Grammaire de l’hébreu biblique/Morphologie/Verbe/Paragraphe 49

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 109-112).
§ 49. Infinitif.

a L’infinitif (§ 40 b) est dit absolu ou construit[1] d’après sa forme et d’après son emploi syntaxique (§§ 123−124).

Dans la conjugaison qal, les deux infinitifs sont rigoureusement distingués : inf. abs. קָטוֹל, inf. cst. קְטֹל[2]. Ces deux formes, qui ont actuellement une certaine ressemblance, n’ont originairement aucun rapport. L’inf. abs. est une forme nominale *qatāl, devenue normalement קָטוֹל (avec ọ̄ long ; très souvent[3] graphie défective קָטֹל). L’inf. cst. קְטֹל, comme l’impératif קְטֹל, vient de *qetul (l’ọ̄ est moyen ; la graphie sporadique קְטוֹל est donc abusive). Il se trouve ainsi qu’actuellement les deux formes ont en dernière syllabe la même voyelle , longue dans קָטוֹל, moyenne dans קְטֹל. En considérant, de plus, l’opposition entre קָ et קְ, les deux infinitifs ont l’air d’avoir entre eux la relation qu’il y a, p. ex., entre abs. גָּדוֹל grand et cst. גְּדוֹל־. L’ancienne grammaire, peut-être même la conscience linguistique, semble avoir admis cette relation comme réelle, d’où les noms infinitif absolu, infinitif construit[4].

b Dans les conjugaisons dérivées l’infinitif absolu semble être une création secondaire. Aussi la distinction des deux infinitifs n’est-elle pas rigoureuse comme au qal. Bien plus, souvent la forme de l’infinitif construit peut être employée comme infinitif absolu, p. ex. au nifal הִקָּטֵל, au piel קַטֵּל. Parfois l’inf. abs. ne diffère de l’inf. cst. que par une modification secondaire ; ainsi au hifil du verbe régulier on a  : cst. הַקְטִיל, abs. הַקְטֵל ; au piel des verbes à 3e gutturale : cst. שַׁלַּח (forme légère), abs. שַׁלֵּחַ (forme lourde)[5].

Les infinitifs abs. en (avec , sans doute long, à l’analogie de קָטוֹל) ne se trouvent guère qu’au nifal : types נִקְטֹל (נִקְטוֹל) et הִקָּטֹל.

Dans les conjugaisons purement passives (pual, hofal) les deux infinitifs sont rares. Au hofal l’inf. abs. הָקְטֵל est remarquable par son caractère hybride : c’est l’inf. abs. du hifil הַקְטֵל passivé par le changement de la 1re voyelle ◌ַ en ◌ָ.

c Voyelle de l’infinitif construit. En général l’infinitif cst. a la même voyelle que le futur. Il en est ainsi dans toutes les conjugaisons dérivées, p. ex. הַקְטִיל comme יַקְטִיל. Au qal on a קְטֹל comme יִקְטֹל. Mais aux futurs en a correspond assez rarement un inf. en a, p. ex. שְׁכַב (statif ; c’est l’exemple principal)[6] ; ordinairement on a l’inf. en . Ainsi dans les verbes à 2e gutturale on a שְׁחֹט malgré יִשְׁחַט ; dans les verbes à 3e gutt. שְׁלֹחַ malgré יִשְׁלַח ; dans les verbes ל״א on a מְצֹא malgré יִמְצָא. Les verbes statifs, dont le futur est en a, ont donc presque tous l’inf. en , p. ex. שְׂנֹא, שְׁאֹל, שְׁמֹעַ, שְׂבֹעַ ; תֹּם, חֹם, רֹב.

Ainsi la forme קְטֹל est envahissante ; elle est devenue comme la forme propre de l’infinitif construit[7].

d Infinitifs construits qal avec finale féminine ◌ָה.

On trouve aussi au qal de certains verbes (en fait, presque uniquement de verbes statifs) un infinitif avec finale féminine ◌ָה, des types קַטְלָה, (d’où, par affaiblissement) קִטְלָה, et קָטְלָה (ou קֻ׳), parfois à côté de l’infinitif ordinaire.

Les exemples les plus fréquents sont : יִרְאָה craindre (aussi substantif : crainte) à côté de יְרֹא (deux fois seulement) ; אַֽהֲבָה aimer (aussi subst. : amour), une fois seult לֶֽאֱהֹב Eccl 3, 8. [Au contraire pour l’antonyme haïr l’inf. est ordinairement שְׂנֹא, p. ex. 2 S 19, 7 (où opposé à אַֽהֲבָה) ; on a seult deux fois la forme fém. (à l’état cst.), et cela dans deux cas où le sujet de l’action est au génitif (§ 124 g) : בְּשִׂנְאַת יְהֹוָה אֹתָ֫נוּ Dt 1, 27 ; מִשִּׂנְאָתוֹ אוֹתָם 9, 28]. La forme לִקְרַאת (toujours à l’état cst.) à la rencontre de, d’où, avec valeur prépositionnelle, au-devant de (du verbe קָרָא = קָרָה rencontrer § 78 k) est employée comme un substantif. — Infinitif féminin piel § 52 c.

e On trouve encore quelques rares infinitifs avec préformante מ (comme l’inf. מִקְטַל en araméen). Ces infinitifs aramaïsants semblent d’origine postérieure. Exemples : לְמִקְרָא הָֽעֵדָה Nb 10, 2 pour convoquer l’assemblée (partout ailleurs מִקְרָא est subst. : convocation) ; מַסַּע 10, 2 (Dt 10, 11 † ; le ◌ַ comme infinitif (cf. § 95 d) ; le subst. serait *מַסָּע) ; מַשָּׂא Nb 4, 24 ; 2 Ch 20, 25 ; 35, 3. Parfois la forme מִקְטָל a un sens plutôt substantival, p. ex. מַשָּׂא פָנִים וּמִקַּח־שֹׁ֫חַד 2 Ch 19, 7 acception de personnes et acceptation de cadeaux ; מִשְׁלֹחַ מָנוֹת Esth 9, 19 envoi de portions (ici forme miqtāl).

f Infinitifs קְטֹל, שְׁכַב avec les prépositions בְּ, כְּ, לְ. Quand la seconde radicale est une begadkefat, elle reste ordinairement rafé après בְּ et כְּ, p. ex. בִּנְפֹל Job 4, 13 ; כִּנְפֹל 2 S 3, 34 ; il y a quelques exceptions. Au contraire, après לְ elle devient explosive, par exemple לִנְפֹּל Ps 118, 13 ; לִשְׁכַּב Gn 34, 7 ; il y a quelques exceptions. Avec ל, qui est beaucoup plus fréquent[8] devant l’inf. que בְּ, כְּ, et qui souvent a un sens très faible ou même nul, la forme aura été sentie comme formant une unité plus étroite[9]. Comparer, avec 1re gutturale, le type לַחְפֹּר § 68 e ; de même que cette forme avec shewa quiescent a pu être favorisée par le futur יַחְפֹּר, l’inf. לִקְטֹל avec shewa quiescent (au lieu du shewa moyen) a pu être favorisé par le futur יִקְטֹל.

  1. Quand on dit (p. ex. dans cette grammaire) l’infinitif, sans épithète, il s’agit de l’infinitif construit, lequel est l’infinitif ordinaire, l’infinitif absolu ne s’employant que dans des cas très spéciaux.
  2. Dans les paradigmes, afin de mieux distinguer les deux infinitifs, nous faisons précéder l’infinitif construit de la préposition (לְ), p. ex. (לִ)קְטֹל, (לָ)קוּם.
  3. L’usage est très variable ; ainsi on a הָלוֹךְ 34 fois, הָלֹךְ 12 f. ; par contre יָדוֹעַf., יָדֹעַ 11 f. — Kautzsch (§ 45 a) dit à tort que la graphie קָטֹל se trouve seulement « quelquefois » (de même Bauer-Leander, 1, 317).
  4. Chose curieuse, les deux infinitifs ont en syntaxe des emplois qui répondent assez bien à leurs noms. L’infinitif absolu est employé d’une façon absolue, comme un nom à l’état absolu ; au contraire l’infinitif construit peut se construire sur un nom ou un pronom, comme un nom à l’état construit.
  5. De même qu’on a, au participe, p. ex., abs. שֹׁלֵחַ, cst. שֹׁלַח.
  6. À l’exception de שְׁכַב, les infinitifs en a ne se trouvent qu’avec suffixe ou en liaison étroite avec le mot suivant.
  7. Peut-être, en partie, à cause de la relation supposée entre קְטֹל et קָטוֹל.
  8. Même raison de fréquence pour le cas de לֵאמֹר, à côté de בֶּֽאֱמֹר § 103 b.
  9. Remarquer qu’avec un subst. comme cst. דְּבַר on a toujours בִּדְבַר, כִּדְבַר, לִדְבַר, § 103 b.