Les mausolées français/Molière

MOLIÈRE.



Sur un petit tertre à l’ombre d’un chêne, dans un sarcophage en pierre creusé dans la masse, soutenu sur quatre pilastres, et surmonté d’une coupe en marbre dans laquelle les oiseaux, dit-on, aiment à se désaltérer, sont déposées les cendres de Jean-Baptiste Poquelin de Molière, de ce poëte célèbre, qui, digne émule d’Aristophane, de Plaute et de Térence, créa en France la bonne comédie, corrigea les vices par le ridicule, et sut avec art unir au plaisant badinage, à la gaîté de ses dialogues, la plus saine philosophie ; un des plus beaux génies enfin qui ont illustré le siècle de Louis XIV ; dont la scène française s’honore encore de reproduire chaque jour les chefs-d’œuvre, et que sans doute on ne peut mieux louer que dans ces vers trouvés sur son tombeau :

Disciple ingénieux de Plaute et de Térence,
La gloire de son siècle et l’honneur de la France,
En philosophe aimable il corrigea les mœurs,
Éclaira les esprits, et réjouit les cœurs.
A peindre la nature il est inimitable,
Et reste pour modèle en son art admirable[1].
E. S.

Sur chacune des faces latérales, on lit en caractères de bronze :

MOLIÈRE.

et sur une autre face cette inscription latine :

OSSA

J. B. POQUELIN MOLIERE
PARISINI
COMŒDIÆ PRINCIPIS
HUC TRANSLATA ET CONDITA
A. S. M. D. CCC. XVII
CURANTE
URBIS PRÆFECTO
COMITE GUIL. CHABROL DE VOLVIC.

OBIIT AN. S. M. DC LXXIII ÆTATIS LI
.



J. B. Poquelin naquit à Paris le 15 Janvier 1622[2], d’un père marchand tapissier, et qui, dans la suite, eut le titre de valet-de-chambre tapissier du roi, dont la survivance fut accordée à son fils. Le jeune Poquelin assista aux représentations de quelques comédies de l’hôtel de Bourgogne ; et dès-lors il prit du goût pour le théâtre, et marqua un si grand désir de s’instruire, que son père le plaça au collège, où il fit, entre autres connaissances, celle du célèbre Gassendi qui lui enseigna la philosophie, et compléta son éducation. Obligé d’abord de remplir auprès du roi les fonctions de la place de son père, ce ne fut guère qu’à l’âge de vingt ans qu’il put se livrer tout entier à la comédie pour laquelle il avait une extrême passion. Poquelin prit alors le nom de Molière, forma une petite société avec quelques jeunes gens qui avaient le même goût que lui, établit un théâtre, et fit des petites pièces pour la province.

La première comédie régulière qu’il composa fut l’Étourdi, en cinq actes, représentée à Lyon en 1653. Après avoir obtenu de brillants succès à Béziers, à Grenoble, à Rouen, Molière vint s’établir à Paris, ou il joua long-temps dans la salle des gardes du vieux Louvre, et au Palais-Royal, honoré de la protection du roi et des plus grands personnages. Ses principaux chefs-d’œuvre sont le Misanthrope, le Tartufe, les Femmes savantes, l’Avare, le Festin de Pierre, le Bourgeois gentilhomme, les Précieuses ridicules, etc. Le Malade imaginaire fut son dernier ouvrage : on sait qu’il mourut peu d’heures après la quatrième représentation de cette pièce, le 17 février 1673, dans un accès de toux où il se rompit une veine, à l’âge de cinquante et un ans.

    même tombeau qui a été transféré au cimetière de Mont-Louis depuis la suppression de ce musée en 1817.
    On assure qu’une souscription fut ouverte pour lui élever un plus riche mausolée, mais quelle n’a point été remplie… !

  1. Molière ne fut pas seulement auteur, mais encore le premier comédien de son siècle. Ce motif arma contre lui toute la sévérité des lois religieuses, qui ne permit pas de lui rendre à sa mort les honneurs funèbres. On n’accorda qu’avec peine un peu de terre pour recouvrir sa dépouille mortelle ; et la France dut s’écrier sans doute avec la veuve en pleurs : Quoi ! l’on refuse un tombeau à celui à qui la Grèce eût dressé des autels…! Ce fut à cette occasion que le père Bouhours, jésuite célèbre et ami de Molière, composa les vers suivants :

    Tu réformas et la ville et la cour ;
    Mais quelle en fut la récompense !
    Les Français rougiront un jour
    De leur peu de reconnaissance.
    Il leur fallait un comédien
    Qui mit à les polir sa gloire et son étude ;
    Mais, Molière, à la gloire il ne manquerait rien,
    Si, parmi leurs défauts que tu peignis si bien,
    Tu les avais repris de leur ingratitude.

    Mais il était réservé à notre siècle de réparer cet outrage : l’administration de la ville de Paris ordonna la recherche des cendres de ce grand homme, trop long-temps ignorées ; et on lui éleva, dans le jardin élysée du musée des monuments français, ce

  2. On doit consulter sur l’époque et le lieu de la naissance de Molière une dissertation curieuse publiée en 1821 par M. L. F. Bessara.