Les mausolées français/Chénier

CHÉNIER (Joseph).



Ce cippe modeste en marbre blanc, ce tombeau sans ornements, sans épitaphe, pompeuse, place sur le simple gazon, et comme au hasard, au milieu de tant de mausolées fastueux, n’en révèle pas moins un nom que des talents littéraires, et plus encore, peut-être, les circonstances politiques, ont rendu célèbre ; et si ce peu de mots graves sur la pierre,

MARIE JOSEPH
DE CHÉNIER,
NÉ A CONSTANTINOPLE,
EN 1764,
MORT A PARIS EN 1811,

réveillent le souvenir des erreurs trop graves sans doute qui signalèrent la conduite politique d’un homme qui fut à la fois homme d’état, orateur, philosophe et poète, ils rappelleront aussi quelques services trop facilement oubliés.


Chénier, ancien député à la Convention nationale, membre de L’Institut, etc., était fils de Louis de Chénier, consul général de France à Constantinople. Amené en France dès l’âge le plus tendre, il embrassa la carrière militaire et devint officier de dragons. Bientôt, ayant renoncé au parti des armes, il se fixa dans la capitale et se livra à la littérature. Ses essais au théâtre ne furent pas heureux et sa première tragédie (Azémir), représentée à Fontainebleau, en 1786, n’eut aucun succès. Mais l’époque de la révolution française, dont il se montra zélé partisan, fut pour lui une source de triomphes ; et quelques pièces de circonstances, dont l’esprit de parti s’empara avec chaleur, le firent préconiser comme le premier poète tragique de la nation. Ce fut alors qu’appelé dans les affaires publiques, on le vit figurer avec ardeur dans les scènes les plus marquantes du drame révolutionnaire. Les bornes de cet ouvrage, le respect que nous devons au paisible asyle des tombeaux, ne nous permettent pas de signaler ici, en détail, la vie politique et les erreurs de Chénier. On peut consulter la-dessus l’histoire et les différents écrits biographiques. Mais, tout en déplorant des fautes trop réelles, on doit rendre justice aux talents éminents qui le distinguèrent comme littérateur.

Écrivant également bien en vers et en prose, il embrassa presque tous les genres et y réussit. Ses nombreux ouvrages se composent de plusieurs tragédies dont les principales sont Henri VIII, la Mort de Galas, Caius Gracchus, Fénélon, Timoléon et Cyrus. Quelques comédies, des odes, des hymnes patriotiques, des chants imités d’Ossian, des poésies satiriques, didactiques, héroïques, des élégies, des discours philosophiques, etc., etc. Enfin, nous rappellerons les droits qu’il a acquis à la reconnaissance publique par l’influence qu’il exerça et l’activité avec laquelle il parla et agit, dans toutes les assemblées législatives, en faveur des arts, des lettres, et de l’instruction publique.

Chénier figurait au nombre de ceux qui envoyaient des têtes à l’échafaud ; son frère, André Chénier, homme de lettres également distingué, mais d’une opinion différente, fut une des victimes. Chénier bientôt regardé et désigné par ses ennemis comme le meurtrier de son frère, fit, dans les vers suivants, une réponse touchante à cette calomnieuse accusation ; c’est lui-même qui parle :

Auprès d’André Chénier avant que de descendre,
J’élèverai la tombe… où manquera sa cendre,
Mais où vivront du moins, et son doux souvenir,
Et sa gloire, et ses vers dictés pour l’avenir.
Là, quand de thermidor la septième journée,
Sous les feux du cancer ramènera l’année,
O mon frère ! je veux, relisant tes écrits,
Chanter l’hymne funèbre à tes mânes proscrits.
Là, souvent tu verras, près de ton mausolée,
Tes frères gémissants, ta mère désolée,
Quelques amis des arts, un peu d’ombre, et des fleurs ;
Et ton jeune laurier grandira sous mes pleurs.