Grammaire de l’hébreu biblique/Syntaxe/Temps et modes/Paragraphe 123

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 347-358).
§ 123. Infinitif absolu.

a L’infinitif absolu (§ 49) est un nom verbal d’action (dans les verbes actifs) ou d’état (dans les verbes statifs). Ainsi s’explique qu’il a certains emplois semblables à ceux du nom, et certains autres semblables à ceux du verbe. Ainsi un infin. abs. tel que רָפוֹא répond à la fois à lat. sanatio et à sanare[1]. Nous distinguerons les emplois A) nominaux et B) les emplois verbaux (§ t).

b A) Emplois nominaux. Certains de ces emplois sont assez rares pour l’inf. abs. alors qu’il sont usuels pour l’inf. cst. Au contraire, l’emploi usuel de l’inf. abs. comme accusatif d’objet interne (cf. § d) lui est propre.

Emplois assez rares : 1) Comme sujet : Pr 25, 27 אָכֹל דְּבַשׁ הַרְבּוֹת לֹא־טוֹב manger trop (littt beaucoup) de miel n’est pas bon ; Pr 28, 21 הַכֵּר־פָּנִים לֹא־טוֹב faire acception de personnes (littt cognoscere faciem) n’est pas bon (cf. 24, 23) ; Is 58, 6-7 פַּתֵּחַ, הַתֵּר, פָרֹס (mais שַׁלַּח est vocalisé étrangement comme inf. cst. ; du reste on pourrait vocaliser toutes les formes en inf. cst.) ; 1 S 15, 23 ; Jér 10, 5 ; Job 25, 2 ⸮ — (Comp. l’inf. cst. § 124 b).

2) Comme prédicat : Is 32, 17 הַשְׁקֵט tranquillité (ê. tranquille).

3) Comme objet : Is 1, 17 לִמְדוּ הֵיטֵב apprenez le bien faire ; 42, 24 לֹא־אָבוּ בִדְרָכָיו הָלוֹךְ ils n’ont pas voulu marcher dans ses voies ; Dt 28, 56 לֹא נִסְּתָה כַף־רַגְלָהּ הַצֵּג עַל־הָאָ֫רֶץ elle n’a jamais osé poser la plante du pied sur la terre (l’inf. objet ayant lui-même un objet qui le précède) ; Is 7, 15 (inf. abs. objet d’un inf. cst.) ; 7, 16 ; 57, 20 הַשְׁקֵט לֹא יוּכָ֔ל il ne peut s’apaiser (avant le verbe) ; Job 9, 18 ; 13, 3. Comparer l’inf. cst. § 124 c)[2].

c Très rares, suspects ou fautifs, sont les cas où l’inf. absolu serait régi par un substantif : Is 14, 23 ; Pr 1, 3 ; 21, 16.

Il est anormal également qu’un inf. abs. soit régi par une préposition. Cependant on trouve 1 S 1, 9 אַֽחֲרֵי שָׁתֹה ⸮. Dans לְהֵֽרָאֹה Jug 13, 21 ; 1 S 3, 21 † il y a plutôt forme anormale d’inf. cst. (comp. forme גְּלֹה pour גְּלוֹת § 79 p). Dans עַד־כַּלֵּה 2 R 13, 17 jusqu’à achèvement = complètement, כַּלֵּה est devenu adverbe ; de même עַד־לְכַלֵּה 2 Ch 24, 10 ; 31, 1[3].

L’infinitif absolu ne peut pas prendre de suffixe nominal, pas plus qu’il ne peut être nomen regens.

d L’emploi nominal usuel de l’inf. absolu, et qui lui est propre, est celui d’accusatif d’objet interne (§ 125 q)[4] soit avant, soit après le verbe. Ce procédé linguistique permet à l’hébreu d’exprimer délicatement certaines nuances emphatiques. Placé avant le verbe, l’inf. abs. a généralement une nuance plus forte que lorsqu’il le suit : et cela se comprend, car la position d’un accusatif avant le verbe ajoute encore à l’emphase. Placé après le verbe, l’infinitif peut avoir des valeurs analogues. L’infinitif postposé est beaucoup moins fréquent que l’inf. préposé. On remarquera que l’inf. est toujours postposé à un impératif et à un participe (§ l) ; de plus, l’inf. hitpael est toujours postposé (Böttcher 2, p. 223). D’une façon générale, les nuances de l’inf. postposé ressortent moins clairement. Assez souvent la nuance ajoutée par l’inf. est trop légère pour pouvoir être rendue sans exagération dans une traduction littéraire. Dans la traduction grammaticale des exemples qui suivent nous avons dû parfois charger la nuance pour la faire mieux saisir.

C’est uniquement du contexte que ressort dans chaque cas la nuance ajoutée par l’infinitif. Le plus souvent l’emphase ne porte pas sur l’action verbale elle-même, mais sur une modalité, laquelle est ainsi renforcée. Ainsi dans une phrase affirmative l’affirmation devient plus forte ; dans une phrase interrogative ou conditionnelle, la modalité dubitative devient plus forte ; la même locution pourra donc, selon le contexte, exprimer la nuance certainement ou la nuance contraire peut-être[5]. De même pour les modalités contraires pouvoir, devoir.

e I) Les principaux cas de l’inf. abs. préposé sont les suivants :

1) Affirmation : Gn 2, 17 מוֹת תָּמוּת tu mourras certainement ; 18, 10 certes, je reviendrai ; 18, 18 Abraham deviendra certainement une grande nation ; 22, 17 ; 28, 22 ; 1 S 9, 6 ; 24, 21 ; Éz 18, 9 ; Am 5, 5 ; 7, 17 ; Hab 2, 3. Après un אַךְ au sens de sûrement la nuance de certitude est encore augmentée : Gn 44, 28 אַךְ טָרֹף טֹרַף sans aucun doute il a été déchiré ; Jug 20, 39.

f 2) Doute : a) dans l’interrogation : Gn 37, 8 הֲמָלֹךְ תִּמְלֹךְ עָלֵ֫ינוּ est-ce que par hasard tu régneras sur nous ? (= est-ce que tu régnerais ? avec nuance d’improbabilité) ; 37, 10 ; 2 S 19, 43 ; avec un verbe statif Is 50, 2 הֲקָצוֹר קָֽצְרָה יָדִי mon bras serait-il trop court ? ; avec une négation Jér 13, 12 הֲיָדוֹעַ לֹא נֵדַע ne savons-nous pas par hasard ? (pour la place de la négation cf. § o).

g b) dans une condition ou supposition présentée comme peu probable : Nb 12, 14 וְאָבִ֫יהָ יָרֹק יָרַק בְּפָנֶ֫יהָ si son père (de Marie) venait à lui cracher au visage… (cf. § 167 b) ; 1 R 20, 39 אִם הִפָּקֵד יִפָּקֵד s’il venait à manquer ; 1 S 20, 6 אִם פָּקֹד יִפְקְדֵ֫נִי s’il venait à s’apercevoir de mon absence ; 20, 9 אִם יָדֹעַ אֵדַע si je savais ; — avec une nuance plus faible : Ex 22, 22 si tu l’humiliais.

Mais on trouve souvent l’inf. abs. dans une proposition conditionnelle avec d’autres nuances, par exemple, avec la nuance du latin quidem ou autem dans une opposition (cf. § i) : 1 S 20, 7 b mais s’il se met en colère (2d membre du dilemme) ; 20, 21 si quidem dicam (1er membre du dilemme) ; 12, 25 Mais si vous faites le mal (opposition virtuelle à l’exhortation qui précède). La nuance d’opposition est plus faible dans les cas où l’on introduit une nouvelle hypothèse : Ex 21, 5 mais si l’esclave dit ; 22, 3, 11, 12, 16.

Dans d’autres cas il n’y a pas de nuance d’opposition, mais seulement une légère emphase (comp. lat. quidem), p. ex. dans un vœu : Nb 21, 2 si tu donnes ; 1 S 1, 11 si tu regardes ; dans une promesse : Ex 15, 26 אִם שָׁמוֹעַ תִּשְׁמַע si tu écoutes (la voix de Jéhovah ; et 19, 5 ; 23, 22 ; Dt 11, 13 ; 15, 5 ; 28, 1 ; Jér 17, 24 ; Zach 6, 15).

Avec לוּ au sens conditionnel 1 S 14, 30 la nuance paraît être si seulement il avait mangé (comp. avec לוּ optatif Job 6, 2 : si seulement on pesait mon chagrin !).

h 3) Avec nuance pouvoir : Gn 2, 16 אָכֹל תֹּאכֵ֑ל tu peux manger à ton gré ; Dt 17, 15 ; Gn 43, 7 (cf. § 113 l).

4) Avec nuance devoir : Ex 21, 28 le bœuf devra absolument ê. lapidé ; Dt 12, 2 ; Gn 15, 13 etc. יָדוֹעַ תֵּדַע il faut absolument que tu saches = sache bien (cf. § 113 m) ; Dt 6, 17 שָׁמוֹר תִּשְׁמְרוּן[6].

i 5) L’inf. absolu est fréquent pour souligner une opposition (comp. en grec μὲν … δέ). Une opposition quelconque étant suffisante pour motiver un inf. abs., il n’y a pas lieu de chercher, en plus, une autre nuance : 2 S 24, 24 non pas ! mais je l’achèterai ; Jug 15, 13 te ligabimus quidem… sed non te occidemus ; 2 S 17, 16 ne passe pas la nuit aux gués du désert, mais traverse (le fleuve) וְגַם עָבוֹר תַּֽעֲב֑וֹר ; Jos 17, 13 (= Jug 1, 28 ; inutile de supposer une nuance entièrement) ; 1 R 3, 26 (dans une prière) ; Ps 126, 6 b. Exemples dans les propositions conditionnelles § g.

6) À l’opposition se rattache la concession : Jug 4, 9 Ibo quidem tecum, sed... (Vulg.) ; Ps 126, 6 a Il s’en va, il est vrai, en pleurant (cf. § m) ; 118, 13, 18 Oui, Jéhovah m’a châtié, mais il ne m’a pas livré à la mort.

j 7) Les cas où l’inf. exprime la perfection ou l’intensité de l’action semblent rares[7] : Pr 27, 23 יָדֹעַ תֵּדַע « connais bien la face de tes brebis » (partout ailleurs : sache bien Gn 15, 13 etc. § h) ; peut-être Gn 43, 3 il nous a formellement déclaré ; 1 S 20, 6 b (= 28 rogavit me obnixe, Vulg.) ; Joël 1, 7 il a complètement dépouillé ; Job 13, 5 plût à Dieu que vous vous taisiez complètement !

k 8) Autres nuances : après un אַךְ au sens de tout juste : Gn 27, 30 אַךְ יָצֹא יָצָא il sortit tout juste et… ; Jug 7, 19.

Avec une nuance emphatique faible : Jug 9, 8 (en début absolu) à peu près : Un jour les arbres s’en allèrent… ; 1 S 10, 16 ; 2 S 18, 2.

Assez souvent il est difficile de saisir la nuance ajoutée par l’infinitif, p. ex. Gn 43, 7 a, 20 ; 44, 5 (= 15) ; Is 48, 8 ; 59, 11 ; Lam 1, 2 בָּכוֹ תִבְכֶּה (le vers exigeait un ב initial ! ; opp. Jér 22, 10 § l).

L’hébraïsme est particulièrement fréquent dans certains textes, p. ex. Ex 22, 3, 11, 12, 16, 22 ; 1 S 20, 6 a, b, 7, 9, 21.

l II) L’infinitif abs. postposé (qui s’impose après un impératif ou un participe, § d) est beaucoup moins fréquent que l’inf. préposé. On le trouve avec les mêmes valeurs que celui-ci.

1) Perfection ou intensité de l’action : Jér 22, 10 בְּכוּ בָכוֹ pleurez beaucoup ou amèrement ; Job 13, 17 שִׁמְעוּ שָׁמוֹעַ écoutez bien, écoutez attentivement (21, 2 ; 37, 2 ; Is 6, 9 ; cf. 55, 2 sub 4).

2) Dans une opposition : Nb 23, 11 (= 24, 10) « C’est pour maudire mes ennemis que je t’ai fait venir, et voici que tu les as bénis וְהִנֵּה בֵּרַ֫כְתָּ בָרֵךְ » (cf. Jos 24, 10) ; Is 6, 9 שִׁמְעוּ שָׁמוֹעַ « entendez, mais sans comprendre » ; Nb 11, 15 tue-moi plutôt (opposition implicite) ; Gn 46, 4 « je descendrai avec toi en Égypte et je t’en ferai aussi remonter אַֽעַלְךָ גַם־עָלֹה ».

3) À l’opposition se rattache la gradation : Gn 31, 15 וַיֹּ֫אכַל גַּם־אָכוֹל « et de plus il a mangé notre argent » ; Nb 16, 13 de plus, tu t’ériges en maître sur nous !

4) Autres exemples : Is 55, 2 שִׁמְעוּ שָׁמוֹעַ (la phrase est virtuellement conditionnelle : Si vous m’écoutez, vous mangerez…). La nuance est assez souvent douteuse, p. ex. Nb 11, 32 (p.-ê. ils étalèrent en grand) ; 2 R 5, 11 (certitude ?) ; Dn 11, 10 (= 13). La nuance de durée est très douteuse.

m L’inf. abs. postposé suivi d’un second inf. abs. exprime la simultanéité ou la quasi-simultanéité d’une seconde action : 1 S 6, 12 הָֽלְכוּ הָלֹךְ וְגָעוֹ « elles allèrent en mugissant dans une seule voie » (elles firent [simultanément] les actions d’aller et de mugir) ; Jos 6, 13 b qeré ; Jug 14, 9 il chemina en mangeant ; 2 R 2, 11 ; Gn 8, 7 וַיֵּצֵא יָצוֹא וָשׁוֹב et il sortit mais pour revenir (bientôt) ; Is 19, 22 Jéhovah frappera les Égyptiens mais pour les guérir (bientôt) ; la seconde action déterminant la première : 1 R 20, 37 וַיַּכֵּ֫הוּ הָאִישׁ הַכֵּה וּפָצֹעַ et l’homme le frappa de façon à le blesser ; Jér 12, 17 j’arracherai cette nation de façon à la détruire.

Dans Is 3, 16 b (poét.) les deux infinitifs précèdent le verbe ; dans Ps 126, 6 le 1er inf. précède (§ i).

Sur l’inf. abs. de même racine que le verbe après un premier infinitif absolu disparate cf. § s.

Au lieu d’un second inf. abs. on trouve un temps fini dans Jos 6, 13 a ; 1 S 19, 23 ; 2 S 13, 19 ; 16, 13 ; Is 31, 5. Mais toutes ces formes sont suspectes ; il faut probablement lire l’inf. absolu.

n Au lieu d’un second infinitif absolu on trouve un participe dans 2 S 16, 5 יֹצֵא יָצוֹא וּמְקַלֵּל (après un verbe principal au participe) ; de même Jér 41, 6 (comp. § s fin).

o Remarques. 1) La place de la négation est normalement devant le verbe fini, p. ex. Jug 15, 13 וְהָמֵת לֹא נְמִיתֶ֑ךָ mais nous ne te tuerons pas (littt l’action de faire mourir nous ne te la ferons pas) ; Ex 8, 24 ; 34, 7 ; Dt 21, 14 ; Jug 1, 28 ; 1 R 3, 27 ; avec אַל : 1 R 3, 26 ; Mich 1, 10. Exceptions : Gn 3, 4 לֹא מוֹת תְּמֻתוּן vous ne mourrez pas du tout ! (une allusion aux paroles mêmes de la menace de 2, 17 est peu probable) ; Am 9, 8 ; Ps 49, 8.

p 2) La forme de l’inf. abs. est généralement celle de la conjugaison du verbe principal, p. ex. qal Gn 2, 16 ; nifal[8] Ex 22, 3 ; piel Gn 22, 17 ; pual 40, 15 ; hifil 3, 16 ; hofal Éz 16, 4 ; hitpael Nb 16, 13. Mais on peut avoir l’inf. abs. du qal avec toutes les conjugaisons dérivées, p. ex. avec hofal dans la locution usuelle מוֹת יוּמַת il sera mis à mort Ex 19, 12 etc. ; en dehors de cette locution fréquente les exemples sont assez rares : avec piel 2 S 20, 18 ; avec hifil Gn 46, 4 ; 1 S 23, 22 ; Is 31, 5 ; avec hitpoel Is 24, 19 ; avec nifal (assez souvent) Ex 19, 13 ; 21, 20, 22 ; 22, 11, 12 ; 2 S 23, 7 ; Is 40, 30 ; Jér 10, 5 ; 34, 3 ; 49, 12 (opp. 25, 29) ; Mich 2, 4 ; Nah 3, 13 ; Zach 12, 3 ; Job 6, 2 (cf. Driver in 2 S 20, 18). En dehors de l’inf. abs. qal, un inf. d’une autre conjugaison que le verbe principal ne se trouve que dans des cas très rares et suspects : inf. hofal avec nifal : Lév 19, 20 ; 2 R 3, 23 (vocaliser en nifal) ; inf. piel avec hifil : 1 S 2, 16 (mais l. יְקַטְּרוּן) ; inf. hofal avec pual : Éz 16, 4 (une des deux formes probt fautive).

q 3) Au lieu de l’inf. abs. qal on a parfois la forme de l’inf. construit : dans les verbes ע״ע : קֹב pour *קָבוֹב Nb 23, 25 ; שֹׁל pour *שָׁלוֹל Ruth 2, 16 (mais texte probt altéré ; comp. inf. cst. שְׁלֹל § 82 k) ; dans les verbes ע״י : רִיב יָרִיב pour l’assonance au lieu de רוֹב Jér 50, 34 ; בִּין תָּבִין Pr 23, 1 (cf. § 81 e) ; dans les verbes ל״ה on a parfois le type הַגְלוֹת : 2 R 3, 24 הַכּוֹת ; Esth 1, 7 וְהַשְׁקוֹת ; 1 Ch 21, 24 וְהַֽעֲלוֹת ; 2 Ch 7, 3 וְהוֹדוֹת ; comp. le qal הֱיוֹת־ Ps 50, 21. Dans certains cas la vocalisation est suspecte, p. ex. Jos 7, 7 ; Néh 1, 7.

r Inf. abs. d’autre racine continuant un verbe. Cette construction est une extension du cas de l’inf. postposé de même racine que le verbe (§ l)[9]. L’inf. abs. continue alors le verbe précédent, comme ferait une forme finie ; il exprime surtout une circonstance relative à l’action du verbe précédent ou une détermination de caractère adverbial[10]. Exemples avec une circonstance : Jér 22, 19 קְבוּרַת חֲמוֹר יִקָּבֵר סָחוֹב וְהַשְׁלֵךְ מֵהָֽלְאָה לְשַֽׁעֲרֵי יְרוּשָׁלָ֑יִם On lui donnera la sépulture d’un âne : on le traînera et on le jettera hors des portes de Jérusalem (littt sepultura[m] asini sepelietur (nempe) tractione[m] et proiectione[m] ultra portas Ierusalem ; pour l’acc. קְבוּרַת cf. § 125 q) ; 1 S 3, 12 אָקִים אֶל עֵלִי אֵת־כָּל אֲשֶׁר דִּבַּ֫רְתִּי אֶל בֵּיתוֹ הָחֵל וְכַלֵּה J’accomplirai tout ce que j’ai dit, commençant et finissant (= du commencement à la fin = complètement) ; littt inceptione[m] et completione[m]) ; Gn 30, 32 אֶֽעֱבֹר … הָסֵר transibo… removendo ; Nb 15, 35 מוֹת יוּמַת הָאִישׁ רָגֹם אֹתוֹ בָֽאֲבָנִים כָּל־הָֽעֵדָה cet homme sera mis à mort, toute la communauté le lapidant (littt morte[m] occidetur ille vir cumulando eum (cumulatione[m]) lapidibus…) ; 2 S 8, 2 il les mesura au cordeau les faisant coucher par terre. — Exemples avec sens adverbial : Is 7, 11 « Pete tibi signum… profunde faciendo ad inferos aut alte faciendo ad superna » ; Gn 21, 16 « et elle s’assit en face, se tenant éloignée הַרְחֵק » (cf. Ex 33, 7 ; Jos 3, 16 ; הַרְחֵק est devenu un pur adverbe : loin § 102 e) ; Ex 30, 36 et tu broieras finement הָדֵק (littt comminutione[m] = minutatim, devenu un pur adverbe) ; Jos 3, 17 וַיַּֽעַמְדוּ … הָכֵן et steterunt… firmatione[m] = firmiter (pur adverbe) ; 2, 5 רִדְפוּ מַהֵר persequimini festinatione[m] = festinanter (pur adverbe) ; Dt 13, 15 וְשָֽׁאַלְתָּ֫ הֵיטֵב et tu interrogeras bien (pur adverbe) ; 1 S 17, 16 וַיִּגַּשׁ הַפְּלִשְׁתִּי הַשְׁכֵּם וְהַֽעֲרֵב et le Philistin s’avança matin et soir (littt agissant le matin, agissant le soir ; הַשְׁכֵּם comme adverbe : de bonne heure Pr 27, 14)[11].

s L’inf. abs. הָלוֹךְ[12] aller (au figuré) exprimant la continuité. Les expressions telles que 1 S 6, 12 הָֽלְכוּ הָלֹךְ וְגָעוֹ (§ m), où הָלֹךְ est naturellement pris au sens propre, ont donné naissance à des expressions où l’inf. הָלוֹךְ est employé au sens figuré de mouvement dans le temps, et donc de continuité[13]. Après הָלוֹךְ on a un second inf. dans Gn 8, 3 וַיָּשֻׁ֫בוּ הַמַּ֫יִם הָלוֹךְ וָשׁוֹב et les eaux se retirèrent d’une façon continue (le second infinitif renforce l’idée de continuité exprimée par הָלוֹךְ)[14] ; 12, 9 וַיִּסַּע אַבְרָם הָלוֹךְ וְנָסוֹעַ הַנֶּ֑גְבָּה et Abraham s’avança toujours vers le sud ; avec un verbe statif 2 S 5, 10 וַיֵּ֫לֶךְ הָלוֹךְ וְגָדוֹל et il alla toujours grandissant (le verbe principal avec le sens d’aller au figuré ; גָדוֹל inf. abs., non pas adj.) . Mais avec les verbes statifs, au lieu de l’inf. abs., on a ordinairement l’adjectif verbal, p. ex. Gn 26, 13 וַיֵּ֫לֶךְ הָלוֹךְ וְגָדֵל (opp. 2 S 5, 10 ; la construction est hybride : et ivit eundo et crescens ; après le nom d’action à l’acc. d’objet interne on a l’adj. verbal à l’acc. d’état, § 126 a) ; Jug 4, 24 וַתֵּ֫לֶךְ הָלוֹךְ וְקָשָׁה « et la main des Israélites alla toujours s’appesantissant » (קָשָׁה comme adj. verbal : devenant dure) ; 1 S 14, 19 וַיֵּ֫לֶךְ הָלוֹךְ וָרָ֑ב « et le tumulte alla toujours en augmentant » (רָב comme adj. verbal ; comp. 2 S 15, 12 avec participe וְהָעָם הוֹלֵךְ וָרָב et le peuple allait en augmentant) ; 2 S 18, 25 וַיֵּ֫לֶךְ הָלוֹךְ וְקָרֵב et il alla toujours en s’approchant (dans 1 S 17, 41 וַיֵּ֫לֶךְ הֹלֵךְ וְקָרֵב la vocalisation הֹלֵךְ est suspecte ; peut-être due à la scriptio defectiva).

De même après le participe הֹלֵךְ (au sens figuré) on a l’adjectif verbal : Ex 19, 19 ; 2 S 3, 1 הֹלֵךְ וְחָזֵק allait en se fortifiant ; 2 S 15, 12 רָב ; 1 S 2, 26 ; 2 Ch 17, 12 גָדֵל (mais inf. abs. גָדוֹל Esth 9, 4) ; Pr 4, 18 אוֹר.

Semblablement avec un verbe d’action, après le participe הֹלֵךְ on a le participe : Jon 1, 11 הוֹלֵךְ וְסֹעֵר allait en s’agitant (comp. § n fin).

t B) Emplois verbaux. I. L’infinitif absolu, comme l’inf. cst. (§ 124 f) peut régir un nom à l’accusatif, p. ex. Pr 25, 27 אָכֹל דְּבַשׁ manger du miel (§ b). Quand l’accusatif est un pronom, on n’a jamais le pronom suffixe (comp. § c fin), mais la particule אֵת, p. ex. יָדֹעַ אוֹתִי Jér 9, 23 (§ 125 e). L’inf. abs. peut naturellement aussi régir un nom par le moyen d’une préposition, comme toute forme verbale, p. ex. Is 7, 15 מָאוֹס בָּרָע וּבָחוֹר בַּטּוֹב rejeter le mal et choisir le bien.

u II. L’inf. abs. s’emploie comme équivalent d’une forme finie en commencement de phrase.

1) Comme équivalent de l’impératif. L’inf. abs., en soi, exprime la simple idée de l’action verbale ; le ton ou les circonstances indiquent que l’auditeur doit faire cette action[15]. Exemples : 2 S 24, 12 הָלוֹךְ וְדִבַּרְתָּ֫ va (aller) et tu diras, équivalent de לֵךְ וְדִבַּרְתָּ֫ qu’on a dans le texte parallèle de 1 Ch 21, 10[16] ; 2 R 5, 10 הָלוֹךְ וְרָחַצְתָּ֫ va et tu te laveras… (l’inf. abs., suivi d’un jussif indirect § 116 d, puis d’un impér. ind. § 116 f, a les effets d’un impératif) ; Jos 1, 13 זָכוֹר souvenez-vous (ordre de Josué). L’inf. abs. se trouve notamment dans la bouche de Dieu donnant un ordre : Nb 4, 2 Fais le recensement ; 25, 17 Attaquez les Madianites ; 2 R 3, 16 Faites ; Jér 32, 14 Prends les papiers de l’achat ; Zach 6, 10. — L’inf. abs. est précédé de deux impér. dans Is 14, 31 ; suivi de deux impér. dans Nah 2, 2.

v 2) Comme équivalent d’un futur injonctif. L’inf. abs. est assez fréquent dans les lois, où il équivaut à un futur injonctif plutôt qu’à un impératif : tu feras (tu dois faire) plutôt que fais. Exemples : Dt 5, 12 « Tu garderas שָׁמֹור le jour du sabbat » (plutôt que garde ; au milieu de futurs injonctifs[17]) (de même זָכוֹר[18] Ex 20, 8[19]) ; Dt 1, 16 שָׁמוֹעַ vous écouterez (suivi de futurs injonctifs) ; Lév 2, 6 tu diviseras (détail législatif). Dans Nb 6, 23 l’inf. abs. אָמוֹר explique le futur injonctif תְבָֽרֲכוּ « Voici comment vous bénirez les enfants d’Israël ; vous leur direz » (l’inf. abs. n’est pas régi par תּ׳). Après l’annonce d’une loi : Lév 6, 7 « Voici la loi de l’oblation : les fils d’Aaron l’offriront הַקְרֵב » ; Gn 17, 10 « Voici mon pacte que vous observerez… : tous vos mâles seront circoncis הִמּוֹל ! » (comp. dans une prop. conditionnelle Ex 12, 48 « tous ses mâles devront être circoncis ») ; Dt 15, 2 « tout créancier relâchera שָׁמוֹט ».

w 3) Comme équivalent d’un futur[20] : 2 R 4, 43 « car voici ce que dit Jéhovah : on mangera et on en aura de reste אָכֹל וְהוֹתֵר » ; Is 5, 5 הָסֵר j’enlèverai (continué à la 1re p., v. 6, et je mettrai) ; 2 R 19, 29 ; Éz 23, 30. Dans une interrogation Jér 3, 1 b.

4) Comme équivalent d’un présent : Jér 7, 9 (exclamation § 161 b) הֲגָנֹב « Quoi ! voler, tuer etc. (= vous volez, tuez etc.)… 10 et puis vous venez… » ; Is 59, 4 « On se confie בָּטוֹחַ dans le néant » ; Job 15, 35 ; Pr 12, 7 ; 15, 22 ; 25, 4.

5) Comme équivalent d’un passé : Agg 1, 9 פָּנֹה vous avez attendu ; Jér 8, 15 ; 2 Ch 31, 10.

x III. L’inf. abs. comme équivalent d’une forme précédente. L’inf. abs. continue assez souvent (surtout dans les livres postérieurs) une forme précédente. Le waw qui précède ordinairement l’inf. abs. a tantôt la valeur d’un simple et de coordination, tantôt celle d’un et (puis) de succession. Les raisons qui ont fait préférer l’inf. abs. n’apparaissent pas clairement : parfois il y a probablement désir de variété ou recherche de style ; parfois on a voulu avoir une forme avec sujet vague on (cf. § 155 i). L’inf. abs. a virtuellement la même valeur temporelle ou modale que le verbe précédent[21].

Après un qatal : Agg 1, 6 זְרַעְתֶּם הַרְבֵּה וְהָבֵא מְעָ֗ט אָכוֹל׳ « Vous avez semé beaucoup et peu récolté ; on a mangé, mais il n’y avait pas de quoi se rassasier ; on a bu etc.…) » (וְהָבֵא équivaut à un wayyiqtol) ; Dn 9, 5 חָטָ֫אנוּ וְעָוִ֫ינוּ הִרְשַׁ֫עְנוּ וּמָרָ֑דְנוּ וְסוֹר׳ « nous avons péché et prévariqué, nous nous sommes abandonnés au mal et à la rébellion, et nous nous sommes écartés de tes préceptes… » (inf. abs. probt pour variété après 4 qatal coordonnés) ; 1 S 2, 28 ; Is 37, 19 (cf. 2 R 19, 18) ; Zach 7, 5 ; Eccl 8, 9 ; 9, 11 ; Esth 3, 13 ; 9, 6 (= 12), 16 ; Néh 9, 8, 13 ; 1 Ch 5, 20 ; 2 Ch 28, 19 ; — après un weqataltí : 1 R 9, 25 (⸮) ; Zach 12, 10 (⸮) ; — après un yiqtol : Lév 25, 14 (avec אוֹ) ; Nb 30, 3 (id.) ; Dt 14, 21 ; Jér 32, 44 (3 inf.) ; 36, 23 (⸮) ; — après un wayyiqtol : Gn 41, 43 ; Ex 8, 11 ; Jug 7, 19 b ; Néh 8, 8 ; 1 Ch 16, 36 ; 2 Ch 7, 3 ; — après un jussif : Esth 2, 3 ; 6, 9 ; — après un impératif : 2 R 19, 29 b ואכול qeré ⸮ (= Is 37, 30 b) ; Am 4, 5 (⸮) ; — après un participe : Jér 7, 18 ; — après un inf. cst. : 1 S 22, 13 ; 25, 26 (= 33) ; Jér 44, 17 ; Éz 36, 3.

y Remarque. À cause de la nature même de ses emplois, on a assez rarement l’occasion d’exprimer le sujet de l’action marquée par l’inf. abs. Quand le sujet est exprimé, il ne peut être qu’au nominatif : Lév 6, 7 ; Nb 15, 35 b ; Dt 15, 2 ; Esth 3, 13 ; 9, 1. Quand le sujet n’est pas exprimé, il faut sous-entendre le sujet indiqué par le contexte, ou parfois le sujet vague on (cf. § 155 i). Comp. le sujet de l’inf. cst. § 124 g ; le sujet vague on § 124 s.

Pour la continuation de l’inf. abs. par un temps fini cf. § 124 j N.

  1. Originairement plutôt à sanatio. Ce serait un substantif sanatio capable de régir un accusatif. Comp. curatio avec l’acc. dans Plaute (Amph., 519) : Quid tibi hanc curatio est rem ? (= Quid curas hanc rem ?) ; Quid tibi hanc digito tactio est ? (Poen. 5, 5, 29).
  2. Il semble qu’on préfère l’inf. absolu quand il y a inversion : Dt 28, 56 ; Is 42, 24 ; 57, 20 ; Jér 9, 4 (§ 124 c).
  3. Sur l’inf. absolu continuant un inf. cst. précédé d’une prép., cf. § 124 r.
  4. Une locution du type יִקְטֹל קָטוֹל signifie littéralement : occidet occisionem = faciet occisionem, ce qui est en soi plus emphatique que le simple יִקְטֹל occidet. Nos langues n’offrent pas de procédé exactement semblable à celui de l’hébreu, p. ex. occisione occidet, occidendo occidet, occidens occidet. Il n’est pas à propos d’imiter l’hébraïsme en répétant le verbe fini, p. ex. Ex 3, 7 J’ai vu, j’ai vu… C’est là une nuance de sentiment, laquelle a un correspondant exact en hébreu, p. ex. Is 40, 1.
  5. Les deux nuances dans un même verset : Dt 8, 19 ; Ex 22, 22.
  6. Remarquer qu’on ne commencerait pas une phrase par le yiqtol ; l’inf. absolu semble dû ici à une nécessité grammaticale ; de même Dt 7, 18.
  7. Davidson (§ 86 Rem. 1) semble douter de l’existence de cette nuance. — La nuance de durée est des plus douteuses.
  8. Pour le choix de la forme de l’inf. abs. nifal cf. § 51 b.
  9. Dans Dt 3, 6 on a un inf. de même racine continuant le verbe, pour ajouter une précision : « Et nous les détruisîmes comme nous avions fait pour Séhon, roi d’Hésébon, détruisant toutes les villes… » (littt d’une action de détruire ayant pour objet…). Dans certains cas, l’inf. est un synonyme du verbe : Jos 6, 3 « Et vous ferez le tour וְסַבֹּתֶם de la ville, vous tous les guerriers, faisant le circuit הַקֵּיף de la ville sept fois » (cf. v. 11).
  10. Les deux espèces réunies dans Dt 9, 21 וָֽאֶכֹּת אֹתוֹ טָחוֹן הֵיטֵב et je le mis en pièces, l’écrasant bien.
  11. Dans l’expression jérémienne du type וָֽאֲדַבֵּר הַשְׁכֵּם וְדַבֵּר et j’ai parlé de bonne heure et sans cesse, le second inf., de même racine que le verbe principal, exprime la répétition ou la continuité de l’action (littt : et locutus sum manicatione[m] et locutione[m]). Le sujet est toujours Dieu, excepté Jér 25, 3. Avec דִבֶּר 7, 13 ; 25, 3 ; 35, 14 ; שָׁלַח 7, 25 ; 25, 4 ; 26, 5 (⸮) ; 29, 19 ; 35, 15 ; 44, 4 ; 2 Ch 36, 15 ; הֵעִיד Jér 11, 7 ; לִמֵּד 32, 33.
  12. Pour la graphie défective הָלֹךְ cf. § 49 a N.
  13. En français on dit au sens propre de mouvement dans l’espace : le voyageur allait chantant, la rivière va serpentant ; et jusqu’au XVIIe siècle on disait au sens figuré : son mal l’allait tourmentant, le malheur me va poursuivant (Darmesteter, Traité de la formation de la langue franç., § 682).
  14. Dans Gn 8, 5, où הָיוּ donnerait le sens du plus-que-parfait, lire un participe, probt חֹֽסְרִים*.
  15. En arabe la forme qatāli (= קָטוֹל) est employée dans certains mots pour exprimer un commandement, p. ex. nazāli نَزَالِ descends ! (littt : descente ! [sous-entendu : de cheval] ; se dit principalement quand deux guerriers ou deux troupes se provoquent au combat) ; samāʿi سَمَاعِ écoute ! (littt audition ! = שָׁמוֹעַ). — Dans le latin du moyen âge, pour une défense, on dit non negare au sens de l’impératif ne nie pas, usage conservé en italien (cf. Bourciez, Éléments de linguistique romane (1910), § 248). De même en ancien français, p. ex. n’en douter = n’en doute pas (cf. Brunot, Hist. de la langue française 1, pp. 248, 471).
  16. Dans Chr. on ne trouve pas l’inf. absolu de commandement (cf. Kropat, Syntax der Chronik, p. 23). Peut-être était-il senti comme archaïque. — Comp. Is 38, 5 הָלוֹךְ et le parall. 2 R 20, 5 שׁוּב.
  17. On ne commencerait pas la phrase par תִשְׁמֹר.
  18. Opposer l’impératif זְכֹר p. ex. Dt 9, 7 dans une exhortation.
  19. De même Ex 20, 12 כַּבֵּד, au milieu de futurs injonctifs, est un inf. absolu, non un impératif.
  20. On ne trouve pas, semble-t-il, l’inf. abs. comme équivalent d’un jussif ou d’un cohortatif.
  21. En conséquence וְנָתֹן Jér 37, 21 est probt à vocaliser וְנִתַּן et dabatur. Le sens fréquentatif est exigé par le contexte. L’inf. abs. signifierait et dederunt. — À l’hébraïsme comp. p. ex. en latin : « Catilina surgere, minari, exsilire furibundus » ; « Si quando ad eam accesserat confabulatum, fugere e conspectu illico ».