Grammaire de l’hébreu biblique/Syntaxe/Nom/Paragraphe 141

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 434-438).
§ 141. Adjectif. Comparatif et superlatif.

a Les adjectifs sont relativement rares en hébreu. Même quand tel adjectif existe on trouve parfois l’idée adjectivale exprimée autrement. On emploie souvent un génitif exprimant une qualité (§ 129 f 1), p. ex. זֶ֫רַע הַמְּלוּכָה 2 R 25, 25 etc. la race royale (de royauté) ; זֶ֫רַע הַמַּמְלָכָה 2 R 11, 1 ; כִּסֵּא המּמלכה et כּסּא המּלוּכה le trône royal[1] ; parfois un nom concret, p. ex. 2 R 11, 5 בֵּית הַמֶּ֫לֶךְ la maison royale = le palais royal (ici du roi est impossible, s’agissant de la reine Athalie). L’idée adjectivale avec le verbe être se trouve dans les verbes statifs tels que קָטֹ֫נְתִּי je suis petit Gn 32, 11. Certaines locutions composées d’une préposition et d’un nom équivalent à des adjectifs : Ps 136, 1 כִּי לְעוֹלָם חַסְדּוֹ car sa bonté est éternelle ; Job 1, 15 אֲנִי לְבַדִּי moi seul ; Dt 21, 14 לְנַפְשָׁהּ libre ; Is 27, 1 הַתַּנִּין אֲשֶׁר בַּיָּם le Dragon marin (cf. § 130 f). — Un substantif en fonction de prédicat équivaut parfois à un adjectif : 1 R 2, 13 הֲשָׁלוֹם בֹּאֶ֑ךָ (cf. v. 14) ta visite est-elle pacifique[2] ?

b La place de l’adjectif est normalement après le nom, dont il est apposition : Gn 21, 8 מִשְׁתֶּה גָדוֹל un grand festin ; après un groupe génitival : 2 R 4, 9 אִישׁ אֱלֹהִים קָדוֹשׁ un saint homme de Dieu.

Il n’y a d’exception certaine que pour le pluriel רַבִּים, רַבּוֹת au sens de beaucoup (non au sens de grand) qui précède quelquefois le nom : Jér 16, 16 b רַבִּים צַיָּדִים beaucoup de chasseurs (opp. 16 a דַיָּגִים רַבִּים beaucoup de pêcheurs) ; Pr 7, 26 ; 31, 29 ; Néh 9, 28 ; 1 Ch 28, 5[3]. — Au sing. Is 21, 7.

c Remarque. Un adjectif ne peut pas normalement affecter directement un nom propre. Ainsi la grande Ninive se dira נִינְוֵה הָעִיר הַגְּדוֹלָה Jon 1, 2.

d L’adjectif est très rarement construit sur un substantif indéterminé : 1 S 17, 40 חֲמִשָּׁה חַלֻּקֵי אֲבָנִים littéralement cinq lisses de pierres = cinq pierres très lisses (avec nuance superlative)[4] ; Nb 17, 3 רִקֻּעֵי פַחִים plaques très minces (étendues par le martelage) ; Is 35, 9 (⸮) פְּרִיץ חַיּוֹת une bête féroce ; Éz 7, 24 רָעֵי גוֹיִם des nations très méchantes ; Is 29, 19 אֶבְיוֹנֵי אָדָם les plus pauvres hommes.

e Au contraire l’adjectif construit sur un substantif déterminé est usuel : c’est une manière d’exprimer le superlatif : 2 Ch 21, 17 קְטֹן בָּנָיו le (plus) jeune de ses fils (cf. § j).

f L’adjectif, comme génitif d’un nom, est très rare : Is 22, 24 כֹּל כְּלֵי הַקָּטָן tous les (plus ?) petits vases ; Is 28, 4 (⸮) צִיצַת נֹבֵל fleur flétrie (bien étrange : fém. construit sur adj. au masc. ; opp. v. 1). Dans Ps 78, 49 מַלְאֲכֵי רָעִים anges de malheur, רעים est probablement le pluriel (par entraînement grammatical § 136 o) du subst. רַע.

Comparer la construction du type יוֹם הַשְּׁבִיעִי § 138 b.

g Comparatif. L’hébreu est extrêmement simpliste pour l’idée du comparatif. Non seulement il manque de forme comparative ou élative (comme fr. meilleur, moindre), mais il ne possède même pas les adverbes comparatifs à sens général plus[5], moins[6]. Quand la phrase comporte un seul membre exprimé il faut donc se contenter de la forme adjectivale [ou verbale[7]], sans plus : Nb 26, 54 לָרַב תַּרְבֶּה נַֽחֲלָתוֹ Au (plus) nombreux tu feras (plus) grande sa part ; 54 ab ; 35, 8 ; — avec טוֹב : Jug 9, 2 Lequel vaut mieux pour vous ? ; 2 S 14, 32 Il me serait meilleur d’être encore là-bas ; 18, 3 ; Ruth 2, 22 ; — avec גָּדוֹל : 1 R 18, 27 Criez plus fort (§ 102 g).

Quand la phrase comporte deux membres, le second est précédé de מִן qui exprime en soi l’idée de différence[8], mais pratiquement, et d’après l’usage, la différence en plus[9] : 1 S 9, 2 גָּבֹהַּ מִכָּל־הָעָם plus grand que tout le peuple (grand autrement que, à la différence de) ; avec infinitif : Gn 29, 19 טוֹב תִּתִּי אֹתָהּ לָ֔ךְ מִתִּתִּי אֹתָהּ לְאִישׁ אַחֵר il vaut mieux que je la donne à toi qu’à un autre homme ; Ex 14, 12[10].

h Remarque. La même construction avec מִן s’emploie avec les verbes statifs, qui contiennent une idée adjectivale : 1 S 10, 23 וַיִּגְבַּהּ מִכָּל־הָעָם et il se trouva être plus grand que tout le peuple (comparer 9, 2 גָּבֹהַּ, § g) ; Gn 43, 34 וַתֵּ֫רֶב מִן et elle fut plus grande que.

On a la même construction avec de nombreux verbes (statifs ou actifs) exprimant une action, mais dans lesquels il y a virtuellement une idée adjectivale, p. ex. אָהַב aimer Gn 29, 30 ; חָפֵצ aimer Os 6, 6 ; כִּבֵּד honorer 1 S 2, 29.

Le verbe d’action בָּחַר choisir se construit aussi avec מִן[11] : Job 7, 15 (dans Dt 14, 2 מִן peut signifier plutôt que ou d’entre).

Quand il n’y a pas d’idée adjectivale, il faut recourir à une périphrase avec le verbe statif רָבָה être grand, nombreux, p. ex. la forêt en dévora plus que l’épée se dit 2 S 18, 8 וַיֶּ֫רֶב הַיַּ֫עַר לֶֽאֱכֹל … מֵֽאֲשֶׁר אָֽכְלָה הַחֶ֫רֶב (hifil adverbial הִרְבָּה faire beaucoup § 54 d ; multum fecit comedendo = comedit multum)[12] ; Ex 36, 5 Le peuple apporte plus que n’en comporte l’ouvrage[13].

i Comparaison elliptique : trop pour. Une phrase telle que הוּא כָבֵד מִמֶּ֫נִּי il est plus lourd que moi peut signifier aussi il est trop lourd pour moi. Au lieu de porter sur deux objets, la comparaison peut être instituée entre un objet et ce que peut un autre objet, p. ex. il est plus lourd que [ce que] je [puis porter], d’où équivoque possible, p. ex. Gn 26, 16 עָצַ֫מְתָּ מִמֶּ֫נּוּ מְאֹד tu es beaucoup trop puissant pour nous (plutôt que : plus puissant) ; Ruth 1, 13 מַר־לִי מְאֹד מִכֶּם je suis beaucoup trop malheureuse pour vous ; Ex 18, 18 כִּי־כָבֵד מִמְּךָ הַדָּבָר car la chose est trop lourde pour toi (cf. Nb 11, 14 ; Ps 38, 5) ; après un hifil exprimant une idée adjectivale : Ps 139, 12 ח֫שֶׁךְ לֹא־יַֽחֲשִׁיךְ מִמֶּ֫ךָּ les ténèbres ne sont pas (trop) obscures pour toi. De même avec un infinitif exprimant l’action que ne peut pas faire le sujet : Gn 36, 7 כִּי הָיָה רְכוּשָׁם רָב מִשֶּׁ֫בֶת יַחְדָּו car leurs possessions étaient trop nombreuses pour qu’ils pussent habiter ensemble ; 4, 13. Avec מְעַט peu on a Is 7, 13 מְעַט מִכֶּם trop peu pour vous ; mais רַב לָכֶם מִן c’est trop pour vous (avec inf. 1 R 12, 28, ou subst. Éz 44, 6) ne semble pas formé logiquement (de même נָקֵל … מֵֽעֲשׂוֹת chose trop peu importante… de faire Éz 8, 17).

j Superlatif. Pour le superlatif relatif on emploie l’adjectif déterminé par l’article, par un nom déterminé, ou par un suffixe : 1 S 30, 19 מִן־הַקָּטֹן וְעַד־הַגָּדוֹל depuis le (plus) petit jusqu’au (plus) grand ; 1 R 18, 25 אַתֶּם הָֽרַבִּים c’est vous qui êtes les (plus) nombreux (§ 137 l 2) ; 2 Ch 21, 17 קְטֹן בָּנָיו le (plus) jeune de ses fils ; Jon 3, 5 מִגְּדוֹלָם וְעַד־קְטַנָּם du (plus) grand d’entre eux jusqu’au (plus) petit. Il y a encore nuance superlative dans des cas comme les suivants (avec l’article de l’adjectif) : Ct 1, 8 הַיָּפָה בַּנָּשִׁים ô la (plus) belle parmi les femmes[14] ; 2 R 10, 3 ; Dt 28, 54 הָאִישׁ הָרַךְ בְּךָ l’homme le (plus) délicat parmi vous[15] ; 1 S 8, 14 זֵיתֵיכֶם הַטּוֹבִים vos meilleurs oliviers ; 2 S 7, 9 הַגְּדֹלִים אֲשֶׁר בָּאָ֫רֶץ ; 2 R 3, 19 tous les meilleurs champs.

k Le superlatif absolu est exprimé par l’adjectif suivi de מְאֹד : Gn 1, 31 טוֹב מְאֹד très bon.

Une locution comme רַב־חֶ֫סֶד grand de bonté Ex 34, 6 équivaut à très bon. — Voir encore § d.

l Un groupe de deux substantifs, dont le premier est construit sur le même substantif au pluriel, exprime une idée superlative : Ex 26, 33 קֹ֫דֶשׁ הַקֳּדָשִׁים le Saint des saints (la chose la plus sainte) ; Ct 1, 1 שִׁיר הַשִּׁירִים le Cantique des cantiques, le Cantique (par excellence) ; Gn 9, 25 ; Nb 3, 32 ; Dt 10, 17 ; 1 R 8, 27 ; Jér 3, 19 ; Éz 16, 7 ; 26, 7.

m De même un groupe génitival de deux substantifs synonymes ou de sens voisins peut exprimer parfois une nuance superlative : Jon 2, 9 הַבְלֵי שָׁוְא vanités de néant ; Ps 43, 4 שִׂמְחַת גִּילִי joie de mon allégresse (= ma joie débordante) ; Is 2, 10 הֲדַר גְּאֹנוֹ la gloire de sa majesté.

Pour l’accord de l’adjectif avec le nom voir § 148.

  1. Il n’existe pas d’adjectif de racine מלך.
  2. Il n’existe pas d’adjectif pour pacifique.
  3. On peut penser à une influence de מְעַט peu, כֹּל tout, qui, étant substantifs, précèdent le nom. Peut-être aussi y a-t-il influence de l’araméen.
  4. אֶ֫בֶן traité comme masculin ici seulement (cf. § 134 k).
  5. En néo-hébreu יוֹתֵר, qu’on trouve seulement dans l’Ecclésiaste, par exemple 12, 12.
  6. En néo-hébreu פָּחוּת.
  7. P. ex. Ex 17, 11 גָּבַר être le (plus) fort ; Is 28, 22 יֶֽחְזְקוּ.
  8. Cf. P. Joüon, Le Cantique des Cantiques, in 5, 9.
  9. L’idée de différence de מִן provient de l’idée de séparation et d’éloignement, § 133 e. — L’idée de différence aboutit également à l’idée de plus dans le fr. autrement : « C’est bien autrement difficile » = « bien plus » ; « Je n’en suis pas autrement étonné » = « pas plus qu’il ne faut », familièrement « pas plus que ça ».
  10. Cf. Marc 9, 43 καλόν ἐστίν σε κυλλὸν εἰσελθεῖν εἰς τὴν ζωήν, ἢ…
  11. Le sens même du verbe implique l’idée de plutôt.
  12. Ici on pourrait recourir à un tour avec רַבִּים comme dans Jos 10, 11.
  13. Pour moins on dirait symétriquement par ex. הִמְעִיט לֶֽאֱכֹל, mais pas d’exemple dans nos textes ; comp. 2 R 4, 3 תַּמְעִ֫יטִי, avec לִשְׁאֹל sous-entendu.
  14. Comparer l’hébraïsme de Luc 1, 42 εὐλογημένη σὺ ἐν γυναιξίν « benedicta tu inter mulieres ». — Semblablement avec בְּתוֹךְ Éz 29, 12 « terre désolée entre les terres désolées », « désolée entre toutes » ; 30, 7.
  15. Littért en toi. Le pronom singulier toi est ici employé avec valeur collective. Comparer Agg 2, 3 (cité § 144 a) où מי est employé au sens collectif.