NEY.



Celui dont les brillants faits d’armes ont attaché le nom aux plus belles pages de nos annales militaires, qui fut le compagnon, l’émule, et l’ami de Kléber et de Moreau ; celui à qui l’armée décernait avec enthousiasme le titre d’Infatigable et de Brave des braves ; qui, tout entier à sa patrie, à la gloire, ne connut des troubles révolutionnaires que les dangers, et ne participa jamais à ces excès ; cet homme, au plus haut degré que l’ambition put lui faire désirer, comblé des faveurs royales, tout-à-coup forfait à des devoirs qu’il s’était lui-même imposés, à des serments qu’il avait pu ne pas faire, et, jouet infortuné des chances incertaines et des revirements politiques, subit, bientôt après, le supplice réservé aux traitres ! Déjà vingt-cinq années d’illustration et de services éminents sont presque oublies ; une heure de faiblesse en a terni l’éclat : et les cendres du héros gisent sans épitaphe, sans mausolée, dans un endroit presque ignoré du cimetière de Mont-Louis[1] !

Mais la vie militaire et politique, les erreurs et la mort du maréchal Ney, appartiennent à l’histoire. Les contemporains l’ont jugé, la postérité voudra le connaitre, et nous avons dû lui consacrer une page dans ce Recueil.

C’est non loin des pyramides en marbre, des sarcophages pompeux de ses anciens compagnons dont il partagea souvent les lauriers, que sont déposés, sous un humble gazon, sans aucun signe extérieur, les restes oubliés du maréchal Ney. Là, souvent le philosophe arrête ses pas : le hasard lui a révélé le secret de la tombe ! il observe en silence et médite péniblement sur les étranges et funestes effets des dissensions civiles…

Michel Ney, duc d’Elchingen, prince de la Moskowa, maréchal, pair de France, chevalier de Saint-Louis, et officier de la Légion-d’Honneur, naquit à Sarrelouis le 10 Janvier 1769, prit, jeune encore, le parti des armes, et déploya toujours dans les occasions les plus périlleuses et les plus importantes cette justesse de réflexion, cette prodigieuse activité, cette prudence qui devine et surmonte tous les obstacles. Le premier à l’attaque, le dernier dans les retraites, il se signala également par de rares talents et par une valeur intrépide, mais n’oublia jamais les droits de l’humanité et se montra toujours généreux avec les vaincus. Déjà cité avec avantage aux combats de Lahn, d’Altenkirchen, de Monthabor, de Pfartzheim, de Giessen, où commandait Kléber, il se distingua de nouveau sous les ordres de Masséna, et prit, en 1800, avec Moreau une part glorieuse aux victoires de Moeskirch et de Hohenlinden ; mérita en Souabe le titre de duc d’Elchingen, et bientôt la prise d'Inspruck, la capitulation surprenante de Magdebourg, les batailles d’Iéna, de Thorn, Friedland, Tilsitt, le placèrent au rang des plus illustres généraux français. Transporté tout-à-coup des bords du Niémen aux bords de l’Èbre et du Tage, il soutint long-temps une guerre difficile, et fit une retraite habile devant l’armée de Wellington. Enfin, sa conduite dans la dernière guerre de Russie n’est pas moins digne d’éloge ; il sauve plusieurs fois l’armée française, et y reçoit le titre de prince de la Moscowa. Napoléon disait de lui, qu’il avait l’ame trempée d’acier. Mais de si brillantes destinées devaient avoir un terme. Napoléon succombe ; le maréchal Ney voit dès lors que pour éviter à la patrie les maux affreux d’une guerre civile, il ne restait plus aux Français qu’à embrasser entièrement la cause de ses anciens rois[2]. Il se rend auprès de l’Empereur pour lui exprimer le vœu de la nation[3], et contribue puissamment à son abdication. Quelle étrange versatilité, quelle funeste séduction lui fait trahir la cause qu’il avait librement embrassée et qu’il avait de nouveau juré de défendre !… Ney devint coupable[4] !… Les rapides résultats de la bataille de Waterloo[5] l’éclairent sur sa faute, mais il ne peut fuir ses juges ; arrêté et mis en jugement, il a été condamné par la chambre des Pairs, et fusillé le 7 septembre 1815. Ney est mort avec courage en criant Vive la patrie, vive la nation française !

  1. Un modeste monument fut d’abord élevé sur la tombe du maréchal Ney ; mais bientôt, objet d’un culte fanatique, jonché chaque jour de fleurs et de couronnes, et couvert d’inscriptions inconvenantes, on a cru devoir le faire disparaitre. Le corps fut placé secrètement dans un autre endroit du cimetière, et le bruit se répandit que la famille l’avait fait transporter dans une terre éloignée. Le secret fut bientôt découvert, mais respecté, et le nom du maréchal, mille fois inscrit par les curieux sur la grille qui entoure le nouveau lieu de sa sépulture, est le seul hommage tacite qu’on se soit permis de rendre depuis à sa mémoire.
  2. Lettre du maréchal Ney au président du gouvernement provisoire, le 5 avril 1814.
  3. Propres expressions du maréchal Ney, même lettre.
  4. Consulter les Journaux du temps, les diverses Biographies, l’Histoire du maréchal Ney, 1 vol. in-8o, Procès du maréchal Ney, brochure in-4o, Précis historique en faveur du maréchal Ney, par Berryer, etc., etc.
  5. On a accusé le général Ney d’avoir contribué à la perte de la bataille de Waterloo par son peu d’activité ; il est notoire que, Napoléon lui ayant ôté la veille trois des divisions qu’il commandait, pour les faire combattre auprès de lui, le général Ney ne pouvait rien entreprendre avec le peu qui lui restait de troupes.