Grammaire de l’hébreu biblique/Écriture/Paragraphe 21

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 61-63).
§ 21. Influence des consonnes gutturales sur les voyelles.

a L’influence des consonnes gutturales sur les voyelles est considérable. Les gutturales aiment la voyelle ◌ַ qui leur est homogène ; elles tendent à l’introduire ou à rapprocher les autres voyelles du son a. Le degré d’affection des gutturales pour la voyelle ◌ַ est, dans l’ordre décroissant, ע > ח > ה > א.

b La voyelle ◌ַ supplante souvent une voyelle primitive i, u devant une gutturale fermant une syllabe tonique. Ainsi le futur du verbe d’action שָׁלַח envoyer est en contexte יִשְׁלַח (au lieu de *i̯išluḥ) ; le futur piel est en contexte יְשַׁלַּח (au lieu de *ešalliḥ, P. יְשַׁלֵּ֑חַ). L’état cst. de *mizbiḥ est מִזְבַּח (abs. מִזְבֵּחַ autel).

c La voyelle ◌ַ se glisse furtivement devant une gutturale fermant une syllabe tonique finale, après les voyelles hétérogènes aux gutturales, à savoir les voyelles longues ọ̄, ī, ū, qui ne peuvent jamais être supplantées, et les voyelles moyennes , qui, en certaines circonstances, ne peuvent pas être supplantées. Ce ◌ַ, appelé d’une façon pittoresque pataḥ furtif, est un extrêmement bref ; il est employé ici en fonction consonantique, c.-à-d. qu’il forme avec la voyelle précédente une diphtongue descendante, p. ex. רוּחַ « esprit » ou rūa̯ḥ[1] ; inf. cst. שְׁלֹחַ.

d Avant une gutturale qui ferme (ou est censée fermer) une syllabe atone, les voyelles primitives i, u deviennent en hébreu , , c.-à-d. sont rapprochées du son (assimilation partielle), p. ex. *i̯iʾ-šam > יֶאְשַׁם « il se rendra coupable », *i̯iḥ-zaq > יֶֽחֱזַק « il sera fort », *muʿ-mad > מָֽעֳמָד « placé »[2].

Remarque. Bien entendu, une gutturale n’influe pas sur la vocalisation d’une syllabe précédente ; ainsi un shewa mobile précédent n’est pas modifié, p. ex. שְׁחַט, שִׁלְּחָה, פְּעָלִים (pluriel de פֹּ֫עַל), וְהָאָ֫רֶץ.

e Après une gutturale l’influence de la gutturale est beaucoup moindre.

En syllabe fermée tonique on a assez souvent ◌ַ pour i, u primitifs, p. ex. יִשְׁחַט « il égorgera » pour *i̯išḥuṭ, *יִשְׁחֹט ; וַיָּ֫עַד pour *וַיָּ֫עֶד (fut. inverti hifil de עוד) « et il attesta ».

En syllabe fermée atone on a assez souvent ◌ֶ pour ◌ִ, p. ex. dans le parfait hifil des ל״ה on a הֶגְלָה à côté de הִגְלָה ; dans les noms, p. ex. חֶלְקִי (de חֵ֫לֶק part), עֶזְרִי (de עֵ֫זֶר secours, doublet fém. עֶזְרָה) ; dans les verbes, p. ex. חֶשְׂפִּי dénude Is 47, 2 (dagesh anormal).

f Après une gutturale on a un ḥaṭef dans les cas où une consonne non gutturale aurait shewa mobile, p. ex. שָֽׁחֲטוּ : קָֽטְלוּ ; עֲמֹד : קְטֹל.

À l’intérieur du mot le ḥaṭef est très ordinairement ◌ֲ.

g À l’initiale, après ה, ח, ע on a ◌ֲ pour a et i ; assez rarement ◌ֱ pour i ; ◌ֳ pour u. Exemples : חֲמוֹר âne (de *ḥimār = حِمَار) ; הֱקִימ֫וֹתָ à côté de הֲ׳, de הֵקִים ; חֳלִי maladie, עֳנִי misère (formes qutl).

h À l’initiale, après א on a ◌ֲ pour a ; ◌ֱ pour i ; ◌ֳ pour u. Exemples : אֲבִי état cst. de אָב père ; אֱלוֹהַּ, pl. אֱלֹהִים (arab. ʾilāh إِلاہ) ; אֳנִי vaisseau (forme qutl). Remarquer encore אֱ dans אֱנוֹשׁ homme (de *ʾunāš > *ʾunọ̄š, d’où par dissimilation *ʾinọ̄š > אֱנוֹשׁ, § 29 h).

Cependant dans les formes primitives qitāl (héb. קְטוֹל) et qitūl (héb. קְטוּל) au lieu de אֱ on a généralement אֵ, même à l’état cst., p. ex. אֵזוֹר ceinture, אֵבוּס crèche (cf. § 30 d).

i Quand, dans la flexion, ◌ֱ s’éloigne du ton, il devient généralement ◌ֲ, p. ex. אֱדוֹם, אֲדֹמִי ; prép. אֶל, poét.אֱלֵי, אֲלֵיכֶם. De même le groupe ◌ֶֽ◌ֱ devient généralement ◌ַֽ◌ֲ, p. ex. הֶֽעֱבַ֫רְתִּי Zach 3, 4, mais וְהַֽעֲבַרְתִּ֫י Jér 15, 14.

Le phénomène doit être considéré comme un renforcement : le ḥaṭef est légèrement renforcé pour contrebalancer le ton (cf. Mélanges Beyrouth, 51, p. 374).

j Sur le changement de ◌ַ en ◌ֶ devant gutturale suivie de qameṣ, cf. § 29 f.

  1. Brockelmann, 1, p. 198 ; Bauer 1, p. 169. — En arabe vulgaire ce même phonème existe, p. ex. dans ce même mot رُوح « esprit » et vulg. « va-t’en ! », qu’on prononce .
  2. Participe hofal. Opposer מֻקְטָל plus fréquent que מָקְטָל (§ 57 a).