Les mausolées français/Darnaud

DARNAUD.



Une simple pierre, déjà noircie par le temps, et qu’une herbe épaisse et quelques ronces dérobent presqu’entièrement aux regards, indique à peine où furent déposés les restes d’un écrivain estimable qui eut quelque célébrité, et dont le cœur sensible et la plume mélancolique peignit d’une manière si touchante les peines du sentiment et les malheurs de l’amour.

Sur cette pierre, on lit cette inscription à moitié effacée :


CI GIT
M. FRANÇOIS THOMAS
BACULAR DARNAUD,
AUTEUR DU COMTE
DE COMMINGES, ET DES
ÉPREUVES DU SENTIMENT ;
NE LE 15 SEPTEMBRE 1718,
MORT LE 9 NOVEMBRE 1804.




LA PLUSPART DES GENS DE LETTRES
ÉCRIVENT AVEC LEUR TÊTE ET LEURS
MAINS, MAIS M. DARNAUD
ÉCRIT AVEC SON CŒUR.
J.J. ROUSSEAU.




Darnaud né à Paris, d’une famille noble, mais peu riche, fut instruit chez les Jésuites. A neuf ans il faisait assez bien des vers, et composa dans sa jeunesse plusieurs petites pièces de théâtre et trois tragédies[1] qui n’ont point été représentées, mais qui lui valurent l’amitié de Voltaire dont il reçut plusieurs services. Quelques poésies fugitives, et surtout lÉpitre à Manon, le firent connaitre au roi de Prusse qui l’appela à Berlin, d’où, peu de temps après, il passa à Dresde en qualité de conseiller de légation ; enfin, revenu à Paris, il se livra à la composition de ses ouvrages dont le pathétique fit répandre tant de larmes, et où les passions sont peintes avec des couleurs si sombres. Les Épreuves du sentiment, les Délassements de l’homme sensible, les Époux malheureux, furent lus avec avidité, et préparèrent les cœurs de nos sensibles lectrices à ces émotions fortes qu’excite le genre terrible des romanciers anglais si recherchés aujourd’hui. Tout le monde connait son Comte de Comminges, drame qui dut quelque succès à l’horrible nouveauté du spectacle.

Darnaud, trop insouciant pour penser à l’avenir, et trop peu économe pour amasser, est mort pauvre et malheureux, lorsque ses talents auraient pu lui procurer un sort agréable, à l’âge de 86 ans.

  1. Idoménée, Didon, et Coligni ou la Saint-Barthélemi.

    Ce fut à l’occasion d’une de ces pièces de la jeunesse de Darnaud, représentée sur un théâtre de société, que Voltaire fit connaissance de Lekain, depuis acteur si célèbre ; ce dernier remplissait le principal rôle. Voltaire sut bientôt apprécier ses étonnantes dispositions, et forma avec lui cette association à laquelle le théâtre français doit ses progrès et son illustration.