Les mausolées français/Delille

DELILLE.



Sous l’ombrage épais d’un antique berceau de tilleuls, au milieu d’un jardin rempli d’arbustes et de fleurs soigneusement cultivés, repose Delille, le premier des poètes français, le chantre inimitable de la nature, le traducteur illustre de Virgile et de Milton. Son modeste tombeau, élevé par la tendresse conjugale, et tel que lui-même en avait tracé le plan[1], n’est décoré d’aucuns ornements superflus ni d’aucune épitaphe pompeuse. L’entrée, tournée vers le midi, est fermée par une porte de bronze, au-dessus de laquelle est écrit seulement :

JACQUES DELILLE.

Ces mots sont répétés du côté opposé, gravés en lettres d’or sur un marbre blanc, qui semble attendre une plus longue inscription, mais où sans doute tous ceux qui visitent ce tombeau inscrivent d’avance, par la pensée, les titres de ses nombreux et sublimes travaux.

Delille est du petit nombre d’hommes dont la réputation est au-dessus des éloges : il suffit à sa gloire de citer les chefs-d’œuvre qui ont immortalisé son nom, et dont s’enorgueillit sa patrie. Les poëmes de l’Imagination, de la Pitié, des Jardins, de l’Homme des Champs, des Trois Règnes de la Nature, la traduction en vers français des Géorgiques, de l’Énéide, du Paradis perdu, etc., ont fait l’étonnement et l’admiration de toute la république des lettres, et sont de ces trophées impérissables qui survivent à la destruction des tombeaux et triomphent du temps.




Delille naquit en 1740 près de Clermont en Auvergne ; sa mère descendait de l’illustre famille du chancelier de l’Hospital. Il travaillait encore à un poëme sur la Vieillesse, lorsqu’il mourut le 1er mai 1813, à l’âge de soixante-quinze ans. Il écrivait également bien en vers et en prose ; personne n’avait dans le monde un esprit plus facile et plus brillant ; personne ne racontait avec plus de grace, et n’écoutait avec plus de complaisance ; personne enfin ne joignit à un esprit aussi sublime un caractère plus doux, plus aimable et plus modeste.

  1. Dans une épitre à sa femme, qui précède le poëme de l’imagination, et qui est un chef-d’œuvre de sentiment et de saine philosophie, Delille décrit ainsi le lieu qu’il veut que l’on consacre à sa sépulture :

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    Écoute donc, avant de me fermer les yeux,
    Ma dernière prière et mes derniers adieux ;
    Je te l’ai dit : au bout de cette courte vie,
    Ma plus chère espérance et ma plus douce envie,
    C’est de dormir au bord d’un clair ruisseau,
    A. l’ombre d’un vieux chêne, ou d’un jeune arbrisseau :
    Que ce lieu ne soit pas une profane enceinte :
    Que la religion y répande l’eau sainte ;
    Et que de notre foi le signe glorieux,
    Ou s’immola pour nous le rédempteur du monde,
    M’assure, en sommeillant dans cette nuit profonde,
    De mon réveil victorieux.
    Là, quand le ciel voudra que je succombe,
    Dans le repos des champs place mon humble tombe.

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    Toi, viens me voir dans mon asyle sombre :
    Là, parmi les rameaux balances mollement,
    La douce illusion te montrera mon ombre,
    Assise sur mon monument ;
    Là, quelquefois plaintive et désolée,
    Pour me charmer encor dans mon triste séjour,
    Tu viendras visiter au déclin d’un beau jour
    Mon poétique mausolée.

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    Et si jamais tu te reposes
    Dans ce séjour de paix, de tendresse et de deuil,
    Des pleurs versés sur mon cercueil
    Chaque goutte en tombant fera naître des roses.

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    Tu n’y pourras graver ces titres solennels…