Grammaire de l’hébreu biblique/Syntaxe/Les cas/Paragraphe 130

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 394-396).
§ 130. Génitif remplacé par ל.

a La manière ordinaire d’exprimer le rapport génitival (fr. de) est de construire le premier nom sur le second (§ 129). Mais souvent cette construction est évitée par raison de nécessité ou même de simple convenance ; à la place on emploie ל à (dans certains cas אֲשֶׁר ל § c)[1]. Le passage du sens à au sens de apparaît dans des cas comme 1 S 14, 16 הַצֹּפִים לְשָׁאוּל בְּגִבְעַת׳ les sentinelles qu’avait Saül à Gabaa (presque : les sent. de S.). L’équivalence pratique du génitif et du ל se montre dans des cas comme Jér 29, 11 מַחְשְׁבוֹת שָׁלוֹם וְלֹא לְרָעָה desseins de bonheur et non de malheur ; Dt 28, 50 לֹא־יִשָּׂא פָנִים לְזָקֵן il n’aura pas égard au vieillard comparé à Lév 19, 15 לֹא־תִשָּׂא פְנֵי דָ֔ל[2]. Le rapport génitival s’exprime par ל dans les cas suivants :

b Le génitif est normalement évité et remplacé par ל quand, le second nom étant déterminé, le premier est logiquement indéterminé[3]. Ainsi un fils d’Isaï doit normalement s’exprimer par בֵּן לְיִשַׁי 1 S 16, 18 ; encore devant nom propre (toujours déterminé § 137 b) : Gn 14, 18 ; 36, 12 ; Nb 22, 4 ; 36, 7. Un prophète de Jéhovah est toujours נָבִיא לַֽיהֹוָה (1 R 18, 22 ; 22, 7 ; 2 R 3, 11 ; 2 Ch 18, 6 ; 28, 9 †. La forme *נְבִיא ne se trouve pas).

Pour psaume de David (indéterminé) on dit מִזְמוֹר לְדָוִד (ל auctoris) Ps 3, 1 etc. De même avec un groupe génitival déterminé : 2 S 19, 21 בָּ֫אתִי רִאשׁוֹן לְכָל־בֵּית יוֹסֵף je suis venu (le) premier de toute la maison de Joseph (רִאשׁוֹן prédicatif indéterminé § 126 a) ; Gn 41, 12. De même devant un nom avec suffixe (toujours déterminé) : Ex 20, 5 (pour conserver l’indétermination de רִבֵּעִים, à l’analogie des noms précédents ; de même v. 6).

c On emploie aussi le ל pour ne pas altérer certaines expressions à construction génitivale : 1 R 14, 19 סֵ֫פֶר דִּבְרֵי הַיָּמִים לְמַלְכֵי יִשְׂרָאֵל le livre des Chroniques des rois d’Israël. (Les mots דברי היּמים forment un groupe compact ; de plus le ל permet d’éviter une suite de 4 génitifs) ; Jos 19, 51 ; 2 R 5, 9 ; 11, 4.

d Tel est en particulier le cas dans les dates : Esd 1, 1 בִּשְׁנַת אַחַת לְכ֫וֹרֶשׁ en l’an 1 de Cyrus ; Agg 1, 1 בִּשְׁנַת שְׁתַּ֫יִם לְדָֽרְיָ֫וֶשׁ ; 1 R 15, 28 בִּשְׁנַת שָׁלשׁ לְאָסָא (cf. § 142 o) ; Agg 1, 1 בְּיוֹם אֶחָד לַחֹ֫דֶשׁ. Comparer avec adjectif : 2 Ch 29, 3 בַּשָּׁנָה הָרִאשׁוֹנָה לְמָלְכוֹ en la 1re année de son règne ; 1 R 3, 18 בַּיּוֹם הַשְּׁלִישִׁי לְלִדְתִּי le 3e jour (= après) mon enfantement.

e Au lieu de ל on peut avoir אֲשֶׁר ל qui (est) à, lequel s’emploie dans certains cas pour plus de précision ou d’emphase : 1 R 1, 33 הַפִּרְדָּה אשׁר־לִי ma mule (ma propre m.) ; ou pour ne pas altérer une expression à construction génitivale (cf. § c) : Ct 1, 1 שִׁיר הַשִּׁירִים אשׁר לִשְׁלֹמֹה le Cantique des cantiques, de Salomon ; 1 S 21, 8 ; 2 S 2, 8. Après un nom avec l’article on a assez souvent אשׁר ל sans raison bien apparente[4] : Gn 29, 9 הַצֹּאן אשׁר לְאָבִ֫יהָ le troupeau de son père ; 31, 19 ; 47, 4 ; 1 S 20, 40 הַנַּ֫עַר אשׁר־לוֹ son serviteur ; encore avec pronom : 25, 7 ; 2 S 14, 31 ; 1 R 4, 2 ; Ruth 2, 21.

f Remarque. De אֲשֶׁר ל on peut rapprocher אֲשֶׁר בּ qui équivaut parfois à un génitif local : 1 R 18, 38 הַמַּ֫יִם אשׁר בַּתְּעָלָה l’eau du canal ; 2 R 5, 3 הַנָּבִיא אשׁר בְּשֹֽׁמְרוֹן ; 6, 12 הנּביא אשׁר בְּיִשְׂרָאֵל ; 1 R 13, 32 הַמִּזְבֵּחַ אשׁר בְּבֵית־אֵל l’autel de Béthel (v. 4 sans אשׁר) ; 2 R 10, 29. Pour cèdre du Liban on ne trouve pas le génitif, mais הָאֶ֫רֶז אֲשֶׁר בַּלְּבָנוֹן (2 R 14, 9 = 2 Ch 25, 18, où même construction pour chardon du Liban, bête sauvage du Liban) ; 1 R 5, 13 † ; ou, avec בּ seul, ארז בַּלְּבָנוֹן Éz 31, 3 ; Ps 92, 13 †. Pour les îles de la mer, à côté de אִיֵּי הַיָּם Is 11, 11 ; 24, 15 ; Esth 10, 1 † on a une fois הָֽאִיִּים אֲשֶׁר בַּיָּם Éz 26, 18 †.

g Du ל équivalent du génitif, attribut du nom précédent (§ a), il faut rapprocher certain emploi du ל se rapportant au verbe pour indiquer à qui se rapporte l’action. Dans ce cas le ל avec son nom (ou pronom) n’équivaut pas à un génitif, puisqu’il ne se rapporte pas au nom mais au verbe ; cependant, pratiquement, la construction exprime d’une façon indirecte le rapport génitival de possession[5]. Exemples : Gn 17, 12 יִמּוֹל לָכֶם כָּל־זָכָר « sera circoncis à vous tout mâle » = tous vos mâles seront circoncis (v. 10 ; 34, 15, 22 ; Ex 12, 48) ; Dt 23, 3 (vv. 4, 9) גַּם דּוֹר עֲשִׂירִי לֹא יָבֹא לוֹ etiam generatio decima non ingredietur ei = même sa 10e gén. n’entrera pas ; Jér 13, 13 הַמְּלָכִים הַיּשְׁבִים לְדָוִד עַל כִּסְאוֹ reges sedentes Davidi super thronum ejus[6] = les rois [de la maison de] David qui siègent sur son trône (22, 4) ; Gn 50, 23 ; Dt 22, 14 ; 1 S 2, 33 ; 9, 3, 20 ; 11, 2 ; 25, 34 ; 1 R 2, 4 ; 14, 10, 13 ; 2 R 10, 30 ; Is 26, 14 ; 33, 14 ; Jér 48, 35 ; Am 9, 1 ; Ps 128, 6 ; 132, 12 ; Lam 1, 10.

  1. Comp. dans le langage populaire : la maison à Jean au sens de la maison de Jean. Sur la substitution du datif au génitif en latin parlé, voir Brunot, Hist. de la langue française, t. 1, 91 : fuit abbas monasterio nostro (C. I. L., XII, 944, VIe s.) ; a deo honorem (Le Blant, N. R., 323. Cf. dans les Serments de Strasbourg : pro deo amur). Cf. Bourciez, Linguistique romane § 228.
  2. Dans Éz 20, 6 צְבִי הִיא לְכָל־הָֽאֲרָצוֹת équivaut à צבי כל־הארצות היא : la place donnée à היא a amené la résolution du génitif en ל.
  3. En effet la détermination du nomen rectum entraîne normalement la détermination du nomen regens (§ 139 a) ; ainsi בֶּן־יִשַׁי signifie normalement le fils d’Isaï.
  4. Cette construction exprime donc séparément la détermination et le rapport de possession, comme si l’écrivain pensait d’abord à l’une, puis à l’autre. Le simple ל dans ce cas n’est pas usuel.
  5. On peut comparer en italien la construction fréquente du type : gli è morta la madre, dans laquelle l’intérêt porte sur lui, tandis que dans la construction : è morta la sua madre, l’intérêt porte sur la mère.
  6. Cornill traduit littéralement : die Könige, welche dem D. auf seinem Throne sitzen ; de même Giesebrecht.