sensibilité.

KELLERMANN.



Dans ce double sarcophage, adossé à une petite colline, au bord d’un chemin plante d’arbres, sont déposés les restes du maréchal Kellermann, duc de Valmy, et de la duchesse de Valmy, son épouse. Il est peu de noms auxquels se rattachent de plus glorieux souvenirs, et qui soient illustrés par autant de qualités brillantes et de services éminents.

Sur la première partie du monument, à gauche, on remarque le buste du maréchal sculpté en marbre blanc, et cette inscription en lettres d’or, sur un fond de marbre noir :

LE MARÉCHAL DE KELLERMANN
DUC DE VALMY, PAIR DE FRANCE,
né à strasbourg, le xxviii mai mdccxxxv, mort a paris, le xiii septembre mdcccxx


A gauche, au-dessus d’une urne cinéraire en marbre blanc, qui surmonte le deuxième sarcophage, est gravé de même sur un fond de marbre noir :


ici repose en paix
marie BARBE épouse de françois-christophe DE KELLERMANN, DUC DE VALMY,
maréchal de l’empire, sénateur, membre du grand-conseil et grand-aigle de la
légion-d’honneur, grand-croix de l’ordre royal de wurtemberg,
grand-croix de l’ordre de la fidélité, de bade,
décédé le x janvier mdcccxii.
tendre épouse, mère excellente, amie dévouée, sa bonté, son esprit,
son caractère égal, noble, et ses vertus aimables, répandirent le
bonheur sur tout ce qui l’entourait, elle y laisse un deuil et des regrets éternels.




Le maréchal Kellermann naquit, à Strasbourg, d’une famille distinguée dans la magistrature, prit, de bonne heure, le parti des armes, fit la guerre de sept ans, et se distingua dans toutes les affaires où il se trouva. Envoyé en Pologne pendant les années 1765, 1766 et 1771, il prit une part glorieuse à la guerre de l’indépendance, et s’associa aux valeureux efforts des Valesky, des Branirsky et de tous les généraux chers à ce pays. Revenu en France après le premier partage, il devint rapidement lieutenant-colonel, colonel, maréchal de camp, lieutenant-général, et déploya dans toutes les circonstances un dévouement ardent pour son pays et une grande habileté dans les camps. En 1792, ses sages dispositions sur la Sarre lui méritèrent la confiance entière de Louis XVI, le cordon rouge et la commission de général en chef. Bientôt ses succès sur le duc de Brunswick, entre en France à la tête d’une armée formidable, et la célèbre victoire de Valmy qui préserva la France d’une invasion imminente, mirent le sceau à sa réputation.

En 1793, il commanda en chef l’armée des Alpes et de l’Italie, prit part malgré lui au siège de Lyon ; mais, rappelé presque aussitôt aux frontières par l’irruption des armées piémontaises, il put cueillir de nouveaux lauriers qui ne furent point teints du sang français. Accusé de trahison et incarcéré pendant treize mois à l’abbaye par ordre du comité de salut public, il ne recouvra sa liberté qu’après le 9 thermidor, voulut être jugé, et fut acquitté au milieu des applaudissements unanimes ; rendu à ses fonctions, et oubliant l’injure qu’il avait reçue, il se signala de nouveau dans les Alpes, sur la rivière de Gènes, sut toujours tenir l’ennemi éloigné des frontières, et, sacrifiant ses intérêts particuliers à ceux de la patrie, seconda franchement les opérations du général Bonaparte, qui, parvenu tout-à-coup au commandement en chef de l’armée d’Italie, ne laissait plus que l’armée des Alpes sous ses ordres. Bonaparte sut apprécier cette conduite et s’en montra toujours reconnaissant.

Successivement président du sénat, membre du grand conseil de la légion d’honneur, maréchal de France, honoré du titre de duc Valmy en mémoire de cette victoire importante, Kellermann prit encore une part glorieuse aux opérations des armées françaises sur le Rhin, aux Pyrénées, sur la Meuse, etc. Servir son pays était un besoin pour lui, et l’âge ne put ralentir son zèle et son activité. Nommé, depuis la restauration, au gouvernement de la 5e division militaire, il a terminé, à l’âge de 85 ans, une vie toute remplie d’actions honorables.

La médiocrité de sa fortune atteste son désintéressement dans l’exercice des hautes fonctions qui lui furent confiées. Aussi recommandable par les qualités de son cœur que par ses talents militaires, ses compagnons d’armes ont pu dire avec quel soin, quelle prévoyance, il s’occupait de leurs besoins, et les peuples, soit français, soit étrangers, avec quelle touchante humanité il s’appliquait à adoucir pour eux les malheurs inévitables de la guerre.

BELLANGER.



A peu de distance du tombeau de l’architecte Brogniart, et sous le même berceau de verdure, repose Bellanger, non moins habile dans l’art de bâtir et également célèbre par le mérite de ses constructions et par le nombre immense de ses travaux.

Sur une pierre élevée en forme de borne antique, décorée de son buste, sculpte par Rognier, est gravé en lettres d’or :

amant passionné de son art
il en surprit tous les secrets ;
unissant le talent au génie,
il se montra
supérieur à kent
dans les jardins
de mereville,
digne émule de MICHEL-ANGE
dans la coupole
de la halle aux bleds.

Sur le revers,

aussi prompt a exécuter
que hardi a concevoir,
il créa en 63 jours
bagatelle et ses jardins ;
il releva en 13 jours
la statue de henri iv
pour la fête du 3 mai
1814.

Sur une pierre horizontale, au-dessus de la tombe :

ici
repose
françois
joseph
BELLANGER,
architecte
du ROI
et
de s. a. r.
monsieur ;
chevalier
de la légion
d’honneur ;
le 19 avril
1744,
décédé
le 1er mai
1818.

François-Joseph Bellanger, architecte de S. A. R. Monsieur, des bâtiments civils du ministère de l’intérieur, membre du jury près l’école royale d’Architecture, dessinateur du cabinet du roi, architecte des Menus Plaisirs et chevalier de la légion d’honneur, est né à Paris, le 14 avril 1745, y étudia l’architecture et fit de rapides progrès, fruits d’un génie ardent et de la passion des arts. Il visita, jeune encore, l’Angleterre, y étudia l’industrie, l’art d’embellir dans les jardins la nature, sans la défigurer, et rapporta de ce pays des observations dont il a su faire d’heureuses applications aux travaux qu’il a dirigés. Le nombre de ses travaux est immense, et eût suffi pour occuper la vie de dix architectes ; outre un grand nombre d’hôtels et de maisons particulières dans lesquelles il substitua, le premier, un genre de décorations intérieures légères et gracieuses aux lourds ornements du siècle précédent, il a élevé une partie du château neuf de Saint-Germain en Laye, construit en 63 jours le délicieux casin de Bagatelle dans le bois de Boulogne, les écuries d’Artois dans le faubourg du Roule à Paris, les pompes à feu du Gros-Caillou et de Chaillot, a distribué et orné de fabriques d’un excellent goût, une grande quantité de parcs et de jardins de plaisance, tels que celui de Beaumarchais à Paris, de la Battue à Pantin, de Ville d’Avray, de Santenay, de Saint James près Neuilly, de Mereville (département de Seine-et-Oise) ; enfin, a mis le sceau à sa réputation, en construisant, sur la Halle aux bleds à Paris, cette magnifique coupole en fer coulé de 120 pieds de diamètre, machine immense élevée au milieu des embarras et des contraries, et dont la légèreté, la solidité, la belle exécution et le succès complet, prouvent par quelles savantes combinaisons cet habile architecte en a su composer et diriger les assemblages.

M. Bellanger, choisi pour diriger la fête du 3 mai 1814, donnée à l’occasion de l’entrée du Roi dans la capitale, reproduisit en 13 jours une nouvelle statue équestre de Henri IV sur le Pont-Neuf. Il dirigea encore les fêtes du manage de S. A. R. le duc de Berry, et la cérémonie funèbre de la translation des cendres de Louis XVI et de Marie Antoinette dans les caveaux de l’église de Saint-Denis.

M. Bellanger a publié un grand nombre de projets de monuments qui lui ont été demandé par les ministères de France et des puissances étrangères, ainsi que plusieurs mémoires intéressants sur l’architecture et sur les principaux ouvrages qu’il a fait exécuter. Il est mort, le 1er mai 1818, à l’âge de 70 ans.

DE SAINT-MORYS.



Ce mausolée, qui a quelque ressemblance avec les retables d’autel que le mauvais goût des artistes du dix-septième siècle multiplia dans nos anciennes églises, est principalement orné de fragments de bas reliefs anciens représentant des trophées militaires, ajustés dans les panneaux du soubassement, et de plusieurs inscriptions dont le choix bizarre donne au monument un caractère de singularité remarquable.

Sur deux tables parallèles de marbre noir, fixées à la partie principale, est gravé en lettres d’or :

ici repose
When e’en last, the solmen hour shall come,
celui dont la vie fut dévoué a son roi ;
And wing my mistic flight to future worlds
l’époux, le père le plus tendre ;
I cheerful will obey, there, with new powers
celui dont l’ame pure et noble
Will rising Wonders sing :
ne pouvait comprendre le vice ;
I cannot go where universal love smiles {not arround
celui enfin, qui, victime de la méchanceté des hommes,
m’aimait encore la vie que pour leur faire du bien ;
charles-étienne-bourgevins vialart,
lorsqu’enfin arrivera l’meurs suprême
comte de saint-morts, maréchal du camp,
ou dieu ordonnera mon vol mystique
lieutenant des gardes-du-corps du roi,
vers les demeurs éternelles
chevalier de saint-louis,
j’obéirai avec joie ; la, dans mon nouvel essor.
officier de l’ordre royal de la légion-d’honneur,
je chanterai les merveilles ravissantes
mort a l’age de 45 ans, le 21 juillet 1817.
qui apparaitront devant moi.
Ces vers furent choisis par lui-même, long temps
avant sa mort, pour être gravés sur son tombeau


Au-dessous de ces deux tables dans un petit panneau :

séchez vos larmes, calmez votre douleur,
car j’ai trouvé dans la tombe une nouvelle vie
de gloire et de félicité.
jesu fili david miserere mei


Enfin, dans la partie supérieure, au-dessus de l’entablement, on lit :

diligis omnia quæ sunt…
parcis omnibus
quoniam tua sunt domine
qui amas animas.

La mémoire de M. le comte de Saint-Morys, mort victime d’un préjugé que la philosophie et la religion condamnent, eût peut-être été mieux honorée par moins de faste et plus de candeur.



M. de Saint-Morys, né à l’Ile de France d’une famille noble et opulente,

reçut une éducation digne de son rang et de sa fortune. A l’époque de la révolution française, il embrassa vivement la cause royale, s’enrôla à 17 ans dans la légion de Mirabeau, devint aide de camp du maréchal de Broglie, et servit sous les ordres du prince de Condé. Après la dissolution des armées royales, il se livra à l’étude, et consacra ses loisirs aux sciences et aux arts, voyagea dans le nord de l’Europe, le crayon et la plume à la main, décrivant les beautés de la nature et recueillant les productions des artistes.

Il publia à Londres, conjointement avec M. Bellanger, peintre français, un voyage pittoresque en Angleterre ; en 1801, un voyage en Scandinavie depuis le détroit du Sund jusqu’à Torneo sur le golfe de Dothnie et au cap du nord. Rentré en France sous le règne de Napoléon, il continua ses occupations et consacra une partie des débris de son ancienne fortune à recueillir quelques monuments anciens échappés à la hache des révolutionnaires et à faire dessiner exactement ceux qu’il ne pouvait avoir ainsi que les édifices curieux menacés d’un autre genre de dévastation non moins déplorable[47], et dont il se proposait de publier des recueils. L’agriculture et l’histoire naturelle furent aussi l’objet de ses études, et les cultivateurs du département de l’Oise lui doivent des préceptes et des exemples utiles. Enfin il est auteur d’un aperçu sur la politique de l’Europe public en 1815 et d’un écrit en faveur de l’abolition de la traite des nègres.

En 1814 il se prononça vivement pour la défense de la légitimité, fut nommé, par le Roi, lieutenant des gardes du corps, suivit S. M. à Gand, revint avec la cour après la deuxième abdication de Napoléon, et donna des marques non équivoques de son dévouement. Mais, au milieu de l’effervescence des esprits, si ordinaire après les revirements politiques, la vivacité de ses sentiments et la chaleur avec laquelle il manifestait ses opinions, lui suscitèrent une affaire d’honneur dans laquelle il a succombé, et qui a attaché à son nom une sorte de célébrité par les circonstances qui l’ont accompagnée et les poursuites

judiciaires que sa famille a cru devoir diriger contre son adversaire[48].

MENTELLE.



Une sphère sculptée sur un cippe en pierre, surmontée d’une urne antique pour tout ornement, indique le genre de science dont s’occupait celui a qui est érigé ce tombeau.

Personne en effet n’a plus contribué que Mentelle à propager de son temps les études géographiques et à donner à cette science un nouveau degré d’intérêt, comme un nouveau but d’utilité, en la combinant avec l’histoire.

Au-dessous de la sphère est écrit :

EDME MENTELLE
membre de l’institut
décédé
le 29 décembre 1815
a l’age de 80 ans.
ΟΥ ΓΑΡ ΛΟΚΕΙΝ ΑΡΙΣΤΟΣ
ΔΔΔ' EINAI ΘEΔEI.




Mentelle, né à Paris, le 11 octobre 1730, fit ses études au collège de Beauvais, fut d’abord employé dans les fermes, et passa une partie de sa jeunesse à faire des vers et des pièces de théâtre[49]. Mais bientôt il se livra à l’étude plus sérieuse de la géographie réunie à l’histoire, sciences pour lesquelles il avait un gout particulier. Nommé successivement professeur à l’ancienne école militaire, aux écoles centrales, à l’école normale, ses cours eurent une grande réputation. Il fut admis au nombre des membres de l’Institut lors de la formation de ce corps savant auquel il fit adopter l’usage de faire inhumer à ses frais et avec pompe ceux de ses membres qui meurent sans fortune. Ses principaux ouvrages sont : Manuel géographique, Éléments de l’histoire romaine, Géographie abrégée de la Grèce, Anecdotes orientales, Traité de la sphère, la Géographie comparée, la Cosmographie élémentaire, Considérations nouvelles sur l’instruction publique, Précis de l’histoire universelle pendant les dix premiers siècles de l’ère vulgaire, Précis de l’histoire de France, Dictionnaire de la géographie ancienne[50]. On lui doit l’invention d’un globe ingénieux destiné à représenter à la fois les divisions naturelles et politiques de la terre, et dont Louis XVI ordonna l’exécution. Mentelle, après avoir professé près de 50 ans, fut admis à la retraite et fut reçu membre de la légion d’honneur en 1814. Mais l’âge ne l’empêcha point de se livrer à ses occupations favorites. Il conserva, jusqu’à son dernier jour, une grande sérénité de caractère et une grande liberté d’esprit. On rapporte qu’opéré de la pierre à l’âge de 75 ans, il eut assez de courage pour exprimer, immédiatement après l’opération, sa

reconnaissance à son médecin dans un quatrain impromptu.

SOPHIE GAIL.



Joli monument en marbre blanc, ombrage de liladiers et de rosiers, et sur lequel on lit, pour toute épitaphe,

sophie gail.

nom que beaucoup d’esprit et d’amabilité et des compositions musicales pleines de charmes et de graces ont rendu célèbre.




Sophie Gail, née à Paris, épouse de M. Gail, savant helléniste et littérateur estimé, ne s’occupa d’abord de la musique que comme un délassement, et faisait des romances dont les motifs parurent très-heureux. Encouragée par des succès de société elle se livra à des études plus sérieuses, et composa la musique de plusieurs opéras qui lui assurèrent un rang distingué sur notre scène lyrique par le cachet original et la vérité d’expression qui caractérisent ses compositions. Les deux jaloux, joués à Feydeau en 1813 ; Mademoiselle de Launay, pièce qu’on ne joue plus depuis la retraite de Gavaudan ; Angéla, la Méprise, etc., des romances et des nocturnes qui eurent un succès de vogue, l’ont placée au nombre de nos meilleurs artistes.

Les vers suivants nous ont paru exprimer heureusement l’opinion qu’on doit avoir des talents de madame Gail et les regrets inspirés par sa perte.

Pleurez, muses de l’harmonie !
Nous n’entendrons plus vos accents ;
Elle n’est plus, cette Sophie
Dont nos voix répétaient les chants.

Hélas ! sa lyre enchanteresse,
Dont les accords étaient si doux,
Ne nous peindra plus la tendresse
Et les transports de deux Jaloux.

Amant, sa douce mélodie
Ne viendra plus à ton secours,
Pour redire avec ton amie
Le doux serment d’aimer toujours.

Et vous dont sa lyre facile
Embellissait les tendres vers,

Cessez un travail inutile ;
Nous n’entendrons plus ses concerts.


Le poète a brisé sa lyre,
L’amour a brisé son carquois,
L’amitié tristement soupire,
Et le rossignol est sans voix.

(Par Charles-Frédéric).

PÉRIGNON.



Ce monument en forme de borne antique, de marbre blanc, élevé à la mémoire du maréchal Pérignon, est orné, sur la face principale, d’un magnifique trophée militaire sculpté en relief avec beaucoup d’art. Ses armes également sculptées en relief décorent la face opposée, et sur les côtés on lit inscrits dans des couronnes de laurier les noms des lieux qui furent témoins de ses principaux faits d’armes.

MAS DE SERRE.
FIGUIÈRES.
MONTESQUIOU.
ROSES.
ESCALA.
PASTOURANA.

Aucune autre inscription ne retrace les dignités ni même le nom du général.




Pérignon, maréchal, pair de France, sénateur, comte, grand-cordon de la légion d’honneur, commandeur de l’ordre royal de Saint-Louis, était né à Toulouse, et habitait, en 1793, la petite ville de Montech, où il exerçait les fonctions de juge de paix lorsqu’il fut nommé député de la Haute-Garonne à la première législature. Il prit ensuite le parti des armes, parcourut rapidement les premiers grades, et commanda en chef l’armée des Pyrénées orientales en 1794 et 1795, remporta plusieurs victoires sur les Espagnols, et, lorsque la paix fut conclue avec la Péninsule, il se rendit à Madrid en qualité d’ambassadeur avec une suite nombreuse, reçut un accueil distingué du roi d’Espagne, qui lui fit présent d’un bel équipage et de plusieurs chevaux de selle, et il signa, avec ce prince, au nom de la France, un traité d’alliance offensif et défensif. Employé ensuite à l’armée d’Italie, il commandait, en 1799, l’aile gauche de l’armée française à la célèbre bataille de Novi, où il fut blessé et fait prisonnier en faisant des efforts héroïques pour couvrir la retraite de l’armée. Depuis, sénateur en 1801, maréchal en 1806, gouverneur de Parme et de Plaisance, il commandait la place de Naples en 1813.

Accueilli favorablement par le Roi, après les événements de 1814, il fut successivement nommé chevalier de Saint-Louis, commissaire extraordinaire dans la Ire division militaire, et pair de France ; demeura fidèle à la cause royale en 1815, et remplaça, en 1816, le général Maison dans le gouvernement de Paris.

Le maréchal Pérignon fut tout-à-la-fois habile guerrier, bon diplomate,

excellent administrateur, et homme de bien.

VALENCIENNES.



Sous une simple pierre tumulaire environnée d’une barrière grossière, git un artiste habile qui fut le chef de l’école actuelle du paysage historique, et que ses ouvrages ont placé au rang des meilleurs peintres français en ce genre.

Sur la tombe est tracé ce peu de mots :


a
pierre-henri valenciennes,
peintre,
né a toulouse, le 6 décembre 1750,
décédé a paris, le 16 février 1819.




Forcé d’abord par ses parents d’étudier la musique, Valenciennes renonça bientôt à un art pour lequel la nature ne l’avait point formé ; et entraîné par son goût pour la peinture, il apprit à manier le pinceau sous Doyen. Mais le beau ciel de l’Italie, les sites pittoresques de cette terre classique ornée des débris de l’antiquité et des chefs-d’œuvre modernes, développèrent en lui le genre de talent dans lequel il devait exceller. Il revint dans sa patrie riche de souvenirs et d’études, et le premier des paysagistes de l’école franchise moderne. La beauté et la sévérité de ses compositions, l’excellent goût avec lequel il traitait les fabriques et les accessoires, surtout les plantes qu’il étudiait avec beaucoup de soin, une savante entente des lignes, un heureux choix de sujets, caractérisent les productions de Valenciennes. Ses principaux tableaux sont : Œdipe trouvé par un berger, suspendu à un arbre ; Cicéron découvrant à Syracuse le tombeau d’Archimède, Œdipe nu temple des Euménides, etc.

Cet habile peintre a formé un recueil estimé, de ses observations sur son art, qu’il a publié sous le titre de Principes de l’art du paysagiste.

Étranger aux intrigues et aux coteries, Valenciennes n’a point été membre de l’Institut, ni d’aucune académie, quoique la culture de son esprit, la perfection

de son talent, et l’opinion publique, lui en aient assuré le titre.

LE NOIR DUFRÊNE.



Ce tombeau, d’une forme élégante, est tout en marbre blanc, et décoré de petits bas-reliefs sculptes en creux, représentant les attributs du commerce. On ne peut lire sans le plus vif intérêt les inscriptions suivantes gravées sur les différentes faces.


CI GIT
JEAN-DENIS-GUILLAUME-JOSEPH
LE NOIR DUFRÊNE,
NÉGOCIANT MANUFACTURER,
NÉ A ALENÇON, LE 24 JUIN 1768.


HONNEUR ET RESPECT
AUX CENDRES
D’UN CITOYEN VERTUEUX.


PLUS DE CINQ MILLE OUVRIERS
QU’ALIMENTA SON GÉNIE, QU’ENCOURAGEA SON EXEMPLE,
SONT VENUS PLEURER SUR CETTE TOMBE
UN PÈRE ET UN AMI.


PUISSENT SES MANES JOUIR PAISIBLEMENT
ET DU BIEN QU’IL A FAIT, ET DES REGRETS HONORABLES
QUE L’INDUSTRIE ET LE COMMERCE FRANÇAIS
DONNENT A SA MÉMOIRE.


Le Noir Dufrêne, né à Alençon, est un des négociants à qui l’industrie française doit de rapides progrès. Il parvint un des premiers à égaler, dans les produits de ses fabriques, la beauté et la finesse des tissus de coton de l’Angleterre. Le peu de mots gravés sur son monument est son plus bel éloge, et nous paraît suffisant pour recommander son nom à la postérité, en faisant connaitre toute l’étendue de sa philanthropie, de son activité, et des services qu’il a

rendus à son pays.

Mlle CONTAT.



Sous une tombe de gazon émaillée des fleurs les plus brillantes et ombragée de rosiers, sont déposés, sans épitaphe et sans monument, les restes d’une femme qui brilla long-temps au premier rang sur la scène française, et ne fut pas moins recommandable par de vrais talents que par son esprit, son amabilité, et toutes les graces de son sexe.




Mademoiselle Contat, moins connue sous le nom de madame de Parny, était née à Paris en 1760. Élève de madame Préville, elle débuta, à l’âge de 16 ans, à la comédie franchise, par le rôle d’Atalide de la tragédie de Bajazet. Mais ses dispositions naturelles la rendaient plus propre à la comédie, et elle y réussit beaucoup mieux : elle jouait avec succès les grandes coquettes, lorsque tout-à-coup elle parut dans le rôle de Suzanne du Mariage de Figaro, et avec tant d’avantage, que Préville, surpris et enchanté, lui dit dans la coulisse : Voilà la première infidélité qu’on me fait faire à mademoiselle Dangeville, célèbre alors dans l’emploi des soubrettes. De ce moment sa réputation fut au plus haut degré, et elle fit les délices de la capitale. Les rôles de la Coquette corrigée, d’Elmire du Tartuffe, de Célimène du Misanthrope, de madame Évrard du Vieux Célibataire, de madame de Nozan de la Mère jalouse, etc., qu’elle jouait avec une égale perfection, prouvent toute l’étendue et la flexibilité de son talent. Quoiqu’elle eut pu briller encore long-temps sur la scène, elle se retira à l’age de cinquante ans. Le trait suivant fera connaitre la délicatesse de son esprit et la noblesse de ses sentiments.

En 1789 la reine lui fit dire qu’elle désirait la voir dans le rôle de la Gouvernante, qui n’était point son emploi. Quoiqu’elle n’eut que 24 heures pour apprendre plus de 500 vers et saisir l’esprit de son rôle, mademoiselle Contat fit ce qui paraissait impossible, et écrivit en réponse à celui qui lui avait transmis le désir de la reine : « J’ignorais ou £tait le siège de ma mémoire, je sais à présent qu’il est dans mon cœur »[51].

Mademoiselle Contat (ou madame de Parny) est morte d’un cancer en 1816. On assure que, quelque temps avant sa mort, elle avait livré aux flammes un recueil assez considérable de poésies échappées à sa plume, parce qu’elles

contenaient des satires personnelles.
Chapelle construite sur l'emplacement de l'ancienne maison du R. P. la Chaise. 1823

TABLE

des personnages dont les tombeaux et les notices sont contenues
dans ce volume.


    même tombeau qui a été transféré au cimetière de Mont-Louis depuis la suppression de ce musée en 1817.
    On assure qu’une souscription fut ouverte pour lui élever un plus riche mausolée, mais quelle n’a point été remplie… !

  1. Sam. 31, vers. 12.
  2. Homère, Iliade, 24.
  3. Sophocle, Antigone, acte 2.
  4. Gen., ch. 23, v. 17.
  5. Gen., ch. 49, v. 30.
  6. Gen., ch. 35, v. 30.
  7. Chron. Chr. 16, v. 13 et 14.
  8. Fondateur de l’empire assyrien.
  9. Homère, Iliade, 23.
  10. La demeure enchantée de l’illustre confesseur à subi de grands changements ; une nouvelle distribution locale était indispensable. M. Brongniart, architecte, dont les talents sont connus, et que la parque a ravi trop tôt à son art et à son pays, fut chargé de ces nouvelles dispositions, et s’en acquitta en homme habile, il sut conserver ou créer tout ce qui pouvait donner à ce lieu funèbre un caractère convenable, et chaque jour encore on y exécute de nouveaux embellissements. L’ancienne maison, d’une structure peu remarquable en elle même, mais que l’on aurait pu conserver comme monument historique, vient d’être démolie, et sera remplacée par une chapelle sépulcrale qui s’élève en ce moment sur les dessins de M. Jode.
  11. Ce musée n’existe plus ; la plupart des objets qui y avaient été réunis, et qui, presque tous, avaient été enlevés aux églises ou aux édifices publics au commencement de la révolution, ont été rendus à leur ancienne destination, ou transférés au musée du Louvre ; ce lieu est maintenant destiné à l’École royale des Beaux-Arts.
  12. Abélard mourut en 1142, au prieuré de Saint-Marcel de Châlons-sur-Saône : son ami Pierre de Cluni fit déposer son corps dans un tombeau qu’il lui érigea dans la chapelle de l’infirmerie, et d’où, peu de temps après, il le fit enlever furtivement pour l’envoyer au Paraclet, où était Héloïse, qui plaça ce précieux dépôt dans une chapelle qu’Abélard avait bâtie, et qu’on appelait le petit Moustier. Héloïse mourut en 1163, et, selon son désir, le même cercueil réunit sa dépouille mortelle à celle de son époux. En 1497, on transféra leur tombeau dans la grande église du monastère ; leurs corps furent séparés et placés dans deux tombes différentes. Enfin, madame Roye de la Rochefoucault voulut élever un monument plus riche à la gloire de ces illustres modèles d’amour et de constance, il ne fut terminé qu’après sa mort en 1779, et, comme tant d’autres, fut détruit pendant la tourmente révolutionnaire.

    Mais M. Lenoir, fondateur et administrateur du musée des monuments français, aujourd’hui conservateur des monuments de l’abbaye royale de Saint-Denis, et qui s’est acquis tant de titres à la reconnaissance publique et à celle de tous les amis des arts par le zèle infatigable avec lequel il est parvenu à soustraire à la destruction générale les monuments les plus précieux de notre ancienne France, a su créer avec des fragments que l’on peut appeler historiques, réunis avec le plus grand art, ce nouveau mausolée, qu’il a dédié la mémoire d’Héloïse et d’Abélard.

  13. Ce tombeau a été conservé par les soins de M. Roisset, médecin à Châlons-sur-Saône, qui l’avait acheté pour le soustraire à la destruction, et qui en fit hommage au Musée des Monuments Français.
  14. Le Paraclet. Cette inscription et la suivante se lisaient sur le tombeau élevé en 1779, par madame de la Rochefoucault.
  15. Ce groupe de la trinité, qu’Abélard avait fait sculpter, faisait le principal ornement du tombeau d’où cette inscription est tirée.
  16. Dans une épitre à sa femme, qui précède le poëme de l’imagination, et qui est un chef-d’œuvre de sentiment et de saine philosophie, Delille décrit ainsi le lieu qu’il veut que l’on consacre à sa sépulture :

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    Écoute donc, avant de me fermer les yeux,
    Ma dernière prière et mes derniers adieux ;
    Je te l’ai dit : au bout de cette courte vie,
    Ma plus chère espérance et ma plus douce envie,
    C’est de dormir au bord d’un clair ruisseau,
    A. l’ombre d’un vieux chêne, ou d’un jeune arbrisseau :
    Que ce lieu ne soit pas une profane enceinte :
    Que la religion y répande l’eau sainte ;
    Et que de notre foi le signe glorieux,
    Ou s’immola pour nous le rédempteur du monde,
    M’assure, en sommeillant dans cette nuit profonde,
    De mon réveil victorieux.
    Là, quand le ciel voudra que je succombe,
    Dans le repos des champs place mon humble tombe.

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    Toi, viens me voir dans mon asyle sombre :
    Là, parmi les rameaux balances mollement,
    La douce illusion te montrera mon ombre,
    Assise sur mon monument ;
    Là, quelquefois plaintive et désolée,
    Pour me charmer encor dans mon triste séjour,
    Tu viendras visiter au déclin d’un beau jour
    Mon poétique mausolée.

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    Et si jamais tu te reposes
    Dans ce séjour de paix, de tendresse et de deuil,
    Des pleurs versés sur mon cercueil
    Chaque goutte en tombant fera naître des roses.

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    Tu n’y pourras graver ces titres solennels…
  17. Les deux plus grands capitaines de ce temps.
  18. Montmorency, premier baron, fut conétable sous Louis-le-Jeune et mourut en 1160 ; cette famille, une des plus illustres de France, tire son nom de celui de la petite ville de Montmorency (département de Seine-et-Oise, ancienne île de France) ; c’est la première terre du royaume qui ait porte le titre de baronie, ce qui, dans ce temps, n’était accordé qu’aux princes.
  19. Le comte, entraîné dans sa voiture par des chevaux fougueux que rien ne put arrêter, chercha à s’élancer au dehors ; mais, retenu par un pan de son habit, il se fracassa la tête contre les roues, et survécut peu d’heures à cet événement.
  20. Un de ses amis, qui venait d’être proscrit, avait besoin de cinquante louis pour sortir de France, et dérober sa tête aux échafauds révolutionnaires ; madame Cottin rassemble les feuilles éparses qu’elle vient d’écrire, les vend à un libraire, et en remet le prix à son malheureux ami. Ce fut ainsi que le premier pas de madame Cottin dans la carrière des lettres fut marqué par une bonne action et un bon ouvrage.
  21. Discours prononcé sur sa tombe, par M. Quatremère de Quincy.
  22. Molière ne fut pas seulement auteur, mais encore le premier comédien de son siècle. Ce motif arma contre lui toute la sévérité des lois religieuses, qui ne permit pas de lui rendre à sa mort les honneurs funèbres. On n’accorda qu’avec peine un peu de terre pour recouvrir sa dépouille mortelle ; et la France dut s’écrier sans doute avec la veuve en pleurs : Quoi ! l’on refuse un tombeau à celui à qui la Grèce eût dressé des autels…! Ce fut à cette occasion que le père Bouhours, jésuite célèbre et ami de Molière, composa les vers suivants :

    Tu réformas et la ville et la cour ;
    Mais quelle en fut la récompense !
    Les Français rougiront un jour
    De leur peu de reconnaissance.
    Il leur fallait un comédien
    Qui mit à les polir sa gloire et son étude ;
    Mais, Molière, à la gloire il ne manquerait rien,
    Si, parmi leurs défauts que tu peignis si bien,
    Tu les avais repris de leur ingratitude.

    Mais il était réservé à notre siècle de réparer cet outrage : l’administration de la ville de Paris ordonna la recherche des cendres de ce grand homme, trop long-temps ignorées ; et on lui éleva, dans le jardin élysée du musée des monuments français, ce

  23. On doit consulter sur l’époque et le lieu de la naissance de Molière une dissertation curieuse publiée en 1821 par M. L. F. Bessara.
  24. Son père était pharmacien du duc d’Orléans.
  25. Voir le Moniteur du 29 septembre 1813.
  26. C’est par le naturel, la saillie et l’à-propos, que Grétry a su donner à ses chants, par la vérité étonnante d’expression, et le caractère propre qu’il avait l’art de donner à ses personnages, que ce grand compositeur tient le premier rang. Ses succès ont toujours été constants ; et Méhul l’appela le Molière de l’opéra comique. Il était si pénétré de son sujet lorsqu’il composait, qu’il lui est souvent arrivé de s’attendrir lui-même, et de répandre des larmes en exécutant sur son clavecin. On a reproché à Grétry de n’être pas un profond harmoniste : à la vérité, tout son génie semble être dans sa mélodie ; et on désirerait de trouver dans son orchestre, des motifs mieux développés, l’usage du contre-point, et des accompagnements plus riches : peut-être écrivait-il la musique avec trop de facilité, et ses chants lui coutaient trop peu. Mais, qui ne lui pardonnerait pas quelques défauts quand on a entendu l’ouverture et les airs de son admirable chef-d’œuvre Richard-Cœur-de-Lion ? qui ne reconnaitrait une originalité, piquante et vraiment comique, un cachet inimitable enfin, dans les opéras de L’Amant jaloux, Le Silvain, La Fausse Magic, Zémire et Azor, etc., etc. ? On a dit que Grétry composait par instinct, comme Sedaine écrivait la comédie ; il ne recherchait que la seule expression du vrai, et à soutenir ses caractères sans s’embarrasser du reste, répondant à ceux qui lui reprochaient ses fautes d’harmonie : Il y a des fautes ! c’est bon ; j’ai voulu les faire. Il n’y a rien à répliquer à l’homme de génie ; il faut écouter, admirer et se taire.
    (Note de M. de Jolimont le jeune.)
  27. Méhul arriva à Paris lorsque Gluck s’occupait de taire représenter son dernier chef-d’œuvre (Iphigénie en Tauride). Notre jeune artiste, dévoré du desir de l’entendre, et ne pouvant se procurer un billet d’entrée pour la représentation, dont le prix eût excédé ses facultés, imagina de pénétrer dans la salle la veille et de se blottir dans une loge, espérant se trouver ainsi tout placé pour le lendemain. Mais un inspecteur de la salle passe, et Méhul est découvert. Gluck se trouvait alors sur le théâtre : il apprit de la bouche même du jeune étranger l’excusable motif de sa supercherie, et fut sensible à une marque si évidente de son goût pour l’art ; il l’accueillit avec bonté, lui donna un billet, et l’engagea à venir souvent le voir.
  28. Ce fut à l’occasion de cette pièce que Grétry appliqua à Méhul ce vert d’Horace, que Diderot lui avait auparavant appliqué à lui-même :
    Irritat, mulcel, falsis terroribus implet.
  29. Où il imita la musique italienne de manière à tromper les plus habiles connaisseurs.
  30. La noblesse jointe à la simplicité, l’énergie à l’élégance, caractérisent la musique de Méhul. Elle n’a point l’air d’être le fruit de l’étude et d’un travail pénible ; elle semble être toute d’inspiration ; on n’y rencontre rien d’imparfait et point de négligence. Nul n’a fait an usage plus heureux des instruments ; il savait les faire chanter tous ; on pourrait même dire jusqu’aux tymbales qui produisent un effet particulier dans l’entracte de Joseph. Les symphonies qui précèdent ses opéras sont admirables, et il ne faut que citer l’ouverture des Aveugles de Tolède, et celle du Jeune Henri. Ses accompagnements sont riches en effets, et ne font que ressortir davantage ses belles mélodies. La musique de Joseph, qui a remporté le grand prix décennal, est toute sublime ; elle nous reporte à l’âge d’or. Le fils infortuné de Jacob pouvait-il raconter ses aventures avec une simplicité plus touchante ? pouvait-il exprimer ses chagrins avec plus de sensibilité ? Méhul composait de verve et de passion, et ne s’est jamais écarté des règles de l’art ni du goût le plus pur. (Note de M. de Jolimont le jeune.)
  31. Les États-Unis.
  32. Ravrio n’ayant point d’enfants, un de ses derniers vœux a été de perpétuer son nom dans l’art qu’il avait exercé avec tant de succès. Il la légué avec sa fortune à M. Le Noir Ravrio, dont il fut toujours le bienfaiteur et l’ami. Il avait demandé qu’une simple pierre couvrit sa tombe. La reconnaissance a cru devoir lui consacrer un monument plus durable qui rappelât ses traits et conservât d’honorables souvenirs.
  33. En fondant un prix de trois mille fr. pour la découverte d’un moyen qui prévint les dangers de l’emploi du mercure dans la profession de doreur sur métaux.
  34. Idoménée, Didon, et Coligni ou la Saint-Barthélemi.

    Ce fut à l’occasion d’une de ces pièces de la jeunesse de Darnaud, représentée sur un théâtre de société, que Voltaire fit connaissance de Lekain, depuis acteur si célèbre ; ce dernier remplissait le principal rôle. Voltaire sut bientôt apprécier ses étonnantes dispositions, et forma avec lui cette association à laquelle le théâtre français doit ses progrès et son illustration.

  35. M. Flatters.
  36. Le premier de ces poëmes l’écarta de l’institut jusqu’en 1805, et la publication du second fut arrêtée par le gouvernement impérial.
  37. M. Laya, Discours prononcé sur la tombe.
  38. Un modeste monument fut d’abord élevé sur la tombe du maréchal Ney ; mais bientôt, objet d’un culte fanatique, jonché chaque jour de fleurs et de couronnes, et couvert d’inscriptions inconvenantes, on a cru devoir le faire disparaitre. Le corps fut placé secrètement dans un autre endroit du cimetière, et le bruit se répandit que la famille l’avait fait transporter dans une terre éloignée. Le secret fut bientôt découvert, mais respecté, et le nom du maréchal, mille fois inscrit par les curieux sur la grille qui entoure le nouveau lieu de sa sépulture, est le seul hommage tacite qu’on se soit permis de rendre depuis à sa mémoire.
  39. Lettre du maréchal Ney au président du gouvernement provisoire, le 5 avril 1814.
  40. Propres expressions du maréchal Ney, même lettre.
  41. Consulter les Journaux du temps, les diverses Biographies, l’Histoire du maréchal Ney, 1 vol. in-8o, Procès du maréchal Ney, brochure in-4o, Précis historique en faveur du maréchal Ney, par Berryer, etc., etc.
  42. On a accusé le général Ney d’avoir contribué à la perte de la bataille de Waterloo par son peu d’activité ; il est notoire que, Napoléon lui ayant ôté la veille trois des divisions qu’il commandait, pour les faire combattre auprès de lui, le général Ney ne pouvait rien entreprendre avec le peu qui lui restait de troupes.
  43. On connait la part que ce comédien crut devoir prendre aux événements de la révolution française : il fut aide-de-camp du général Santerre qui commandait la garde nationale de Paris, en 1793.

    Lafond et Talma sont les élèves de Dugazon qui avait été contemporain de Lekain.

  44. Ce monument en marbre blanc, élevé sur le dessin de M. Fontaine, architecte du Roi, et entouré d’une grille, est placé sur un dé en pierre, de 4 mètres de superficie, qui recouvre le caveau.
  45. Louis XVI, dans son testament, le recommande à son successeur et à la France entière.
  46. Discours prononces sur sa tombe et à l’Académie.
  47. Les spéculations de la bande noire et les préjugés des architectes sur les constructions du moyen âge.
  48. Voir les mémoires et les journaux du temps.
  49. L’Almanach des Muses, le Mercure de France, et autres recueils, contiennent quelques-uns de ses essais poétiques.
  50. On a reproché à ce savant géographe quelques idées anti-religieuses et quelques erreurs en politique.
  51. Cette réponse fut publiée par ordre de la Reine.