Les mausolées français/La Fontaine

LA FONTAINE.



Près du tombeau de Molière et dans la même enceinte fermée par un treillage rustique, l’on voit un autre sarcophage en pierre, aussi creusé dans la masse, élevé sur un socle surmonté de la figure d’un renard en marbre noir, et orné de deux bas-reliefs en bronze, représentant la fable du Loup et de l’Agneau, et celle du Loup et de la Cigogne. À ces emblêmes il est facile de reconnaitre que dans ce monument reposent les cendres du bon La Fontaine, de ce poëte qui, dans ses ingénieuses fictions, à l’exemple d’Ésope et de Phèdre, apprit la vérité aux hommes, en prêtant aux animaux le langage de cette douce et saine philosophie qui instruit également et l’enfance et l’âge mur. Poëte inimitable dans sa sublime simplicité, qui a surpassé ses modèles, et qui n’a point d’égal.

Il peignit la nature et garda ses pinceaux.

Depuis plus d’un siècle les cendres de La Fontaine gisaient obscurément près de celles de son ami Molière : l’autorité les fit recueillir en même temps ; et le tombeau que nous décrivons orna aussi le jardin du musée des monuments français, avant d’être transporté au cimetière de Mont-Louis. Sur les côtés latéraux on lit en caractères de bronze :

LA FONTAINE.

et sur une des extrémités, cette inscription latine gravée sur un marbre blanc :

hic jacet
ioh. La Fontaine castro-theodoricus
in æsopiis fabellis condendis
recentiorum unicus
babriæ et phœdri
victor potius quam æmulus
vixit an. lxxiv obiit a. s. m.dc.lxxxxv
guil. chabrol de volvic
comes præfectus urbis
poetæ corpus aliunde translatum
monumento inferri curavit.
a. s. mdcccxvii

La Fontaine naquit à Château-Thierry en Champagne, l’an 1621. La lecture d’une ode de Malherbe développa tout-à-coup en lui ce gout et ce talent pour la poésie, qui le placèrent bientôt au rang des plus beaux génies de son siècle. Après avoir étudié Plutarque et Platon, et s’être nourri de la lecture des meilleurs poëtes latins, et des œuvres de Rabelais, de Marot, de d’Urfé, de Malherbe, de l’Arioste et de Boccace, dont il faisait ses délices, il composa ses Fables, ouvrage immortel, chef-d’œuvre du genre, et ses Contes si spirituels et si piquants, mais dont il condamna lui-même la licence, et qu’il se repentit d’avoir publiés.

Il fut reçu de l’Académie française en 1684.

Ses parents lui firent épouser Marie Éricard, fille du lieutenant-général de La Ferté-Milon, femme d’une grande beauté et de beaucoup d’esprit, qu’il consultait souvent en composant ses ouvrages.

On trouvait en lui le même esprit de simplicité, de candeur et de naïveté qui caractérise ses productions. Plein de probité, doux, sincère, sans ambition, prenant tout en bonne part, vivant bien avec ses confrères ; il compta d’illustres protecteurs, et lia une étroite amitié avec Molière, Racine, Boileau, Chapelle et autres grands hommes de son temps. Il mourut le 13 mars 1695, à l’âge de soixante-quatorze ans.

Tout le monde connait sans doute l’épitaphe suivante qu’il composa plaisamment pour lui-même :

Jean s’en alla comme il était venu,
Mangeant son fonds avec son revenu,
Tint les trésors chose peu nécessaire.
Quant à son temps, bien sut le dispenser :
Deux parts en fit, dont il soulait passer
L’une à dormir, et l’autre à ne rien faire.

PORTRAIT DE LA FONTAINE, PAR LUI-MÊME.

Papillon du Parnasse, et semblable aux abeilles.
A qui le bon Platon compare nos merveilles,
Je suis chose légère, et vole à tout sujet ;
Je vais de fleur en fleur et d’objet en objet :
A beaucoup de plaisir je mêle un peu de gloire.
J’irais plus haut peut-être au temple de Mémoire,
Si dans un genre seul j’avais usé mes jours.
Mais quoi ! je suis volage en vers comme en amours.