Grammaire de l’hébreu biblique/Morphologie/Verbe/Paragraphe 54

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 120-124).
§ 54. Conjugaison hifil.

a Le hifil est la conjugaison active de l’action causative (§ 40 a). La caractéristique du hifil est un ה, qui tombe ordinairement après une afformante, et donc au futur et au participe (§ b).

L’explication des formes doit commencer par le futur.

Futur. La forme hébraïque première est *ehaqtil (avec i bref), d’où, par syncope du ה (§ 17 e) *i̯aqtil.

Cet i bref est conservé au jussif et à l’impératif, où il devient normalement ◌ֵ. Mais à l’indicatif (sauf dans תַּקְטֵ֫לְנָה) l’i devient long (יַקְטִיל), probablement à l’analogie du hifil des verbes ע״ו, p. ex. יָקִים (§ 80 g). Exception : dans le type יָסֵב pour *i̯asibb, l’i ne s’est pas allongé, à cause de la tendance de la consonne finale des verbes ע״ע au redoublement (cf. § 18 l).

Parfait. La forme primitive haqtal n’a conservé en hébreu aucun des deux a. (Comparer le parfait du piel § 52 a).

Le 1er a s’est affaibli en i (§ 29 g)[1]. Cependant l’a s’est conservé dans les types hau̯šib, hai̯ṭib devenus הוֹשִׁיב (§ 75 a), הֵיטִיב (§ 76 c) ; comparer, au nifal, le type nau̯šabנוֹשַׁב § 51 a.

Le 2d a est devenu i à l’analogie du futur, d’où *hiqtil. Cet i s’allonge (et garde le ton) aux 3es personnes הִקְטִיל, הִקְטִ֫ילָה, הִקְטִ֫ילוּ, à l’analogie des formes du futur יַקְטִיל, יַקְטִ֫ילוּ. Exception : dans le type הֵסֵב pour *hisibb, l’i ne s’est pas allongé. Aux autres personnes i (◌ֵ) devient a, p. ex. הִקְטַ֫לְתָּ.

L’impératif הַקְטֵל a la voyelle du futur jussif יַקְטֵל (§ 48 a).

L’infinitif cst. הַקְטִיל a la voyelle du futur (§ 49 c).

L’infinitif abs. הַקְטֵל est une modification secondaire de l’infinitif construit (§ 49 b).

Le participe מַקְטִיל a les voyelles du futur (cf. § 50 f).

b Remarques générales. La syncope du ה, nous l’avons dit, est ordinaire au futur et au participe. Au futur cependant on trouve quelques exemples avec ה, peut-être en partie sous l’influence de l’araméen, p. ex. יְהוֹשִׁיעַ 1 S 17, 47 ; Ps 116, 6 (en pause), יְהוֹדֶה Néh 11, 17 etc. ; יְהֵילִ֫ילוּ Is 52, 5.

À l’infinitif le ה après une préposition se maintient, p. ex. לְהַקְטִיל. Cependant, dans plusieurs exemples, le ה est syncopé, p. ex. לַקְטִיל ; mais dans la plupart des cas la vocalisation est suspecte, par exemple, לַסְתִּר Is 29, 15 peut se vocaliser en piel לְסַתֵּר ; לַצְבּוֹת et לַנְפִּל Nb 5, 22 peuvent se vocaliser en qal לִצְבּוֹת et לִנְפֹּל ; לַנְחֹת Ex 13, 21 doit se vocaliser en qal לִנְחֹת (remarque analogue pour le nifal § 51 b).

c Remarques sur les diverses formes.

Parfait. Au lieu de הִ׳ on a p. ex. הֶכְלַמְנוּם nous les avons confondus 1 S 25, 7, sans raison bien apparente. On a הֶ׳ plusieurs fois dans les verbes ל״ה, p. ex. הֶגְלָה (§ 79 q).

Futur. Dans quelques rares exemples l’ī long semble tomber dans la flexion, p. ex. וַיַּדְבְּקוּ 1 S 14, 22 ; il y a probablement lectio mixta (§ 16 g) donnant le choix entre le hifil et le qal. Comp. § 63 c.

Au pluriel fém. la finale est toujours ◌ֵ֫לְנָה (§ 29 d).

Impératif. Au lieu de הַקְטֵל on a, rarement, la graphie anormale הַקְטֵיל, p. ex. 2 R 8, 6 ; la vocalisation rare הַקְטִיל, p. ex. הוֹפִ֑יעַ Ps 94, 1, est peut-être fautive pour הַקְטֵיל.

Inf. cst. Au lieu de הַקְטִיל on a quelquefois הִקְטִיל, p. ex. Nb 21, 35 הִשְׁאִיר ; Dt 7, 24 הִשְׁמִֽדְךָ (cf. 28, 48 ; Jos 11, 14 et opp. Jos 23, 15 ; 11, 20 etc.) ; mais cet i est suspect[2].

L’infinitif construit a la finale araméenne dans Éz 24, 26 לְהַשְׁמָעוּת (§ 88 M j).

Au lieu de הַקְטִיל on a rarement הַקְטֵל, p. ex. Dt 32, 8, d’où, avec a dans la flexion הַזְכַּרְכֶם Éz 21, 29.

Inf. abs. Au lieu de הַקְטֵל on a assez souvent la graphie הַקְטֵיל. Cette graphie ferait penser que l’ était long ou tendait à le devenir.

Participe. Pour la flexion, cf. § 50 g.

d Sens. Le sens fondamental est celui du causatif, p. ex. הוֹצִיא faire sortir (יָצָא sortir) ; הֶֽאֱכִיל faire manger, donner à manger, nourrir, (אָכַל manger) ; הִפִּיל faire tomber (נָפַל tomber) ; הֶרְאָה faire voir, montrer (רָאָה voir) ; הֵמַר rendre amer (מַר amer et il est amer). Mais faire faire telle action, au sens d’ordonner de faire ne s’exprime pas ; הִקְטִיל ne doit donc pas se traduire il a ordonné de tuer. Pour cette idée on dirait simplement קָטַל. Ainsi on a le qal בָּנָה bâtir pour faire bâtir, הָרַג tuer pour faire tuer, עָשָׂה faire, pour faire faire (tous ces verbes sans forme causative) ; de même le hifil הִכָּה frapper s’emploie aussi pour faire frapper, Dt 25, 2.

Assez souvent le sens est causatif intransitif, à savoir quand l’action reste dans le sujet, p. ex. הִשְׁמִין devenir gras ; הֶֽאֱדִים devenir rouge ; הֶחְשִׁיךְ devenir sombre ; הֶֽאֱריךְ se prolonger ; הֶֽחֱרִישׁ se taire ; הִשְׁקִיט se tenir tranquille.

Parfois ce qui est produit est une manière d’agir (hifil adverbial), p. ex. הֵיטִיב agir bien ; הִשְׁחִית agir mal (de même שִׁחֵת § 52 d) ; הֵרַע agir méchamment ; הִשְׂכִּיל agir prudemment ; הִסְכִּיל agir follement (cf. § 124 n) ; הִרְבָּה faire beaucoup (§ 141 h) ; הִמְעִיט faire peu.

Au sens causatif se rattache le sens déclaratif-estimatif, p. ex. הִצְדִּיק déclarer juste ; הִרְשִׁיעַ déclarer coupable ; הֵקַל mépriser (estimer qn. léger), הֶֽעֱרִיץ* redouter (estimer qn. fort).

Un sens assez particulier est celui de consentir à la chose exprimée par la racine, p. ex. הִשְׁאִיל consentir à une demande, se laisser demander qc.[3], d’où prêter (שָׁאַל demander, emprunter). Aux qal emprunter לָוָה, עָבַט correspondent les hifil prêter הֶלְוָה*, הֶֽעֱבִיט*.

Dans de nombreux hifil dénominatifs le nom d’où dérive la forme verbale est objet ou effet de l’action, p. ex. הִשְׁרִישׁ pousser des racines (de שֹׁ֫רֶשׁ ; au contraire שֵׁרֵשׁ = déraciner § 52 d) ; הקְרִין recevoir, avoir des cornes (קֶ֫רֶן) ; הִפְרִיס avoir le sabot fendu (פַּרְסָה) ; הִמְטִיר produire de la pluie, faire pleuvoir (מָטָר) et הִגְשִׁיםf. (גֶּ֫שֶׁם). Il y a quelques hifil dénominatifs de noms de temps ou de lieu, p. ex. הֶֽעֱרִיב* faire qc. le soir (עֶ֫רֶב) ; הֵימִין aller à droite (יָמִין côté droit) ; הִשְׂמִאיל aller à gauche (שְֹמֹאל côté gauche ; quadrilittère, § 60).

e Le sens intransitif de certains hifil peut paraître étrange. Parfois ce sens provient de l’ellipse de l’objet, p. ex. הִקְשִׁיב écouter, c.-à-d. incliner (l’oreille) ; הֵשִׁיב répondre, c.-à-d. faire retourner (la parole דָּבָר). La même explication peut valoir pour certains hifil adverbiaux, p. ex. הֵיטִיב faire bonne (l’action מַֽעֲלָל) = agir bien ; הִשְׁחִית faire mauvaise (l’action עֲלִילָה) = agir mal (§ d).

f Dans d’autres cas, où le sens n’est pas celui d’un hifil mais d’un qal, il peut y avoir hifil secondaire ou pseudo-hifil. En effet, dans le cas notamment des verbes à futur qal en i, la forme, qui ressemblait à un hifil, a pu facilement passer à la forme hifil. Il y a probablement pseudo-hifil dans les verbes suivants : קִיא vomir (§ 81 c), קִיץ s’éveiller (§ 76 d), רִיב disputer, שִׂים mettre ; בדל et פרד séparer ; טָמַן cacher, יָסַף ajouter (§ 75 f), יָרָה jeter (§ 75 f), ישׁע sauver, כלם injurier, נדח repousser, נָחָה conduire, נצב placer, סתר cacher, קהל rassembler, רנן pousser des cris de joie, שׁקה abreuver.

  1. Peut-être cet affaiblissement a-t-il commencé dans des formes comme *haqtaltém, loin du ton. Le pataḥ se trouve conservé dans וְהַרְאֵיתִ֫י Nah 3, 5. — Pour הֶ׳ cf. § c.
  2. S’il était authentique, il faudrait l’expliquer comme un affaiblissement de a. On a toujours (7 fois) עַד־בִּלְתִּי הִשְׁאִיר־ (avec maqqef ; l’a, loin du ton, a pu facilement s’affaiblir ; l’i a pu aussi être favorisé par la sifflante et par les i voisins) Nb 21, 35 ; Dt 3, 3 ; Jos 8, 22 ; 10, 33 ; 11, 8 ; 2 R 10, 11 † — Quelques grammairiens voient, à tort, dans ces formes, des parfaits 3e p. Cf. König, 1, pp. 212, 276 ; 3 (Syntax) §§ 385 l, 401 v, Driver, in Deut. 3, 3 ; 7, 24.
  3. Comparer le nifal tolerativum § 51 c.