Grammaire de l’hébreu biblique/Morphologie/Verbe/Paragraphe 52

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 115-118).
§ 52. Conjugaison piel.

a Le piel est la conjugaison active de l’action intensive (§ 40 a). La caractéristique du piel est le redoublement (ou mieux allongement) de la 2e radicale. L’intensité du sens est très naturellement exprimée par l’allongement de la consonne.

L’explication des formes doit commencer par le futur.

Futur. La forme primitive est i̯uqattil (conservée en arabe) qui est devenue normalement יְקַטֵּל. (La voyelle antéprétonique tombe, § 30 e).

Parfait. La forme primitive qattal n’a conservé en hébreu aucun des deux a. (Comparer le parfait du hifil § 54 a).

Le 1er a s’est affaibli en i (§ 29 g)[1]. Le 2d a a été supplanté par ◌ֵ, qui provient du futur[2], d’où קִטֵּל.

L’impératif קַטֵּל a les voyelles du futur. On a la même forme à l’inf. cst. À l’inf. abs. on emploie ordinairement la forme de l’inf. cst. קַטֵּל, rarement cette même forme avec la voyelle finale קַטֹּל (cet probablement long, § 49 b).

Le participe a les voyelles du futur : מְקַטֵּל.

b Remarque générale. Le redoublement réel est assez souvent réduit au redoublement virtuel quand la consonne a shewa (§ 18 m), p. ex. בִּקְשָׁה et souvent dans le verbe בִּקֵּשׁ (mais toujours, à l’impér., בַּקְּשׁוּ) ; toujours dans הַֽלֲלוּ louez (ḥaṭef pataḥ § 9 d).

c Remarques sur les diverses formes.

Parfait 3e p. sg. m. Bien que le ◌ֵ soit secondaire, קִטֵּל est la forme propre du piel et la forme pausale[3]. On a très souvent la forme קִטַּל[4] où le pataḥ n’est pas l’a primitif, mais est un affaiblissement de ◌ֵ (§ 29 d). La forme קִטַּל, forme plus légère, est employée surtout en liaison (accent conjonctif) et quand קִטַּל־ perd le ton (devant maqqef), rarement avec accent disjonctif. Ainsi, avec un accent conjonctif on a toujours בֵּרַךְ ; avec un accent disjonctif faible on a 2 fois בֵּרַךְ et 2 fois בֵּרֵךְ ; la forme pausale (qui ne se rencontre pas) serait בֵּרֵ֑ךְ.

Dans 3 verbes on a la voyelle ◌ֶ : דִּבֶּר il a parlé, כִּפֶּר il a expié, וְכִבֶּס et il lavera (11 f., mais 2 f. כִּבֵּס !). Ces anomalies sont difficiles à expliquer. En pause on trouve דִּבֵּ֑ר et כִּבֵּ֔ס (2 S 19, 25 †).

Dans la flexion on a également ◌ַ (§ 29 d) qui n’est pas plus primitif que dans קִטַּל, p. ex. קִטַּ֫לְתָּ.

Futur. À la 1re p. sg. au lieu de אֲ on trouve très rarement אֱ, p. ex. dans אֱזָרֶה je disperserai Lév 26, 33 ; Éz 5, 12 ; 12, 14 † (devant qameṣ, cf. § 29 f) ; cet ◌ֱ devient ◌ֵ dans וְאֵסָ֣עֲרֵם Zach 7, 14 (comp. § 21 h).

Au plur. fém. la finale est ordinairement ◌ֵ֫לְנָה (§ 29 d), p. ex. תְּדַבֵּ֫רְנָה (en contexte et en pause). On a ◌ַ֫לְנָה dans 3 formes pausales sous l’influence de causes particulières (Os 4, 13, 14 ; Is 3, 16 ; 13, 18). On trouve une fois la forme anormale ◌ֶ֫לְנָה Éz 13, 19.

Impératif. Le ◌ֵ de קַטֵּל est abrégé en ◌ַ dans פַּלַּ֣ג Ps 55, 10 ; קָרַ֨ב Éz 37, 17.

L’inf. construit avec finale féminine ◌ָה (cf. § 49 d) se trouve dans יַסְּרָה Lév 26, 18 ; זַמְּרָה Ps 147, 1 ; avec suff. צַדֶּקְתֵּךְ Éz 16, 52.

L’inf. absolu קַטֹּל est rare. On se sert ordinairement de la forme de l’inf. cst. קַטֵּל, p. ex. 2 R 2, 11 הֽוֹלְכִים הָלוֹךְ וְדַבֵּר. Dans 2 S 12, 14 l’a est affaibli en i pour l’assonance : נִאֵץ נִאַ֫צְתָּ.

Participe. La forme מָאֵן (toujours dans le groupe אִם־מָאֵן אַתָּה Ex 7, 27 ; 9, 2 ; 10, 4 ; Jér 38, 21) est pour *מְמָאֵן par haplologie. La vocalisation מַֽאֲנִים Jér 13, 10 semble fautive, pour מָֽ׳. Cf. Brockelmann, 1, 264 sq.

d Sens. Le sens fondamental est celui d’intensité, p. ex. *צִחֵק se moquer de (qal : rire) ; *שִׁאֵל mendier (1 fois ; qal : demander) ; שִׁבַּר mettre en pièces (qal : briser) ; *סִפַּר raconter (qal : compter) ; פִּתַּח délier (qal : ouvrir). Parfois l’intensité est numérique : l’action s’étend à de nombreux sujets, p. ex. *שִׁאֵל demander 2 S 20, 18 † ; *לִקֵּק lécher Jug 7, 6 ; ou à de nombreux objets, p. ex. שִׁלַּח envoyer Jug 20, 6 ; קִבֵּר ensevelir 1 R 11, 15 ; קִצֵּץ couper Jug 1, 6.

Bien que le hifil soit la forme proprement causative (§ 54 d), le piel a assez souvent le sens causatif. Ainsi, d’un qal d’action transitif יָלַד enfanter on a : piel *יִלֵּד faire enfanter = accoucher (en parlant d’une sage-femme) ; de לָמַד apprendre : לִמַּד faire apprendre, enseigner ; — d’un qal d’action intransitif ou d’état : de אָבַד périr, disparaître : אִבַּד f. périr, f. disparaître ; de קָדַשׁ ê. saint : קִדַּשׁ sanctifier ; de גָּדַל ê. grand : גִּדַּל rendre grand, élever (un enfant).

Autres nuances pouvant se rattacher à l’idée causative : provoquer : la colère כִּעֵס (2 f.), la jalousie קִנֵּא (1 f.) ; laisser : נִקָּה laisser impuni, חִיָּה laisser vivre (= ne pas tuer) ; garder : זִכָּה garder pur, סִתַּר* (1 f.) tenir caché.

Sens déclaratif-estimatif : déclarer innocent נִקָּה, décl. pur טִהַר, décl. impur טִמֵּא.

Les piel dénominatifs ont parfois un sens privatif, p. ex. דִּשֵּׁן dégraisser (l’autel de ses cendres grasses = דֶּ֫שֶׁן) ; שֵׁרֵשׁ déraciner (de שֹׁ֫רֶשׁ ; au contraire הִשְׁרִישׁ est pousser des racines) ; חִטֵּא enlever le péché (de חֵטְא ; comparer le hitpael privatif הִתְחַטָּא s’enlever le péché) ; au contraire הֶֽחֱטִיא est faire pécher.

Le piel adverbial (au contre du hifil) est rare, p. ex. שִׁחֵת agir mal, pécher (probablt par l’ellipse de l’objet, comme הִשְׁחִית § 54 d) ; עִוֵּל* agir de façon inique (2 f.) ; מִהַר au sens d’agir vite (d’où l’adverbe מַהֵר vite, § 102 e).

Pour le pual, passif du piel, voir § 56.

  1. Peut-être cet affaiblissement a-t-il commencé dans des formes comme *qattaltém, loin du ton. Le pataḥ se trouve conservé seulement dans נַשַּׁ֫נִי il m’a fait oublier pour l’assonance avec מְנַשֶּׁה, dans l’étymologie de ce nom, Gn 41, 51 ; c’est probablement une forme archaïque.
  2. De même au hifil la 2e voyelle du parfait est à l’analogie du futur.
  3. Comparer la forme avec suffixe קִטֶּלְךָ.
  4. Les dictionnaires donnent souvent la voyelle ◌ֵ à des piel qui, de fait, ne l’ont pas dans nos textes.