Grammaire de l’hébreu biblique/Syntaxe/Temps et modes/Paragraphe 116

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 314-319).
§ 116. Modes volitifs indirects (cohortatif, jussif, impératif).

a Les modes volitifs employés avec un ו purement coordinatif sont des volitifs directs (§ 114). Employés avec un ו exprimant l’idée de finalité ou de consécution, ce sont des volitifs indirects ou logiquement subordonnés, p. ex. וְאֶקְטְלָה ut occidam. Les trois modes volitifs indirects étant traités de la même façon, nous les réunissons dans un même paragraphe. On remarquera que le volitif indirect peut exprimer aussi bien la finalité que la consécution : la nuance précise ne ressort que du contexte.

b A) Cohortatif indirect (weʾeqtelah : ut occidam). Il s’emploie surtout après un mode volitif (direct) :

  1. 1) Après un impératif : Gn 27, 4 הָבִ֫יאָה לִּי וְאֹכֵ֑לָה affer mihi ut comedam (ici finalité plutôt que consécution)[1] ; Gn 12, 2 « Va-t’en de ton pays… et je ferai de toi וְאֶֽעֶשְׂךָ une grande nation » (conséquence plutôt que finalité) ; 23, 4 « donnez-moi un tombeau afin que j’enterre mon mort וְאֶקְבְּרָה » ; 24, 56 ; 27, 9, 25 ; 29, 21 ; 30, 25, 26 ; 42, 34 ; 49, 1 ; Dt 32, 1 ; 1 R 13, 7.
  2. 2) Après un jussif : 1 S 27, 5 יִתְּנוּ־לִי מָקוֹם וְאֵֽשְׁבָה שָּׁם Qu’on me donne une place afin que j’y habite ; Gn 18, 30 « que mon Seigneur veuille bien ne pas s’irriter et je parlerai וַאֲדַבֵּ֔רָה » (consécution) ; Is 5, 19 וְנֵֽדְעָה afin que ns sachions (parall. לְמַ֫עַן נִרְאֶה afin que ns voyions) ; Mal 3, 7 שׁ֫וּבוּ אֵלַי וְאָשׁ֫וּבָה אֲלֵיכֶם revenez à moi et (consécution) je reviendrai à vous (cf. Zach 1, 3, l. וְאָשׁ֫וּבָה avec qqs. manuscrits) ; Jér 33, 3.
  3. 3) Après un premier cohortatif (mais ici on ne voit pas toujours clairement si le ו est coordinatif ou subordinatif) : Ex 3, 3 אָסֻֽרָה־נָּא וְאֶרְאֶה Je veux m’avancer afin de voir (le sens final est confirmé par v. 4 סָר לִרְאוֹת il s’avança pour voir) ; 1 R 19, 20 « Osculer, oro, patrem meum et matrem meam et sic sequar te » (Vulg. ; consécution). Exemples plus ou moins douteux : Gn 24, 57 ; 2 S 16, 9 ; Jér 40, 15.

c Le cohortatif indirect s’emploie aussi après un indicatif, surtout dans les propositions interrogatives et optatives.

En proposition interrogative (§ 161 m) : 1 R 22, 7 « N’y a-t-il pas ici quelque prophète, (afin) que nous l’interrogions ? וְנִדְרְשָׁה  » ; Is 40, 25 (consécution) ; 41, 26 (finalité) ; Am 8, 5 (id.) ; Lam 2, 13 (id.).

En proposition optative : Jug 9, 29 « Puissé-je avoir ce peuple en ma main et j’écarterai וְאָסִ֫ירָה Abimélec ! » ; Jér 9, 1. En dehors de ces cas le cohortatif indirect est rare : en proposition positive : Néh 5, 3 « Nous engageons nos champs afin d’obtenir du blé וְנִקְנֶה » ; — négative : Is 53, 2 « il n’a ni apparence ni éclat pour que ns le remarquions, ni beauté pour que ns l’aimions » (en prop. nominale ; l’accent atnaḥ est mal placé) ; — dubitative : Jér 20, 10 b « peut-être se laissera-t-il prendre, et ainsi ns deviendrons maîtres de lui וְנֽוּכְלָה לוֹ ».

Sur le cohortatif dans les propositions conditionnelles cf. § 167 a.

d B) Jussif indirect (weyaqom : ut surgat). Il s’emploie surtout après un mode volitif (direct) :

  1. 1) Après un impératif : 1 S 25, 8 שְׁאַל אֶת־נְעָרֶ֫יךָ וְיַגִּ֫ידוּ לָךְ « Interroge tes garçons et ils te renseigneront » (consécution) ; 1 R 21, 2 « donne-moi ta vigne afin qu’elle devienne וִיהִי pour moi un jardin potager » ; 2 R 6, 17 « ouvre ses yeux pour qu’il voie » ; 2 R 25, 24 « servez le roi de Babylone et vous serez heureux וְיִטַב לָכֶם » ; Ex 9, 13 (finalité) ; 1 S 7, 3 (consécution) ; Pr 20, 22 (consécution). — De même après un infinitif absolu employé au sens d’impératif (§ 123 u) : 2 R 5, 10 « Va te laver sept fois dans le Jourdain et ta chair reviendra וְיָשֹׁב » (consécution).
  2. 2) Après un cohortatif : les exemples certains semblent manquer. Dans Gn 19, 20 le jussif peut être direct.
  3. 3) Après un premier jussif (mais ici on ne peut guère distinguer le ו coordinatif du ו subordinatif).

e Le jussif est rare après un indicatif, mais on peut naturellement l’avoir dans les mêmes cas où l’on a le cohortatif § c. En prop. interrogative (§ 161 m) : Jon 1, 11 « Que devons-ns te faire pour que la mer s’apaise ? וְיִשְׁתֹּק ». Après un futur injonctif : Gn 42, 20 « vous m’amènerez votre plus jeune frère, afin que vos paroles soient vérifiées וְיֵאָֽמְנוּ » ; après un futur de prédiction : Lév 26, 43 « la terre sera abandonnée afin qu’elle acquitte ses sabbats וְתִ֫רֶץ » ; après un parfait : Lam 1, 19 « ils ont cherché de la nourriture pour se ranimer וְיָשִׁ֫יבוּ אֶת־נַפְשָׁם » ; Lév 9, 6 « voici ce que Jéhovah vous a ordonné de faire pour que sa gloire vous apparaisse וְיֵרָא ». (Dans 1 R 13, 33 וִיהִי, s’il est bien vocalisé, peut signifier ut esset). Après une proposition nominale : Nb 23, 19 לֹא אִישׁ אֵל וִֽיכַזֵּב Dieu n’est pas un homme pour mentir.

Sur le jussif dans les propositions conditionnelles cf. § 167 a.

f C) Impératif indirect (uqetol : ut occidas). À la 2e personne, le volitif indirect n’est pas le jussif, comme on s’y attendrait (et comme il l’est en arabe), mais bien l’impératif[2]. L’impératif indirect s’emploie surtout après un mode volitif (direct) :

  1. 1) Après un cohortatif : 1 R 1, 12 אִֽיעָצֵךְ נָא עֵצָה וּמַלְּטִי « Je veux te donner un conseil pour que tu sauves ta vie et la vie de ton fils Salomon » (ὅπως σώσῃς) ; Job 38, 3 je veux t’interroger et tu m’instruiras (finalité ou conséc.) (40, 7).
  2. 2) Après un jussif : Ps 128, 5 « Que de Sion Jéhovah te bénisse, afin que tu contemples la beauté de Jérusalem וּרְאֵה » ; Jér 35, 15 (après un jussif coordonné à un impératif).
  3. 3) Surtout après un premier impératif (mais seul le contexte indique si le ו est coordinatif ou subordinatif)[3]. Comparer la maxime divide et impera et la variante divide ut imperes. Dans la plupart des exemples le sens est consécutif : Gn 42, 18 זֹאת עֲשׂוּ וִֽחְיוּ faites ceci et (ainsi) vous vivrez[4] ; 2 R 5, 13 רְחַץ וּטְהָֽר lave-toi et tu seras purifié ; 18, 31 « rendez-vous à moi et vous mangerez וְאִכְלוּ chacun de sa vigne… » ; Is 45, 22 revenez à moi et vous serez sauvés ; Jér 6, 16 marchez-y et vous trouverez ; Amos 5, 4, 6 ; Job 21, 5 ; Ps 37, 27 fuis le mal et fais le bien et tu habiteras à jamais (après un impératif avec waw coordinatif) ; Pr 3, 3-4 ; 7, 2 « garde mes préceptes et tu vivras וֶֽחְיֵה » ; Job 2, 9 ; Esth 5, 14 « et sic ibis laetus וּבֹא » (Vulg.) ; parfois assez loin du premier impératif : Jér 25, 5. — Au sens final : 1 R 13, 7 « Viens chez moi pour te réconforter וּסֳעָ֑דָה ». — De même après un infinitif absolu employé au sens d’impératif (§ 123 u) : 2 R 5, 10 הָלוֹךְ … וּטְהָ֑ר « Va te laver sept fois… et tu seras purifié » (cp. § d) ; Pr 13, 20 ketīb : הָלוֹךְ וַֽחֲכָ֑ם « marche avec les sages et tu deviendras sage ».

g Rarement après un indicatif. En proposition interrogative (§ 161 m) : 2 S 21, 3 « Que ferai-je pour vous et comment pourrai-je expier, afin que vous bénissiez וּבָֽרְכוּ l’héritage de Jéhovah ? » (comp. § e Jon 1, 11).

h Loi générale. D’après cet exposé, on voit que les trois modes volitifs indirects de finalité-consécution ont les mêmes emplois. On peut donc formuler la loi générale : pour exprimer la finalité ou la consécution on emploie le cohortatif à la 1re personne, l’impératif à la 2e p., le jussif à la 3e p. Exemples avec diverses personnes : 1 S 28, 22 « Écoute la voix de ta servante et (conséc.) je te servirai (coh.) un peu de nourriture, pour que tu manges (impér.) et que tu aies des forces (jussif) » ; Gn 12, 2 « Va-t’en de ton pays… et je ferai de toi (coh.) une grande nation… et tu seras (impér.) bénédiction » ; 2 R 5, 10 (jussif § d et impér. § f) ; Job 6, 9-10 (jussif, cohortatif). Comparer § 169 i.

i On trouve parfois les modes volitifs indirects employés sans waw ; ou bien le waw est séparé de la forme verbale pour une raison particulière.

Cohortatif avec ו séparé : Gn 22, 5 au lieu du cohortatif indirect וְנֵֽלְכָה et ns irons on a וַֽאֲנִי וְהַנַּ֫עַר נֵֽלְכָה ; 33, 14 וַֽאֲנִי אֶתְנַֽהֲלָה et moi je m’avancerai ; — sans ו : 1 R 21, 2 b אֶתְּנָה ; Ps 55, 7 אָע֫וּפָה « Que n’ai-je des ailes comme la colombe ! Je m’envolerais » ; Is 27, 4 ; Ps 119, 17 ; Job 9, 32, 35 ; 23, 4.

Jussif avec ו séparé : Ps 102, 19 וְ… יְהַלֶּל־יָהּ pour qu’il loue Jéhovah ; — sans ו : Ex 7, 9 ⸮ יְהִי il deviendra ; Job 9, 33 יָשֵׁת pour qu’il mette ; 40, 32 אַל־תּוֹסַ֑ף tu ne recommenceras plus ; Pr 3, 8 תְּהִי elle sera.

Impératif sans ו : Pr 20, 13 שְׂבַע tu seras rassasié.

j Avec une négation les formes volitives avec אַל sont rarement employées pour exprimer la finalité-consécution ; on emploie généralement לֹא et l’indicatif[5], p. ex. à la 1re p. : Gn 42, 2 « achetez-nous du blé afin que ns vivions (jussif) et que ns ne mourions pas וְלֹא נָמוּת » ; — à la 2e p. : Lév 10, 9 « ne buvez pas de vin… pour que vs ne mouriez pas וְלֹא תָמ֫וּתוּ » ; — à la 3e p. : 1 R 18, 44 « attelle et descends, pour que la pluie ne te retienne pas וְלֹא יַֽעֲצָרְכָה » ; 14, 2 ; Is 8, 10 (consécution).

Les exemples avec אַל et mode volitif sont rares (qqs-uns douteux) : Nb 11, 15 ; 1 S 12, 19 ; Ps 69, 15 ; 2 Ch 35, 21.

À plus forte raison a-t-on וְלֹא ut non après un indicatif : Dt 17, 17 « il n’aura pas un grand nombre de femmes, pour que son cœur ne dévie pas וְלֹא יָסוּר » ; Gn 14, 23 ; Lév 10, 6 ; Jér 10, 4.

Cet usage de לֹא au lieu de אַל est peut-être né dans les phrases où l’on avait אַל en proposition principale, comme dans Lév 10, 9 ; le וְלֹא avait alors l’avantage d’indiquer qu’il n’y avait pas simple coordination. Puis l’emploi de וְלֹא pour ut non se sera généralisé. (Opp. Lév 16, 2 וְאַל § 177 j N).

  1. En arabe il faut faʾākula فَآكُلَ (avec le subjonctif). Ce parallélisme rend bien probable l’idée que la forme hébraïque ʾeqtelah est un ancien subjonctif. Quand le mode subjonctif disparut, la forme ʾeqtelah fut affectée à une autre fonction, à savoir à exprimer la volonté : « je veux tuer ». D’après le parallélisme avec l’arabe, le cohortatif indirect weʾeqtelah ne signifie donc pas la volonté directe « et je veux tuer », mais bien la subordination (finalité ou consécution) : « afin que je tue, de sorte que je tue ». Par analogie, on peut conclure qu’il en est de même pour le jussif indirect et pour l’impératif indirect. Ainsi on peut employer les modes volitifs indirects dans des cas de pure consécution où l’action n’est nullement voulue.
  2. À cet emploi de l’impératif indirect au lieu du jussif indirect opposer l’emploi du jussif de la 2e p. avec אַל au lieu de l’impératif, § 114 g. — On ne trouve pas, semble-t-il, de jussif final-consécutif à la 2e p. ; en tout cas, l’impératif est normal. Ceci n’a pas été vu p. ex. par Driver, § 65 ; Davidson, § 65 d. Dans sa traduction du Nouveau Testament, Delitzsch emploie à tort le futur de la 2e p. au lieu de l’impératif, p. ex. Jean 16, 24 ; Act 16, 31.
  3. Exemples de cas douteux : Ex 14, 16 וּבְקָעֵ֫הוּ plutôt consécution (et tu le diviseras) que coordination (et divise-le).
  4. Opp. Nb 4, 19 (cf. § 119 m).
  5. Mt 7, 1 Μὴ κρίνετε, ἵνα μὴ κριθῆτε et Luc 6, 37 μὴ κρίνετε, καὶ οὐ μὴ κριθῆτε se traduiraient de la même manière אַל־תִּשְׁפְּטוּ וְלֹא תִשָֽׁפְטוּ.