Grammaire de l’hébreu biblique/Syntaxe/Les cas/Paragraphe 131
a L’apposition est la simple juxtaposition d’un nom à un nom précédent. Tandis que le nom au génitif ou à l’accusatif attributif est subordonné au nom précédent, le nom en apposition est coordonné au premier nom ; il est donc au même cas que lui. Généralement aussi il concorde avec lui pour la détermination ou l’indétermination. — L’apposition est employée en hébreu d’une façon beaucoup plus large que dans nos langues. Cela tient à ce que l’hébreu peut employer très largement la proposition nominale avec un substantif comme prédicat (§ 154 e).
Ainsi, comme on peut dire הַמִּזְבֵּחַ עֵץ l’autel (est) bois (cf. Éz 41, 22)[1], on peut dire aussi *הַמִּזְבֵּחַ הָעֵץ l’autel (de) bois (cf. § d). En principe, deux noms qui peuvent être sujet et prédicat d’une proposition nominale peuvent devenir premier nom et nom apposé[2].
L’hébreu ayant perdu les désinences casuelles, il peut se faire qu’un nom qui semble en apposition, et même qui est senti comme tel, soit originairement un accusatif attributif (§ 127)[3]. L’analogie de l’arabe classique peut éclairer dans certains cas ; mais parfois l’arabe permet plusieurs constructions : apposition, génitif, accusatif. En fait, bon nombre d’exemples restent douteux (cf. § 127 d).
b Principaux cas d’apposition :
1) Le nom d’espèce en apposition au genre : Dt 22, 23 נַֽעֲרָה בְתוּלָה une jeune fille vierge ; 2 R 9, 4 (avec l’article) הַנַּ֫עַר הַנָּבִיא le jeune homme prophète. Les mots אִישׁ homme, אִשָּׁה femme ont souvent comme apposition un substantif ou un nom substantivé : Ex 2, 14 אִישׁ שַׂר וְשֹׁפֵט (homme) prince et juge ; Lév 21, 9 אִישׁ כֹּהֵן prêtre ; Jér 38, 7 אִישׁ סָרִיס eunuque ; 2 S 14, 5 אִשָּׁה אַלְמָנָה veuve (1 R 7, 14 ; 11, 26 ; 17, 9, 10) ; 2 S 15, 16 נָשִׁים פִּֽלַגְשִׁים concubines ; 1 R 3, 16 שְׁתֵּי נָשִׁים זֹנוֹת deux prostituées.
c 2) Le nom (concret ou abstrait) exprimant une qualité de la chose (rare) ; 1 S 2, 13 הַמַּזְלֵג שְׁלשׁ הַשִּׁנַּ֫יִם la fourche (aux) trois dents (remarquer la détermination) ; Ex 30, 23 בְּשָׂמִים רֹאשׁ parfums (de) 1re qualité ; Pr 22, 21 אֲמָרִים אֱמֶת paroles (de) vérité (mais étrange après la construction usuelle אִמְרֵי אֱמֶת ; cf. § 129 f) ; Ps 68, 17 הָרִים גַּבְנֻנִּים montagnes (qui sont des) cônes (? étrange après הַר גּ׳ v. 16) ; 120, 2 לָשׁוֹן רְמִיָּה langue (de) fausseté (étrange après שְׂפַת שֶׁ֫קֶר) ; Zach 1, 13 דְּבָרִים נִחֻמִים paroles (de) consolations (étrange après la constr. avec adjectif דְּבָרִים טוֹבִים).
d 3) Le nom de matière (rare) : 2 R 16, 14 הַמִּזְבֵּחַ הַנְּח֫שֶׁת l’autel d’airain (à lire ainsi, au lieu de הַמִּזְבַּח׳ ; cf. Éz 41, 22, § a) ; Ex 39, 17 הָֽעֲבֹתֹת הַזָּהָב les cordons d’or (mais le Samaritain a le cst. עבתת, ce qui donne la construction ordinaire avec le génitif § 129 b).
e 4) Le nom de la chose mesurée (douteux) : Gn 18, 6 (cf. § 127 d) ; Gn 41, 1 שְׁנָתַ֫יִם יָמִים deux années pleines (en jours) (pour l’acc. on aurait plutôt le sing. יוֹם, § 127 d).
f 5) Le nom du nombre (ou équivalent) : dans le type בָּנִים שְׁלשָׁה des fils (au nombre de) trois = trois fils (§ 142 d) ; Nb 9, 20 יָמִים מִסְפָּר des jours (en petit) nombre (comp. Dt 33, 6 מספר prédicat d’une prop. nominale ; mais généralement avec gén., p. ex. מְתֵי מִסְפָּר Gn 34, 30 etc.).
g 6) Le nom de la chose nombrée : dans le type שְׁלשָׁה בָנִים trois fils (§ 142 d, e) ; opp. avec l’acc. sing. אַחַד עָשָׂר יוֹם § 127 b.
h 7) Le nom propre en apposition à la chose (rare et douteux ; ordinairement on a le génitif, § 129 f) : 1 Ch 5, 9 הַנָּהָר פְּרָת fleuve Euphrate (mais פּ׳ peut être une explication) ; Gn 14, 6 ; Nb 34, 2 ; Esd 9, 1.
i 8) Le nom propre de personne en apposition à un nom de parenté, de groupe etc. : אָחִיו הֶ֫בֶל son frère Abel[4].
Remarque. Une préposition, ainsi que la particule אֵת de l’accusatif, se répète généralement : Gn 32, 19 לְעַבְדְּךָ לְיַֽעֲקֹב à ton serviteur Jacob ; 2 S 7, 8 עַל־עַמִּי עַל־יִשְׂרָאֵל[5] ; Gn 4, 2 אֶת־אָחִיו אֶת־הֶ֫בֶל ; 23, 7 לְעַם־הָאָ֫רֶץ לִבְנֵי־חֵת (cf. § 132 g). De même on répète le nomen regens : Gn 19, 4 אַנְשֵׁי הָעִיר אַנְשֵׁי סְדֹם les hommes de la ville de S. ; 32, 12 מִיַּד אָחִי מִיַּד עֵשָׂו de la main de mon frère Esaü.
j 9) Le nom de parenté etc. en apposition à un nom propre : Gn 4, 8 אֶל־הֶ֫בֶל אָחִיו à Abel son frère. Cette construction est moins fréquente que la précédente [6].
k 10) Le nom d’office, métier, dignité, en apposition à un nom propre : Ex 31, 10 לְאַֽהֲרֹן הַכֹּהֵן à Aaron le prêtre ; 1 S 22, 5 גָּד הַנָּבִיא ; 1 R 2, 17 לִשְׁלֹמֹה הַמֶּ֫לֶךְ. Le mot מֶ֫לֶךְ roi, suivi d’un nom de pays ou de peuple, vient naturellement après le nom propre de personne : Gn 14, 1 אַמְרָפֶל מלך שִׁנְעָר. On dit aussi avec הַמֶּ֫לֶךְ en tête המּלךְ שְׁלֹמֹה 1 R 2, 19 (opp. v. 17) ; Is 39, 3 ; 2 Ch 22, 11 ; Esth 1, 12 הַמַּלְכָּה וַשְׁתִּי (opp. v. 11 וַשְׁתִּי המּ׳) ; 1 R 1, 43 אֲדֹנֵ֫ינוּ המּלך־דָּוִד ; dans ce cas המּלך est le mot principal du groupe[7].
l 11) Le mot כֹּל totalité en apposition à la chose : 2 S 2, 9 יִשְׂרָאֵל כֻּלֹּה Israël sa totalité = tout Israël ; Éz 29, 2 מִצְרַ֫יִם כֻּלָּהּ ; souvent dans Ézéchiel, p. ex. 11, 15 ; 14, 5 ; 20, 40 etc.
m Apposition lâche. L’apposition est employée parfois d’une façon lâche qui relève plutôt de la stylistique. Ainsi avec un nom de nombre : 2 R 14, 7 הוּא הִכָּה אֶת־אֱדוֹם בְּגֵי־מֶ֫לַח עֲשֶׂ֫רֶת אֲלָפִים c’est lui qui battit Édom dans la vallée du Sel : 10 000 (hommes) ; v. 13 Il fit une brèche dans les murs de Jérusalem… : 400 coudées ; 2 S 10, 6 Ils soudoyèrent Aram Beth Reḥob et Aram Ṣoba : 10 000 hommes de pied, le roi de Maʿka : 1000 hommes… etc. — Il y a encore apposition lâche dans la phrase Dt 3, 5 עָרִים בְּצֻרוֹת חוֹמָה גְבֹהָה דְּלָתַ֫יִם וּבְרִיחַ villes fortes : haute muraille, portes et verrous (cp. 1 R 4, 13 ; 2 Ch 8, 5).
n Appendice : Apposition ou génitif après un nom propre. Un nom propre, en principe, ne peut être suivi d’un génitif. Cependant un nom propre de lieu qui garde sa valeur première d’appellatif se met à l’état cst. ; ainsi גִּבְעָה colline : גִּבְעַת שָׁאוּל 1 S 11, 4 etc., גִּבְעַת הָאֱלֹהִים 1 S 10, 5 ; מִצְפֶּה observatoire : מִצְפֵּה מוֹאָב 1 S 22, 3 ; רַבָּה capitale : רַבַּת בְּנֵי עַמּוֹן 2 S 12, 26. Même si la valeur d’appellatif n’apparaît plus, on a le génitif quand il y a plusieurs localités du même nom : ainsi avec אֲרָם ʾAram : אֲרַם נַֽהֲרַ֫יִם Gn 24, 10 ; אֲרַם צוֹבָא 2 S 10, 6 ; אוּר כַּשְׂדִּים Ur des Chaldéens Gn 11, 28. Dans certains cas la vocalisation semble indiquer l’état absolu : אָבֵל מִצְרַ֫יִם Gn 50, 11 ; אָבֵל מַ֫יִם 2 Ch 16, 4 ; אָבֵל בֵּית־מַֽעֲכָה 1 R 15, 20 ; — יָבֵ(י)שׁ גִּלְעָד[8]. L’état cst. (et le pataḥ § 96 D d) est étrange dans Am 6, 2 חֲמַת רַבָּה † Ḥamāt - Capitale[9]. Le cas d’Is 60, 14 est remarquable : צִיּוֹן קְדוֹשׁ יִשְׂרָאֵל Sion du Saint d’Israël.
o Dans le nom divin יְהֹוָה צְבָאוֹת, le premier nom étant un nom propre ne peut pas être construit sur le second. Il y a donc apposition[10] : Jéhovah (les) armées, ou si, comme il est probable, צבאוֹת a été senti comme un nom propre[11], Jéhovah Ṣeḇåʾọ̄ṯ. Ainsi s’explique le qeré אֲדֹנָי צבאוֹת Aḏonåi̯ Ṣ. ; ainsi s’explique aussi l’expression אֱלֹהִים צבאוֹת (Ps 59, 6 ; 80, 15, 20 ; 84, 9) où א׳ remplace יהוה.
Resterait à connaître l’origine de יהוה צבאוֹת. Généralement on suppose une ellipse pour יהוה אֱלֹהֵי צבאוֹת J. Dieu des armées qu’on a p. ex. 2 S 5, 10.
- ↑ Et par conséquent aussi עָשָׂה אֶת־הַמִּזְבֵּחַ עֵץ il fit l’autel (de) bois, § 125 v.
- ↑ Mais un nom apposé ne peut pas toujours être employé comme prédicat.
- ↑ C’est ainsi qu’en arabe vulgaire, où les cas n’existent plus, le singulier kitāb « livre » dans ʾarbaʿtaʿš kitāb « 14 livres » peut être senti comme une apposition, bien que ce soit originairement un accusatif de spécification : kitāban.
- ↑ Dans cette apposition explicative (ʿaṭf ʾul bayān des Arabes) le second nom est plus précis, plus déterminé que le premier.
- ↑ Mais 1 Ch 17, 7 (parall.) ne répète pas ; opposer encore 2 S 7, 10, à 1 Ch 17, 9, 21 (cf. Kropat, Syntax der Chronik, p. 43).
- ↑ C’est le permutatif (badl des Arabes) du tout pour le tout. Le second nom est moins précis que le premier ; la préposition ne se répète pas.
- ↑ Voir les textes réunis dans König, Syntax, § 333 x.
- ↑ La graphie ordinaire avec י a peut-être pour but d’assurer la prononciation du ẹ.
- ↑ Cf. Mélanges Beyrouth, 52, p. 420.
- ↑ Cf. Ehrlich, Randglossen in 1 S 1, 11.
- ↑ Cf. LXX Σαβαώθ, p. ex. Is 5, 9 (comp. Ép. Jac. 5, 4 εἰς τὰ ὦτα κυρίου σαβαώθ).