Grammaire de l’hébreu biblique/Syntaxe/Proposition/Paragraphe 154

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 466-472).
§ 154. Proposition nominale.

a Est proposition nominale toute proposition dont le prédicat est un nom ou l’équivalent d’un nom, par exemple un participe, une préposition avec son nom ou son pronom ; — ou, négativement, toute proposition dont le prédicat n’est pas un verbe (à l’exception toutefois de הָיָה au sens d’être, § m). La proposition nominale a en hébreu, comme dans les autres langues sémitiques, un emploi très étendu.

b Le sujet de la prop. nominale est généralement un nom ou un pronom (celui-ci parfois sous-entendu § c). De plus, le sujet peut être :

  1. 1) une préposition avec son nom (ou pronom) : 1 Ch 9, 28 מֵהֶם עַל־כְּלֵי הָֽעֲבֹדָה (une partie) d’entre eux (étaient préposés) aux ustensiles du culte (littt : de eis super vasa ministerii) ; Gn 44, 18 כָּמ֫וֹךָ כְּפַרְעֹה instar tui instar Pharaonis = toi et Pharaon, c’est tout un (cf. § 174 i).
  2. 2) un infinitif construit : Gn 2, 18 לֹא־טוֹב הֱיוֹת הָֽאָדָם לְבַדּוֹ il n’est pas bon que l’homme soit seul ; 1 S 18, 23 הַֽנְקַלָּה בְעֵינֵיכֶם הִתְחַתֵּן בַּמֶּ֫לֶךְ est-ce peu de chose à vos yeux de devenir gendre du roi ? (נְקַלָּה nifal partic. fém.). Souvent l’infinitif est précédé d’un ל explétif (cf. § 124 b).
  3. 3) rarement un infinitif absolu : Pr 25, 27. Cf. § 123 b.

c Remarque. Le pronom sujet est parfois omis dans une proposition participiale, notamment après הִנֵּה (§ 146 h) : Gn 24, 30 וְהִנֵּה עֹמֵד et voici qu’il se tenait debout ; encore après הִנֵּה : 37, 15 ; 38, 24 ; 41, 1 ; Ex 7, 15 ; 8, 16 ; 1 S 15, 12 ; Is 29, 8 ; — sans הִנֵּה : Gn 32, 7 וְגַם הֹלֵךְ et certes il marche ; Dt 33, 3 ; 1 S 20, 1 ; Is 33, 5 ; 40, 19 ; Ps 22, 29 ; 33, 5 ; 55, 20 ; Job 12, 17, 19 sqq. ; 25, 2 ; 26, 7. Dans tous ces exemples c’est le pronom de la 3e p. sg. m. הוּא qui est sous-entendu. Les exemples avec les autres pronoms sont assez rares : p. ex. הֵ֫מָּה Éz 8, 12 ; Néh 9, 3 ; — אָֽנֹכִי Hab 1, 5 ; Zach 9, 12.

En dehors de la proposition participiale : après הִנֵּה : Gn 42, 28 ; 1 S 10, 11 (cf. § 146 h) ; sans הִנֵּה : Ps 16, 8 כִּי מִֽימִינִי car (il est) à ma droite ; Job 9, 32. — Sur le participe sans sujet, au singulier ou au pluriel, pour exprimer l’idée de on, cf. § 155 f.

d Prédicat. Le prédicat de la proposition nominale est ordinairement un nom (substantif, adjectif, participe) : Gn 45, 3 אֲנִי יוֹסֵף je suis Joseph ; 2 S 14, 20 אֲדֹנִי חָכָם mon seigneur est sage ; Gn 2, 10 נָהָר יֹצֵא un fleuve sortait. Le prédicat peut être aussi :

  1. 1) un pronom : Jug 9, 28 מִי־אֲבִימֶ֫לֶךְ qui est Abimélech ?
  2. 2) une préposition avec son nom (ou pronom) : Ps 115, 5 פֶּה־לָהֶם ils ont bouche ; 112, 3 ע֫שֶׁר בְּבֵיתוֹ la richesse est dans sa maison.
  3. 3) un adverbe : Gn 9, 23 וּפְנֵיהֶם אֲחֹֽרַנִּית et leur visage était en sens inverse.
  4. 4) l’infinitif construit (précédé de ל), généralement avec הָיָה : Gn 15, 12 וַיְהִי הַשֶּׁ֫מֶשׁ לָבוֹא le soleil allait se coucher (§ 124 l) ; rarement sans היה : Jér 51, 49 ; Esth 7, 8 ; 2 Ch 11, 22 ; 12, 12.

e Remarques. I. Le prédicat nominal (substantival) s’emploie en hébreu d’une façon très large[1]. On trouve comme prédicat :

  1. 1) le nom de matière dont une chose est faite : Éz 41, 22 הַמִּזְבֵּחַ עֵץ l’autel (était de) bois (cf. § 131 a, d).
  2. 2) la chose contenue prédicat de l’objet contenant : Jér 24, 2 הַדּוּד אֶחָד תְּאֵנִים טֹבוֹת une des corbeilles (était pleine de) bonnes figues.
  3. 3) la mesure prédicat de la chose mesurée : Is 6, 3 מְלֹא כָל־הָאָ֫רֶץ כְּבוֹדוֹ littt : gloria ejus (est) plenitudo totius terrae[2].
  4. 4) le nom מִסְפָּר prédicat de la chose nombrée : Jér 2, 28 כִּי מִסְפַּר עָרֶ֫יךָ הָיוּ אֱלֹהֶ֫יךָ car tes dieux ont été (comme) le nombre de tes villes ; 1 S 6, 18.
  5. 5) le substantif exprimant une qualité abstraite ou une particularité concrète : Ps 19, 10 מִשְׁפְּטֵי יְהֹוָה אֱמֶת les jugements de J. (sont) vérité ; Gn 11, 1 וַיְהִי כָל־הָאָ֫רֶץ שָׂפָה אֶחָ֑ת toute la terre était (de) la même langue (lèvre).
  6. 6) l’explication prédicat de la chose expliquée : Gn 41, 26 שֶׁ֫בַע הַשִּׁבֳּלִים הַטֹּבֹת שֶׁ֫בַע שָׁנִים הֵ֫נָּה les 7 beaux épis sont 7 années.

II. Une proposition nominale peut avoir le sens optatif ; cf. § 163 b.

f L’ordre des mots dans la proposition nominale est normalement : Sujet — Prédicat. Mais s’il y a emphase sur le prédicat on a l’ordre Pr.Suj., p. ex. 1 R 10, 6 אֱמֶת הָיָה הַדָּבָר׳ elle était vraie la parole (que…) ; Gn 12, 12 אִשְׁתּוֹ זֹאת c’est sa femme[3].

Or, avec כִּי au sens causal parce que, אִם si, il y a normalement emphase sur le prédicat, d’où l’ordre Pr.Suj. : Avec כִּי : 2 R 20, 1 כִּי מֵת אַתָּה car tu vas mourir (opp. Gn 50, 24 אָֽנֹכִי מֵת je vais mourir ; 48, 21 (50, 5) הִנֵּה אנכי מת) ; encore avec participe : 3, 5 כִּי יֹדֵעַ אֱלֹהִים כִּי car Dieu sait que… ; 32, 12 et souvent : avec adjectif : Gn 3, 10 כִּי עֵירֹם אָֽנֹכִי parce que je suis nu ; avec substantif : 3, 19 כִּי עָפָר אַ֔תָּה car tu es poussière.

Avec אִם : Gn 27, 46 אִם לֹקֵחַ יַֽעֲקֹב אִשָּׁה si Jacob prend femme ; encore avec participe : Jug 11, 9 אִם־מְשִׁיבִים אַתֶּם אוֹתִי si vous me faites revenir ; avec substantif : Job 6, 12 אִם־כֹּחַ אֲבָנִים כֹּחִי est-ce que ma force est la force des pierres ? — Mais avec l’emphase sur le sujet : 1 R 18, 21 אִם יְהֹוָה הָֽאֱלֹהִים si c’est Jéhovah qui est le (vrai) Dieu. Dans Jug 9, 15 אִם בֶּֽאֱמֶת אַתֶּם מֽשְׁחִים אֹתִי si c’est véritablement que vous m’oignez, l’attribut du prédicat est en tête comme emphatique, puis on a l’ordre ordinaire Suj.Pr.

Mais avec le relatif אֲשֶׁר on a généralement l’ordre Suj.Préd. : Ps 144, 15 הָעָם שֶֽׁיְהֹוָה אֱלֹהָיו le peuple dont Jéhovah est le Dieu ; toujours pronom, puis participe : Gn 13, 15 הָאָ֫רֶץ אֲשֶׁר אַתָּה רֹאֶה ; de même généralement préposition avec son nom : Gn 1, 11 (12) אֲשֶׁר זַרְעוֹ בוֹ (opp. 1, 29 ; 7, 15) ; cf. Ps 84, 6 ; 146, 5.

Quand le prédicat est une préposition avec son nom (ou pronom), il se met généralement avant le sujet : Ps 31, 16 בְּיָֽדְךָ עִתֹּתָ֑י mes destinées sont dans ta main ; Agg 2, 8 לִי הַכֶּ֫סֶף l’argent est à moi ; 1 S 1, 2 וְלוֹ שְׁתֵּי נָשִׁים et il avait deux femmes ; 25, 36 ; Ps 24, 1.

g Dans les propositions interrogatives, l’emphase étant sur le prédicat, on a ordinairement l’ordre Pr.Suj. : 1 R 2, 13 הֲשָׁלוֹם בֹּאֶ֑ךָ ta visite est-elle pacifique ? ; 2 R 5, 12.

Dans la réponse on garde généralement l’ordre de la question : Gn 29, 4 מֵאַ֫יִן אַתֶּ֑ם וַיֹּֽאמְרוּ מֵֽחָרָן אֲנָֽחְנוּ « D’où êtes-vous ? » ; et ils dirent : « Nous sommes de Ḥaran » ; 24, 23 בַּת־מִי אַתְּ De qui es-tu fille ? ; 24 בַּת־בְּתוּאֵל אָנֹ֑כִי Je suis fille de Batuel.

h Dans les propositions nominales vêtues (§ 153) l’ordre naturel et ordinaire est Suj.Préd., puis objet et déterminations adverbiales : Gn 9, 9 וַֽאֲנִי הִֽנְנִי מֵקִים אֶת־בְּרִיתִי אִתְּכֶם Et moi, voici que je vais établir mon alliance avec vous. Mais l’emphase met en avant l’objet ou la détermination adverbiale :

  1. Suj.Adv.Préd. : Gn 26, 29 b ; 12, 6 b.
  2. Adv. (ou Obj.) — Suj.Préd. : Gn 4, 7 ; 37, 16 (réponse).
  3. Préd.Suj.Adv. etc. : Gn 43, 32 b.
  4. Adv. etc. — Préd.Suj. : Gn 41, 2.

Outre l’importance relative des différents mots, la longueur du sujet, du prédicat et des compléments influe sur l’ordre des mots.

i Propositions nominales avec copule. La proposition nominale du type ordinaire (§§ a-h) est une proposition à deux membres : sujet et prédicat. En hébreu, comme dans d’autres langues sémitiques, elle devient proposition à trois membres par l’addition d’une copule, laquelle exprime formellement le lien logique qui unit le sujet avec le prédicat. La copule peut être I) le pronom de la 3e personne ; II) les adverbes d’existence יֵשׁ et אַ֫יִן ; III) le verbe הָיָה.

I. Le pronom de la 3e personne peut être copule en hébreu, comme par ex. en arabe[4]. Dans certains cas, en effet, le pronom n’est ajouté que pour mieux faire ressortir le rapport qui existe entre le sujet et le prédicat, ce qui est précisément la fonction de la copule. Dans d’autres cas, il est vrai, le pronom ajoute une nuance emphatique ; mais rien n’empêche qu’il n’ait en même temps la valeur de copule.

Le pronom peut avoir trois places différentes :

1) Suj.Préd.Pronom. Dans ce type de phrase, il est possible que le nom soit au casus pendens, et alors le pronom serait sujet (cf. § 156 e) ; mais on peut considérer aussi le pronom comme une copule[5] : Gn 34, 21 הָֽאֲנָשִׁים הָאֵ֫לֶּה שְׁלֵמִים הֵם אִתָּ֫נוּ ces hommes sont pacifiques avec nous ; Dt 4, 24 יְהֹוָה אֱלֹהֶ֫יךָ אֵשׁ אֹֽכְלָה הוּא J. ton Dieu est un feu dévorant. Dans ce type de phrase le pronom n’est pas ou n’est guère emphatique.

j 2) Suj.PronomPréd. : Gn 42, 6 וְיוֹסֵף הוּא הַשַּׁלִּיט עַל־הָאָ֫רֶץ or c’était J. qui était le gouverneur du pays ; 1 R 18, 39 יְהֹוָה הוּא הָֽאֱלֹהִים c’est J. qui est le (vrai) Dieu (opp. 21 אם יהוה האלהים avec emphase moindre § f) ; 2 S 7, 28 אַתָּה הוּא האלהים c’est toi qui es le (vrai) Dieu. Avec répétition du sujet : Is 43, 25 אָֽנֹכִי אנכי הוּא מֹחֶה פְשָׁעֶ֫יךָ c’est moi, c’est moi qui efface tes péchés ; 51, 12. Dans ce type de phrase le pronom est emphatique, p. ex. littt : « Joseph, lui, était le gouverneur ».

3) Préd.PronomSuj. : Ct 6, 9 אַחַת הִיא יֽוֹנָתִי elle est unique ma colombe ; Nb 3, 27 b אֵ֫לֶּה הֵם מִשְׁפְּחֹת הַקֳּהָתִי voilà les familles des Qehatites. Dans ce type de phrase avec emphase sur le prédicat, le pronom est simple copule.

Remarque. C’est sans doute à l’analogie du pronom employé comme copule qu’il faut expliquer la phrase d’Isaïe אֲנִי הוּא je suis, j’existe : 41, 4 et avec les derniers je suis ; 43, 10, 13 ; 46, 4 ; 48, 12.

k II. Adverbes d’existence יֵשׁ, אַ֫יִן (§ 102 j). L’adverbe d’existence יֵשׁ il y a exprime d’abord l’existence dans le lieu, à savoir la présence, puis, par extension, l’existence tout court[6]. De même אַ֫יִן § 160 g (originairement où ?) exprime d’abord la non-existence dans le lieu, à savoir l’absence, puis, par extension, la non-existence tout court. Ces adverbes ne sont donc pas de simples copules comme le pronom de la 3e p. : à l’idée copulative elles ajoutent celle d’existence, surtout locale : Gn 18, 24 אוּלַי יֵשׁ חֲמִשִּׁים צַדִּיקִם בְּתוֹךְ הָעִיר peut-être y a-t-il 50 justes dans la ville ; 37, 29 אֵין־יוֹסֵף בַּבּוֹר Joseph n’était pas dans la citerne ; Éz 27, 36 וְאֵינֵךְ עַד־עוֹלָם et tu ne seras plus à jamais.

l Remarque. Dans la protase d’une proposition conditionnelle יֵשׁ ou אַ֫יִן avec le participe exprime la disposition (ou la non-disposition) de la volonté à faire une chose : Gn 43, 4 אִם יֶשְׁךָ מְשַׁלֵּחַ littt si tu es envoyant = si tu es disposé à = si tu veux envoyer ; v. 5 וְאִם אֵֽינְךָ מְשַׁלֵּחַ mais si tu ne veux pas envoyer. Avec יֵשׁ : Gn 24, 42, 49 ; 43, 4 ; Jug 6, 36 † ; avec אַ֫יִן : Gn 20, 7 ; 43, 5 ; Ex 8, 17 ; 33, 15 ; 1 S 19, 11 ; 1 R 21, 5.

m III. Le verbe הָיָה est employé, au sens faible d’être, comme copule, quand on veut préciser la sphère temporelle d’une proposition nominale. Ce n’est donc pas une simple copule, mais une copule avec sens temporel comme le verbe fr. être : Gn 1, 2 וְהָאָ֫רֶץ הָיְתָה תֹ֫הוּ וָבֹ֫הוּ or la terre était désolation et solitude ; 3, 1 ; 6, 19 זָכָר וּנְקֵבָה יִֽהְיוּ ils seront mâle et femelle ; 1 R 10, 6 (היה est omis dans le texte parallèle 2 Ch 9, 5).

Dans le groupe formé par היה et un participe, le participe exprime l’aspect duratif et היה la sphère temporelle (cf. § 121 e, f), p. ex. Job 1, 14 הַבָּקָר הָיוּ חֹֽרְשׁוֹת les vaches labouraient ; 2 S 5, 2 (היית omis dans le parall. 1 Ch 11, 2).

n De même, quand il est nécessaire d’exprimer le mode volitif, on emploie le jussif יְהִי : Gn 1, 6 (§ 121 e). Mais assez souvent יְהִי est omis (cf. § 163 b).

o Comme exemple de proposition nominale à un seul membre on ne trouve guère que Ps 115, 7 יְדֵיהֶם manus eorum au sens de manus (sunt) eis = ils ont des mains (génitif au sens du datif, § 129 h)[7].

  1. D’où l’emploi très large de l’apposition (§ 131 a sqq.) et de la proposition verbale avec double objet (§ 125 v).
  2. מְלֹא abstrait de la forme qi(u)tāl ; cf. § 88 E d, e.
  3. זֹאת אִשְׁתּוֹ signifierait : (c’est) celle-ci (qui) est sa femme.
  4. Cf. Brockelmann, Grundriss, 2, 105, contre Driver, Hebrew Tenses3, Appendix V, p. 267 sqq.
  5. Quoi qu’il en soit, même si le pronom ici n’est pas senti comme copule, on peut conjecturer que l’emploi du pronom comme copule a été favorisé par ce type de phrase.
  6. Il en est de même du fr. il y a et de l’ital. c’è (= hic est). L’évolution d’il y a au sens du pur auxiliaire être (y a bon = c’est bon) n’appartient encore qu’au français d’Afrique.
  7. Le psalmiste a p.-ê. recouru à cette construction pour varier, après les quatre constructions ordinaires avec ל vv. 5, 6, lesquelles la préparent et la rendent intelligible.