Grammaire de l’hébreu biblique/Morphologie/Verbe/Paragraphe 75

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 146-151).
§ 75. Verbes פ״י primitivement פ״ו (= פ״יו).
(Paradigme 8 : יָשַׁב s’asseoir, demeurer).

a Dans les verbes primitivement פ״ו, le ו se maintient dans les conjugaisons dérivées nifal, hifil et hofal. Au qal, ou bien il est supplanté par le י, ou bien il tombe. Au piel et au pual il est supplanté par le י.

1) Formes avec ו : Nifal. La forme première est nau̯šab avec la préformante primitive na (§ 51 a), d’où par contraction נוֹשַׁב. Au futur le ו est redoublé יִוָּשֵׁב[1] (comme יִקָּטֵל).

Hifil. L’a primitif de la préformante (§ 54 a) est conservé, d’où hau̯šīb, i̯au̯šīb > הוֹשִׁיב, יוֹשִׁיב.

Hofal. La forme théorique huu̯šab devient הוּשַׁב avec ū long[2].

Qal : aux futurs יוֹסֵף, יוֹרֶה (§ f).

2) Formes où le ו est supplanté par י. Dans la conjugaison qal, au commencement du mot, quand il y a une voyelle : parfait יָשַׁב ; partic. ישֵׁב, יָשׁוּב. De plus, au futur יֵשֵׁב (qui est probablement pour i̯ai̯šib, § c).

Au hitpael on a ו ou י, p. ex. הִתְוַדָּה confesser (assez fréquent), הִתְיַלֵּד se faire inscrire dans une généalogie (dénominatif de תּֽוֹלֵדָה) Nb 1, 18. Pour הִתְיַצֵּב cf. § 77 b.

3) Formes avec aphérèse du ו. Dans la conjugaison qal, au commencement du mot, le ו tombe quand il aurait shewa : impér. שֵׁב (pour וְשֵׁב*) ; inf. cst. *šib, d’où avec le t féminin (§ 72 d) *šibt. Cette forme, segolisée, donnerait שֵׁ֫בֶת* (§ 89 h). En fait on a שֶׁ֫בֶת, p.-ê. à l’analogie de l’infinitif en a, p. ex. רֶ֫שֶׁת de raš-t[3].

b Verbes actifs et statifs. Parfaits statifs : יְרֵא craindre, יָגֹר redouter. Dans le paradigme on a cité יָרַשׁ hériter dont la forme première est יָרֵשׁ* (comp. ar. u̯ariṯa وَرِثَ).

Au futur, les verbes d’action et les verbes statifs diffèrent non seulement par la 2e, mais encore par la 1re voyelle (§ 41 e). Le futur d’action est *i̯ai̯šib > יֵשֵׁב ; le futur statif est *i̯ii̯raš > יִירַשׁ.

c Futur actif יֵשֵׁב. La 2e voyelle ◌ֵ provient de la voyelle primitive i des futurs d’action (§ 41 a). En dehors des verbes פ״ו le ◌ֵ est très rare (par exemple יִתֵּן).

La 1re voyelle ◌ֵ, d’après de nombreux grammairiens, viendrait de i. Dans cette hypothèse *i̯išib serait une forme syncopée sans 1re radicale, comme le futur arabe des פ״ו i̯alidu يَلِدُ (de u̯alada وَلَدَ). Il semble beaucoup plus probable que ce ◌ֵ vient de ai̯ et est vraiment long. En effet :

  1. 1) Au futur statif יִירַשׁ la 1re voyelle ī est longue, car elle provient de ii̯ ; l’analogie demande que dans la forme du futur actif la 1re voyelle soit également longue, et donc provienne de ai̯.
  2. 2) En hébreu, d’une façon générale, le futur actif et le futur statif diffèrent, quand c’est possible, non seulement quant à la 2e, mais encore quant à la 1re voyelle (§ 41 e). Il est donc normal qu’au futur statif *i̯ii̯raš avec 1re voyelle i s’oppose un futur actif *i̯ai̯šib avec 1re voyelle a.
  3. 3) En faveur de ai̯ on peut invoquer le parallélisme des formes יוֹסֵף (pour i̯au̯sif) et יוֹרֶה (§ f) qui sont des futurs qal dans lesquels le ו primitif s’est conservé.
  4. 4) La longueur du ◌ֵ est rendue probable par le fait qu’il ne tombe jamais ; on dit, p. ex. אֵדָֽעֲךָ je te connaîtrai[4].

Remarque. Avec le waw inversif יֵשֵׁב devient וַיֵּ֫שֶׁב (de même au hifil on a וַיּ֫וֹשֶׁב).

d Futur statif יִירַשׁ. Comme il a été dit (§ c), les deux voyelles indiquent le futur statif.

À l’égard du ton, on remarquera que dans וַיִּירַ֫שׁ le ton ne remonte pas (§ 47 b). Il en est de même dans וַיִּיטַ֫ב (§ 76 b) ; opposer, p. ex. וַיִּ֫חַר (de חרה, § 79 i).

e Les deux futurs qal יֵשֵׁב, יִירַשׁ semblent d’origine secondaire. Après la préformante on attendrait le ו primitif, comme dans נוֹשַׁב, הוֹשִׁיב, הוּשַׁב. Mais une forme telle que i̯au̯šib > יוֹשֵׁב* avait l’inconvénient de ressembler au hifil jussif et au participe actif du qal. Cependant le ו a été conservé dans יוֹרֶה, יוֹסֵף (§ f).

f Futur qal avec ו primitif des verbes יָרָה jeter et יָסַף ajouter.

  1. 1) Le futur יוֹרֶה est en réalité un qal. Comme il a l’apparence parfaite d’un hifil, on l’a, secondairement, considéré comme un hifil ; d’où le participe מוֹרֶה synonyme de יוֹרֶה[5].
  2. 2) Le futur יוֹסֵף est en réalité un qal qui s’est conservé dans Gn 4, 12 ; Dt 13, 1 ; Joël 2, 2 ; Nb 22, 19 † (cf. § 114 g). La forme est semblable à celle d’un hifil jussif, et presque semblable à celle d’un hifil indicatif יוֹסִיף. À cause de cette ressemblance יוֹסֵף a été hifilisé en יוֹסִיף. Puis, d’après יוֹסִיף on a formé le parfait (rare, 6 f.) הוֹסִיף, l’inf. cst. הוֹסִיף (4 f.), le partic. מוֹסִיף (1 f.). Le verbe est donc quasi défectif (§ 85 b). Les formes usuelles sont : au parfait יָסַף, au futur יוֹסִיף, à l’inf. cst. הוֹסִיף[6].

Des formes telles que מוֹרֶה, יוֹסִיף, הוֹסִיף sont donc des hifil secondaires ou des pseudo-hifil (§ 54 f ; voir d’autres exemples dans les verbes ע״י, § 81 c).

g Verbes usuels :

Verbes d’action, sur le type יָשַׁב :

  • יָרַד descendre.
  • יָלַד enfanter ; יֻלַּד est passif du qal (§ 58 a).
  • יָדַע savoir. À cause de la 3e gutturale on a f. יֵדַע[7], imp. דַּע, inf. דַּ֫עַת (avec voyelle ◌ַ).
  • יָצָא sortir. Ce verbe n’est traité ni comme un פ״יצ, ni comme un ל״א, mais comme un פ״ו : fut. יֵצֵא ; imp. צֵא ; inf. צֵאת (pour צֵ֫אֶת*). Pour les formes du parfait inverti cf. § 43 b, du futur inverti § 47 b (formes anormales rares : וַיּוֹצִא, impér. הוֹצִיא § 78 i).
  • הָלַךְ aller. C’est l’unique verbe פ״ה qui soit traité comme un פ״ו. Ce traitement tout particulier doit probablement s’expliquer ainsi[8] : de même que le groupe ʾaʾ est devenu ʾā > ʾọ̄ (§ 73 b), le groupe hah qu’on a dans *hahlīk, forme antérieure du hifil, est devenu > họ̄, d’où הוֹלִיךְ. Cette forme étant semblable au hifil des verbes פ״ו, p. ex. הוֹשִׁיב, on a donné à הָלַךְ les formes des פ״ו : fut. יֵלֵךְ, imp. לֵךְ, inf. לֶ֫כֶת. En pause on a וַיֵּלַ֑ךְ (§ 32 c). Le hitpael est régulier : הִתְהַלֵּךְ. On trouve quelques formes fortes, p. ex. יַֽהֲלֹךְ Ps 58, 9 etc. La forme תִּֽהֲלַךְ Ex 9, 23 ; Ps 73, 9 est p.-ê. une lectio mixta (§ 16 g) donnant le choix entre תַּֽהֲלֹךְ et תִּתְהַלַּךְ.

h Verbes statifs, sur le type יָרֵשׁ*, יָרַשׁ :

  • יָשֵׁן* dormir ; inf. לִישׁוֹן Eccl 5, 11 †.
  • יָעֵף* être fatigué.
  • יָעַץ, יָעָ֑ץ conseiller, avec a à cause de la gutturale.
  • יָרֵא craindre (en même temps ל״א) : fut. יִירָא, וַיִּירָא ; imp. יְרָא, יְראוּ (non יִרְאוּ*) ; inf. יְרֹא (2 f., à côté de l’usuel יִרְאָה, § 49 d).

i Verbes statifs avec la voyelle u > ◌ֹ :

  • יָגֹר redouter. Le futur et l’impératif יָגוּר, גּוּר viennent de la racine apparentée גור ; le verbe est donc défectif, § 85 a.
  • יָקשׁ tendre un piège, dénominatif de יָקוֹשׁ oiseleur ; sans futur.
  • יָכֹל pouvoir. Le sens de la racine יכל semble être celui de capacité. Comparer la racine apparentée כּול (ou plutôt כּיל) mesurer (surtout quant à la capacité) ; hifil : contenir.

L’adjectif verbal יָכֹל ne se trouve pas dans notre texte massorétique, mais il doit être lu dans Jér 38, 5[9].

L’inf. cst. יְכֹ֫לֶת est d’un type très rare, qu’on ne trouve encore que dans יְב֫שֶׁת être sec, Gn 8, 7 (cf. § 76 d).

Le futur יוּכַל est expliqué de diverses manières :

  1. 1) D’après les uns ce serait un passif du qal. Mais un verbe exprimant un état ne peut guère avoir de passif, puisque le passif se dit d’une action subie.
  2. 2) D’après d’autres ce serait un futur qal, pour i̯ọ̄ḵa̦l, qui viendrait de i̯au̯kal. Mais 1) ō se serait maintenu comme il s’est maintenu dans יֹאכַל (§ 73 b), etc. ; 2) dans les verbes statifs la voyelle de la préformante est i (§ 41 e).
  3. 3) L’opinion la plus probable semble encore être l’opinion ancienne et commune (Ewald, Olshausen, etc.), d’après laquelle יוּכַל est un futur hofal. La forme en elle-même indique un hofal, et il est prudent de ne pas chercher autre chose, si le sens il pourra peut se concilier avec la forme causative passive. On peut se représenter ainsi le procès sémantique. Le sens premier du hofal il sera rendu capable a pu facilement s’affaiblir en il deviendra capable, il sera capable, d’où enfin il pourra[10]. Le sens causatif se sera graduellement évanoui[11]. De même le hofal יוּקַד proprement ê. mis en flammes perd son sens causatif et signifie ê. en flammes, ê. enflammé, comme le qal יָקֵד*, יִיקַד.

Le verbe יכל est donc défectif ; le parfait est un qal, le futur est un hofal. Le futur normal du qal serait יִיכַל*. Nous ignorons pourquoi il a disparu. En araméen biblique où le parfait (statif) est יְכִל, le futur statif a également disparu ; il a été remplacé par une forme active en u : יִכֻּל (comp. § 41 b).

j Remarques particulières.

Futur יֵשֵׁב. La finale du pluriel fém. est toujours a̦lnå (§ 29 d).

Futur יִירַשׁ. On a souvent la graphie défective יִרַשׁ, p. ex. יִֽרְאוּ ils craindront (avec meteg indiquant la division syllabique i̯ī-re-ʾū ; opp. יִרְאוּ i̯ir-ʾū « ils verront », § 14 c 1).

k Impératifs forts : יְרָא crains ; יְצֹק verse (du très irrégulier יָצַק qui est traité aussi comme פ״יצ § 77 b).

Au sing. masc. on a souvent le ◌ָה paragogique, p. ex. שְׁבָה, רְדָה (cf. § 48 d).

Du verbe inusité יָהַב* donner, l’hébreu n’a que l’impératif. On trouve surtout au sing. la forme הָ֫בָה[12] (mais devant א, Gn 29, 21 הָבָ֫ה, hiatus § 33), 1 fois הַב, et au pl. הָב֫וּ ; sg. f. הָבִ֫י. Dans ces deux dernières formes l’a se maintient (opp. דַּע, דְּעוּ, דְּעִי).

l Infinitifs forts : יְסֹד fonder dans לִיסֹד (aussi לִיסֹּד avec redoublement : la longueur passe de la voy. à la consonne) ; יְרֹא (2 f., à côté de l’usuel יִרְאָה, § 49 d) ; יְכֹ֫לֶת, § i. 

m Comparaison avec les formes nominales (cf. § a) :

  1. 1) Formes avec ו : מוֹעֵד rendez-vous (יָעַד déterminer [le temps, le lieu]) ; מוֹשָׁב habitation ; תּוֹדָה louange (rac. ידה, hif. הוֹדָה louer). Dans toutes ces formes, ọ̄ vient de au̯.
  2. 2) Formes où le ו est supplanté par י. Au commencement du mot, p. ex. יִרְאָה crainte (aussi infinitif § 49 d), יַ֫חַד en même temps (adverbe).
  3. 3) Forme avec aphérèse du ו (type לֵדָה) : לֵדָה enfantement (aussi infinitif) ; חֵמָה chaleur, fureur (du très rare יחם ê. en chaleur, cf. syr. ḥemṯå ܚܶܡܬܼܳܐ) ; עֵדָה[13] rendez-vous, assemblée (cf. ʿẹḏtå ܥ݄ܺܕܬܳܐ) ; עֵצָה conseil ; שֵׁנָה sommeil (cf. šenṭå ܫܶܢܬܼܳܐ) ; דֵּעָה science ; זֵעָה* sueur.

Cette forme est celle de l’inf. du type šib + t > שֶׁ֫בֶת (§ a 3), mais avec la finale féminine ◌ָה, p. ex. lid + åh = לֵדָה. On a לֵדָה à côté de לֶ֫דֶת ; דֵּעָה à côté de דַּ֫עַת. L’inf. שֶׁ֫בֶת est employé comme pur substantif, p. ex. 1 R 10, 19 siège (du trône de Salomon).

  1. À la 1re p. on a אִ (non אֶ) type אִוָּשֵׁב (§ 51 b) : אִוָּתֵר, אִוָּעֵד, אִוָּדַע etc.
  2. Cet ū a passé dans les verbes ע״ו et ע״ע : הוּקַם (§ 80 h), הוּסַב (§ 82 d).
  3. D’une façon générale la finale ◌ֵ֫◌ֶת tend à devenir ◌ֶ֫◌ֶת, p. ex. קֹטֶ֫לֶת (= קֹטֵל + ת) ; cf. § 89 h. Comparer la contamination de la forme qitl par qatl § 96 A f.
  4. Il est remarquable que ce ◌ֵ long n’est jamais écrit avec mater lectionis, sauf, probablement, Ps 138, 6 où il faut lire יֵידַע pour יְיֵדַע.
  5. Le passage du qal au hifil a pu être favorisé par le fait que d’autres verbes jeter sont au hifil : הִשְׁלִיךְ et הֵטִיל (tous deux sans qal).
  6. Cf. Mayer Lambert dans Revue des Études juives, t. 37, p. 142 ; t. 33, p. 154.
  7. Comparer, dans les verbes statifs ע״ע, les futurs tels que יֵקַל, יֵרַע.
  8. Cf. Prätorius dans Z. für alttestam. Wissenschaft, 2, p. 310 ; Brockelmann, 1, p. 585 ; Bergsträsser § 16 a ; Bauer-Leander 1, p. 214. D’après d’autres, הָלַךְ aurait été traité à l’analogie de verbes tels que יָצָא, יָשַׁב ; cf. Ungnad, Beiträge für Assyriologie, 5, p. 278 ; Mayer Lambert, Rev. des Études juives, 27, p. 137 n.
  9. Cf. Ehrlich, Randglossen, in h. l. En néo-hébreu יָכֹל se trouve au sens de possible ; cf. Dalman, Aram.-Neuhebr. Wörterbuch.
  10. C’est ainsi qu’en allemand befähigt peut prendre un sens voisin de fähig « capable » ; de même on a Befähigung au sens de « capacité » comme Fähigkeit.
  11. En néo-hébreu, en araméen juif, en syriaque, beaucoup de participes causatifs passifs sont employés comme de purs adjectifs, sans aucune nuance causative, p. ex. néo-héb. מְבוֹאָר clair, évident (originairement rendu clair, expliqué).
  12. On attendrait הֲבָה*. La vocalisation plus forte de cet impératif vient p.-ê. de ce qu’il est aussi employé comme interjection § 105 e ; par analogie on a aussi הָב֫וּ, הָבִ֫י, mais mileraʿ.
  13. Opp. עֵדָה, fém. de עֵד témoin (rac. עוד) §§ 80 s ; 97 E b.